Diane de Lys (Alexandre DUMAS Fils)

Drame en cinq actes.

Représenté pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Gymnase-Dramatique, le 15 novembre 1853.

 

Personnages

 

PAUL AUBRY

LE COMTE DE LYS

MAXIMILIEN

TAUPIN

LE DUC

DE BOURSAC

UN DOMESTIQUE

DIANE

MARCELINE

LA MARQUISE

MADAME DE LUSSIEU

JULIETTE 

AURORE

JENNY 

UNE FILLE D’HÔTEL

 

La scène est à Paris, aux premier, deuxième, troisième et cinquième actes ; à Lyon, au quatrième acte.

 

 

 

SAINT-CLOUD

 

I

 

Hier, nous sommes partis au fond d’une voiture,
Enlacés l’un à l’autre, ainsi que deux frileux,
Emportant, à travers une sombre nature,
Le printemps éternel qui suit les amoureux.

Nous avions confié le sort de la journée
Au cocher, qui devait nous mener au hasard,
Où bon lui semblerait, et notre destinée
Reposait dans ses mains à compter du départ.

Cet homme pour Saint-Cloud avait des préférences !
Eh bien, va pour Saint-Cloud, c’est un charmant pays.
D’ailleurs, quand nous mêlons nos douces confidences.
Peu m’importe l’endroit, je suis bien où je suis.

À la grille du parc il nous fit donc descendre.
Le parc était désert, triste et silencieux ;
Le vent roulait au ciel des nuages de cendre,
Les arbres étaient noirs et les chemins boueux.

Nous nous mîmes à rire. En vérité, madame,
C’était risible à voir ; mais on ne voyait pas,
Et j’en suis enchanté, la belle et noble dame
Qui relevait sa robe et laissait voir ses bas.

Vous aviez l’embarras, embarras plein de grâce,
Des femmes comme il faut qui marchent, n’ayant pas
L’habitude d’aller à pied, et votre race
Aurait pu se prouver rien que par vos faux pas.

Vous teniez d’une main votre robe de soie,
Relevée en deux plis par devant ; vos jupons,
Dentelés et brodés, se donnaient cette joie
De rire avec la boue en battant vos talons.

Vos pieds, à chaque instant, s’enfonçaient dans la terre,
Comme si cette terre eût voulu vous garder.
Pour les ravoir après, c’était toute une affaire,
Et vous n’aviez pas trop de moi pour vous aider.

La belle promenade ! et l’agréable chose
Que l’amour dans les bois, par un temps pluvieux !
La bise vous faisait un petit nez tout rosé,
Empourprait votre joue et mouillait vos grands yeux.

Eh bien, c’était charmant plus qu’en la saison verte.
Le parc était à nous, à nous seuls, à nous deux ;
Pas un visage humain sur la route déserte ;
Pas d’importun témoin qui nous cherchât des yeux.

Nous avons traversé les longues avenues,
Que terminait toujours le même horizon gris,
Sans même regarder les Déesses connues,
Posant, en marbre blanc, sous les arbres maigris.
Nous sommes arrivés près d’un bassin où rôde
Un cygne encor plus blanc que le lait, et nageant
Silencieusement ; et, comme une émeraude,
L’eau verte reflétait le bel oiseau d’argent.

Il vint nous demander quelque chose, une miette
De pain ; et, pour nous plaire, il tordait son beau cou.
Vous lui dites alors : « Pauvre petite bête,
Je ne le savais pas, et je n’ai rien du tout. »

Si bien qu’il nous quitta, nous méprisant sans doute,
Et s’en alla, rayant le miroir du bassin,
À côté du jet d’eau, qui, tombant goutte à goutte,
Faisait, à lui tout seul, tout le bruit du jardin.

Nous, restâmes alors appuyés l’un sur l’autre,
Regardant le beau cygne, écoutant le jet d’eau.
La tristesse du bois faisait cadre à la nôtre ;
Et le soir commença d’étendre son rideau.

Dans ma poche je pris une clef de ma chambre,
Et, sur un piédestal, plein de mots au crayon,
À mon tour j’incrustai ces mots : Trente décembre ;
Puis auprès de ces mots je gravai votre nom.

Maintenant, quand l’été va rire dans les arbres,
Quand les gais promeneurs repeupleront le bois,
Quand les feuilles auront leurs reflets sur les marbres,
Quand le parc sera plein de lumière et de voix ;

À la saison des fleurs, enfin, j’irai, madame,
Revoir le piédestal portant le nom tracé,
Ce doux nom dans lequel j’emprisonne mon âme,
Et que le vent d’hier a peut-être effacé.

Qui sait où vous serez alors, ma voyageuse ?
Car, moi, je serai seul ; car vous m’aurez quitté ;
Car vous aurez repris votre route joyeuse,
En me laissant l’hiver au milieu de l’été.

Car l’hiver, ce n’est pas la bise et la froidure,
Et les chemins déserts qu’hier nous avons vus ;
C’est le cœur sans rayons, c’est l’âme sans verdure ;
C’est ce que je serai quand vous n’y serez plus.

 

II

 

Un an s’est accompli depuis cette journée
Où nous fûmes au bois nous promener tous deux.
Hélas ! j’avais prévu la triste destinée
Qui devait succéder à quelques jours heureux.

Notre amour ne vit pas la saison près de naître !
À peine un doux rayon de soleil luisait-il,
Que l’on nous séparaît ; et, pour toujours peut-être,
A commencé le double et douloureux exil.

Moi, j’ai vu ce printemps sur la terre lointaine,
Sans parents, sans amis, sans espoir, sans amour,
Les yeux toujours fixés sur la route prochaine
Par où tu m’avais dit que tu viendrais un jour.

Que de fois mon regard a sondé cette route
Qui se perdait parmi des forêts de sapins,
Moins obscurs, moins épais, moins tristes que le doute
Qui m’escortait depuis un mois sur les chemins !

À quoi bon ce soleil qui fleurissait les branches,
Réchauffait la nature et les champs assoupis ?
Marguerites, à quoi servaient vos têtes blanches,
Plus hautes en avril que les jeunes épis ?

À quoi bon les senteurs de la colline grasse ?
À quoi bon les oiseaux égrenant leurs chansons ?
Que me faisaient, à moi, le cœur pris sous la glace,
La chaleur de la terre et les nids des buissons ?

Qu’à jamais le soleil se voile, s’il éclaire
En vain le long chemin au bout duquel j’attends
S’il ne ramène pas ce que mon âme espère,
Il n’est pas le soleil, il n’est pas le printemps !

Marguerites, tombez et mourez dans la plaine,
Perdez vos doux parfums et vos fraîches couleurs.
Si celle que j’attends n’aspire votre haleine,
Vous n’êtes pas l’été, vous n’êtes pas les fleurs !

Oh ! je préfère à vous l’hiver morose et sombre,
Avec ses arbres noirs et ses sentiers déserts,
Avec son œil éteint qui s’entr’ouvre dans l’ombre,
Et qui, sans nous toucher, expire dans les airs.

C’est là le vrai soleil des âmes désolées :
Rendez-moi donc l’hiver, nous nous connaissons bien,
Ma tristesse est la sœur de ses sombres allées,
Et le feu de mon cœur est froid comme le sien.

C’est ainsi que, dès l’aube, assis à ma fenêtre,
Je parlais, maudissant et le soleil et Dieu ;
Puis le jour commençait, j’espérais une lettre
Qui m’eût fait pardonner au ciel d’être si bleu.

Et le jour s’enfuyait comme avait fui la veille.
Rien ! – Pas un mot de vous ! – L’horizon bien fermé
Ne laissait même pas venir à mon oreille
L’écho doux et lointain de votre nom aimé.

Un morceau de papier, c’est pourtant peu de chose ;
Quatre lignes dessus, ce n’est pourtant pas long.
Si l’on ne veut écrire, on peut prendre une rose
Éclose le matin dans un pli du vallon ;

On la peut effeuiller au fond d’une enveloppe,
La jeter à la poste, et l’exilé, venu
Du fond de son pays jusqu’au bout de l’Europe,
Peut sourire en voyant que l’on s’est souvenu.

Que de fois vous avez oublié de le faire !
Et, chaque jour, c’était un désespoir nouveau.
Mon cœur se desséchait, comme ces fruits qu’on serre
À la fin de l’été, dans l’ombre d’un caveau.

Si l’on pressait ce cœur aujourd’hui, c’est à peine
S’il en pourrait jaillir une goutte de sang.
Il n’y reste plus rien : c’était la coupe pleine
Qu’un enfant maladroit fait tomber en passant.

Nous voici revenus à la fin de l’année,
Et le Temps patient, qui ne s’arrête à rien,
Nous rend le même mois et la même journée
Où vous parliez d’amour, votre front près du mien.

C’est le même ciel gris : les routes sont désertes ;
Le givre de nouveau gerce les étangs bleus.
Les arbres ont usé leurs belles robes vertes,
Le cygne rôde encor triste et silencieux.

Voilà votre doux nom que ma main vient d’écrire ;
Il est là qui sourit, dans le marbre incrusté !
Allons ! j’ai fait un rêve, et j’étais en délire ;
Allons ! j’étais un fou ! Tu ne m’as pas quitté.

La voiture là-bas nous attend à la grille ;
Partons ! Et, s’il fait beau, nous reviendrons demain.
Baisse ce voile noir sur ton regard qui brille ;
Prends garde de glisser, et donne-moi la main ;

Car il a plu. La pluie a détrempé les terres.
Approche donc ! – Hélas ! Mes sens sont égarés !
Les feuilles que je foule, aux chemins solitaires,
Sont celles du printemps qui nous a séparés.

Non, non, tu n’es plus là, toi que j’appelle et j’aime,
J’ai pris le souvenir pour la réalité ;
Et, tout à cet amour, encor, toujours le même,
J’ai vécu deux hivers de suite sans été.

Car l’été, ce n’est pas cette saison qui dure
Six mois, et que Novembre éteint d’un pied transi,
C’est du cœur rayonnant l’éternelle verdure ;
C’est ce que je serai quand tu seras ici.

 

1849-1850.

 

J’avais vingt-cinq ans lorsque j’écrivis ces vers. Ils ne sont ni bons ni mauvais, ils sont jeunes, et je ne les, cite que parce qu’ils furent le point de départ du drame qu’on va lire. Comme la Dame aux Camélias, cette pièce est le contre-cri d’une émotion personnelle à laquelle l’Art est venu donner un développement et une conclusion logiques qui lui ont manqué heureusement sur la terre. Ainsi est-il de beaucoup d’œuvres de l’esprit, quant à leur origine. Ajoutons bien vite que, dans ce travail opéré sur le vif, la supposition et l’imagination du poète entrent pour la plus grosse somme. Son œuvre est née souvent d’un détail des plus vulgaires, commun à tous, et qui n’a pris son importance que par l’âme particulière à laquelle il s’est heurté. Mille autres hommes ont passé par la même épreuve que le poète ; mais, n’étant pas disposés à vibrer comme lui, ils n’en ont tiré ni une émotion pour eux-mêmes, ni une leçon pour les autres. C’est dans cette identité des premiers événements que les autres se retrouvent plus tard et c’est pour cela qu’ils proclament le poète moraliste et voyant. D’autre part, la douleur et le chagrin ont tué nombre de gens à qui il ne manquait, pour les vaincre, que la faculté d’engendrer un’ livre ou une comédie. Qui se répand se calme. Du reste, le procédé paraît tout simple à l’examen chimique. La passion, en traversant l’âme du poète, y dépose les particules vivaces qui doivent servir plus tard à l’enfantement de l’œuvre, et, quand le cœur a fini, le cerveau commence. Il saisit alors le germe et le développe à la chaleur du grand foyer, et, transformée, épurée, équilibrée, il rejette sa sensation à la foule, en lui disant : « À ton tour de souffrir. » Aussitôt tous ceux qui ont aimé, qui ont pleuré, qui ont souffert du même mal, accourent et communient dans l’œuvre qui les contient. De cet homme qui fut lui, le poète a formé un homme qui est nous, en généralisant son drame personnel, en le rattachant aux causes universelles, en y associant l’humanité tout entière ; et, quand il nous a bien apitoyés sur sa douleur qui fut la nôtre, il en est guéri pour jamais, parce qu’il l’a divisée à l’infini. C’est ainsi que Shakespeare et Molière ont utilisé leurs amours, leurs passions, leurs jalousies, leurs désespoirs, et jusqu’à leurs ridicules.

Mais, conséquence naturelle, le cœur et le cerveau contractent bientôt l’habitude, et peu à peu le besoin de ces fortes secousses qui étreignent l’un et développent l’autre, celui-ci au détriment de celui-là. On s’endurcit donc peu à peu au choc incessant des passions, à ce va-et-vient d’impressions que l’âme reçoit et qu’elle expédie immédiatement à l’esprit comme un bagage ou un aliment, et les agitations que le poète a subies malgré lui jadis, sous lesquelles il a crié, il les appelle à cette heure, il les cherche avec préméditation, il s’y jette avec une naïveté apparente, pour les explorer en détail, armé d’une lampe de sûreté comme un mineur qui veut découvrir un nouveau filon sans risquer sa vie. Il doit y avoir encore quelque chose au fond de ce sentiment, de cette passion qu’il n’a pas, selon lui, suffisamment rendus la première fois. Il y revient, il les retourne, il les gratte, il fait contracter le nerf, il envenime la plaie pour bien savoir ce que c’est que la douleur ; il étreint son cœur et quelquefois le cœur de ceux qui l’aiment, pour s’assurer que la dernière goutte de sang est aussi rouge et aussi chaude que la première. Le cas échéant, il s’arrachera un morceau du cœur à lui ou aux autres, pour le jeter au cerveau de plus en plus avide et toujours prêt. Ces hommes seraient des monstres s’ils avaient la conscience de ce qu’ils font, s’ils n’obéissaient pas à une puissance mystérieuse dont ils ne sont pas les maîtres, si le Génie enfin n’était pas l’excuse divine.

Cependant, quand ils ne sont pas morts dans cette lutte, car c’en est une, l’âge arrive, et avec lui des transformations et des curiosités d’un autre ordre. Alors, l’observation désintéressée, froide, gaie, railleuse, impersonnelle, implacable, succède aux troubles naturels ou cherchés. Ce qui le faisait pleurer, ce poète, le fait rêver ; ce qui le faisait rêver, le fait sourire ; ce qui le faisait sourire, le fait rire aux éclats ; il parcourt ainsi toute la gamme de l’art, et c’est ainsi qu’il peut être sentimental avec Roméo, jaloux avec le More, sombre avec Hamlet, misanthrope avec Timon, railleur avec Falstaff. Tous ceux qui sont de la même race, ne fussent-ils pas de la même force, procèdent de la même manière à des degrés différents. Enfin, un jour, je parle des robustes, ces hommes n’ont plus qu’à regarder en eux-mêmes pour voir s’agiter l’homme tout entier, avec ses illusions, ses passions, ses vices, ses folies de toute sorte, et, comme ils n’ont plus rien à apprendre, de guerre lasse, ils s’assoient pour ainsi dire en dehors de la vie, et regrettent, en se méprisant et en regardant passer la foule, de n’avoir pas vécu comme elle.

Vous vous expliquez maintenant l’indifférence, l’ingratitude presque inévitables de ceux et surtout de celles dont l’existence a été volontairement ou forcément attachée à l’existence de ces hommes. Comme ceux-là font partie nécessairement de la race commune, et comme il faut être presque l’égal d’un grand homme pour se dévouer à lui avec tous les sacrifices et tous les silences du dévouement, ils ne comprennent rien à cette puissante organisation, dont l’ombre les efface et dont le rayonnement les aveugle. Ils perdent patience, ils se découragent, ils sont humiliés de venir toujours après, de n’être personne et de ne pouvoir lui procurer toutes les sensations qu’il cherche ni concentrer sur eux toutes celles qu’il pourrait donner. Alors, ils se détachent, ils quittent l’orbite de l’astre et s’en vont demander à leurs semblables, à ceux de leur taille, les sentiments étroits et les jouissances vulgaires qui sont l’air vital des âmes moyennes.

De là ces catastrophes, ces séparations, ces adultères et ces grands cris de douleur poussés par les poètes dans une grande œuvre qui les immortalise en même temps que, par un sous-entendu avec la foule, elle flétrit à tout jamais l’indigne créature qui les a torturés. Et la Béjart rit sous Agnès et sous Célimène, et Molière pleure dans Arnolphe et dans Alceste. La coquine ! le malheureux ! Et la postérité déshonore éternellement la femme et pleure éternellement sur l’homme !

Eh bien, la postérité a tort.

Cet homme n’est pas à plaindre. Il a enfanté dans les conditions de l’enfantement, avec des cris. De sa douleur a jailli un chef-d’œuvre ? Qui n’accepterait le marché ? Et, d’ailleurs, quand on veut être au-dessus de l’humanité, ce n’est pas pour que le premier venu puisse vous suivre. Et faut-il tout vous dire ? Cet homme n’a même pas souffert, dans la vraie acception du mot. Quand on souffre véritablement, – on se tait ; – quand on souffre trop, – on se tue ; mais celui qui peut donner une forme littéraire à sa douleur, qui peut la soumettre à un rythme harmonieux, qui la discute rationnellement, qui la rature, qui la nuance, qui la ponctue, qui lui adjoint la satire, l’observation, la gaieté pour la mettre en équilibre, qui la fait interpréter pas des comédiens, imprimer par un éditeur, vendre par un libraire et lire par tout le monde, celui-là n’a pas souffert. Il a bien vu ce qu’il a senti, et il a bien traduit ce qu’il a vu. Ne le jugeons ni selon nos petites douleurs, ni selon nos petites joies dont il ne s’est pas contenté. Il plane dans un monde à part et n’a de commun avec nous que ce qu’il a su nous prendre. Ne le plaignons pas, admirons-le ; c’est tout ce qu’il demande et tout ce qu’il mérite.

...

Le drame de Diane de Lys a été écrit en 1852, interdit pendant huit mois, et rendu l’année suivante. Pourquoi a-t-il été interdit ? Pourquoi a-t-il été rendu ? Mystère. Il a couru à ce sujet une foule de versions que j’ai laissées courir parce qu’elles ne pouvaient que servir à l’auteur en le posant en victime. On disait que MM. les censeurs prenaient ainsi leur revanche de la Dame aux Camélias. – Parfait ! – Que M. de Persigny voulait me punir d’avoir décliné l’honneur d’écrire la cantate du 15 août précédent. – Bravo ! – Qu’un ambassadeur étranger avait demandé cette mesure, ce drame étant l’histoire d’une grande dame de son pays. Voyez-vous cet ambassadeur réclamant pour les grandes dames de son pays la spécialité de l’adultère, et obtenant d’un grand pays comme la France la suppression d’un ouvrage qu’il ne connaît pas. Tout cela était excellent, et se termina ainsi : la pièce fut rendue sans autres changements que ceux que je croirais devoir faire. (Much adoa bout nothing.)

C’est à propos de Diane de Lys que j’ai fait connaissance avec le directeur du Gymnase, par l’intermédiaire d’un ami commun. Je trouvai dans Montigny un homme si intelligent, si loyal et si bon, que je contractai aussitôt amitié avec lui, comme lui avec moi, j’espère pour les mêmes raisons ; je m’en suis, depuis lors, tenu à son théâtre, et je n’ai eu qu’à m’en louer. Je réponds ainsi d’un mot à ces observations qui m’ont été adressées souvent : « Pourquoi n’écrivez-vous pas pour telle ou telle scène ? Il faut changer de public, etc., etc. » Le public est le même partout et j’ai écrit pour le Gymnase comme j’aurais écrit pour le premier théâtre du monde, le désir que j’avais de réussir étant là ce qu’il eût été ailleurs, et puis il n’y a pas de petites scènes et de grandes scènes, il y a des pièces bonnes, ou médiocres, ou mauvaises. Elles restent partout ce qu’elles sont ; le monument ne leur ajoute et ne leur retranche rien.

Le rôle de Diane de Lys fut créé par cette admirable madame Montigny, dont l’avenir conservera la mémoire dans deux noms toujours frais, toujours jeunes, toujours purs : Rose Chéri, car la postérité se plaît à retrancher du nom de ceux qu’elle choisit tout ce qui peut les matérialiser, tout ce qui rappellerait leur existence mortelle, tout ce qui, en les alourdissant, les empêcherait, pour ainsi dire, de flotter dans les éternelles transparences. De la jeune fille irréprochable, de l’épouse dévouée, de la mère sublime jusqu’à en mourir, on ne dira peut-être pas tout ce qui devrait être dit ; mais de l’ensemble harmonieux qui fut cette personne exceptionnelle résultera un être légendaire, Rose Chéri, qui sera comme la patronne de la corporation des comédiens. Nous-même qui avons connu, estimé, admiré, aimé cette femme d’un mérite si rare, nous ne savons déjà plus comment parler d’elle, et nous demandons en vain à notre langue de restituer son image et de fixer son souvenir. S’il nous était permis de composer son épitaphe définitive, nous nous contenterions de paraphraser celle de Lucrèce, et nous graverions sur sa tombe :

« Elle fut grande artiste et fila de la laine. »

 

Février 1868.

 

 

ACTE I

 

Un atelier de peintre. À gauche, vitres et grands rideaux. Au fond, à gauche, porte ; à droite, escalier intérieur en bois conduisant à une chambre ; tableaux sur leurs chevalets, la Vénus de Milo, poêle, piano, divan, bahut de chêne, grande horloge au-dessus du piano, estrade pour les modèles, étoffes, tentures, panoplies.

 

Scène première

 

PAUL, à son chevalet, AURORE, posant en robe Louis XV sur l’estrade, TAUPIN, couché sur un divan et lisant un journal

 

PAUL, à Aurore.

Le bras plus arrondi, bien ; tu es fatiguée ?

AURORE.

Un peu...

PAUL.

Encore un moment.

TAUPIN.

Où est le tabac ?

PAUL.

Sur le piano.

TAUPIN se lève, fait une cigarette, l’allume, se recouche sur le divan ; il lit le journal.

« Nouvelles diverses... » 

À Paul.

Est-ce que vous lisez autre chose que les nouvelles diverses dans un journal ?

PAUL.

Jamais !

TAUPIN.

Il y en a quelquefois de bonnes...

Il lit.

« Avant-hier, une jeune fille s’est précipitée du Pont-Royal dans la Seine ; quand on l’a retirée, le lendemain, ce n’était plus qu’un cadavre ! » Quelle jolie rédaction ! « On attribue ce suicide à une peine d’amour. Ce qui le fait croire, c’est une lettre trouvée sur elle et adressée à un jeune homme qu’elle aimait et qui l’avait abandonnée pour se marier. »

AURORE.

Comment ! elle n’avait pas prévu ça ?

PAUL.

C’était peut-être son premier amant.

TAUPIN.

Quel est l’homme qui peut dire qu’il a été le premier amant d’une femme ?

PAUL.

Le dernier à qui elle le dit.

À Aurore.

Tiens-toi plus droite.

TAUPIN.

Enfin il vaut mieux qu’elle en ait fini de cette façon. Si elle avait survécu au mal qu’on lui faisait, elle s’en serait vengée plus tard sur quelque autre homme qui ne lui aurait fait que du bien.

AURORE.

Vous arrangez bien les femmes, vous !

PAUL, à Taupin.

Vous ne travaillez donc pas aujourd’hui ?

TAUPIN.

Non, je me suis donné congé jusqu’à demain. J’ai achevé ma statue hier.

PAUL.

Qu’est-ce qu’elle représente ? Est-elle bien venue ?

TAUPIN.

Ma foi, non.

PAUL.

De la modestie !

TAUPIN.

Du découragement, tout au plus. Je trouve notre métier si bête ! Vous me demandez ce qu’elle représente, ma statue ? Elle représente une Vénus ! puisque nous sommes condamnés à Vénus, nous autres sculpteurs : Vénus de Médicis, Vénus accroupie, Vénus Callypige, Vénus pudique, Vénus Anadyomène : toujours Vénus. Tant que nous n’avons pas fait de Vénus, on dit que nous ne savons rien faire. Dès que nous avons fait une femme nue, on dit que c’est une Vénus, et, dès que notre Vénus est faite, on dit qu’elle ne vaut pas la Vénus de Milo... une femme qui a la tête trop petite, la gorge trop bas, le cou trop fort, les jambes trop longues et pas de bras. – Ah ! quel métier absurde ! Et puis, à quoi bon ?... Quand on y songe, est-il rien de plus ridicule que notre métier d’homme ? Se lever, s’habiller, travailler, avoir besoin d’argent, boire, manger – quelquefois, – dormir – pas toujours ; tout cela, pendant un certain nombre d’années, avec accompagnement de misères, de déceptions, de douleurs, de regrets, de souvenirs, de remords, pour en arriver à quoi ? à être enfermé comme un jeu de dominos, dans une boîte de bois blanc, si l’on est pauvre, de bois de chêne, si l’on est riche, et à faire là dedans la plus piteuse grimace que l’on puisse imaginer... C’est insensé, je le déclare, et l’état d’homme est le plus méprisable de tous les états.

Il se lève.

AURORE.

Taupin est dans son jour de misanthropie. Ayez vingt-cinq ans, Taupin ; aimez une belle fille, et vous trouverez la vie superbe.

TAUPIN.

L’amour ? Merci, j’en ai assez. Voilà une chose que je comprends qu’on désire, que je comprends qu’on regrette, mais que je ne comprends pas qu’on fasse.

AURORE.

Dites donc, Taupin, il y a des femmes dans la maison. Si vous n’aimez plus l’amour, n’en dégoûtez pas les autres.

TAUPIN se met nonchalamment au piano et joue quelques mesures.

Qu’est-ce que c’est que cette chanson manuscrite que vous avez là ?

PAUL.

C’est un vieil air arrangé...

TAUPIN.

Quand on pense qu’il y a des gens qui composent de la musique... Voilà encore une drôle de chose.

PAUL.

Taupin, Taupin, vous devenez navrant, mon bon ami. 

À Aurore.

La tête un peu plus en arrière... Bien !

TAUPIN fredonne en s’accompagnant.

Je suis pris par une femme,
Cheveux blonds et teint de lait ;
Aussi fait-elle à mon âme
Autant de mal qu’il lui plaît.
Valentin ! – Monsieur !...

Parlé.

Qu’est-ce que ça signifie ?

AURORE.

C’est la chanson de Valentin.

TAUPIN.

Qu’est-ce que c’est que la chanson de Valentin ?

AURORE.

C’est une chanson que nous chantions tous les soirs à la campagne cet été, ce qui amusait bien les voisins, je vous en réponds.

TAUPIN.

De qui est-elle ?

PAUL.

D’un pauvre garçon qui était avec nous et qui est mort depuis, si bien que la chanson est gaie et que le souvenir est triste. Il avait du talent !

AURORE.

Chante-lui donc ça, il n’en sortira jamais.

PAUL se met au piano et chante.

Je suis pris par une femme,
Cheveux blonds et teint de lait ;
Aussi fait-elle à mon âme
Autant de mal qu’al lui plaît :
Valentin !

AURORE.

  Monsieur !

PAUL.

Verse, verse, verse, verse,
Verse-nous du vin tout plein.
Ah ! ah ! Valentin !
Verse-nous du vin tout plein.

C’est dans le vin que j’oublie,
Ma folie et ma raison ;
Lise n’est pas si jolie
Que le vieux bourgogne est bon.
Valentin !

AURORE.

  Monsieur ! etc.

PAUL.

Et, quand j’ai bu ma bouteille,
Je ris de Lise à mon tour !
Je la trouve laide et vieille,
Je me fiche de l’amour.
Valentin !     

AURORE.

  Monsieur ! etc.

TAUPIN.

Elle n’est pas mal, sa chanson.

PAUL.

Dites donc, mon petit Taupin, voulez-vous me rendre un service, pour ma peine ?

TAUPIN.

Parbleu !

PAUL.

Cet imbécile de père Léopold devait venir chercher ce tableau aujourd’hui et m’apporter de l’argent, mais il paraît qu’il l’a oublié.

TAUPIN.

Il ne l’a pas oublié ; seulement, en vous faisant attendre jusqu’à demain, il espère l’acheter meilleur marché.

PAUL.

C’est possible ! Voulez-vous ouvrir le tiroir de la commode, là-haut dans ma chambre ?

TAUPIN.

Après ?

PAUL.

Vous y trouverez deux cent cinquante francs.

AURORE.

Comment ! tu as deux cent cinquante francs, toi ?

PAUL.

Oh ! ne t’y fie pas, cela ne m’arrive pas souvent... 

À Taupin.

Vous en prendrez cent cinquante et vous aurez la bonté de les expédier à ma mère, par la poste qui est à côté d’ici.

TAUPIN.

Y a-t-il une lettre d’envoi ?

PAUL.

Non. J’avais d’abord commencé une lettre, mais il faut que l’argent parte, c’est le plus pressé.

TAUPIN.

J’y cours.

PAUL.

Revenez ici, nous dînerons ensemble.

TAUPIN.

C’est dit.

Il monte l’escalier et entre dans la chambre.

PAUL, allant à Aurore.

Le bras un peu plus haut, là !... Je te demande pardon de te faire poser si longtemps; mais je veux finir aujourd’hui.

AURORE.

Oh ! je ne suis pas fatiguée.

TAUPIN, reparaissant au haut de l’escalier.

Je descends par l’escalier de votre chambre.

PAUL.

Oui, oui !...

 

 

Scène II

 

PAUL, AURORE

 

AURORE.

Ce pauvre Taupin... il a l’air tout triste.

Fredonnant.

Je suis pris par une femme,
Cheveux bonds et teint de lait.

Qui est-ce qui a fait ces vers-là ?

PAUL.

Je te l’ai dit, c’est Hippolyte.

AURORE.

Il aime donc les blondes ?

PAUL.

Il les aimait.

AURORE.

Comment peut-on aimer les blondes ! Tu n’aimes que les brunes, toi ?

PAUL.

Oui.

AURORE.

Comme tu me dis ça.

PAUL.

Je ne sais pas le dire autrement.

AURORE.

J’ai un peu mal à la tête, moi.

PAUL.

Tu as faim ?

AURORE.

Me mèneras-tu dîner ?

PAUL.

Si tu veux.

AURORE.

Oui, je veux. Au fait, non, je dînerai chez Julie.

PAUL.

Il y a de la suite dans tes idées.

AURORE.

Est-ce fini ?

PAUL.

Tu es libre.

AURORE venant.

C’est très ressemblant !

PAUL.

Tu es satisfaite ?

AURORE.

Oui... seulement, à ta place, je mettrais un peu plus d’épaule dans la lumière.

PAUL.

Elle a pourtant raison.

Il redonne quelques touches.

AURORE.

Tu vois que je suis artiste aussi, moi. Ah çà ! où donc le père Mahulot a-t-il mis mes affaires ?

PAUL.

Là-bas, dans le bahut.

AURORE, après avoir cherché.

Voilà.

PAUL.

Au fait, je voudrais bien savoir pourquoi tu as apporté tes affaires ici.

AURORE.

Afin, quand j’aurai posé longtemps, d’avoir au moins de quoi changer, si je ne veux pas rentrer chez moi.

PAUL.

C’est assez juste.

AURORE.

Où est donc ma robe ?

PAUL.

Sur le fauteuil.

AURORE.

Merci !...

Elle a ôté sa robe Louis XV.

On frappe.

PAUL.

Entrez !

AURORE.

Eh bien, et moi ?

PAUL, faisant sa palette.

De la pudeur, Aurore ?... Je ne vous reconnais plus.

MAXIMILIEN, qui ne voit qu’Aurore.

Pardon, madame ! M. Paul Aubry ?

AURORE, se cachant derrière sa robe, qu’elle n’a pas eu le temps de remettre.

Il est là, monsieur.

MAXIMILIEN.

Merci !

PAUL.

Maximilien ! Je te croyais parti.

MAXIMILIEN.

Je ne serais pas parti sans être venu te revoir... tu sais bien...

PAUL.

Oui, oui. 

À Aurore.

Chère enfant, j’ai à causer avec monsieur, et puis il faut que je m’habille. Voici ce que tu vas faire ; tu vas aller chez ton amie.

AURORE.

Chez Julie ?

PAUL.

J’irai t’y rejoindre ce soir.

AURORE.

Nous jouerons au loto, en attendant.

PAUL.

Joue au loto, c’est un jeu sain.

AURORE.

Ou bien nous irons au spectacle.

PAUL.

C’est encore une idée... Vous direz à la portière où vous allez, j’irai peut-être vous rejoindre.

AURORE.

Tâche. À tantôt, alors.

PAUL.

À tantôt.

AURORE, à Maximilien.

Adieu, monsieur.

MAXIMILIEN, saluant.

Mademoiselle !...

Aurore sort.

 

 

Scène III

 

PAUL, MAXIMILIEN

 

PAUL.

Je suis tout à toi.

MAXIMILIEN.

Elle est gentille, cette petite femme.

PAUL.

Tu remarques donc toujours les femmes, toi ?

MAXIMILIEN.

Toujours ! C’est la maîtresse de la maison ?

PAUL.

Tu es donc toujours curieux ?

MAXIMILIEN.

Habitude d’ambassade.

PAUL.

À propos d’ambassade, où vas-tu maintenant ?

MAXIMILIEN.

Je crois que je vais être premier secrétaire.

PAUL.

Où ?

MAXIMILIEN.

À Berlin.

PAUL.

Tu ne perds pas de temps.

MAXIMILIEN.

Je le crois bien ! Je suis arrivé d’Amsterdam, il y a quinze jours.

PAUL.

Gagnes-tu au change ?

MAXIMILIEN.

Évidemment : la Prusse vaut mieux que la Hollande ; il y a toujours moins de Hollandais.

PAUL.

Oui, mais il y a plus de Prussiens.

MAXIMILIEN.

C’est vrai ! je n’avais pas songé à ça.

PAUL.

Reviens à ce qui t’amène.

MAXIMILIEN.

Je parie que tu l’as oublié...

PAUL.

Moi ! je n’oublie rien. Veux-tu que je te rapporte tes propres paroles ?

MAXIMILIEN.

Rapporte.

PAUL.

Tu m’as dit : « Mon cher Paul, j’aurai un service à te demander prochainement. » Je t’ai dit : « Quand tu voudras ! » et tu m’as dit : « Eh bien, je reviendrai. » Cependant, comme ce n’était pas tout à fait une explication que tu me donnais là et que je tenais à savoir quel genre de service je pourrais te rendre, je te l’ai demandé ; à quoi tu m’as répondu qu’il s’agissait tout bonnement de te prêter mon atelier pendant une heure le soir, et que tu viendrais me prévenir de l’heure.

MAXIMILIEN.

Et tu as supposé ?

PAUL.

Que tu veux commencer la peinture.

MAXIMILIEN.

Le soir ?

PAUL.

Ou bien que tu as à causer avec quelqu’un qui ne peut ni venir chez toi ni te recevoir chez...

MAXIMILIEN.

Chez elle. Eh bien, l’heure est venue et tu n’as plus qu’à sortir en laissant ta clef sur la porte.

PAUL.

Voilà ! tout est prévu.

MAXIMILIEN.

Habitude d’ambassade ! Seulement...

PAUL.

Oh ! il y a un adverbe !

MAXIMILIEN.

Supposons que la conférence se prolonge, comment rentreras-tu ?

PAUL.

J’ai un escalier extérieur qui conduit à ma chambre.

MAXIMILIEN.

À merveille ! Mais, si le hasard faisait que tu te rencontrasses dans le jardin avec cette personne ?

PAUL.

Je n’aurais pas l’air de la voir, bien entendu.

MAXIMILIEN.

Tu es un amour !

PAUL.

Crois-tu ?

MAXIMILIEN.

J’en suis sûr... Dis donc.

PAUL.

Quoi ?

MAXIMILIEN.

Cette jeune femme...

PAUL.

Quelle jeune femme ?

MAXIMILIEN.

Qui sort de chez toi.

PAUL.

Eh bien ?

MAXIMILIEN.

Elle ne viendra pas ce soir ?

PAUL.

Non.

MAXIMILIEN.

C’est que, tu comprends, si elle se trouvait avec l’autre.

PAUL.

Cela ferait une belle affaire, parce que, probablement, cette autre n’est pas une grisette comme Aurore ?

MAXIMILIEN.

On l’appelle Aurore ?

PAUL.

Oui.

MAXIMILIEN.

C’est un nom charmant.

PAUL.

Tu es bien bon. D’ici à l’heure de ton rendez-vous, que fais-tu ?

MAXIMILIEN.

Je cours dire à mon oncle, qui m’attend pour dîner, qu’il ne compte pas sur moi. Il faut des procédés, j’hérite de lui.

PAUL.

Sans cela, nous aurions diné ensemble.

MAXIMILIEN.

Un autre jour. Ah ! je pense encore à une chose.

PAUL.

Laquelle ?

MAXIMILIEN.

Dans le cas où j’aurais besoin une seconde fois de ton atelier ?

PAUL.

À la même heure ?

MAXIMILIEN.

Probablement.

PAUL.

Il serait toujours à ta disposition.

MAXIMILIEN.

C’est que la personne en question ne pourra peut-être rester que quelques instants ce soir... Elle ne pourra peut-être même pas venir.

PAUL.

Tu ne l’as donc pas vue ?

MAXIMILIEN.

Mais non, je ne l’ai pas vue, puisque c’est pour la voir que je viendrai.

PAUL.

Tu lui as écrit ?

MAXIMILIEN.

Oui.

PAUL.

Et elle t’a fait dire... ?

MAXIMILIEN.

Elle ne m’a pas répondu.

PAUL.

Tu appelles ça un rendez-vous, toi ?

MAXIMILIEN.

Elle viendra.

PAUL.

Tu as donc beaucoup d’influence sur elle ?

MAXIMILIEN.

Je suis dans une situation toute particulière vis-à-vis de cette femme. J’ai dû l’épouser autrefois. C’est toute une histoire ! On m’a fait partir ; on l’a mariée en mon absence ; il faut absolument que je la revoie.

PAUL.

Et, pour cela, tu lui écris tout bonnement de venir chez moi ?

MAXIMILIEN.

Oui, à huit heures.

PAUL.

Et tu crois qu’elle viendra ?

MAXIMILIEN.

Je lui ai écrit qu’il s’agit de choses de la plus grande importance, et, comme je sais qu’elle est curieuse...

PAUL.

Et c’est une femme mariée ?

MAXIMILIEN.

Mariée.

PAUL.

Du monde ?

MAXIMILIEN.

Du plus grand monde.

PAUL.

Et tu l’aimes ?

MAXIMILIEN.

Je le saurai demain. Là-dessus, je te quitte ; mon oncle doit s’impatienter : s’il allait me déshériter pour occuper le temps. Adieu !

PAUL.

Au revoir, ingrat ! Donne tes ordres toi-même au père Mahulot.

MAXIMILIEN.

Qu’est-ce que c’est que le père Mahulot ?

PAUL.

C’est mon portier.

MAXIMILIEN.

Et s’il ne me croit pas le droit de lui donner des ordres ?

PAUL.

Donne-lui vingt francs, il te croira. D’ailleurs, en sortant, je le préviendrai.

Au moment où Maximilien sort, Taupin paraît.

MAXIMILIEN.

Adieu ! 

À Taupin.

Pardon, monsieur !

TAUPIN.

Passez, monsieur, je vous prie.

Maximilien sort.

 

 

Scène IV

 

PAUL, TAUPIN

 

TAUPIN, allant à Paul et lui remettant un papier.

Voilà le reçu.

PAUL.

Merci, mon cher Taupin.

TAUPIN.

Qu’est-ce que c’est que ce monsieur ?

PAUL.

C’est un camarade de collège qui venait me demander un service... Un charmant garçon, un peu fou...

Pendant ce temps, Paul a allumé la lampe.

Quel temps fait-il ? chaud ou froid ?

TAUPIN.

Entre les deux.

PAUL.

Me voilà bien renseigné.

TAUPIN.

Ah ! ah ! vous vous faites beau ?

PAUL.

J’irai peut-être au théâtre, ce soir.

TAUPIN.

Quoi faire ?

PAUL.

Chercher Aurore.

TAUPIN.

Vous êtes donc amoureux d’Aurore, vous ?

PAUL.

Moi, pas le moins du monde.

TAUPIN.

Vous êtes trop bon pour elle.

PAUL.

Vous ne l’aimez pas, cette pauvre Aurore.

TAUPIN.

Je ne l’aime ni ne la déteste. Je vous aime, vous, et j’ai peur de vous voir faire quelque folie.

PAUL.

Il n’y a pas de danger.

TAUPIN.

Ce n’est pas là une liaison digne de vous.

PAUL.

Eh ! mon cher, toutes les liaisons se ressemblent ; mais ce qu’il y a de mieux, c’est une belle fille rieuse et folle, sans souvenir de la veille, sans souci du lendemain courant gaiement dans les bois, son chapeau d’une main, son ombrelle de l’autre, se retournant de temps en temps avec un baiser sur les lèvres, et vous disant, six mois après, quand on la rencontre au bras d’un autre : « C’est égal, je t’aimais bien ! » Voilà les véritables amours ; ils naissent avec les lilas, se mangent avec les fraises et meurent avec les feuilles. Les allées des bois sont pleines de leurs nids et de leurs tombes ! Seules amours possibles pour nous autres artistes, qui n’avons pas le temps d’aimer sérieusement. Que deviendraient les tableaux et les statues pendant que nous aimerions ?

TAUPIN, avec mélancolie.

Oui, vous avez raison ; mais il faut que cette femme vous quitte, et il arrive souvent qu’elle ne vous quitte pas. On la traite sans conséquence ; la facilité qu’on croit avoir de rompre avec elle fait qu’on ne songe même pas à rompre. On aime, toutes les portes ouvertes, et l’on ne s’aperçoit pas qu’elle les ferme les unes après les autres. Elle s’empare d’un coin de votre atelier ; sa gaieté, son chant deviennent pour vous des bruits nécessaires. Avec cette habileté, qui est la force des femmes, elle surprend vos faiblesses, vos manies, vos vanités, vos côtés étroits, elle y pénètre, elle les dorlote et vous fait faire ronron, comme à un gros chat sensuel. Ajoutez ces heures de tristesse, de misère ou de découragement dont elle devient la confidente inévitable, qu’elle vous aide à traverser, et, un beau jour, sans savoir comment, sans pouvoir dire pourquoi, vous vous trouvez avoir épousé une fille que vous n’aimez pas, qui n’est en rapport ni avec votre intelligence, ni avec votre éducation. Vous pouvez écrire à vos amis : « J’ai la douleur de vous annoncer mon mariage avec mademoiselle Aurore, » ou un nom de baptême quelconque. « On se réunira à onze heures à la maison mortuaire... » Car c’est la mort de votre jeunesse, de votre énergie, de toutes les ambitions et de toutes les espérances de votre vie d’artiste. Le mariage fait, votre amour joyeux coupe ses ailes, chausse des bottines éculées, porte un tartan, habite un cinquième étage et demande crédit au boucher qui le lui refuse. Bien heureux quand le mari stupide n’apprend pas, trop tard, que cette femme le trompe depuis le jour où il l’a connue. C’est ainsi que j’ai enterré ma vie. Voilà pourquoi, ayant pu être quelque chose, je ne suis rien, voilà pourquoi je déserte sans cesse ma maison : c’est que je trouve, quand j’y rentre, une femme qui en a chassé toute poésie, toute inspiration, toute solitude, tout travail sérieux. Je ne fais rien de bon, je n’ai plus de talent, je travaille pour nourrir ma femme, et, ce travail de manœuvre achevé, je m’enfuis pour respirer la liberté des autres et m’oublier un instant. Voilà enfin ce qui me fait misanthrope, mon cher Paul, et voilà pourquoi je vous dis, à vous qui êtes jeune, qui êtes fort, qui avez tout un bel avenir devant vous : j’ai raté ma vie, ne faites pas comme moi.

PAUL.

Merci, cher ami, merci ; mais, si vous m’aimez, souhaitez que les choses restent dans l’état où elles sont.

TAUPIN.

Pourquoi ?

PAUL.

Pourquoi ?... Parce qu’avec la nature que je me connais, un amour véritable serait un grand malheur pour moi. J’ai passé une fois à côté d’une liaison sérieuse ; j’ai eu le vertige... Dieu veuille qu’on ne m’y prenne plus !... j’ai mis la légèreté d’Aurore entre les tentations et moi. Je ne veux pas aimer ; j’aimerais trop !

TAUPIN.

N’en parlons plus. Au fait, tout le monde n’est pas aussi bête que moi.

PAUL.

Et c’est bien heureux pour vous. Maintenant, allons-nous-en.

TAUPIN.

Comme vous êtes pressé !

Paul va vers la porte.

PAUL.

Pas par là.

TAUPIN.

Parce que ?

PAUL.

J’ai mes raisons.

TAUPIN.

Je vais retirer la clef.

PAUL.

Laissez-la, au contraire.

TAUPIN.

Dites donc...

PAUL.

Quoi ?

TAUPIN.

On ouvre la porte d’entrée.

PAUL.

Dépêchons.

TAUPIN.

Faut-il voir qui c’est ?

PAUL.

Gardez-vous-en bien !

TAUPIN.

C’est une robe ?

PAUL.

Venez.

TAUPIN.

C’est même doux robes.

PAUL.

Mais venez donc, malheureux !

TAUPIN.

Par où ?

PAUL.

Par ici.

Ils disparaissent dans la chambre du haut.

 

 

Scène V

 

DIANE, MARCELINE

 

DIANE.

Est-ce que tu n’as pas entendu parler ?

MARCELINE.

Oui.

DIANE.

Chut ! baisse ton voile !

MARCELINE.

Pourquoi ?

DIANE, cherchant des yeux autour d’elle.

Êtes-vous là ?

MARCELINE.

Qui donc appelles-tu ?

DIANE, bas.

Tais-toi.

MARCELINE.

Deviens-tu folle ?

DIANE.

Regarde s’il y a quelqu’un.

MARCELINE.

Ah ça ! où sommes-nous ?

DIANE.

Je n’en sais rien. Ce doit être dans un atelier. Ah ! oui, voilà des toiles. On ne voit pas très clair ici.

Elle lève la lampe.

MARCELINE.

M’expliqueras-tu... ?

DIANE.

Attends un peu que je respire. Le cœur me bat.

MARCELINE.

Et à moi donc !

DIANE.

Pousse le verrou.

MARCELINE.

Comment, que je pousse le verrou ?

DIANE.

Pour qu’il n’entre personne.

MARCELINE.

Il pourrait donc entrer quelqu’un ?

DIANE.

On ne sait pas.

MARCELINE.

Tu m’épouvantes !

DIANE.

Qu’est-ce que ça sent ?

MARCELINE.

Ça sent le tabac, Dieu me pardonne ! Pour la seconde fois, veux-tu me dire ce que nous faisons ?

DIANE.

Nous faisons une imprudence.

MARCELINE.

Une imprudence ?

DIANE.

Oui.

MARCELINE.

As-tu perdu l’esprit ?

DIANE.

J’en ai peur. Si nous nous en allions ?

MARCELINE.

Je ne demande pas mieux.

DIANE.

Tant pis pour lui.

MARCELINE.

Pour qui ?

DIANE.

J’ai fait tout ce que je pouvais faire.

MARCELINE.

Mais de quoi s’agit-il ?

DIANE.

Si ma belle-sœur me voyait !

MARCELINE.

Tu me fais damner.

DIANE.

On voit un peu plus clair. Il est capable de s’être caché.

MARCELINE.

Qui, il ?

DIANE.

Je t’ai dit que nous allions faire une visite ; mais je n’ai pas voulu te dire à qui, tu ne m’aurais pas accompagnée, et j’avais bien envie de venir, et je ne pouvais pas venir seule.

MARCELINE.

Enfin ?

DIANE.

Te rappelles-tu Maximilien de Ternon ?

MARCELINE.

Le frère de Nathalie ?

DIANE.

De Nathalie, qui était au couvent avec nous.

MARCELINE.

M. de Ternon qui a voulu t’épouser ?

DIANE.

Lui-même.

MARCELINE.

Eh bien ?

DIANE.

Eh bien, il m’a écrit pour me prier de venir ici ce soir.

MARCELINE.

Et tu y viens ?

DIANE.

Il prétend qu’il s’agit d’une chose très grave qu’il ne peut me dire chez moi.

MARCELINE.

Oh ! Diane !

DIANE.

Il y a cinq ans que je ne l’ai vu...

MARCELINE.

Et nous sommes chez lui ?

DIANE.

Non... je ne serais pas allée chez lui, et je ne t’y aurais pas menée... Nous sommes...

MARCELINE.

Mais parle donc...

DIANE.

Nous sommes... chez une de ses parentes.

MARCELINE.

Qui fait de la peinture ?

DIANE.

Oui.

MARCELINE.

Et chez qui ça sent le tabac ?

DIANE.

Il paraît qu’elle fume.

MARCELINE.

Tu te moques de moi.

DIANE.

Pas le moins du monde.

MARCELINE.

Et où est cette parente ?

DIANE.

Elle est sortie.

MARCELINE.

Et M. de Ternon ?

DIANE.

Il n’est pas encore arrivé.

MARCELINE.

Eh bien, voilà une jolie situation ! Je suis très mécontente de toi.

DIANE.

Écoute.

MARCELINE.

Quoi ?

DIANE.

J’avais cru entendre...

MARCELINE.

Tu n’as rien entendu. Tu veux changer la conversation... Diane, je me brouille à tout jamais avec toi si tu restes une minute de plus dans cette maison. Tu es même bien heureuse que je te pardonne de m’y avoir amenée.

DIANE.

Après tout, nous ne faisons pas grand mal.

MARCELINE.

Si.

DIANE.

J’étais curieuse de voir Maximilien.

MARCELINE.

Il fallait lui écrire de venir chez toi.

DIANE.

Où lui écrire ? Il ne m’a pas mis son adresse dans sa lettre, exprès, et il repart demain, dit-il.

MARCELINE.

Que tu te permettes des excentricités, cela te regarde, mais que tu m’en fasses la complice, c’est très mal.

DIANE.

Tu as raison. Je vais lui écrire, sans signer, un mot qu’il trouvera. Je lui dirai devenir chez moi ; est-ce cela ?

MARCELINE.

C’est encore trop.

DIANE.

Ne te fâche pas. Nous n’avions rien à faire ce soir, j’ai pensé que cela nous distrairait un peu. Je m’ennuie tant !

MARCELINE.

Je ne m’ennuie pas, moi.

DIANE.

Oh ! la méchante ! Qui est-ce qui le saura ?

MARCELINE.

Nous le saurons, c’est assez.

DIANE.

Où y a-t-il du papier ?

MARCELINE.

Est-ce que je sais ?

DIANE, ouvrant un tiroir du bahut.

Dans ce tiroir, sans doute.

MARCELINE.

Voilà que tu fouilles dans les tiroirs maintenant.

DIANE, apercevant le tableau que Paul vient de finir.

Oh ! le charmant tableau !... Cette femme est jolie !... Vois donc...

MARCELINE.

La parente de Maximilien s’appelle Paul Aubry, n’est-ce pas ?

DIANE.

C’est un pseudonyme, sans doute.

MARCELINE.

Vois la signature de ce tableau.

DIANE.

Je t’assure que je croyais...

MARCELINE.

Ne mens donc pas...

DIANE.

Ne gronde donc pas. Tu es chez un homme de talent ; tous les jours on visite l’atelier d’un peintre et personne n’y trouve à redire. Tu exagères tout.

MARCELINE.

Une dernière fois, veux-tu venir ?

DIANE.

Me voilà !

Elle cherche du papier.

MARCELINE.

Qu’est-ce que tu fais ?

DIANE.

J’ai trouvé du papier ; mais il y a quelque chose d’écrit dessus.

MARCELINE.

Et tu le lis ?

DIANE.

J’ai cru que c’était pour moi.

MARCELINE.

Adieu !

DIANE.

C’est une lettre que M. Paul Aubry avait commencée pour sa mère... Il a l’air de l’aimer beaucoup. Tu vois, nous sommes chez un homme qui aime sa mère, c’est une excuse... Qu’il est heureux d’avoir encore sa mère !

Mouvement de Marceline.

Me voilà ! me voilà !

Elle se dispose à écrire.

Je ne peux pas écrire avec mes gants...

Elle ôte ses gants et les jette au hasard.

Trouve-moi de la cire. Il faut cacheter cette lettre... Dans ce tiroir...

MARCELINE.

Il n’y en a pas.

DIANE.

Dans l’armoire, alors ; il faut bien qu’il y en ait quelque part.

MARCELINE ouvre le bahut, il en tombe un fichu de femme, des bonnets, des gants, une paire de bottines.

Ah !

DIANE.

Qu’y a-t-il ?

MARCELINE.

Voilà ce qu’il y a et ce que tu me fais faire.

DIANE.

Une collerette ! Tu vois bien que nous sommes chez une femme... des gants... des bonnets... des bottines... Elle a un joli pied, M. Paul Aubry ! Vois donc, c’est marqué d’un A.

MARCELINE.

Tu es insupportable.

DIANE.

Des lettres !... encore !... tout un paquet !... Ce sont des lettres de femme... Au hasard !

Elle en tire une.

Que ce doit être amusant d’être un homme.

MARCELINE.

Va ! va !

DIANE.

La signature seulement...

Elle l’ouvre.

Berthe !... un joli nom !... comme on devine bien que c’est une lettre d’amour !... ces lettres-là ont un parfum que les autres n’ont pas.

MARCELINE.

Elles sentent le musc.

DIANE, lisant.

« Paul, je suis bien malheureuse ! Si vous saviez combien je vous aime, vous ne me feriez pas souffrir... »

On frappe.

MARCELINE, poussant un cri.

Ah !

DIANE.

Peut-on crier ainsi !

MARCELINE.

On a frappé, j’en suis sûre, nous sommes perdues !

Elle se cache dans le fond de l’atelier, derrière les grandes toiles.

DIANE, à la porte.

Qui est là ?

MAXIMILIEN, en dehors.

Moi, Maximilien.

Diane referme à la hâte le bahut en y jetant les lettres, puis elle va ouvrir la porte.

 

 

Scène VI

 

DIANE, MARCELINE, MAXIMILIEN

 

MAXIMILIEN.

Ah ! comtesse !

DIANE.

Ce n’est pas malheureux !

MAXIMILIEN.

Il y a longtemps que vous êtes là ?

DIANE.

Mais oui.

MAXIMILIEN, tirant sa montre.

Ce n’est pas ma faute, si je vous ai fait attendre. Mon oncle...

DIANE.

Je ne vous fais pas de reproches. Passons tout de suite aux choses importantes... Que vous arrive-t-il ?

Elle regarde autour d’elle. À part.

Cette pauvre Marceline !

Elle se met à rire.

MAXIMILIEN.

Pourquoi riez-vous ?

DIANE.

Pour rien ! Parlez vite.

MAXIMILIEN.

Vous me laisserez bien vous regarder un peu, vous remercier d’être venue, et vous dire combien je suis heureux de vous voir.

DIANE.

Au fait, quelle idée de me faire venir ici !

MAXIMILIEN.

J’ai tant de choses à vous dire !

DIANE.

Dites-les, il faut que je rentre de bonne heure.

MAXIMILIEN.

D’abord, vous êtes mille fois plus belle qu’autrefois.

DIANE.

Pas de choses inutiles.

MAXIMILIEN.

Ai-je assez pensé à vous depuis cinq ans !

DIANE.

Pourquoi n’êtes-vous pas venu tout bonnement me voir ? Pourquoi ce rendez-vous mystérieux ? M. Paul Aubry ignore mon nom, n’est-ce pas ?

MAXIMILIEN.

Cela va sans dire. Du reste, c’est l’homme le moins curieux de la terre. Eh bien, comtesse, je ne suis pas allé tout bonnement vous voir, parce que je ne savais pas si je serais reçu.

DIANE.

Et pourquoi ne vous recevrait-on pas ?

MAXIMILIEN.

Quand il s’est passé tant de choses dans la vie d’une femme.

DIANE.

Quelles choses ?

MAXIMILIEN.

Vous êtes mariée.

DIANE.

Ah ! oui... oui...

MAXIMILIEN.

C’est donc vrai ?

DIANE.

Quoi ?

MAXIMILIEN.

Que votre mari...

DIANE.

Que mon mari ?

MAXIMILIEN.

Je vais peut-être commettre une indiscrétion.

DIANE.

Dites toujours.

MAXIMILIEN.

Quel âge a le comte ?

DIANE.

Trente-six ans, je crois.

MAXIMILIEN.

Je crois est charmant.

DIANE.

Pourquoi me demandez-vous l’âge de mon mari ?

MAXIMILIEN.

Savez-vous par qui j’ai appris votre séjour à Paris ?

DIANE.

Non.

MAXIMILIEN.

Par une femme.

DIANE.

Quelle femme ?

MAXIMILIEN.

Ah ! heureusement pour vous, ce n’est pas une femme que vous connaissiez, mais elle connaît le comte et elle m’a dit...

DIANE.

Qu’il était plus souvent chez d’autres femmes que chez la sienne, c’est vrai. – Voilà pourquoi vous n’aviez pas besoin de vous gêner pour me rendre visite. Et voilà même pourquoi j’ai pu venir ici. Je n’ai pas vu mou mari depuis deux jours.

MAXIMILIEN.

Il est en voyage ?

DIANE.

Oui, à Paris. Tenez, je suis contente de vous revoir... Vous arrivez bien. – Je m’ennuie à périr.

MAXIMILIEN.

Autant qu’au couvent ?

DIANE.

Bien davantage. C’était le bon temps, alors.

MAXIMILIEN.

Vous le regrettez ?

DIANE.

Je le crois bien.

MAXIMILIEN.

Il peut revenir.

DIANE.

Vous vous le rappelez ?

MAXIMILIEN.

Si je me le rappelle !

DIANE.

Avez-vous toujours mes lettres ?

MAXIMILIEN.

En doutez-vous ?

DIANE.

Vous me les apporterez.

MAXIMILIEN.

Vous voulez que je vous les rende ?

DIANE.

Non. Mais je voudrais les lire. Elles doivent être amusantes. Des lettres de pensionnaire ! J’ai toujours les vôtres.

MAXIMILIEN.

Vraiment ?

DIANE.

Oui ; je les ai même souvent relues.

MAXIMILIEN.

C’est bien, cela.

DIANE.

Il y en a de charmantes. Vous aviez dix-huit ans ; moi, j’en avais dix-sept. Heureux âge ! belles années ! Nous jouions à l’amour comme des enfants que nous étions... Vous m’écriviez que vous vous tueriez si vous ne deveniez pas mon mari ; je vous écrivais, moi, que je mourrais si je ne devenais pas votre femme, et nous voilà bien vivants en face l’un de l’autre.

MAXIMILIEN.

Et moi, je vous aime toujours.

DIANE.

Toujours ?

MAXIMILIEN.

Comme autrefois.

DIANE, riant.

Grand enfant !... Parlons de vous... Voyons... quelles sont ces choses de grande importance que vous avez à me dire ?

MAXIMILIEN.

Mais c’est cela, ce que je vous dis... Je voulais vous reparler du passé ; Diane, soyez franche...

DIANE.

Je le suis toujours.

MAXIMILIEN.

Pourquoi avez-vous épousé le comte, après tous les serments que j’avais reçus de vous ?

DIANE.

Est-ce qu’on a une volonté à dix-sept ans ? Mon père et ma mère ont voulu, j’ai obéi. Mais je vous assure que j’ai bien pleuré.

MAXIMILIEN.

Ainsi vous n’aimiez pas le comte ?

DIANE.

Je ne dis pas cela. Seulement, on a marié ma fortune avec son nom et l’on ne s’est pas trop occupé des deux cœurs.

MAXIMILIEN.

Et depuis ?

DIANE.

Depuis, le comte a continué sa vie de garçon.

MAXIMILIEN.

Et vous ?

DIANE.

Et moi, j’ai continué ma vie de jeune fille.

MAXIMILIEN.

Voilà tout ?

DIANE.

C’est bien assez.

MAXIMILIEN.

Ainsi ?...

DIANE.

Quoi ?

MAXIMILIEN.

Vous n’êtes pas toujours heureuse ?

DIANE.

Tant s’en faut.

MAXIMILIEN.

Il vous reste alors à essayer de l’être.

DIANE.

Comment ?

MAXIMILIEN.

Un amour véritable.

DIANE.

Ah ! vous me conseillez de combattre un ennui par un danger... Merci!... Et pour qui... cet amour véritable ?

MAXIMILIEN.

Pour moi, qui vous aime plus que jamais.

DIANE.

Sérieusement ?

MAXIMILIEN.

Sérieusement.

Diane rit.

Vous riez...

DIANE.

Oui, je ne peux pas m’empêcher de rire en vous entendant dire que vous aimez.

MAXIMILIEN.

Ce n’est pourtant pas bien risible.

DIANE.

Vous vous retrouvez avec moi, vous vous croyez forcé de me faire la cour, je vous en remercie, mais ce n’est pas sérieux, avouez-le...

MAXIMILIEN.

Pourquoi pas ?

DIANE.

De l’amour entre nous maintenant, est-ce que c’est possible ?

MAXIMILIEN.

Mais...

DIANE.

Mais vous deviez mourir si vous ne m’épousiez pas, vous ne m’avez pas épousée et vous vivez encore ! Mourez d’abord, nous verrons après.

MAXIMILIEN.

Diane !

DIANE.

Notre amour aujourd’hui serait discordant avec, lui-même, il n’aurait ni la naïveté que nous avions jadis, ni la passion qu’il nous faudrait maintenant ; il aurait l’air d’un post-scriptum ajouté à une vieille lettre, d’un erratum à la fin d’un livre. Gardons notre petit roman tel qu’il est, faisons-le relier, relisons-le de temps en temps, mais n’essayons pas de le continuer, nous le gâterions.

MAXIMILIEN.

La vie a faussé votre cœur.

DIANE.

Bien ! dites-moi des duretés maintenant.

MAXIMILIEN.

Je ne fais que répéter ce qu’on m’a dit.

DIANE.

Et que vous a-t-on dit ?

MAXIMILIEN.

Que vous n’aviez pas toujours été si cruelle.

DIANE.

Voyons ces belles histoires...

MAXIMILIEN.

À quoi bon ?

DIANE.

J’y tiens.

MAXIMILIEN.

C’est inutile.

DIANE.

Cependant, vous les avez crues, et c’est à cela sans doute que je dois l’honneur de votre souvenir. Ah ! il vous faut des chemins d’amour tout sablés. Je comprends ! Vous vous êtes dit : « Tiens, tiens, tiens, cette femme qui a besoin de consolation, je l’ai connue, moi, je l’ai aimée, j’ai des droits de priorité, j’ai des arrhes sur son cœur, le plus difficile est fait, retournons-y... » Et vous y êtes venu... Eh bien, je vous remercie de la préférence et je ne vous en veux pas, c’est trop fatigant d’en vouloir à quelqu’un. Voyons, donnez-moi la main et venez me voir chez moi, sans me faire courir rue des Martyrs... Vous viendrez ?

MAXIMILIEN.

Je ne sais.

DIANE.

Acceptez donc franchement la position, puisqu’il n’y a pas autre chose à en tirer.

MAXIMILIEN.

Je me trouve souverainement ridicule.

DIANE.

Non ; mais, cinq minutes de plus, vous le deviendriez.

MAXIMILIEN.

Vous aimez quelqu’un ?

DIANE.

Le fat ! qui croit qu’il faut aimer quelqu’un pour ne pas l’aimer.

MAXIMILIEN.

Jurez-moi que vous n’aimez personne, ce sera une consolation.

DIANE.

Oh ! je vous le jure, et je vous quitte, car il se fait tard.

MAXIMILIEN.

Allons, donnez-moi le bras... Je vais vous conduire à votre voiture.

DIANE.

Non pas ; vous allez sortir seul.

MAXIMILIEN.

Pourquoi ?

DIANE.

Parce que je ne veux pas qu’on nous voie sortir ensemble, vous êtes trop compromettant. On vous verra ?

MAXIMILIEN.

Puisque vous le voulez.

DIANE.

Demain.

MAXIMILIEN.

Demain... Je vous assure que je suis très malheureux.

Il pousse un soupir.

DIANE.

Soupirez, c’est une bonne sortie.

MAXIMILIEN.

C’était bien la peine de me déranger !

Il sort.

 

 

Scène VII

 

DIANE, MARCELINE

 

DIANE, appelant à voix basse.

Marceline !

Marceline reparaît.

Oh ! quel air sérieux ! Tu as dormi ? – Veux-tu que nous nous en allions ? Tiens !... tu ne parles plus ? Mon amie est muette ! Veux-tu m’embrasser ?... Tu ne veux pas ?... Alors, je t’embrasse. Sais-tu où j’ai mis mes gants ?... Je ne peux pas m’en aller sans gants... Et puis autant déchirer cette lettre qui ne sert plus à rien. Où sont donc mes gants ?... Au fait, à quoi bon perdre mon temps à chercher, puisqu’il y a là ce qu’il me faut ?

Elle prend des gants dans le bahut.

MARCELINE.

Tu vas mettre ces gants ?

DIANE.

Ah ! je savais bien que je te ferais parler.

MARCELINE.

Les gants d’une femme que tu ne connais pas ?

DIANE.

Ils sont tout neufs ; seulement, ils sont bien justes. Cette femme a une jolie main. C’est du six un quart au plus.

MARCELINE.

Et tu gantes six et demi, et tu te serres.

DIANE.

Une méchanceté. Tu n’es plus en colère ? Ah ! te voilà assise ! Tu ne veux plus t’en aller ?...

MARCELINE.

Je suis décidée à tout maintenant ; je veux voir jusqu’à quel degré de folie tu peux arriver. As-tu besoin d’une collerette aussi ?

DIANE.

De l’ironie !

MARCELINE.

Tu sais qu’il y a des bottines, mais elles sont probablement comme les gants, trop petites. Si tu veux fumer, ne te gêne pas.

DIANE, ôtant sa bague et la posant sur la table.

Ce gant entrera.

MARCELINE.

Je ne crois pas.

DIANE.

C’était ma bague qui l’empêchait d’entrer, mais maintenant il entre ; tiens, le voilà boutonné.

Elles se sauvent.

MARCELINE, montrant le haut de l’escalier.

Tu sais qu’on a parlé dans cette chambre.

DIANE.

Tu en es sûre ?

MARCELINE.

Et qu’il y a de la lumière.

On entend des voix.

DIANE.

Sauvons-nous ! mais viens donc !

MARCELINE.

Ce n’est pas malheureux.

 

 

Scène VIII

 

PAUL, puis TAUPIN

 

PAUL, entr’ouvrant la porte, en haut de l’escalier.

Sont-ils partis ? Je n’entends plus rien...

Il avance un peu.

Personne ! on ferme la porte de la rue. Allons fermer la mienne.

Appelant.

Taupin ?

Il descend l’escalier.

TAUPIN, paraissant.

Quoi ?

PAUL.

Vous pouvez descendre.

TAUPIN, descendant.

Ah çà ! que se passe-t-il chez vous ?

PAUL.

Rien... Prenez des draps, je vais vous faire un lit sur le canapé.

TAUPIN.

À quoi bon ?... Je dormirai aussi bien tout habillé avec une couverture. Vous ne m’en voulez pas ?...

PAUL.

De quoi ?

TAUPIN.

De venir ainsi vous demander l’hospitalité.

PAUL.

À votre service.

TAUPIN.

C’est que je ne sais rien de plus ennuyeux que de coucher chez moi... Je rencontre toujours madame Taupin... J’ai passé une trop bonne journée pour la finir aussi mal.

PAUL.

Serez-vous bien là ?

TAUPIN.

À merveille.

PAUL.

Allons, bonsoir.

TAUPIN.

Bonsoir, cher ami.

PAUL, remontant chez lui et chantant.

Je suis pris par une femme,
Cheveux blonds et teint de lait.
Valentin !

TAUPIN.

  Monsieur, etc.

S’étendant sur le canapé.

Ah ! qu’on est bien, loin de sa femme.

 

 

ACTE II

 

Salon très élégant chez Diane.

 

 

Scène première

UN DOMESTIQUE, puis DIANE et LE DUC

 

Un domestique ouvre la porte et vient déposer un petit tableau sur la table. La comtesse entre, suivie du duc.

DIANE.

Ah ! on a enfin apporté ce tableau ?

LE DOMESTIQUE.

Oui, madame la comtesse, à l’instant.

DIANE.

C’est bien.

Le domestique sort. Au duc.

Mon cher duc regardez donc, voilà un véritable bijou.

LE DUC, mettant son lorgnon et regardant.

Oh ! c’est ravissant ! de qui est-ce ?

DIANE.

De M. Paul Aubry ; je l’ai fait acheter ces jours derniers, il était chez l’encadreur. J’ai commandé le pendant.

LE DUC.

C’est une acquisition excellente.

DIANE.

Vous aimez la peinture de M. Aubry ?

LE DUC.

Beaucoup.

DIANE.

Vous êtes un peu artiste, vous, mon cher duc ?

LE DUC.

Oh ! je dessine comme tout le monde.

LE DOMESTIQUE, paraissant.

M. le comte fait demander si madame la comtesse est visible...

DIANE.

Certainement !

LE DUC, se levant, tend la main à Diane.

Comtesse...

DIANE.

Où allez-vous ?

LE DUC.

Je me retire.

DIANE.

Pourquoi ?

LE DUC.

Ne vient-on pas d’annoncer le comte ?

DIANE.

Est-ce une raison pour vous en aller ?

LE DUC

Je craignais...

DIANE.

Restez, restez !... mon mari part.

LE DUC.

Ah ! il part !

DIANE.

Oui, pour une de nos terres. Il vient me dire adieu. Vous voyez qu’il n’y a pas d’indiscrétion à rester.

 

 

Scène II

 

DIANE, LE DUC, LE COMTE

 

LE COMTE, entrant.

Bonsoir, chère Diane.

DIANE.

Bonsoir, mon ami.

LE COMTE, au duc.

Votre santé est bonne ?

LE DUC.

Très bonne ; et la vôtre ?

LE COMTE.

Excellente, merci ! 

À Diane.

Vous êtes sortie ?

DIANE.

Oui, et je rentre.

LE COMTE.

Avez-vous vu ma sœur ?

DIANE.

Non, mais je crois bien que je la verrai ce soir. Je n’ai pas eu le temps de passer chez elle ; j’ai été faire des emplettes. Le duc a eu la bonté de m’offrir son bras.

LE COMTE, voyant le tableau.

Et c’est là une de vos emplettes ?

DIANE.

Oui.

LE COMTE.

Je vous en fais mon compliment.

DIANE.

Et vous partez ?

LE COMTE.

Dans une demi-heure.

DIANE.

Vous serez de retour ?

LE COMTE.

Dans un mois, à moins qu’il ne vous prenne la fantaisie de venir me rejoindre.

DIANE.

Peut-être !

LE COMTE.

Voilà qui serait aimable.

DIANE.

Avec qui chassez-vous ?

LE COMTE.

Avec Fernand, Agénor, Maxime et Lucien.

DIANE.

Je crois que vous ne vous ennuierez pas.

LE COMTE.

S’il arrivait pour moi une lettre du ministère, voudriez-vous me l’expédier tout de suite ?

DIANE.

Non seulement cette lettre-là, mais toutes celles qui arriveront pour vous.

LE COMTE.

Le ministre m’a parlé hier d’une mission dont il compte me charger.

DIANE.

Partir encore !

LE COMTE.

Vous savez que je ne vous force pas de m’accompagner. Maintenant, à votre tour, avez-vous quelques commissions pour la campagne ?

DIANE.

Oui, des chiffons et des vêtements pour la femme de votre garde et ses enfants. On a dû préparer tout cela ; que votre valet de chambre le demande à Jenny.

LE COMTE.

C’est tout ?

DIANE.

Mon Dieu, oui.

LE COMTE.

Alors, adieu, ma chère Diane.

DIANE.

Bonne chasse !

LE COMTE.

M’écrirez-vous ?

DIANE.

Certainement.

Le comte lui baise la main.

LE COMTE, au duc.

Au revoir !

Il lui serre la main.

LE DUC.

Au revoir !

Le comte sort.

 

 

Scène III

 

DIANE, LE DUC, puis UN DOMESTIQUE

 

Diane passe sa main sur son front, pousse un soupir et vient regarder le tableau.

LE DUC.

Vous paraissez triste, comtesse ?

DIANE.

Moi ? Non.

LE DUC.

Le départ du comte, sans doute ?

DIANE.

Une séparation d’un mois n’est pas bien longue, et, d’ailleurs, vous avez dû voir, à la conversation qui l’a précédée, que l’un n’emporte pas plus de regrets qu’il n’en laisse à l’autre.

LE DUC.

Alors, si vous n’êtes triste, vous êtes au moins préoccupée ?

DIANE.

Pas davantage. Je m’ennuie, voilà tout.

LE DUC.

Il y a un moyen infaillible de vous distraire.

DIANE.

C’est d’aimer, n’est-ce pas ?

LE DUC.

Oui.

DIANE.

Toujours la même chose ; et c’est de vous aimer, vous !

LE DUC.

Je vous aime tant !

DIANE, prenant son portefeuille.

Voyons votre numéro.

LE DUC.

Quel numéro ?

DIANE.

Vous êtes inscrit.

LE DUC.

Comment, inscrit ?

DIANE.

Vous avez entendu parler de ce riche banquier à qui tous les gens qui avaient besoin d’argent venaient en demander ; il ne leur en donnait pas, mais il écrivait leur nom, leur adresse, la somme qu’il leur faudrait, et, chaque année, il faisait faire l’addition.

LE DUC.

Eh bien ?

DIANE.

Eh bien, quand il venait un nouveau solliciteur, il lui montrait le total des demandes et lui prouvait que, s’il y eût accédé, il serait ruiné complètement. Je fais comme ce banquier ; tous ceux qui me disent qu’ils m’aiment, je les inscris ; vous êtes, je crois, le soixante-dix-huitième depuis que je suis mariée. Si j’avais cru à toutes ces belles paroles, je serais ruinée depuis longtemps. Je ne vous mens pas, voilà votre nom : « Le duc de Riva, 25 novembre 1843. » Il y a un an que vous m’avez dit pour la première fois que vous m’aimiez. Vous avez la soixante-dix-huitième contredanse.

LE DUC.

Je ne suis pas aussi méchant pour les autres que vous êtes méchante pour moi, et je vous dis que, parmi ces gens-là, il y avait des cœurs sincères, quand ce ne serait que le mien.

DIANE.

Tous ces gens-là se portent à merveille ; ils mangent, ils dorment, ils chassent, ils montent à cheval, ils se marient. Pas un suicide, pas une retraite, pas même un voyage, ils m’ont oubliée sans efforts. Tenez, le dernier inscrit, c’est Maximilien de Ternon. Vous le connaissez ?

LE DUC.

Je l’ai connu en Hollande.

DIANE.

Il est revenu. Il m’aimait depuis cinq ans, lui, c’est bien plus fort que vous... Il m’a fait son petit discours, que je savais par cœur avant de l’entendre. Le lendemain, je lui ai écrit pour lui demander un service bien facile à rendre. Il ne m’a pas répondu.

LE DUC.

Mettez-moi à l’épreuve et vous verrez.

DIANE.

Soit.

LE DUC.

Dites.

DIANE.

Je suis triste parce que je suis en froid avec mon excellente amie madame de Launay.

LE DUC.

Comment cela se fait-il ?

DIANE.

C’est moi qui ai tort. Vous ne lui direz pas que vous l’aimez, à celle-là.

LE DUC.

Elle est folle de son mari.

DIANE.

Je suis fâchée que mon mari ne vous entende pas.

LE DUC.

Que faut-il faire ?

DIANE, lui donnant une lettre.

Il faut lui porter cette lettre, dans laquelle je lui demande pardon.

LE DUC.

Voilà tout ?

DIANE.

Oui.

LE DUC.

Vous êtes mauvaise.

DIANE.

Pourquoi ?

LE DUC.

Parce que vous demandez trop peu.

DIANE.

Je demanderai peut-être davantage plus tard.

LE DUC.

Que ce serait bien à vous ! Et je pourrai vous apporter la réponse ?

DIANE.

Naturellement.

LE DUC.

Quand cela ?

DIANE.

Quand vous voudrez.

LE DUC.

Ce soir ?

DIANE.

Ce soir, si vous l’avez ce soir.

LE DOMESTIQUE, ouvrant la porte.

Madame la marquise de Nerey.

DIANE.

Ma belle-sœur !... Je ne vous retiens plus, vous ne vous amuseriez pas...

LE DUC.

Votre main.

Il lui baise la main.

Adieu, comtesse.

DIANE.

Au revoir !

LE DUC.

Que vous êtes bonne !

 

 

Scène IV

 

DIANE, LA MARQUISE

 

LA MARQUISE.

Bonsoir, Diane.

DIANE.

Bonsoir, marquise.

Le duc salue et sort.

LA MARQUISE.

Que faisiez-vous là ?

DIANE.

Je causais avec le duc de Riva.

LA MARQUISE.

Qui vous disait ?

DIANE.

Qu’il m’aime.

LA MARQUISE.

Et vous l’écoutiez ?

DIANE.

Il ne le disait pas trop mal.

LA MARQUISE.

Vous ne perdez pas de temps.

DIANE.

Comment cela ?

LA MARQUISE.

Mon frère est parti depuis un quart d’heure, et vous écoutez déjà toutes ces sornettes.

DIANE.

Elles ont si peu d’importance, et je suis sûre que, vous-même, vous ne seriez pas lâchée d’avoir autour de vous trois ou quatre courtisans dans le genre du duc. C’est une manière de petite cour, une espèce de boite à flatteries, où la vanité peut à chaque instant mettre la main pour prendre un bonbon... C’est vieux, c’est usé, mais sucré, cela ne fait pas de mal et cela...

LA MARQUISE.

Et cela compromet.

DIANE.

Vous ne le croyez pas.

LA MARQUISE.

Si fait, je le crois ! Tous ces moineaux-là ne viennent qu’où il y a du blé. Tous ces petits soupirants ne sont pas si bêtes qu’ils en ont l’air, et, tôt ou tard, ils trouvent à se nicher dans l’oisiveté d’une femme qui les reçoit par habitude et qui les croit faute de mieux.

DIANE.

Qu’on les croie ou non, les mots d’amour ont un charme véritable ; c’est la musique du cœur.

LA MARQUISE.

Avec la même ritournelle et le même refrain.

DIANE.

Vous n’êtes pas musicienne.

LA MARQUISE.

Votre mari seul a le droit de vous parler d’amour.

DIANE.

Il n’en abuse pas.

LA MARQUISE.

Ce qui ne l’empêche pas de s’occuper de vous.

DIANE.

Ah !

LA MARQUISE.

Il sort de chez moi et m’a dit que vous étiez seule.

DIANE.

Il s’est trompé... Le duc était là quand il est venu me dire adieu...

LA MARQUISE.

Il aura sans doute trouvé que ce n’est pas une société suffisante et il m’a priée de venir vous chercher.

DIANE.

Pour me conduire ?

LA MARQUISE.

Chez madame Darneville, c’est son jour...

DIANE.

Je l’avais oublié.

LA MARQUISE.

Je suis donc à vos ordres.

DIANE.

Oh ! non, je n’irai pas chez madame Darneville.

LA MARQUISE.

Qu’avez-vous à faire chez vous ?

DIANE.

Rien qu’à y rester.

LA MARQUISE.

À moins que vous n’ayez quelque visite à rendre.

DIANE.

Aucune, puisque je vous dis que je ne sors pas.

LA MARQUISE.

Vous pourriez retourner rue des Martyrs.

DIANE.

Rue des Martyrs, moi ?

LA MARQUISE.

Oui, vous, ma chère Diane ! on a vu votre voiture y stationner l’autre jour plus de deux heures.

DIANE.

J’étais avec Marceline chez une de ses amies.

LA MARQUISE.

Qu’on nomme ?

DIANE.

Ah çà ! ma chère belle-sœur, vous avez l’air d’un juge d’instruction.

LA MARQUISE.

Il est de mon devoir de savoir ce que vous faites.

DIANE.

Malheureusement, il n’est pas de mon goût de vous le dire. Je suis mariée et ne dois compte de mes actions qu’à mon mari.

LA MARQUISE.

Qui ne vous demande pas assez souvent ce compte, si bien...

DIANE.

Si bien ?

LA MARQUISE.

Si bien que vous faites beaucoup trop parler de vous.

DIANE.

Vous trouvez ?

LA MARQUISE.

Oui.

DIANE.

Cela ne regarde que moi.

LA MARQUISE.

Vous vous trompez, cela me regarde aussi.

DIANE.

À quel titre ?

LA MARQUISE.

À ce titre que je dois veiller sur l’honneur de notre nom.

DIANE.

De votre nom ?

LA MARQUISE.

Vous êtes la femme de mon frère, vous portez notre nom, ne l’oubliez pas.

DIANE.

Il n’y a pas de danger que je l’oublie ; votre nom me coûte assez cher, je l’ai payé quatre millions.

LA MARQUISE.

Comtesse !

DIANE.

Marquise !

LE DOMESTIQUE, ouvrant la porte.

M. le vicomte de Ternon !

 

 

Scène V

 

DIANE, LA MARQUISE, MAXIMILIEN

 

DIANE, bas, à Maximilien.

Ah ! vous arrivez bien !

Le présentant.

M. le vicomte de Ternon, un de mes bons amis.

La baronne salue, le vicomte salue.

MAXIMILIEN.

J’ai déjà eu l’honneur d’être présenté à madame la marquise chez madame de Nersay. La Marquise. Je ne me le rappelais pas, monsieur.

MAXIMILIEN.

Je ne pouvais pas l’oublier, moi, madame.

LA MARQUISE.

Adieu, comtesse.

DIANE.

Adieu, marquise !

La marquise sort.

 

 

Scène VI

 

DIANE, MAXIMILIEN, puis UN DOMESTIQUE

 

DIANE.

Quand on pense que, toutes les fois que ma belle-sœur vient ici, la même scène recommence ; mais, cette fois, je pense qu’elle se le tiendra pour dit et que je ne la reverrai plus...

MAXIMILIEN.

Qu’y a-t-il donc ?

DIANE.

Il y a que la marquise n’a rien à faire que de la morale, et, comme elle m’a sous la main, c’est à moi qu’elle en fait.

MAXIMILIEN.

C’est une de ces femmes qui passent leur vie à rembourrer le fossé où leur vertu comptait choir et qui, furieuses de rester sur le bord à attendre qu’on les pousse, jettent des pierres aux femmes qui passent.

DIANE.

Il ne manquait plus qu’elle vous vît arriver ! Dieu sait ce qu’elle va dire. À propos, comment ne vous ai-je pas vu depuis huit jours ?

MAXIMILIEN.

J’ai reçu votre lettre il y a deux heures.

DIANE.

Où étiez-vous donc ?

MAXIMILIEN.

À la campagne.

DIANE.

Quel air triomphant vous avez !

MAXIMILIEN.

Je suis assez content.

DIANE.

Que vous arrive-t-il donc ?

MAXIMILIEN.

Vous voulez le savoir ?

DIANE.

Oui.

MAXIMILIEN.

Figurez-vous qu’en vous quittant l’autre soir j’étais tout triste, je ne savais que devenir. Je suis entré à l’Opéra, où je n’étais pas allé depuis deux ans, j’y ai vu le ballet nouveau, et j’y ai découvert, au milieu de ma tristesse, une consolation brune avec des yeux bleus, une taille merveilleuse, des jambes... oh ! des jambes !...

DIANE.

Qu’est-ce que vous me racontez là ?... êtes-vous fou ?

MAXIMILIEN.

Non, mais vous me demandez une explication.

DIANE.

Je vous en fais grâce.

MAXIMILIEN.

Cependant...

DIANE.

Mon cher ami, un mot de plus et je vous congédie.

MAXIMILIEN.

Et la bague ?

DIANE.

Qu’est-ce que vous en avez fait ?

MAXIMILIEN, lui donnant sa bague.

Ah ! comtesse ! vous allez me dire un peu comment vous avez pu perdre une bague dans l’atelier de Paul.

DIANE.

Elle est retrouvée, c’est le principal. Qu’a dit votre ami ? Il ne soupçonne pas à qui elle appartient, n’est-ce pas ?

MAXIMILIEN.

Pas le moins du monde. Elle a fait de belles choses, votre bague ! D’abord ce n’est pas Paul qui l’a retrouvée !

DIANE.

Qui donc ?

MAXIMILIEN.

C’est une dame.

DIANE.

Quelle dame ?

MAXIMILIEN.

Mademoiselle Aurore !

DIANE.

Une dame qui s’appelle Aurore.

MAXIMILIEN.

Le matin, seulement.

DIANE.

Aurore ?... Ah ! c’est juste, les mouchoirs étaient marqués d’un A.

MAXIMILIEN.

Quels mouchoirs ?

DIANE.

Plus tard ; finissez votre histoire d’abord.

MAXIMILIEN.

Elle est bien simple. Mon ami est rentré. Le lendemain, mademoiselle Aurore est venue le voir de bonne heure, elle a trouvé votre bague et toutes ses affaires sens dessus dessous. Scène de jalousie, querelle, rupture.

DIANE.

Alors, votre ami doit donner au diable la dame mystérieuse.

MAXIMILIEN.

Non.

DIANE.

Il n’aimait donc pas mademoiselle Aurore ?

MAXIMILIEN.

Il paraît.

DIANE.

Est-ce qu’il a un autre amour ?

MAXIMILIEN.

Non, il prétend qu’il ne veut pas en avoir.

DIANE.

Serment de joueur.

MAXIMILIEN.

Probablement... Ah çà ! qu’est-ce que vous avez fait pour perdre une bague chez lui ? Une bague ! cela ne se perd pas comme un gant. À propos de gants, il paraît même que vous avez laissé les vôtres et que vous en avez emporté une paire qui ne vous appartenait pas.

DIANE.

Quelle imprudence !

MAXIMILIEN.

Et votre mari ?

DIANE.

Il n’a rien su.

MAXIMILIEN.

Où est-il donc ?

DIANE.

Il est à la chasse.

MAXIMILIEN.

Ton taine, ton ton !

DIANE.

Quel gamin vous faites !... Ah ! je plaindrais une femme qui vous prendrait au sérieux.

MAXIMILIEN.

Vous vous trompez ; croyez bien que, lorsque je dis à une femme que je l’aime... Allons, comtesse, je vous quitte.

DIANE.

Déjà ?

MAXIMILIEN.

Voilà un déjà charmant.

DIANE.

Où allez-vous donc ?

MAXIMILIEN.

Je vais à l’Opéra.

DIANE.

Ah !

MAXIMILIEN.

Eh bien, et le ballet ! je danse ce soir, mais j’y mène Paul.

DIANE.

Vous savez que c’est un don Juan, M. Paul : il a inspiré de grandes passions.

MAXIMILIEN.

Qui vous l’a dit ?

DIANE.

Je ne sais pas comment c’est arrivé, j’ai trouvé une lettre chez lui.

MAXIMILIEN.

C’est-à-dire que vous avez fouillé dans les tiroirs... Oh ! les femmes !

DIANE.

C’est votre faute, vous étiez fort en retard... Il a été fort aimé. Il est donc bien séduisant ?

MAXIMILIEN.

C’est un charmant garçon ; j’ai peut-être tort de le montrer à Delphine.

DIANE.

Vous dites ?

MAXIMILIEN.

Rien.

DIANE.

Il est avec vous ?

MAXIMILIEN.

Il m’attend dans la rue.

DIANE.

Le pauvre garçon !... où est-il ?

MAXIMILIEN, montrant par la fenêtre.

Le voilà !

DIANE.

Ce monsieur qui se promène en fumant ?

MAXIMILIEN.

Oui.

DIANE.

Comme il doit s’amuser là, depuis une heure que nous causons !... Allez le retrouver ; mais qu’est-ce que je vais faire, moi ?... Si j’allais rejoindre ma belle-sœur chez madame Darneville ? Ce serait raisonnable, mais c’est bien ennuyeux, chez madame Darneville.

MAXIMILIEN.

Ah ! une idée.

DIANE.

Une bonne ?

MAXIMILIEN.

Oui.

DIANE.

Qu’est-ce qu’elle peut venir faire dans votre cervelle ?

MAXIMILIEN.

Je vais un instant à l’Opéra et je reviens... Vous me donnerez bien une tasse de thé... Nous bavarderons... J’ai encore tant de choses à vous dire !

DIANE.

Et puis vous n’êtes plus dangereux.

MAXIMILIEN.

Je l’ai donc été ?

DIANE.

Oh !... jamais.

MAXIMILIEN.

Écoutez, je descends rejoindre Paul, nous allons à l’Opéra, je l’installe et je reviens.

DIANE.

C’est cela, mais ne soyez pas longtemps.

MAXIMILIEN.

Une demi-heure... Tiens ! à propos d’idée, il m’en vient une autre.

DIANE.

Ça fait deux ! prenez garde !

MAXIMILIEN.

Quelque chose de très amusant et de très original !

DIANE.

Dites.

MAXIMILIEN.

Vous n’attendez personne ?

DIANE.

Personne.

MAXIMILIEN, sonnant.

Vous permettez ?

DIANE.

Que faites-vous ?

MAXIMILIEN.

Vous allez voir !

Au domestique qui paraît.

Descendez et priez le monsieur qui m’attend à la porte de monter ici.

Le domestique sort.

Comprenez-vous ?

DIANE.

Pas encore.

MAXIMILIEN.

Je vais vous présenter Paul.

DIANE.

Vous êtes fou !

MAXIMILIEN.

Pas le moins du monde.

DIANE.

Mais je ne tiens pas du tout à connaître ce monsieur.

MAXIMILIEN.

C’est un garçon charmant, il a beaucoup d’esprit, vous en serez enchantée ; il vous tiendra compagnie pendant que je serai à l’Opéra. On peut le recevoir ! D’ailleurs, qui le saura ?

DIANE.

Tirez-vous de là comme vous pourrez, je rentre chez moi.

MAXIMILIEN.

Comtesse, ne faites pas cela, il croirait aune mauvaise plaisanterie, et il est très susceptible. D’ailleurs, vous avez bien un peu envie de le connaître, avouez-le.

DIANE.

Je ne dis pas, mais...

MAXIMILIEN.

L’occasion est bonne. Je vous assure qu’en causant avec lui vous oublierez que vous m’attendez... Vous le ferez parler d’Aurore et de Berthe ; et puis, après tout, il vous doit une visite, puisque vous lui en avez fait une.

DIANE.

Et s’il me reconnaît ?

MAXIMILIEN.

Je vous répète qu’il n’y a pas de danger.

DIANE.

Votre parole ?

MAXIMILIEN.

Parole d’honneur !

UN DOMESTIQUE, entrant.

M. Paul Aubry demande à parler à M. le vicomte.

MAXIMILIEN.

Madame, voulez-vous bien dire qu’on fasse entier M. Aubry ?

DIANE.

Faites entrer.

Le domestique sort.

Ah ! si Marceline était là, c’est pour le coup qu’elle gronderait !

Elle se sauve vers sa porte.

MAXIMILIEN.

Où allez-vous donc ?

DIANE.

Je vais me recoiffer un peu.

Le domestique ouvre la porte à Paul qui entre.

 

 

Scène VII

 

PAUL, MAXIMILIEN

 

PAUL.

Tu m’as appelé ?

MAXIMILIEN.

Oui.

PAUL.

Qu’est-ce que tu me veux, et où suis-je, ici ?

MAXIMILIEN.

Tu es chez quelqu’un à qui je vais te présenter.

PAUL.

Quel est ce quelqu’un ?

MAXIMILIEN.

C’est une femme.

PAUL.

Qu’on nomme ?

MAXIMILIEN.

La comtesse de Lys.

PAUL.

La comtesse de Lys !

MAXIMILIEN.

Oui ; tu la connais ?

PAUL.

J’ai entendu parler d’elle.

MAXIMILIEN.

Dans quel sens ?

PAUL.

Dans tous les sens.

MAXIMILIEN.

Eh bien, mon cher, tu es chez elle ; c’est une des admiratrices de ton talent, et comme, en causant avec moi, elle a appris que je te connaissais, comme elle voulait te connaître et que tu étais en bas, je t’ai appelé, pensant que c’était une occasion de vous être agréable à tous les deux, d’autant plus qu’il faut que je retourne auprès de Delphine.

PAUL.

Et je m’en vais avec toi, je ne suis pas en costume.

MAXIMILIEN.

C’est une femme qui s’inquiète peu de ces choses-là. D’ailleurs, je ne me gêne pas avec elle.

PAUL.

Tu es bien dans la maison ?

MAXIMILIEN.

Très bien !

PAUL.

Tout à fait bien ?

MAXIMILIEN.

Pas tant que ça.

PAUL.

C’est peut-être la personne qui est venue chez moi !

MAXIMILIEN.

Madame de Lys ?

PAUL.

Oui.

MAXIMILIEN.

Elle n’aurait pas eu besoin de venir chez toi, puisque je puis venir chez elle.

PAUL, avec un air de doute.

C’est vrai.

MAXIMILIEN.

Tu crois donc que je ne connais qu’une femme dans le monde ?... Non, l’autre est partie. Oh ! j’ai bien souffert, dans le premier moment !... celle-ci est une de ses amies... et, si tu veux faire ta cour à la comtesse, que ce ne soit pas moi qui t’en empêche.

PAUL.

Pourquoi diable veux-tu que je fasse la cour à une femme que je n’ai jamais vue ? pourquoi ne la lui fais-tu pas, toi ?

MAXIMILIEN.

J’ai essayé ; mais il y a trop longtemps que nous nous connaissons. Mon amour a fait comme la poudre éventée, il n’a pas pris. Toi, c’est autre chose, c’est l’inconnu, et l’inconnu a toujours du charme... Tiens, la voici ; comment la trouves-tu ?

PAUL.

Charmante !

 

 

Scène VIII

 

PAUL, MAXIMILIEN, DIANE

 

MAXIMILIEN.

Ma chère comtesse, voulez-vous me permettre de vous présenter M. Paul Aubry ?

PAUL.

Et voulez-vous bien m’excuser, madame la comtesse, de me laisser présenter de cette façon ?

DIANE.

C’est à moi de vous faire mes excuses, monsieur ; mais, sachant avec qui M. de Ternon était venu jusqu’à ma porte, je n’ai pu résister au désir de connaître un homme de votre mérite. 

À Maximilien.

Et vous, mon cher vicomte, je vois que vous regardez l’heure, je ne veux pas vous retenir plus longtemps ; allez ! seulement, ne vous faites pas attendre.

MAXIMILIEN.

Comtesse, vous êtes adorable ; dans une demi-heure je suis de retour.

Il se penche vers elle en lui baisant la main.

Eh bien, que pensez-vous de notre peintre ?

DIANE.

Rien encore... Attendez donc que nous ayons causé.

MAXIMILIEN.

Prenez garde à vous !

DIANE.

Comment ?

MAXIMILIEN.

C’est un garçon dangereux.

DIANE.

Vraiment !

MAXIMILIEN.

Vous voilà prévenue.

DIANE.

Nous verrons bien ; revenez vite.

MAXIMILIEN.

Vous avez une demi-heure pour le rendre amoureux.

DIANE.

Une demi-heure ? C’est beaucoup.

Il sort.

 

 

Scène IX

 

DIANE, PAUL

 

DIANE.

Ne trouvez-vous pas, monsieur, que le vicomte devient impossible ?

PAUL.

Comment cela, madame ?

DIANE.

Vous êtes son ami ?

PAUL.

Autant qu’un homme qui travaille peut être l’ami d’un homme qui n’a rien à faire. Je l’aime beaucoup, mais nous nous voyons rarement. Du reste, il voyage presque toujours.

DIANE.

Eh bien, chaque fois que vous le verrez, chapitrez-le donc un peu. Comprenez-vous qu’il soit épris d’une danseuse ?

PAUL.

Je comprends tous les amours.

DIANE.

C’est le droit de l’artiste, mais non...

Elle s’arrête.

PAUL.

Mais... non de l’homme du monde. Voilà ce que vous vouliez dire, madame.

DIANE

Pas précisément.

PAUL.

Pourquoi vous en défendre ? Je sais qu’on établit une grande différence entre les hommes du monde et les artistes.

DIANE.

Mais elle est tout à l’avantage de ceux-ci.

PAUL.

Est-ce bien là votre opinion, madame ?

DIANE.

Oui, et celle de tous les gens sensés. Cette carrière des arts où l’homme représente forcément sa valeur personnelle, où il doit tout à lui-même, où il n’est rien s’il n’accomplit rien, où, s’il a du génie, il anoblit la famille obscure dont il sort, la femme à laquelle il donne son nom, cette vie de travail, de triomphes, de luttes, exerce un attrait puissant sur toute imagination un peu enthousiaste. Pour moi, non seulement j’admire les grands artistes, mais j’envie leur existence.

PAUL.

Cette existence vous apparaît, madame, sous les teintes caressantes et dorées des horizons lointains, comme ces forêts épaisses qui bornent les perspectives sous un beau soleil d’été ; elles semblent unies comme le velours, souples comme la mousse, et ceux qui sont forcés de les parcourir s’y déchirent les mains, les pieds et le visage, sans jouir un seul moment du spectacle qu’elles offrent à distance. Notre vie d’artiste a bien des déboires, bien des tristesses, bien des découragements. Oh ! croyez-moi, madame, pour vous, jeune et belle, la vraie vie, c’est la vôtre.

DIANE.

Effet de perspective aussi. Vos chagrins à vous ont une compensation éternelle, la liberté !

PAUL.

Et vous, madame, par exemple, êtes-vous donc si esclave ?

DIANE.

Peut-être !

PAUL.

Ce n’est pas ce qu’on dit.

DIANE.

On vous a parlé de moi ?

PAUL.

Souvent.

DIANE.

Alors, nous sommes de vieilles connaissances, car on m’a parlé de vous aussi.

PAUL.

Et je vois qu’on ne vous a dit que du bien de moi, madame, puisque vous avez permis que je vous fusse présenté.

DIANE.

Qui sait ?... Une femme est quelquefois plus désireuse de connaître un homme dont on dit du mal, qu’un homme dont on dit du bien. En général, les hommes dont on médit sont des hommes de mérite. Cependant, on ne m’a dit aucun mal de vous, monsieur ; au contraire, j’ai appris nombre de choses à votre louange.

PAUL.

Puis-je vous demander lesquelles ?

DIANE.

C’est peut-être un peu embarrassant à répéter.

PAUL.

Cela me fait désirer un peu plus de le savoir.

DIANE.

Eh bien, on disait que vous aviez été fort aimé...

PAUL.

Aimé !... et de qui, mon Dieu ?

DIANE.

D’une dame qu’on m’a nommée, mais dont je ne veux dire que le nom de baptême qui est Berthe.

PAUL.

Berthe ! pauvre femme !

DIANE.

Vous la plaignez ?

PAUL.

Oui, madame.

DIANE.

Vous ne l’aimez donc plus ?

PAUL.

Dieu sait où elle est !

DIANE.

Vous, l’avez abandonnée ? Pourquoi ? Je dois vous paraître bien curieuse, mais quoi de plus intéressant que cet éternel roman du cœur ?

PAUL.

Eh bien, madame, je serai franc avec vous, puisque le hasard vous a initiée à cet incident de ma vie. J’ai rompu avec Berthe parce qu’elle m’aimait trop.

DIANE.

Vous m’intriguez beaucoup.

PAUL.

C’est bien simple, madame ! À un artiste il faut des amours un peu exceptionnels. Les femmes qui nous aiment ne savent pas nous aimer. L’amour est plus qu’un sentiment dans certains cas, c’est une science. Aimer selon la nature de la personne qu’on aime est œuvre difficile. Cette femme ne m’avait pas compris ; elle m’aimait comme elle eût aimé un homme qui n’aurait rien eu à faire que d’aimer. Perpétuellement défiante, elle était perpétuellement triste. Elle ne comprenait pas qu’il y a des moments où, si amoureux, si aimé que soit l’artiste, il a besoin d’être seul avec sa pensée, maîtresse bien autrement jalouse que celles de ce monde, et qui s’en va impitoyablement quand on ne la reçoit pas tout de suite. Si j’arrivais chez cette femme un quart d’heure plus tard que l’heure fixée, je la trouvais en larmes, elle essuyait ses yeux à la hâte et ne me faisait aucun reproche ; mais ses yeux étaient rouges et dans sa gaieté apparente perçait l’inquiétude ou le soupçon. Cette vie devint d’abord une fatigue, puis un ennui, puis une torture. Je ne travaillais plus. J’essayai de rompre tout doucement et de la détacher de moi en l’éloignant un peu. Je l’installai à la campagne ; elle m’écrivait lettres sur lettres, je fis quelques tentatives de rapprochement, car je la plaignais au fond, mais l’égoïsme l’emporta ; j’étais trop malheureux. Elle me proposa de quitter la France ; nous eûmes une dernière entrevue, et je la laissai partir, en pleurant, non pas elle, mais le bonheur à côté duquel nous passions tous les deux.

DIANE.

C’est que vous ne l’aimiez plus.

PAUL.

Peut-être.

DIANE.

L’amour ne raisonne pas si bien. Demandez à Raphaël, votre aïeul en art, s’il aurait laissé partir la Fornarine.

PAUL.

Avouez, madame, puisqu’il est mort de ce qu’elle est restée, qu’il aurait aussi bien fait de la laisser partir.

DIANE.

Vous avez réponse à tout ; mais on ne m’a pas dit que cela sur votre compte. Je vous connais d’autres affections, et celles-là ne mourront pas.

PAUL.

Quelles affections ?

DIANE.

Vous aimez votre famille.

PAUL.

Hélas ! madame, ma famille se compose de ma mère, et, en effet, j’ai de l’adoration pour elle.

DIANE.

C’est ce qu’on m’a dit.

PAUL.

Maximilien, sans doute ?

DIANE, avec intention.

Oui... Maximilien...

PAUL.

Je lui ai cependant rarement parlé de ma mère.

DIANE.

Mais peu importe que ce soit lui ou un autre ! Vous savez que vous travaillez pour moi ?

PAUL.

Pour vous, madame ?

DIANE.

Oui, le pendant de ce tableau que vous exécutez en ce moment est pour moi ; j’ai fait savoir au marchand que je le voulais.

PAUL, se levant.

Ah ! c’est vous qui avez acheté ce tableau ? Pardon, madame, ce n’est pas Maximilien qui vous a parlé de ma mère.

DIANE.

Eh bien, non, ce n’est pas lui.

PAUL.

Et vous ne pouvez me dire qui vous a parlé d’elle ?

DIANE.

Je n’en sais plus rien, pour être franche.

PAUL.

Voulez-vous que j’aide votre mémoire, madame ?

DIANE.

Cela m’étonnerait ; comment auriez-vous su ?...

PAUL.

Je ne sais pas encore, mais je vais savoir.

DIANE.

Et comment ?

PAUL.

Je suis un peu sorcier.

DIANE.

Vraiment ?

PAUL.

Oui ; j’ai un ami qui a appliqué aux mains le système que Gall a trouvé pour la tête. En touchant, en regardant la main d’une personne, il lui dit tout son caractère, il surprend parfois sa pensée. J’ai étudié avec lui et suis devenu d’une certaine force en cette matière. Voulez-vous me donner votre main, madame ?

DIANE.

La voici.

PAUL, lui rendant sa main.

Il m’a suffi de la toucher. Je sais tout ce que je voulais savoir.

DIANE.

C’est merveilleux ! Voyons, je vous écoute.

PAUL.

Vous permettez que je dise la vérité ?

DIANE.

Dites !

PAUL.

Eh bien, madame, vous êtes femme jusqu’au bout des angles ; c’est l’expression juste, je crois, c’est-à-dire que vous avez autant que possible le défaut qui a perdu la première femme : la curiosité.

DIANE.

Je vous l’ai avoué, vous n’avez donc pas grand mérite à le découvrir.

PAUL.

Mais il est certains résultats de ce défaut dont vous ne m’avez pas fait confidence et que je surprends peut-être malgré moi. Or, un de ces résultats est que, sans le vouloir, j’en suis convaincu, vous pouvez faire beaucoup de peine à des gens qui n’ont commis d’autre crime que celui de rendre service à votre cœur.

DIANE.

Je ne comprends pas du tout, monsieur.

PAUL.

Alors, vous me permettez de vous raconter une histoire, madame, et vous comprendrez peut-être.

DIANE.

Parlez, monsieur, je vous écoute.

PAUL.

Il y a huit jours, un de mes amis avait, avec une femme, un rendez-vous qui, à ce qu’il paraît, ne pouvait avoir lieu ni chez lui ni chez elle... Vous permettez que je continue ?

DIANE.

Continuez.

PAUL.

Cet ami est venu empruntera un peintre son appartement, et, tout en sachant que c’était pour y recevoir une femme, ce peintre s’est conduit, je crois, comme il devait le faire. Il n’a tenté en aucune façon de connaître cette femme, et cela lui était pourtant bien facile.

DIANE.

Il a fait son devoir de galant homme.

PAUL, avec intention.

Mais cette femme m’a peut-être pas été aussi discrète, de sorte qu’en attendant son amant...

DIANE.

Son amant !

PAUL.

Son amant, oui, madame, mon ami était bien certainement l’amant de cette femme ; sans quoi, elle l’eût reçu ouvertement chez elle.

DIANE.

Vous êtes bien sévère pour les femmes, monsieur ; il se peut que la personne dont vous parlez soit venue voir chez ce peintre un ami... Souvent les apparences sont trompeuses...

PAUL.

Soit, madame, mais peu importe ; toujours est-il que cette personne y est venue, et qu’en attendant mon ami, son ami, comme vous voudrez, n’imitant en aucune façon la discrétion de son hôte, elle a fouillé dans ses tiroirs, que, sans défiance, il avait laissés ouverts. Elle y a trouvé, sans aucun doute, ce qu’on peut toujours trouver chez un garçon, des lettres de femme, des papiers de toute sorte ; cela dut beaucoup amuser cette dame, et, bref, il résulta de ses recherches que celui qui la recevait avait peut-être besoin d’argent pour l’envoyer à sa mère, et qu’en payement de son hospitalité il y aurait charité à lui acheter un tableau.

DIANE.

Monsieur !

PAUL.

Voyez, madame, comme vous vous intéressez à ce récit !... mais permettez-moi de le terminer. Jusque-là tout va bien. Le jeune homme vendit son tableau, envoya la moitié de l’argent à sa mère, et se mit gaiement au second tableau que la même personne lui faisait commander. Malheureusement, la curiosité n’a pas de bornes, et la dame, après avoir fouillé dans les tiroirs de l’inconnu, désira le connaître et se le fit présenter par son... par son ami.

DIANE.

Et alors qu’arriva-t-il ?

PAUL.

Il arriva, madame, que le peintre reconnut cette dame, et que, peut-être un peu trop susceptible, sa dignité se blessa d’une curiosité qui avait fini par une aumône, s’en blessa d’autant plus, qu’au premier aspect cette femme l’avait frappé comme un type rare de beauté noble, d’âme fière, de sentiments élevés ; alors, il comprit que sa place n’était pas où il était, et il prit congé de cette dame en lui demandant pardon de s’être laissé présenter chez elle.

DIANE.

Attendez, monsieur, il y a là-dessous une trahison, je dirai presque une lâcheté dont, je l’espère, vous me donnerez le mot. Veuillez donc me permettre de vous adresser une question sur la fin de cette histoire, et, pour plus de clarté, je vais ôter les masques aux personnages que vous avez mis en scène. Celui que vous appelez l’amant de cette femme se nomme Maximilien de Ternon ; le peintre, c’est vous ; la femme, c’est moi. Vous le voyez, monsieur, je suis décidée à avoir une explication franche et loyale avec vous. M. de Ternon m’avait donné sa parole d’honneur qu’il ne vous dirait jamais le nom de la femme qu’il a reçue chez vous.

PAUL.

Maximilien a tenu sa parole, madame, il n’a pas dit votre nom.

DIANE.

Alors, monsieur, comment le savez-vous ?

PAUL.

Veuillez regarder votre main, madame.

DIANE.

Ma main !

PAUL.

Vous portez la bague que vous avez oubliée chez moi, que j’ai retrouvée, que Maximilien vous a rendue et qui vient de me dire qui vous êtes.

DIANE.

C’est vrai. Maladroite ! Alors, le hasarda tout fait. Soit, j’aime mieux cela que d’avoir à accuser un ami. Maintenant, monsieur, répondez-moi franchement. Avant d’entrer chez moi, me connaissiez-vous ?

PAUL.

De nom seulement.

DIANE.

On vous avait parlé de moi, Vous me l’avez dit tout à l’heure.

PAUL.

C’est vrai !

DIANE.

Que vous avait-on dit ?

PAUL.

Bien des choses, madame.

DIANE.

Eh bien, monsieur, ces choses, il ne faut plus qu’on les dise, et, puisque nous sommes sur ce sujet, j’exige que vous écoutiez ma justification.

PAUL.

Je n’y ai aucun droit.

DIANE.

Soit, monsieur, mais c’est mon désir... M. de Ternon...

PAUL.

On vient de sonner, madame... C’est lui sans doute.

DIANE.

Qui voulez-vous donc que ce soit à pareille heure ? Je suis enchantée qu’il arrive en ce moment, l’explication aura lieu devant lui.

Elle ouvre la porte.

Arrivez, vicomte, arrivez !

Refermant la porte.

Le duc !

À Paul.

Monsieur, je vous en prie, veuillez entrer un instant dans cette chambre.

Avec rage.

Mon Dieu !... mon Dieu !...

 

 

Scène X

 

LE DUC, DIANE

 

DIANE.

Comment, duc, c’est vous ?

LE DUC

Oui, comtesse.

DIANE.

Tout le monde m’insultera donc ce soir !... Que se passe-t-il, pour que je vous voie arriver à pareille heure chez moi ?

LE DUC.

Ne m’aviez-vous pas chargé d’une commission ? ne m’aviez-vous pas permis de vous rapporter la réponse ?

DIANE.

À une heure du matin ?

LE DUC.

J’ai vu de la lumière à vos fenêtres.

DIANE.

Est-ce une raison ?

LE DUC.

Vos gens m’ont même dit que vous n’étiez pas seule, j’ai cru que vous receviez.

DIANE.

Vous vous êtes trompé... Il n’y a que les malheurs et les amants qui aient le droit d’ouvrir la porte d’une femme après minuit. Vous n’êtes ni l’un ni l’autre.

LE DUC.

Comtesse, je ne croyais pas...

DIANE.

Rentrez chez vous, duc, réfléchissez, et, quand vous viendrez me faire vos excuses demain, je ne me rappellerai que vos visites d’autrefois. Allez, duc, allez.

Le duc parti, Diane se laisse tomber sur un fauteuil, et pleure en cachant son visage dans ses mains.

 

 

Scène XI

 

PAUL, DIANE

 

PAUL, rentrant.

Adieu, madame.

DIANE, se levant et essuyant ses yeux.

Adieu, monsieur.

PAUL.

Vous pleurez, madame.

DIANE.

Comment vous convaincrai-je maintenant ? Je vous jure pourtant que le duc n’a aucun droit d’agir comme il l’a fait. Je vous le jure !

PAUL.

À quoi bon ce serment, madame ? N’êtes-vous pas libre de toutes vos actions ? Le hasard me fait être seul chez vous à une heure du matin ; vous ne voulez pas qu’on m’y voie et vous me priez d’attendre dans une autre chambre que vous ayez congédié un importun, quoi de plus naturel ?

DIANE.

Mais que pensez-vous de moi après une pareille scène ?

PAUL.

Ce que j’en pensais il y a dix minutes.

DIANE.

Vous êtes cruel, monsieur.

PAUL.

Vous vous méprenez au sens de mes paroles, madame. Quelques choses que je visse ou entendisse, mon opinion est arrêtée sur vous depuis que je vous ai vue. J’ai eu l’occasion de vous rendre un service, vous avez voulu le reconnaître, rien de plus simple. Là où ma susceptibilité voyait une aumône, mon cœur ne voit plus qu’une bonne intention. Je vous en remercie, madame, et vous demande pardon de ce que je vous ai dit tout à l’heure.

DIANE.

Quel langage !

PAUL.

C’est le seul que je doive tenir ici. Les larmes que vous répandez en ce moment sont le démenti le plus formel à ce que l’on peut dire de vous. Non, madame, non, rien de tout cela n’est vrai, vous n’avez pas besoin de me l’affirmer. Je ne veux pas que cela soit. Laissons les sots croire et les méchants répéter ces calomnies, et nous, gens de cœur faits pour nous entendre, regardons-les de haut et laissons-les passer.

DIANE.

Oh ! c’est bien, monsieur.

PAUL.

Je vous ai comprise en un instant, madame ; j’ai compris que votre âme inoccupée laisse tout faire à votre esprit, et l’esprit est souvent un mauvais conseiller pour une femme jeune et belle. En voulez-vous la preuve ? Je vous connais depuis une heure à peine, et ce peu de temps a suffi pour me donner presque des droits sur vous. Regardez en face la situation où nous sommes vis-à-vis l’un de l’autre et ce que j’en pourrais tirer si j’étais un malhonnête homme, ou seulement un homme mal élevé. Vous êtes venue chez moi pour vous y trouver avec un de mes amis. Vous avez consenti à me recevoir, et me voilà ici à une heure du matin. Je suis seul avec vous, vous m’avez fait cacher dans votre chambre et vous pleurez de l’insulte que vous a faîte un homme dont la fatuité a pris au sérieux quelques coquetteries banales. Tandis qu’il vient, celui que nous attendons ne vient pas, et le moins impertinent est encore celui qui est venu. Vous me demandiez tout à l’heure ce que Maximilien m’avait dit de vous, madame ; ici même, cinq minutes avant de me présenter, il me disait : « Mon cher, fais donc la cour à la comtesse. » Il ne vient pas ! Pourquoi ? Pour me fournir l’occasion après m’avoir donné le conseil, ou parce qu’il est auprès d’une danseuse qu’il ne songe pas à vous sacrifier, à vous, comtesse de Lys. Voilà ce que je pourrais me dire, car voilà la réalité.

DIANE.

Oui.

PAUL.

Et, après ce qui s’est passé, je ne mentirais pas si demain je disais au duc : « Vous êtes venu cette nuit chez la comtesse de Lys, j’étais caché dans sa chambre, j’ai tout entendu. » Ce serait de mauvais goût, je le sais, mais cela serait. Quoi que vous pussiez dire, on vous répondrait qu’un homme caché la nuit dans la chambre d’une femme a bien des droits sur cette femme. Je vous aurais compromise, les bruits passés donneraient créance aux bruits nouveaux, et cependant nous ne sommes rien l’un à l’autre, je vous donne la main comme à un homme, et je vous appelle madame, comme s’il y avait cent personnes autour de nous. Qu’est-ce que cela prouve ? Que vous avez commis dans votre vie je ne sais combien d’imprudences du même genre qui semblaient ne devoir pas amener de conséquences et qui en ont amené... Est-ce vrai ?

DIANE.

Oui, c’est vrai. Que c’est bien à vous de me parler ainsi ! Voyez, je ne pleure plus, mais je vous dirai tout. Il y a des minutes qui créent des amitiés de vingt ans. Vous serez mon ami, monsieur, je le veux.

PAUL.

Oui, madame ; mais il faut vous arrêter dans cette route, puisqu’il en est temps encore. Que votre dignité vous précède et vous protège sans que vous ayez besoin de l’appeler à votre aide, comme vous avez fait tout à l’heure. C’est étrange, n’est-ce pas, qu’un homme de mon âge vous donne un semblable conseil ? Mais je serais le plus malheureux des hommes maintenant, si je ne vous regardais pas comme la plus pure des femmes.

DIANE.

Merci ! Cette soirée sera une leçon pour moi ; puis je tiens à votre estime, car vous êtes un grand esprit et une âme généreuse. Vous m’aiderez, n’est-ce pas ? Je suis faible ; que voulez-vous ! personne ne m’aime et rien ne me protège. Vous viendrez me voir souvent. Je vous dirai toutes mes actions. Je ne ferai que ce que vous aurez permis. Est-ce cela ? Il y a déjà une bonne chose en moi. J’aime mon père ; je l’aime comme vous aimez votre mère. S’il était près de moi, je n’aurais pas besoin d’un autre appui. Quand je ne serai pas sage, vous me menacerez de le lui dire, et vous verrez comme je redeviendrai docile. C’est convenu, n’est-ce pas ?

PAUL.

Tout ce que vous voudrez.

DIANE.

Je vous en prie, prenez de l’empire sur moi, ordonnez, grondez, punissez s’il le faut. Je suis de ces femmes qui ont besoin d’être dominées ; ma force est dans les autres.

PAUL.

Vous oubliez, madame, qu’une femme de votre âge et de votre nature ne se laisse dominer que par un seul homme.

DIANE.

Par lequel ?

PAUL.

Par celui qu’elle aime.

DIANE.

Ou par celui qu’elle estime ; ne voulez-vous pas être celui-là ?

PAUL.

Éternellement !... Adieu, madame.

DIANE.

Pourquoi adieu ?

PAUL.

Il est tard pour moi comme pour le duc.

DIANE.

Mais vous reviendrez, n’est-ce pas ?

PAUL.

Quand vous le permettrez.

DIANE.

Le plus tôt qu’il vous sera possible. Demain.

PAUL.

Demain. Adieu, madame la comtesse.

DIANE.

Adieu, monsieur. Pensez à moi ; travaillez pour moi, veux-je dire.

Il lui baise la main et sort.

 

 

Scène XII

 

DIANE, seule

 

Ah ! voilà un homme de cœur !

 

 

ACTE III

 

Un salon chez Diane.

 

 

Scène première

 

DIANE, arrangeant les fleurs de sa coiffure devant sa glace, puis LE DOMESTIQUE

 

DIANE.

Ce domestique ne revient pas.

Le domestique paraît.

Eh bien ?

LE DOMESTIQUE.

Voici la réponse, madame la comtesse.

DIANE.

Et ces autres papiers ?

LE DOMESTIQUE.

Ce sont des cartes de visite.

DIANE.

Le vicomte de Ternon avec ces mots au crayon : « Dixième fois. » La carte du duc.

Au domestique.

Qu’avez-vous répondu à ces messieurs ?

LE DOMESTIQUE.

Que madame la comtesse resterait chez elle ce soir jusqu’à onze heures.

DIANE.

Ont-ils dit qu’ils viendraient ?

LE DOMESTIQUE.

Oui, madame.

DIANE.

C’est bien, allez.

Il sort. Diane ouvre la lettre et lit.

« N’insistez pas, je vous en prie ; vous refuser m’est trop pénible, mais je vous ai dit que je ne veux pas affronter le monde qui vous entoure. J’ai trop peur que ce monde ne surprenne mon secret et ne vous en fasse un crime. Je tiens a votre réputation plus qu’à ma vie. Il me semble que je ne serais pas assez maître de moi, et qu’un seul de mes regards vous perdrait. Réservez-moi la solitude et le mystère, et soyez belle et joyeuse au milieu de ceux que vous recevrez. Ce soir, à onze heures, je passerai sous vos fenêtres. Si le signal s’y trouve, je monterai un moment vous dire combien je suis heureux depuis que je vous aime. Pensez un peu à moi, qui passe ma soirée à travailler en pensant à vous. »

Elle cache la lettre dans son sein.

Il n’y a rien à répondre ; il a peut-être raison.

LE DOMESTIQUE, annonçant.

Madame de Launay.

 

 

Scène II

 

MARCELINE, DIANE

 

DIANE.

Ah ! c’est toi. En toilette ? Tu vas donc aussi chez la princesse de Cadignan ?

MARCELINE.

Oui, et, comme tu as annoncé que tu restais chez toi jusqu’à onze heures, je viens avant tout le monde. Nous aurons quelques minutes pour causer à notre [...] à te parler sérieusement.

DIANE.

Tant pis.

MARCELINE.

Pourquoi ?

DIANE.

Parce que je suis en belle humeur et que j’ai peur de ta gravité.

MARCELINE.

Tu es donc heureuse ?

DIANE, avec confiance.

Très heureuse.

MARCELINE.

Et tu m’aimes toujours ?

DIANE.

Le bonheur a cela de bon, qu’il fait aimer davantage ceux que l’on aimait déjà avant d’être heureux.

MARCELINE.

Et tu crois bien que, moi aussi, je t’aime ?

DIANE.

Je n’en ai jamais douté.

MARCELINE.

Et la preuve, c’est que je t’ai pardonné ce que tu m’as fait faire dernièrement et que je suis revenue chez toi, car mon amitié peut t’être utile ; aussi je viens te donner un conseil.

DIANE.

Qui est ?

MARCELINE.

Qui est de partir pour la campagne et de rejoindre ton mari.

DIANE.

Avoue que voilà un drôle de conseil.

MARCELINE.

Ne t’a-t-il pas écrit pour t’en prier ?

DIANE.

N’as-tu pas trouvé tout naturel que je restasse ?

MARCELINE.

Mais, alors, je ne savais pas...

DIANE.

Quoi ?

MARCELINE.

Ce qu’on m’a dit depuis.

DIANE.

Et que t’a-t-on dit ?

MARCELINE.

Connais-tu M. Paul Aubry ?

DIANE.

Nous sommes allées chez lui ensemble.

MARCELINE.

À cette époque, tu ne le connaissais pas plus que moi, pas plus que je ne le connais à cette heure. Est-il vrai que, depuis lors, vous vous soyez rencontrés ?

DIANE.

C’est vrai.

MARCELINE.

Il y a longtemps ?

DIANE.

Il y a un mois environ.

MARCELINE.

Tu ne me l’avais pas dit.

DIANE.

C’était du temps que nous étions brouillées, et je n’y ai pas pensé depuis.

MARCELINE.

Tu me trompes !

DIANE.

Voilà un véritable interrogatoire. Prends garde, tu vas ressembler à ma belle-sœur.

MARCELINE.

Est-ce que mon amitié n’a pas le droit de t’interroger un peu ?

DIANE.

C’est selon.

MARCELINE.

Mais elle a le droit de t’avertir.

DIANE.

De quoi ?

MARCELINE.

D’un danger : tu te perds.

DIANE.

Tu es folle.

MARCELINE.

Alors, il faut t’apprendre toute la vérité. Sais-tu de quoi l’on t’accuse ?

DIANE.

Non.

MARCELINE.

De quoi accuse-t-on une femme jeune, belle, riche comme toi, qui tout à coup s’isole et disparaît ?

DIANE.

On l’accuse d’une douleur secrète.

MARCELINE.

Ou d’un bonheur clandestin.

DIANE.

Écoute, ma chère Marceline, nous sommes l’une et l’autre dans des conditions tout à fait différentes, il ne faut donc pas nous juger du même point de vue. Tu as été mariée à l’homme de ton choix, tu l’aimes, tu es aimée de lui, le bonheur fleurit dans ta maison, tu le cueilles sans efforts, en souriant, antre un baiser de ton époux et une caresse de ton fils ; tant mieux pour toi. Ce bonheur-là, je ne le connais pas, moi ; ce n’est pourtant pas faute de l’avoir rêvé et de l’avoir voulu.

MARCELINE.

Tu as peut-être le droit de te plaindre, mais de te plaindre à moi seule. Ton droit s’arrête là ; car, autour de toi, il y a le monde, le monde auquel tu appartiens, le monde qui commence à dire de toi le mot terrible qui, une fois tombé sur la vie des femmes comme nous, fait son trou et creuse sa plaie.

DIANE.

Et ce mot, c’est ?

MARCELINE.

C’est : « Elle a un amant ! »

DIANE.

Le monde est bien bon aujourd’hui de ne m’en donner qu’un, lui qui autrefois m’en donnait, combien ? deux, trois, que sais-je ? tous les jeunes gens qui m’entouraient.

MARCELINE.

Mais, alors, le monde mentait et le savait bien. En prenant ta place dans la société, tu y as causé le bouillonnement que ta beauté, ta jeunesse, ta fortune, ton nom, ton caractère, ton originalité, devaient nécessairement produire. Tu as éveillé les jalousies, excité les amours-propres, provoqué les médisances ; mais toutes ces mauvaises passions se sont écoulées dans des suppositions sans fondement certain, sans causes réelles. Tu ne faisais pas de mal, il n’y avait pas de mal à dire ; on s’est tu, mais avec l’espérance secrète d’une revanche. Cette revanche, tu l’offres, et, aujourd’hui, le monde épelle un nom, celui de M. Paul Aubry. Je l’ai entendu nommer, je m’alarme et je te préviens. Tu as une ennemie acharnée, ta belle-sœur ; elle te sourit, prends garde !

DIANE.

Le monde reconnaîtra encore une fois qu’il s’est trompé, et tout sera dit.

MARCELINE.

On t’a rencontrée avec M. Paul Aubry.

DIANE.

C’est possible ; on m’a rencontrée avec le duc aussi.

MARCELINE.

On l’a vu entrer chez toi.

DIANE.

Comme tant d’autres.

MARCELINE.

Oui, mais à ces autres, maintenant, ta porte reste fermée.

DIANE.

Non, puisque je reçois ce soir et que je vais au bal.

MARCELINE.

Parce que toi-même as compris qu’il fallait faire une concession. Enfin, M. Paul Aubry n’est pas du même monde que toi, c’est un artiste, on ne le reçoit pas, et l’on sait que tu le reçois. On se demande comment tu l’as connu ? Dieu me garde de te condamner ! Je t’aime, voilà tout. Tu es heureuse, dis-tu ; si jamais tu es malheureuse, tu sais où tu as une amie.

Elle l’embrasse.

En attendant, je veille sur toi.

LE DOMESTIQUE, annonçant.

M. le vicomte de Ternon.

MARCELINE.

Défie-toi de cet ami-là.

DIANE.

Il n’est pas méchant.

MARCELINE.

Non, mais il est inconséquent et léger ; c’est pis, peut-être.

 

 

Scène III

 

MARCELINE, DIANE, MAXIMILIEN

 

MAXIMILIEN, à Diane.

Enfin on vous voit ! 

À Marceline.

Bonsoir, madame ; je suis sûr que vous étiez en train de gronder la comtesse de se dérober ainsi à ses amis, et vous aviez raison. 

À Diane.

Comment allez-vous ?

DIANE.

Mieux.

MAXIMILIEN.

Vous avez donc été vraiment souffrante ?

DIANE.

Oui.

MAXIMILIEN.

Ah !

DIANE.

Vous n’en paraissez pas bien convaincu ?

MAXIMILIEN.

Je ne vous ai jamais vue si rose et si belle. Vous savez que je suis venu dix fois ?

DIANE.

Votre carte me l’a dit, mais c’est beaucoup.

MAXIMILIEN.

C’est la vérité. Le verrons-nous ce soir ?

DIANE.

Qui ?

MAXIMILIEN.

Mon ami Paul.

DIANE.

M. Paul Aubry ?

MAXIMILIEN.

Oui.

DIANE.

Je ne crois pas.

MAXIMILIEN.

Vous savez qu’il vous imite ?

DIANE.

Comment ?

MAXIMILIEN.

Il ne reçoit plus ! J’ai été trois ou quatre fois pour le voir, il était toujours sorti. C’est de l’ingratitude, car enfin c’est moi qui vous l’ai présenté, et il devrait être assez heureux pour m’en remercier.

DIANE.

Heureux ?

MAXIMILIEN.

De la discrétion ? de la défiance même ? Bon ! bon ! Je ne peux pas vous en vouloir, moi, un diplomate !

MARCELINE, bas, à Diane.

Tu vois.

LE DOMESTIQUE, annonçant.

Madame et mademoiselle de Lussieu, M. le vicomte de Boursac.

 

 

Scène IV

 

MARCELINE, DIANE, MAXIMILIEN, MADAME DE LUSSIEU, JULIETTE, M. DE BOURSAC

 

DIANE, allant au-devant de madame de Lussieu.

Que c’est aimable à vous, chère madame, de venir me voir !

MADAME DE LUSSIEU.

Voilà trois mercredis que vous ne recevez pas ; on m’a dit que vous restiez chez vous ce soir ; je profite de cette occasion rare, et je vous amène ma fille.

DIANE.

C’est une aimable surprise. 

À Juliette.

Vous voilà donc sortie du couvent ?

JULIETTE.

Oui, madame.

DIANE.

Et vous allez au bal ce soir ?

JULIETTE.

Oui, madame.

DIANE.

Vous aimez le bal ?

JULIETTE.

Je crois que je l’aimerai. C’est la première fois que j’y vais.

DIANE.

Nous vous présenterons nos meilleurs danseurs.

M. DE BOURSAC, à Diane.

Bonsoir, comtesse.

DIANE.

Et votre frère ?

M. DE BOURSAC.

Il est toujours souffrant.

Diane s’éloigne.

MADAME DE LUSSIEU, à Diane.

Venez vous asseoir un peu ici, chère enfant.

Diane s’assied.

Vous allez ce soir chez la princesse ?

DIANE.

Oui.

MADAME DE LUSSIEU.

Vous faites bien.

DIANE.

Pourquoi ?

MADAME DE LUSSIEU.

Parce qu’on sait que vous avez été malade et qu’on sera bien aise de vous voir rétablie. Êtes-vous sortie aujourd’hui ?

DIANE.

Oui.

MADAME DE LUSSIEU.

Dans votre voiture ?

DIANE.

Oui.

MADAME DE LUSSIEU.

Avec votre attelage blanc ?

DIANE.

C’est celui que je préfère.

MADAME DE LUSSIEU.

Prenez-en un autre.

DIANE.

Pourquoi ?

MADAME DE LUSSIEU, amicalement.

Parce que le blanc est trop voyant. Supposons, par exemple, que vous alliez faire faire votre portrait. Si l’on remarque votre voiture à la porte d’un peintre connu, tout le monde saura que vous ménagez une surprise à votre mari, c’est inutile.

DIANE.

Merci !

Elle s’éloigne de madame de Lussieu.

MARCELINE.

Que te disait donc madame de Lussieu ?

DIANE.

Rien.

LE DOMESTIQUE, annonçant.

Madame la marquise de Neray, M. le duc de Riva.

 

 

Scène V

 

MARCELINE, DIANE, MAXIMILIEN, MADAME DE LUSSIEU, JULIETTE, M. DE BOURSAC, LE DUC, LA MARQUISE

 

DIANE.

Bonsoir, duc.

LA MARQUISE.

Bonsoir, chère amie ; ne vous dérangez pas, je prends une tasse de thé.

LE DUC, à Diane.

Vous m’avez pardonné ?

DIANE.

Vous le savez bien... Regardez donc comme mademoiselle de Lussieu est jolie.

LE DUC.

En êtes-vous bien sûre ?

DIANE.

Elle se fait une fête de danser ce soir chez la princesse... Allez l’inviter.

LE DUC.

Si j’allais encore être le soixante-dix-huitième.

Diane se lève et marche dans le salon.

M. DE BOURSAC, à madame de Lussieu.

Qu’est-ce que vous dites au vicomte ?

MADAME DE LUSSIEU.

Je le gronde. Il fait trop parler de lui dans un monde où l’on parle mal.

MAXIMILIEN.

Je vous pose une question, à vous qui êtes une femme d’esprit.

MADAME DE LUSSIEU.

Voyons.

MAXIMILIEN.

Quel est le plus honnête homme de celui qui compromet une femme comme il faut, ou de celui qui se laisse compromettre pour une femme... qui n’est pas comme il faut ?

MADAME DE LUSSIEU.

C’est celui qui n’est ni compromettant ni compromis.

MAXIMILIEN.

Vous êtes la femme la plus spirituelle que je connaisse. Je vais causer avec mademoiselle de Lussieu.

MADAME DE LUSSIEU.

Je vous le défends bien.

Maximilien va causer avec Juliette.

LA MARQUISE, à Diane.

Vous allez chez la princesse, ce soir ?

DIANE.

Oui.

LA MARQUISE.

Voulez-vous une place dans ma voiture ?

DIANE.

Merci, j’ai la mienne, et je ne compte y aller qu’un peu tard.

MAXIMILIEN, au duc.

Ah çà ! vous faisiez votre cour à mademoiselle de Lussieu ?

LE DUC.

Ma foi, non.

MAXIMILIEN.

Vous devriez l’épouser, mou cher : un million de dot, une fille charmante, une mère veuve et pleine d’esprit.

LE DUC.

Je ne songe guère à me marier.

MAXIMILIEN.

Vous êtes triste.

LE DUC.

Moi ? Non.

MAXIMILIEN.

Est-ce que vous êtes toujours amoureux ici ?

LE DUC.

Pourquoi cette question ?

MAXIMILIEN.

C’est – dit-on – qu’il y a bien du nouveau.

LE DUC.

Vous en êtes sûr ?

MAXIMILIEN.

Dit-on ! dit-on !

MADAME DE LUSSIEU, à Maximilien.

La marquise paraît bien gaie ce soir.

MAXIMILIEN.

Elle aura fait une méchanceté à quelqu’un.

MADAME DE LUSSIEU.

Vous n’avez pas l’air de l’aimer.

MAXIMILIEN.

Je ne puis pas la souffrir.

MADAME DE LUSSIEU.

Ne trouvez-vous pas qu’elle ressemble à madame de Lusigny ?

MAXIMILIEN.

Est-ce qu’elle vit toujours, madame de Lusigny ?

MADAME DE LUSSIEU.

Toujours.

M. DE BOURSAC.

Je la croyais morte de vieillesse.

MAXIMILIEN.

Si elle avait dû mourir de ça, il y a longtemps qu’elle serait morte. Elle a quarante-huit ans !

MADAME DE LUSSIEU.

C’est poli pour moi qui en ai cinquante.

MAXIMILIEN.

Vous n’avez pas cinquante ans, vous: vous en avez deux fois vingt-cinq !

DIANE, à Juliette.

Une tasse de thé, ma chère enfant ?

JULIETTE.

Merci, madame, je regarde cet album...

Maximilien a pris une tasse de thé et est venu l’offrir à madame de Lussieu. M. de Boursac en offre une à Marceline. Juliette vient à sa mère avec l’album.

Voyez donc, maman, le ravissant dessin.

MADAME DE LUSSIEU.

En effet ! c’est très joli ! Regardez donc, duc.

LE DUC.

Ah ! c’est d’un grand artiste.

MADAME DE LUSSIEU.

De qui donc ? Ce n’est signé que d’initiales.

LE DUC.

C’est de M. Paul Aubry.

MAXIMILIEN, tout en buvant son thé.

Un de mes amis intimes.

LA MARQUISE, jetant un regard sur Diane et s’adressant à Maximilien.

Ah ! vous connaissez M. Paul Aubry ? Vous êtes bien heureux ! Je n’entends parler que de ce monsieur, depuis quelques jours. Je voudrais bien le voir – de loin...

MAXIMILIEN.

C’est un de mes camarades de collège.

LA MARQUISE.

Il paraît que c’est un homme à bonnes fortunes. Le savez-vous ?

MAXIMILIEN.

Non.

LA MARQUISE.

Il est question d’une grande dame qui s’occuperait beaucoup de lui.

MAXIMILIEN.

Vraiment !

LA MARQUISE.

Pour moi, je n’ai pas voulu le croire.

MAXIMILIEN.

Cela peut arriver cependant.

LA MARQUISE.

Comment croire qu’une femme qui se respecte consentirait à aimer et même à recevoir ce monsieur ?

DIANE.

Et pourquoi pas, ma chère amie ?

LA MARQUISE.

Un monsieur qui s’appelle Paul Aubry, qui fait des petits tableaux, et qui a son nom en étalage derrière les vitres des marchands, – fi donc !

DIANE.

Un artiste qui a son nom en étalage comme vous et moi, qui se fait avec son talent ce que nos maris et nos frères se font avec une ambassade ou un mariage. Je me crois aussi grande dame que qui que ce soit, et non seulement je ne blâme pas celle dont vous parlez d’aimer ce jeune homme, mais je la comprends. Quand l’amour s’élève jusqu’à l’intelligence, il est une fois plus grand.

LA MARQUISE.

Quel enthousiasme ! On croirait à vous entendre que vous connaissez M. Paul Aubry.

DIANE.

Je le connais ; et je m’étonne que M. de Ternon, qui vient de l’appeler son ami et qui me l’a présenté, ne l’ait pas mieux défendu.

LA MARQUISE.

Et pourquoi M. de Ternon vous l’a-t-il présenté ?

DIANE.

Parce qu’il m’a plu de le connaître. J’ai trouvé dans M. Paul Aubry un homme de talent et de cœur ; j’ai continué de le recevoir, et je ne laisserai pas médire chez moi d’un homme qui a franchi deux fois le seuil de ma porte.

LA MARQUISE.

Pourquoi ce monsieur n’est-il pas ici, alors ? Nous jugerions nous-mêmes.

DIANE.

Si M. Paul Aubry n’est pas ici, ce n’est pas faute que je l’aie prié d’y venir.

LA MARQUISE.

Mais il a compris qu’il ne serait pas à sa place.

DIANE.

La place d’un homme de sa valeur est partout, partout où il peut être compris. Assez donc sur ce sujet, marquise, car je n’ai encore dit que la moitié de ce que je pense, et il vaut mieux que je ne dise pas tout.

Diane s’approche de madame de Lussieu.

MADAME DE LUSSIEU.

Imprudente !

MARCELINE.

Voilà ce que je craignais.

LE DUC.

Ce que vous avez fait là est très bien, comtesse, et je vous le dis, quoique j’en souffre.

LA MARQUISE, se levant.

Adieu, ma chère.

DIANE.

Vous nous quittez déjà ?

LA MARQUISE.

Oui, j’ai promis à la princesse d’arriver de bonne heure.

DIANE, à un domestique qui passe au fond.

La voiture de madame la marquise.

MADAME DE LUSSIEU.

La mienne aussi.

LA MARQUISE.

Ma chère Diane, j’ai oublié de vous demander si vous avez reçu des nouvelles de votre mari.

DIANE.

Non, pas depuis quelque temps.

LA MARQUISE.

J’en ai reçu, moi. Vous savez qu’il, a une mission pour l’Allemagne.

DIANE.

Je l’ignorais.

LA MARQUISE.

Il faut qu’il parte prochainement; attendez-le donc dans trois ou quatre jours au plus tard. Nous nous verrons ce soir ?

DIANE.

Oui.

LA MARQUISE.

Qui vous accompagnera ?

DIANE.

Quelqu’un que je compte présenter à la princesse.

LA MARQUISE.

Et ce quelqu’un... c’est ?

DIANE.

Vous le verrez.

LE DOMESTIQUE.

La voiture de madame la marquise. La voiture de madame de Lussieu.

DIANE, à Marceline.

Reste un instant, toi.

MARCELINE.

Sois tranquille ; je ne te quitte pas.

MADAME DE LUSSIEU, à Diane.

Nous allons vous voir ?

DIANE.

Quelques lignes à écrire et je vous rejoins.

JULIETTE.

Adieu, madame.

DIANE.

Adieu, chère enfant.

JULIETTE.

Voudrez-vous bien me prêter votre album ?

DIANE.

Volontiers.

JULIETTE.

Je désirerais copier ce dessin de M. Aubry.

DIANE.

Demain, je vous l’enverrai.

JULIETTE.

Merci...

Elle tend son front à Diane qui l’embrasse.

J’en aurai bien soin.

MAXIMILIEN, à Diane.

Vous avez été méchante pour moi.

DIANE.

Vous n’êtes pas ce que vous devriez être à l’égard de vos amis. La mauvaise société vous perd.

LE DUC, à Diane.

Disposez de moi en toute occasion, et surtout soyez heureuse.

DIANE.

Merci, mon ami.

Tout le monde s’éloigne peu à peu.

 

 

Scène VI

MARCELINE, DIANE, puis JENNY

 

DIANE.

Ah ! la marquise veut la guerre ? Eh bien, nous la ferons, et en face.

MARCELINE.

Avais-je tort de te prévenir ?

DIANE, allant placer une lampe près de la fenêtre.

Il n’y a pas de danger.

MARCELINE.

Que fais-tu là ?... C’est un signal ?

DIANE.

Oui.

MARCELINE.

Quelqu’un va monter ?

DIANE, sonnant.

Oui.

MARCELINE.

Diane ! Diane !

DIANE, au domestique.

Qu’on attelle, et envoyez-moi Jenny.

MARCELINE.

Tu vas sortir ?

DIANE.

Oui, je vais présenter M. Paul Aubry à la princesse.

MARCELINE.

Tu es folle ! S’il est un honnête homme, il refusera.

DIANE, à Jenny qui paraît.

Ma pelisse, des gants ! Ouvrez vous-même la porte à la personne qui monte.

MARCELINE.

Au nom du ciel, ne fais pas cela, Diane !

DIANE.

Pourquoi ne le ferais-je pas ? Qu’y a-t-il d’extraordinaire à ce que je présente quelqu’un quelque part ?

MARCELINE.

Diane, songe à ton nom, à ta réputation, à ton père, à toi enfin !

JENNY, rentrant.

Madame...

MARCELINE.

Oh ! ne reçois personne pendant que je suis là.

DIANE, à Jenny.

C’est bien, priez qu’on attende un moment.

MARCELINE.

Va seule chez madame de Cadignan, je t’en supplie, j’ai peur d’un malheur pour toi ce soir.

DIANE.

Retourne auprès de ton mari, qui t’attend, lui, pour te mener au bal ; il t’aime, tu ne peux pas me comprendre.

MARCELINE.

Eh bien, non ! je reste.

DIANE.

Tu restes ?

Sonnant.

Faites entrer.

Présentant Paul.

M. Paul Aubry, ma chère Marceline. 

À Paul.

Madame de Launay, ma meilleure amie.

 

 

Scène VII

 

MARCELINE, DIANE, PAUL, puis JENNY

 

MARCELINE.

Oui, Diane, tu as raison, ta meilleure amie.

DIANE.

Il faut vous dire, pour vous expliquer l’intonation que mon amie donne à ses paroles, que, lorsqu’on vous a annoncé, elle était occupée à me faire de la morale.

PAUL.

À propos de quoi, madame ?

DIANE.

Elle disait que j’ai tort de vous recevoir.

MARCELINE.

À cette heure-ci, du moins.

PAUL.

Madame avait raison, et je comprends qu’une amitié de plus vieille date et qui a donné plus de preuves que la mienne soit un peu jalouse de moi.

MARCELINE.

Ce n’est pas de la jalousie, c’est de la raison. À mon avis, Diane a tort de vous recevoir, je le répète, à l’heure qu’il est, et surtout dans les intentions où elle est.

PAUL.

Quelles intentions ?

DIANE.

La chose la plus simple du monde. Je vous prie de m’accompagner au bal.

PAUL.

Vous, madame ?

DIANE.

Oui, ce soir.

PAUL.

Et où donc ?

DIANE.

Chez la princesse de Cadignan.

PAUL.

Et pourquoi, bon Dieu ?

DIANE.

Parce que, comme on m’accuse de ne vous recevoir qu’en secret, je veux qu’on sache que je vous reçois publiquement.

PAUL.

Que voilà donc une belle chose à apprendre à tant de monde !

DIANE.

Je le veux.

PAUL.

Et moi, je ne le veux pas. D’où vous est venue cette idée, je vous le demande un peu ?

DIANE.

De ce que ma belle-sœur a dit du mal de vous ici, et que je veux lui faire voir ce que vous êtes, et que je ne la crains pas. Oh ! je lui ai répondu, allez !

PAUL.

Il fallait laisser dire ! Que m’importe !... 

À Marceline.

N’est-ce pas, madame ? 

À Diane.

Si vous désirez aller à ce bal, madame de Launay vous y accompagnera ; mais moi, quelle folie ! 

À Marceline.

Êtes-vous rassurée, madame ?

MARCELINE.

Oui, monsieur, et je crois que vous êtes digne de l’amitié de Diane.

PAUL.

Maintenant, il faut que vous alliez au bal, je vous laisse. Si madame de Launay permet que je l’accompagne jusqu’à sa voiture, je lui offre mon bras.

MARCELINE.

J’accepte votre bras, monsieur.

PAUL, s’approchant de Diane.

Adieu, madame.

DIANE, bas.

Je n’irai pas au bal... je vous attends.

PAUL, prenant le bras de Marceline.

Madame...

MARCELINE, à Diane.

À demain.

DIANE.

À demain !

Bas.

Eh bien, tu as vu ; es-tu contente ?

MARCELINE.

Oui, mais ce n’est pas tout.

DIANE.

N’en demande pas trop.

Marceline et Paul sortent. À Jenny qui paraît.

Dites qu’on dételle.

JENNY.

Madame la comtesse ne sortira pas ?

DIANE.

Non.

JENNY.

Et les domestiques ?

DIANE.

Ils peuvent se retirer.

Jenny sort. Diane ôtant ses bracelets et ses fleurs.

Ah ! Marceline, tu auras beau faire, je ne te sacrifierai pas mon amour.

JENNY, rentrant.

Madame la comtesse n’a plus besoin de moi ?

DIANE.

Non. Attendez dans ma chambre.

Jenny sort, Paul rentre.

 

 

Scène VIII

 

DIANE, PAUL

 

PAUL.

Vous avez une amie qui vous défend bien.

DIANE.

Vous a-t-elle vu rentrer ?

PAUL.

Non. J’ai eu l’air de retourner chez moi.

DIANE.

Que vous a-t-elle dit ?

PAUL.

Rien. Elle est charmante !

DIANE.

N’allez pas l’aimer... D’ailleurs, vous perdriez votre temps.

PAUL.

Je le perds bien ici.

DIANE.

Comme vous savez le contraire !

PAUL.

Dites-vous vrai ? Pour moi, je suis bien heureux.

DIANE.

Vous ne mentez pas ?

PAUL.

Songez qu’avant de vous connaître je n’avais jamais aimé.

DIANE.

Et madame Berthe ?

PAUL.

Vous m’avez dit vous-même que je ne l’aimais pas.

DIANE.

Et mademoiselle Aurore ?

PAUL.

Il ne vous manquerait plus que d’être jalouse d’elle ?

DIANE.

Croyez-moi, toutes les femmes qui ont été aimées du même homme se valent par un mot, si éloignées qu’elles paraissent les unes des autres. Pourquoi la comtesse de Lys ne serait-elle pas jalouse de la grisette Aurore ?

PAUL.

Suis-je jaloux, du duc ?

DIANE.

L’ai-je jamais aimé ?

PAUL.

De Maximilien ? Vous l’avez aimé, celui-là !

DIANE.

Comme on aime au couvent, comme toute jeune fille aime, ou plutôt croit aimer le premier homme qu’elle voit. Amours semblables aux dents de lait, qui sont sans racines et tombent sans secousses.

PAUL.

Et cependant, depuis trois semaines, j’évite de le voir. Il n’a pas toujours été un étranger pour vous, et n’est plus un ami pour moi. Puis il ne parle pas des femmes de votre monde comme je veux en entendre parler maintenant. Il est de ces hommes qui ont la maladresse de dénigrer la société dont ils sont, au profit de la société plus facile dans laquelle ils entrent. Quand il plaisante les femmes du monde, il me blesse, car je les respecte toutes à cause de vous. Où cet amour me mènera-t il ? Je n’en sais rien, et j’ai peur !

DIANE.

Que craignez-vous ?

PAUL.

Qu’il n’y ait dans votre existence un autre souvenir que le mien.

DIANE.

Encore ?

PAUL.

Oh ! les noms du duc et de Maximilien, que je vous citais tout à l’heure, ne m’effrayent pas, et je souriais en parlant d’eux ; mais la jalousie de l’inconnu, c’est la plus terrible. Vous êtes jeune ; mais que d’années déjà vous avez passées, livrée à vous-même, entourée, flattée, aimée ! Je vous le pardonnerai si cela est, car le passé n’appartient à personne, pas même à Dieu ; mais dites-moi, Diane, s’il y a au monde un homme qui puisse, dans le fond de son âme, mêler un souvenir à votre nom ?

DIANE.

Pas un.

PAUL.

Pourquoi portez-vous toujours cette bague que j’ai trouvée, jamais une autre ?

DIANE.

Elle me vient d’une amie morte. Je lui ai promis de ne jamais la quitter. La voici ; prenez-la.

PAUL.

Non, pardon, mille fois pardon...

DIANE.

Prenez-la, au contraire. Tenez, je le veux, maintenant. Je ne vous demande pas de ne la donner jamais, puisque, moi-même, je manque au serment que j’avais fait de la garder toujours ; mais portez-la comme un talisman qui me défendra dans votre cœur contre vos souvenirs et contre les influences, et si un jour vous cessez de m’aimer, si vous ne voulez plus me revoir...

PAUL.

Oh ! Diane !

DIANE.

Cela peut être ; eh bien, si cela est, renvoyez-moi cette bague, je comprendrai.

PAUL.

Entendez-vous ?

DIANE.

Quoi donc ?

PAUL.

Le roulement d’une voiture qui s’arrête à votre porte... On dirait une chaise de poste.

DIANE se lève et va à la croisée.

C’en est une.

PAUL.

Qui donc peut arriver à cette heure ?

DIANE, regardant à la fenêtre et très tranquillement.

Mon mari.

PAUL.

Votre mari ? Votre mari ne devait revenir que dans quelques jours... Un soupçon le ramène. Diane, le comte va nous séparer ; je ne vous quitte pas.

DIANE.

Rien ne vous force à me quitter.

PAUL.

Et si le comte monte ici ?

DIANE.

Il vous verra, voilà tout. D’ailleurs, le comte ne se présente jamais chez moi qu’après s’être fait annoncer. Laissons donc mon mari revenir tranquillement chez lui ; asseyez-vous là et causons.

PAUL.

C’est étrange.

DIANE.

Oh ! nous avons une vie à part, nous autres femmes, dans ce monde tant envié. Écoutez, on marche au-dessus de nous, on ouvre les portes, – on les referme, – le comte rentre, – le comte est rentré, tout est dit.

PAUL.

Mais cette chaise de poste ne quitte pas votre porte.

DIANE.

Le postillon est venu vite et fait souffler ses chevaux.

PAUL.

Rappelez-vous, Diane, que vous m’ayez juré que rien ne nous séparerait.

DIANE.

Et qui songe à nous séparer ?

PAUL.

Ah ! tenez, il me passe des idées folles par l’esprit.

DIANE.

Dites-les.

PAUL.

Par moment, je me demande, puisque je vous aime... puisque vous dites que vous m’aimez, pourquoi nous nous soucions d’autre chose, pourquoi nous n’abandonnons pas tout pour être l’un à l’autre.

DIANE.

Paul !

PAUL.

Oh ! je sais que c’est impossible.

DIANE.

Mais rien ne nous séparera, je vous le jure, ayez confiance en moi.

PAUL.

Si vous me trompez, j’en mourrai, voilà tout !

Deux heures sonnent à la pendule.

À demain.

DIANE.

À demain.

PAUL.

Je vous verrai, n’est-ce pas ?

DIANE.

Oui. Je vous enverrai Jenny vous dire à quelle heure je pourrai vous recevoir.

PAUL.

Il n’y a pas de danger que cette Jenny ?...

DIANE.

Non ; c’est une fille dévouée.

PAUL, lui baisant la main.

Demain de bonne heure, j’aurai de vos nouvelles ?

DIANE.

Oui.

PAUL.

Comme je vous aime !... Et vous ?

DIANE.

Vous le savez bien...

Il sort.

 

 

Scène IX

 

DIANE, puis JENNY

 

DIANE.

Allons ! je suis heureuse !

Elle entr’ouvre les rideaux, regarde dans la rue et reste un instant pensive. Jenny paraît.

JENNY.

Madame la comtesse sait que M. le comte est de retour ?

DIANE.

Oui ; le comte n’a rien dit ?

JENNY.

Non, madame.

DIANE.

Il y a de la lumière dans mon appartement ?

JENNY.

Oui, madame.

DIANE.

C’est bien, laissez-moi...

Jenny sort. Diane traverse le théâtre et marche vers la porte de sa chambre ; au moment où elle y arrive, cette porte s’ouvre et le comte paraît.

 

 

Scène X

 

DIANE, LE COMTE

 

DIANE, poussant un cri.

Ah !

LE COMTE.

Je vous ai fait peur, je vous demande pardon.

DIANE.

En effet, je m’attendais si peu à vous voir paraître tout à coup et je m’explique si mal votre visite.

LE COMTE.

J’arrive, et j’avais à vous dire quelques mots.

DIANE.

Que vous ne pouviez pas remettre à demain ?

LE COMTE.

Non ; mais vous voyez que j’y ai mis de la discrétion et que je ne me suis présenté que lorsque vous avez été seule.

DIANE.

Qu’avez-vous à me dire ?

LE COMTE.

Vous vous rappelez que, le jour de mon départ, en vous disant que j’attendais une lettre ministérielle, je vous ai priée de m’envoyer cette lettre dès qu’elle serait arrivée.

DIANE.

Je vous l’ai expédiée.

LE COMTE.

Et je vous en remercie. Elle contient...

DIANE.

Une mission pour l’Allemagne, je le sais, votre sœur me l’a dit.

LE COMTE.

Vous avez donc vu ma sœur ?

DIANE.

Je l’ai vue ce soir.

LE COMTE.

Moi aussi... J’avais à lui parler dès mon retour, et je l’ai vue avant de rentrer à l’hôtel. Cette lettre contenait, en effet, une mission pour l’Allemagne ; mais ce que ma sœur ne vous a peut-être pas dit, c’est combien cette mission est importante, et qu’il me faut partir cette nuit ; et avant de partir...

DIANE.

Vous avez voulu me faire vos adieux ; je vous en sais gré. Quand partez-vous ?

LE COMTE.

À l’instant même, la chaise de poste m’attend en bas.

DIANE.

Et vous reviendrez ?

LE COMTE.

Oh ! je n’en sais rien, mais j’ai idée que je ne reviendrai pas de sitôt en France.

DIANE.

Pourquoi ?

LE COMTE.

Parce que, cette mission remplie, je compte me fixer dans un autre pays.

DIANE.

Et moi ?

LE COMTE.

C’est justement de cela que je voulais vous parler... Vous... ma chère Diane, vous m’accompagnerez, je l’espère.

DIANE.

C’est selon. Du reste, quand ce sera de votre part une décision irrévocable de vous fixer dans un autre pays que la France, vous me l’écrirez, et alors...

LE COMTE.

La décision est prise dès maintenant, et, si je me suis permis d’entrer chez vous si tard, c’est justement pour vous le dire. Donc, si vous le voulez bien, nous allons partir.

DIANE.

Partir ?

LE COMTE.

Oui.

DIANE.

Partir à cette heure-ci ?

LE COMTE.

Pourquoi pas ?

DIANE.

D’abord je n’ai aucune raison de quitter Paris, moi, et surtout si brusquement.

LE COMTE.

En avez-vous d’y rester ?

DIANE.

Non ; mais je veux réfléchir avant de m’expatrier pour toujours ; j’ai ici des parents, des amis, des habitudes que je ne veux pas abandonner encore.

LE COMTE.

Malheureusement, nous n’avons pas de temps à donner à tout cela, puisqu’il faut partir cette nuit même.

DIANE.

Eh bien, ne m’avez-vous pas dit, en partant, que vous ne me demanderiez pas de vous accompagner ?

LE COMTE.

C’est vrai ; mais j’ai changé d’idée.

DIANE.

Ah ! vous avez eu tort ; en tous cas, il fallait me prévenir plus tôt. Et d’où vous vient cette idée nouvelle ?

LE COMTE.

Elle me vient tout simplement de ce que, partant pour ne plus revenir, je désire emmener ma femme avec moi, et que, par ordre supérieur, étant forcé de partir très vite, je suis forcé de la prier de partir très vite aussi. Tout cela est très naturel.

DIANE.

Et tout cela à cause de cette mission ?

LE COMTE.

Oui.

DIANE.

Eh bien, monsieur, cette mission, nous n’en avons besoin ni pour notre fortune, ni pour notre position, refusez-la.

LE COMTE.

J’ai accepté.

DIANE.

Je ne vous savais pas si ambitieux.

LE COMTE.

Je le suis devenu, à ce qu’il paraît.

DIANE.

Soit, partez. Je vous rejoindrai peut-être ; mais, à coup sûr, je ne partirai pas aujourd’hui.

LE COMTE.

Il le faut cependant.

DIANE.

Il le faut ?

LE COMTE.

Oui.

DIANE.

Ah çà ! monsieur, je ne vous reconnais plus. Un ordre, à moi ?

LE COMTE.

Non pas un ordre, une volonté tout au plus.

DIANE.

Malheureusement, monsieur, cette volonté n’est pas la mienne... Cessons donc ce badinage et souffrez que je rentre chez moi.

Elle va à la porte qu’elle trouve fermée.

Ma porte est fermée ! que veut dire ceci ?

LE COMTE.

Cela veut dire que vous n’avez même pas besoin de rentrer chez vous. Vous changerez de costume au premier relais.

DIANE.

Cela devient sérieux, à ce qu’il paraît.

LE COMTE.

Très sérieux.

DIANE.

Du moment que vous m’avez dit avoir vu votre sœur, j’aurais dû me douter de quelque infamie.

LE COMTE.

Mais non, madame, c’est une chose toute naturelle, je vous le répète. Quoi de plus naturel qu’une femme voyageant avec son mari ? Où avez-vous vu que cela fût une infamie ? Nous sommes partis souvent ainsi, et vous ne faisiez aucune objection.

DIANE.

C’est possible, mais je ne partirai pas avant huit jours.

LE COMTE.

Réfléchissez.

DIANE.

C’est tout réfléchi.

LE COMTE.

C’est votre dernier mot ?

DIANE.

J’ai dit.

Le comte se dirige vers la cheminée et étend la main vers la sonnette.

Que faites-vous ?

LE COMTE.

Je vais sonner.

DIANE.

Pour quoi faire ?

LE COMTE.

Pour employer d’autres moyens, puisque la prière est insuffisante.

DIANE.

D’autres moyens ?

LE COMTE.

Oui, madame.

DIANE.

Lesquels ?

LE COMTE.

Tous ceux que la loi met en mon pouvoir.

DIANE.

La loi ? Vous emploierez la force ?

LE COMTE.

Oui, madame.

DIANE.

Vous ferez un scandale ?

LE COMTE.

Je ferai tout ce qu’il faudra faire pour que vous partiez.

DIANE.

Jouons cartes sur table, monsieur ; vous voulez une séparation.

LE COMTE.

Une séparation ! Non, madame, puisque, au contraire, je veux vous avoir avec moi. Faut-il sonner ?

DIANE.

Je partirai, monsieur, mais à une condition.

LE COMTE.

Laquelle ?

DIANE.

Vous me laisserez seule une heure.

LE COMTE.

Pas une minute.

DIANE.

Alors, faites ce que vous voudrez, monsieur, je reste.

Le comte sonne.

Quelle infamie !

 

 

Scène XI

 

DIANE, LE COMTE, JENNY

 

JENNY, paraissant.

Madame a sonné ?

DIANE, à part.

Brave fille ! elle se doute de quelque chose.

Haut.

Oui. Jenny, veniez, ne me quittez pas !

LE COMTE.

Sortez, mademoiselle.

DIANE.

Monsieur !

LE COMTE.

J’ordonne à cette fille de sortir...

JENNY, à l’oreille de Diane.

M. Aubry est dans la rue et ne quitte pas votre porte.

DIANE.

Je suis sauvée !

Jenny sort. Diane court vers la fenêtre.

 

 

Scène XII

 

LE COMTE, DIANE

 

LE COMTE.

Que faites-vous, madame ?

DIANE.

Moi ? Rien, monsieur ; j’attends vos moyens légaux.

LE COMTE.

Que vous a dit cette fille ?

DIANE.

Puisque vous voulez un scandale, vous l’aurez !

LE COMTE.

Madame !

DIANE.

Car il doit y avoir je ne sais quelle raison honteuse à votre conduite de ce soir, car vous ne m’aimez pas, car vous ne m’avez jamais aimée, car vous vous souciez peu de mon honneur et de ma vie. Ah ! je suis forte maintenant ! je n’ai qu’à ouvrir cette fenêtre, et, si vous m’en empêchez, je n’ai qu’à briser un carreau, et je serai sauvée ; faites un pas, monsieur, j’appelle.

LE COMTE.

C’est bien, madame ; que votre volonté s’accomplisse. Dieu m’est témoin que je voulais empêcher ce qui arrive, et que j’ai fait tout ce que j’ai pu pour vous sauver de vous-même. Vous me forcez à savoir ce que je voulais ignorer ! Soit ! Il n’y a plus rien de commun entre nous ; vous êtes libre.

DIANE, avec un cri de joie.

Libre ! enfin !

LE COMTE.

Maintenant, vous ne refuserez plus de me suivre.

DIANE.

Où donc ?

LE COMTE.

Auprès de votre père. C’est de lui que je vous tiens, c’est à lui que je dois vous rendre ; une fois là, vous ferez ce que vous voudrez.

DIANE.

Nous allons rejoindre mon père ?

LE COMTE.

Je vous le jure.

DIANE.

Vous me le jurez ?

LE COMTE.

Je vous le jure sur l’honneur, madame !

DIANE.

Eh bien, monsieur, je suis prête à vous suivre.

 

 

ACTE IV

 

Un salon d’hôtel, porte au fond, portes latérales.

 

 

Scène première

 

UNE FILLE D’HÔTEL, achevant de ranger, puis LE DUC

 

LE DUC, entrant.

Mademoiselle ?

LA FILLE.

Monsieur ?

LE DUC.

C’est bien ici l’appartement numéro 3 ?

LA FILLE.

Oui, monsieur.

LE DUC.

Il est occupé par une jeune dame et son mari ?

LA FILLE.

Oui ; monsieur et madame la comtesse de Lys, arrivés hier.

LE DUC.

Madame la comtesse a sa femme de chambre avec elle ?

LA FILLE.

Oui, monsieur, mademoiselle Jenny.

LE DUC.

Veuillez la prier de venir.

LA FILLE.

La voici justement.

LE DUC.

Laissez-nous.

 

 

Scène II

 

LE DUC, JENNY

 

JENNY.

Vous, monsieur le duc ? vous ici ?

LE DUC.

Moi-même.

JENNY.

Par hasard ?

LE DUC.

Oui, par hasard, pour tout le monde, excepté pour vous. Il faut que je parle à la comtesse.

JENNY.

Ce sera bien difficile.

LE DUC.

Pourquoi ?

JENNY.

M. le comte ne la quitte pas.

LE DUC.

Je lui parlerai devant le comte.

JENNY.

Alors, c’est autre chose, et, pour cela, vous n’avez pas besoin de moi.

LE DUC.

Mais j’avais besoin de vous pour me renseigner. En réalité, que se passe-t-il ?

JENNY.

Vous savez donc ?...

LE DUC.

Je suis un ami de madame de Lys, je viens ici pour lui rendre un service, parlez sans crainte.

JENNY.

Eh bien, monsieur le duc, une scène violente a eu lieu ; monsieur a voulu faire partir madame, telle qu’elle était, en robe de bal, à l’instant même.

LE DUC.

Comment avez-vous su cela ?

JENNY.

J’écoutais à la porte.

LE DUC.

Ah !

JENNY.

Dans l’intérêt de madame. Vous savez, monsieur, combien je lui suis dévouée, et j’avais l’espérance de pouvoir lui être utile.

LE DUC.

Et la comtesse a refusé de partir ?

JENNY.

Oui.

LE DUC.

Mais comment se fait-il qu’elle soit partie ?

JENNY.

C’est moi qui en suis cause.

LE DUC.

Comment cela ?

JENNY.

Un mot que je lui ai dit a changé la situation.

LE DUC.

Et maintenant, où va la comtesse ?

JENNY.

À Florence, rejoindre son père.

LE DUC.

Pas plus loin ?

JENNY.

Non.

LE DUC.

Et le résultat de ce voyage ?

JENNY.

Sera une séparation, je le crois.

LE DUC.

Ainsi, ils sont au plus mal ?

JENNY.

Ils ne se sont pas dit un seul mot tout le long de la route.

LE DUC.

Merci, mademoiselle. Vous pouvez prévenir la comtesse que je suis ici ?

JENNY.

Parfaitement.

LE DUC.

Appartement numéro 7. Dès qu’elle sera seule et pourra me recevoir, priez-la de me le faire dire. J’ai peut-être une bonne nouvelle à lui annoncer.

JENNY.

N’aimez-vous pas mieux la lui écrire ?

LE DUC.

Non, je préfère lui parler moi-même. Je rentre chez moi, je n’en sors pas, j’attends !

JENNY.

C’est dit.

 

 

Scène III

 

LE DUC, JENNY, LE COMTE

 

LE COMTE, paraissant, à Jenny.

Madame est levée ?

JENNY.

Oui, monsieur le comte.

LE COMTE.

Dites alors qu’on serve ici et prévenez madame. Mais je ne me trompe pas, c’est vous, monsieur le duc ?

Jenny sort.

LE DUC.

Moi-même, monsieur le comte.

LE COMTE.

Quel heureux hasard vous amène à Lyon ?

LE DUC.

Je vais en Italie. Je venais d’apprendre que vous étiez dans la maison avec madame la comtesse et je m’informais de l’heure à laquelle je pourrais lui présenter mes hommages et vous serrer la main. J’ai eu l’honneur de voir madame la comtesse mercredi dernier, elle ne m’a pas parlé de ce voyage.

LE COMTE.

Elle l’ignorait, je suis revenu ce soir-là même. Je partais, elle a consenti à m’accompagner.

LE DUC.

Et vous allez ?

LE COMTE.

Moi, je vais en Allemagne, mais je conduis la comtesse à Florence. Elle est un peu souffrante et restera là quelque temps avec son père. Vous allez prendre une tasse de thé avec nous ?

LE DUC.

Non pas. Je suis en costume de voyage, je ne fais que d’arriver et je ne saurais me présenter dans cette tenue.

LE COMTE.

Eh bien, vous y serez forcé, car voici la comtesse.

 

 

Scène IV

 

LE DUC, LE COMTE, DIANE

 

DIANE.

Comment, duc, c’est vraiment vous ?

LE DUC.

Oui, madame.

DIANE.

Vous voyagez donc aussi ?

LE DUC.

Je vais à Naples.

DIANE.

Oh ! que je suis aise de vous voir.

LE DUC.

M. le comte m’a dit que vous étiez un peu souffrante.

DIANE.

Ce ne sera rien.

LE DUC, bas.

J’ai beaucoup de choses à vous dire.

DIANE, bas.

C’est bien, plus tard.

LE COMTE, à Diane.

Comment vous sentez-vous ce matin ?

DIANE.

Mieux, merci, j’ai dormi.

LE DUC, lui baisant la main.

Madame, j’aurai l’honneur de vous revoir avant votre départ.

DIANE.

Je l’espère, je ne sortirai pas.

Le duc sort après avoir touché la main du comte. Pendant ce temps, on a servi le thé, le domestique est resté là pour servir.

 

 

Scène V

 

LE COMTE, DIANE

 

LE COMTE, assis, à Diane, assise.

Une tasse de thé ?

DIANE.

Non, merci.

LE COMTE.

Vous ne prendrez rien ?

DIANE.

Je n’ai pas faim.

LE COMTE, au domestique.

Retirez-vous.

Le domestique sort.

Voyons, ma chère Diane, regardez-moi.

DIANE.

Que je vous regarde ?

LE COMTE.

Oui, et dites-moi franchement si, depuis deux jours que nous sommes partis, vous n’avez pas eu deux ou trois fois envie de rire.

DIANE.

Est-ce une plaisanterie, monsieur ?

LE COMTE.

Je ne plaisante pas du tout, je vous demande seulement si notre position respective, depuis deux jours que nous voyageons côte à côte sans nous adresser la parole, excepté quand il y a du monde, je vous demande si cette position ne vous a pas donné envie de rire.

DIANE.

Non, monsieur.

LE COMTE.

Vous êtes bien heureuse ; moi, je ne puis pas parvenir à la prendre au sérieux.

DIANE.

Elle est pourtant sérieuse.

LE COMTE.

Permettez-moi de causer à cœur ouvert avec vous. Pourquoi sommes-nous partis ?

DIANE.

Pour aller retrouver mon père.

LE COMTE.

Dans quel but ?

DIANE.

Dans le but de nous séparer.

LE COMTE.

Pour quelle cause ?

DIANE.

Parce que nous avons à nous plaindre l’un de l’autre.

LE COMTE.

Voilà quelles étaient nos dispositions en partant. Mais depuis deux jours ?

DIANE.

Eh bien ?

LE COMTE.

Depuis deux jours que nous ne nous parlons pas, nous avons eu le temps de réfléchir.

DIANE.

J’ai réfléchi.

LE COMTE.

Et le résultat de vos réflexions ?

DIANE.

Est qu’il y a bien loin de Paris à Florence.

LE COMTE.

Oh ! vous êtes cruelle pour moi qui réfléchissais de mon côté et qui trouvais la route bien courte.

DIANE.

Voyons, monsieur, qu’est-ce que tout cela veut dire ?

LE COMTE.

Cela veut dire que ce que nous faisons est absurde, n’a ni sens, ni raison, ni possibilité ; que nous nous entêtons sur une niaiserie, et que nous ferions beaucoup mieux, après avoir embrassé votre père, de nous en revenir et de rire d’un monde qui s’apprête déjà là-bas à rire de nous.

DIANE.

Est-ce vous qui me parlez ?

LE COMTE.

C’est moi.

DIANE.

Après ce qui s’est passé ?

LE COMTE.

Que s’est-il donc passé ?

DIANE.

Vous l’avez oublié, monsieur ? vos insultes, vos violences. Vous qui aviez eu jusqu’alors la prétention d’être un homme du monde, à ce point que vous ne me demandiez compte d’aucune de mes actions, vous entrez chez moi à deux heures du matin et vous me donnez l’ordre de vous suivre, en me menaçant si je ne vous obéis pas ! Et vous me demandez aujourd’hui de quoi je me plains ? Oubliez, si vous voulez, moi, je ne le pourrais pas, quand bien même je le voudrais.

LE COMTE.

Eh bien, vous avez raison, j’ai été un maladroit ; mais, sur l’honneur, ce n’a pas été ma faute.

DIANE.

Je ne vous demande pas d’explications. 

LE COMTE.

Mais je vous en donne. Mettez-vous à ma place. Je recevais lettres sur lettres de ma sœur, qui vous en veut de je ne sais quels mots que vous lui avez dits. Cependant, je ne voulais que vous faire peur ; mais, une fois entré dans ce rôle, j’ai été forcé d’aller jusqu’au bout. Vous avez résisté, vous avez répondu par des menaces à celles que je vous faisais, vous alliez appeler – je ne sais qui – à votre secours. Il allait y avoir scandale, la nuit, scandale sur lequel il eût été impossible de revenir ; que vouliez-vous que je fisse ? J’ai paru céder ; il a bien fallu passer par tout ce que vous avez voulu, pour vous amener à partir. Eh bien, vous avez ma parole, je la tiendrai ; mais, je l’ai dit et je le répète, nous faisons une chose ridicule dont nous nous repentirons, moi plus tôt, vous plus longtemps.

DIANE.

Vous êtes un homme d’esprit, et je vous suis reconnaissante de cette tentative ; mais, de même que vous avez été forcé de pousser votre rôle jusqu’au bout, de même je suis forcée de pousser le mien : jusqu’au dénouement, que ce soit un malheur ou non.

LE COMTE.

Ce n’est plus que de l’entêtement de votre part.

DIANE.

Non, c’est mieux que cela, et ce que vous appelez un entêtement a une raison plus forte que moi.

LE COMTE.

Et c’est à cette raison que vous allez tout sacrifier ?

DIANE.

Oui.

LE COMTE.

Écoutez : si je vous parle comme je le fais, c’est que je ne vous crois pas aussi coupable que vous-même essayez de le faire croire ; si je tente de réparer le mal, c’est que je ne crois pas avoir à rougir de cette réparation, c’est que je suis un honnête homme, peut-être un homme d’esprit comme vous vouliez bien me le dire, et, enfin, je suis un homme et je connais la vie. Eh bien, discutons sérieusement comme si nous n’étions en cause ni l’un ni l’autre. Vous voulez une séparation, elle aura lieu. Quel usage ferez-vous de votre liberté ? Vous en ferez à l’instant même un esclavage au profit d’une autre personne. Cette personne que vous aimez ou croyez aimer, qui vous aime ou croit vous aimer, appréciera-t-elle à sa valeur le sacrifice que vous allez lui faire ? Dans le premier moment, oui ; plus tard, non. Songez qu’en disposant de votre vie vous disposez de la sienne sans son consentement. C’est pour un homme une chaîne bien lourde que l’existence compromise et brisée d’une femme, si belle, si aimée, si aimante que soit cette femme. Si je meurs bientôt, mais je ne vois pas pour cette combinaison de probabilités bien vraisemblables, vous pourrez par un second mariage légitimer un peu votre faute. Ce mariage sera-t-il dans de meilleures conditions que le nôtre ? En tout cas, c’est triste d’avoir à attendre la mort d’un homme dont le crime est d’être un mari, pour en épouser un dont le grand mérite est d’être un amant. Dieu me garde de suspecter un seul instant la pureté, la sincérité, l’éternité des sentiments que vous avez inspirés ; mais, en général, le grand charme de la femme mariée, c’est le mari. Une femme sacrifie à celui qu’elle aime sa réputation, sa famille, son mari, elle court lui annoncer ce sacrifice, et elle est tout étonnée, au bout de quelques jours, de le voir triste et soucieux. S’il était franc, quand elle lui demande ce qu’il a, il lui répondrait : « Je regrette votre mari ! »

DIANE.

Je vous demanderai une chose, monsieur le comte. Vous êtes jeune encore, vous avez un beau nom, tout ce qu’il faut pour plaire, de l’expérience, de la noblesse ; comment se fait-il que, m’épousant, moi qui étais jeune, sans volonté, sans parti pris, moi qui ne demandais qu’à subir l’influence d’un honnête homme, vous n’ayez pas employé toutes vos qualités à vous faire aimer de moi ? Cela vous eût été bien facile, et nous n’en serions pas aujourd’hui à nous dire les étranges choses que nous nous disons.

LE COMTE.

Vous avez raison ; mais, que voulez-vous ! notre mariage n’a pas été l’élan simultané de deux sympathies l’une vers l’autre : vous n’aviez pas l’air de m’épouser avec enthousiasme ; vous ne paraissiez pas devoir m’adorer jamais ; j’ai cru, excusez le mot, qu’il y aurait de l’indiscrétion à vous aimer. J’ai eu tort, puisque je ne suis pas homme à accepter que vous aimiez ailleurs. Oui, j’aurais pu empêcher ce qui arrive, voilà pourquoi je m’applique à le réparer, ce que je ne tenterais pas si je n’avais rien à me reprocher, ce que je n’aurais pas besoin de faire si notre mariage était à recommencer. Je crois que je ne vous connais véritablement que depuis trois jours : vous m’êtes apparue sous un nouvel aspect, avec une énergie de sentiments dont je vous croyais incapable. Je vous traitais en enfant, vous étiez, une femme, et j’ai peur maintenant de vous aimer. Avouez que ce serait jouer de malheur. Voyons, Diane, voulez-vous tenter une épreuve ? Voulez-vous que nous voyagions deux mois ? Pendant ce temps, vous réfléchirez. Si, dans deux mois, vous êtes toujours dans les mêmes dispositions, eh bien, vous serez libre.

DIANE.

Inutile, ne changeons rien à ce qui est convenu, allons trouver mon père.

LE COMTE.

Quand désirez-vous partir ?

DIANE.

Quand vous voudrez.

LE COMTE.

Aujourd’hui même ?

DIANE.

Aujourd’hui.

LE COMTE.

Je vais donner les ordres pour le départ. Mais entendons-nous ! Que dirons-nous à votre père ? Moi, je ne veux pas vous accuser. Si vous m’accusez, je vous promets de ne pas me défendre. Nous rejetterons cet événement sur l’incompatibilité d’humeurs, c’est le prétexte je plus honorable. Notre séparation n’a pas besoin d’être publique, je crois. Faites une dernière concession à votre nom et au mien, au respect de votre famille et à l’opinion du monde. Votre père seul sera dans la confidence de cette séparation réelle. Je partirai pour l’Allemagne, vous voyagerez de votre côté, nous éviterons de nous rencontrer dans les mêmes lieux... Est-ce cela ?

DIANE.

Oui.

LE COMTE.

Les affaires d’intérêt se régleront comme vous l’entendrez. Allons, comtesse, une poignée de main ; dans une heure, nous partons.

Elle donne la main au comte qui s’éloigne.

 

 

Scène VI

 

DIANE, seule, elle réfléchit un instant, puis JENNY

 

JENNY.

Madame la comtesse est seule ?

DIANE.

Disposez tout, nous partons dans une heure.

JENNY.

Madame la comtesse se rappelle que M. le duc a absolument besoin de lui parler ?

DIANE.

Dites-lui que je puis le recevoir. Que peut-il avoir à me dire ? Avez-vous demandé s’il y avait des lettres pour moi ?

JENNY.

Il n’y en a pas, madame.

DIANE.

J’espérais en recevoir une de Marceline ; c’est donc dans les moments les plus graves que l’amitié oublie ? Prévenez le duc ; j’attends.

La voix de MARCELINE, du dehors.

Oui, oui, c’est bien.

DIANE.

Mais je ne me trompe pas, c’est la voix de Marceline.

Elle court à la porte, Marceline paraît, voilée, en costume de voyage.

 

 

Scène VII

 

DIANE, MARCELINE

 

DIANE, lui sautant au cou.

Comment ! c’est toi !

MARCELINE.

Oui, c’est moi, brisée, harassée ; mais enfin je te trouve, Dieu soit béni !

JENNY.

Et M. le duc ?

DIANE.

Plus tard, allez.

MARCELINE.

Mon Dieu, que tu m’as rendue inquiète ! Que se passet-il donc ?

DIANE.

Et moi qui à l’instant t’accusais presque, moi qui disais : « Elle a reçu ma lettre et elle ne m’a pas même écrit un mot à Lyon, pour me donner du courage. »

MARCELINE.

On n’écrit pas dans ces circonstances-là, on vient. Au lieu de t’envoyer mon amitié par la poste, je te l’apporte moi-même. Pour la troisième fois, que se passe-t-il ?

DIANE.

Nous nous séparons.

MARCELINE.

Le comte et toi ?

DIANE.

Oui.

MARCELINE.

Quand ?

DIANE.

Quand nous aurons vu mon père.

MARCELINE.

À propos de quoi ?

DIANE.

Ma belle-sœur lui a tout dit.

MARCELINE.

Elle a bien fait. Continue.

DIANE.

Elle a bien fait ?

MARCELINE.

Nous n’avons pas le temps de discuter. Qui a eu l’idée de cette séparation ?

DIANE.

Moi.

MARCELINE.

Je te reconnais bien là. Et ton mari ?

DIANE.

Il y consent.

MARCELINE.

À merveille ! Une fois séparés, que ferez-vous ?

DIANE.

Il part pour l’Allemagne.

MARCELINE.

Et toi ?

DIANE.

Moi, je reviens à Paris.

MARCELINE.

Et après ?

DIANE.

Comment, après ?

MARCELINE.

Après, qu’est-ce que tu fais à Paris ? Tu ne me réponds pas. Ne trichons pas sur les mots. Après, tu deviens publiquement la maîtresse de M. Paul Aubry, ce que tu n’es pas encore.

DIANE.

Tu l’as vu ?

MARCELINE.

Je l’ai vu.

DIANE.

Où cela ?

MARCELINE.

Chez lui.

DIANE.

Tu y es allée, toi.

MARCELINE.

Moi !

DIANE.

Il m’aime, n’est-ce pas ?

MARCELINE.

Attends.

DIANE.

Qu’avais-tu donc à lui dire ?

MARCELINE.

Je voulais connaître la vérité, pour savoir ce qui me restait à faire. L’amitié pour moi n’est pas un vain mot, et, dans des circonstances comme celles-ci, son devoir est de mettre hardiment et brutalement la main à l’œuvre. Si le mal eût été irréparable, je ne serais pas venue ; mais on peut te sauver, je te sauve. J’ai donc vu M. Aubry, je lui ai dit ce qui se passait, car je connais ton caractère, et j’avais deviné cette séparation, je lui ai demandé s’il en acceptait la responsabilité, je lui ai demandé si son amour était assez grand pour te tenir lieu de l’estime du monde, de l’affection de ton père, de ta conscience, du respect de toi-même, de mon estime à moi, il m’a répondu que non.

DIANE.

Lui ?

MARCELINE.

Lui !

DIANE.

C’est impossible.

MARCELINE.

Tu en doutes ?

DIANE.

Tu mens pour me sauver.

MARCELINE, lui donnant sa bague.

Tiens.

DIANE.

Ma bague !

MARCELINE.

Doutes-tu encore ?

DIANE.

Ma bague !

MARCELINE.

M. Aubry te la renvoie. Tu sais ce que cela veut dire.

DIANE.

Ah ! Marceline ! qu’as-tu fait ? Tu as brisé toute ma vie ! Non, c’est impossible. Il a cédé à tes prières. Mais, lui, il va souffrir, il en mourra, il me l’a dit, je ne le veux pas, je ne le dois pas. Écoute, s’il me répète lui-même ce que tu m’as dit là, je partirai, je te le jure, je t’obéirai ; mais, jusque là, laisse-moi douter encore. Marceline, je t’en supplie, repars, vois-le, qu’il vienne !

MARCELINE.

Impossible.

DIANE.

Impossible, dis-tu ! pourquoi ?

MARCELINE.

Il est parti.

DIANE.

Où est-il allé ?

MARCELINE.

Je n’ai pas voulu le savoir.

DIANE, fondant en larmes et tombant dans les bras de Marceline.

Oh ! Marceline ! ton amitié est terrible !

MARCELINE.

Elle te sauve.

DIANE.

Elle me perd. Pour lui, je sacrifiais le passé, mais j’avais l’avenir ; j’aurais fait suivre ma faute de tant d’amour, de tant de persévérance, qu’un jour peut-être le monde aurait dit : « Elle aimait ! » et l’on m’eût pardonné. Nous aurions été heureux, j’en suis sûre. Au lieu de cela, ma vie est brisée pour jamais, car jamais je n’oublierai. Marceline, je suis bien malheureuse !

MARCELINE.

Du courage, Diane ! Notre grande force, à nous, femmes, c’est la résignation. Tu n’es pas le premier amour de cet homme. Rappelle-toi ces lettres que nous avons trouvées chez lui. Il aimait aussi cette femme, il l’a quittée, cependant. Qu’est-elle devenue ? Où est-elle ? Pendant qu’il en aime une autre, elle souffre, comme tu aurais souffert un jour. Crois-moi, les amours illégitimes ne portent que des fruits amers ; et, douleur pour douleur, mieux vaut celle qui résulte d’un devoir accompli que celle qui naît d’un amour épuisé. C’est la première fois que tu aimes, tu en souffres assez pour que ce soit la dernière. Après cette secousse, ton âme retrouvera peu à peu son équilibre, il te restera encore à être une honnête femme, une fille sans reproche. De loin, tu souriras à cet amour dont nul ne t’empêche de garder le pur souvenir dans le fond de ton cœur. Plus tard, vous vous rencontrerez ; quelque chose de loyal et de bon tressaillera en vous, le lien qui vous unira sera éternel parce qu’il sera fait de vos deux sacrifices et de votre estime réciproque. En attendant, nous serons là pour te soutenir, pour t’aider. Je t’aime bien, tu ne doutes pas de mon amitié, je te conterai mes chagrins, j’en ai aussi ; qui n’en a pas dans ce monde ? et ta douleur aura un terme. Allons, embrasse-moi et sois forte !

DIANE.

Que veux-tu que je fasse ? Ordonne, puisque tu as disposé de moi.

MARCELINE.

Dans quels termes es-tu avec ton mari ?

DIANE.

Il est prêt à tout pardonner.

MARCELINE.

Tu vois, Dieu te protège. Allons trouver le comte ensemble.

DIANE.

Que veux-tu que je lui dise ? j’ai les yeux pleins de larmes, il verrait bien que ma volonté est forcée. Non, va le trouver, toi ; arrange ma vie comme bon te semblera, je n’ai même plus la force de me défendre. Dis-lui que nous partirons dans une heure. Je ne demande plus qu’une heure de solitude pour pleurer à mon aise.

MARCELINE.

Merci pour toi. Pleure puisque tu souffres, mais aie confiance ; si grande que soit ta douleur, l’avenir est plus grand encore et nous t’aimerons bien.

Elle sort.

 

 

Scène VIII

 

DIANE, seule

 

Après une scène muette de larmes et de désespoir silencieux, elle essuie brusquement ses yeux.

Va, Marceline, va, tu ne sais pas ce que c’est qu’une femme qui aime.

Elle sonne. Jenny paraît.

 

 

Scène IX

 

DIANE, JENNY

 

DIANE.

Jenny, tu m’es dévouée, n’est-ce pas ?

JENNY.

Oui, madame.

DIANE.

Alors, tu vas m’accompagner, nous partons.

JENNY.

Où allons-nous, madame ?

DIANE.

À Paris. Donne-moi de l’or, des bijoux, tout ce qu’il faut, et que dans une demi-heure tout soit prêt. On frappe, vois qui c’est.

JENNY, allant ouvrir.

C’est M. le duc.

DIANE, à Jenny, qui lui remet un petit sac de voyage.

Va, et hâte-toi !

 

 

Scène X

 

DIANE, LE DUC

 

DIANE.

Vous avez à me parler ; voyons, duc, parlez, mais hâtez-vous.

LE DUC.

Comtesse, me pardonnerez-vous d’avoir deviné des choses que j’aurais dû paraître ignorer ?

DIANE, tout en préparant son petit sac.

Je pardonne tout maintenant.

LE DUC.

Et croyez-vous à mon affection dévouée, à mon amitié sincère, au seul sentiment que vous m’ayez permis d’avoir pour vous ?

DIANE, qui écoute à peine.

Oui, duc, oui, j’y crois.

LE DUC.

Alors, que je me sois trompé ou non dans mon désir de vous être utile et de vous prouver mon dévouement, vous ne m’en voudrez pas davantage ?

DIANE, qui cherche autour d’elle si elle oublie quelque chose.

Pas davantage.

LE DUC.

Eh bien, comtesse, dès que j’ai appris ce qui se passait, et je l’ai appris tout de suite, j’ai pensé que vous pouviez avoir besoin d’un ami près de vous et je suis parti.

DIANE, lui donnant la main d’un air distrait.

C’est bien, duc, merci !

LE DUC.

Mais ce n’est pas tout.

DIANE.

Quoi donc ?

LE DUC.

À peine étais-je arrivé, que j’ai trouvé ici quelqu’un, quelqu’un qui vous aime, je ne le connaissais pas, je l’ai deviné à sa pâleur, à son agitation... Il a passé toute la nuit dans la rue.

DIANE, s’arrêtant et le regardant en face.

Vous l’avez vu ?

LE DUC.

Oui ; du calme, comtesse. J’avais pressenti un malheur dans cette agitation ; je ne m’étais pas trompé. M. Paul Aubry est venu ici avec l’intention de provoquer le comte.

DIANE.

Mon Dieu ! et sa mère !

LE DUC.

Je suis allé à lui ; j’ai essayé de lui faire entendre raison... impossible !... C’est tout naturel, il vous aime.

DIANE.

Après ? Vous voyez bien que je meurs !

LE DUC.

Cependant, il a fini par me dire qu’il consentirait à cette séparation si je pouvais l’amener auprès de vous, ne fût ce qu’une minute, sans que personne le sût. Il était désespéré, il souffrait, il fallait éviter une catastrophe imminente, un scandale, j’ai consenti.

DIANE, lui serrant les mains.

Vous avez fait cela, vous ?

LE DUC.

Oui, comtesse.

DIANE.

Et il est là ?

LE DUC.

Oui...

DIANE, près de lui sauter au cou.

Ah !

Elle court vers la porte.

LE DUC.

Au nom du ciel, pas d’imprudence ! il y va de votre honneur, du mien, de la vie de M. Aubry. Le comte est sorti avec madame de Launay, il peut rentrer d’un moment à l’autre.

DIANE.

Oui, vous avez raison. Je vous promets tout ce que vous voudrez.

LE DUC.

Comme elle l’aime !

DIANE.

Mais allez donc !

 

 

Scène XI

 

DIANE, seule

 

Elle va fermer les deux portes latérales, puis elle va écouter à la porte du fond.

Un bruit de pas !... c’est lui.

Elle ouvre la porte.

 

 

Scène XII

DIANE, PAUL

 

DIANE, se laissant tomber dans les bras de Paul.

Enfin, vous voilà !

PAUL, avec un cri de joie.

Diane !...

Après avoir regardé autour de lui et résolument.

Partons !

DIANE.

Vous n’hésitez pas ?

PAUL.

Pourquoi hésiterais-je ?

DIANE.

Le serment que vous avez fait à Marceline...

PAUL.

Ne fallait-il pas détourner ses soupçons ? Je vous aime ! Il n’y a que cela de vrai !

DIANE.

J’allais partir seule pour vous chercher.

PAUL.

Ainsi vous êtes prête ?

DIANE.

Oui.

PAUL.

Vous n’avez pas peur ?

DIANE.

Peur de quoi ?

PAUL.

De tout. Savez-vous bien, Diane, quelle existence vous acceptez ?

DIANE.

Je le sais.

PAUL.

Savez-vous que nul ne saura ce que vous êtes devenue, qu’il vous faudra renoncer au monde et que le monde vous oubliera, que vous ne pourrez plus être qu’une femme qui aime et qui sacrifie tout à l’homme qu’elle aime ?

DIANE.

Je le sais.

PAUL.

Je n’ai pas de fortune, Diane ; il y aura peut-être des heures bien longues de solitude, de tristesse et même de gène à partager.

DIANE.

Tant mieux !

PAUL.

Alors, ne perdons pas une minute, partons !

 

 

Scène XIII

 

DIANE, PAUL, LE COMTE

 

LE COMTE, paraissant.

Et quand partons-nous ?

DIANE.

Mon mari !

PAUL, avec colère.

Monsieur !

LE COMTE, à sa femme.

Vous m’avez fait dire par madame de Launay que vous étiez prête à partir avec moi ; je venais vous chercher et je vous entends dire à monsieur que vous partez avec lui. Alors, je vous demande : quand partons-nous ?

PAUL.

La raillerie est inutile, monsieur, je suis à vos ordres.

LE COMTE.

Un duel, monsieur ? Vieux moyen, et, qui pis est, moyen bête. Je ne vous connais pas ; vous avez pénétré chez moi pour un rapt ; à quoi bon me battre avec vous quand j’ai le droit de vous tuer ?

DIANE.

Ah !

LE COMTE.

Tranquillisez-vous, madame. Aujourd’hui encore, je ferai tout au monde pour éviter le scandale et le bruit, et voici le seul moyen que j’emploierai. 

À Paul.

Monsieur, il est possible que la société soit mal faite, que vous ayez intérêt à réparer ses erreurs, qu’on ait eu tort de nous marier, madame et moi ; mais ce dont je suis sûr, c’est que je suis le mari de madame, que je l’aime, que je la garde et que rien, absolument rien au monde ne peut m’en empêcher, parce qu’elle est ma femme. Voilà pour le présent. Quant à l’avenir, je n’ajouterai qu’un mot ; n’y voyez pas une menace, monsieur, mais l’expression claire et simple d’une résolution implacable. Je vous donne ma parole d’honneur que, si jamais je vous retrouve auprès de madame dans les conditions où je viens de vous trouver, je vous donne ma parole d’honneur que j’use du droit que la loi m’accorde et que je vous tue.

PAUL.

C’est bien, monsieur, nous verrons.

LE COMTE.

Jusque-là, monsieur, je ne vous connais pas, et il ne s’est rien passé entre nous.

LE DOMESTIQUE, paraissant.

La voiture de madame la comtesse est prête.

LE COMTE, à Paul.

Adieu, monsieur ! 

À Diane.

Vous avez l’existence de cet homme dans vos mains, ne l’oubliez pas, madame.

Ils sortent.

 

 

Scène XIV

 

PAUL, seul

 

C’est bien, monsieur le comte, à nous deux, maintenant !

 

 

ACTE V

 

L’atelier de Paul.

 

 

Scène première

 

PAUL, seul, faisant une cigarette, l’allumant et venant se mettre devant un tableau qui est sur un chevalet

 

Je ne peux pas travailler.

On frappe. Taupin entre avec une malle.

 

 

Scène II

 

TAUPIN, PAUL

 

PAUL.

Tiens, c’est Taupin !... Bonjour, mon bon Taupin ; je suis content de vous voir... Comment allez-vous ?

TAUPIN.

Pas mal ; et vous-même ?

PAUL.

Ni bien ni mal, comme un homme qui s’ennuie... Asseyez-vous.

TAUPIN.

Où puis-je mettre cette malle ?

PAUL.

Où vous voudrez ; mais pourquoi cette malle ?... Vous arrivez de voyage ?

TAUPIN.

Non, je pars.

PAUL.

Vous partez ?

TAUPIN.

Oui ; c’est toute une histoire.

PAUL.

Est-elle drôle ?

TAUPIN.

Assez.

PAUL.

Contez-la-moi, alors. Je ne serais pas fâché de rire un peu.

TAUPIN.

Eh bien, mon cher, figurez-vous qu’il m’arrive une aventure assez cocasse.

 

 

Scène III

 

TAUPIN, PAUL, MAXIMILIEN

 

MAXIMILIEN, entrant.

On peut entrer ?

PAUL.

Ah ! te voilà, toi ? Je t’attendais.

MAXIMILIEN.

Je ne te dérange pas ?

PAUL.

Pas le moins du monde... Monsieur allait me raconter une histoire... Tu connais monsieur ?

MAXIMILIEN, saluant.

Parfaitement ! Je me rappelle m’être trouvé ici, il y a six mois, avec monsieur.

TAUPIN, saluant.

Je me souviens aussi.

PAUL.

Eh bien, mon cher, si vous pouvez raconter votre histoire devant un ami, je vous écoute.

TAUPIN.

Parfaitement ! On peut fumer ?

MAXIMILIEN, à qui Taupin s’adresse.

Parfaitement !

TAUPIN.

La pipe ?

Maximilien fait signe que oui.

Eh bien, voici la chose... 

À Maximilien.

Êtes-vous marié, monsieur ?

MAXIMILLEN.

Grâce à Dieu, non.

TAUPIN.

Quelle est votre opinion sur les femmes ?

MAXIMILIEN.

Elle est bien connue : mauvaise.

TAUPIN.

Alors je puis raconter mon histoire. 

À Paul.

Vous connaissez madame Taupin?

PAUL.

Certainement.

TAUPIN.

Vous savez combien de fois j’ai demandé à Dieu de me débarrasser d’elle ?

PAUL.

C’est vrai.

MAXIMILIEN.

Pardon ! qui est-ce madame Taupin ?

TAUPIN.

C’est ma femme, monsieur.

MAXIMILIEN, saluant.

Ah ! merci ! c’était simplement pour m’intéresser aux personnages.

TAUPIN.

Oui, monsieur, c’est ma femme, une petite personne bien désagréable.

PAUL.

Parfaitement vrai !

TAUPIN.

Ceci posé, je reprends le cours de ma narration. J’ai donc pensé que ce serait un grand bonheur pour moi d’être débarrassé de madame Taupin, comme je vous le disais tout à l’heure, soit qu’elle me fournît un prétexte de séparation, soit qu’elle consentît à décéder au milieu des plus violentes douleurs. Malheureusement, madame Taupin se portait comme un charme et m’abrutissait de sa fidélité, cette terrible vertu des femmes qu’on n’aime pas et grâce à laquelle elles peuvent vous faire tout le mal imaginable avec cette conclusion : « Je ne vous ai jamais trompé ! » Cependant, depuis quelque temps, madame Taupin était plus douce, elle était presque bonne...

PAUL.

Diable !

TAUPIN.

C’est ce que je me disais. Il devait évidemment y avoir quelque chose là-dessous. Avant-hier au soir, je me faisais cette réflexion en rentrant chez moi, tout en fredonnant un air que j’ai dans la tête depuis quinze jours. Je mettais le pied sur la première marche de l’escalier quand j’entendis ouvrir une porte qu’à son grincement je reconnus pour être la mienne ; et deux bottes, deux bottes triomphantes, deux bottes d’aplomb, deux bottes de maître de maison résonnèrent sur le carré, puis un baiser glissa dans l’air, et une voix, celle de madame Taupin, dit : « À demain, à trois heures, je serai libre, ne manquez pas... » A-t-elle dit : « Ne manquez pas », ou « Ne manque pas... » je n’en sais rien, ça m’est égal. La porte se referme et les deux bottes se mettent à descendre.

PAUL.

Alors, les vôtres se mettent à monter ?

TAUPIN.

Non pas. Je me glisse derrière la porte de la cave cachée sous l’escalier, et je vois passer un homme de cinq pieds six pouces au moins, de trente-quatre à trente-cinq ans, décoré, militaire, je le parierais, oh ! un homme superbe et fredonnant l’air que je fredonnais quelques minutes auparavant, mon air de prédilection. C’est ma femme qui le lui aura appris !

MAXIMILIEN.

Qu’avez-vous fait, alors ?

TAUPIN.

J’ai monté chez moi, je n’ai rien dit de ce que j’avais vu et entendu, j’ai embrassé madame Taupin, je l’ai appelée mon loulou, j’ai fait un grog et je me suis couché.

PAUL.

C’est plein d’intérêt.

TAUPIN.

Vous allez voir. Hier matin, j’ai préparé ma malle et j’ai dit à madame Taupin : « Je pars pour Rouen. » Je m’étonne que, depuis l’inauguration de ce chemin de fer, toutes les femmes coupables ne tressaillent pas quand leur mari leur dit un matin qu’il part pour Rouen. En effet, dès qu’un mari veut surprendre sa femme, il lui dit : « Chère bonne, je pars pour Rouen. » La femme l’accompagne jusqu’à l’embarcadère, elle l’embrasse et lui demande quand il reviendra. Il lui répond qu’il sera absent huit jours, et, arrivé à Maisons, il descend, prend le convoi qui revient à Paris, et vous devinez le reste.

PAUL.

Ainsi, cette pauvre madame Taupin ?...

TAUPIN.

Cette pauvre madame Taupin a été plus forte que moi, vous allez voir. Arrivé à Maisons, je me fais descendre. Il était une heure, je me dis : « Je prendrai le convoi de deux heures un quart, j’arriverai à Paris à trois heures ; dix minutes pour aller chez moi, dix minutes pour que l’homme superbe arrive et recommence la chanson d’hier au soir, cela fait trois heures vingt minutes : j’arriverai pour le second couplet. »

PAUL.

Alors ?

TAUPIN.

Alors, je me promène dans le parc en attendant, et devinez ce qui m’arrive !

PAUL.

Quoi donc ?

TAUPIN.

Je manque le train.

PAUL.

Ah ! ah !

TAUPIN.

Une heure de retard !... J’étais furieux, j’avais préparé une scène, je veux l’utiliser, je fais ma scène, madame Taupin se met en colère. « Eh bien, quand je vous tromperais, me dit-elle, vous n’avez pas de preuves, et je ne vous crains pas ! Je ne vous ai jamais aimé ; si vous êtes malheureux, tant pis pour vous, il ne fallait pas m’épouser. » Et, par-dessus cette conclusion, assez juste, elle me met tout bonnement à la porte en disant qu’elle est chez elle, que tout lui appartient ; ce qui est vrai. Par mon contrat de mariage, je lui ai reconnu une dot qu’elle n’avait pas ; si bien que me voilà sans domicile, mais aussi, heureusement, sans femme ! Épousez donc votre maîtresse !

MAXIMILIEN.

C’est la même histoire partout.

TAUPIN.

Vous avez été trompé aussi ?

MAXIMILIEN.

...Je fais connaissance avec une danseuse.

TAUPIN.

C’est un autre genre.

MAXIMILIEN.

J’en étais fou !

TAUPIN.

Vous vous ruinez pour elle.

MAXIMILIEN.

Suffisamment.

TAUPIN, lui tendant la main.

Et elle vous a trompé ?

MAXIMILIEN.

Complètement !

TAUPIN.

Enchanté de vous rencontrer, monsieur.

MAXIMILIEN.

Et j’ai encore reçu un coup d’épée... de l’autre, que j’avais appelé polisson.

PAUL, montrant les épées dans la panoplie.

Voilà les épées.

TAUPIN, saluant les armes.

De quoi vous plaignez-vous ? Cette aimable personne aurait pu attendre pour vous tromper que vous fussiez ruiné tout à fait, et l’autre aurait pu vous tuer.

PAUL.

Aussi, comment vas-tu être amoureux d’une femme qui fait des entrechats ?

MAXIMILIEN.

Je te conseille de plaisanter les gens qui sont amoureux ! Avec ça que tu ne l’as pas été, toi ! Parlons de toi, à propos. – Vous n’êtes pas de trop, monsieur Taupin, au contraire. – J’ai vu M. de Boursac. À quand le mariage ?

TAUPIN.

Quel mariage ?

MAXIMILIEN.

Le mariage de Paul.

TAUPIN.

Vous vous mariez ?

PAUL.

Ce n’est pas encore fait.

MAXIMILIEN.

Pourquoi ?

PAUL.

Tu le demandes !

MAXIMILIEN.

Toujours la comtesse ! Voyons, mon cher, est-ce que tu n’en finiras pas avec cette histoire-là ? Tu as pourtant fait tout ce qu’il était humainement possible de faire.

PAUL.

Soit ; mais je ne m’appartiens pas.

MAXIMILIEN.

Parce que ?

PAUL.

Parce que je me suis juré à moi-même...

MAXIMILIEN.

Quoi ?

PAUL.

De me venger.

MAXIMILIEN.

De qui ?

PAUL.

Du comte.

MAXIMILIEN.

Son crime ?

PAUL.

Tu le sais bien.

MAXIMILIEN.

Mon cher monsieur Taupin, vous connaissez l’histoire ?

TAUPIN.

Je connais la scène entre le mari et Paul, à Lyon.

MAXIMILIEN.

Il ne vous a pas dit la suite ?

TAUPIN.

Non.

MAXIMILIEN.

Écoutez : je vous fais juge. Le comte part avec sa femme, c’était son droit, qu’en pensez-vous ?

TAUPIN.

Parbleu !

MAXIMILIEN.

Que devait faire Paul ? Se trouver bien heureux d’en être quitte à si bon marché, car, en somme, ce mari pouvait le tuer ; se dire qu’il n’y avait pas à lutter contre une impossibilité, revenir à Paris, se remettre au travail, revoir sa mère, ses amis, oublier une liaison qui ne pouvait pas avoir de durée et remercier Dieu que toute sa vie ne fût pas embarrassée d’une femme. À l’égard de la comtesse, il n’avait rien à se reprocher ; ce n’était pas plus la faute de l’un que de l’autre s’ils étaient séparés ; c’était la faute des événements, des positions, des droits de la société. Eh bien, savez-vous ce que fait Paul ?

TAUPIN.

Voyons !

MAXIMILIEN.

Il se met à suivre le comte et la comtesse ; pourquoi ? je vous le demande un peu.

PAUL.

Pourquoi ? Parce que cet homme m’avait dit en face qu’il me tuerait, et cela devant une femme, chez lui, dans un moment où je ne pouvais rien lui répondre... Eh bien, cet homme est un lâche ! car je n’ai pas pu l’amener à se battre, et Dieu sait que j’ai mis tout en œuvre pour cela. Je l’ai suivi comme le chien suit son maître ; j’ai mis les pieds dans son ombre. Il descendait dans un hôtel, je le suivais ; il s’asseyait à une table, je m’y asseyais ; il sortait de sa chambre, il me trouvait sur le seuil ! – Rien. – Une statue ! – Pas une fois il n’a eu l’air de me voir. Si le courage est dans l’insensibilité, tu as raison, cet homme est brave !

TAUPIN.

À quoi bon toutes ces provocations ?

PAUL.

Vous ne comprenez donc pas : il emmenait sa femme. Si par un moyen quelconque je ne l’arrêtais pas en route, elle était perdue ! perdue pour moi, et j’aimais mieux tout que de la perdre ! Fuir lui était impossible ; il n’y avait donc qu’un moyen, c’était de tuer cet homme.

TAUPIN.

Vous êtes pour les grands, grands moyens, vous !

MAXIMILIEN.

Ou d’être tué par lui ? Il a fait ses preuves, et de plus, c’est un des meilleurs tireurs du monde... Tiens, tu es fou ! Le mari a été homme de goût et d’esprit ; il voulait garder sa femme, il l’a gardée ; il savait bien que tôt ou tard tu renoncerais forcément à cette poursuite ridicule. Un artiste ne peut pas donner longtemps la chasse à un millionnaire. Le comte n’avait qu’à aller tout droit devant lui pour se débarrasser de toi, c’est ce qu’il a fait. Il est venu un jour où l’argent t’a manqué, et tu es resté sur la route. Si amoureux que l’on soit, ce n’est pas avec deux jambes que l’on suit une chaise de poste. Il a continué son chemin, et tout a été dit. Il a fallu revenir, et pour cela écrire ici, battre monnaie, emprunter, travailler et vendre ensuite à moitié prix pour rendre. Est-ce vrai ?

PAUL.

C’est vrai !

TAUPIN.

Ah ! mon pauvre ami, vous n’y allez pas de main morte en matière de sentiment.

MAXIMILIEN.

Mais voyez un peu, mon cher monsieur Taupin, quel bonheur a ce gaillard-là. Il y a des gens qu’une équipée comme la sienne aurait tués ou ruinés. Lui, pas du tout. Il revient ; l’affaire avait transpiré juste assez pour être connue d’une vieille dame veuve, très spirituelle, qu’on nomme madame de Lussieu, et d’un vieux philosophe qu’on nomme M. de Boursac, et qui est depuis longtemps l’ami de cette dame. Madame de Lussieu désire connaître le héros de cette aventure dont elle connaît l’héroïne ; M. de Boursac le lui présente. Madame de Lussieu a une fille qui, au lieu de voir le côté ridicule de cette histoire, n’en voit que le côté romanesque. Cette jeune fille se passionne pour Paul. Elle a un million de dot ; elle est jolie comme un ange ; elle déclare qu’elle n’épousera jamais que M. Aubry. On parle de ce mariage, madame de Lussieu y consent ; Paul va dans la maison, il fait sa cour à la jeune fille, il la compromet presque, et, quand il s’agit de conclure, il hésite et repousse cette occasion, qui se présente une fois dans la vie de l’homme, d’assurer son bonheur et sa fortune.

TAUPIN.

Vous avez bien tort, mon cher ! songez donc ce que c’est : une famille ! Cinquante mille livres de rente ! Vous pourrez faire de l’art avec des pinceaux d’or. Mariez-vous, mon cher, mariez-vous.

PAUL.

Je n’aime pas cette jeune fille.

MAXIMILIEN.

Et tu aimes toujours l’autre ?

PAUL.

Peut-être.

MAXIMILIEN.

Et tu crois qu’elle reviendra ?

PAUL.

Qui sait ?

MAXIMILIEN.

Elle ne pense pas plus à te revenir que son mari ne pense à te la ramener. Une femme qui depuis six mois t’a écrit une seule lettre !

PAUL.

Lettre qui me disait : « Mon père est mourant, je reste auprès de lui ; mais je vous jure que nous nous reverrons. »

MAXIMILIEN.

Et tu crois à sa promesse ?

PAUL.

J’y croirai tant qu’elle ne m’aura pas dit un éternel adieu.

MAXIMILIEN.

Eh ! mon cher, en amour il n’y a d’adieu éternel que celui qu’on ne dit pas. D’ailleurs, comment expliques-tu son silence depuis six mois ? Car enfin une femme, et surtout une femme qui aime, trouve toujours moyen d’écrire.

PAUL.

Je ne m’explique rien, j’attends. Il y a là-dessous un mystère dont j’aurai le mot un jour, car il est impossible que tout soit fini entre Diane et moi.

MAXIMILIEN.

Alors pourquoi as-tu paru consentir au mariage qu’on te proposait ? Pourquoi as-tu laissé dire, pourquoi as-tu dit toi-même que tu allais te marier ?

PAUL.

Découragement.

MAXIMILIEN.

Il y a une autre raison.

PAUL.

Laquelle ?

MAXIMILIEN.

Seras-tu franc ?

PAUL.

Parle.

MAXIMILIEN.

Ce mariage a été pour toi le dernier moyen de faire revenir la comtesse. Tu t’es dit qu’en apprenant que tu allais te marier, si elle t’aimait encore, elle tenterait un dernier effort, et tu as fait de ce mariage autant de bruit que tu as pu : c’est ce que nous appelons de la politique d’amour.

PAUL.

Peut-être !

MAXIMILIEN.

C’est une petite infamie, mon cher, – parce que tu n’avais pas le droit de jouer avec le bonheur d’une honnête fille qui t’ai me franchement, pour une coquette qui se moque de toi.

PAUL.

Maximilien !

MAXIMILIEN.

Oh ! tu ne me tueras pas ! Je ne suis pas le mari, et, comme c’est moi qui t’ai présenté à la femme, je la connais mieux que toi. Tu mérites d’apprendre ce que je voulais encore te cacher, car j’avais pitié de ton bête de cœur, et j’espérais que la raison te reviendrait toute seule. La comtesse a appris que tu voulais te marier et elle n’est pas revenue. Sais-tu pourquoi ? – Parce qu’elle aime.

PAUL.

Qui ?

MAXIMILIEN.

La seule personne que tu ne lui pardonneras pas d’aimer.

PAUL.

Et cette personne est ?

MAXIMILIEN.

Je te le donne en mille.

PAUL.

Je ne suis pas en train de plaisanter.

MAXIMILIEN.

Tu ne devines pas ; ni vous non plus, monsieur Taupin ?... Le fait est que c’est bizarre ! La comtesse aime son mari.

TAUPIN.

Ah ! Bah !

PAUL.

Son mari ?

MAXIMILIEN.

Lui-même.

PAUL.

Tu deviens fou !

MAXIMILIEN.

Non pas ! Oh ! Diane est une femme originale. Son mari la garde, la surveille, ne lui laisse voir personne ; elle pleure d’abord ; puis, comme son cœur a horreur du repos, un beau jour elle regarde son geôlier conjugal, elle s’aperçoit qu’il est spirituel, élégant, beau garçon ; elle se dit qu’elle a été chercher bien loin ce qu’elle avait tout près d’elle, et la voilà qui aime le comte. Seulement, on dit qu’elle a trouvé moyen de le tromper avec lui-même en l’aimant comme un amant et non comme un mari. À la bonne heure ! Vivent les femmes qui savent tirer parti des situations !

PAUL.

L’histoire est ingénieuse.

MAXIMILIEN.

Elle est vraie. En veux-tu la preuve ?

PAUL.

Oui.

MAXIMILIEN.

Connais-tu l’écriture de la comtesse ?

PAUL.

Si je la connais !

MAXIMILIEN.

Croiras-tu ce que je viens de te dire si tu le vois écrit de sa main ?

PAUL.

Je le croirai.

MAXIMILIEN, lui montrant une lettre.

Reconnais-tu l’écriture ?

PAUL.

À qui est adressée cette lettre ?

MAXIMILIEN.

À madame de Launay, chez qui tu t’es présenté une fois pour avoir des nouvelles de Diane et qui a refusé de te recevoir ; il est vrai que tu lui avais fait un serment que tu n’as guère tenu. Mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Lis tout haut.

PAUL, lisant avec une émotion progressive.

« Oui, ma chère Marceline, je suis heureuse ! J’ai enfin compris le bonheur comme tu le comprends. Le calme est rentré dans ma vie que je donne toute à mon mari, que j’aime maintenant et à qui j’ai bien des choses à faire oublier. Rien ne peut te donner une idée de sa tendresse pour moi. Dieu m’a montré la véritable route ; j’y marche librement ; j’oublie le passé ; je ne le comprends même plus, et, je te le répète, je suis heureuse. Si tu veux jamais me revoir au sein de cette nouvelle vie, il faudra que tu viennes à Naples, car il est certain que je ne retournerai plus en France, le pays des souvenirs douloureux et coupables !

« Je t’embrasse, toi et ton enfant.

« DIANE. »

Comment as-tu cette lettre ?

MAXIMILIEN.

Madame de Launay me l’a lue hier ; je la lui ai demandée, elle me l’a donnée, pensant bien que je te la montrerais dès aujourd’hui.

PAUL.

Merci ! – Madame de Lussieu reçoit ce soir ?

MAXIMILIEN.

Oui.

PAUL.

Tu seras chez elle ?

MAXIMILIEN.

Oui.

PAUL.

Et tu crois que si je lui demande la main de mademoiselle Juliette, elle me l’accordera ?

MAXIMILIEN.

J’en suis sûr.

PAUL.

Je la demanderai ce soir.

MAXIMILIEN, se levant.

Allons donc ! on a bien de la peine à te rendre heureux.

PAUL.

Je te reverrai aujourd’hui ?

MAXIMILIEN.

Nous dînerons ensemble.

PAUL.

Et vous, mon cher Taupin ?

TAUPIN.

Moi, je pars ce soir, mon ami, et j’ai quelques courses à faire avant mon départ.

PAUL.

Vous dînerez avec nous, n’est-ce pas ?

TAUPIN.

Certainement.

PAUL.

Alors, à six heures, messieurs. J’ai besoin d’être seul un moment ; il faut que j’écrive à ma mère.

MAXIMILIEN.

Sois calme.

PAUL.

Je le suis. Il est de ces secousses qui font ce que dix années de raisonnement ne feraient pas.

MAXIMILIEN.

À tantôt !

PAUL.

Oui.

Il serre la main de Taupin.

TAUPIN.

Vous souffrez ?

PAUL, avec émotion.

Ce ne sera rien.

Ils sortent.

 

 

Scène IV

 

PAUL, seul

 

Il cache un moment sa tête dans ses mains et ne peut retenir ses larmes, puis se levant et s’essuyant le visage.

Allons, du courage !... Détruisons toutes les traces de ce passé menteur... Ses lettres, où sont-elles ?... Les voilà à côté de celles de Berthe... Pauvre Berthe !... qu’est-elle devenue ?... Elle m’aimait, je l’ai fait souffrir... J’aimais celle-ci, et je souffre ; c’est justice... Mais, au moins, Berthe, je garderai de toi un pieux souvenir, tandis que de cette femme je ne garderai rien...

Il prend les lettres et les déchire.

Et maintenant, écrivons à ma mère ; elle sera heureuse de la résolution que je prends.

Il écrit.

« Il n’y a qu’un amour qui ne trompe jamais, ma bonne et chère mère, c’est l’amour maternel ; si jamais je t’ai causé de la peine, pardonne-moi ; tu es bien ce que j’aime le plus au monde... Viens à Paris, j’ai besoin de l’avoir auprès de moi, j’ai besoin d’une affection sérieuse ; j’ai une douleur que tu consoleras ; il se prépare peut-être un bonheur pour moi... Ce mariage dont je t’avais parlé... » 

On heurte à la porte.

Qui vient là ? Entrez ! Personne... Je m’étais trompé... « Ce mariage dont je t’avais parlé... »

Diane, voilée, entre lentement et va en chancelant jusqu’à lui sans qu’il la voie.

 

 

Scène V

 

DIANE, PAUL

 

DIANE, appelant à voix basse.

Paul ! Paul !

PAUL, se retournant.

Madame ?

DIANE, levant son voile.

Vous ne me reconnaissez pas ?

PAUL, se levant.

Diane ! Elle !

Très froid.

Je ne me trompe pas, c’est à madame la comtesse de Lys que j’ai l’honneur de parler ?

DIANE.

Quel est ce langage ? Il y a quelqu’un ici ? Une femme ?

PAUL.

Non, madame, il n’y a que nous deux.

DIANE.

Alors, pourquoi me parler ainsi ? Que vous ai-je fait ?

PAUL.

J’ai connu autrefois une comtesse Diane qui m’avait juré d’être à moi ; cette femme est morte, puisqu’elle n’a pas tenu son serment. Vous lui ressemblez, madame, mais ce n’est pas vous.

DIANE.

Ce qu’on m’a dit est donc vrai ?

PAUL.

Et que vous a-t-on dit, madame ?

DIANE.

Que vous alliez vous marier.

PAUL.

C’est la vérité.

DIANE.

Et vous aimez cette jeune fille ?

PAUL.

Je l’aime !

DIANE.

Et vous m’abandonnez ?

PAUL.

Vous vous consolerez avec votre nouvel amour.

DIANE.

Vous savez bien, Paul, que je n’ai jamais aimé que vous.

PAUL.

Que voulez-vous, madame ! je suis las des amours menteurs...

DIANE.

Paul !

PAUL.

Et moi qui croyais que la noblesse du nom faisait la noblesse du cœur ; que la pureté du sang faisait la pureté de l’âme et qu’une grande dame ne mentait pas !... Comme vous avez dû rire de moi, madame ! mais comme je vous méprise aujourd’hui !

DIANE, se levant, avec dignité.

Monsieur, vous venez d’outrager une femme chez vous, une femme qui vous aime, qui vient de briser toute sa vie pour tenir le serment qu’elle vous avait fait. C’est le fait d’un lâche, le savez-vous ?

PAUL.

C’est possible, madame, j’ai dit ce que je pensais.

DIANE.

Soit ; mais vous avez rompu d’un seul mot tous les liens qui m’unissaient à vous. – Je vais partir, vous ne me reverrez jamais ; mais, avant de partir, j’exige que vous me donniez l’explication des étranges paroles que vous m’avez dites. Je l’exige ! je l’exige ! entendez-vous ? Et dites, maintenant, qu’avez-vous à me reprocher ?

PAUL.

Vous me le demandez ?

DIANE.

Oui, je le demande, vous le voyez bien.

PAUL.

J’ai à vous reprocher de m’avoir menti.

DIANE.

Quand ?

PAUL.

Quand, ne sachant comment rompre avec un amour trop exigeant peut-être, vous avez pris un prétexte pour manquer à votre serment.

DIANE.

Quel prétexte ?

PAUL.

La maladie de votre père.

DIANE.

Mon père était mourant, monsieur.

PAUL.

Et maintenant, il est guéri ?

DIANE.

Ne voyez-vous pas que je suis en deuil ?

PAUL.

Votre père est mort, Diane ?

DIANE, des larmes dans les yeux.

Oui, monsieur... Continuez... De quoi suis-je encore coupable ?

PAUL.

Pourquoi ce silence ? Pourquoi ne m’avoir pas écrit la vérité ?

DIANE.

Jour par jour, heure par heure, je vous ai écrit le récit de la vie douloureuse que je menais loin de vous.

PAUL.

Je n’ai rien reçu.

DIANE.

Vous mentez.

PAUL.

Diane !

DIANE.

Ce n’est plus une femme craintive et brisée qui vous parle, c’est une femme qui n’a jamais manqué ù sa parole et qui dit que vous manquez à la vôtre.

PAUL.

Je vous jure que, depuis six mois, je n’ai pas reçu une lettre de vous, je vous le jure sur ma mère.

DIANE.

Et vous ne m’avez pas écrit pour me demander la cause de ce silence ?

PAUL.

Je vous ai écrit tous les jours pendant deux mois.

DIANE.

Nous avons été trahis, alors.

PAUL, montrant la lettre qu’il vient de lire.

Mais cette lettre adressée à Marceline ?

DIANE.

Comment, vous n’avez pas compris que, pour trouver dans ma vie l’heure de liberté où je devais vous rejoindre, il fallait faire croire à tout le monde et surtout à Marceline que non seulement je ne vous aimais plus, mais que j’aimais le comte ? Dans les lettres que je vous écrivais, je vous expliquais tout cela, et, quand pour toute réponse à ces lettres, j’ai appris votre mariage, vous comprenez ce que j’ai souffert.

PAUL.

Mais ce mariage, je ne le faisais que par désespoir.

DIANE.

Ainsi, vous n’aimez pas une autre femme ?

PAUL.

Non.

DIANE.

Et vous m’aimez encore comme autrefois ?

PAUL.

Toujours autant, Diane.

DIANE.

Qu’importe le reste alors, puisque je vous aime et que nous voilà réunis !

PAUL.

Ah ! Diane, que je suis heureux !

DIANE.

Comme un instant de joie peut faire oublier six mois d’inquiétudes et de douleurs ! N’ayant rien reçu de vous, je pouvais tout supposer, et cependant je venais ici, et tout le long du chemin je me disais : « S’il allait être marié, cependant ! » J’en serais morte. Mais non, tu m’aimes toujours, tu as été cruel avec moi, tu m’as insultée. Mais qu’est-ce que cela, à côté de la crainte de n’être plus aimée ? Tu m’aimes, je ne nie souviens plus de rien.

PAUL.

Oh ! Diane, combien j’ai souffert loin de vous !

DIANE.

Quelle existence j’ai menée, moi aussi, entre l’impossibilité de quitter mon père sans commettre un crime, et le désir de tout abandonner pour revenir à toi, entre mon mari qui ne me quittait plus, qui te hait et qui m’aime... qui m’aime, comprends-tu? et le duc qui était arrivé à croire que je t’avais oublié, et à me reparler de son amour. Enfin, nous voilà réunis.

PAUL.

Oui ! et pour toujours !

Pendant ce temps, on a essayé d’ouvrir la porte d’entrée. On entend le bruit d’une clef dans la serrure.

DIANE.

Écoutez !

PAUL.

Il y a quelqu’un à cette porte.

DIANE.

Je l’ai fermée. Mais on essaye de l’ouvrir.

PAUL, très haut.

Qui est là ?

DIANE.

On ne répond rien.

Avec effroi.

C’est le comte ! Il aura tout appris ! Nous sommes perdus !... fuyons !

PAUL.

Fuir encore devant cet homme ? Non !

DIANE.

Mon Dieu !

PAUL.

Écoute, Diane : tu m’aimes, n’est-ce pas ?

DIANE.

Si je t’aime !

PAUL.

Tu n’as jamais aimé que moi ! tu m’en fais le serment ?

DIANE.

Je te le jure.

PAUL.

Et ta vie m’appartient, n’est-ce pas ? À mon amour, si je survis ; à ma mémoire, si je meurs !

DIANE.

Oui.

PAUL.

Eh bien, Diane, un dernier baiser, et que la volonté de Dieu s’accomplisse.

Il prend une paire d’épées et court vers la porte.

Je suis à vous, monsieur le Comte.

Diane s’attache à lui. Au moment où il arrive près de la porte et l’ouvre, un coup de pistolet part, le comte paraît, Paul chancelle, étend les bras et tombe.

– Ma mère !

Il meurt.

DIANE, tombant évanouie.

Ah !

TAUPIN et MAXIMILIEN, entrant par le haut.

Qu’est-ce que c’est ?... Paul mort !

LE COMTE, très calme et jetant son arme.

Oui, messieurs : cet homme était l’amant de ma femme, je me suis fait justice, je l’ai tué !

PDF