Daphnis et Zirphée (DE BEAUNOIR)

Pastorale en trois actes, mêlée de chants et de danses.

 

Personnages

 

L’AMOUR

ZIRPHÉE, Nymphe de Diane

HYALE, Nymphe de Diane

DICTINNE, Nymphe de Diane

DAPHNIS, jeune Berger

TIRCIS, jeune Berger

TROUPE DE JEUNES NYMPHES

PLAISIRS

JEUX

TROUPE DE JEUNES BERGERS

 

La Scène est en Sicile.

 

 

ACTE I

 

Le Théâtre représente dans le fond une haute Montagne, vers le milieu de laquelle, sur le côté droit, est un Temple, consacré à Diane. Au pied de la Montagne, tout le côté droit du Théâtre est occupé par une épaisse forêt. Le côté gauche en avant est couvert de rochers. En arrière est un berceau de myrtes et de chèvrefeuilles ; près du berceau est un simple. Autel de gazon, consacré à l’Amour, et derrière un trône de fleurs, plus élevé.

 

 

Scène première

 

L’AMOUR, TIRCIS, TROUPE DE JEUNES BERGERS

 

À la levée de la toile l’Amour est placé sur le trône de fleurs : une troupe de jeunes Bergers l’entoure à genoux, en lui présentant des couronnes et des guirlandes de roses.

CHŒUR DES JEUNES BERGERS.

Toi, qui fais les plaisirs et le bonheur du monde,
Dont le souffle amoureux
Rend la terre féconde ;
Amour, règne à jamais dans ces paisibles lieux.

L’AMOUR.

Jeunes Bergers, dont les nombreux troupeaux couvrent les riches campagnes de la Sicile, je vois avec plaisir qu’en vous rendant heureux je n’ai pas fait des ingrats.

TIRCIS.

Dieu charmant, souffre donc qu’à la place de ce simple autel de gazon, de ce berceau que forment le myrte et le chèvrefeuille, nous t’élevions un Temple plus digne de toi, près de celui que nos pères ont consacré à Diane.

L’AMOUR.

Non, les Temples ou brillent l’or, des autels toujours couverts de fang, ne flattent pas l’Amour : j’aime un culte plus doux, j’aime des dons plus simples. Ce berceau, cet autel me suffisent : je ne veux recevoir pour offrande que quelques fleurs et les prémices de vos fruits. Voilà le Temple, voilà le culte que j’exige de vous. Ce lieu me sera cher, et jamais le Berger amoureux, jamais la timide Bergère ne m’y invoqueront en vain ; je reposerai souvent à l’ombre de ce jeune berceau, et le préférerai à Guide et à Paphos. Allez, jeunes Bergers, les Nymphes de Diane vont sortir de son Temple, retirez-vous.

Les Bergers se retirent.

 

 

Scène II

 

L’AMOUR, seul

 

Et vous, jeunes Nymphes, qui me bravez, avant la fin du jour vous reconnaîtrez mon pouvoir... C’est toi, Zirphée, qui fera ma première victime, l’instant de ta défaite est arrivé.

Lorsqu’en voyant deux jeunes tourterelles,
Dont le plaisir semble agiter les ailes,
Dont il unit les becs voluptueux,
Nymphe rougit et détourne les yeux ;
Quand de la colombe amoureuse,
Ledoux roucoulement la rend triste et rêveuse,
Que son cœur palpite en secret,
Amour saisit ton arc, il faut lancer ton trait.

Mais les portes du Temples s’ouvrent ; fuyons, l’Amour caché n’en est souvent que plus dangereux.

L’Amour le retire et se cache sous le berceau de chèvrefeuille.

 

 

Scène III

 

ZIRPHÉE, HYALE, DICTINNE, TROUPE DE JEUNES NYMPHES

 

Les portes du Temple de Diane s’ouvrent. Zirphée en sort, suivie de ses jeunes Compagnes : leurs cheveux sont couronnés d’une simple branche de chêne, de myrte ou de laurier ; une peau de tigre couvre leurs épaules et tombe sur le genou, laissant la jambe à découvert : un léger carquois flotte sur leurs épaules ; leurs mains sont armées d’un arc redoutable ; elles descendent la montagne et s’apprêtent à s’élancer dans la forêt.

CHŒUR DES JEUNES NYMPHES.

Goûtons les plaisirs de la chasse,
Du Dieu du jour
Devançons le retour,
De Diane suivons la trace ;
Enfonçons-nous dans ces forêts,
L’Amour n’ose y lancer ses traits.

Zirphée modère leur ardeur et les retient.

ZIRPHÉE.

Arrêtez, jeunes Nymphes, un sanglier furieux, après avoir ravagé les campagnes, s’est retiré dans cette forêt, les habitants épouvantés ont imploré notre secours, et je leur ai promis de faire tomber cette bête cruelle sous nos coups : vous voyez cet arc d’or, Diane en honora mon jeune courage, il sera le prix de celle dont la flèche avide déchirera la première les flancs du sanglier. Mais avant tout examinons nos armes, et dirigeons nos flèches vers ce but, contre lequel nous venons quelquefois nous exercer.

À la voix de Zirphée tous les arcs sont tendus : elle donne le signal, la flèche part en sifflant ; mais aucune ne touche le but. Alors Zirphée choisit dans son carquois la plus légère de ses flèches ; la pose sur son arc ; la corde se détend avec bruit ; la flèche vole et va droit au but, qu’elle perce d’outre en outre.

 

 

Scène IV

 

LES MÊMES, DAPHNIS.

 

Daphnis, jeune Berger du canton, paraît dans ce moment sur la montagne ; surpris à la vue de tant de charmes, il reste immobile de plaisirs et d’admiration, et ne songe pas à se retirer. Dictinne l’aperçoit et le fait remarquer avec colère à ses Compagnes.

DICTINNE.

Zirphée, nos exercices sont profanés ; vois ce mortel audacieux, dont l’œil osent nous fixer.

Partagez mon courroux
Secondez ma colère,
Que ce téméraire
Tombe sous nos coups.

CHŒUR DES JEUNES NYMPHES.

Partageons son courroux,
Secondons sa colère,
Que ce téméraire
Tombe sous nos coups.

Zirphée ordonne à ses Nymphes de l’arrêter ; on le saisit, et on l’amène tremblant à ses pieds. À sa vue Zirphée se trouble ; mais elle cache avec soin cette tendre émotion à ses compagnes.

ZIRPHÉE.

Mortel audacieux, qui donc ta rendu si hardi d’oser fixer ton œil profane sur les Nymphes et les Compagnes de Diane ?

DAPHNIS.

Pardonnez à mon imprudence ; j’ai cru que je pouvais admirer la beauté comme j’admire l’astre du jour.

ZIRPHÉE.

Quel dessein t’amenait sur cette montagne ?

DAPHNIS.

Hier j’y pris dans des filets un jeune tourtereau ; mais tout la nuit il n’a fait que gémir, il refuse la nourriture, et semble appeler la jeune tourterelle dont il est séparé. Mon cœur n’a pu supporter sa peine, et je venais le rendre à sa compagne.

ZIRPHÉE.

Quel est ton nom ?

DAPHNIS.

Daphnis.

ZIRPHÉE.

Ton âge ?

DAPHNIS.

J’ai vu seize fois la terre couronner et d’épis et de fleurs.

ZIRPHÉE.

À quoi t’occupes-tu ?

DAPHNIS.

Je garde dans la plaine douze jeunes agneaux, confiés à mes soins.

ZIRPHÉE.

N’es-tu pas un de ces Bergers qui osent insulter à Diane, et qui tous les jours attachent une guirlande de roses à cet Autel ?

DAPHNIS.

Je ne le connais pas, et ma main ne l’a couvert encore d’aucune fleur.

DICTINNE.

Ne l’écoutes pas, Zirphée, il t’en impose, il mérite la mort.

En prononçant ces mots, Dictinne pose sur son arc une flèche pour en percer le cœur du jeune Berger, ses Compagnes l’imitent en détournant les yeux.

DAPHNIS.

Que faites-vous, Nymphes cruelles,
Contre mon cœur ne tournez pas vos dards ;
Hélas ! plus surement un seul de vos regards,
Y fait des blessures mortelles.

CHŒUR DES JEUNES NYMPHES.

Méfions-nous de ses pleurs,
Tu ne pourras nous séduire ;
Tous les Bergers veulent nuire,
Tous les Bergers sont trompeurs.

ZIRPHÉE.

Arrêtez, Nymphes de Diane, arrêtez, le sang de ce vil mortel fouillerait nos mains, et la Déesse nous reprocherait, sans doute, l’indigne usage que nous faisons de nos armes : qu’il périsse ! mais non pas sous nos coups ; son trépas serait trop glorieux : dépouillez ce jeune ormeau de ses branches encore tendres et flexibles ; attachez cet audacieux à cet arbre, et laissons-le dans cet état exposé à la fureur des bêtes féroces, qui, sans doute, ne tarderont pas à le dévorer.

Les Nymphes exécutent les ordres de Zirphée ; elles dépouillent un jeune ormeau de ses branches ; Saisissent Daphnis ; lui lient les mains, et l’attachent à un chêne.

DAPHNIS.

Prenez pitié d’un Berger malheureux :
Que mon innocence vous touche,
La menace est dans votre bouche,
Le bonheur est dans vos beaux yeux.

CHŒUR DES JEUNES NYMPHES.

Méfions-nous de ses pleurs,
Tu ne pourras nous séduire ;
Tous les Bergers veulent nuire,
Tous les Bergers sont trompeurs.

HYALE, se jetant aux pieds de Zirphée.

Ô Zirphée ! prends pitié de la jeunesse, sa peau est presqu’aussi douce que la tienne, son cœur soupire, ses yeux sont baignés de pleurs, il se plaint ; mais sans se défendre, sans nous reprocher notre cruauté...

Se relevant.

Et quel si grand crime a-t-il donc commis ? Il nous a regardées ; mais nous a-t-il insultées ? Nous a-t-il outragées ? L’innocence est sur son front, la candeur est sur ses lèvres comme dans son cœur, et il va périr.

Elle prend une des mains de Zirphée qu’elle presse contre son sein.

Ô Zirphée ! que dira son père en apprenant la mort ; combien de larmes versera sa mère : et s’il avait une sœur, s’il avait une...

Elle rougit, baisse les yeux et n’ose achever. Zirphée retire la main qu’Hyale pressait contre son sein.

ZIRPHÉE, à part.

Dieux !... Son cœur bat aussi fort que le mien !...

Haut, avec une colère feinte.

Imprudente Hyale, osez-vous bien parler ainsi, vous mériteriez... J’aurai les yeux sur vous pendant toute la chasse ; songez à mériter votre pardon... Le soleil commence à rougir les cieux, ne perdons pas de temps, volons où la gloire et l’honneur nous appellent.

À la voix de Zirphée toutes les Nymphes s’enfoncent dans la forêt.

CHŒUR DES JEUNES NYMPHES.

Goûtons les plaisirs de la chasse,
Du Dieu du jour
Devançons le retour,
De Diane suivons la trace ;
Enfonçons-nous dans ces forêts,
L’Amour n’ose y lancer ses traits.

Elles sortent.

 

 

Scène V

 

DAPHNIS, seul, attaché à un arbre, abandonné à la fureur des bêtes féroces, regarde tristement les Nymphes s’éloigner

 

On me fuit... m’abandonne...
Belles Nymphes, de mes jours
Quand vous arrêtez le cours,
Mon cœur encor vous pardonne,
Des monstres furieux je puis braver la rage,
Je n’osais braver vos coups ;
Le tigre le plus sauvage
Est moins à craindre que vous.

 

 

Scène VI

 

L’AMOUR, DAPHNIS

 

Dans ce moment l’Amour sort du berceau de chèvrefeuille et vole à Daphnis, qui, en le voyant, jette un cri de surprise et de crainte.

DAPHNIS.

Ah !...

L’AMOUR.

Rassures-toi, Daphnis, me prends-tu pour un monstre prêt à te dévorer ?

DAPHNIS.

Non, tu me semble doux ; mais ces jeunes Nymphes, qui m’ont inhumainement attaché à cet arbre, étaient belles comme toi, et paraissaient presqu’aussi douces.

L’AMOUR.

Ne crains rien, je viens te sauver de leur cruauté... Sois libre.

Il touche de la flèche les liens de Daphnis : à l’instant ils se détachent d’eux mêmes ; tombent aux pieds du Berger, et le laissent libre. Son écharpe seule reste embarrassé dans les liens.

DAPHNIS.

Comment pourrai-je jamais reconnaître ca bienfait ?...

L’AMOUR.

En suivant mes lois.

DAPHNIS.

Qui donc es-tu ?

L’AMOUR.

Le plus petit, mais le plus puissant des Dieux ; celui par qui tout vit : à ces traits, Daphnis, peux-tu méconnaître l’Amour...

DAPHNIS.

L’Amour !...

LAMOUR

Lui-même.

DAPHNIS.

Est-ce toi dont les Bergers de ce canton célèbrent les bienfaits ; à qui ils ont élevé ce simple Autel couvert de fleurs ?

L’AMOUR.

C’est moi...

DAPHNIS.

Mais tous les Dieux, m’a-t-on dit souvent, veillent sur les humains. Jupiter, la foudre à la main, gouverne l’Univers ; Apollon, monté sur un char de feux, dispense la lumière ; Cérès fertilise nos Campagnes ; Pan protège les Troupeaux et les Bergers, et toi ?

L’AMOUR.

Moi... je fais des heureux.

DAPHNIS.

Tu fais des heureux, et tu es armé.

L’AMOUR.

Armé par la Beauté, je ne le suis que pour le bonheur.

De l’Amour la flèche toujours sûre,
Sans faire la moindre blessure,
Pénètre jusqu’au cœur ;
Et quand de la piqûre
Une Nymphe murmure,
Le Plaisir sur le champ apaise la douleur.

Éprouves-en toi-même l’effet.

Il touche d’une des es flèches le cœur de Daphnis ; le jeune Berger jette un cri de plaisir.

DAPHNIS.

Ah, Ciel ?...

L’AMOUR.

Es-tu blessé ?

DAPHNIS.

Non... Mais quel est donc le changement que j’éprouve ?

Quel trouble soudain,
Éprouve mon âme.

L’AMOUR.

C’est un trait de flamme,
Qui brûle ton sein.

DAPHNIS.

Un sang tout de feu,
Coule dans mes veines.

L’AMOUR.

On devient un Dieu,
En portant mes chaînes.

DAPHNIS.

Un trait de lumière
Frappe mon esprit ;
Mon âme s’éclaire.

L’AMOUR.

Ton cœur s’agrandit.

DAPHNIS.

Mais il me manque encore quelque chose, que je cherche autour de moi sans savoir ce que ce peut être... Ô Dieu charmant ! achève ton ouvrage, donnes-moi ce que je cherche ?

L’AMOUR.

Songes, songes plutôt à sauver tes jours, Zirphée va reparaître.

DAPHNIS.

Zirphée !

L’AMOUR.

Oui... Cette Nymphe barbare qui voulait ta mort.

DAPHNIS.

Qu’elle était belle.

L’AMOUR.

C’est par son ordre cruel que ses Compagnes t’ont lié à cet arbre.

DAPHNIS.

Reviendra-t-elle seule ?

L’AMOUR.

Oui : évite avec soin la présence.

DAPHNIS.

Pourquoi ?

L’AMOUR.

Elle te tuera.

DAPHNIS.

Non, non.

La Beauté n’est jamais cruelle,
Elle peut quelquefois lutiner les amours :
Mais tendre, sensible, fidèle,
À sa douceur elle doit ses beaux jours.
La douceur prête encor un charme à la beauté ;
Pour connaitre la cruauté,
Ma Nymphe est trop belle,

L’AMOUR.

Je t’avertis du danger.

DAPHNIS.

Vas : tout ce que je crains, c’est de ne la plus revoir... Je l’adore...

L’AMOUR.

Et ton amour est mon ouvrage... Je l’achèverai, Daphnis... Mais Zirphée va paraître, suis moi, je le veux, suis moi...

DAPHNIS.

Je ne le puis...

L’AMOUR.

Obéis-moi.

DAPHNIS.

Que tu es cruel.

L’Amour entraîne Daphnis malgré lui sous le berceau. Daphnis en se retirant laisse son écharpe dans les liens.

 

 

ACTE II

 

 

Scène première

 

ZIRPHÉE, seule, sort de la forêt et s’avance grands pas vers l’arbre auquel elle a fait attacher Daphnis

 

Surprise de ne l’y plus trouver, elle l’appelle tendrement.

Daphnis... Daphnis... mes cris sont superflus ;
Il fuit, ce Berger trop aimable,
Il fuit en me croyant une âme impitoyable :
Daphnis, ne te verrai-je plus ?

Elle le cherche avec inquiétude.

Ne crains rien, ce n’est plus une Nymphe en fureur,
Qui veut verser ton sang, qui veut percer ton cœur ;
C’est une amante en pleurs, l’amante la plus tendre,
Qui vient sauver tes jours ; Daphnis, daigne m’entendre.

Elle aperçoit l’écharpe de Daphnis embarrassée dans les liens.

Que vois-je !... son écharpe en ces liens restée...
C’en est donc fait, mon malheur est certain...
Un monstre furieux a déchiré son sein :
Daphnis expire en maudissant Zirphée !

Elle se livre au plus affreux désespoir.

De ma sévérité, malheureuse victime,
À quoi te sert mon repentir ;
Je t’adorais... Ton trépas fut mon crime,
Ma main va m’en punir !

Zirphée lève sur son sein le plus aigu de ses traits, et est prête à s’en percer le cœur.

 

 

Scène II

 

ZIRPHÉE, DAPHNIS

 

Dans ce moment Daphnis s’élance de dessous le berceau, vole à Zirphée, arrête son bras, la désarme et tombe à ses pieds. Zirphée pâlit de joie, rougit de plaisir, baisse les yeux, et n’a pas la force de retirer sa main, que Daphnis presse amoureusement dans les siennes et qu’il couvre de baisers brûlants ; ils se regardent tendrement et restent dans le silence.

DAPHNIS.

Ô ma Zirphée !... Tu m’aimes ?...

ZIRPHÉE, d’une voix basse et timide.

Je t’aime !... Mais toi, Daphnis ?...

DAPHNIS.

Je t’adore !...

ZIRPHÉE.

Je t’ai parue cruelle ; me pardonneras-tu ?

DAPHNIS.

Tu parles de pardon quand tu fais mon bonheur.

ZIRPHÉE.

Mes Compagnes sont jeunes, elles sont belles ; verras-tu sans émotion leurs attraits ? Me seras-tu fidèle ?

DAPHNIS.

Ô ma Zirphée ! ton doute m’afflige : tes Compagnes sont belles, sans doute ; mais aucune n’a pour moi les charmes de Zirphée... Écoute ; vois-tu ce simple Autel ?

ZIRPHÉE.

Il est consacré à l’Amour.

DAPHNIS.

L’Amour et le Dieu du bonheur,

ZIRPHÉE.

Diane m’a recommandé d’éviter avec soin et l’Autel et le Berceau.

DAPHNIS.

Diane a-t-elle un cœur de marbre ? Endymion en sut trouver la route. Endymion était-il plus tendre que Daphnis ?

ZIRPHÉE.

Il n’était pas plus aimé.

DAPHNIS.

Viens donc à cet Autel, ma Zirphée ; prenons ce Dieu lui-même à témoin de nos serments... Tu hésites ?

ZIRPHÉE.

Ô Diane ! pardonne au pouvoir invincible qui m’entraine aux pieds de cet Autel.

Elle suit en tremblant Daphnis à l’Autel de l’Amour : tous deux la main posée sur l’Autel, s’y jurent une tendresse éternelle.

DAPHNIS, ZIRPHÉE.

Âme de l’Univers, consacre notre ardeur,
Nous nous jurons une flamme éternelle ;
Daigne ferrer les nœuds d’une chaine si belle,
La constance fait le bonheur.

DAPHNIS.

Si jamais j’oubliais les charmes de Zirphée,
Ferme à l’instant mes yeux à la clarté du jour !

ZIRPHÉE.

Si je trahis son amour,
Tiens à jamais ma paupière baisée !

Ensemble.

Âme de l’Univers, consacre notre ardeur,
Nous nous jurons une flamme éternelle ;
Daigne serrer les nouds d’une chaîne si belle,
La constance fait le bonheur.

La foudre gronde.

DAPHNIS.

Zirphée, le Ciel approuve notre tendresse.

ZIRPHÉE.

Daphnis, l’Amour a reçu nos serments.

DAPHNIS, ZIRPHÉE.

À jamais aimons-nous
Est-il un sort plus doux ?

ZIRPHỆE.

La volupté suprême,
Est d’aimer constamment.

DAPHNIS.

Le Dieu d’amour lui-même,
N’est heureux qu’en aimant.

ENSEMBLE.

À jamais aimons-nous,
Est-il un sort plus doux ?

ZIRPHÉE, en attachant au bras de Daphnis un simple collier qu’elle avait à son col.

De ma félicité,
Daphnis, reçois ce gage.

DAPHNIS, en lui offrant un nœud de ruban qui orne son chapeau et que Zirphée place sur son cœur.

De ma félicité,
Daigne accepter l’hommage.

ENSEMBLE.

À jamais aimons-nous,
Est-il un sort plus doux ?

ZIRPHÉE.

Daphnis, il faut nous séparer.

DAPHNIS.

Nous séparer, Zirphée ?

ZIRPHÉE.

Je dois cacher ma faiblesse, ou plutôt mon bonheur à mes Compagnes, elles en seraient jalouses, et la moindre indiscrétion me pendrait ; dérobons, s’il se peut, notre amour à tous les yeux. Ne quitte pas ce berceau charmant ; quand la chasse sera finie, que j’aurai ramené mes Compagnes dans le Temple de Diane, je profiterai de l’obscurité de la nuit pour venir t(y rejoindre.

DAPHNIS

Tu me quittes ?

ZIRPHÉE.

Il le faut.

Daphnis veut en vain la retenir, Zirphée lui donne un léger baiser sur le front, s’échappe de ses bras et vole rejoindre Ses Compagnes.

 

 

Scène III

 

DAPHNIS, seul

 

Amour, je te dois le bonheur,
Amour, couronne ton ouvrage,
Ramène encor sous ce feuillage
La Nymphe qui soumit mon cœur.

C’est du premier moment qu’on aime,
Qu’on connaît le prix du jour ;
Mon âme en s’ouvrant à l’amour,
A senti la volupté même.
Ce n’est que du premier moment qu’on aime,
Qu’on connaît le prix du jour.

Amour, je te dois le bonheur,
Amour, couronne ton ouvrage,
Ramène encor sous ce feuillage
La Nymphe qui soumit mon cœur.

Daphnis cueille plusieurs fleurs, dont il forme un bouquet pour Zirphée.

Charmantes fleurs, rose nouvelle,
Pour la parer unissez-vous,
Vous êtes moins brillantes qu’elle,
Elle est aussi fraîche que vous.

Amour, je te dois le bonheur,
Amour, couronne ton ouvrage,
Ramène encor sous ce feuillage
La Nymphe qui soumit mon cœur.

 

 

Scène IV

 

HYALE, DAPHNIS

 

On entend dans le loin tain de la forêt Hyale, qui s’avance en chantant la Ronde suivante.

Ronde.

Au bord de la fontaine
Au pied de ce vallon,
La jeune Célimène
Conduisait son mouton :
S’en allant sautant,
S’en allant chantant,
S’en allant disant ;
Gardez-vous bien, jeunes filles,
Des amants,
Ils sont trompeurs et méchants.

Tircis s’approchant d’elle,
D’un air tendre lui dit,
Je te serai fidèle,
Célimène sourit :
Puis s’en va sautant,
Puis s’en va chantant,
Puis s’en va disant ;
Gardez-vous bien, jeunes filles,
Des amants,
Ils sont trompeurs et méchants.

Vers le bois, Célimène
Aussitôt court et fuit,
Sans pitié de la peine,
Le barbare la suit :
S’en allant sautant,
S’en allant chantant,
S’en allant disant ;
Que craignez-vous, jeunes filles,
Les amants
Ne font trompeurs ni méchants.

Dans ce bois solitaire,
On ne sait ce qu’il fit ;
Mais la pauvre Bergère
En en sortant rougit :
Tout en soupirant,
S’en revint pleurant,
S’en revint disant ;
Gardez-vous bien, jeunes filles,
Des amants,
Qu’ils sont trompeurs et méchants !

HYALE, arrive en sautant, le plaisir brille dans ses yeux ; elle aperçoit Daphnis, et vole à lui d’un air gai.

Ah ! vous voilà, jeune Berger ; j’ai quitté mes Compagnes pour venir vous délivrer : on m’a prévenu, j’en suis fâchée ; car j’aurais eu bien du plaisir à vous rendre la liberté.

DAPHNIS.

Je vous en ai le même obligation, et jamais je n’oublierai le tendre intérêt que vous avez daigné prendre à mon sort.

HYALE.

C’est que du premier moment que je vous ai vu, vous m’avez plu.

DAPHNIS.

Comment vous en marquer toute ma reconnaissance ?

HYALE.

En m’aimant.

DAPHNIS.

En vous aimant ?...

HYALE.

Sans doute... Est-ce que l’amour vous fait peur ?

DAPHNIS.

Non... Mais...

HYALE.

Je suis jeune, jolie, je vous aime ; pourquoi ce mais ?

DAPHNIS.

Un simple Berger...

HYALE

Un simple Berger vaut un Dieu quand il plaît ; je suis franche comme vous voyez ; le culte de Diane me fatigue ; mes Compagnes m’ennuient ; je n’aime plus la chasse, et je trouve qu’à vingt ans la garde de son cœur est par trop difficile ; il me manque quelque chose, c’est un amant, et je vous choisis.

DAPHNIS.

Vous me faites trop d’honneur.

HYALE.

Ne parlons que de plaisir : est-ce que vous ne voulez pas m’aimer ?

DAPHNIS.

Je ne dis pas cela.

HYALE.

Tant mieux : voilà de belles roses, donner les moi. Vous me refusez ?

DAPHNIS.

Les voilà. Elle est charmante.

HYALE.

Vous semblez ne me les donner qu’avec peine.

DAPHNIS.

Je les destinais...

HYALE

À quelque jeune Bergère ?

DAPHNIS

Il est vrai.

HYALE.

Vous lui en cueillerez d’autres.

DAPHNIS.

Mais !...

HYALE.

Quoi ! mais !...

DAPHNIS.

Si je l’aimais...

HYALE.

Hé bien ?

DAPHNIS.

Je ne pourrais être votre amant.

HYALE.

Pourquoi ?

DAPHNIS.

Est-ce qu’on peut aimer deux Belles à la fois ?

HYALE.

Sans doute.

DAPHNIS.

Mais la fidélité ?...

HYALE.

N’est qu’un léger filet,
Qu’un Berger discret,
Avec adresse sait tendre,
Pour surprendre
L’innocente Beauté,
Que retient la timidité ;

Mais qui veut bien s’y laisser prendre.

DAPHNIS.

Vous ne seriez donc pas fidèle, vous ?

HYALE.

Si fait... Tant que mon Berger me plairait plus qu’un autre.

DAPHNIS.

Mais il ne vous plairait peut-être pas toujours ?

HYALE.

Je n’en sais rien... L’Amour n’a qu’un flambeau ; mais l’Amour a deux ailes.

DAPHNIS.

Et vous appelez cela, aimer ?

HYALE.

Oui.

DAPHNIS.

Il y a donc deux Amours ?

HYALE.

Certainement.

DAPHNIS.

Je ne le savais pas.

HYALE.

L’un est fils du plaisir, l’autre du Sentiment.
Sensible, mais langoureux,
Toujours les yeux mouillés de larmes,
De ses pleurs arrosant ses armes,
Fuyant les plaisirs et les jeux ;
Traînant après lui les peines,
Et le soupçon outrageant,
Marchant courbé sous des chaines ;
Voilà l’Amour à Sentiment.

Il est un autre enfant,
Que le plaisir sans cesse
Suit avec l’allégresse,
Joyeux et sémillant ;
Armé de deux ailes,
Léger comme le zéphyr,
Il caresse toutes les Belles ;
Voilà l’Amour, fils du Plaisir.

DAPHNIS.

Ah ! vous en faites un portrait charmant.

HYALE.

Il est encore plus doux de le connaître.

DAPHNIS.

Je vous crois... Et je voudrais bien...

HYALE.

Faire connaissance avec lui ?

DAPHNIS.

Oui...

HYALE.

Je vois bien que vous êtes encore sans expérience, je veux vous instruire.

DAPHNIS.

Je vous en aurai bien de l’obligation.

HYALE.

Et que me donnerez-vous pour mes leçons ?

DAPHNIS.

Tout ce que vous voudrez...

HYALE.

Eh bien ! donnez-moi... Qu’est-ce que c’est que ce ruban ?

DAPHNIS.

Oh !... C’est...

HYALE.

Un don de l’Amour à Sentiment, je gage ; je reconnais bien la sa triste écharpe... Votre Bergère vous l’a donné ?

DAPHNIS.

Oui...

HYALE.

Je le veux.

DAPHNIS.

Impossible.

HYALE.

Pourquoi ?

DAPHNIS

Que penserait-elle de ma fidélité ?

HYALE.

Encore votre fidélité : mais défaites-vous donc de ce mot, il est du règne de Saturne. Tenez, vous voyez bien cette couronne de myrte, un jeune Satyre me l’offrit hier ; elle me parut charmante : donnez-moi votre ruban, je vous donnerai ma couronne.

DAPHNIS.

Mais !...

HYALE.

Mais vous ne méritez pas les bontés qu’on veut avoir pour vous... Tenez...

Elle détache sa couronne et la présente à Daphnis : il n’y a pas plutôt porté la main qu’il se trouble.

DAPHNIS.

Ô Ciel !... Quel trouble j’éprouve !... Quel feu me brûle !... Ah ! prenez-le... Prenez-le...

Hyale s’empare du collier de Zirphée ; à l’instant la foudre gronde, le ciel s’obscurcit, un nuage épais se répand sur les yeux de Daphnis, et les ferme à la clarté du jour.

Dieux !... Qu’ai-je fait ?

HYALE.

Qu’avez-vous donc ?

DAPHNIS.

Vous m’avez perdu... Malheureux que je suis, j’ai trahi l’Amour ; l’Amour m’a puni : c’est vous qui causez mon malheur ; c’est cette maudite couronne qui m’a troublé.

Il jette avec fureur loin de lui la couronne d’Hyale, et s’abandonne au plus affreux désespoir.

HYALE.

Que faites-vous ?...

DAPHNIS.

Éloignez-vous, cruelle... Je pourrais...

HYALE

Que voulez-vous donc dire ?

DAPHNIS.

J’avais juré sur cet Autel un attachement éternel à la plus belle des Nymphes ; j’ai prié l’Amour de fermer mes yeux à la clarté du jour, si jamais je la trahissais ; je l’ai trahi pour vous ; un voile épais couvre ma paupière, et jamais je ne verrai celle que j’adore.

HYALE.

Je vous plains... Adieu.

DAPHNIS.

Vous me quittez : et vous disiez que vous m’aimiez.

HYALE.

L’Amour porte un bandeau, mais il n’est pas aveugle. Adieu, je suis obligée d’aller rejoindre mes Compagnes.

Elle s’enfonce dans la forêt.

 

 

Scène V

 

DAPHNIS, seul

 

Elle m’abandonne... Que vais-je devenir ?... Où fuir ?... Ô, ma Zirphée, je ne te verrai donc jamais !... Jamais !

Il marche en s’appuyant de rochers en rochers, s’assoit tristement sur un quartier de pierre et s’y abandonne à toute sa douleur.

Dieux ! mon cœur bat, il palpite ; Zirphée s’avance.

Il fait un mouvement involontaire pour aller à elle, se lève et retombe désespéré.

Ô ! comment oserais-je reparaître à ses yeux ?

Il laisse tomber sa tête sur son sein, et couvre ses yeux de ses deux mains.

Redoublons, s’il se peut, le nuage épais qui couvre ma paupière !

 

 

Scène VI

 

ZIRPHÉE, DAPHNIS

 

Zirphée arrive ; appelle Daphnis ; le cherche ; l’aperçoit, et vole à lui.

ZIRPHÉE.

Daphnis... Daphnis... Eh ! quoi Daphnis, ne m’entendiez-vous pas ?

DAPHNIS.

Fuyez... Éloignez vous à jamais d’un malheureux.

ZIRPHÉE.

Tu m’as trahie.

DAPHNIS.

Les Dieux m’en ont puni.

ZIRPHÉE.

Tu m’as trahie.

DAPHNIS.

Non... Mon cœur vous est toujours reste fidèle, mais un pouvoir invincible a pour un instant troublé ma raison... Ne m’aimes plus.

ZIRPHÉE.

Ne plus t’aimer, cruel !... Est-il en mon pouvoir ?

DAPHNIS.

Laissez-moi ?...

ZIRPHÉE.

Moi, t’abandonner !... Non, jamais... Jamais... Ton infortune te rend plus cher à ta Zirphée.

DAPHNIS.

Ah ! combien vous augmentez mon crime et mes remords.

ZIRPHÉE.

Mais, comment ?...

DAPHNIS.

Ne m’interrogez pas... Une de vos Compagnes est venue... Que vous dirai-je ?... Ce ruban... Ce gage de votre amour...

ZIRPHÉE.

Tu le lui as donné ?...

DAPHNIS.

Non, non... Elle même... À l’instant un nuage épais a couvert mes yeux... Mais c’est moins la lumière que je regrette que la vue de Zirphée...

ZIRPHÉE.

Le Ciel a fermé tes yeux ; mais ton cœur ?

DAPHNIS.

Ah ! oui, mon cœur te voit.

ZIRPHÉE.

Il me suffit...

Il est un charme dans les pleurs,
Et la tristesse a ses douceurs,
Pour deux amants qu’Amour rassemble,
C’est un plaisir encor de soupirer ensemble.

Les chiffres du bonheur,
Sont tracés sur le sable,
La chaîne du malheur
Est la plus durable.

Il est un charme dans les pleurs,
Et la tristesse a ses douceurs,
Pour deux amants qu’Amour rassemble,
C’est un plaisir encor de soupirer ensemble.

DAPHNIS, avec l’accent de la plus grande douleur.

Pourquoi bêtes féroces ne m’ont-elles pas dévoré ?

ZIRPHÉE.

Daphnis, calme ton désespoir. Écoute-moi, l’Amour chérit cet Autel ; jamais, dit-on, l’amante infortunée ne l’y invoqua en vain, je vais lui faire un sacrifice, et tâcher par mes pleurs d’apaiser sa colère et de mériter ton pardon... Viens, Daphnis, viens...

DAPHNIS.

Où me conduis-tu ?

ZIRPHÉE.

Sous ce berceau qui devait être témoin de nos plaisirs, qui ne le fera que de nos larmes.

Elle conduit Daphnis sous le berceau de chèvrefeuille.

 

 

ACTE III

 

 

Scène première

 

ORPHÉE, seule, ressort du berceau, tenant de sa main une couronne de rose

 

Elle la pose sur l’Autel de l’Amour, devant lequel elle se prosterne, l’embrasse et l’arrose de ses larmes.

Ô toi, qui règne sur les cœurs ;
Toi, qui fait le bonheur de tout ce qui respire,
Dont l’Univers chérit l’empire,
Amour, sois sensible à mes pleurs.

Lorsque tu frappes mon amant,
Je gémis du coup qui l’accable ;
Tu ne peux punir le coupable,
Sans déchirer un cœur constant.
Vois son amante à ces genoux,
Plus qu’elle ne fois pas sévère,
Lorsque mon cœur est sans colère,
Conserveras-tu ton courroux ?

Ô toi, qui règne sur les cœurs ;
Toi, qui fais le bonheur de tout ce qui respire,
Dont l’Univers chérit l’empire,
Amour, sois sensible à mes pleurs.

Un éclair sillonne les cieux, la foudre tombe sur l’Autel, l’enflamme, et trace dessus en caractères de feux cet Oracle.

« Tu ne peux rendre la lumière
« À ton infidèle amant
« Qu’en l’unissant à la Nymphe légère,
« Qui le rendit inconstant.

En lisant cet Oracle funeste, elle s’abandonne au désespoir, et dit.

Daphnis !... Tu reverrais le jour pour ma rivale... Non, non, périsse plutôt, Daphnis, que d’être uni à cette Nymphe que j’abhorre ! Qu’il reste à jamais privé de la lumière... À jamais... Ô, Zirphée ! c’est donc toi qui ordonne son supplice ! Plus sévère, plus cruelle que le Dieu même, tu condamnes ton amant à un aveuglement éternel !... Et tu l’aimes... Montre-le lui donc en sacrifiant ton bonheur au sien...

Les Nymphes dans ce moment font retentir du forêt de leurs Chants de victoire.

CHŒUR DES NYMPHES, dans la forêt.

Chantons, célébrons Hyale,
Tout tombe sous son trait vainqueur,
Aucune Nymphe ne l’égale,
En beauté comme en valeur,
Chantons, célébrons Hyale,
Tout tombe sous son trait vainqueur.

 

 

Scène II

 

ZIRPHÉE, HYALE, DICTINNE, TROUPE DE JEUNES NYMPHES

 

Les Nymphes victorieuses sortent de la forêt ; Dictinne s’avance à leur tête, tenant Hyale par la main.

HYALE.

Célébrez moins mon courage,
Le bonheur seul a dirigé mes coups,
Et mon triomphe ne m’est doux,
Que quand l’amitié le partage.

CHŒUR DES NYMPHES.

Chantons, célébrons Hyale,
Tout tombe sous son trait vainqueur,
Aucune Nymphe ne l’égale,
En beauté comme en valeur.
Chantons, célébrons Hyale,
Tout tombe sous son trait vainqueur.

DICTINNE, présentant Hyale et Zirphée.

Zirphée, ce sanglier terrible, qui portait partout la terreur et la mort, vient de tomber sous nos coups, mais c’est le javelot d’Hyale qui le premier s’est teint de son sang ; qu’elle reçoive de ta main le prix de son courage.

Dans ce moment Zirphée aperçoit au bras d’Hyale le collier qu’elle a donné à Daphnis ; elle reconnaît en elle sa rivale.

ZIRPHÉE, à part.

Que vois-je !... C’est mon collier dont la perfide se pare ; c’est ma rivale qu’il faut que je couronne !... Ô ! ma fierté, affermis mon cœur...

Haut.

Approchez, Hyale, recevez de mes mains cet arc que je promis à la valeur.

Elle lui présente son arc ; Hyale, en le recevant, lui baise la main.

Les traits qui partent de vos mains, son donc aussi sûrs que ceux que lancent vos yeux.

HYALE.

Que voulez-vous dire ?

ZIRPHÉE.

Pourquoi dissimuler ?... D’où vous vient ce ruban ?...

HYALE.

Ce ruban ?...

ZIRPHÉE.

Imitez ma sincérité... Jeunes Nymphes, que Diane avait confiées à mes soins, écoutez-moi... Ce jeune Berger, dont ce matin je commandais la mort, a vaincu ma fierté ; je l’aime... J’ai trahi pour lui les lois de Diane, en lui jurant un amour éternel : mais infidèle à ses serments, il a trompé ma tendresse... Vos charmes, Hyale, m’ont enlevé son cœur !...

HYALE.

Moi ?...

ZIRPHÉE.

Vous... Je n’en puis douter, puisque je vois votre bras serré de ce ruban qu’il reçut comme un gage de ma foi.

HYALE.

J’ignorais vos engagements.

ZIRPHÉE.

Ils sont rompus à jamais ; les Dieux l’ont puni de son parjure en fermant ses yeux : mais l’Amour s’est laissé toucher par mes larmes, et Daphnis reverra la lumière si vous daignez lui accorder votre main... Y consentez-vous ?

HYALE.

Avec plaisir.

ZIRPHÉE.

Je vais vous l’amener.

 

 

Scène III

 

LES MÊMES, DAPHNIS

 

ZIRPHÉE va chercher Daphnis sous le berceau et l’amène au milieu de ses Compagnes.

Daphnis, le Dieu qui reçut sur cet Autel vos serments et les miens, le Dieu qui vous a puni de votre inconstance, s’est laissé désarmer par mes pleurs ; vous allez recouvrer la lumière, en vous unissant pour toujours à l’objet de votre tendresse.

DAPHNIS.

Je reverrai Zirphée !... Comment te témoigner toute ma reconnaissance ?...

ZIRPHÉE.

J’aurai fait votre bonheur ; il me suffit... Suivez-moi... Approchez Hyale...

Elle conduit Daphnis à l’Autel de l’Amour, et lui présente la main d’Hyale, que Daphnis prend pour la sienne et qu’il serre amoureusement.

Répétez le serment que je vais prononcer : Amour, reçois mon nouveau serment : je jure sur ton Autel...

DAPHNIS.

Amour, reçois mon nouveau serment : je jure sur ton Autel...

ZIRPHÉE, avec effort et d’une voix étouffée.

De ne vivre... que pour Hyale !

DAPHNIS.

Que voulez-vous dire, Zirphée, je jure de ne vivre que pour vous ; c’est à vous seule que je consacre mes jours !

ZIRPHÉE.

Non, Daphnis, non !... Nous nous étions flattés d’une espérance vaine ; il faut former de nouveaux nœuds : ce n’est qu’en épousant

Hyale, cette Nymphe qui m’a ravi votre amour, que vous pouvez recouvrer la lumière.

DAPHNIS.

Dure... Dure à jamais mon aveuglement, plutôt que de vivre un moment pour une autre que ma Zirphée ; j’aime mieux ne jamais voir l’éclat du soleil que de l’abandonner. Amour, reçois mon serment ; je jure sur ton Autel de ne vivre que pour Zirphée !

À peine Daphnis a-t-il prononcé ce serment, que le nuage épais qui couvrait ses yeux se dissipe. À l’instant il tombe aux pieds de Zirphée en s’écriant.

Je te vois, ma Zirphée !

 

 

Scène IV

 

LES MÊMES, L’AMOUR, PLAISIRS et JEUX

 

Un nuage brillant couvre tout le fond du Théâtre ; l’Amour paraît dessus, groupé au milieu des Plaisirs et des Jeux.

L’AMOUR.

Daphnis, tu viens de mériter ton pardon ; si tu avais été assez lâche pour sacrifier Zirphée, tu restais à jamais dans les ténèbres : j’ai voulu t’éprouver, je suis content de ton cœur. Zirphée, reçois de ma main ton amant pour époux, et ne crains plus son in constance. Et vous, charmantes Nymphes, soumettez-vous à mon pouvoir : Diane, peut-être, en murmurera ; mais ne craignez pas ses reproches, elle-même a senti mes traits, elle-même a souri quelquefois aux plaisirs. L’Amour commande à l’Univers ; mais il ne tient ses traits que des mains de la Beauté.

Les Nymphes oublient leur fierté pour applaudir au bonheur de Daphnis et de Zirphée.

 

 

Scène V

 

LES MÊMES, TROUPE DE JEUNES BERGERS

 

Une troupe de jeunes Bergers paraît ; les Nymphes veulent en vain les fuir, les Jeux et les Plaisirs les arrêtent avec des guirlandes de fleurs, et les unissent aux jeunes Bergers. Tous ensemble tombent aux genoux de l’Amour, célèbrent sa puissance, et chantent ses bienfaits.

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