Le Dégel (Victorien SARDOU)

Comédie en trois actes, mêlée de chants.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre Déjazet, le 12 avril 1864.

 

Personnages

 

HECTOR DE BASSOMPIERRE

LE BARON DE MILLEPERTUIS, surintendant des eaux de Marly

PITOIS DE LA BUISSONNIÈRE, capitaine de la Vénerie

CAPDEVIEL, aventurier

LE CHEVALIER DE CAHUZAC, capitaine de gardes suisses

BRABANÇON, suisse du château

LA BARONNE DE MILLEPERTUIS

CLORINDE, veuve, sœur du baron

HENRIETTE, femme de M. de La Buissonnière

GABRIELLE, femme du chevalier de Cahuzac

INGÉNUE, fille du baron de Millepertuis

PERRINE, femme de Brabançon

PREMIER PAGE

DEUXIÈME PAGE

TROISIÈME PAGE

QUATRIÈME PAGE

PAGES

GARDES

SUISSES, 

Etc.

 

La scène est au château de Marly, dans les dernières années du règne de Louis XV.

 

 

ACTE I

 

Le parc de Marly en plein hiver. Au fond, une cascade décorée partout de statues et entourée de charmilles taillées. En avant, le bassin se prolonge sur la scène, entouré d’un simple bourrelet de pierre recouvert de neige comme tout le sol. Il est censé s’étendre à droite et à gauche dans la coulisse, derrière les charmilles. À gauche, premier plan, un pavillon de garde. Porte exhaussée d’un perron double avec sa grille. Au delà du pavillon, une entrée. Au delà, mur de charmilles taillées qui se prolonge en perspective sur la scène jusqu’au bord du bassin, avec statue de marbre dans une niche. Même décor à droite, sauf le pavillon de garde qui est remplacé par une seconde statue placée au premier plan dans une niche comme les autres, avec un banc de marbre au pied de la statue. Les charmilles taillées sont partout surmontées d’arbres auxquels on a laissé leur libre croissance et sont, comme ces arbres, couvertes de givre et de neige. Le bassin est complètement glacé, ainsi que la cascade, et des stalactites de glaces pendent de tous côtés aux statues ainsi qu’aux gradins de marbre.

 

 

Scène première

 

PAGES, puis BRABANÇON

 

Au lever du rideau, les pages glissent sur le bassin. Musique.

CHŒUR.

Air du Prophète.

Glissons,
Sur les glaçons,

Glissons,
Jeunes garçons,

Bravons les frissons ;

Glissons
Sur les glaçons,

Glissons.

BRABANÇON, sur le perron du pavillon.

Messieurs les pages !... messieurs ! voulez-vous bien ne pas glisser sur le bassin !

PREMIER PAGE, sautant du bassin sur la scène.

Eh ! c’est Brabançon, le suisse !

TOUS, de même.

Vive Brabançon !

BRABANÇON.

Messieurs ! messieurs ! Je vous en prie... certainement ce cri du cœur... mais je ne puis pas vous permettre d’établir ainsi des glissades dans le parc de Marly !

DEUXIÈME PAGE.

Parce que ?

BRABANÇON.

Parce que avant-hier, le surintendant des eaux, M. le baron de Millepertuis, daignant traverser ce bassin sur la glace, a rencontré l’une de vos maudites glissades... et là-dessus, les pieds de Sa Seigneurie prenant les devants... patatras !... la canne d’un côté... la perruque de l’autre !...

TOUS, riant.

Ah ! ah !

BRABANÇON.

Cela les fait rire, tenez, les sans-cœur !

PREMIER PAGE.

Ah ! j’aurais voulu voir ça !

DEUXIÈME PAGE.

Et moi donc.

BRABANÇON.

Oui, oui, c’était drôle, surtout pour moi, qui ai essuyé son haut-de-chausses... et sa mauvaise humeur... Aussi défense absolue de glisser ou de patiner... et le premier qui s’avisera...

Pendant ce temps, les pages sont remontés et recommencent de plus belle.

QUATRIÈME PAGE.

Oui... En avant !

TOUS.

En avant !...

BRABANÇON, rattrapant un page par le pan de son habit.

Mais quand je vous dis que c’est défendu.

TROISIÈME PAGE.

Tiens ! c’est bien pour ça que c’est amusant.

PREMIER PAGE.

Oui ! oui ! à bas Brabançon.

TOUS.

À bas Brabançon.

BRABANÇON.

Ah ! les petits enragés... Ils me feront perdre ma place, tenez !...

Il va prendre sa hallebarde qui est contre le mur du pavillon.

Attends ! attends !... Je vais vous faire glisser, moi...

Il court sur eux, en menaçant de leur piquer les mollets.

TOUS, se sauvant par le fond, à droite et à gauche.

Sauve qui peut !

BRABANÇON, seul au milieu du bassin.

Il n’y a qu’à se montrer !... Avec un peu d’autorité...

Il reçoit une boule de neige par la droite.

Plaît-il ?

Même jeu à gauche.

Qu’est-ce à dire ?

Il descend en brandissant sa hallebarde, une avalanche de boules de neige lui arrive du fond et des charmilles latérales.

Messieurs ! Par la mort !... Harnibieu !...

Aveuglé, effaré, en s’escrimant de la hallebarde dans le vide.

Le roi !... à l’aide ! à moi !... messieurs !...messieurs !... messieurs !...

Les pages rentrent en scène, lui sautent sur le dos, et lui frottent le nez dans la neige, en riant : il se relève et les poursuit dans la coulisse de droite.

Ah ! les petits garnements !

TOUS LES PAGES, se sauvant.

À bas Brabançon !

 

 

Scène II

 

BRABANÇON, PERRINE

 

PERRINE, descendant le perron du pavillon.

Eh bien, monsieur Brabançon, à qui en avez-vous encore ?

BRABANÇON, se secouant.

Et à qui voulez-vous que j’en aie, sinon à cette engeance de petits pages !... Heureusement qu’après la leçon que je viens de leur donner...

PERRINE.

Aussi, pourquoi les taquiner, ces pauvres enfants ?

BRABANÇON.

C’est ça !... Parce qu’ils consomment vos rôties au vin et vos gaufres, ne faudrait-il pas fermer l’œil à tous leurs déportements ? De petits enragés qui ne savent qu’inventer pour nous donner au diable ! Enfin, quand le roi n’est pas ici, à Marly !... Ce n’est pas non plus que sa présence... car l’autre semaine... sous la fenêtre même de Sa Majesté, n’ont-ils pas eu l’audace de tailler un gros if, de l’affubler d’un tricorne, d’un baudrier, d’une hallebarde et d’une grosse paire de lunettes... De sorte que le roi, regardant à travers les vitres, s’est écrié en riant : « Dieu me pardonne, voilà Brabançon ! »

PERRINE, riant.

Ah ! ah !

BRABANÇON.

Ah ! cela vous fait rire ?

PERRINE.

Comme le roi.

BRABANÇON.

Bon ! bon ! mais je ne ris pas, moi. Et quand vous laissez prendre à ces prétendus enfants certaines privautés, telles que de vous appeler : « Ma mignonne, » en vous pinçant la taille... je vous déclare que cela n’est pas de mon goût.

PERRINE.

Ah ? je le sais bien !... Vous n’en feriez jamais autant !

BRABANÇON.

Je n’en ferais jamais autant, parce qu’un mari doit respecter sa femme et la mère de ses enfants !

PERRINE.

Ta, ta, ta ! trop de respect ne vaut rien non plus ! Et on sait bien ce que ça veut dire !

BRABANÇON.

Allons, c’est bien, madame Brabançon... Taisez-vous !... Nous n’avons pas là-dessus les mêmes idées, vous le savez !

PERRINE, soupirant.

Ah ! je le sais trop !

BRABANÇON.

Parlez-moi de ce jeune homme qui vient solliciter au château et que nous logeons depuis huit jours.

PERRINE.

Le petit provincial !

BRABANÇON.

Un gentilhomme d’abord !...

PERRINE.

Oh ! gentilhomme !... c’est lui qui le dit... M. Hector... tout court ! – Ce nom !...

BRABANÇON.

Enfin, gentilhomme ou non, voilà un garçon bien élevé, celui-là, et qui ne se permettrait pas avec vous le plus petit geste.

PERRINE.

Je crois bien ; il est gelé.

BRABANÇON.

Je ne sais pas s’il est gelé ; mais voilà comme je les aime, calmes... froids... froids... calmes !

PERRINE.

Et moi, j’aime mieux qu’on me trouve jolie et qu’on le dise !

BRABANÇON.

Madame Brabançon !

PERRINE.

N’est-ce pas de quoi enrager ? Faire défiler sous les yeux de monsieur tout ce qu’on a de gracieux : de jolis yeux, de jolis pieds, une jolie taille, et le voir planté là comme une souche qui a l’air de dire : « Eh bien ! après ?... » Morveux !

BRABANÇON.

C’est qu’il vous respecte !

PERRINE.

Comme vous, oui : mais je ne suis pas la mère de ses enfants, moi !

BRABANÇON.

Mais je l’espère bien, dites-donc.

PERRINE, s’échauffant.

Eh bien, voulez-vous que je dise tout !... Il me déplaît, à moi, votre provincial ! Je ne veux pas d’une borne pareille dans ma maison, et je l’enverrai ce soir, chercher gîte ailleurs ! – À la fraîche... ça le dégourdira !

BRABANÇON.

Madame Brabançon !

PERRINE.

Il n’y a pas de madame Brabançon ! je suis faite pour plaire ! Je dois plaire, je veux plaire !

BRABANÇON.

Mais vous me plaisez, à moi !

PERRINE.

Pas assez !

BRABANÇON.

Mais je t’assure...

PERRINE, sans l’écouter.

Pas assez !

BRABANÇON.

Vous comprenez que je ne puis pas vous suivre sur ce terrain ; nous n’avons pas là-dessus les mêmes idées, mais du tout... du tout... Seulement, comme je tiens à mon pensionnaire, je le garde.

PERRINE.

Et moi, pour commencer, je lui ferme la porte au nez, cette après-midi.

BRABANÇON.

Ah !

PERRINE.

Après quoi, je le mets au pied du mur, et s’il ne fond pas !

BRABANÇON.

Mais, qu’appelez-vous le mettre au pied du mur ?

 

 

Scène III

 

BRABANÇON, PERRINE, LE BARON DE MILLEPERTUIS, LA BARONNE, INGÉNUE

 

LE BARON, entrant par la gauche, il est couvert de fourrures et tient un manchon.

Eh bien, eh bien, on se dispute ici !

BRABANÇON.

Ah ! monsieur le surintendant des eaux...

Il se campe avec sa hallebarde.

PERRINE, saluant.

Et madame la baronne ?

LA BARONNE, claquant des dents.

Oui, oui, le baron nous fait sortir, ma fille et moi, sous prétexte de prendre l’air ! Je le prends, cet air ! je le prends !

LE BARON.

Bon temps, cela ! bonne gelée !

Ingénue et Perrine causent au second plan.

LA BARONNE.

Oui, un froid à effaroucher les loups !

LE BARON.

Bah ! vous vous plaignez toujours, baronne !

PERRINE, descendant.

Est-ce qu’il est vrai que monsieur le baron donne ce soir la comédie chez lui ?

LE BARON.

Ah ! tu sais cela, friponne ?

BRABANÇON.

Ah ! je crois bien, monsieur, on ne parle pas d’autre chose au château.

LE BARON, avec satisfaction.

Oui, oui, cela fera du bruit ! Ma tragi-comédie d’Adonis que nous représentons entre gentilshommes et devant Sa Majesté, si elle est de retour ce soir.

PERRINE.

Vraiment ! oh ! si j’osais demander à monsieur le baron la permission d’assister...

LE BARON.

À la représentation, parfaitement... Sur la scène même, dans les chœurs, où je vous enrôle, ton mari et toi !

PERRINE, avec joie, à son mari qui cherche à la faire taire en lui tirant sa robe, et à qui elle réplique en lui tapant sur les mains.

Dans les chœurs !

LE BARON.

Lui en Faune avec des cornes ! Et toi en Hamadryade !

PERRINE.

Un joli costume ?

LE BARON.

Le moins possible !

PERRINE, vivement.

Ah ! que ça m’ira bien !

BRANBANÇON.

Monsieur le baron, je ne sais pas si je puis permettre à ma femme...

LE BARON.

Bon ! bon, du moment que c’est dans l’intérêt de l’art !... Madame la baronne joue bien un rôle de Furie, le rôle de Tisiphone...

La baronne arpente le bassin, en parlant tout bas avec des gestes violents.

qu’elle repasse en ce moment, tiens... et ma fille Ingénue, qui sort du couvent... l’innocence, la candeur même... une enfant qui ne se doute pas !... Eh bien, elle joue aussi son petit rôle de Galathée.

PERRINE.

De Galathée ?

LE BARON.

Oui, une jeune Nymphe, chaste, pure... Actéon cherche à lui plaire, mais elle ne veut rien entendre... une vertu farouche... cette Galathée ?...

INGÉNUE.

Ça, par exemple, papa, voilà qui n’est pas exact !

LE BARON.

Comment ce n’est pas exact !

INGÉNUE.

Non !... Galathée n’était pas si farouche que cela... puisqu’elle avait un amant qui s’appelait Acis.

LE BARON, saisi.

Elle avait un amant qui s’appelait Acis ?

INGÉNUE.

Certainement !... un beau jeune homme, né des amours de Faune et de la nymphe Symèthe.

LE BARON, abasourdi.

Ah ! de la nymphe Symèthe !... Tu sais cela, toi ?

INGÉNUE.

Mais dame, papa... qui est-ce qui ne le sait pas ?

LE BARON.

Moi !...

PERRINE.

Moi !...

BRABANÇON.

Moi !...

LE BARON.

J’avais complètement oublié...

INGÉNUE.

Aussi, c’est bien le défaut de ta pièce qu’il n’y ait pas de rôle pour Acis ; il y avait de si jolies choses à me faire dire avec lui !

LE BARON, après l’avoir regardée avec complaisance, à Perrine.

Quelle candeur !... Une autre dissimulerait ses sentiments, mais elle, non... Elle exprime tout avec une naïveté !... vous ne trouvez pas, baronne ?...

La cherchant du regard.

Eh ! baronne ?...

LA BARONNE, qui est sortie de scène un moment, redescendant par la droite, en gesticulant et déclamant son rôle.

Plongée au plus bas fond de l’horrible fournaise,

Qui n’est que plomb fondu, lave bouillante et braise,

Je brûle !

LE BARON, avec satisfaction, à Perrine.

Elle étudie.

LA BARONNE, impatientée.

« Je brûle... » après ?...

LE BARON, soufflant.

« Et de ses feux ardents, le Phlégéton !... »

LA BARONNE.

« Le Phlégéton... » Je ne saurai jamais ce rôle-là !

LE BARON.

Plaignez-vous !... Un caractère admirable !... une Furie sortie des enfers, qui poursuit Adonis de sa tendresse...

LA BARONNE.

Oui, c’est gentil ! Le costume surtout !... Des cheveux rouges entrelacés de serpents !... Et elle veut se faire aimer avec ça. vieille folle !

LE BARON.

Dame ! une mégère ne peut pas...

LA BARONNE.

Qu’est-ce que je dis ?... une mégère !... Eh bien, décidément, je ne jouerai pas une mégère ! je ne veux pas jouer une mégère ! 

LE BARON.

Mais, chère amie !...

LA BARONNE.

Non !... non !...

Tirant le rôle de son manchon et le jetant à son mari.

Voilà votre rôle, tenez ! – Donnez ça à Brabançon... il le jouera avec sa hallebarde !

LE BARON.

Mais, ma bonne...

LA BARONNE.

Vous ne pouviez pas aussi bien me donner le rôle de Diane, que vous allez confier à madame Pitois de la Buissonnière... ou celui de Source, que va jouer madame de Cahuzac ?...

LE BARON.

Baronne, vous n’y pensez pas, voyons !... vous, une Source ! vous êtes déjà une rivière, que diantre !... et quant au rôle de Diane...

LA BARONNE.

Eh bien, la Lunel quoi ! – je serais la pleine lune au moins... tandis que cette petite femme, ce ne sera jamais qu’un croissant... sans compter que ce n’est pas elle qui le portera un jour, celui-là ! Et je sais bien qui !...

LE BARON.

Baronne, votre fille !...

LA BARONNE.

Bon ! bon !... elle ne comprend pas... Et en tout cas, j’aurais aussi bien joué le rôle de Vénus que votre sœur, qui est veuve et qui n’a plus quinze ans !...

LE BARON.

Allons ! Vénus maintenant !... avec une fille de cet âge-là !

LA BARONNE.

Vénus n’a peut-être jamais eu d’enfants ?

INGÉNUE, vivement.

Ah ! Dieu, maman... de tout le monde !...

Comptant sur ses doigts.

L’Amour... de Mars !... les Grâces... de Jupiter !... Énée... d’Anchise !... Hymen... de Bacchus !...

LE BARON et LA BARONNE, qui l’ont écoutée, stupéfaits, l’interrompant.

Mais assez ! assez ! assez !

LA BARONNE, effarée.

Elle sait tout ça !... où a-t-elle appris tout ça ?

INGÉNUE.

Dans les Métamorphoses d’Ovide, maman.

LE BARON.

Tu as lu les Métamorphoses d’Ovide ?

INGÉNUE.

Lu, et relu !...

LA BARONNE.

Lu, et relu ?...

LE BARON.

Et tu connais comme ça ?...

INGÉNUE.

Tout l’Olympe, papa !... Aussi dans le parc, je les ai tous reconnus, à première vue !

Se dirigeant vers une statue.

Ainsi, celle-ci...

Elle aperçoit Capdeviel qui parait derrière la statue du premier plan et qui lui fait signe ; elle pousse un petit cri.

Ah !

LA BARONNE et LE BARON.

Quoi ?

INGÉNUE, naïvement.

Rien... papa !... le froid qui me saisit !

Capdeviel lui glisse une lettre qu’elle fourre dans son manchon et il disparait.

LE BARON.

Allons ! baronne, reprenez votre rôle... et en route !...

PITOIS, au dehors.

Eh ! Baron !...

LE BARON.

On m’appelle !

BRABANÇON.

C’est M. le capitaine de la Vénerie !...

LE BARON.

Pitois de la Buissonnière ! Eh ! par ici !

PITOIS.

Attendez-moi.

 

 

Scène IV

BRABANÇON, PERRINE, LE BARON, LA BARONNE, INGÉNUE, PITOIS

 

PITOIS.

Me voilà...

Il entre en scène par le bassin en courant, et s’étale sur le dos.

TOUS.

Ah !

BRABANÇON, courant à lui.

Maudits pages ! c’est leur glissade !

PITOIS, sur son séant.

Ce n’est rien!... ce n’est rien !

LE BARON, l’aidant à se relever, avec Brabançon.

Rien de cassé ?

PITOIS, debout, descendant en boitant et en faisant la grimace.

Rien du tout !... Vous n’avez pas vu madame de la Buissonnière ?

LA BARONNE.

Votre femme, non !...

PITOIS.

Figurez-vous que depuis une heure, je cours comme cela, après elle.

LE BARON, montrant la place où il est tombé.

Comme ça ?... Diantre !

Ingénue profite du moment où on ne la regarde pas, pour entrer dans le massif, à gauche.

PITOIS.

Du château à l’escarpolette, de l’escarpolette aux bassins des Muses, des bassins des Muses à l’abreuvoir... Je suis rendu ! qu’elle chaleur ! Vous ne trouvez pas ?

LA BARONNE.

Mais non !...

PITOIS.

Me voilà dans mon rôle d’Actéon, tenez ! Pour ce soir !... je répète ma course, quand je suis changé en bête !...

LA BARONNE, ouvrant son rôle.

Ah ! je voudrais bien être dans mon rôle, comme vous êtes dans le vôtre.

Elle remonte en relisant son râle et en battant des pieds.

PITOIS, à Perrine.

Ainsi vous ne l’avez pas vu ? 

À Brabançon.

Ni vous non plus ?

Les poussant dehors.

Mais cherchez-la donc !... mais cherchez-la donc...

PERRINE et BRABANÇON.

Oui, monsieur !

Ils sortent chacun d’un côté.

PITOIS, appelant.

Madame Pitois !...

Il va au fond sur le bassin, cherchant à voir sa femme.

LA BARONNE, son rôle à la main, et battant du pied.

Ce ton !... appeler sa femme dans le parc !... Où en étais-je ? 

LE BARON.

« Monstres infernaux... » seulement, baronne, un peu d’indulgence : Un parvenu !...

LA BARONNE.

On le voit bien !... Le roi a eu beau l’anoblir pour sa charge de veneur.... Pitois il est, Pitois il restera...

Répétant son rôle, en cherchant à retrouver la place où elle en était.

« Implacable Atropos !... »

LE BARON.

Baronne, s’il vous entendait !...

PITOIS, au fond à gauche.

Madame Pitois !

Il disparait.

LA BARONNE, même jeu.

Oui, attends qu’elle réponde à ce nom-là !...

Le baron impatienté lui prend son rôle, pour lui montrer l’endroit et cherche sans trouver ; la baronne le lui reprend vivement.

Une fille de bonne maison, qui ne l’a épousé que pour obéir à ses parents, séduits par les écus du Pitois... Et si fière, celle-là, si dédaigneuse... de lui surtout !...

LE BARON.

« Atropos ?... »

LA BARONNE.

Non, madame Pitois.

LE BARON.

Baronne, vos caquets !...

LA BARONNE.

Il n’y a pas de caquets !... Elle ne peut pas souffrir son mari... et je comprends cela, d’autant que si ce que l’on dit est vrai... le pauvre homme est tellement...

LE BARON.

Quoi ?

LA BARONNE.

Rien !

LE BARON.

Vous dites !

LA BARONNE.

Rien !

Elle remonte en déclamant.

« La mort, la mort à ces infâmes !... »

Elle remonte.

PITOIS, reparaissant au fond, et appelant.

Ouh !...

La voix du CHEVALIER, lui répondant à gauche.

Ouh !...

LE BARON.

On a répondu !

PITOIS.

Oui, de ce côté-là... c’est elle... Mais venez donc, chère amie !

Il s’élance au-devant vers la gauche, et tombe dans les bras du chevalier, qui entre en courant ; Ingénue rentre au même instant.

 

 

Scène V

 

LE BARON, LA BARONNE, INGÉNUE, PITOIS, LE CHEVALIER

 

LE CHEVALIER, essoufflé.

Pardon !...

TOUS.

Eh ! c’est Cahuzac !

LE CHEVALIER.

Oui... Vous n’avez pas vu ma femme ?

LE BARON.

Vous avez aussi perdu votre femme ?

LE CHEVALIER.

Mon Dieu oui, baron. Elle est sortie après dîner, emportant ses patins.

PITOIS.

Comme madame Pitois.

LE CHEVALIER.

C’est un complot...

Au baron.

Madame votre sœur en est ; ces dames se seront donné rendez-vous sur quelque pièce d’eau...

PITOIS.

Sans leurs maris, toujours.

LA BARONNE.

Dame... une partie de plaisir !...

Elle éternue.

Quel bonheur !... je m’enrhume, je ne pourrai pas jouer mon rôle ce soir !

LE BARON, effrayé, prenant le bras de la baronne et celui d’Ingénue.

Miséricorde, nous serions beaux !... Rentrons vite... D’autant que je commence à être inquiet ; je n’ai pas de nouvelles de mon sanglier.

PITOIS.

Votre sanglier ?

LE BARON.

Oui, le sanglier qui doit tuer Adonis !... J’ai demandé pour cela un figurant de l’Opéra, qui n’a pas son pareil pour marcher à quatre pattes.

LE CHEVALIER.

S’il vient de Paris de cette façon-là... je comprends qu’il soit en retard !

PITOIS.

Et l’Adonis dont on ne parle pas !

INGÉNUE.

Oh ! oui l’Adonis, papa, le bel Adonis ?

LE BARON.

Ah ! l’Adonis, c’est une surprise... On ne le verra qu’au moment de souper.

LA BARONNE, battant des pieds, et chantonnant.

Je suis enrhumée ! je ne jouerai pas !...

LE BARON, lui prenant le bras.

Si fait ! En route, baronne !

LA BARONNE.

Oui... en route... et les pieds qui sont gelés !

LE BARON.

Courons alors... cela vous réchauffera !

LA BARONNE.

Ah ! mais non ! je ne veux pas courir !

LE BARON, l’entraînant.

Courons ! courons !

LA BARONNE, entraînée.

Je ne veux pas... Théobald !

LE BARON.

Courons !... courons !...

LA BARONNE.

Au secours !... Oh ! les pieds !... Oh ! le traître !

Ils disparaissent.

 

 

Scène VI

INGÉNUE, LE CHEVALIER, PITOIS

 

PITOIS, battant du pied.

Ma foi, chevalier, si nous faisions comme eux ?

LE CHEVALIER.

Courir ?

PITOIS.

Oui, après nos femmes.

LE CHEVALIER.

C’est dit ! allez !

PITOIS, s’élançant sur le bassin.

Je pars !

Il glisse et tombe.

LE CHEVALIER, se retournant.

Eh !

PITOIS.

Ce n’est rien !... ce n’est rien !... Je commence à m’y faire.

Il se relève et se sauve par la droite, au fond.

LE CHEVALIER.

Ah ! si c’est une habitude !

Il sort par la gauche.

 

 

Scène VII

INGÉNUE, seule, puis CAPDEVIEL

 

INGÉNUE, après s’être assurée qu’elle était seule, appelant à droite.

P’st !... p’st !...

CAPDEVIEL, sortant de la charmille à gauche.

P’st !...

INGÉNUE, surprise de la voir de ce côté.

Vous êtes là ?

CAPDEVIEL, avec l’accent gascon.

Eh ! oui, divine flûr... que j’ai fait le tour.

INGÉNUE.

Et je vous ai cherché inutilement de ce côté !

CAPDEVIEL.

Sandis, quelle malencontre !...

INGÉNUE.

Allez dans ce massif, vous trouverez une lettre que j’ai mise pour vous, sur le socle de Ganymède !

CAPDEVIEL.

Une lettre !

INGÉNUE.

Oui, un mot de recommandation qu’un homme apportait ce matin pour papa... j’ai renvoyé l’homme et j’ai pris la lettre, pour qu’elle vous serve d’introduction chez nous !

CAPDEVIEL.

Oh ! quel !...

LE BARON, au loin.

Ingénue ?

INGÉNUE.

On m’appelle... vite !... portez la lettre à mon père... à la surintendance.

CAPDEVIEL.

Mais, dites-moi ?...

LE BARON, au loin.

Ingénue !

INGÉNUE, répondant.

Oui !...

À Capdeviel.

À tantôt !

CAPDEVIEL.

Mais... que je sache...

INGÉNUE, se sauvant.

La statue de Ganymède.

Criant.

Voilà maman ! voilà ! 

Elle sort en courant.

CAPDEVIEL, seul.

La statue de Ganymède, bien... mais j’aurais voulu comprendre... Eh ! que t’importe !... Elle t’aime... heureux mortel !... que veux-tu de plus... trouve la lettre et tais-toi !... Sandis ! c’est ta fortune qui commence...

Apercevant au fond Henriette qui entre.

Quelqu’un... je m’évade !...

 

 

Scène VIII

 

CLORINDE, HENRIETTE, GABRIELLE, puis HECTOR

 

Elles entrent toutes trois vivement, tenant leurs patins à la main.

HENRIETTE.

Je vous assure, chère vicomtesse, que ce monsieur nous suit.

CLORINDE.

Croyez-vous, mignonne ?

HENRIETTE.

Demandez à Gabrielle !... si Gabrielle daigne une fois desserrer ses jolies lèvres.

GABRIELLE, souriant.

Il fait trop froid !

HENRIETTE.

Il était aussi vite fait de dire oui !...

CLORINDE.

Elle sourit ; pour elle c’est la même chose. 

À Gabrielle.

N’est-ce pas ?

GABRIELLE, souriant.

Oui !

Musique.

HENRIETTE.

Mais vous avez beau dire... il vient !

CLORINDE.

Non ! c’est M. de la Buissonnière, votre mari, qui vous cherche... ou le chevalier de Cahuzac qui a retrouvé les traces de sa Gabrielle !

HENRIETTE.

Et moi, je vous dis que c’est encore cet insupportable monsieur...

HECTOR, dehors.

Il était un petit homme

Qui s’appelait Toto Carabo !...

HENRIETTE.

L’entendez-vous ?

HECTOR.

Il allait à la chasse,

À la chasse aux perdrix,

Carabi...

GABRIELLE.

C’est vrai...

HECTOR.

Toto Carabo !

Titi Carabi !...

Compère Guilleri !...

Il entre en scène par le fond, en tenue de chasseur, son fusil sous le bras.

Te lairras-tu (ter.)

Mouri ?...

HENRIETTE, avec dépit.

En vérité, monsieur, c’est insupportable !... Et cet entêtement...

HECTOR.[1]

Cet entêtement ?... Pardon, madame, je ne comprends pas !...

HENRIETTE.

Mon Dieu, monsieur, c’est assez clair ! Nous patinons sur le grand bassin, vous arrivez, et vous jetez à la traverse. Nous courons à un autre, vous nous suivez encore... Enfin, nous nous réfugions ici... et vous voilà ! – Veuillez nous dire une bonne fois où vous allez, je vous prie, que nous nous dirigions immédiatement du côté opposé... monsieur !

HECTOR, le chapeau à la main, avec une courtoisie railleuse.

Madame ! j’ai traversé le grand bassin, parce que c’est le plus court pour aller de la porte du Bourg, d’où je viens, à la porte du Cœur-volant où je vais !... je vous ai heurtées en passant, parce que vous vous êtes jetées sur moi, en glissant ; – j’arrive après vous, parce que vous êtes venues avant moi : et, comme je me propose de rester ici, où je loge...

Il montre le pavillon.

je crois que si vous voulez bien vous donner la peine de sortir de ce côté,

Il montre la droite.

nous n’aurons plus aucune chance de nous rencontrer... madame.

Il se couvre, remonte et va se débarrasser de son manteau qu’il accroche au perron du pavillon, de son carnier et de son fusil.

HENRIETTE, aux deux autres femmes.[2]

On n’est pas plus poliment impertinent.

CLORINDE.

En tout cas, ce n’est pas lui qui m’empêchera de patiner sur le bassin.

Elle va s’asseoir sur le banc à droite, et remet ses patins.

HENRIETTE.

Comment... vous voulez ?

CLORINDE.

Mais certainement... Il ne me fait pas peur, ce petit monsieur, et vous voyez bien qu’il ne nous suivait pas... j’avais raison !...

GABRIELLE, languissamment, en le suivant des yeux avec intérêt.

C’était pourtant sa seule excuse... Mais vous le prenez avec lui sur un ton... Il y a de quoi décourager !

HENRIETTE.

Un homme ! – Jamais assez dur pour ces gens-là !... jamais !

CLORINDE, lorgnant toujours Hector.

Pourtant, celui-ci !...

HENRIETTE.

Laissez donc !... Il me déplaît, ce monsieur !... avec sa politesse narquoise ; j’ai des envies de le battre !

GABRIELLE, souriant.

Pas moi !

CLORINDE.

Ni moi.

HENRIETTE.

Enfin, puisqu’il reste... moi, je vais patiner ailleurs ! Venez-vous ?

GABRIELLE, soupirant.

Allons !...

Henriette prend la main de Gabrielle et l’entraîne sur le bassin, elles sortent.

CLORINDE.

Je vous suis !...

Elle se lève et fait quelques pas, puis, s’arrête, comme ne pouvant pas aller plus loin.

Ah ! mon patin s’est détaché !... attendez.

Assez haut pour être entendue d’Hector.

Je vais tomber.

HECTOR, prêt à monter le perron pour entrer dans la maison, fredonnant.

Titi, carabi !...

CLORINDE, à part.

Il ne viendrait pas de lui-même.

Haut, après un peu d’hésitation.

Monsieur !...

HECTOR, s’arrêtant.

Madame !

CLORINDE.

Prêtez-moi votre fusil, je vous prie...

HECTOR.

Mon fusil ?...

CLORINDE.

Oui, pour me tenir un moment debout !

HECTOR, avec un empressement railleur.

Comment donc ?... voici mon fusil, madame.

Mouvement de Clorinde.

Ne craignez rien, il n’y a pas le moindre danger.

CLORINDE, à Hector en prenant le fusil.

Merci, monsieur. 

À part.

Il n’offrirait pas le bras.

Haut.

Mon patin s’est détaché, c’est la courroie, sans doute !...

Elle montre son pied.

HECTOR, sans se baisser, avec un petit sourire ironique.

C’est probablement la courroie, oui !

CLORINDE.

Oui... Je voudrais bien savoir où poser le pied, pour accommoder cela ?

HECTOR, regardant autour de lui.

En effet, oui... où pourriez-vous bien poser le pied ?

Apercevant le banc.

Ah ! le banc... le banc, tenez.

CLORINDE.

Oh ! c’est trop loin pour y arriver à cloche-pied !

HECTOR.

C’est juste !... alors je vais vous chercher une chaise.

CLORINDE.

Oh !... trop long !... je suis fatiguée d’être là !

HECTOR.

Alors, madame... je ne sais...

CLORINDE.

Si vous vouliez avoir la bonté de me prêter un seul instant votre genou ?

HECTOR.

Mon genou !

CLORINDE, montrant la courroie.

Oui !... pour !...

HECTOR.

Mon genou... soit, madame, comme ce ne sera pas très long...

Voici mon genou !

Il met un genou en terre.

CLORINDE, à part.

C’est heureux !...

Haut.

Maintenant, monsieur, si vous voulez avoir la complaisance de regarder...

Elle fait jouer son pied sous ses yeux avec coquetterie.

HECTOR, sans toucher le pied.

Oui, madame... il n’y a rien !

CLORINDE.

Comment, rien ?

HECTOR.

Rien du tout !... Le patin est irréprochable !... la courroie en parfait état !... Et si vous voulez prendre la peine de vous élancer... ah ! mon Dieu ! cela va marcher comme sur des roulettes !...

CLORINDE, remettant vivement le pied à terre.

Décidément ! c’est un niais !

Elle passe à droite vers le banc et détache ses patins, avec dépit ; Hector reste un genou en terre et la regarde d’un air railleur. Henriette et Gabrielle sont redescendues doucement, après avoir défait leurs patins qu’elles laissent dehors, et se penchent sur lui curieusement, pour voir ce qui se passe.

HECTOR, en les regardant d’un air railleur, sans se lever.[3]

Ah ! je vous ferai remarquer, mesdames, que ce n’est pas moi qui vous rencontre... c’est encore vous qui me rencontrez...

HENRIETTE.

Mais, monsieur !

HECTOR, de même.

Et puisque décidément ce lieu vous agrée, c’est moi qui aurai l’honneur de vous céder la place.

Il se lève.

Quand madame aura bien voulu me rendre mon fusil...

CLORINDE, lui tendant le fusil avec dépit.

Voilà, monsieur.

HECTOR, souriant.[4]

Mille grâces, madame !... Mesdames !

Il salue et remonte jusqu’au bassin tout au fond

GABRIELLE.

Il est unique, ce monsieur...

CLORINDE.

Il s’en va ?...

HENRIETTE, voyant Hector qui amorce le fusil.

Eh bien, est-ce qu’il va tirer ?

CLORINDE et GABRIELLE.

Eh ! monsieur !...

HECTOR, s’arrêtant au fond.

Mesdames !...

HENRIETTE.

Est-ce que vous allez tirer ?

HECTOR.

Avec votre permission, oui, madame.

HENRIETTE.

Ma permission !... d’abord je ne vous la donne pas.

CLORINDE.

Et puis, il est défendu de chasser dans le parc, et le mari de madame

Elle montre Gabrielle.

vous arrêtera...

HECTOR.

Le mari de madame m’arrêtera ?

GABRIELLE.

Oh ! certainement !...

HECTOR.

Eh bien, qu’il arrête donc ce coup de fusil-là ?

Il tire.

LES TROIS FEMMES, criant.

Ah !

HECTOR, redescendant gaiement.

Vertudieu ! le roi pourra braconner sur mes terres, et je ne pourrai pas chasser sur les siennes !

GABRIELLE.

Le roi !... braconner !...

CLORINDE.

Sur vos terres !...

HENRIETTE, ironiquement.

Monsieur a des terres ?

HECTOR, de même.

Quarante arpents de bruyères, madame, taillis et garennes, à Rambouillet... Tout ce qui reste, hélas des vingt-sept clochers de mes ancêtres.

HENRIETTE, de même.

Monsieur a aussi des ancêtres ?

HECTOR.

Sans cela, madame, j’aurais bien du mal à me trouver là !

HENRIETTE, fièrement.

J’ai seulement exprimé le doute que vous fussiez gentilhomme.

HECTOR.

Prenez la peine de me regarder, madame, et je vous défie d’en douter encore.

GABRIELLE, à mi-voix.

Oh ! certainement !

CLORINDE.

Enfin, monsieur est de province, toujours, cela se voit ; et il habite apparemment ses bruyères ?...

HECTOR, gaiement.

Toute l’année, dans mon dernier château !... Une sorte de pigeonnier...

HENRIETTE, railleuse.

Où vous perchez tout seul ?

HECTOR.

Seul, oh ! non !...

Mouvement de curiosité des femmes.

J’ai des chiens !

GABRIELLE.

Belle compagnie !

HENRIETTE.

Et qu’est ce que vous faites-là, toute l’année, avec vos chiens ?

HECTOR.

Je chasse !

CLORINDE.

Toujours ?

HECTOR.

Du matin au soir !

HENRIETTE.

Mais le soir ?

HECTOR.

Je lis des livres de chasse !

CLORINDE.

Mais la nuit ?

HECTOR.

Je rêve de chasse !

CLORINDE.

Et le roi vous a troublé dans cette joie ?

HECTOR, vivement, légèrement, et toujours avec une extrême bonne humeur.

Jugez-en !... un garde de la vénerie me surprend tuant un lièvre sur une lande autrefois cédés par mon père au domaine royal, mais avec réserve du droit de chasse !... Procès-verbal !... Je proteste, je plaide au baillage. Il ne tient qu’à moi de gagner mon procès en rendant visite à madame la baillive... je n’ai garde...

HENRIETTE.

Pourquoi ?

HECTOR.

Un système à moi... et je perds !

GABRIELLE.

Naturellement !

CLORINDE.

C’est bien fait !

HECTOR, saluant gaiement.

Merci !... Je me décide alors à partir pour la cour que je n’ai jamais voulu voir et que j’exècre...

CLORINDE.

Parce que ?

HECTOR, les saluant avec un sourire moqueur.

Parce que... il y a trop de femmes !

LES TROIS FEMMES, faisant la révérence.

Mille grâces !

HECTOR, gaiement.

Nous voilà quittes !... et je cours à la capitainerie de la varenne du Louvre, où je trouve un homme charmant, le lieutenant général au tribunal des chasses, M. Caron de Beaumarchais qui me dit : « Portez ce billet au grand fauconnier, il accommodera votre affaire. » Je cours chez le grand fauconnier. On me fait attendre ; cela se prolonge, je perds patience... je pousse une porte ; c’est un salon... autre porte, chambre à coucher... troisième porte, un boudoir... et ici, je me trouve en face d’une personne... en costume de bain et qui n’était pas le grand fauconnier... c’était évident !

LES TROIS FEMMES.

Ah !...

HECTOR.

Air : Ah ! le bel Oiseau.

La dame pousse un grand cri !...

« Ah ! juste ciel, quelle audace !... »

Quant à moi, tout ébahi,

Je reste ahuri,

Saisi !...

« Mais, monsieur, êtes-vous fou

De franchir ainsi ma porte ?....

– Madame, on met un verrou ;

Pour s’habiller de la sorte.

– Sortez, sortez ! » J’étais fou !

Je ne trouvais plus la porte !...

« Sortez, vous-dis-je ! – Par où ?...

Mais par où ?... par où ?... par où ?... »

Air : C’est le roi Dagobert

« C’est une indignité !...

Disait cette chaste beauté,

Et l’on n’a j’amais vu

Prendre ainsi femme au dépourvu !...

Je vais appeler !

(On n’appelait pas !)

Et je vais sonner !

(On ne sonnait pas !...)

C’est une indignité,

Disait cette chaste beauté !... »

Air : Tu n’auras pas, petit polisson.

« Madame, si vous permettiez ?

– Mais non je ne veux pas permettre,

– Madame si vous m’entendiez,

Madame si vous m’écoutiez !...

– Je viens – Taisez-vous !...

Craignez mon courroux !

Quel feu condamnable

Et quel amour coupable ?...

Dites-moi pourquoi

Ici je vous voi...

Dites-moi pourquoi,

Vous pénétrez chez moi ?...

Air : Bouton de rose.

– C’est pour un lièvre,

Que je me présente en ces lieux !

Calmez, de grâce, cette fièvre ;    

Car ce n’est pas pour vos beaux yeux.

C’est pour un lièvre ! (Bis.)

Air : Je n’t’ai jamais vu comm’çà.

– Eh quoi ! ce n’est pas pour moi...

Mais qu’on le chasse... Mais quelle audace,

C’est pour mon mari vraiment !

Monsieur, vous êtes un impertinent »

Air : Dig, dig, dig, dig, din, don.

Drelin, drelin, tin,

Drelin, tin, tin,

Elle sonne,

Sonne,

Et carillonne !...

N’écoute plus rien que sa fureur

Et resonne en criant : « Au voleur !

Au voleur ! au voleur ! au voleur ! au voleur !... »

Air : La bonne aventure.

En fuyant, un peu surpris

De tant de colère,

Je me dis : Oui j’ai compris          

Cette fauconnière.

Pour un voleur je suis pris...

Parce que je n’ai rien pris !...

L’aventure a bien son prix,

Quoiqu’un peu légère ! –

Convenez qu’elle a son prix

Quoiqu’assez légère !

HENRIETTE.

Aussi, monsieur, il n’est pas permis de surprendre une femme de la sorte.

HECTOR.

Je vous demande pardon, madame, il est toujours permis de la surprendre... mais à la condition de changer sa surprise en admiration.

CLORINDE.

Et le résultat de cette belle campagne ?

HECTOR.

C’est que j’ai perdu ma cause à la capitainerie, comme au baillage... grâce à madame la fauconnière.

GABRIELLE.

Toujours les femmes !

HECTOR.

Toujours !... Alors je demande audience au ministre, M. de Choiseul ; mais M. de Choiseul est enrhumé, il ne reçoit pas par ces grands froids ; il faut attendre le dégel !... On veut m’adresser à sa sœur, madame de Gramont, une femme !... non !... Je reviens à Marly pour y solliciter le roi en personne... mais le roi chasse à Fontainebleau, et ne reviendra qu’au dégel ! On offre de me présenter à madame Dubarry... Une femme encore !... Non ! j’aime mieux attendre le dégel !... Avec les femmes ce serait une débâcle !...

HENRIETTE.

Ah ! çà, mais vous détestez donc bien les femmes ?

HECTOR.

Mon Dieu, je ne les déteste pas du tout, madame ; mais elles me sont parfaitement indifférentes !...

CLORINDE.

Raison de plus pour être galant avec elles – si vous n’avez rien à craindre pour votre repos.

HECTOR.

Galant avec elles... Merci de moi ! et mon serment ?

GABRIELLE.

Ah ! il y a un serment !

HECTOR.

Terrible ! j’ai fait vœu de ne jamais aborder une femme de plus près que la circonférence de son panier.

CLORINDE.

Même quand elle n’en a pas !...

HECTOR.

Surtout quand elle n’en a pas !... 

À part.

Comme la grande fauconnière...

HENRIETTE.

Et la cause de ce beau serment ?

HECTOR.

C’est que l’amour a toujours porté guignon à notre famille.

GABRIELLE.

À vous voir, j’aurais cru le contraire.

HECTOR, gaiement.

Eh bien, justement, l’amour nous gâte et il nous perd. – Il n’est sortes de bontés, ô mesdames,

Il passe et prend le milieu.[5]

que vos arrière-grand’mères n’aient eues pour mon bisaïeul... Mais aussi quelle ruine ! – Il n’est succès à la cour que n’ait eus mon aïeul, rival heureux en amour du roi Louis XIV ; mais aussi quelle disgrâce !... Et triomphes que n’ait eus mon père après lui... mais aussi que de duels ! il en est mort !... En sorte que je me suis trouvé un jour dans mon pigeonnier, orphelin, sans avenir, sans avoir... en tête-à-tête avec mon grand-père qui m’avait élevé et que la goutte, pauvre homme ! clouait au coin du feu... C’était un soir d’hiver, je m’y vois encore, et après m’avoir tout conté ! « Voilà, Hector, me dit-il, où l’amour nous a conduits ! Et du passé... Voici tout ce qui reste !... » Il ouvrit un coffret plein de gages d’amour, de souvenirs et surtout de petits médaillons... autant de portraits de femmes, suspendus à un long cordon de cheveux de toutes nuances... Eh ! Seigneur Dieu !... que de nuances !... Tous ces trésors d’autrefois, mon pauvre grand-père se mit à les contempler l’un après l’autre... et à chaque objet nouveau qu’il effleurait de sa main tremblante... je l’entendais murmurer bien bas... bien bas :

Ain : Dormez, dormez, chères amours.

Premier couplet.

Billets doux, bouquets et rubans !...

Souvenirs de mes jeunes ans,

Gages d’amour, objets charmants !...

Vous voilà donc, comme moi-même,

Bien loin des beaux jours où l’on aime !...

Venez, venez, chères amours !...

Pour vous mon cœur s’émeut toujours...

Venez, venez !... pour vous il est jeune toujours !...

Deuxième couplet.

Portrait par l’amour embellis,

Vous que le temps n’a pas flétris,

Portraits divins, portraits chéris !...

De ces beautés miroirs fidèles,

Vous n’avez pas vieilli comme elles !

Venez, etc., etc.

Mais son émotion ne fut pas de longue durée... et rappelé bientôt à la réalité par un élancement subit dans la jambe droite... il se mit à apostropher chaque portrait par son nom en le regardant avec colère : « Valentine, non ! tu ne t’appelles pas Valentine, courtisane du diable, car c’est toi qui me faisais souper toutes les nuits, tu t’appelles maintenant la goutte au genou – Éliane !... non ! tu ne t’appelles plus Éliane, marquise enragée : c’est toi qui m’as fait passer cette nuit de Noël sous un auvent !... Tu t’appelles le rhumatisme à l’épaule ! – Araminte... non ! non ! tu ne t’appelles plus Araminte, baronne que Dieu maudisse ! – car c’est toi qui m’as valu ce coup d’épée au poumon droit ! – Tu t’appelles, la toux opiniâtre et le catarrhe !... Au feu ! ces images damnées !... au feu la jeunesse ! au feu l’amour qui est la perdition du monde ! » Et, arrachant tous ces portraits pour les jeter aux flammes : « Jure, mon fils, sur ces cendres de mes folies que tu ne connaîtras, de la vie, que les joies sans amertume de la chasse et des armes ! jure qu’avant de dire à l’une de ces créatures maudites : « Je vous aime, » tu t’étrangleras toi-même de ce cordon de cheveux que je te mets au cou comme un talisman ! Raca à l’amour, Hector ! raca aux femmes ! jure-le, mon fils, et que ce soit le serment d’Annibal. »

HENRIETTE.

Et vous avez juré ?

HECTOR.

Et j’ai juré !

CLORINDE.

Et vous portez le cordon de cheveux ?

HECTOR.

Il est là !

GABRIELLE.

El vous tiendrez votre serment ?

HECTOR.

Toute ma vie !

CLORINDE.

Un enfantillage !... ce sont de ces choses que l’on promet et qu’on ne tient pas.

HECTOR.

J’ai idée que c’est encore plus facile à tenir que tout ce que l’on promet en aimant.

GABRIELLE.

La première femme que vous verrez un peu jolie...

HECTOR.

J’ai bien vu la grande fauconnière...

CLORINDE.

Et votre cœur n’a jamais éprouvé ?...

HECTOR, montrant les statues et le bassin.

Ce bassin n’est pas plus de glace. Cet Hercule n’est pas plus de marbre.

GABRIELLE.

Bah ! le printemps aura son tour.

CLORINDE.

Et au premier rayon de quelques jolis yeux... le marbre s’animera.

Elle passe devant lui et remonte.

HECTOR.

Jamais !

GABRIELLE, de même, passant derrière lui.

Au premier zéphir de quelque douce haleine... la glace fondra.

HECTOR.[6]

Jamais...

LES DEUX FEMMES.

Ah !... jamais !...

HENRIETTE, vivement.

Mais, en vérité, mesdames, vous feriez croire à monsieur que vous avez envie de tenter l’épreuve. Ce qu’il est, ou n’est pas, vous importe aussi peu qu’à moi, j’imagine... partirons-nous, enfin ?

CLORINDE, à Gabrielle.

Allons ! il faut le faire arrêter, ce petit monsieur qui braconne.

GABRIELLE.

Son exemple n’aurait qu’à gâter les autres hommes !...

CLORINDE, haut.

Bonne chance, monsieur.

HECTOR.

Oh ! tant que les femmes ne s’en mêleront pas, madame.[7]

Air : C’est ce qui me désole.

Je puis, sans trouble et sans émoi,

Voir des beautés autour de moi...

C’est ce qui me désole ; (Bis.)

Mais je ne sens nul déplaisir,

Nul regret à les voir partir...

C’est ce qui me console ! (Bis.)

HENRIETTE.

Je n’aimais pas l’espèce ; mais ce n’est pas celui-là qui me réconciliera avec elle !

Elle va pour sortir.

HECTOR, ramassant les patins oubliés par Clorinde.

Madame... pardon.

Il les lui remet avec une politesse railleuse ; Henriette les prend avec une petite moue de dépit et sort.

 

 

Scène IX

 

HECTOR, seul, la suivant des yeux d’un air narquois, et fredonnant

 

Voilà ce qui s’appelle remettre un sexe à sa place !... Si tu me contemples de là-haut, grand-papa, tu dois être content !... Le farouche Hippolyte n’eût pas mieux fait !

Allant et venant, en soufflant dans ses doigts.

Qu’est-ce que c’est auprès de moi, je vous le demande un peu, que le farouche Hippolyte !... Tiens, mais voici le froid qui pique !... D’autant plus que je ne vois vraiment pas ce qu’elles ont pour elles, ces petites femmes !... Deux yeux comme nous, deux oreilles... un nez ! – la peau peut-être un peu plus douce ; mais c’est pour mieux te glisser entre les mains, mon enfant ! – La bouche peut-être plus gracieuse, mais c’est pour mieux te manger, mon enfant !... Décidément je ne vois pas... je ne vois vraiment pas !... Oh ! mais je grelotte, moi, et je vais rentrer chez mon hôtesse. –

Il monte le perron.

Quel froid ! Nous ne sommes pas au dégel.

Frappant à la porte de Perrine.

Eh ! madame Brabançon !...

Il refrappe.

Eh bien !... personne !... Eh ! là-dedans !

Il frappe en fredonnant l’air de Marlborough et en s’accompagnant avec le heurtoir de la porte.

 

 

Scène X

HECTOR, CAPDEVIEL

 

CAPDEVIEL, sortant de la charmille de droite, une lettre à la main.

Je tiens la lettre, sandis !... Il ne s’agit plus que de se présenter en vrai gentilhomme !... seulement,

Regardant ses mains.

je n’ai pas de gants... Et, cadédis, pas un quart d’écu pour en acquérir.

HECTOR, sur le perron, après avoir encore frappé.

Ah ! çà, mais elle est sortie, ce n’est pas possible !... madame Brabançon !...

CAPDEVIEL, il se gratte l’oreille d’un air fin, en regardant Hector, et frappe sur son gousset vide.

Té ! ce monsu !... hé ! monsu !

HECTOR, sur le perron, se retournant.

Monsieur !...

CAPDEVIEL, légèrement, finement et avec le sourire aux livres, pendant toute la scène.

Le chemin de la Surintendance, s’il vous plaît ?

HECTOR.

Là-haut !...

Il frappe.

CAPDEVIEL, apercevant le fusil et s’arrêtant comme par hasard, en souriant.

Eh ! donc ! vous êtes chassûr à ce que je vois ?

HECTOR, regardant par le trou de la serrure.

Oui, oui, je suis chasseur.

CAPDEVIEL.

Capdeviel ! moi aussi je suis chassûr, et un fameux !... j’ose dire !... Vous permettez, entre confrères ?

Il lui prend la main et la serre.

Il a des gants, lui...

Avec un soupir.

Vous avez des gants, vous ?

HECTOR, regardant la main de Capdeviel.

Mais oui, j’ai des gants, heureusement !

CAPDEVIEL.

Un vrai chassûr n’a pas de gants ! jamais de gants, moi... jamais !... jamais !...

HECTOR.

C’est donc pour cela que vous avez les mains un peu... ?

CAPDEVIEL.

C’est le hale... le hale des forêts !

HECTOR.

Mettons le hale... ça rime !

CAPDEVIEL.

D’ailleurs, vous n’êtes pas sans avoir entendu parler de moi ?

HECTOR, accoudé au perron.

Ai-je entendu parler de vous ?...

CAPDEVIEL.

Capdeviel de Castres !...

HECTOR.

Eh bien ?

CAPDEVIEL, gaiement et avec emphase.

Eh bien, c’est moi ! l’illustre Capdeviel !

Il traverse la scène pour aller au banc.

Vous avez certainement connaissance de ce pari extraordinaire, que je gagnai, l’an passé, contre le plus fort chasseur de France...

Assis sur le banc.

Je gageai, monsu, que je tuerais trois pièces, tandis que lui pas une... moi tirant toujours du bras gauche...

HECTOR, accoudé au perron.

Et vous gagnâtes ?

CAPDEVIEL.

Et je gagnai !...

HECTOR.

Pardieu, si je connais l’affaire ! votre adversaire n’était-il pas M. de Crac ?...

CAPDEVIEL.

Précisément ! mon voisin de campagne, son château touche le mien !

Il se lève.

HECTOR, souriant.

Je vois cela d’ici !

CAPDEVIEL, saluant.

Ravi ! monsu !... servitur !

HECTOR, de même.

Monsieur, enchanté.

CAPDEVIEL, se ravisant.

Et à l’honnûr !...

Il va pour sortir et s’arrête tout à coup, comme quelqu’un qui s’aperçoit d’un oubli. Il revient au perron, et frappe sur le fer. Hector occupé à regarder à travers le trou de la serrure ne l’entend pas, Capdeviel insiste.

Monsu !...

HECTOR, se retournant et se trouvant nez à nez avec lui.

Encore !...

CAPDEVIEL.

Ne sauriez-vous m’indiquer de ce côté quelque marchand de gants à l’essence ?...

HECTOR.

Comment des gants !... vous disiez tout à l’heure...

CAPDEVIEL.

Eh ! précisément... Une invitation subite chez le surintendant du château... Et pris au dépourvu... il faut bien se conformer aux exigences du monde !...

HECTOR.

Allez au bourg de Marly... vous trouverez.

CAPDEVIEL.

Au bourg, évidemment !... sûlement je redoute de ne point trouver une paire de gants comme la vôtre... ces gants ont une allure !... Faites voir !... Sandis, voici précisément la paire de gants qu’il me faudrait... et en y faisant broder mes armes...

HECTOR.

Ah ! vous avez des armes ?

CAPDEVIEL, avec enthousiasme.

Les Capdeviel d’Esbroussac de Castres ? Une famille qui remonte à la tour de Babel !... Si nous avons des armes ?... je le crois bien, sandis. – De trois merlettes sur champ de sable... à la barre de bâtardise sur champ de gueule !...

HECTOR, nez à nez avec lui.

Oui !... de gueule !

CAPDEVIEL.

Parfaitement...

Doucement, finement.

Mais pour en revenir aux gants... cette histoire de gants me remémore...

Souriant avec complaisance.

C’est étrange comme les idées s’enchaînent... Elle me rappelle, dis-je, certaine aventure d’amour qu’il faut que je vous conte, sandis !

HECTOR, déposant son fusil contre la maison.

Voyons un peu cela... cadédis !

CAPDEVIEL, il descend à l’avant-scène avec Hector, et sur le ton de l’intimité.

Les Capdeviel d’Esbroussac ont toujours eu, je puis le dire, le plus grand succès auprès des femmes...

HECTOR, à lui-même.

Comme nous.

CAPDEVIEL.

Si bien donc que tout notre avoir étant croqué...

HECTOR, de même.

Comme le nôtre.

CAPDEVIEL.

Je me dis un jour : Galaor !... (je m’appelle Galaor de mon petit nom) Galaor, l’amour a tout dévoré, mon fils, c’est à l’amour à tout te rendre. Tu feras ton chemin dans le monde par les femmes !

HECTOR.

Ah ! saperlotte !... c’est ici que nous nous séparons, par exemple !

CAPDEVIEL.

Elles sûles tiennent en leur main richesses, dignités, honnurs !...

HECTOR.

Si grand papa l’entend !

CAPDEVIEL.

Donc ! trouves-en sûlement une bonne !... sache lui plaire... et ta fortune, il est faite !

Il lui frappe amicalement sur l’épaule, Hector s’essuie.

HECTOR.

Ah ! je voudrais bien voir ça par exemple !

CAPDEVIEL, finement.

Vous le verrez !...

HECTOR.

Vous tenez la femme ?

CAPDEVIEL.

Parfaitement !... Et voici comme...

Avec une extrême rapidité.

Quittant le château d’Esbroussac, je vins trouver à Saint-Germain, le chevalier de Barbezac, mon ami, colonel du régiment de Gascogne, et je lui dis : « Mon bon, quoique gentilhomme je demande à servir le roi en simple soldat, sandis !... Ne parlons pas de grade, je ne veux pas entendre parler de grade, ne m’en offre pas, je n’en veux pas. »

HECTOR.

Très beau ! seulement, je ne vois pas où nous allons !

CAPDEVIEL.

Eh ! j’arrive... Donnez-vous patience : « Je veux, ajoutai-je,

Il s’appuie sur l’épaule d’Hector qui fait la grimace.

conquérir l’épée de connétable, comme Pantaléon d’Esbroussac, mon ancêtre, conquit Jérusalem au temps des croisades.

Hector se dérobe, Capdeviel glisse, se rattrape et poursuit.

Eh ! donc, je serai ton ami, ton autre toi-même, ton alter ego, ton soldat !... »

HECTOR, s’essuyant.

Ton laquais !

CAPDEVIEL, répétant sans s’en apercevoir.

« Ton laquais !... » Il me répondit les larmes aux yeux :  

Avec sentiment.

« Capdeviel ! le roi saura ton sublime dévouement, je te le garantis ; et pour commencer, viens à la promenade avec moi... »

Il prend le bras d’Hector.

Nous fûmes donc sur la terrasse, à la promenade, et je suivais le chevalier à distance, portant son manteau...

HECTOR.

Par amitié ?...

CAPDEVIEL.

Quand j’avise certaine demoiselle de qualité, sule avec sa suivante et qui regardait fréquemment de notre côté...

HECTOR, dégageant son bras.

De votre côté !

CAPDEVIEL.

C’est-à-dire du mien... je me dis : « Galaor, voici une poulette, mon bon, qui t’a vu, et qui ne t’oubliera de sa vie. » Et de fait, monsu, je la vois tout à coup qui laisse tomber... mais, pour me faire mieux comprendre... ôtez je vous prie, votre gant de la main gauche, et me le prêtez...

HECTOR.

Mon gant ?

CAPDEVIEL.

Oui.

HECTOR.

Voici !

CAPDEVIEL.

Qui laisse, dis-je, tomber son gant à terre... comme ceci...

Il le jette à terre.

Je le vois ! je m’élance, le ramasse et le mets sur mon cœur... de la sorte.

Il le saisit lestement et le met dans sa poche.

HECTOR.

Oui !

CAPDEVIEL.

Mais ce n’est pas tout, monsieur... Elle continue de marcher, et de l’autre gant...

Il passe à gauche lestement.

Ôtez, je vous prie, l’autre gant pour vous faire mieux comprendre.

HECTOR.

Voici l’autre gant !...

CAPDEVIEL.

De l’autre gant, dis-je, elle fait ce geste en minaudant !... Des baisers... des baisers qu’elle m’adresse... après quoi, il tombe comme l’autre. Je le vois, je m’élance et je le serre également sur mon cœur.

Même jeu.

– Comprenez-vous ?

HECTOR, souriant.

Oui... oui... Je crois que je commence à comprendre !

CAPDEVIEL.

Or, cette jeune personne, c’est mademoiselle Ingénue, la fille du surintendant de ce château.

HECTOR, surpris.

Bah !

CAPDEVIEL.

Voilà pourquoi je vous demandais l’adresse et j’y cours de ce pas !... Donc, cher monsu, servitûr et à l’honnûr...

Fausse sortie.

HECTOR, le retenant par son habit.

Ah ! mais, dites donc !... dites donc... pardon !...

CAPDEVIEL.

Plait-il ?

HECTOR.

Et mes gants que vous emportez ?

CAPDEVIEL.

Eh ! c’est vrai !... sandis !... quelle distraction !... j’oubliais de vous dire que je vous les emprunte jusqu’à demain pour me servir de modèle dans mon achat.

Même jeu, pour se sauver.

HECTOR, l’arrêtant.

Comment, vous les emportez ?

CAPDEVIEL.

Eh ! vous n’êtes pas à cela d’une paire de gants.

Même jeu.

HECTOR.

Mais si !...

CAPDEVIEL, avec dignité.

D’aillûrs, j’entends bien vous en offrir le prix !...

HECTOR.

Ah ! bien, voyons un peu ça.

CAPDEVIEL, se fouillant.

Capdeviel... aurais-je perdu ma bourse ? 

HECTOR.

J’allais vous le dire.

CAPDEVIEL, avec empressement.

Aidez-moi, je vous prie, à chercher ma bourse, sur le sol !...

HECTOR.

Non, non, allez ! c’est inutile : nous ne trouverions pas !

CAPDEVIEL.

Nous ne trouverons pas ?... la neige, voulez-vous dire...

HECTOR.

Oui.... elle a fondu dans la neige !... J’aime bien mieux vous donner mes gants tout de suite.

CAPDEVIEL, vivement.

Ah ! sandis, je les accepte en souvenir de votre courtoisie !... Et quand une fois un Capdeviel vous appelle son ami...

Il marche sur lui les bras ouverts.

HECTOR, mettant la main sur ses poches, en reculant.

Garde à vous !

CAPDEVIEL.

C’est à la vie et à la mort !...

HECTOR.

Qu’est-ce qu’il va encore m’emprunter ?...

CAPDEVIEL.

Dites donc, mon bon...

Il l’attire doucement, au milieu du théâtre.

Êtes-vous superstitieux, vous ?...

HECTOR, surpris.

Moi ?... euh !... euh !...

CAPDEVIEL.

Moi, je suis superstitieux ! – Je ne saurais commencer une affaire sans tout d’abord jeter en l’air... à pile... ou face !

HECTOR.

Ahi !...

CAPDEVIEL, humblement.

Un petit écu !...

HECTOR.

Nous y voilà...

CAPDEVIEL, avec dignité.

Histoire de consulter le sort !...

HECTOR, l’interrompant.

Oui ! – eh bien, écoute ! Galaor Capdeviel d’Esbroussac de Castres, qui porte de trois merlettes à la barre de bâtardise sur champ de gueule !...

CAPDEVIEL.

Eh ! oui !

HECTOR, gasconnant.

Eh ! oui... voilà mon dernier écu que je te donne, mon bon, car tu l’as bien gagné, capdebiou !

CAPDEVIEL.

Eh ! oui !

Il va pour attraper l’écu.

HECTOR, retirant la main et la pièce.

Eh oui !... mais j’y mets une condition, c’est que tu me tiendras au courant de ton aventure,

Lui faisant passer sous le nez la pièce d’argent que Capdeviel suit toujours du regard.

car, si un arrachûr de dents, un batelûr et un farçûr tel que toi trouve une femme pour le produire dans le monde, c’est que le sexe, capdebiou ! vaut encore moins que ne le pensait mon grand-père !... et, dès lors, mon indifférence pour lui se convertit en horrûr !

Couplet.

Air : Ni vu, ni connu, j’ t’embrouille.

Je n’ai pas couru,

Ni vu, ni connu

Le royaume de Cythère ;

Mais, pour un écu,

J’en suis convaincu,

L’aventure n’est pas chère !...

Puisses-tu,

Un peu mieux vêtu,

Pour plaire,

Prendre à la glu

Cette vertu

Sévère !...      

Ton hymen conclu,

Grâce à mon écu...

Tu seras... cossu,

J’espère.

CAPDEVIEL, lui prenant le louis.

Ah ! sandis, je reviendrais de l’enfer au même prix... Oh ! quel homme ! quelle âme !...

Il prend le manteau d’Hector sur le perron.

Quel cûr !

Il le jette sur son épaule.

HECTOR.

Eh bien, mon manteau aussi !...

CAPDEVIEL, se sauvant avec.

Quel cûr ! quel cûr !...

HECTOR.

Mais... Eh la ! la ! la ! la ! eh ! – Gascon du diable ! mon manteau !... Ah ! le volûr !

Il court après Capdeviel.

 

 

Scène XI

LES PAGES, PERRINE

 

LES PAGES.

Ils entrent en scène par la gauche, jouant au mail et courant derrière la boule, armés de longs maillets. Au même moment, Perrine parait sur son perron et suit des yeux Hector, du côté de la charmille.

Chœur.

Maillets au vent,

Vite en avant

La boule

Roule,

On court, la poursuivant !...

Le ciel est bleu,

Il gèle un peu,

Et loin du feu

Amis ! vive le jeu !

TOUS, arrêtant la boule.

Arrêtez... arrêtez.

DEUXIÈME PAGE.

Ne touchez pas... c’est à nous...

PREMIER PAGE.

Non, à nous...

TOUS.

À nous, à nous...

Ils se mettent à genoux pour mesurer la distance.

DEUXIÈME PAGE.

Mesurons !...

TOUS.

Mesurons !... mesurons.

PREMIER PAGE, apercevant Perrine.

Eh ! voici Perrine.

Il court au perron.

DEUXIÈME PAGE.

Bonjour, Perrine !

TOUS.

Bonjour, Perrine !

TROISIÈME PAGE.

Viens çà, Perrine !

PERRINE, qu’ils font descendre malgré elle.

Messieurs, voyons, soyons sages.

PREMIER PAGE, la lutinant.

Ah ! la jolie main !

DEUXIÈME PAGE, de même.

Le joli menton !

TROISIÈME PAGE.

Les jolis yeux !

PERRINE, se sauvant.

Messieurs ! voulez-vous !...

TROISIÈME PAGE, la ramenant.

Ah ! Perrine !...

DEUXIÈME PAGE, de même.

Mon cœur !...

PREMIER PAGE.

Mon ange !...

PERRINE, embrassée de tous les côtés.

À moi !... à l’aide !... au secours !...

 

 

Scène XII

 

LES PAGES, PERRINE, HECTOR

 

HECTOR, rentrant par le fond, avec son manteau.

Eh ! eh bien, qu’est-ce que c’est ? de la violence avec une femme !...

Il dégage Perrine, tous les pages s’écartent, et le toisent avec mépris.

PREMIER PAGE.

D’où sort ce rustre ?

DEUXIÈME PAGE.

Et de quoi se mêle monsieur ?

HECTOR.

Mais de vous donner une leçon, au besoin, jeune homme !...

TOUS.

Une leçon !

TROISIÈME PAGE.

L’insolent !

QUATRIÈME PAGE.

Aux pages du roi !

PREMIER PAGE.

Hors du parc !

TOUS, levant leurs maillets.

Oui, hors du parc !

HECTOR.

Alors, c’est une leçon de mail, très bien.

Arrachant le maillet d’un page.

Qui de vous est la boule, messieurs ?...

PREMIER PAGE.

En avant, messieurs, et bataille !

TOUS.

Bataille !

PERRINE, se réfugiant à droite.

Ah ! mon Dieu !... Ils vont se battre !

Ensemble.

Air : Pas redoublé.

PAGES.

Chassons le fat et l’insolent

Qui nous brave et nous raille !

Hors d’ici ce petit croquant !

En avant.

Et bataille !

Allons !
Frappons !
Tapons !
Cognons,
Et d’estoc et de taille !...

Hector fait sauter trois on quatre maillets des mains des pages qui se sauvent, les autres, serrés de près reculent. On entend au loin battre la retraite, ce qui arrête le chant et le combat : la neige commence à tomber.

PREMIER PAGE.

C’est la retraite, messieurs, on nous appelle !

TOUS LES PAGES.

C’est la retraite !...

Reprenant l’air et l’achevant.

Et qu’il nous tourne les talons,

Frappons !

Tapons !

Bataille !

Ils se sauvent.

HECTOR, après avoir jeté son maillet, les poursuit en leur fouettant les mollets de son manteau ; en descendant.

Ils appellent ça la retraite !... c’est bien une déroute !

Le bruit des tambours et des fifres s’éloigne peu à peu, et finit par s’éteindre tout à fait.

 

 

Scène XIII

HECTOR, PERRINE

 

HECTOR, jetant son manteau.

Et maintenant, ma chère hôtesse, que je vous ai délivrée de ces mal appris !

PERRINE.[8]

Qu’appelez-vous mal appris, monsieur ? ils sont mieux appris que vous.

HECTOR, étonné.

Ah !

PERRINE.

Je voudrais bien savoir de quoi monsieur se mêle, et qui l’a prié de prendre ma défense ?

HECTOR.

Vous avez raison, ma douce hôtesse, c’est un oubli ! L’indignation m’a fait une fois galant malgré moi, et j’avoue que je n’ai pu voir ces petits drôles vous manquer de respect et vous serrer de près, sans...

PERRINE.

Et si j’ai plaisir, moi, à ce qu’ils me serrent de près ? – Ah !

HECTOR.

Ah ! – c’est bien différent... mais alors pourquoi crier ?

PERRINE.

Qu’est-ce que cela prouve ?

HECTOR.

C’est juste, je vais les rappeler alors !... Eh ! messieurs !...

PERRINE.

C’est bon ! c’est bon ! Finissons-en... nous avons autre chose à débrouiller ensemble.

HECTOR.

Oh ! la ! la ! quel ton !... Et quoi donc, s’il vous plait ?

PERRINE, lui tendant sa note.

Votre compte.

HECTOR.

Mon compte ?

PERRINE.

Oui ; votre dépense depuis que vous logez chez moi.

HECTOR.

Mais ce compte... je ne l’ai pas demandé, ma mie... ce me semble !

PERRINE.

Oui, mais moi je le demande... ce me semble !

HECTOR.

Ah ! ah ! mais c’est une brouille, décidément. – Il faudra pourtant que vous attendiez, ma chère, car je viens de donner mon dernier écu, et l’argent de mes fermages, que je suis allé tantôt querir à la poste, n’est pas encore arrivé !

PERRINE.

Ah !... il n’est pas arrivé, cet argent ?

HECTOR.

Non... La Seine est prise : le coche ne marche pas... et il faut attendre le dégel.

PERRINE.

Ah ! il faut attendre le dégel !

HECTOR.

Toujours le dégel ! Toutes mes affaires en sont là !

PERRINE.

Oui !... Eh bien, si vous ne me payez pas tout de suite, moi, je vous donne congé.

HECTOR.

Congé ?

PERRINE.

Immédiat et radical !

HECTOR.

Comme cela, brutalement, sans avis préalable ?

PERRINE, à part.

Allons !... ferme, là !

HECTOR.

À l’approche de la nuit, et par ce froid ? – Ah ! madame Brabançon.

Couplet.

Air : Il pleut, il pleut, bergère.

Il neige ! il neige ! il neige !

Où diriger mes pas ?

Du toit qui me protège

Ah ! ne me chassez pas !

Quel abri trouverai-je ?...

Tout est glace et frimas.

Il neige ! il neige ! il neige

Ah ! ne me chassez pas !

PERRINE, à part.[9]

Le monstre !... il a des notes dans la voix !... s’il me prenait seulement la main !

HECTOR.

Allons !... vous ne ferez pas cela ?

PERRINE, se roidissant.

Si, je le ferai !

HECTOR.

Non.

PERRINE.

Si ! si ! je le ferai !... Quand on n’a pas d’argent pour payer son écot, monsieur, c’est bien le moins que l’on s’acquitte en bonne grâce.

HECTOR.

Mais il me semble que j’y mets toute la bonne grâce désirable !

PERRINE.

Oh ! que nenni !

HECTOR.

Eh ! que faut-il de plus ?

PERRINE.

Oh ! que sais-je, moi ? il faudrait... Enfin, vous aviez bien commencé, tenez, et si vous vouliez seulement continuer avec plus de verve...

HECTOR.

Ah ! je manque de verve !

PERRINE.

Mais, dame, il ne suffît pas de dire à une femme langoureusement, de la distance où vous êtes...

L’imitant.

« Ah !... madame Brabançon ! » Songez que je suis très montée contre vous, – et que, pour m’attendrir, vos paroles viennent de si loin, qu’elles ont le temps de geler en route !

HECTOR.

Alors, il faut vous parler de plus près ?

PERRINE.

Oui !

HECTOR, se rapprochant.

Ma chère hôtesse !...

PERRINE.

Je n’entends pas !

HECTOR, se rapprochant.

Ma chère hôtesse !

PERRINE.

Je n’entends pas !

HECTOR, plus près.

Ma chère...

PERRINE.

Voilà le point ! – Allez et tâchez de m’attendrir.

HECTOR.

Ma chère hôtesse, votre décision est véritablement bien dure, et je vous prie de considérer... Est-ce ça ?

PERRINE.

Pas encore !

HECTOR.

Pas encore ?

PERRINE.

Non ! ça ne m’attendrit pas !

HECTOR, se grattant l’oreille.

Ça ne vous attendrit pas ?

PERRINE.

Du tout !

HECTOR.

Diantre !... Alors de l’autre côté ; c’est celui du cœur !

PERRINE, l’arrêtant impatientée.

Mais non, mais vous êtes bien, là !... Ah ! le petit !... le petit... le petit !...

HECTOR.

Ah ! je comprends, il faut que, comme les pages...

Il fait signe de lui prendre la taille.

PERRINE.

Dame, pour m’attendrir...

HECTOR.

Ah !... que voilà une chose que je ne ferai pas !

PERRINE, tendrement.

Parce que ?

HECTOR.

Parce que !... ô grand-papa !...

PERRINE, étonnée.

Grand-papa !... Enfin, un tout petit baiser sur ma main.

Elle se rapproche de lui.

HECTOR.

Ah ! que voilà encore une chose que je ne ferai pas !

PERRINE, de même.

Parce que ?

HECTOR.

Parce que ça ne me dit rien.

PERRINE.

Quoi ! cette main si douce... si potelée !...

HECTOR.

Rien !...

PERRINE.

Ce cou si blanc !

HECTOR.

Rien !

PERRINE.

Cette joue si... !

HECTOR.

Rien !

PERRINE, éclatant.

Ah ! tenez... vous n’êtes pas un homme, vous n’êtes qu’un frimas !

HECTOR, gaiement.

Voilà.

PERRINE, furieuse, et courant à son perron.

Mais vous apprendrez à vos dépens, monsieur le morfondu, que l’on ne réclame pas l’hospitalité d’une femme, quand on ne peut la payer d’aucune monnaie, entendez-vous ?

HECTOR.

Bon !

PERRINE, de son perron, lui jetant la note.

Et voici votre note !

HECTOR.

Bien !

PERRINE.

Et voilà votre valise !... Et voila aussi le chemin du départ, et ne vous avisez pas de refrapper à cette porte, ou je lâche les chiens.

HECTOR.

Oh !

PERRINE, du haut du perron, exaspérée.

Et maintenant glaçon, gèle... gèle... gèle !...

Elle rentre chez elle en fermant la porte avec violence.

 

 

Scène XIV

 

HECTOR, seul

 

Il reste un moment sur place, en silence, et lui envoie trois baisers. La neige tombe plus serrée.

Décidément, il est une injure que les femmes ne pardonnent pas... c’est le profond respect !... La grande Fauconnière... celle-là !... En voilà déjà deux !... L’indifférence avec elles, serait-elle d’un effet aussi lamentable que l’amour ? N’importe !... je tiendrai mon serment d’Annibal... et, pour commencer comme lui...

Il va prendre son fusil.

je traverse les Alpes !...

On entend tout au loin les tambours et les fifres qui s’éteignent peu à peu.

La retraite ! plus de gite... pas d’argent... pas de vivres... allons !... allons !... la nuit s’annonce bien, et pour peu qu’une femme se mêle encore de mes affaires...

Il prend sa valise et va pour sortir par la droite, on entend dehors le chœur de la patrouille.

CHŒUR, de soldats dehors.

Air de Marie.

Marchons ! marchons ! marchons tous dans la nuit sombre,

Et ramassons,

Et ramassons

Vagabonds
Et fripons !

HECTOR, s’arrêtant.

Une patrouille !

Il va pour sortir par la gauche.

 

 

Scène XV

 

HECTOR, LE CHEVALIER, à la tête d’une patrouille de gardes suisses : à gauche, patrouille de pages conduite par un sergent. Le chevalier entre par la droite, l’autre patrouille par la charmille de gauche, puis PERRINE

 

LE SERGENT, entrant et se trouvant face à face avec Hector.

Qui vive ?...

HECTOR, il recule.

Ah !...

LE CHEVALIER, de l’autre côté entrant, même jeu.

Qui va là ?

HECTOR.

Oh !... ami ! 

À part.

Pas des femmes, par exemple !

LE CHEVALIER.

Que faites-vous, ici ?

HECTOR.

Vous voyez... je me promène !

LE CHEVALIER.

On ne se promène pas dans le parc du roi, la retraite sonnée !

HECTOR.

Il faut pourtant bien le traverser, ce parc, pour en sortir ?

LE CHEVALIER.

C’est bien ; nous allons voir, en avant...

Les deux patrouilles descendent.

Halte... Où allez-vous ?

HECTOR.

C’est précisément ce que j’allais avoir l’honneur de vous demander ?

LE CHEVALIER.

C’est-à-dire que vous n’avez pas de domicile ?

HECTOR, montrant la maison du garde.

C’est bien la faute de mon hôtesse qui vient de me mettre sur le pavé !

LE CHEVALIER.

Perrine !

Aux pages.

Appelez-la, messieurs !

TOUS LES PAGES, frappant à terre avec leurs fusils.

Eh ! Perrine ?

PERRINE, sur le perron.

Qu’est-ce que c’est ?

LE CHEVALIER, montrant Hector.

Monsieur a demeuré chez vous ?

PERRINE, éclairant avec son flambeau.

Monsieur ?... connais pas !...

HECTOR.

Comment, connais pas ?... Tu ne me connais pas ?...

PERRINE.

Ni d’Ève, ni d’Adam !...

LE CHEVALIER.

Oh ! Oh ! mon gaillard !...

HECTOR.

Mais ne l’écoutez pas !... elle ment !... Ah ! serpent !... encore une vengeance !...

LE CHEVALIER.

Ainsi vous n’êtes qu’un vagabond, et cette valise... ?

PREMIER PAGE, montrant le fusil.

Et le fusil, monsieur le chevalier !

TOUS LES PAGES, appuyant.

Oui !... oui... le fusil !

HECTOR.

Ah ! les petits scélérats !...

LE CHEVALIER.

Une arme !... Au nom du roi, je vous arrête !

On prend le fusil.

HECTOR.

Comme cela ?... sans motif ?...

LE CHEVALIER.

Sans motif ?... Non pas !... c’est bien vous, j’en suis sûr à présent, que trois dames ont rencontré tantôt, braconnant dans le parc, et tuant le gibier du roi sous leurs yeux !

HECTOR.

Trois femmes !... allons donc !... j’en étais sûr, qu’il y avait encore des femmes là-dessous ! – Alors ce sont les trois dames de tantôt qui me font arrêter ?...

LE CHEVALIER.

Comme dangereux.

HECTOR, à part.

Oui, oui, pas assez pour elles ; voilà bien mon tort à leurs yeux !...

LE CHEVALIER, aux gardes.

Entourez-le !

Tous les soldats font cercle au fond, autour de lui.

HECTOR.

Ah ! c’est une coalition de toutes les femmes qui ont juré ma perte ! – Eh bien, tant mieux ! Les grandes causes veulent de grands courages et la persécution fera de moi un héros ! Je léguerai du moins à la postérité l’exemple d’un homme qui, seul, aura tenu tête à toute la confrérie des jupons... et qui saura mourir comme il a vécu... et martyr !

LE CHEVALIER.

Portez... armes !

HECTOR.

Où me conduisez-vous ?... à la Bastille ?

LE CHEVALIER.

Non... d’abord chez M. le baron de Millepertuis, surintendant du château.

HECTOR.

Très bien !... voilà toujours un logement. Y a-t-il encore des femmes là-dedans ?

LE CHEVALIER.

Mais oui ; – madame la baronne !...

HECTOR.

Bon !

LE CHEVALIER.

Sa fille...

HECTOR.

Bien !

LE CHEVALIER.

Et sa sœur.

HECTOR, gaiement.

Trois jupons !... je suis perdu !

LE CHEVALIER, aux soldats.

En avant !

HECTOR, l’arrêtant.

Pardon !... pardon !... Et vous, monsieur le chevalier, pourrait-on vous demander si vous avez aussi une femme ?

LE CHEVALIER.

Oui !

HECTOR, de même.

Quatre !... je suis mort !

LE CHEVALIER.

Soldats !...

Les deux patrouilles s’apprêtent à sortir.

PERRINE, descendant du perron et à demi-voix, en tendant la main à Hector.

Un baiser, je vous sauve !

HECTOR.

Vade retro !

PERRINE.

Rien que sur la main !

HECTOR.

Non !...

PERRINE.

Un tout petit !

HECTOR.

Pas ça !...

PERRINE.

Va donc pourrir à la Bastille, scélérat !... et puisses-tu y être mis à la torture !...

HECTOR.

Par des femmes... je m’y attends... et je suis prêt ! 

À lui-même.

– D’ailleurs, c’est drôle... et je ne suis pas fâché de voir comment tout ça finira.

LE CHEVALIER.

Par file à droite... en avant !...

HECTOR.

Reprise de l’air.

Marchons ! marchons ! marchons, tous dans la nuit sombre,

Et méprisons, et méprisons

Vengeance et trahisons !

LE CHEVALIER, LE SERGENT, SOLDATS et PAGES.

Marchons ! marchons, marchons, marchons tous dans l’ombre,

Et ramassons, ramassons,

Vagabonds et fripons !

HECTOR.

Marchons !... et dédaignons

Jupons,
Paniers et cotillons !...

TOUS.

Marchons !... et surveillons

Bosquets et taillis et buissons.

Reprise ensemble.

Marchons ! marchons ! marchons, tous dans la nuit sombre.

Défilé. On emmène Hector. Les pages envoient des baisers à Perrine.

 

 

ACTE II

 

Un salon. Porte d’entrée au fond. Cheminée à droite, premier plan, fenêtre à gauche, pan coupé et porte au premier plan, meubles, glaces, etc. Un canapé à droite devant la cheminée ; un fauteuil à gauche.

 

 

Scène première

LE BARON, LES PAGES

 

LE BARON.

Allons ! messieurs les pages, voyons... une dernière fois le chœur des Roseaux, et de l’ensemble, s’il vous plaît !

LES PAGES, attaquant le chœur.

Chœur.

Air : Dodo, l’enfant do.

Roseaux !

Beaux

Roseaux !...

LE BARON, les interrompant.

Ce n’est pas ça !... ce n’est pas ça !... c’est mou ! – Mettez-vous donc bien dans le sentiment de la situation... vous jouez dans la pièce des rôles de roseaux... des roseaux autour d’une source !... Le vent passe sur vous et, en passant, vous agite, et cette agitation se traduit par un délicieux bavardage où vous racontez à la source les cancans de la forêt ! – Voilà le motif du chœur ! – Est-ce compris ?

TOUS.

Oui, monsieur le baron !

DEUXIÈME PAGE.

Mais il nous faudrait la Source...

LE BARON.

Madame de Cahuzac ?

PREMIER PAGE.

Tant que la Source ne répétera pas avec nous... nous manquerons de feu !

LE BARON.

Allons, allons, silence ! vous êtes de petits libertins !... La Source est occupée à se coiffer, ainsi que ces dames !... Figurez-vous qu’elle est là... et reprenons ! – Y sommes-nous ?...

LES PAGES.

Oui, monsieur le baron !...

Ils remontent et se rangent au fond, sur une ligne.

CHŒUR.

Roseaux !

Beaux
Roseaux !

Balancés au gré des eaux...

Roseaux !

Beaux
Roseaux !...
Chantons au bord des ruisseaux !

La source plaintive

Attend sur la rive

Adonis le galant chasseur...

LE BARON.

Ah ! que vous massacrez mon chœur.

TOUS.

Roseaux !...        

LE BARON, battant la mesure.

Un ! deux, trois, quatre !...

TOUS.

Roseaux !...

LE BARON.

Vous chantez faux !

TOUS.

Roseaux !...

LE BARON.

Un, deux ;

Etc.

TOUS.

Roseaux !

LE BARON.

C’est un peu moins faux !

Parlé.

Maintenant, n’oublions pas la mise en scène qui termine ce chant !... Sur la dernière mesure... vous vous écartez tout à coup, avec horreur, pour livrer passage à Tisiphone furieuse !...

 

 

Scène II

 

LE BARON, LA BARONNE, puis UNE SUIVANTE, LES PAGES

 

LA BARONNE, entrant par le fond, furieuse, en peignoir de toilette.

Oui, oui, la voilà, Tisiphone... Et si vous croyez que cela se passera comme ça !...

LE BARON.

Allons !... quoi de nouveau ?

LA BARONNE.

Comment ! quoi de nouveau ?... vous dites que je suis furieuse !... oui, je suis furieuse !

LE BARON.[10]

C’est dans votre rôle.

LA BARONNE, jetant son rôle.

Le voilà, mon rôle !... je ne le jouerai pas, mon rôle !... jamais ! jamais ! jamais !

LE BARON.

Encore !...

LA BARONNE.

Avoir le front de mettre sur ma toilette des choses pareilles !... voilà ce que je trouve sur ma toilette !

La suivante paraît au fond, tenant des serpents d’accessoire avec une pincette.

LE BARON.

Eh bien, les serpents pour vos cheveux, comme toutes les Furies !

LA BARONNE.

Et vous croyez que je mettrai cette horreur-là sur ma tête... des peaux de...

Frissonnant.

Oh !... rien que d’y penser !...

LE BARON, les prenant avec ses doigts.

Des bourrelets... de simples petits bourrelets de fenêtres.

Avec complaisance.

que j’ai moi-même peints en vert !

LA BARONNE.[11]

Oh ! l’horreur !... ne me montrez pas ça !... ils ont des yeux !...

LE BARON.

Des yeux... mais des diamants, baronne, de petits diamants de la plus belle eau, que j’ai fait coudre à la place des yeux, pour vous en faire l’agréable surprise !...

LA BARONNE, sans se retourner.

Il y a des diamants ?...

LE BARON.

Voyez plutôt !

LA BARONNE, se retournant et regardant du coin de l’œil.

Tiens !... oui, c’est assez gentil, ces petites bêtes !

LE BARON.

N’est-ce pas ? – Quand ce sera disposé dans votre coiffure...

LA BARONNE.

Est-ce qu’il n’y en a que pour la coiffure ?

LE BARON.

Dame !

LA BARONNE.

Les Furies en avaient aussi qu’elles brandissaient !...

LE BARON.

Vous croyez ?

LA BARONNE.

J’en suis sûre ! – La belle affaire ! Une demi-douzaine de serpents, pour faire peur : il en faudrait encore une bonne poignée à la main !... dans les deux mains... et une douzaine autour de la jupe !...

LE BARON.

Oh ! il est trop tard maintenant !

LA BARONNE.

Enfin, donnez toujours !...

Elle prend les serpents et les regarde avec complaisance.

Je vais me coiffer.

LE BARON.

Alors, vous n’êtes plus furieuse ?

LA BARONNE, regardant les yeux des serpents.

Si je suis furieuse ! ils sont trop petits !... Au lieu de me faire de bons gros serpents... avec des yeux énormes !... ils sont trop petits !...

Elle sort.

 

 

Scène III

 

LE BARON, LES PAGES

 

LE BARON, aux pages qui suivent la soubrette en la lutinant.

Allons ! allons ! messieurs les pages, soyons sages !...

PREMIER PAGE, redescendant en courant.

Voilà, monsieur le baron !

LE BARON.

Vous avez bien tout ce qu’il faut pour vous costumer ?...

DEUXIÈME PAGE.

Oui, monsieur le baron !

LE BARON.

Les jupes, les tonnelets ?

TROISIÈME PAGE.

Oui, monsieur le baron !...

LE BARON.

Allez !... allez vous habiller !... Et tâchez de ne pas lutiner mes naïades, qui ont assez affaire de se costumer.

PREMIER PAGE, redescendant sur la pointe du pied suivi de tous les autres de même.

Où se costument-elles, monsieur le baron ?...

LE BARON.

Où elles se costument ?... Dans l’aile gauche... au fond de la galerie, à main droite... tout au fond !

DEUXIÈME PAGE.

Merci, monsieur le baron !...

TOUS.

Merci, monsieur le baron !...

Ils se sauvent en courant.

LE BARON, seul.

De quoi, merci ?... Ah ! de la peine que je me donne pour les faire... Il n’y a pas de quoi, mes enfants !... c’est dans l’intérêt de l’art... et...

Il se trouve nez à nez avec Pitois, qui est entré par la gauche d’un air lamentable.

 

 

Scène IV

 

LE BARON, PITOIS DE LA BUISSONNIÈRE

 

LE BARON.

Tiens !... c’est vous, Pitois ?

PITOIS.

Oui, oui, c’est moi, Pitois, qui sors d’une jolie scène !...

LE BARON.

Votre scène avec Diane, au second acte... la scène du bain !... je crois bien, c’est délicieux.

PITOIS.

Ah ! oui, la scène du bain !... une scène avec ma femme !...

Il s’assied.

LE BARON.

Ah ! une querelle !...

PITOIS.

Mais toujours !... Dieu !... quel caractère !... Et dire que cette femme-là m’aime beaucoup !... car il n’y a pas à en douter, baron, elle m’aime prodigieusement... à ce que dit ma belle-mère... du moins...

LE BARON, surpris.

Ah !

PITOIS.

Seulement, plus elle aime les gens, plus elle les tourmente ! voilà !...

LE BARON.

Ah !...

PITOIS.

Mais, la preuve...

On entend la vois d’Henriette.

Tenez !... l’entendez-vous, elle ne peut pas se passer de moi !...

La porte s’ouvre.

La voilà !

 

 

Scène V

LE BARON, PITOIS, HENRIETTE

 

HENRIETTE, entrant par le fond, nerveuse, impatientée, agacée, sans voir son mari.

Alors on ne peut plus savoir ca que sont devenues ces dames ? Ces dames se sont envolées, c’est fini ? Et personne ne peut me dire où je m’habille !

PITOIS, se levant.

Mais...

HENRIETTE, l’apercevant.

Oh ! Dieu !... Vous voilà encore, vous ?

Elle lui tourne le dos et va se chauffer les pieds à la cheminée.

PITOIS.

Vous voyez ?

LE BARON.

Oui ! oui !... je vois !...

Haut.

Nous avons décidé que ces dames...

HENRIETTE, l’interrompant.

Eh bien, ces dames, oui !... Ces dames ?... où sont ces dames ?

Quittant la cheminée pour descendre.

Sont-elles encore occupées de ce monsieur ? Regardent-elles encore ce monsieur par la fenêtre ?

PITOIS.

Ce monsieur ?...

LE BARON.

Quel monsieur ?...

HENRIETTE, descendant.[12]

Un petit manant qui a eu tantôt l’effronterie de nous aborder...

PITOIS.

Par exemple !... Il s’est permis !

HENRIETTE, impatientée.

Mais mon Dieu !... on ne vous demande rien, taisez vous donc !...

PITOIS, piteux.

Oui, chère amie... oui !...

Il remonte.

HENRIETTE, au baron.

Ces dames se sont beaucoup... mais beaucoup amusées de ses ridicules sornettes !... Et comme ce monsieur s’est permis de braconner dans le parc !

PITOIS.[13]

Comment braconner !... mais je vais...

HENRIETTE.

Mais encore une fois on ne vous demande rien !...

PITOIS.

Oui, chère amie... oui !...

HENRIETTE, au baron.

J’imagine que madame de Cahuzac n’aura pas laissé perdre cette occasion de le faire arrêter par son mari... pour le voir de plus près !

LE BARON.

Oh ! là ! là ! chère dame, vous supposez donc madame de Cahuzac bien éprise...

HENRIETTE.

Je suppose ?... Elle le mangeait des yeux, devant moi !... Nous sommes si ridicules, nous autres femmes, quand nous nous y mettons !

Elle retourne à la cheminée, et s’assied sur le canapé.

PITOIS, se penchant derrière elle, à droite et à gauche, sans venir à bout de rencontrer les yeux de sa femme.

Excepté vous, chère aime, qui seule en cette occasion, comme toujours...

HENRIETTE, la tête dans ses mains, sans le regarder.

Et dire que je ne pourrai pas prononcer trois paroles que monsieur Pitois de la Buissonnière ne m’interrompe mal à propos...

PITOIS.

Oui, chère amie !... oui !

Il remonte, et passe à gauche.

LE BARON, s’avançant vers Henriette.[14]

Ah ! çà, voyons... chère dame, il est donc bien beau, ce monsieur ?

HENRIETTE, dans la même attitude.

Affreux !

LE BARON.

Alors bien spirituel ?

HENRIETTE.

Absurde !

Elle se lève, et s’accoude à la cheminée.

LE BARON.

Au moins, d’une galanterie ?...

HENRIETTE.

Un rustre !...

LE BARON.

Mais voyons ! Un homme sans esprit, sans beauté, sans politesse, ne saurait plaire, je prends Pitois à témoin !...

HENRIETTE.

Oui, oui, témoin M. Pitois !...

PITOIS.

Hein !...

HENRIETTE.

Mais quelle différence ! Celui-là a ce je ne sais quoi... à ce que disent ces dames !... car pour moi !...

Elle descend.

Il me déplaît !... il m’irrite ; je l’ai en horreur !... Depuis que je l’ai vu, il ne me sort pas de l’esprit... avec ses manières... et ce langage... l’insolent ! Je suis révoltée que des femmes puissent s’occuper ainsi d’un pareil fat !... Et s’il était là !... Ah ! je voudrais bien qu’il fût là, par exemple !...

LE BARON.

Mais s’il est arrêté et que vous désiriez le voir ?...

HENRIETTE.

Vous êtes étonnant, baron !... Qui vous parle de le voir ?

LE BARON.

Mais, vous !

HENRIETTE, indignée.

Moi ?

PITOIS.

À l’instant !...

HENRIETTE, à Pitois.

Allons ! vous ne savez ce que vous dites, monsieur... Je ne vous parle pas de moi ; mais de ces dames... et je ne sais ce que vous avez depuis une heure à m’entretenir de ce monsieur...

PITOIS et LE BARON, stupéfaits.

Nous ?...

HENRIETTE, ironiquement.

Enfin, êtes-vous contents !... En savez-vous assez sur son compte ?...

LE BARON et PITOIS.

Mais...

HENRIETTE, vivement, marchant sur son mari qui recule.

Oui... eh bien, c’est heureux !... Tâchez seulement que je ne le voie pas, si on l’amène !...

LE BARON.

Soyez persuadée...

HENRIETTE, allant au baron et le faisant reculer à son tour.

Et s’il vient, prévenez-moi... j’y tiens... j’y tiens... j’y tiens beaucoup...

PITOIS.

Mais non ! je l’éloignerai plutôt !

HENRIETTE, agacée.

Oh !... oh !... oh !... bien non ! décidément, monsieur Pitois ! j’aime mieux vous quitter la place !... vous finiriez par m’impatienter !...

Elle sort.

PITOIS, ahuri, regardant le baron.

Voilà.

LE BARON.

Voilà.

PITOIS.

Et dire que cette femme-là m’aime énormément.

LE BARON.

Oui... mais tout cela ne me donne pas mon Adonis, qui est en retard, et mon sanglier qui n’arrive pas !...

INGÉNUE, en dehors.

Papa !... papa !...

 

 

Scène VI

 

LE BARON, PITOIS, HENRIETTE, INGÉNUE, puis CLORINDE et GABRIELLE, FEMMES, etc.

 

INGÉNUE, entrant par la gauche.

Papa !... c’est lui ! c’est lui !

Elle est en peignoir et à moitié coiffée.

LE BARON.

Mon Adonis ?...

INGÉNUE.

Non !

LE BARON.

Le sanglier.

INGÉNUE.

Eh ! non !... Le jeune homme que l’on vient d’arrêter dans le parc !...

Elle court à la fenêtre.

PITOIS.

Le braconnier ?...

CLORINDE, entrant vivement par la gauche, même toilette qu’Ingénue.

Oui, oui, je viens de le voir de ma fenêtre !

GABRIELLE, entrant par le fond, même toilette.

Et moi de la mienne.

PERRINE, de même.

Mon glaçon ! ah ! nous allons voir !...

INGÉNUE, regardant de la porte au fond et descendant en courant.

Le voilà !... le voilà.

Rumeurs.

Ah ! regarde, papa !... comme il est gentil !...

LE BARON.

Mais veux-tu bien te taire !... Quelle ingénuité !...

LE CHEVALIER, paraissant au fond, avec les gardes.

Halte !... armes, bras !...

GABRIELLE, à Clorinde.

Enfin !... nous sommes vengées !...

 

 

Scène VII

 

LE BARON, PITOIS, LE CHEVALIER, INGÉNUE, GABRIELLE, CLORINDE, PERRINE, FEMMES, PAGES, GARDES

 

Les dames en peignoir de toilette, ainsi que le corps de ballet. Le chevalier de Cahuzac entre le premier, les soldats restent au fond ; toutes les femmes se trouvent rangées à droite et à gauche, de sorte qu’Hector, en arrivant, ne verra qu’elles sur deux lignes.

LE CHEVALIER.

Baron ! je vous amène un délinquant arrêté par nous dans le parc... Pouvons-nous l’interroger ici, et voir s’il y a lieu de le relâcher ?...

LE BARON, prenant une pose solennelle.

Parfaitement ! qu’il entre !

LE CHEVALIER.

Entrez, jeune homme... entrez !...[15]

HECTOR, dehors, sans paraître.

Pardon !... Les dames y sont-elles ?...

LE CHEVALIER.

Vous verrez bien ; entrez !...

HECTOR, entrant, sa valise à la main ; il s’arrête saisi à la vue des femmes et gaiement.

Vertudieu ! vous ne m’en annoncez que quatre... et en voici au moins dix !

LE CHEVALIER.

Allons ! c’est bon ! avancez !...

HECTOR, salue en descendant entre les deux rangées de femmes.

Passons par les verges !...

Saluant les femmes, à droite.

Voici l’auditoire.

Saluant, à gauche, Clorinde et Gabrielle qui détournent la tête.

Voici les témoins à charge !...

Saluant Perrine.

Voici le bourreau... où sont les juges ?...

LE CHEVALIER, désignant le baron.

De ce côté... Baron, monsieur s’est permis de chasser dans le parc du roi !...

LE BARON.

Oh ! que c’est grave !... Le fait est prouvé ?...

LE CHEVALIER, désignant Clorinde et Gabrielle.

Ces dames vous répondront !...

CLORINDE.

Nous avons surpris monsieur, massacrant le gibier sous nos yeux !...

GABRIELLE.

Et nous doutons qu’il désavoue...

HECTOR, les saluant.

Votre parole, mesdames !... Dieu m’en préserve !

LE CHEVALIER, au baron.

Monsieur ne dément pas, vous voyez !...

LE BARON, aux soldats du fond.

Loin de là ; il avoue ! Je maintiens l’arrestation.

On ferme les portes.

HECTOR, à lui-même, gaiement.

Voyons un peu où cela nous mènera ?...

LE CHEVALIER.[16]

En attendant que monsieur soit expédié sur Versailles... il ne reste plus qu’à savoir, baron, qui de nous aura l’honneur de le loger cette nuit sous bonne garde...

HECTOR.

Ah ! voilà qui m’intéresse ; par exemple, où va-t-on me loger cette nuit ?... Oui ?...

CLORINDE, vivement.

Mais ici ! ce me semble, puisqu’il y est !

LE BARON.

Sans doute, ici !

GABRIELLE.

Oh ! pardonnez-moi ; mais le chevalier de Cahuzac, mon mari, ne peut faire si bon marché de ses prérogatives... C’est lui qui vient d’arrêter monsieur ; c’est donc à nous de garder dans notre maison un prisonnier dont nous répondons !

CLORINDE.

Mais doucement ! si vous parlez de droits, ma toute bonne, ce n’est pas à vous que le prisonnier appartient, c’est à nous !... Permettez !...

GABRIELLE.

Parce que, chère belle ?...

CLORINDE, impatientée.

Parce que monsieur a braconné sur un bassin ; et que tout ce qui se passe sur les bassins est du ressort de mon frère !

GABRIELLE.

Mais à ce compte-là, ma charmante, monsieur vient d’être arrêté dans les bosquets !!... Et tout ce qui se passe dans les bosquets ne relève que de mon mari...

HECTOR, s’asseyant sur sa valise.

Pardon !...

CLORINDE, écartant le baron et se rapprochant d’Hector.

En vérité !... Vous tenez donc bien à mettre monsieur sous clef, ma mignonne !

GABRIELLE, même jeu, avec son mari.

Mais pas plus que vous à le tenir enfermé, mon cœur ![17]

CLORINDE, à son frère.

Et vous souffrirez cela ?...

LE BARON.

Par exemple !...

GABRIELLE, à son mari.

Et vous permettrez ?...

LE CHEVALIER.

Jamais !...

LE BARON, reprenant sa première place.

Chevalier !

LE CHEVALIER.

Baron !

HECTOR, éclatant de rire.

Oh ! il ne leur manque plus que de se... Ah ! Ah ! Ah !... Oh ! grand-papa !

Il passe à droite.

PITOIS, séparant les deux hommes.

Mais, voyons ! voyons ! voyons ! Mais ventre-de-biche, vous vous disputez là depuis une heure ; mais l’affaire me regarde bien un peu, moi !

GABRIELLE et CLORINDE.

Vous ?

PITOIS.[18]

Un délit de chasse !... Ah ! ça, ne suis-je plus capitaine de la vénerie du roi ?...

LE CHEVALIER, LE BARON, GABRIELLE, CLORINDE.

Tiens, c’est vrai !

HECTOR, assis à droite sur sa valise.

Ah ! j’aime bien mieux cela ! Il n’a pas de femme au moins celui-là.

PERRINE.

Si !...

HECTOR.

Sarpejeu !...

PITOIS.

D’ailleurs, ce n’est qu’une question de gibier ! Et je vais mettre tout le monde d’accord !... Si le coupable a tué gibier d’eau, tel que canard, sarcelle... etc... Question de bassin !... il est à vous, baron !

LE BARON, à sa sœur.

Très bien !...

PITOIS.

Si c’est gibier de taillis, tel que : lièvre ou lapin ! question de bosquets. – Chevalier, je vous l’abandonne.

LE CHEVALIER, à sa femme.

Oui !...

PITOIS.

Mais si c’est oiseau !... Je le garde !... et je l’enferme !...

LE BARON.

Voyons donc le corps du délit !...

LE CHEVALIER.

Absent !...

PITOIS.

Qu’a-t il tué, mesdames ?

CLORINDE, vivement.

Un canard, j’en suis sûre...

GABRIELLE, de même.

Un lapin ! J’en réponds !

PITOIS, les écartant.

Accusé, qu’avez-vous tué ? Autrement nous n’en sortirons pas !...

HECTOR, toujours assis à droite.

J’ai tué... attendez que je rappelle mes souvenirs !... J’ai tué !... 

À lui-même, regardant Pitois.

Dirai-je canard ?... dirai-je lapin ?... Quelle est de ces deux femmes la plus féroce ?

PITOIS.

Eh bien, répondez !

HECTOR, à lui-même, regardant Pitois.

Décidément, j’aime mieux la femme de celui-ci. D’abord, elle n’est pas là, elle vaut donc mieux que les autres !

Se levant.

J’ai tué une perdrix !

TOUS.

Ah !...

HECTOR, au milieu.

J’appartiens donc à monsieur... et à sa femme !

CLORINDE, au baron.

Ah ! vous n’avez pas de cœur !

GABRIELLE, à son mari.

Ah ! vous êtes d’une faiblesse !

Elles remontent.

PITOIS.

Très bien ! très bien !... Procédons au jugement !

Il passe à gauche et s’assied, entouré de tout le monde.

Ainsi, jeune homme...

Au chevalier, et à part.

Est-il gentilhomme ?

LE CHEVALIER, de même.

Ah ! je l’ignore !

PITOIS, de même.

C’est que s’il n’est pas gentilhomme, je vais le traiter...

LE BARON, de même.

Vous allez bien voir ?

PITOIS, bas.

Nous allons bien voir !...

Haut.

Or ça !... monsieur ! Vous confessez donc votre faute ?

HECTOR, seul à droite.

Ma foi, oui, monsieur !...

PITOIS, bas à lui-même.

Pas d’arrogance !... C’est un petit bourgeois !...

Haut, d’un ton plus rogue.

Mais cela est de la dernière gravité, monsieur !...

HECTOR.

Mon Dieu, monsieur, il paraît que oui !... puisque je suis ici !...

PITOIS, à lui-même.

De l’humilité ! c’est un croquant !...

Haut, avec insolence en se levant.

Savez-vous bien, jeune homme, qu’il faut être comme vous, un homme de rien !... un aventurier... un vagab...

Il se couvre.

HECTOR, l’interrompant avec hauteur.

Et savez-vous bien, vous-même, monsieur Pitois, que vous venez de me parler le chapeau sur la tête.

PITOIS.

Mais, je...

HECTOR, marchant sur lui et le faisant reculer.

Et que depuis mon aïeul, le marquis d’Arouel, baron de Bassompierre, maréchal des armées du roi...

Tous se découvrent stupéfaits.

c’est nous que l’on écoute, chapeau bas !

Se couvrant.

Et maintenant... je suis couvert !...parlez !...

PITOIS, ahuri et très humble.

Mais certainement...

LE CHEVALIER, de même.

Mais certainement...

LE BARON, de même.

Mais certainement...

PITOIS, bas.

Un Bassompierre !...

Haut.

Monsieur le... ?

LE CHEVALIER et LE BARON.[19]

Monsieur le... ?

HECTOR, sèchement.

Marquis !

TOUS, saisis.

Marquis !...

PITOIS, avec empressement.

Mais quand je vous disais qu’il y avait erreur !..

LE CHEVALIER, vivement et avec éclat.

Il y a erreur, monsieur le marquis !

PITOIS, renchérissant.

On vous a pris pour un autre.

LE BARON, de même.

Mais j’allais le dire !... on prend monsieur pour un autre !

LE CHEVALIER.

Ce sont ces dames qui ont cru voir.

CLORINDE et GABRIELLE.

Mais nous...

LE BARON, LE CHEVALIER et PITOIS, en même temps faisant signe à Clorinde de se taire.

Chut !...

PITOIS, redoublant.

D’ailleurs, monsieur aurait tué une perdrix...

LE BARON, de même.

Dix perdrix...

LE CHEVALIER.

Cent perdrix !...

PITOIS, remettant le fusil à Hector.

M. le marquis peut bien tuer dans le parc, tout, tout, tout ! ce qu’il lui plaira... c’est trop d’honneur...

TOUS, ensemble, saluant jusqu’à terre.

Qu’il nous fera !

HECTOR, souriant.

À la bonne heure !... Eh bien, cher monsieur Pitois, je ne tuerai rien du tout, et, puisque vous brisez mes chaînes, je demanderai à ces dames la permission de prendre congé d’elles à l’instant !... Ma valise !...

Les femmes du chœur sortent.

LE BARON.

Souffrez du moins qu’un valet...

HECTOR.

Non... non... je ne suis pas fier... quand on ne me force pas à l’être ! M. de Bassompierre que vous avez fait sortir de son incognito y rentre à l’instant même, et M. Hector va prendre modestement le chemin de Marly, en simple voyageur qui cherche gîte !...

PERRINE, à demi-voix.

Ah ! si monsieur le marquis voulait rentrer chez moi.

HECTOR, de même.

Oh ! non... c’est ma vengeance.

LE BARON, vivement.

Monsieur le marquis n’a pas de logement ?

HECTOR.

Je l’avoue !

LE BARON, poussé par sa sœur.

Mais tout mon hôtel est à sa disposition...

LE CHEVALIER, poussé par sa femme.

Mais tout le nôtre !...

LE BARON.

Et si l’offre de mon modeste souper ?

CLORINDE.

Après le spectacle !...

HECTOR, alléché.

Ah ! ah ! il y a spectacle ?...

LE BARON.

La mort d’Adonis !

PITOIS.

Que nous allons jouer devant la cour !

HECTOR.

La cour ! oh ! grand-papa ! je me sauve ! ma valise !

Il court à droite où il a laissé sa valise qu’il ne trouve plus.

LE BARON.

Quoi, monsieur le, marquis !... une pièce jouée par ces dames !...

HECTOR, effrayé, traversant la scène.

Oui ! oui ! justement !... ma valise !...

LE CHEVALIER, le suivant.

Devant une assemblée des plus jolies femmes...

HECTOR.

Miséricorde !... ma valise !... ma valise !

Il court au fond, à droite.

PITOIS.

Une comédie, enfin...

 

 

Scène VIII

LE BARON, PITOIS, LE CHEVALIER, INGÉNUE, GABRIELLE, CLORINDE, PERRINE, LA BARONNE, FEMMES, PAGES, GARDES

 

LA BARONNE, ouvrant la porte d’un air lamentable.

Que nous ne jouerons pas !

Mouvement de tous.

LE BARON.

Comment, que nous ne jouerons pas ?

Hector continue à chercher sa valise sans la trouver pendant ce qui va suivre.

LA BARONNE, descendant en scène, au milieu.

Il n’y a plus d’Adonis... Adonis n’est plus !...

TOUS, saisis.

Comment ?

HECTOR, à part, cherchant.

Où diantre ont-ils fourré ?...

LE BARON, prenant en tremblant la lettre que lui donne la baronne.

Une lettre ?

LA BARONNE, lugubre.

Lisez !...

LE BARON, lisant.

Cher baron, une entorse...

Frappé.

une entorse !...

Suffoqué.

Ah ! je n’ai pas besoin d’en lire davantage !... c’est assez clair... Plus d’Adonis !

Il tombe défaillant sur une chaise apportée par Perrine.

TOUS, sinistres.

Plus d’Adonis !

Silence.

HECTOR, les regardant.[20]

Ah !... il paraît qu’ils ont reçu une mauvaise nouvelle...

PITOIS.

Où en trouver un maintenant ?

LA BARONNE.

Où ?

LE BARON.

Où ?

TOUS, abattus.

Où ?

HECTOR, descendant, après une dernière recherche infructueuse et passant entre Pitois et le baron, en écartant Perrine.

Pardon !... je suis au désespoir de vous occuper de moi dans un pareil moment !... Mais si j’avais ma valise... si j’avais ma...

Il regarde le baron qui est tout à son chagrin, fait signe qu’il n’y a rien à en tirer et remonte.

PITOIS.

Un homme jeune ?

LE CHEVALIER, de même.

Joli !

LE BARON, de même.

Bien fait !

LA BARONNE.

Un homme enfin !... qui vous... que l’on...

HECTOR, passant entre le baron et la baronne, en écartant Ingénue et s’adressant à la baronne.

Pardon, je suis au désespoir de...

LA BARONNE, se reniant à sa vue.

Ah !...

HECTOR.

Hé ?...

LA BARONNE.

Oh !...

HECTOR.

Plaît-il ?

LA BARONNE, avec explosion.

Fermez les portes ! J’ai trouvé l’Adonis, voilà l’Adonis ! je le tiens.

HECTOR.

Comment, elle me tient !

TOUS, enchantés.

C’est vrai !

LE BARON.

Ah ! monsieur le marquis, vous consentiriez ?...

HECTOR, étonné.

Mais à rien !... mais à quoi ?

LE BARON, enthousiasmé.

Ah ! le marquis de Bassompierre ! en rôle des personnages, quelle splendeur ! le marquis de Bassompierre jouera le rôle d’Adonis !

HECTOR.

Moi !... le rôle de... Ah ! bien, par exemple !

LA BARONNE.

Ah ! monsieur le marquis, vous ne refuserez pas cela !

HECTOR.

Mais si fait, je le refuse... Mais a-t-on jamais vu ? me faire jouer, moi, devant !... avec !... mais jamais ! mais jamais !... Donnez-moi donc ma valise, hein... et ne plaisantons pas !...

LES HOMMES.

Ah ! monsieur le marquis !

HECTOR, fuyant.

Serviteur !

LES FEMMES.

Ah ! monsieur le marquis !...

HECTOR, même jeu.

Rien !

TOUS, suppliant.

Ah !...

HECTOR, criant.

Mais vous êtes insensés !... mais je ne le sais pas, votre rôle.

LE BARON.

L’affaire d’une heure !...

HECTOR.

Mais, je n’ai jamais joué.

LE BARON.

Tant mieux !... un début !

TOUS.

Un début !...

HECTOR.

Ô grand-papa ! ces hommes sont fous, ces femmes sont folles ! aide-moi à trouver ma valise et à sortir d’ici !...

Il se retourne pour fuir, et les trouve tous à genoux.

CHŒUR.

Air du Calife...

Nous sommes tous à vos genoux.

De grâce !... exaucez-nous !...

HECTOR.

Ils sont tous à mes genoux !

Etc.
Relevez-vous !...

 

 

Scène IX

 

LE BARON, PITOIS, LE CHEVALIER,INGÉNUE, GABRIELLE, CLORINDE, PERRINE, LA BARONNE, FEMMES, PAGES, GARDES, HENRIETTE, elle entre par la gauche du fond et voit tout le monde à genoux autour d’Hector

 

HENRIETTE.

Qu’est-ce que c’est que ça ?

Tout le monde se lève.

PITOIS.

Venez ! venez ! madame Pitois, joindre votre éloquence à la nôtre pour attendrir monsieur.

HENRIETTE, sans voir Hector.

Monsieur ?

HECTOR, se trouvant nez à nez avec elle.

La petite !...

HENRIETTE.

Encore !...

HECTOR, à lui-même.

Oh ! c’est la plus mauvaise, celle-là !

Apercevant sa valise sous le canapé et écartant Pitois et le baron pour la tirer à l’avant-scène.

Béni soit Dieu ! je la tiens !

HENRIETTE, attirant son mari à gauche.

Ah ! c’est pour cela que vous arrêtez monsieur ? pour vous prosterner devant lui ?

PITOIS.

Mais non !... il s’agit d’obtenir de lui qu’il joue le rôle d’Adonis !

HECTOR.

Fuyons.

Il remonte et trouve au fond toutes les femmes qui lui barrent le passage.

HENRIETTE.

Dans la pièce ?

LE BARON.

Dame !

HENRIETTE.

Avec moi ?

HECTOR, près à sortir, descendant.

Oh ! mais soyez tranquille, madame, j’ai refusé ! – Ainsi !...

Il remonte.

HENRIETTE, à gauche.

Mais je l’espère bien !... ma scène la plus importante qui serait avec monsieur !...

HECTOR, s’arrêtant, à part.

Elle m’irrite, cette petite femme !...

Haut en descendant.

Pardon, madame... puisque j’ai refusé, madame !

HENRIETTE.

Une scène d’amour... où il faut au moins que la personne avec qui l’on joue ne vous déplaise pas !

HECTOR, agacé.

Hum ! qu’elle m’irrite, cette petite femme.

Il remonte en courant.

HENRIETTE.

Avec ce monsieur qui n’est pas seulement poli !...

HECTOR, s’arrêtant sur le seuil de la porte qu’il a ouverte.

Pardon, madame... j’ai re... fu... sé !...

HENRIETTE.

Et vous avez bien fait, monsieur ; car si vous acceptiez...

HECTOR, repassant le seuil.

Madame, prenez garde à ce que vous allez dire !

HENRIETTE.

Vous me seriez extrêmement désagréable !...

HECTOR.

Ah ! je vous serais désagréable ?...

HENRIETTE.

Plus que je ne puis le dire !...

HECTOR.

Oui !... Eh bien ! voilà qui me décide tout à fait !

Il jette sa valise.

Je jouerai !...

Il descend.

TOUS, en triomphe.

Ah !

HENRIETTE, écartant vivement Ingénue qu’elle fait pirouetter.

Vous jouerez ?...

HECTOR, sous son nez.

Oui, madame !

HENRIETTE.

Pour me déplaire ?

HECTOR.

Pour vous charmer !

HENRIETTE.

Monsieur !...

HECTOR.

Madame !...

Air : Monsieur l’abbé.

Oui, je jouerai ce rôle exprès,

Afin de vous voir du plus près !...

Mais sur l’honneur, madame...

HENRIETTE.

Eh ! bien ?...

HECTOR.

Si vous étiez ma femme !...

Vous m’entendez bien !...

HENRIETTE.

Ah ! c’est comme cela !... Eh bien, moi je ne jouerai pas !

TOUS.

Oh !

HENRIETTE, avec une attaque de nerfs, trépignant.

Non ! non ! non ! Je ne veux pas jouer avec ce monsieur ! il me déplaît ! il est laid, mal fait, mal appris, ridicule, affreux !... Je ne veux pas jouer avec lui... entendez-vous.

Frappant du pied et commençant une attaque de nerfs.

Je ne veux pas, je ne veux pas !...

PITOIS.

Chère amie...

HENRIETTE, le repoussant.

Laissez-moi ! vous êtes un lâche qui laissez insulter votre femme !... Il m’insulte !...

Pleurant.

Oh !... Ah ! que je suis malheureuse !... ah ! ah ! il m’insulte !... ah !... maman !...

HECTOR.

Oh ! grand-papa !

Tout le monde s’empresse autour d’Henriette, son mari l’emporte.

LA BARONNE.

Donnez-lui de l’air !... c’est de l’air qu’il lui faut !

CLORINDE.

Délacez-la !

INGÉNUE.

Des sels !

Toutes les femmes la suivent au fond.

HECTOR, au chevalier.

Dites donc, chevalier... Est-ce qu’elles ont souvent de ces choses-là ?

LE CHEVALIER.

Les femmes, oui... quelquefois...

Il entre à gauche.

LE BARON, descendant, radieux.

Elle renaît... ce n’est rien... monsieur le marquis, voici le rôle que vous voulez bien...

HECTOR.

Oui, à cause d’elle !... pour la faire enrager !

LE BARON.

Vous aurez ici une répétition avec chacune de ces dames !...

HECTOR.

Avec elle aussi ! Je tiens surtout à en avoir une avec elle !

LE BARON.

Avec elle, je vous le promets... on va vous conduire à votre loge pour vous habiller, n° 15.

HECTOR.

N° 15... est-ce que c’est près d’elle ?...

LE BARON.

Porte à porte.

HECTOR.

Excellent !... ça la fera enrager encore plus !

LE CHEVALIER, qui est entré avec tous les accessoires qu’il a distribués aux dames.

Voici votre carquois.

HECTOR.

Bon !

CLORINDE.

Voilà votre javelot.

Elle lui fait la révérence.

HECTOR.

Merci !

GABRIELLE.

Votre peau de tigre.

Elle lui fait la révérence.

HECTOR.

Milles grâces !

LA BARONNE.

Et vos cothurnes !...

Même jeu.

HECTOR.

Très bien !... Ah ! je suis laid ! ah ! je suis mal bâti ! ridicule !... et tu me hais... Eh bien ! attends ! attends !... va !...

Trio.

Air de Raoul de Créquy.

HECTOR.

Je reviendrai dans un instant

Tout frétillant

Sautillant,

Sémillant,

Puis garde à vous, beauté superbe,

Car, nous dit un ancien proverbe :

Ô belles (bis.)

Cruelles (bis.)

Faut pas heurter (bis.)

Celui qu’on ne veut pas écouter.

LE BARON, LE CHEVALIER.

Il reviendra dans un instant,

Tout frétillant,

Sautillant

Sémillant,

Ah ! quelle rencontre superbe.

Un Adonis encore imberbe !...

Il est charmant

Et vraiment, (bis.)

Ravissant !

Ô belles

Cruelles,

Gardez-vous bien de l’écouter,

Vous ne sauriez lui résister !

Ensemble.

HECTOR.

Je reviendrai ;

Etc.

LE BARON, LE CHEVALIER, LES FEMMES.

Il reviendrai...

Etc.

Ils sortent par le fond en courant ; prêt à sortir par la gauche, au baron qui s’en va par le fond.

HECTOR.

Vous dites n° 15 ?

LE BARON.

Oui !

Il disparaît.

HECTOR.

Près d’elle !

LE BARON, de la coulisse

Oui !

HECTOR, seul.

Bon ! – Ah ! voilà une petite femme qui peut se vanter de m’irriter ! Oh ! qu’elle m’irrite !

Il se sauve.

Entracte, sans baisser le rideau, musique.

 

 

ACTE III

 

 

Scène première

 

LE BARON, PITOIS, BRABANÇON

 

LE BARON, le manuscrit de la pièce à la main.

Allons ! allons ! les décors sont prêts, ces dames s’habillent. Nous tenons l’Adonis... et je n’ai plus...

À Pitois qui entre.

Ah ! vous voilà ! Pitois !... et votre femme ?

PITOIS.

Elle me renvoie, ma présence redouble sa crise !

Il va s’asseoir devant le feu sur le canapé.

LE BARON.

Ah !

BRABANÇON, au fond, il a des papillotes.

Monsieur le baron... il y a là un homme qui demande à vous parler ?

LE BARON.

Un homme ?

BRABANÇON.

Oui, monsieur le baron... faut-il le faire entrer ?

LE BARON, assis, parcourant le manuscrit de la pièce.

Oui !

BRABANÇON.

Entrez !

CAPDEVIEL, dehors.

C’est par ici, monsieur le baron du Millepertuis ?

BRABANÇON.

Oui, oui, c’est ici.

 

 

Scène II

LE BARON, PITOIS, BRABANÇON, CAPDEVIEL

 

CAPDEVIEL, saluant Brabançon.[21]

Eh ! adiousias, monsu le baron !

BRABAÇON.

Pas moi !... monsieur !...

CAPDEVIEL, à Pitois.

Eh ! adiousias !... monsu le baron !...

PITOIS, désignant le baron par-dessus son épaule.

Pas moi... monsieur !...

CAPDEVIEL.

Eh ! adiousias, monsu le baron ! Y suis-je à cette fois ?

LE BARON.

Oui, oui, vous y êtes !

CAPDEVIEL.

Et comment va cette préciûse santé, monsu le baron ?

LE BARON, sans le regarder.

Pas mal, pas mal... Et la vôtre ?

CAPDEVIEL.

Mais la mienne est assez...

LE BARON, l’interrompant, et se levant.

Oui, cela m’est égal ! qu’est-ce que c’est ?

CAPDEVIEL.

Cette lettre répondra pour moi !

LE BARON, à Pitois.[22]

Eh !... Le cachet de l’Opéra !... bravo !... L’homme que j’attendais !

À Pitois, à demi-voix.

Le figurant !... mon sanglier !

PITOIS.

Ah !

Le baron lit.

CAPDEVIEL, à part, trop à distance pour les entendre.

Capdeviel, mon fils ! c’est ici le premier échelon de notre fortune ! tenons-nous bien !

LE BARON.

C’est bien cela !

Lisant.

« Cher baron, l’homme que je vous envoie est ce que j’ai de mieux à l’Opéra ! »

Ils se retournent tous deux pour jeter un coup d’œil à Capdeviel qui se rengorge.

Oui !

PITOIS.

Oui !

LE BARON, à Pitois.

Oui, cela fera un beau sanglier ?

CAPDEVIEL, à part.

C’est quelque emploi dans l’armée où la bonne mine est de rigûr !

LE BARON, lisant.

« Indépendamment de sa taille dont vous pouvez juger. »

La regardant.

Oui.

Lisant.

« Il rugit... » Ah ! écoutez bien cela... « il rugit comme personne au monde, et pourra vous jouer dans la pièce toute espèce de bête,

Il interrompt sa lecture et regarde Capdeviel.

dont il imitera les cris à s’y méprendre... »

PITOIS.

Ah !

Ils se retournent tous deux, et regardent Capdeviel.

CAPDEVIEL, à part.

Je crois, Capdeviel, mon bon, que nous produisons notre petit effet.

LE BARON, lisant.

« Et enfin, je ne sais personne comme lui, pour marcher à quatre pattes ! »

Haut.

Eh bien ! mais voilà qui est charmant ! Et vous vous appelez, mon ami ?...

CAPDEVIEL.

Le chevalier Capdeviel d’Esbroussac, de Castres !

PITOIS, surpris, au baron.

Chevalier ?

LE BARON, de même à Pitois.

Gentilhomme ?

PITOIS, de même.

Où l’on peut déchoir !

LE BARON, haut.

Ah ! vous êtes un d’Esbroussac ?

CAPDEVIEL.

De Castres ! parfaitement !...

LE BARON, en faisant la grimace à Pitois.

Par exemple, il a un peu d’accent !...

PITOIS, à demi-voix.

Un peu, oui !...

LE BARON, de même.

Après cela... un sanglier... comme il ne parle pas dans la pièce...

PITOIS, de même.

Oui.... mais s’il rugit avec cet accent-là.

LE BARON, de même.

Sapredieu ! c’est vrai !

PITOIS.

Un sanglier gascon... en Grèce !... ça fera mal.

LE BARON.

Il faut le prier de rugir un peu, pour voir.

PITOIS.

C’est ça !... amenez-le doucement, sans avoir l’air... ces comédiens sont si susceptibles.

CAPDEVIEL, à part.

On se concerte, tenons-nous bien...

LE BARON, après avoir échangé des signes avec Pitois.

Et dites-moi, mon ami, vous savez de quoi il s’agit ?

CAPDEVIEL.

Parfaitement. 

À part.

Pas un traître mot.

LE BARON.

Alors vous vous sentez capable de remplir ces fonctions délicates ?

CAPDEVIEL.

Tel tant plus elles sont délicates, tant plus elles me conviennent !

PITOIS, à demi-voix.

Ah ! crédié, oui... il a un accent féroce !

LE BARON, de même.

Oui, oui... oh ! pour de l’accent, il a de l’accent.

Haut.

Et vous vous êtes déjà essayé dans cet emploi ?

CAPDEVIEL.

Eh ! toute ma vie ! – Dès tout petit !

PITOIS, au baron, à part.

Il a débuté dans les marcassins.

LE BARON.

Oui.

Allant à Capdeviel.

Et voulez-vous rugir un peu pour voir ?...

CAPDEVIEL.

Vous dites ?...

LE BARON.

Je dis : voulez-vous rugir un peu, pour voir.

CAPDEVIEL.

Que je rugisse ?

LE BARON et PITOIS.

Oui.

CAPDEVIEL, à part.

Bizarre examen !...

Haut.

Et dans quel but ce rugissement ?

PITOIS.[23]

Monsieur a raison !... attendons qu’il ait mis son costume ; cela résonnera tout autrement... avec son grouin.

CAPDEVIEL, stupéfait.

Avec mon grouin ?

LE BARON.

Oui ; mais sans attendre le costume, ne pourrait-on pas au moins vous voir un peu... là... hé !...

Il lui montre la terre en faisant avec ses doigts le signe de courir.

CAPDEVIEL, regardant à terre, sans comprendre.

Hé !...

PITOIS, même jeu.

La... hé !...

Capdeviel les imite machinalement.

LE BARON.

À quatre pattes ?

CAPDEVIEL, s’arrêtant saisi.

À quatre pattes ?

PITOIS, accroupi ainsi que le baron.

Oui... il paraît que c’est admirable de vous voir !...

CAPDEVIEL, à part.

Bizarre !... bizarre examen !...

Haut.

Certainement... ce n’est pas que je refuse... pour vous distraire ! quoique gentilhomme, il faut bien quelquefois condescendre... Mais sandis !... entre nous sûlement !... entre amis !...

LE BARON.

Entre nous, maintenant !... Mais ce soir, devant le roi !

CAPDEVIEL, saisi.

Devant le roi ?

PITOIS.

Dame !c’est votre emploi... vous ne venez pas pour autre chose !

CAPDEVIEL, à part, ravi, retroussant ses manches.

Un emploi à la cour !

LE BARON.

Eh bien ! allons !

CAPDEVIEL, s’apprêtant à marcher à quatre pattes et s’arrêtant tout à coup.

Serai-je bien payé au moins pour cet acte de complaisance ?

PITOIS.

Oh ! soyez tranquille !

LE BARON.

Vous serez content !... Allons, dépêchons.

CAPDEVIEL, se redressant.

Et quant à l’habit dont il était question tout à l’heure, j’imagine qu’il est...

LE BARON.

Mais, dame... un sanglier... tout soies...

PITOIS.

Tout soies !

CAPDEVIEL, radieux.

Tout soie !...

LE BARON et PITOIS.

Allons ! marchons !... marchons !...

CAPDEVIEL, de même.

Sur la tête, sandis !... Et pour peu que le roi l’exige, je fais la roue à la portière de son carrosse, comme au temps de ma jeunesse !...

Il s’apprête à se mettre à quatre pattes.

 

 

Scène III

LE BARON, PITOIS, BRABANÇON, CAPDEVIEL, PERRINE

 

PERRINE, arrivant, essoufflée.

Eh ! monsieur le baron !... Vite ! le lustre qui est tombé !

LE BARON.

Ciel ! j’y vais !...

Appelant.

Pitois !

PITOIS.

Je vous suis...

LE BARON, à Capdeviel.

À tantôt, grand homme !...

CAPDEVIEL.

Monsu le baron !

LE BARON.

Ah ! j’oubliais !...

À Perrine, montrant Capdeviel.

Dis à ton mari de prendre la tête de monsieur !

Il se sauve.

CAPDEVIEL.

Ma tête !... sandis !... Je m’y perds !...

Ingénue paraît, entrebâillant la porte de gauche.

 

 

Scène IV

CAPDEVIEL, INGÉNUE

 

INGÉNUE.

Vous êtes seuil

CAPDEVIEL.

Enfin, c’est elle !

INGÉNUE, allant fermer la porte du fond.

Chut !... de la prudence !... Vous avez vu mon père !... il vous a bien reçu ?

CAPDEVIEL.

Oh ! comme un dieu !

INGÉNUE.

Qu’est-ce qu’il vous a dit ?

CAPDEVIEL.

Il m’a dit de marcher à quatre pattes... et je voudrais bien connaître le but !...

INGÉNUE.

Bon, je vous expliquerai cela. Prenez toujours ce billet !

CAPDEVIEL.

Ceci !

INGÉNUE.

Oui, ma réponse !

CAPDEVIEL.

À quoi ?

INGÉNUE.

À celui que vous m’avez glissé tantôt dans le parc.

CAPDEVIEL.

Eh ! puisque vous voilà, la réponse serait plus vite faite de votre bouche !

INGÉNUE.

Oui, mais je n’ai pas besoin que vous sachiez ce que je lui écris, à lui.

CAPDEVIEL.

À lui, qui lui ?

INGÉNUE.

Mon Dieu, vous savez bien qui je veux dire, puisque c’est lui qui vous envoie !

CAPDEVIEL.

C’est lui qui m’envoie... qui m’envoie ?...

INGÉNUE.

Eh bien, ce bel officier qui se promenait l’autre jour sur la terrasse... avec vous... et de qui vous m’avez remis ce matin une si jolie lettre... enfin votre maître !...

CAPDEVIEL.

Le colonel de Barbezac ! Mais sandis !... il n’est pour rien dans cette aventure.

INGÉNUE.

Comment !

CAPDEVIEL.

Et c’est moi-même qui vous remis tantôt pour mon propre compte, le billet où je vous dis que je vous aime !

INGÉNUE.

Vous m’aimez, vous ?

CAPDEVIEL.

Parfaitement ! – Et vous aussi, vous m’aimez !

INGÉNUE.

Vous avez cru ?... Ah ! l’horreur !

CAPDEVIEL.

L’horreur !... quoi, ces signes que vous me files sur la terrasse ?

INGÉNUE.

Mais pour lui !

CAPDEVIEL.

Ces gants que vous jetâtes !

INGÉNUE.

Mais pour lui !

CAPDEVIEL.

Capdeviel !... vous ne m’aviez donc pas vu ?

INGÉNUE.

Mais je vous vois, et je vous trouve bien impertinents,

Elle lui reprend le billet.

votre maître et vous ! – Lui, pour ne pas s’apercevoir de ce qui est, et vous, pour vous figurer ce qui n’est pas !

CAPDEVIEL.

À la bonne heure, mais...

INGÉNUE.

Un valet ! un laquais ! oser croire !... Ah ! quelle honte et quelle leçon !

Elle rentre à gauche.

 

 

Scène V

CAPDEVIEL, puis BRABANÇON

 

CAPDEVIEL, après un silence.

Mais alors, si tu ne m’aimais pas, femme bizarre, quel emploi me destinais-tu dans ce château ?... Capdeviel ! je perdrai la femme et la place ! mais pour l’habit qui est tout de soie... Je ne partirai pas sans !

BRABANÇON, lui présentant la tête du sanglier en carton.

Voilà votre tête !

CAPDEVIEL, sautant effrayé et se mettant en arrêt, la main sur l’épée.

Sandis !

BRABANÇON.

Ça vous fait peur ?

CAPDEVIEL, sans bouger.

Peur ! un Capdeviel !... Ah ! que tu me fais de peine !... C’est une hure !...

BRABANÇON.

Eh bien, oui, c’est une hure !... Fourrez-moi ça sur vos épaules !... Et dépêchez-vous, j’entends messieurs les pages qui vont répéter la chasse avec vous.

Il jette le costume sur le canapé, lui campe la hure sur le bras et s’en va.

CAPDEVIEL, stupéfait.

Je m’égare !... je m’égare !... je m’égare de plus en plus !...

Il va s’asseoir sur le canapé devant le feu, et contemple la tête de sanglier qu’il pose sur la cheminée.

 

 

Scène VI

CAPDEVIEL, puis LES PAGES, puis HECTOR

 

Les pages entrent deux par deux en cortège. Ils sont costumés en roseaux avec panaches, et tiennent tous à la main une tige de roseau, avec son bourrelet et sa pointe en guise d’épieu.

Marche.

Ils se rangent à droite et à gauche.

HECTOR, entrant par le fond, il est costumé en Adonis, poudré, avec paniers, etc.

Air : Valse de Psyché.

Adonis, que partout on vante,

N’eut jamais mine plus piquante.

Adonis que partout on chante,

N’eut jamais

Plus charmants attraits !...

 

Admirez ma brillante tournure !

Voyez ma figure !

Voyez mon allure !

Oui, regardez-moi !

Bien qu’on me dénigre,

Sous ma peau de tigre,

Je m’avance en roi !

Adonis que partout on vante,

Etc.

 

Regardez et vous devez comprendre

Que sans se défendre,

Vénus fut si tendre

Pour le beau chasseur,

Dont l’arme invincible,

La prenant pour cible,

Lui perçait le cœur !...

 

Adonis, que partout on vante,

N’eut jamais mine plus piquante,

Adonis, que l’on chante

Et que partout on vante

N’eut jamais

Plus charmants attraits !

LES PAGES.

Adonis que partout,

Etc.

HECTOR.

Là tout de bon... vous me trouvez laid, messieurs les Roseaux ?

LES PAGES.

Oh ! non !

HECTOR.

Et j’ai mauvaise grâce ?

LES PAGES.

Oh ! que non !

HECTOR.

Vertudieu ! cette petite femme ne sait donc pas ce qu’elle dit ? Vive Adonis !

LES PAGES, s’inclinant.

Vive Adonis !

CAPDEVIEL, assis, et contemplant sa tête face à face.

Je m’égare... je m’égare !... jusqu’à la folie !

HECTOR, l’apercevant.

Tiens !... Capdeviel d’Estroussac !...

CAPDEVIEL.

Le chassûr !... c’est mon chassûr !...

HECTOR, regardant les mains de Capdeviel où les gants n’ont pas pu entrer.

Ah ! je pensais bien que tu ne pourrais pas mettre mes gants !

CAPDEVIEL.

Ah ! les gants, ce n’est rien !... dites-moi sûlement où je puis mettre ceci ?

HECTOR.

Ta hure... Eh bien, sur ta tête !

CAPDEVIEL.

Voilà où je m’égare !... Pourquoi sur ma tête ?

HECTOR.

Parce que tu es un sanglier.

CAPDEVIEL.

Un sanglier !... Voilà encore où je m’égare. Comment suis-je un sanglier ? depuis quand suis-je un sanglier ?

HECTOR.

Depuis que tu joues dans la pièce que nous répétons !

CAPDEVIEL.

La comédie !... Ah ! sandiou ! le rugissement, les quatre pattes... c’était... Et voilà ce que me destinait cette femme... un emploi de bête fauve !...

HECTOR, l’imitant.

C’est un pétit commencement ! continue, Capdeviel d’Estroussac ! et tu feras ton chemin par les femmes !

CAPDEVIEL.

Cadédis !

HECTOR, de même.

Trouves-en sûlement une bonne qui te fasse jouer un rôle de singe !...

CAPDEVIEL.

Corne de biou ! elle s’est jouée de moi ! je me vengerai !

HECTOR.

Ah ! bah !

CAPDEVIEL.

Parfaitement, et tout à l’hûre même !... je la compromets de telle sorte !...

HECTOR, lui prenant la hure.

Eh bien, en attendant tout à l’hûre, répétons toujours ! Scène première... Je te poursuis, et tu te réfugies parmi les Roseaux qui te forcent à fuir en te piquant les oreilles... Y sommes-nous ?

CAPDEVIEL.

Jamais !... que dirait de moi Pantaléon d’Esbroussac, mon ancêtre !

HECTOR.

Pantaléon dira ce qu’il voudra... Allons, messieurs les Roseaux... en avant !... et chassez-moi cet animal-là !

Fanfare de chasse.

LES PAGES, piquant les mollets de Capdeviel avec leurs roseaux.

Hors d’ici ! hors d’ici !

CAPDEVIEL, effaré, se sauvant.

Messieurs ! messieurs !

LES PAGES, de même.

À la bête ! à la bête ! tue ! tue !

Musique : hallali !

CAPDEVIEL.

Miséricorde !... à moi !...

Il se sauve poursuivi par les pages.

 

 

Scène VII

 

HECTOR, seul

 

Là ! voilà déjà une scène qui ne marchera pas mal ! Passons aux autres.

Il regarde son rôle.

Nous disons : « Scène deux... Adonis, Vénus ! – Scène trois... Adonis, la Source ! – Scène quatre... Adonis et Diane ! » C’est un fait exprès, je n’ai de scène qu’avec les femmes !...

Devant la glace, achevant de faire sa figure, avec une patte de lièvre.

Tout en m’habillant, il y a quelques minutes, et en me promenant cette patte de lièvre sur le visage, je soupirais à la vue de cette cause première de tout ce qui m’arrive, et je me disais que cette petite femme pourrait bien m’avoir fait commettre une sottise amère !... car c’est elle !... Oh ! qu’elle m’irrite !... cette petite femme-là !...

Il descend.

Quand je pense que je vais jouer la comédie avec des dames !... devant la cour !... au centre de la fournaise ! Vertuchou ! si je n’étais pas moi, c’est-à-dire un être confit dans ma neige éternelle, comme le Mont-Blanc... Il est certain que tout à l’heure ce frou-frou des robes de soie dans les corridors ! ces portes de loges entr’ouvertes pour laisser voir une jolie tête échevelée et de blanches épaules... « Eh ! Marton, ce coiffeur !... Dorine, mes paniers !... Ah ! mon Dieu ! quelqu’un, » et crac ! la porte close. Et ces petits rires étouffés que l’on entend derrière, et qui donnent envie d’enfoncer ! c’est drôle !...

Il reste un moment rêveur.

C’est très drôle !...

Frissonnant.

Brouh !... Eh! grand-papa, là-haut, tenons-nous bien !... De la neige ! de la neige, s’il vous plaît !... Et qu’on m’apporte Vénus !...

 

 

Scène VIII

HECTOR, CLORINDE

 

CLORINDE, en Vénus, poudrée, entre par la gauche.

Me voici...

HECTOR, se retournant.

Ah ! madame ! – ah ! c’est vous qui jouez Vénus !

CLORINDE, passant devant lui, en donnant le dernier coup de main à sa toilette.

Cela vous étonne ?

HECTOR.

Au contraire...

CLORINDE.

De la galanterie.

HECTOR.

C’est dans mon rôle... Commençons-nous, charmante dame ?

CLORINDE.

Quand vous voudrez !

Elle s’assied à droite.

HECTOR.

Tout de suite, alors !...

Lisant.

« Le théâtre représente un bosquet !... »

Parlé.

Supposons le bosquet.

Il range le canapé ; lisant.

« Égayé par le chant des oiseaux ! »

Parlé.

Supposons les oiseaux !

Lisant.

« Adonis !... me voici !... caché derrière une charmille... »

Montrant le canapé de gauche.

La voilà !

Lisant.

« Regarde Vénus qui sommeille, et l’admire !... »

Parlé.

Voulez-vous avoir la complaisance de sommeiller, que je vous admire !...

CLORINDE, sur le canapé.

Je sommeille !... admirez !...

HECTOR.

J’admire !... c’est fait !...

CLORINDE, se soulevant.

Déjà ?

HECTOR.

Oui, nous ne pouvons pas prolonger cette situation-là ! D’ailleurs, je n’ai pas de texte, et c’est vous qui parlez la première. 

CLORINDE.

Mais c’est qu’il y a ici un jeu de scène !

HECTOR.

Voyons le jeu de scène !

CLORINDE.

Vous sortez de derrière l’arbre, vous vous avancez vers moi sur la pointe du pied...

HECTOR.

J’avance sur la pointe du pied... très bien !

CLORINDE.

Vous tournez tout autour du gazon où je suis assise, et vous ôtez cette rose de mes cheveux !...

HECTOR.

Très bien ! et cela vous réveille !

CLORINDE.

Oh ! pas du tout !

HECTOR.

Ça ne vous réveille pas ?

CLORINDE.

Mais non !

HECTOR.

Ah !... vous avez le sommeil dur !

CLORINDE.

Dame !...

HECTOR, regardant son rôle.

C’est curieux ! Il n’y a rien de cela dans mon rôle !...

CLORINDE.

C’est une tradition !... voulez-vous essayer ?

HECTOR.

Comment donc ?... 

À part.

Il le faut bien !...

Haut.

Nous dirons que je m’avance comme ceci ?...

CLORINDE, les yeux fermés comme si elle dormait.

Oui, à gauche, maintenant !

HECTOR.

Voilà !

CLORINDE.

Vous tournez autour de moi, en me regardant de très près.

HECTOR, tournant autour du canapé.

De la sorte !...

CLORINDE.

Vous passez du côté où est la rose... vous la prenez !...

HECTOR, prenant la rose.

C’est fait !

Il pirouette pour s’en aller.

CLORINDE.

Et vous déposez un baiser à la place !...

HECTOR, la rose à la main.

Plaît-il ?

CLORINDE.

Vous déposez un baiser à la place !

HECTOR.

J’ai bien entendu... vous voulez dire que je suis sur le point de déposer un baiser, quand vous réveillant tout à coup...

CLORINDE.

Mais du tout.

HECTOR.

Vous ne vous réveillez pas ?...

CLORINDE.

Mais non !...

HECTOR.

Sarpejeu ! vous avez le sommeil dur !...

CLORINDE.

Il paraît que Vénus était ainsi. Y sommes-nous ?

HECTOR.

Oui, oui !... ce qui est vraiment curieux, c’est qu’il n’y a rien de tout cela dans mon rôle.

CLORINDE.

C’est une tradition...

HECTOR.

Ah ! c’est une tradition. Alors il faut que j’embrasse absolument à l’endroit où était la rose !

CLORINDE.

Absolument !

HECTOR, montrant l’épaule de Clorinde.

Là ?

CLORINDE.

Oui !

HECTOR.

C’est vif !

CLORINDE.

Comment ?

HECTOR.

Moi, je crains celai vous croyez que le public acceptera sans se fâcher ?...

CLORINDE.

Je l’accepte bien, moi !...

HECTOR.

Ah ! si l’on se permettait devant toute la cour... Enfin j’aimerais mieux la rose sur le front, par exemple... Embrasser le front... c’est gentil, ça...

CLORINDE.

Mais, pas du tout ! il est écrit que c’est là... et pas ailleurs !...

HECTOR.

Mais je n’ai pas ça dans mon rôle !...

CLORINDE.

Mais c’est la tradition !

HECTOR, agacé, à part.

Hum !... si j’avais su ! enfin !... je prends donc la rose ! c’est convenu... toujours sur la pointe du pied... et...

Il fait le geste de se pencher pour l’embrasser et s’arrête.

je le ferai en scène !

CLORINDE.

Ah ! la mauvaise répétition ! enfin ! soit, continuez !

HECTOR.

Comment, que je continue !... mais vous vous levez en sursaut ! et...

CLORINDE.

Non ! je ne bouge pas !

HECTOR.

Malpeste ! vous avez le sommeil dur !

CLORINDE.

Veuillez donc recommencer ! et je vous en prie dans l’intérêt de l’art.

Elle se replace.

HECTOR, s’inclinant en souriant.

J’ai compris...

S’arrêtant après avoir fait comme s’il allait l’embrasser et restant penché sur elle.

Madame !

CLORINDE, ouvrant les yeux et le regardant.

Monsieur ?

HECTOR.

Connaissez-vous l’histoire du petit garçon à qui l’on apprenait à lire et qui ne voulait pas dire A !...

CLORINDE, sans bouger.

Non... à quel propos ?

HECTOR.

Pardon !... on lui demandait !... « Mais voyons, pourquoi ne veux-tu pas dire A ?... – Parce que, répondit l’enfant, je n’aurai pas plus tôt dit A, qu’ils voudront me faire dire B. »

CLORINDE, se soulevant.

Eh bien ! monsieur ?

HECTOR.

Eh bien, madame, je suis un peu comme ce marmot, avec cette seule différence que moi, je ne veux pas dire B, qui est la première lettre du baiser, parce que je ne veux pas dire A... qui est la première lettre de l’amour !... et là-dessus, chère madame, laissons la tradition de côté, je vous prie, et serrons le texte de près !... serrons, serrons le texte !...

CLORINDE, se levant.

Non, monsieur, non... nous n’irons pas plus loin, car décidément vous n’entendez rien à l’art dramatique !

HECTOR.

Ah ! c’est de l’art dramatique ?

CLORINDE, prête à sortir, s’arrêtant.

Mais on n’accepte pas un rôle aussi charmant que le vôtre, quand on n’est pas capable de le jouer...

Même jeu sur le seuil.

et l’on ne risque pas de compromettre une pièce adorable...

HECTOR, allant près d’elle.

En refusant de compromettre une femme délicieuse ?...

Il lui présente la rose.

CLORINDE, prenant la rose avec dépit.

Petit fat !

Elle sort.

HECTOR, seul.

Le fait est que si nous jouons comme ça nos scènes d’amour !... Enfin !...

Soufflant.

Et d’une !... à un autre maintenant !...

Il regarde son rôle.

« Adonis fatigué de sa chasse... »

S’arrêtant.

Oui, ce doit être de sa chasse.

Lisant assis, sur le fauteuil à gauche.

« Vient se désaltérer à une source qui est amoureuse de lui ! »

Parlé.

Encore une qui est amoureuse de moi !... que de malheureuses, mon Dieu !... où est-elle cette source qui est amoureuse de moi ?...

 

 

Scène IX

HECTOR, GABRIELLE

 

GABRIELLE, entrée par la gauche, costumée en source.

Ici !...

HECTOR.

Ah ! c’est à vous, divine source, que je me désaltère ?

GABRIELLE, de même.

Oui !

HECTOR.

Je ne vois pas comment, mais avec un peu d’étude !

GABRIELLE.

Oh ! oui, nous trouverons !

HECTOR.

D’ailleurs ces yeux sont d’une limpidité !... ces lèvres d’une fraîcheur !... je comprends Adonis ! Nous disons donc que je vous trouve en arrivant, source si pure ?

GABRIELLE.

À droite... au milieu des roseaux.

HECTOR.

Très bien ! assise !...

GABRIELLE, doucement.

Comme vous voudrez !

HECTOR.

Assise !... c’est plus convenable !

Gabrielle s’assied sur le fauteuil à gauche.

J’arrive donc brusquement, essoufflé, comme ceci !...

Il fait l’entrée en déclamant des vers.

« Ah ! la soif me dévore et dans ce frais bosquet... »

Comme l’apercevant tout à coup.

« Une source, ô bonheur ! »

Parlé.

Je me précipite !...

Il se penche sur elle et s’arrête court.

Est-ce que vous ne m’arrêtez pas ?

GABRIELLE, languissamment.

Pourquoi ?...

HECTOR.

Non... mais je vous demande si vous ne m’arrêtez pas ?

GABRIELLE, de même.

Comme il vous plaira !

HECTOR.

C’est que naturellement j’ai soif, et si vous me laissez... D’ailleurs, il faut que vous m’arrêtiez.

GABRIELLE.

Comment, il faut que je vous arrête...

HECTOR.

C’est dans le texte.

GABRIELLE, regardant son rôle.

C’est dans le texte ?...

HECTOR.

Certainement, puisqu’il y a là un couplet que je sais par cœur, et que je vous chante en m’accompagnant.

Couplet, avec l’accompagnement des mains.

« – Accorde-moi, source limpide et claire,

Le droit charmant de me désaltérer... »

Et vous me répondez :

« – Ah ! finissez-donc, monsieur, qu’allez-vous faire ?

Finissez-donc, papa va me gronder,

Car je crois que vous m’embrassez !...

Finissez !... (Bis.)

– Ah ! cette eau si calme et si pure,

Séduit par sa douce fraîcheur,

Repos, abri, léger murmure

Tout en ces lieux charme le cœur...

Et je reprends :

Source limpide et claire ;

Etc.

GABRIELLE.

Mais qu’est-ce que vous chantez là ?... finissez, finissez !... mais il n’y a rien de tout cela !

HECTOR.

Comment, il n’y a rien ?

GABRIELLE, lui tendant son rôle.

Mais c’est coupé !... voyez !

HECTOR, regardant.

C’est coupé !... oui, c’est coupé, c’est fait pour moi ! 

À part.

Et elle me laisse chanter encore : finissez, finissez !... alors je me reprécipite,

Il va prendre un tabouret ; sans conviction.

je me mets à genoux, n’est-ce pas ?

Il se met à genoux devant elle sur le tabouret.

GABRIELLE.

Je veux bien !

HECTOR, à part, l’imitant.

Elle veut bien !...

Haut.

Et me penchant vers vous, je... je...

Embarrassé et restant en position.

voilà !

GABRIELLE.

Eh bien ?...

HECTOR.

Eh bien, mais voilà où je m’embrouille !...

La parcourant du regard.

Vous n’avez pas d’urne ?...

GABRIELLE.

Je n’ai pas d’urne.

HECTOR.

Vous pourriez me donner à boire dans le creux de la main... ce serait assez gracieux.

GABRIELLE.

Je veux bien !

Lui tendant la main.

HECTOR, à part.

Elle veut bien.

Il fait le geste et se lève.

Eh bien, non, c’est ridicule... une source qui se respecte un peu ne doit pas se laisser boire comme ça, sans résistance.

GABRIELLE, montrant son rôle.

Puisque je vous aime.

HECTOR.

Ce n’est pas une raison, au contraire.

GABRIELLE.

Comment ?

HECTOR.

Mais oui... je ne sais... mais la situation qui me semblait piquante quand vous me disiez : Finissez... finissez !... si vous dites toujours :

L’imitant.

Oui... je veux bien... volontiers... comme il vous plaira...

GABRIELLE.

Eh bien ?

HECTOR.

Eh bien, je n’ai plus soif !... et cela me rappelle, tenez, certaine épigramme que le poète Clément Marot fit pour une de mes aïeules... une aimable dame qui voulait bien aussi celle-là... et avec qui toutes les permissions... ah ! mon Dieu, venaient...

La regardant.

de source !... Voulez-vous que je vous dise cette épigramme ?

GABRIELLE.

Je veux bien !

HECTOR, à part, l’imitant.

Elle veut bien !.. toujours !...

Haut.

La voici donc... à peu près...

Un doux nenni, avec un doux sourire,

À tant de grâce!... Il faut donc vous l’apprendre

Quant à ce oui, que vous venez de dire...

D’avoir trop dit, j’oserai vous reprendre...

Non qu’un baiser ne soit chose fort tendre !

Mais cependant, on veut qu’il vienne à point,

Et je voudrais qu’en me le laissant prendre

Vous me dissiez : « Non ! » vous ne l’aurez point !

Et maintenant, voulez-vous que nous reprenions la scène et que... ?

GABRIELLE, dépitée.

Non !

Elle fait la révérence et sort.

HECTOR, seul.

Eh bien, au moins elle l’aura dit une fois !... ouf !... Et de deux !... Mais ce ne sont pas celles-là qui m’intéressent... Non ! c’est l’autre, la troisième : Diane !... celle qui me trouve laid, affreux ! et qui est cause que je joue ! et qui me crispe ! vous verrez qu’elle ne viendra pas répéter, celle-là ! ce serait pourtant curieux avec l’adoration mutuelle que nous professons l’un pour l’autre !... mais elle ne viendra pas !... J’aurais tant envie de lui donner une leçon !...La voilà !... ah !

 

 

Scène X

HECTOR, HENRIETTE

 

HENRIETTE, entrant, roide, pincée, après être descendue en silence.

Monsieur ! je commence par vous déclarer que je suis ici contre mon gré.

HECTOR, à part.

Très bien ! portez armes ! en joue feu ! mais comme je vais te faire enrager, toi !

HENRIETTE.

Il a fallu toute l’insistance du baron, pour que je me décidasse à venir ici répéter avec vous.

Avec révérence.

Rien ne saurait m’être plus désagréable !...

HECTOR, sur le même ton, saluant.

Madame !... je vous en offre autant !

HENRIETTE, de même.

Maintenant, monsieur, commençons !

HECTOR.

Mais c’est déjà bien commencé, madame, et pour peu que cela continue sur ce ton-là !

HENRIETTE, lisant sèchement.

« Scène quatre ! »

HECTOR, de même.

J’y suis ! – Qu’est-ce que nous faisons à la scène quatre ?

HENRIETTE, de même.

Mais vous avez des yeux pour lire, j’imagine.

HECTOR.

Oui, madame, d’autant que vous ne leur donnez aucune distraction ! 

À part.

Ah ! je suis laid ! attrape !...

Il lit.

« Adonis rencontre la farouche Diane... qui l’arrête... » Arrêtez-moi !

HENRIETTE.

Pardon, monsieur !... est-ce que vous pensez que je vais vous arrêter par la main ?

HECTOR.

Je n’y tiens pas, madame !

HENRIETTE.

Alors ! il me semble que nous pouvons être plus éloignés l’un de l’autre.

HECTOR.

Oh ! madame, tant qu’il vous plaira !

Ils vont chacun à une extrémité de l’avant-scène.

Est-ce assez loin comme ça ?

HENRIETTE.

Oui, monsieur ! « Où courez-vous, bel Adonis ? »

HECTOR, l’interrompant et frappant du pied.

Pardon !

HENRIETTE, parcourant son rôle.

Quoi ?

HECTOR.

Je gèle... ici... est-ce que vous n’avez pas froid ?

HENRIETTE.

S’il ce salon est glacé !...

HECTOR.

Il n’y a qu’à ranimer le feu !...

Il va à la cheminée.

Vous permettez ?

HENRIETTE.

Est-ce fini ?

HECTOR.

Je n’ai pas encore commencé... c’est fait...

HENRIETTE, prenant une chaise qu’elle place pris du canapé.

C’est heureux.

Assise.

« Où courez-vous, bel Ad...? »

HECTOR.

Pardon ! il y a quelque chose d’ouvert, par là !...

HENRIETTE.

C’est la porte !...

HECTOR, fermant la porte du fond en prenant la clef.

Oui, oui, c’est la porte.

Plaçant la clef sur la cheminée ; il se rassied.

Voilà qui est fait.

HENRIETTE.

« Où courez-vous, bel Adonis ? »

HECTOR.

Pardon.

HENRIETTE.

Encore ?

HECTOR, assis sur le canapé, devant le feu, tisonnant.

Vous savez que vous m’aimez dans la pièce ?

HENRIETTE.[24]

Pourquoi cette remarque ?...

HECTOR.

C’est que si vous me dites : Où courez-vous, bel Adonis ! sur ce ton-là... je prends mes jambes à mon cou et on ne me revoit plus !...

HENRIETTE.

Mais, monsieur.

HECTOR, railleur et gai.

Et notez bien que je dois m’arrêter séduit par le charme de votre voix : cette phrase-là ne saurait donc être dite avec trop de tendresse !... car c’est tout une déclaration... et le bel Adonis !... n’a de valeur que si vous le prononcez absolument comme s’il y avait : Je vous aime !

HENRIETTE.

Mais je trouve que vous allez bien plus loin que l’intention de l’auteur.

HECTOR.

Ah ! que non !...

HENRIETTE.

D’ailleurs, je ne dirai jamais cela comme vous le désirez !

HECTOR.

Alors c’est que vous ne jouez pas bien le rôle.

HENRIETTE.

Mais, monsieur...

HECTOR.

Mais, dame !

HENRIETTE, piquée.

J’essayerai !

HECTOR, à part.

Allons donc !... ah ! tu me trouves laid ! et je te déplais !... Je veux que tu me trouves adorable et que tu me le dises ! petit monstre !...

Il vient s’asseoir près d’elle sur le canapé, et se place de manière à la gêner par son regard.

HENRIETTE.

« Où courez-vous, bel... où courez-vous, bel Ad !... »

Elle le regarde.

Peuh!... où cour... je ne peux pas !

Elle se lève.

HECTOR, railleur et taquin, gaiement.

Bah !... courage ! Figurez-vous que ce n’est pas moi qui suis là, mais lui !

HENRIETTE.

Qui, lui ?

HECTOR.

Celui à qui vous dites quelquefois des choses tendres !

HENRIETTE.

Mais, je ne sais ce que vous voulez prétendre, monsieur, avec...

HECTOR.

Enfin, M. Pitois, voyons !... Prenons que c’est Pitois ! ce pauvre Pitois... vous lui dites bien de loin en loin...

HENRIETTE.

Mais jamais !...

HECTOR.

Jamais !... alors si ce n’est pas Pitois !... l’autre !

HENRIETTE.

Quel autre ?

HECTOR.

Que sais-je, moi ? il y en a toujours un autre... surtout dans ce cas-là !

HENRIETTE.

Mais je vous dis que non, monsieur, et cette impertinence...

HECTOR, se levant.

Ah ! pardon, madame, je me serais cru plus impertinent cent fois, à supposer que personne ne se fût mis en peine... de vous arracher de ces jolies phrases !

HENRIETTE, après un silence.[25]

Ah ! vous avez de l’esprit quand vous voulez.

HECTOR.

Même sans le vouloir !

À part.

Elle n’aime personne !... ah ! c’est curieux !.... ah ! c’est très curieux !

HENRIETTE.

Nous en étions... !

HECTOR, la regardant.

Nous en étions au bel Adonis.

HENRIETTE, vivement.

Que vous voulez plus tendre ?

HECTOR.

Ah ! je crois bien !...

HENRIETTE, tendrement.

« Où courez-vous ?... »

HECTOR.

Très bien, mais il faut me regarder en parlant.

HENRIETTE.

Vous regarder aussi ?

HECTOR.

Ah ! certainement ! un regard aussi amoureux que la parole est tendre... et qui signifie clairement : Dieu que cet Adonis est donc beau !

HENRIETTE, embarrassée.

Ah ! pour cela!... vous êtes trop exigeant !

HECTOR, gaiement.

C’est forcé ! comment vous résisterai-je, si vous ne me provoquez pas un peu ?

HENRIETTE.

Oui, elle est très ridicule, cette Diane !... enfin.

HECTOR, à part.

Tu me regarderas avec amour, ou tu me diras pourquoi !

HENRIETTE.

Est-ce moi ?... Est-ce moi ?...

Elle essaye de le regarder tendrement et s’arrête à demi-voix.

Non ! je ne sais pas vous regarder comme cela !

HECTOR.

Oh ! c’est pourtant si simple !... supposons que je sois à votre place, et que je vous dise :

Où courez-vous, chaste beauté ?

Est-ce moi qui vous mets en faits ?

Il la regarde amoureusement.

Voyez le regard... voyez-vous le regard ?...

HENRIETTE, un peu troublée du regard.

Oui, oui ! je vois le regard !

Elle l’évite et passe à droite.

HECTOR, à part, demeurant en place.

Par exemple !... elle a de jolis yeux !...

HENRIETTE.

Chut !

HECTOR, prêtant l’oreille.

Des gouttes d’eau !... tiens, il dégèle !... c’est le dégel !

HENRIETTE.

C’est donc cela que je sens des frissons !

Elle s’assied sur le canapé.

HECTOR, vivement.

Si je fermais le paravent ?

HENRIETTE.

Fermez !

HECTOR, après avoir fermé le paravent.

Là ! voilà un bon petit coin...

HENRIETTE.

Oui, on est bien ici !...

HECTOR, revenant à elle avec empressement.[26]

Nous disons donc que vous m’adorez !... c’est convenu ?... Qui vous fait sourire ?

HENRIETTE.

Rien !

HECTOR.

Si ! je veux savoir ce qui vous fait sourire !

HENRIETTE.

La pensée que nous disons-là des choses dont nous ne croyons pas un mot.

HECTOR, la regardant.

Qu’importe !... ce n’est pas désagréable !

HENRIETTE, baissant les yeux en souriant.

Non, mais c’est effronté !

HECTOR.

Bah ! une déesse ! 

À part.

Elle a aussi un joli sourire.

HENRIETTE.

Enfin, voyons, on ne court pas ainsi après un homme, même après Adonis !...

HECTOR.

Pourquoi non, s’il a bonne mine ? suis-je laid, ridicule et déplaisant à voir ?

HENRIETTE.

Je ne dis pas cela !

HECTOR, bas.

Ah ! elle ne le dit plus !

Haut.

Ou bien ai-je l’air d’un homme de rien et d’un sot ?

HENRIETTE.

Oh ! je ne dis pas cela !

HECTOR, bas.

Ah ! elle ne le dit plus !

Haut.

Mais alors, qu’est-ce que vous dites, ô Diane ?

Il se penche sur elle et la regarde de très près.

HENRIETTE, rêveuse et laissant tomber son rôle, ce qui la réveille.

Rien !

HECTOR, ramassant le rôle qu’il lui tend.

Pardon !... 

À part.

Et une jolie oreille !...

HENRIETTE.

Chut !

HECTOR.

Non, c’est le dégel !

Assis très près d’elle.

Nous disons donc qu’on peut m’aimer !

HENRIETTE, souriant.

Dans la pièce !

HECTOR, insistant.

Ailleurs aussi !...

HENRIETTE, de même.

Je n’en sais rien !

HECTOR.

Continuons, je vous prie.

HENRIETTE, avec tendresse, déclamant.

Hélas ! dans ces forêts, frais et discrets abris,

C’est vous seul que je cherche et vous seul que j’évite...

Tu fuis !...

Est-ce cela ?...

HECTOR, qui la regarde des pieds à la tête, tandis qu’elle parle, se réveillant à son tour.

Hein !...

HENRIETTE.

J’ai dit... Est-ce cela ?

HECTOR.

Je n’en sais rien ! je n’en sais rien !... moi je me figurais ici quelque chose d’assez gentil !

HENRIETTE.

Quoi donc ?

HECTOR, la faisant lever.

Tenez !... voici ce que je vous demande... Tu fuis !... regarde-moi !... comprenez-vous ?

Il la prend amoureusement par la main et l’attire vers lui, en la forçant à tourner la tête.

HENRIETTE, émue.

Oui, oui, je comprends...

Elle cherche à se dégager.

HECTOR.

Qu’avez-vous ?...

HENRIETTE.

Rien ! rien ! la tête... c’est le feu, je crois !

Elle se dégage, se lève et descend à l’avant-scène.

HECTOR, comme elle, grisé.

Oui, oui, le feu et puis l’action, la chaleur !... le... ça grise ! ça grise !

Il la suit et ne la quitte plus.

HENRIETTE.

Vous jouez avec un entrain !...

HECTOR.

Un débutant !...

HENRIETTE.

Cela promet !

Tressaillant.

Quelqu’un !

HECTOR, vivement, tournant derrière elle, et la reprenant de l’autre côté.

Non ! le dégel ! toujours !... continuons.

HENRIETTE.

Tu pars !... regarde-moi...

S’arrêtant.

Je ne sais plus où j’en suis !... si nous nous arrêtions ?

HECTOR, vivement.[27]

Oh ! non ! non ! non ! ne nous refroidissons pas !

HENRIETTE.

Regarde... Qu’est-ce qu’il y a après ?...

HECTOR.

Oh ! après !... ébloui, fasciné, je m’écrie : « Ciel ! quel trouble nouveau !... » Mais voilà ce qui est ridicule, par exemple !

HENRIETTE.

Quoi ?

HECTOR.

Ah ! le texte du baron !... Est-ce que l’amour parle ainsi ?... On voit bien qu’il ne sait pas ce que c’est, le baron !

HENRIETTE.

Et vous ?

HECTOR, avec une chaleur croissante.

Moi ?... ah ! je suis mieux placé que lui pour le savoir... Il oublie, lui... moi, je devine ! je devine très bien même, et il ne me viendrait jamais à l’esprit de vous exprimer ma passion avec cette poésie de confiseur !

HENRIETTE.

Et que diriez-vous donc ?

HECTOR.

Ah ! ce que je dirais ?... tout ce qui me viendrait à l’esprit... sans ordre... au hasard... comme un fou... Je vous dirais : Tout à l’heure encore, vous m’étiez indifférente... presque odieuse... et maintenant...

HENRIETTE, émue.

Mais tout cela n’est pas dans la scène.

HECTOR.

Je la refais, la scène...

HENRIETTE.

Mais...

HECTOR.

Oh ! ne m’arrêtez pas... je suis lancé... l’inspiration me vient... le feu sacré s’éveille... je trouve... je sens... j’improvise...

Couplet.

Air d’Azémia.

I

En faisant ce texte si doux,

Mon cœur bat et s’agite,

En le répétant, près de vous,

Il bât encor plus vite,

Divin tourment et doux émoi !

Je tremble et je ne sais pourquoi,

Je tremble, (Bis.)

Et je ne sais pourquoi ?

Le secret de ce trouble extrême

Comment le trouver de moi-même

Ah ! si je l’osais ! (Bis.)

Si je l’osais, à vos genoux,

Je l’apprendrais bien avec vous. (Bis.)

II

Le printemps succède en vainqueur

À l’hiver de mon âme

La neige qui couvrait mon cœur

Fond à sa douce flamme,

Divin tourment et doux émoi !

Je brûle et je ne sais pourquoi, (Bis.)

Je brûle !

Je brûle !

Et je ne sais pourquoi !

Le secret de ce trouble extrême,

Comment le trouver de moi-même ?

Ah ! si je l’osais... (Bis.)

Si je l’osais, à vos genoux,

Je l’apprendrais mieux avec vous.

HENRIETTE, très troublée.

Mais tout cela n’est pas dans la scène !...

Elle recule.

HECTOR, la poursuivant.

Je la refais, la scène...

HENRIETTE.

Mais mon Dieu !... où allons-nous ?...

HECTOR, avec tendresse, et à demi-voix.

À l’amour !

HENRIETTE, reculant devant lui, un peu effrayée, et à demi-voix aussi.

Mais enfin ! Est-ce Adonis qui parle ? Est-ce vous ?

HECTOR, les bras ouverts, marchant toujours vers elle.

C’est Adonis qui parle ! et c’est moi qui le souffle !

HENRIETTE.

Mais alors, je ne veux pas !

HECTOR.

Et moi je veux !

HENRIETTE.

Mais je vous ordonne de me laisser !

HECTOR.

Oh ! la bouche me dit : Va-t’en !... mais le regard me dit : Reste !... Et voilà bien ce que je demande ! et je...

HENRIETTE, l’arrêtant.

Chut !

HECTOR.

Non, c’est le dégel !

HENRIETTE.

Taisez-vous !

PITOIS, dehors.

Madame Pitois !

Il frappe à la porte.

HENRIETTE, effrayée.

Mon mari !...

HECTOR.

Oh !

PITOIS, ébranlant la porte.

Ouvrez donc !

HENRIETTE, bas.

Ouvrez !... ouvrez...

HECTOR, bas.

La clef ! la clef !

HENRIETTE.

Vous l’avez !

HECTOR, effaré, se fouillant et perdant la tête.

L’ai-je ? où l’ai-je ?... Je ne sais plus !...

PITOIS, dehors.

Mordieu ! vous êtes avec quelqu’un, madame, je le sais ; ouvrirez-vous ?

Il frappe plus fort.

HECTOR, cherchant la clef sur le canapé.

Mordieu ! mais je ne te crains pas, toi !

HENRIETTE.

Et moi ! s’il vous trouve, je suis perdue !

HECTOR, courant partant comme un fou.

C’est vrai ! vous êtes perdue... elle est perdue... et la clef aussi !... la clef est perdue !...

PITOIS.

Ouvrez !... ou j’enfonce !...

Il frappe à la porte.

HECTOR, apercevant la fenêtre.

Ah ! bien ! enfonce ! Tu ne me trouveras pas !

Il court à la fenêtre qu’il ouvre.

HENRIETTE, effrayée.

La fenêtre !

HECTOR.

Dix pieds de haut ! une bagatelle !

HENRIETTE, avec amour.

Ah ! prenez garde !

Pitois continue à frapper.

HECTOR, enjambant la fenêtre et lui envoyant des baisers ; Pitois pousse la porte qui commence à céder.

Merci... merci...

Gaiement.

Voilà ce que c’est que de n’avoir pas encore l’habitude de ces choses-là !... mais je m’y ferai ! Oh ! je m’y ferai...

Il saute ; Henriette pousse un cri et tombe assise ; la porte du fond s’ouvre violemment.

 

 

Scène XI

 

HENRIETTE, PITOIS, CLORINDE, GABRIELLE

 

PITOIS, il entre en costume d’Actéon, avec deux grands bois de cerf sur la tête.

Madame !... monsieur !...

Il se retourne et cherche.

Monsieur !... il est inutile de vous cacher derrière ce paravent, sortez... sortez...

Derrière le paravent.

Eh bien, où est-il ?

HENRIETTE, assise, se remettant.

Qui ?

PITOIS.

M. de Bassompierre, madame, qui était enfermé ici avec vous ?

HENRIETTE.

Avec moi ? qui vous a conté cette belle histoire ?

Elle se lève.

PITOIS, montrant Clorinde et Gabrielle.

Ces dames ! qui sont venues me prévenir !

HENRIETTE.

Merci !

Les saluant.

Chères bonnes ! mais j’étais seule, vous le voyez !

CLORINDE.

J’en suis sûre, chère amie ; mais pourquoi ce soin de vous enfermer ?

PITOIS.

Oui.

HENRIETTE.

Pour mieux étudier mon rôle !

GABRIELLE.

Et pourquoi ne pas ouvrir tout de suite ?

PITOIS.

Oui.

HENRIETTE, impatientée.

Parce que je m’étais assoupie !

PITOIS, descendant.

Et pourquoi ?...

HENRIETTE, vivement.

Ah ! vous m’impatientez ! Puisque M. de Bassompierre était avec moi, trouvez-le ! car il n’est pas sorti par la cheminée, j’imagine ?

CLORINDE, montrant la fenêtre ouverte.

Mais il est peut-être bien sorti par la fenêtre ?

Mouvement d’Henriette.

PITOIS.

Certainement ! Il a sauté par là ! c’est évident !

 

 

Scène XII

HENRIETTE, PITOIS, CLORINDE, GABRIELLE, HECTOR

 

HECTOR, entrant tout droit.

C’est ce que je dis ! c’est évident ! nous sommes prêts !... commençons !... Quand commencera-t-on ? pourquoi ne commence-t-on pas ?

PITOIS.

C’est lui !

HECTOR.

Eh bien, oui, c’est moi ! puisque je vous cherche partout !

Se retournant vers lui, et regardant ses bois de cerf.

Oh ! sarpejeu !... ça vous va bien, ça !

PITOIS, bégayant de colère.

Monsieur le marquis, vous étiez ici à mon arrivée !...

HECTOR, l’imitant.

Plaît-il ?

PITOIS.

Et vous avez sauté par cette fenêtre !...

HECTOR.

J’ai sauté par la fenêtre ! Tiens, cette idée.

PITOIS.

Et la preuve...

CLORINDE, vivement.

La preuve... c’est que les pieds de monsieur doivent être marqués en bas sur la neige !

HENRIETTE.

Oh !

PITOIS.

J’y cours...

Il s’élance vers la fenêtre.

HECTOR, tranquillement.

Oh ! c’est inutile, allez, ne regardez pas !... il n’y a plus de neige... tout est dégelé !

PITOIS, au fond.

Rien !

HENRIETTE.

Et pour vous prouver l’injustice de vos soupçons, monsieur, je vous prie, en qualité de capitaine de la vénerie, de vouloir bien donner gain de cause à monsieur dans le procès qui l’amène ; afin que rien ne le retienne plus près de nous !

PITOIS, descendu.[28]

Ah ! ah ! du moment que vous l’éloignez vous-même, chère amie, ah ! du moment qu’elle l’éloigne ! c’est entendu, monsieur le marquis, votre cause est jugée ! vous avez raison !

HECTOR, vivement.

Je gagne mon procès ?

PITOIS.

Sur tous les points, et je ferai condamner l’adversaire aux dépens !...

HECTOR, lui serrant la main.

Merci ! vous êtes bien bon. 

À Gabrielle.

Ah ! il est bien bon !...

GABRIELLE, à demi-voix.

Ah ! vous avez du bonheur !

HECTOR, souriant.

Le dégel !...

PERRINE, dehors et BRABANÇON.

Monsieur le marquis ! monsieur le marquis !...

 

 

Scène XIII

 

HENRIETTE, PITOIS, CLORINDE, GABRIELLE, HECTOR, PERRINE, BRABANÇON, l’une en Hamadryade, l’autre en Faune

 

PERRINE, une bourse à la main.

Votre argent qui arrive !

HECTOR.

Très bien ! le dégel !

BRABANÇON, de même, agitant un papier.

Et une lettre d’audience pour le ministre !

HECTOR.

Le dégel ! toujours !

À lui-même.

L’argent pour faire figure, l’audience pour avoir charge à la cour, et...

À Henriette.

Je reste pour gagner mon procès tout à fait !

HENRIETTE.

Chut !...

 

 

Scène XIV

 

HENRIETTE, HECTOR, GABRIELLE, CLORINDE, LE BARON

 

LE BARON, en Vulcain.

Alerte, alerte ! le roi fait demander si nous sommes prêts à commencer !

HECTOR.

Tout prêts !

LA BARONNE, en furie.

Mais ma fille, mais le sanglier ?

INGÉNUE, dehors.

Maman ! papa !

LE BARON.

Ces cris !

LA BARONNE.

C’est elle !

 

 

Scène XV

HENRIETTE, HECTOR, GABRIELLE, CLORINDE, LE BARON, INGÉNUE

 

INGÉNUE, effarée, en Galathée.

Maman ! papa ! Ah ! maman, ah ! papa !

LA BARONNE.

Eh bien, quoi donc ?... quoi donc ?...

INGÉNUE.

Le sanglier a voulu m’enlever !

LA BARONNE.

Le sanglier ?

HECTOR.

Ah ! Capdeviel !

INGÉNUE.

Oui, il m’emportait ; mais, en traversant la cour, les chiens l’on vu avec sa peau de bête ! ils se sont mis à aboyer et à courir après lui... il m’a laissée, il s’est sauvé et...

CAPDEVIEL, dehors.

À moi !

INGÉNUE.

L’entendez-vous ?

CAPDEVIEL, accourant.

Aux secours !... aux chiens ! aux chiens !...

 

 

Scène XVI

 

HENRIETTE, HECTOR, GABRIELLE, CLORINDE, LE BARON, INGÉNUE, CAPDEVIEL, LES PAGES

 

Il arrive en courant, son costume de sanglier en loques, haut-de-chausses déchiqueté, la moitié de la hure sur la tête avec une oreille arrachée ; les pages entrent derrière lui en riant.

CAPDEVIEL.

Sauvez-moi de ces bêles féroces !...

TOUS.

Ah ! mon Dieu !...

CAPDEVIEL, sautant à la vue du baron.

Ah !... ah !... c’est un homme... Est-ce un homme ?

HECTOR.

Oui, c’est un homme.

CAPDEVIEL.

Ah ! je suis mort !

Il tombe sur le fauteuil et pousse un cri de douleur.

Oh ! oh !

LA BARONNE, agitant ses serpents avec fureur.

Ah ! c’est vous qui enlevez ma fille, scélérat !

LE BARON, levant son marteau.

Qu’on m’arrête ce gaillard-là qui enlève les demoiselles !...

HECTOR.

Allons, monsieur le baron, un peu de pitié ! Il ne recommencera pas, allez !

CAPDEVIEL.

Eh ! non !

HECTOR, l’imitant.

Eh ! non ! c’est assez de bonnes fortunes pour une fois !

CAPDEVIEL.

Eh ! oui !...

HECTOR.

Eh ! oui !...

CAPDEVIEL, se levant.

Oh !... oh !... la, la !...

HECTOR, le couvrant de son chapeau.

Veux-tu bien te cacher !... devant les dames.

On entend le tambour battre aux champs. Les portes du fond s’ouvrent toutes grandes et laissent voir tous les acteurs en costumes, les pages, les gardes, etc.

HECTOR.

Le roi !...

 

 

Scène XVII

HENRIETTE, HECTOR, GABRIELLE, CLORINDE, LE BARON, INGÉNUE, CAPDEVIEL, LES PAGES, LE CHEVALIER

 

LE CHEVALIER.

Oui, oui ! voici le roi qui arrive ! En scène !... en scène !...

LE BARON, ému, allant de l’un à l’autre.

Mes amis !... mes amis !... Je vous en supplie... de la chaleur ! de l’esprit ! nous allons jouer ma pièce devant le roi !

HECTOR.

Et devant les dames !

PERRINE.

Tiens ! cela vous touche donc maintenant !

HECTOR.

Énormément !

GABRIELLE.

Depuis ?

HECTOR.

Depuis le dégel ! – Vertudieu ! le sang des Bassompierre, figé dans mes veines, tressaille ! tressaille !... je me sens une audace... Ah ! je vous réponds que je jouerai bien ma scène avec madame !

Il montre Henriette.

PITOIS.

Sans l’avoir répétée ?

HECTOR.

Nous la répéterons demain !... et après-demain !... on ne saurait jamais assez se perfectionner dans son art !

CLORINDE, à demi-voix.

Et le serment d’Annibal ?

HECTOR.

Eh bien, c’est à vous que je le ferai !... à d’autres ! 

À part.

Et ça ne m’engagera pas davantage.

HENRIETTE, à demi-voix pour lui seul.

Et le talisman ?

HECTOR, de même.

Au feu ! et nous le remplacerons par une seule tresse... blonde !

HENRIETTE.

Chut !...

Elle remonte.

HECTOR.

Ce sera toujours un commencement !...

À part.

Allons !... allons !... Grand-papa radotait un peu... Il faut toujours en passer par où elles veulent.

Couplet.

Air d’Azémia.

Mon mépris du sexe vainqueur

À son courroux m’expose.

Vous qui savez toucher mon cœur,

Messieurs, plaidez ma cause ;

Vous me voyez glacé d’effroi

Et l’auteur tremble autant que moi.

Il tremble, je tremble, et vous savez pourquoi !

Mais ce froid qui glace nos âmes

Peut cesser, grâce à vous, mesdames ;

Ah ! si vous vouliez, (Bis.)

Un seul rayon de vos beaux yeux

Saurait nous réchauffer tous deux,

Oui, vos beaux yeux,

Peuvent nous réchauffer tous deux.

CHŒUR, avec tambour qui bat aux champs.

En scène, (Ter.) déjà nos cœurs battent d’effroi !

En scène, (Ter.) voici le roi ! (Ter.)

 


[1] Gabrielle, Hector, Henriette, Clorinde.

[2] Hector, Gabrielle, Henriette, Clorinde.

[3] Gabrielle, Hector, Henriette, Clorinde.

[4] Gabrielle, Henriette, Clorinde, Hector.

[5] Gabrielle, Clorinde, Hector, Henriette.

[6] Clorinde, Gabrielle, Hector, Henriette.

[7] Gabrielle, Clorinde, Henriette, Hector.

[8] Perrine, Hector.

[9] Hector, Perrine.

[10] La Baronne, le Baron, Pages au fond.

[11] Le Baron, la Baronne.

[12] Pitois, le Baron, Henriette.

[13] Le Baron, Henriette, Pitois.

[14] Pitois, le Baron, Henriette.

[15] Pitois, le Baron, Ingénue, Clorinde, Gabrielle, deux femmes à gauche. À droite, femmes, Perrine, le Chevalier.

[16] Ingénue, Pitois, Clorinde, le Baron, Hector, le Chevalier, Gabrielle, Perrine.

[17] Ingénue, Pitois, le Baron, Clorinde, Hector, Gabrielle, le Chevalier, Perrine.

[18] Ingénue, le Baron, Clorinde, Pitois, Gabrielle, le Chevalier, Perrine, Hector.

[19] Ingénue, Clorinde, Gabrielle, le Chevalier, Pitois, Hector, le Baron Perrine.

[20] Hector, Gabrielle, Clorinde, la Baronne, le Baron, Pitois, le Chevalier, Ingénue et Perrine dernière le Baron.

[21] Le Baron assis, Brabançon, Capdeviel, Pitois assis.

[22] Pitois, le Baron, Capdeviel.

[23] Le Baron, Pitois, Capdeviel.

[24] Henriette, Hector.

[25] Hector, Henriette.

[26] Henriette, Hector.

[27] Hector, Henriette.

[28] Henriette, Pitois, Clorinde, Gabrielle, Hector.

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