Corine (Alexandre HARDY)
Sous-titre : le silence
Pastorale en cinq actes et en vers.
Représentée pour la première fois en 1614.
Personnages
CORINE, bergère
MÉLITE, bergère
CALISTE, berger
ARCAS, berger
MÉROPE, vieille
SATIRE
TITYRE, père de Mélite
MŒLIBÉE, père de Corine
MOPSE, père de Caliste
VÉNUS
CUPIDON
ARGUMENT
Corine et Mélite, jeunes Bergères, égales en beauté, deviennent éperdument amoureuses de Caliste, Pasteur autant accompli d’ailleurs, que nouveau en matière d’Amour, qui par diverses ruses tâche à se défaire de leur importunité : mais comme il se voit réduit à l’élection de l’une des deux pour sa moitié, et ne s’en pouvant plus dédire, y promet une préférence à celle des Nymphes, qui s’abstiendra plus longtemps de parler. Elles acceptent la paction, et se rendent muettes par ce moyen, ce pendant le Berger Arcas, qui ne cédait en perfections rustiques à aucun autre, après plusieurs refus de l’ingrate Mélite, qu’il idolâtrait, en fait demande au père qui la lui accorde sur le champ : mais on la trouve sans parole ainsi que sa corrivale, les deux Vieillards consultent sur ce prodigieux accident le savoir de Mérope vieille Magicienne, qui en réfère la cause au charme donné par Caliste seul capable d’y remédier, on va pour le saisir au corps, lui préoccupé de crainte se met en fuite à travers les champs, où Cupidon assisté de sa mère après quelque léger châtiment le ramène, et touts les différents des Pasteurs compoés, le marie avec Mélite, ainsi qu’Arcas avec sa Corine ; d’autres gentils incidents bigarrent ce beau sujet qui se trouveront à sa lecture.
ACTE I
Scène première
CORINE, MÉLITE, CALISTE
CORINE.
Que notre sort se roule déplorable,
Que nous avons le Ciel pu favorable,
Non pas le Ciel, mais Amour un Enfant,
Du Ciel, des Dieux, et de nous triomphant,
Ores qu’on voit la Nature féconde
Renouveler la naissance du monde,
Que le Printemps de Zéphire conduit,
Des jeunes fleurs la moisson nous produit,
Seules Mélite en tristesse plongées,
Seules d’un feu, d’un même feu rongées,
Les yeux noyés d’un gros fleuve de pleurs,
Nous dévorons nos muettes douleurs,
Nulles d’espoir, vu la jeunesse tendre
De qui ne peut à nos flammes se prendre,
Qui ne se paît que d’Enfantins ébats,
Encor novice ès Amoureux combats,
Que ferons nous ? quel conseil je te prie
Tempèrera cette ardente furie ?
MÉLITE.
Faut se résoudre au vouloir de son choix,
Et consulter l’Oracle de sa voix.
CORINE.
Il n’a ne choix, ne plaisir, ne parole,
Régi sans plus d’une constance folle,
Ores actif à surprendre un oiseau
Par ses gluants, ou dedans le réseau,
Qui va tantôt sur le bord de la rive
Tendre aux poissons sa ligne déceptive,
Je l’ai trouvé mille fois innocent,
Un agnelet de sa bouche pressant.
MÉLITE.
Me croiras-tu ? hier sur la vesprée
Je l’aperçu folâtre dans la prée,
Courir après son ombre qui fuyait,
Si qu’impuissant de l’atteindre il criait
Ne plus ne moins que tu ferais la perte
De ton troupeau dessus l’heure soufferte.
CORINE.
Laissons à part son enfance, et me dis
Si de ce somme ocieux dégourdi
Je restai seule à posséder sa grâce ?
MÉLITE.
De force alors tu m’ôtes de ma place,
De force alors (ce que je ne crains voir),
Quelqu’autre part il se faudra pourvoir.
CORINE.
Ne fais pas tant de la dissimulée,
Et aperçois le long de la vallée
Quelqu’un venir.
MÉLITE.
C’est Caliste, c’est lui,
Comme attristé de ne sais quel ennui.
CORINE.
Tenterons-nous sa volonté dernière
Dessus le choix prémédité naguère ?
MÉLITE.
Oui, j’aime mieux à cette fois mourir
Que mille morts davantage nourrir.
Scène II
CORINE, MÉLITE, CALISTE
CORINE.
L’Amour et Pan préservent d’infortune
De nos Bergers l’espérance commune.
MÉLITE.
L’Amour et Pan, les Grâces et Cypris
De nos Bergers gardent le mieux appris.
CALISTE.
Pourvu que Pan me prenne en sa tutelle,
Des autres Dieux je quitte la séquelle.
CORINE.
Négliges-tu le plus puissant des Dieux,
Qui te fait vivre et loge dans tes yeux,
Qui sait punir la fierté des rebelles,
Et guerdonner ceux qui lui sont fidèles ?
CALISTE.
Vous m’amusez d’un importun discours,
Et ce pendant il s’enfuira toujours.
MÉLITE.
Qui s’enfuira ?
CALISTE.
Mon Passereau que j’aime
Plus mille fois (je pense) que moi-même.
CORINE.
Pour un perdu je t’en redonne deux.
CALISTE.
Autre pourtant que le mien je ne veux,
Le plus privé, le plus beau qui se voie,
Dessus mon doigt il becquette la proie,
D’une cerise il fera trais repas,
Et l’appelant me suivra pas à pas.
MÉLITE.
Tu lui fais part des baisers de ta bouche ?
CALISTE.
Le plus souvent avec moi je le couche.
CORINE.
Sans redouter, que Nature et l’Amour
De tes forfaits te punissent un jour ?
CALISTE.
Je ne crains rien que le perdre.
MÉLITE.
Encore
Ne peux-tu pas refuser, qui t’adore,
D’une demande.
CALISTE.
Hé ! que me voulez-vous ?
CORINE.
Rien que savoir, à laquelle de nous
L’affection t’incline davantage.
CALISTE.
Vous y entrez égales en partage,
Car je ne hais personne.
MÉLITE.
Tu sais bien
Si de Junon tu voulais le lien,
Te marier, laquelle préférée
Se choisirait à l’autre conférée.
CALISTE.
Je m’en vais donc de mon Père savoir
Laquelle doit la préférence avoir.
CORINE.
Simplicité ridicule et grossière,
Seul tu es juge en semblable matière.
CALISTE.
Chacune m’aille un bouquet amasser,
De mille fleurs rares le compasser,
Et au plus beau ma faveur concédée,
Dessus le champ la dispute est vidée.
MÉLITE.
Tu le promets ?
CALISTE.
Oui.
CORINE.
Jure donc Amour,
Sa douce Mère, et la céleste Cour.
CALISTE.
Je vous les jure, à quoi tant de paroles ?
MÉLITE.
Si ce serment, infracteur, tu violes.
CALISTE.
Ne me croyez jamais.
CORINE.
Touche en la main.
CALISTE.
Que de tourments vous me donnez en vain.
MÉLITE.
Tu nous viendras retrouver sans demeure.
CALISTE.
Premier qu’il soit pour le plus un quart-d’heure.
CORINE.
Or sus, allons Mélite, par plaisir
En ce bouquet essayer son désir.
Scène III
ARCAS, MÉLITE
ARCAS.
Pauvre Berger tu te trompes de croire
Que ton Amour s’acquière la victoire,
Tenu craintif en sa flamme couvert,
Le cœur sans plus aux complaintes ouvert,
Ce petit Dieu qui tous les autres dompte,
Est de nature ennemi de la honte,
Favorisant ses soldats, qui hardis
Suivent le siècle innocent de jadis,
Lorsque pressés de l’amoureuse rage,
Dessus la langue on portait le courage
À la beauté qui captifs nous tenait,
Si que dès l’heure aux effets on venait :
Bel âge d’or, siècle heureux, hé de grâce
Reprend chez nous ton Empire et ta place,
Ô vains regrets ! ô souhaits ocieux !
Mais vois-je pas ce Soleil gracieux,
Ce parangon des Nymphes bocagères,
Cette beauté, l’honneur de nos Bergères,
A chef baissé qui picore les fleurs ?
Oui, je lui vais redire mes douleurs,
Lui redonner ma prière zélée,
Avec un peu plus d’audace mêlée.
MÉLITE.
Fils de Vénus que dévote je sers,
Duquel je prise et révère les fers,
Prince des Dieux qui peuples ce grand monde
Viens favorable et ma dextre seconde.
ARCAS.
À la bonne heure elle invoque l’Amour.
MÉLITE.
Et me sauvant la lumière du jour,
En ce bouquet où repose ma vie,
Me fais par lui triompher de l’envie.
ARCAS.
L’obscurité de ce propos confus
M’étonne autant qu’onc étonné je fus.
MÉLITE.
Je veux avoir premier que je le lie
De toutes fleurs une paire cueillie.
ARCAS.
Elle tend là de sorte ses esprits
Que l’on dirait un chef-d’œuvre entrepris :
Je ne saurais te plus voir en la peine,
Sans t’assister dédaigneuse inhumaine.
MÉLITE.
Mon cher Arcas depuis quand es-tu là ?
ARCAS.
Mon cher, ô Dieux le beau nom que voilà !
Toi, depuis quand me chéris-tu cruelle ?
MÉLITE.
L’antique erreur te suit perpétuelle
Pour me tenir suspecte sans raison,
De te haïr.
ARCAS.
Et sucrer ma poison.
MÉLITE.
Oblige moi parmi ces fleurs nouvelles,
De me trier seulement des plus belles.
ARCAS.
À quel usage ? à quel secret dessein ?
MÉLITE.
Que d’un bouquet.
ARCAS.
Qui couronne ce sein ?
Il n’en faut pas.
MÉLITE.
Pourquoi ?
ARCAS.
Belle demande,
Les deux boutons qu’il recèle friande,
Méritent plus, et passent de beauté
Tout ce que Flore eut onc de nouveauté.
MÉLITE.
Or sus causeur, dépêche toi, travaille.
ARCAS.
De quel salaire assuré ?
MÉLITE.
Ne te chaille,
Un jour viendra.
ARCAS.
Que tu feras mourir
Le pauvre Arcas pour ne le secourir.
MÉLITE.
Faible je n’ai du secours qui suffise,
Non pas à moi.
ARCAS.
Ô sorcière feintise !
MÉLITE.
Or sus, or sus, mêle tes fleurs ici.
ARCAS.
Que fussions nous entremêlés ainsi.
MÉLITE.
Adieu Berger, adieu, si je puis chose
Qui te rendit la pareille, dispose.
ARCAS.
Un seul baiser de récompense au moins,
Libres ici d’Argus, et de témoins.
MÉLITE.
Je n’entends pas bien clair de cette oreille,
Adieu te dis.
ARCAS.
Ô rigueur nonpareille !
Ô trahison malicieuse, hélas !
Quelque charmeur l’aura pris en ses lacs,
Quelque inconnu de ce bouquet s’honore,
Moindre que moi, qui possible l’abhorre,
Allons savoir, allons vérifier,
Qu’onc à ce sexe on ne se peut fier.
Scène IV
MÉROPE, SATIRE
MÉROPE.
Toutes les fois que je pense au Satire,
Pour mon sujet plein d’amoureux martyre,
Auquel des deux je ne sais m’attacher,
Ou soit de rire, ou soit de me fâcher ;
Qui vit jamais une plus grand folie ?
Ores que l’âge à la tombe me lie,
Comme à bon droit ce plaisant Amoureux,
De ma beauté s’esclave langoureux,
Plus je le fui, plus je moque sa flamme,
Plus l’aveuglé me poursuit, me réclame,
Si qu’à la fin tel périlleux erreur
Pourrait brutal se tourner en fureur ;
Mais une pluie éteindra sa luxure :
Ah ! le voici ce vrai Monstre en nature.
Mot, je le veux aux altères tenir,
Et d’un appas moqueur entretenir.
SATIRE.
Je te cherchais de tous côtés ma belle.
MÉROPE.
As-tu (dis-moi) retrouvé ta cruelle ?
SATIRE.
La retrouver, folâtre à quel propos,
D’esprit, de corps également dispos ?
MÉROPE.
Que voulais-tu maintenant ? qui t’amène ?
SATIRE.
L’ardente soif de voir ma souveraine.
MÉROPE.
Ainsi chacun recherche son pareil,
SATIRE.
Je t’embrassai cette nuit au sommeil.
MÉROPE.
Je t’en livre une, et jeune et plus privée,
Que ta beauté martyre captivée.
SATIRE.
Hier j’étai difforme à ton avis,
Aujourd’hui beau les Nymphes je ravis.
MÉROPE.
Cela ce fait de peur que de Narcisse,
La vanité t’apportât le supplice,
Or en un mot la belle de nos bois
Pour toi se meurt, elle tire aux abois.
SATIRE.
Tu me repais ou d’un charme, ou d’un songe.
MÉROPE.
Que me revient de t’user de mensonge ?
SATIRE.
Dis-moi son nom.
MÉROPE.
Mélite.
SATIRE.
Désormais
De la mémoire aux yeux je la remets,
Mélite ô dieux, éprise de la sorte ?
MÉROPE.
Jusqu’en son sein si tu veux je te porte.
SATIRE.
Comment cela ?
MÉROPE.
Par coutume le soir,
Lorsque la nuit étend son voile noir,
De mille amours et des grâces conduite,
Elle se va baigner sans autre suite,
Dans le cristal d’une source qui est
D’arbres cachée au cœur de la forêt,
Proche du Pin, où tu sais qu’à Cibelle
On sacrifie en la saison nouvelle,
Ne manque donc à point nommé d’aller
Près de la Nymphe allègre te couler.
SATIRE.
Possible exclus de semblable conquête
Tu concevrais jalouse un mal de tête,
Qui pour avoir trop osé hasardeux,
Me priverait en fin de toutes deux.
MÉROPE.
Non, derechef je jure le contraire,
Que tu me plais t’efforçant de lui plaire.
SATIRE.
Bien-donc, tantôt, puis qu’ainsi tu le veux,
Lavé, peigné, de barbe et de cheveux,
Sous ta conduite il faudra que j’essaie
De lui guérir cette amoureuse plaie.
MÉROPE.
Adieu Satire, et la nuit s’avançant
Ressouviens-toi de me prendre en passant.
SATIRE.
N’en doute pas, adieu ma chère vie,
Adieu mon heur, ah ! je brûle d’envie,
Un chaud désir me transporte de moi ;
Mais patient ores réserve toi
À la moisson d’une beauté pudique,
Et à charmer son courage t’applique,
Parmi tes fruits lui choisissant un don,
Vois de paraître à ses yeux quelque Adon.
ACTE II
Scène première
CORINE, MÉLITE, CALISTE
CORINE.
Jamais bouquet ne fut de son mérite,
Qu’Amour lui-même arbitre le visite,
De tant de fleurs la rare nouveauté
Entre Amoureux vaut une royauté :
Ô beau bouquet, si ta vertu sacrée,
Où de mon mieux l’espérance est ancrée,
Fait que je vive en cette élection,
Trouve parfait de la perfection,
Si tu m’obtiens l’amoureuse victoire,
Je garderai plus chère ta mémoire,
Que je ne fais du jour que je naquis ;
Pour monument de ce bien fait exquis,
Un tous les ans à la même journée
Se portera sur l’autel d’Hyménée :
Or l’heure presse assignée au combat,
Et qui ma joie en la sienne rabat,
Voici venir Mélite résolue,
Comme déjà victorieuse élue.
MÉLITE.
Je te croyais plus fine à ce jeu-là,
Ô quel bouquet de novice voilà !
CORINE.
Monstre le tien qui se cache de honte.
MÉLITE.
Mais qui ne peut souffrir qu’on lui affronte
Un ennemi de si peu de valeur.
CORINE.
Il n’en aura que trop à ton malheur.
MÉLITE.
Non pas pourvu qu’on me rende justice.
CORINE.
Est-ce de fleurs qu’il manque, ou d’artifice ?
MÉLITE.
En tous les deux je le juge imparfait
L’ordre et la forme en laquelle il est fait
Ne m’a que plus en l’espoir confirmée,
De vaincre, et voir Corine supprimée.
CORINE.
Que de langage, allons vers le coupeau,
Où d’ordinaire il mène son troupeau.
MÉLITE.
Holà, ne bouge, un qui fort lui ressemble,
Là-bas repose à l’ombre de ce Tremble.
CORINE.
Remarque un peu que nous apercevant,
Il gagnerait volontiers le devant.
MÉLITE.
Or sus, courons l’attraper au passage.
CORINE.
Méchant demeure, où fuirais-tu volage ?
Scène II
CALISTE, MÉLITE, CORINE
CALISTE.
Vous vous pourriez cent fois mettre en courroux
Je ne pensais désormais plus à vous.
CORINE.
N’en jure point, la vérité notoire
Témoigne assez de ta courte mémoire.
CALISTE.
Car la douleur de l’oiseau m’a transi,
Que j’ai perdu naguère en ce lieu ci.
MÉLITE.
Si dans deux jours je m’offre de te rendre
Un Passereau plus privé ? te l’apprendre ?
CALISTE.
Un plus privé dans deux jours, hé comment ?
Depuis deux mois, de moment en moment
Toujours après c’est ce que j’ai peu faire.
MÉLITE.
Cela Berger, consiste en peu d’affaire,
J’ai le secret de les apprivoiser,
Veuille sans plus un débat accoiser,
Veuille sans plus ta promesse tenue
Me couronner de la Palme obtenue,
Car tu vois trop raisonnable combien
En toute sorte il surpasse le sien.
CALISTE.
L’un et l’autre a si peu de différence,
Qu’on ne saurait asseoir de préférence.
CORINE.
Ce peu qui penche à l’imperfection,
Du mien toujours te donne élection.
CALISTE.
Que voulez-vous que je die autre chose ?
L’égalité me tient la bouche close,
Vivons ainsi qu’au précédent amis.
MÉLITE.
D’en accepter une tu as promis.
CALISTE.
Bien, j’aimerai celle qui plus légère
M’ira querir un peu d’eau la première,
Pâmé de soif, tantôt prise à courir
Après l’oiseau qui me fera mourir.
MÉLITE.
Ne pense plus à ta perte frivole,
Où tu as dit présentement je vole.
CORINE.
Moi tout de même, or avise au retour
De m’adjuger la primauté d’Amour.
CALISTE, seul.
Ô le grand coup ? ô la ruse opportune
Pour me tirer de leur presse importune !
Mal assuré je n’attendais que voir
Les coups sur moi de ces folles pleuvoir :
Ores prenons de bonne heure la fuite
Pour éviter leur fâcheuse poursuite.
Scène III
ARCAS, MÉROPE
ARCAS.
Vous l’avez vu ce prodige mes yeux,
Qui dut armer le tonnerre des cieux
Vous avez vu la perfide éhontée,
À un enfant bouche à bouche affrontée :
Ô déloyale ! ô aveugle en ton choix,
Tu as trouvé le mal que tu cherchais,
Un apprenti des amoureuses peines,
Qui moquera tes espérances vaines,
Au lieu qu’en moi du jour au lendemain
Hymen romprait ce servage inhumain ;
Du moins tigresse aurai-je l’allégeance
Que ce rival doit faire la vengeance
De ton erreur : mais n’aperçois-je pas,
S’acheminer Mérope au petit pas ?
Il n’y a point de doute que c’est elle,
Qui m’aura vu naguères en cervelle.
MÉROPE.
Comme Amoureux tu t’entretiens toujours,
Seul écarté de fantasques discours.
ARCAS.
Tu le connais sage d’expérience,
Qui sais guérir par ta noire science
La plus grand part des mortelles langueurs,
Sous toi Cloton diffère ses rigueurs,
L’Averne tremble, et la Lampe Nocturne
Cède au pouvoir d’un charme taciturne :
Prête-moi donc Mérope le secours,
Qu’aux affligez tu concèdes toujours.
MÉROPE.
N’espère point que ta flamme s’allège,
Si tu ne tends à ta rebelle un piège.
ARCAS.
Quel piège encor ?
MÉROPE.
Baflant de la plier,
Eut-elle un cœur insensible d’acier.
ARCAS.
Sinon l’erreur obstiné qui maîtrise
Cette beauté de qui la fuit éprise,
Je ne voudrais désespérer du tout,
Que par le temps nous n’en vinssions about.
MÉROPE.
Le connais-tu le rival qu’elle affecte ?
ARCAS.
Trop, et n’aurais son enfance suspecte,
Pourvu que l’âge en un point s’arrentât,
Qui du désir plus outre n’attentât.
MÉROPE.
Nomme le moi.
ARCAS.
Caliste.
MÉROPE.
Prends courage,
Tu forceras la rigueur de l’orage,
Caliste neuf en l’école d’Amour,
Simple, honteux, ne la tiendra qu’un jour ;
Or je retourne au moyen que te donne
Le Paphien de fléchir la félonne,
Car qui ne sait qu’à force de bien faits,
Les plus ingrats favorables sont faits ?
Que peu à peu une pluie qui dure,
Cave des rocs la substance plus dure,
Beaucoup de gloire, et fort peu de danger
Peuvent hardi la Nymphe t’obliger.
ARCAS.
J’exposerai mon honneur et ma vie,
Si son service à cela me convie.
MÉROPE.
Écoute donc, un Satire insolent
De la ravir machine violent,
Lorsque le soir elle voudra seulette
Laver au bain sa charnure molette,
Dans la Forêt où ce bouquin paillard
À sa coutume observé de hasard,
Pour mon devoir j’allais trouver Mélite,
Et l’avertir que l’embuche elle évite ;
Mais maintenant je juge que tu peux
L’occasion prise par les cheveux,
Donner secours à ta belle maîtresse,
La préservant de si honteuse oppresse,
Qui lui fera le courage amollir,
Et d’un enfant la mémoire abolir,
L’approuves-tu ? parle, avise, regarde
Qu’un de nous deux de l’encombre la garde.
ARCAS.
Ma voix sans plus se resserre de peur,
Que ce ne soit un mensonge pipeur.
MÉROPE.
Tu ne m’as onc menteuse reconnue,
Franche toujours, et de fallace nue ;
Or te dois-tu ressouvenir où est
Une fontaine au cœur de la Forêt,
Non guères loin de l’arbre de Cibelle,
Qui là nos vœux tous les ans renouvelle.
ARCAS.
Très bien, j’irais à clos yeux de ce pas.
MÉROPE.
Prends néanmoins un modéré compas
À te conduire et n’éclore à la hâte
Rien d’avortif qui l’entreprise gâte.
ARCAS.
Devers quelle heure est il bon de marcher ?
MÉROPE.
Lorsque Phœbus commence à se coucher.
ARCAS.
Je vais tenir ma Houlette ferrée,
Pour ce duel Amoureux préparée.
MÉROPE.
Tu as affaire au plus lâche vilain
Qui se vid-onc.
ARÇAS.
Aussi je ne le crains,
Mais en tous cas la prévoyance est bonne.
MÉROPE.
Tu as raison, va sans dire à personne
Ce qui se passe.
ARCAS.
Adieu Mérope, et crois
Que ta faveur ne s’oubliera chez moi.
Scène IV
MÉLITE, CORINE
MÉLITE.
Tien vitement Caliste.
CORINE.
Ô la finesse
De précéder d’une voix menteresse
Celle qui t’a, je prends ses yeux témoins,
Plus de dix pas précédé pour le moins !
MÉLITE.
Ce sont discours faciles au parjure,
Qui de jamais ne dire vrai conjure.
CORINE.
Caliste viens (que sert de te cacher ?)
Nos différents et ta soif étancher.
MÉLITE.
Reçois la mienne et plus franche et plus nette.
CORINE.
Là ton envie apparaît indiscrète.
MÉLITE.
Mon beau Caliste, où es-tu mon souci ?
CORINE.
Allons chercher aux environs d’ici.
MÉLITE.
Écho, répond seule mise en sa place.
CORINE.
Ta moquerie à la par fin nous lasse.
MÉLITE.
Folles cent fois de se plus amuser
À qui ne sait de la victoire user.
CORINE.
Tels vœux à part des la première vue
Qu’on le tiendra surpris à l’impourvue,
Faut garroter ce Prothée inconstant,
Si que l’Oracle il profère à l’instant.
MÉLITE.
Nous ferons mieux, or de poussière pleine,
Et de sueur je cours à la fontaine,
Où j’ai le soir appris de me laver.
CORINE.
Moi cependant mon troupeau retrouver.
ACTE III
Scène première
SATIRE, MÉROPE
SATIRE.
Heureuse nuit aux Amours favorable !
Nuit des labeurs le charme secourable,
Nuit destinée à ma félicité,
Qui du cercueil m’aurais ressuscité,
Tu es venue ô mère du silence,
Qui ja muet de tous côtés s’élance :
Avise donc Satire à te munir,
D’une vigueur capable de tenir,
D’une vigueur amoureuse qui dure,
Et te confirme en la grâce future
De ce Phœnix de beauté gracieux,
Qui te commet à son plus précieux ;
Or parvenu à l’huis de ma Sibille,
J’aiguiserai d’une façon subtile
Mon sifflement afin de l’appeler,
À peu de bruit lui parlant sans parler.
MÉROPE.
J’entends qui c’est, allons tu viens à l’heure,
Qui se pourrait appeler la meilleure.
SATIRE.
Ma douce vie, hé bien, n’ai-je tenu
Promesse au terme entre nous convenu ?
MÉROPE.
Ta diligence admirable mérite
Ce qu’elle aura d’une chaste Carite ;
Or sus de loin qu’on suive au petit pas,
Si que de l’œil tu ne me perde pas,
Et où du doigt je fais signe arrêtée,
Cours te jeter sur ta proie apprêtée.
SATIRE.
Oncques garrot ne partit plus léger
Que tu me vois au signal déloger.
Scène II
MÉLITE, ARCAS
MÉLITE.
L’infinité de ces gauches présages,
Ébranlerait les plus fermes courages,
M’acheminant, la funéreuse voix
D’une Chevêche a soupiré trais fois,
Après du pied sur l’herbage glissée,
Une Couleuvre à longs plis élancée
M’a poursuivi avec tant de fureur,
Qu’au souvenir je hérisse d’horreur,
Trembler aussi la fièvre continue
De chaque chose à présage tenue ?
Jamais, jamais, l’innocence fera
Que mon dessein se parachèvera.
ARCAS.
J’entr’-oï l’accent de quelque voix humaine,
Et le bonheur sans doute me l’amène.
MÉLITE.
Mon arc tendu auprès de moi je veux
De ce ruban me tracer les cheveux.
ARCAS.
Oui la voilà, qui sans doute murmure,
Diane rend ta lampe plus obscure,
Qu’à pas larrons près d’elle parvenu,
Tant de beautés je puisse voir à nu.
Scène III
SATIRE, MÉLITE, ARCAS, MÉROPE
SATIRE.
Belle Bergère.
MÉLITE.
Ô Dieux !
SATIRE.
N’ais point peur.
ARCAS.
Comme adoucit son appeau le pipeur !
SATIRE.
Je suis.
MÉLITE.
N’approche, ou.
SATIRE.
Que voudrais-tu dire,
Méconnais-tu ton fidèle Satire ?
MÉLITE.
Qui t’a donné l’audace de venir ?
SATIRE.
Ton mandement.
MÉLITE.
Moi ?
SATIRE.
Souffre un peu tenir.
MÉLITE.
Retire-toi Monstre infect de luxure,
Si tu ne veux que je te défigure.
ARCAS.
Crainte de pis allons la secourir.
SATIRE.
Un baiser pris je consens de mourir.
MÉLITE.
Je baiserai plutôt la Parque blême.
SATIRE.
J’appliquerai la rigueur à l’extrême.
MÉLITE.
À l’aide, au meurtre, on me force, au voleur.
SATIRE.
Me résister t’apporte du malheur.
ARCAS.
Demeure infâme, arrête, ou je te tue.
MÉROPE.
Arcas aux mains sa parole effectue.
SATIRE.
Au moins entends mes raisons.
ARCAS.
Quitte-la.
SATIRE.
Bien, je le veux.
ARCAS.
Oui forcé.
SATIRE.
La voilà.
ARCAS.
Tu laisseras tes cornes sur la place.
SATIRE.
Écoute un peu.
ARCAS.
Mon oreille en est lasse.
SATIRE.
Hélas ! merci, je me rends, que veux-tu ?
ARCAS.
Qu’il te souvienne avoir été battu.
MÉLITE.
Tiens le Pasteur que ma part je lui donne.
MÉROPE.
J’entends des coups l’orage qui resonne
Dessus le dos de mon bel Amoureux,
Quelle risée au sortir d’avec eux
Je me prépare.
SATIRE.
Au meurtre, on m’assassine,
Rompu de bras, de tête, de poitrine,
Secours ô Pan, secours, je n’en puis plus.
MÉLITE.
Une autre fois ne t’empiège à ta glus.
ARCAS.
Laissons-le aller.
SATIRE.
Hé je vous en supplie.
MÉLITE.
Non, non, premier ma vengeance accomplie.
ARCAS.
Va sauve-toi, ne nous promets-tu pas ?
SATIRE.
Oui, retrouvé donnez-moi le trépas.
MÉLITE.
Ah ! si la force égalait mon courage,
Tu vomirais l’âme pour cet outrage.
SATIRE, échappé.
Louve, ruffien, quelque jour, quelque jour
On vous réserve à beau jeu beau retour.
Scène IV
ARCAS, MÉLITE
ARCAS.
Je rends Mélite une grâce commune,
Tant à l’Amour qu’à ma bonne fortune,
D’avoir sauvé du naufrage prochain
Ta chasteté, qui résistait en vain,
Telle à peu près que la barque qui flotte
À la merci des vagues sans Pilote,
Dessus le point de s’abîmer au fond.
MÉLITE.
Oui, mais Berger tel bienfait se morfond,
Perde son lustre et l’on n’a plus de grâce,
Quand son auteur la mémoire en repasse,
Il ne doit pas même s’en souvenir,
Où le mérite est nul à l’avenir.
ARCAS.
Qui le dirait par forme de reproche ?
Qui n’aurait pas à miner une roche,
De cruauté, d’orgueil et de mépris ?
Qui ne saurait qu’un ingrat a le pris
De mes labeurs, de mes fidèles peines,
Qui ne saurait qu’au supplice tu mènes
Son innocence ? ah ! ces points exceptés
J’aurai trop tôt mes services vantés,
Trop tôt béni l’heure si fortunée
Que je sauvé ta pudeur butinée.
MÉLITE.
Entretien-toi d’espérance toujours,
Et à son temps réserve mon secours,
Tandis je vais divulguer la victoire
Qui te promet une immortelle gloire.
ARCAS.
Sans m’élargir la faveur d’un baiser,
Soit, mes yeux ont eu de quoi s’apaiser,
De quoi repaître une ardeur curieuse.
MÉLITE.
Qu’avance là ta langue injurieuse ?
ARCAS.
La vérité.
MÉLITE.
Quelle ?
ARCAS.
N’importe pas.
MÉLITE.
Dis franchement.
ARCAS.
J’admirai ce repas
Pris de la vue, ah ! tu veux que d’envie
À ce récit je soupire la vie.
MÉLITE.
Qu’aurais-tu vu ?
ARCAS.
Deux montagnes de lait
Qu’un beau bouton décore vermeillet.
MÉLITE.
Ô le menteur ! de ma tresse épanchée,
J’étais dans l’eau plus qu’à demi cachée,
Adieu, adieu.
ARCAS.
Je te reconduirai,
Crainte de pis.
MÉLITE.
Moi donc j’obéirai.
Scène V
SATIRE, MÉROPE
SATIRE.
Meurtri de coups, à peine hélas ! à peine
Je puis marcher et r’avoir mon haleine,
Encore plus affligé de l’affront
Qui me demeure imprimé sur le front :
Ô fausse vieille ! ô mille fois traîtresse !
Tu m’as vraiment bien pourvu de maîtresse,
Tu m’as joué d’un tour de ton métier,
Mais à mon rang je te veux châtier,
Si sur le champ de l’attentat purgée,
D’un tel soupçon je n’ai l’âme allégée,
Or ne pouvant la rejoindre depuis,
Je l’attendrai sur le seuil de son huis,
J’entr’-oï marcher, ce l’est qui s’achemine,
Nous jugerons du courage à la mine.
MÉROPE.
Tu es donc là Satire, hé bien, comment
Va ton Amour à ce commencement ?
SATIRE.
Très mal.
MÉROPE.
Pourquoi très mal ?
SATIRE.
Ta gausserie
Pourrait changer mon Amour en furie.
MÉROPE.
Que te faut-il ? est-ce le grand merci
De t’avoir fait d’elle jouir ainsi ?
SATIRE.
Je ne veux plus de telle jouissance.
MÉROPE.
On te l’avait livrée en ta puissance,
De faire plus le moyen que veux-tu ?
SATIRE.
Onc pour un coup, je ne fus tant battu.
MÉROPE.
Ces petits coups qu’une fille desserre
Ne sont que fleurs en l’amoureuse guerre.
SATIRE.
Certain Pasteur survenu de renfort,
Las de frapper m’a rendu comme mort.
MÉROPE.
Malheur pourtant inopiné qui montre
Que tu n’étais que bien sans la rencontre.
SATIRE.
Point, je renonce à semblable amitié,
Tâte mauvaise, et juge par pitié,
S’ils m’ont battu d’une cruelle sorte.
MÉROPE.
Dedans le cœur tes blessures je porte,
Mais tu voudrais induire à te prier.
SATIRE.
Tu n’oserais demain me défier,
Donne sans plus avant que je te quitte,
Pour me guérir quelque drogue d’élite.
MÉROPE.
Entre dedans je ferai mon pouvoir,
Joint qu’à loisir je désire savoir
De point en point le progrès de l’histoire,
Vu l’accident presque impossible à croire.
SATIRE.
Hélas ! trop vraie à mon plus grand regret,
Tu le sauras, mais tiens le cas secret.
ACTE IV
Scène première
CORINE, MÉLITE
CORINE.
Pauvre Mélite, ah ! que je suis joyeuse
De te pouvoir informer soucieuse,
Sur ce que bruit la commune rumeur,
Que tu courus fortune de l’honneur,
Que le secours d’Arcas ton plus fidèle
T’a conservé ce beau nom de pucelle,
Acte de soi si brave et généreux,
Qu’il doit atteindre au Ciel des Amoureux
Qu’il ne se peut assez louer et dire,
Plaise-toi donc au vrai me le déduire.
MÉLITE.
Tu te souviens lors de notre départ,
Comme chacune eut pris quartier à part,
Que de sueur et de poussière pleine,
Je résolus d’aller à la fontaine,
Où mille fois, et mille en sureté
J’osai fier seule ma chasteté ;
Là dans le bain à peine je me plonge,
Et pour laver le corps ces bras j’allonge,
Qu’un grand Satire élancé plus soudain
Que le Lion ne court dessus un Daim,
Vient l’œil flambant d’une lubrique rage,
Par la prière essayer mon courage.
CORINE.
D’effroi quasi je pâme t’écoutant,
Ainsi que mien le cas représentant.
MÉLITE.
J’eus bien ma part d’une frayeur extrême,
Et néanmoins retournée en moi-même,
À résister ma dextre s’apprêtait,
Empoignant l’arc d’arme qui l’arrêtait,
Mais ce Bouquin me la prévint saisie,
De mes refus croissant sa frénésie,
Alors qu’à coup ce Persée arrivé,
Que mon Amour longtemps a captivé,
Surprend le monstre, et en telle surprise,
Bon gré mal gré le contraint lâcher prise,
Si qu’il me donne à même temps loisir
De châtier le rustre à mon plaisir.
CORINE.
Mais quel guerdon rémunéra la peine
De ce vainqueur que tu fuis inhumaine ?
MÉLITE.
L’offre des biens que je dois posséder
Si les parents viennent à décéder.
CORINE.
Tu l’offensais, car ce bien fait si rare
Ne compatit avec un prix avare,
Et qui m’aurait conservé cette fleur,
La cueillerait bien due à sa valeur.
MÉLITE.
Je tiens l’avis d’un autre tolérable,
De toi rien moins seule alors préférable.
CORINE.
Bon gré mal gré tu viendras toujours là.
MÉLITE.
Allons presser l’Oracle sur cela,
Allons savoir la volonté dernière,
De qui notre âme a chez soi prisonnière.
CORINE.
Prends d’un côté, moi de l’autre, de peur
Qu’il nous échappe encore ce pipeur.
MÉLITE.
Bien je ferai par le pré mon enceinte.
CORINE.
Moi par ce bois image de ma crainte.
Scène II
CALISTE, CORINE, MÉLITE
CALISTE.
Enseignez moi Forêts quelque rocher,
Creux et secret où me pouvoir cacher,
Quelque caverne au Soleil inconnue,
Telle qu’on fît la Déesse cornue,
Son beau Pasteur un siècle sommeiller,
Encore là faudrait s’émerveiller,
Si je n’avais ma retraite peu sûre :
Dieux ! en voici quelqu’une je m’assure,
Et comment donc, je vois Corine, et faut
Se préparer à un nouvel assaut,
L’extrémité d’inventions féconde
M’en a fourni la meilleure du monde,
Pour l’assurer de l’espoir mal conçu,
Et décevoir qui croit n’avoir déçu.
Scène III
CORINE, CALISTE, MÉLITE
CORINE.
Enfin trompeur, tu nous l’as donné belle
Avec ta soif si pressement cruelle,
Pour te vouloir au besoin secourir,
Et l’une et l’autre alors cuida mourir,
Lasses (Dieu sait) sueuses, hors d’haleine :
Un’ autre fois épargne notre peine,
Quitte un chemin d’orgueil que tu poursuis,
À nous tramer ces Amoureux ennuis.
CALISTE.
Après beaucoup d’attente, que ja l’ombre
Croissant par tout amenait la nuit sombre,
Contraint je fus mon troupeau remmener,
Et vous devez à l’heure pardonner.
MÉLITE.
Demain, demain je croirai ta défaite,
N’en parlons plus, c’est une chose faite,
On te pardonne à la charge pourtant
De se résoudre à cett’ heure constant.
CALISTE.
Tenez-le ainsi, que du Trepié Delphique.
CORINE.
Garde toi bien d’une sentence inique.
CALISTE.
Celle qui plus se tiendra de parler,
À mon Amour, que sert de le celer ?
MÉLITE.
Qui jamais vit pareille félonie ?
Qui jamais vit aucune tyrannie,
Nous usurper ce naturel bien fait ?
Repense au mal premier que l’avoir fait.
CALISTE.
Le voulez-vous, ou non, dites Bergères,
Que je m’en aille ?
CORINE.
À ces preuves légères,
Qu’elle refuse accepter, ne dois-tu
Me couronner du Mitre débattu ?
Qui voit passer au milieu de la flamme,
Si tu le veux chère âme de mon âme.
MÉLITE.
Elle en sera premier lasse que moi,
Sus, il suffit, mais borne nous ta loi.
CALISTE.
Qu’appelez vous borner ?
CORINE.
S’entend l’espace
Du temps préfix, que muettes on passe.
CALISTE.
Tant que j’impose à ce silence fin.
MÉLITE.
Fais donc veiller nos actions afin
Que la première infractaire trouvée
Soit de l’espoir de ta grâce privée.
CALISTE.
N’en doutez point, adieu Nymphes.
CORINE.
Adieu
Puisque la voix chez nous n’a plus de lieu.
Scène IV
ARCAS, TITYRE, MŒLIBÉE
ARCAS.
Chétif Arcas ta prudence sommeille,
Tu entretiens ta torture pareille
Au criminel de l’Erebe dolent,
Toujours la roue enflammée ébranlant,
Tu es ainsi, tandis que ta poursuite
Pense adoucir les rigueurs de Mélite,
Veut à pitié l’impiteuse émouvoir,
Il faut d’ailleurs t’obtenir ce pouvoir,
Il faut dessous l’autorité d’un père
Auquel selon Nature elle obtempère,
Humiliée en tirer la raison :
Ah ! le voici sortir de sa maison
Qui ne saurait refuser ma demande,
Si l’équité plus forte lui commande,
Si sa vieillesse affecte le repos,
Que je te trouve ô Tityre à propos !
TITYRE.
Brave Pasteur des Arcades la gloire,
Digne d’un los d’éternelle mémoire,
Dis librement ce que pour toi je puis.
ARCAS.
Tu peux en un guérir tous mes ennuis,
Moi pris de gendre appui de ta famille,
Car sans mentir j’idolâtre ta fille.
TITYRE.
Tu me ravis d’aise en ce tien désir,
Qui ne saurai de parti lui choisir
Plus désirable, et à son avantage,
N’eusses-tu pris de fortune en partage
Que ta vertu dont l’effet généreux
La retira d’un pas si dangereux.
ARCAS.
Humble à genoux de cœur je te rend grâce,
Mais las, hélas ! une frayeur me glace.
TITYRE.
Quelle frayeur ? te doutes-tu de moi,
Comme inconstant qui vacille en sa foi ?
ARCAS.
Je crains qu’elle ait autre part sa pensée.
TITYRE.
Toute âme ainsi de Cupidon blessée,
Se fantastique une jalouse peur,
Que je te vais dissiper en vapeur :
Mélite ho ! Mélite viens te di-je :
Sais-tu ce que c’est ? ce Berger nous oblige
De te venir d’Épouse demander,
Chose que j’ai voulu trop accorder
Ainsi que juste, honorable et utile,
Avise d’être à mon vouloir docile,
Or sus de bouche, et de cœur veux-tu pas
Vivre avec lui jointe jusqu’au trépas ?
Quel accident la parole t’arrête,
Que tu réponds des mains et de la tête ?
Ô Cieux ! d’où vient ce désastre soudain,
Elle s’efforce à nous parler en vain.
ARCAS.
Ou c’est un charme, ou (cruelle malice)
Du mariage elle fuirait la lice.
TITYRE.
Crois que plutôt la forte impression
De ce péril cause l’affliction,
Remis aux yeux de sa vague pensée,
Pour voir présente une chose passée,
Mais qui là bas se lamente si fort ?
ARCAS.
C’est Mœlibée.
MŒLIBÉE.
Ô secourable mort !
Ne fais languir un déplorable père,
Qui plus de joie en ce monde n’espère,
Sa race unique ores quant à la vois,
Pareille au tronc immobile d’un bois.
TITYRE.
Sur quel sujet lamente Mœlibée ?
MŒLIBÉE.
Sur la parole à celle dérobée,
Qui fut l’espoir de ses caduques ans.
TITYRE.
Donc ma douleur commune tu ressens,
Qui désastreux même perte regrette,
Contagieuse à ma fille muette.
ARCAS.
Un sort malin produit là ses effets,
Sort qui les sens nous peut rendre imparfaits.
MŒLIBÉE.
J’allais trouver Mérope la Devine,
Pour l’informer de quelque Médecine.
TITYRE.
Tous d’un accord allons la requérir,
Et le motif du désastre enquérir.
Scène V
MÉROPE, SATIRE
MÉROPE.
Démons reclus dans la demeure pâle,
Par les replis de l’Onde Stygiale,
Par le pouvoir du Prince des Enfers,
Par ces pavots que je lui brûle offerts,
Venez quittant les gouffres de l’Averne,
Vous tenir prêts ici dedans mon cerne,
Prêts de punir un bouc luxurieux
Qui le futur me représente aux yeux,
Ah, le voici qu’une brutale rage
À son malheur époint dans le courage.
SATIRE.
Dispos, gaillard, plus propre au jeu d’aimer
Qu’oncques, je viens ta promesse sommer,
Après l’épine il faut avoir la rose,
Tu ne dis mot, pensive à autre chose.
MÉROPE.
De vrai je pense à ta brutalité,
À ta folie, à ta stupidité,
Qui recevront des coups pour leur salaire,
Ne désistant de cet honteux affaire.
SATIRE.
Te moques-tu ?
MÉROPE.
Satire ton plus sûr
Est d’esquiver mon courroux punissur.
SATIRE.
J’espère avec un long baiser humide
Me l’adoucir dédaigneuse homicide.
MÉROPE.
Or sus à coup favorables esprits
Apprenez lui que vaut s’être mépris.
SATIRE.
Au meurtre, au meurtre, au secours, on me tue.
MÉROPE.
Cela va bien, mon vouloir s’effectue.
SATIRE.
Pardon Mérope, et je renonce à tout.
MÉROPE.
Non, pour si peu tel crime ne s’absout,
Retire-toi chère Troupe Avernale,
Va retrouver ta demeure fatale,
Et que sa forme en un Arbre échangeant,
J’aille le fiel de sa haine changeant,
Vif à souffrir des tortures extrêmes :
Ores convient retournée à moi-même,
Expédier ces Pasteurs affligés
Sur un erreur qui les tient assiégés,
Qui les contraint recourir à l’Asile
De ma science aux innocents utile.
Scène VI
MŒLIBÉE, TITYRE, ARCAS, MÉROPE
MŒLIBÉE.
Comme avertie on dirait qu’elle attend,
L’œil dessus nous pitoyable jetant,
Abordons là d’une humble révérence ;
Sybille en qui pose notre espérance,
Un incident nous amène vers toi
Pères chétifs.
MÉROPE.
Amis attendez-moi,
De la douleur qui vous presse inspirée,
Je vais chercher sa cure désirée,
Je vais l’avis du destin consulter
Et ce qui doit de tel cas résulter,
Tandis portés dans le Ciel vos prières,
Contre un méchef de vertus singulières.
TITYRE.
Dieu des Bergers Pan qui prends le souci
De leurs troupeaux, et d’eux mêmes aussi,
Grande Pales, toi fruitière Pomone
Qu’à nos méfaits votre bonté pardonne,
Ne veuillez pas bénignes Déités
Rétribuer les tourments mérités,
Ne veuillez pas répéter notre offense
Sur des enfants, ains dessus l’innocence :
Plutôt hélas ! que plutôt l’un de nous
Tombe victime au céleste courroux.
MŒLIBÉE.
Je tremble au cœur d’entendre ce murmure
Qui de Pluton le noir peuple conjure,
Qui de Mérope irrite la fureur,
Dieux ! la voici, mon chef dresse d’horreur,
Ô quels regards son œil flambants nous darde
Pour enfanter du démon qu’elle garde !
MÉROPE.
Pasteurs courage, après bien peu de temps
Ce triste Hiver vous éclot un Printemps,
Leur mal parvient d’un charme de silence,
Mais volontaire et hors de violence,
Ès mots suivants l’Oracle vous dira
L’auteur, les Cieux et qui les guérira.
ORACLE.
Du plus beau des Bergers que sache l’Arcadie,
Naguères fut jeté se sort malicieux,
Arrêtez moi sa fuite, et telle maladie
Prendra fin par celui qui maîtrise les Cieux.
Voilà quelle est la volonté divine,
Qu’à l’accomplir chacun donc s’achemine.
MŒLIBÉE.
Hélas ! supplée à notre infirmité,
Qui ne pourrait (double calamité)
Jamais trouver, veufs de ton assistance,
Le sens obscur de pareille sentence.
MÉROPE.
Allons suivez, que la commune voix
Juge à présent du plus beau de nos bois,
Allons, d’indice en indice la chose
Nous deviendra manifeste déclose,
Et du surplus qui doit à ce besoin
S’exécuter, j’embrasserai le soin.
ACTE V
Scène première
VÉNUS, CUPIDON
VÉNUS.
Mauvais garçon, volage, incorrigible,
Et aux douleurs de ta mère insensible,
Quelle malice inhumaine te meut
De tourmenter un peuple qui ne veut,
Parmi ces bois où l’innocence habite,
Que t’honorer pardessus ton mérite ?
Que t’obéir tributaire à tes lois,
Si ta puissance éprouver tu voulais,
Dresse ton vol, aiguise tes sagettes
Pour subjuguer les Scythes ou les Gètes,
Qui suivent Mars, rebelles à l’Amour,
Victorieux choisi là ton séjour
Sans outrager (cruauté tyrannique)
Nos bons sujets de ce monde rustique,
Je te défend de les plus molester,
Où ne te pense à moi représenter.
CUPIDON.
Voilà que c’est, l’impression mauvaise
Ne me permet rien faire qui vous plaise,
Vous condamnez à faute de savoir,
L’équité même, ainsi que l’allez voir :
Un arrogant porté de vaine gloire
Ose en ces bois disputer ma victoire,
Fuit deux beautés réduites aux abois,
Et sur lui presque épuisant mon Carquois,
Reste qu’il s’aille ériger un trophée
De ma puissance en ces lieux étouffée :
Moi donc atteint d’une juste pitié,
Pourrais-je moins l’orgueilleux châtié,
Que dissiper la discorde naissante
En exauçant une troupe innocente,
Afin qu’ici votre Empire et le mien
Ferme établis ne redoutent plus rien.
VÉNUS.
Tu as raison, pourvu que tu ne mentes
Que le discord chez eux tu ne fomentes,
Mais quand as-tu résolu de punir
Ce téméraire et au Ciel revenir ?
CUPIDON.
L’œuvre de peu s’accomplit sans demeure,
Permettez-vous le plaisir d’un quart-d’heure,
À tel spectacle autant délicieux,
Et voire plus qu’aucun dedans les Cieux.
VÉNUS.
Mon indulgence accorde ta demande,
À ce qu’après où je veux on se rende.
CUPIDON.
Après je suis entièrement à vous,
Qui n’aurez plus de sujet de courroux :
Chacun son Arc encoche d’une flèche,
À qui mieux mieux, que chacun face brèche
De dans son cœur de rocher aperçu,
Du même espoir que Narcisse déçu.
Scène II
CALISTE, CUPIDON, VÉNUS
CALISTE.
Dieux le péril qu’incroyable j’évite,
Un monde armé fondait à ma poursuite
Dans le logis paternel, n’échappant
Que cette voix, empoignez le méchant
L’empoisonneur, le Sorcier, l’infidèle,
Qui sous un front modeste de pucelle
Ne laisse pas d’user pernicieux
D’un sortilège abominable aux Cieux ;
Lors élancé du haut d’une fenêtre,
Je me recouds à la Parque peut-être,
De retourner point de nouvelle, il faut
Prendre un Asile, où se soit ne m’en chaut,
Mais où choisir de retraite assurée,
Je ne saurai l’âme trop égarée,
Suivons où veut le hasard nous mener,
Las ! quel escadron me vient environner,
D’enfants ailés ? chacun l’Arc pour son arme,
Franc de péril je retombe en un charme,
Hélas ! merci, prenez de moi pitié.
CUPIDON.
Tu l’obtiendras ton crime châtié,
CALISTE.
Qu’ai-je commis ?
CUPIDON.
Qui te cause la fuite ?
CALISTE.
La juste peur d’une injuste poursuite.
CUPIDON.
Frappons toujours tant qu’il ait confessé.
CALISTE.
Ô Cieux ! de coups invisibles pressé
Le cœur me fend, et ne sais quelle flamme
Coule parmi jusqu’au profond de l’âme,
Pardonnez-moi, quiconque soyez-vous,
Sans me connaître acharnés de courroux.
VÉNUS.
L’âge mon fils mérite qu’on modère
Ce châtiment, sa coulpe plus légère.
CUPIDON.
Pourquoi souvent ne m’excusez vous donc ?
Plus faible d’ans vous ne le fîtes onc.
VÉNUS.
Faible de corps tu es fort de malice,
Que trop de fois je tolère complice,
Or ne fais plus état de me fléchir,
Si tu ne veux de peine l’affranchir.
CUPIDON.
Cruel, ingrat, à genoux remercie
La Déité qui de toi se soucie,
Voue une offrande à la mère d’Amour,
Car tu lui dois la lumière du jour :
L’âme au surplus d’un repentir outrée,
En réparant l’injure perpétrée,
Tu promettras la guérison du sort
Des deux beautés qui penchent à la mort,
L’une d’Épouse à cette heure choisie ;
Parle, as-tu pas changé de fantaisie ?
CALISTE.
Hélas ! oui si Corine jamais
Me recevait en grâce désormais,
Je lui serais autant ou plus fidèle,
Que le passé dédaigneux et rebelle,
Mais qui vous a divulgué l’accident ?
Il faut qu’alliez le mortel excédant.
CUPIDON.
Simple tu vois la Déesse qui donne
Aux vrais Amants une heureuse Couronne,
Tu vois son fils qu’elle apaise irrité,
Pour t’honorer d’un bien non mérité.
CALISTE.
Donc à ce coup voici la prophétie,
Que m’annonçait Corine, réussie,
Reste un scrupule en mon âme douteux,
Que nos Bergers m’accablent impétueux.
CUPIDON.
Ne le crains pas, je t’ai pris en ma garde,
Et votre paix commune me regarde,
Allons sui moi, allons leur au devant,
Un tel ouvrage imparfait achevant.
Scène III
MÉROPE, MOPSE, MŒLIBÉE, TITYRE
MÉROPE.
Ruse tournoie et déguise faussaire,
Tu répondras de ta race Corsaire,
Tu pâtiras de son impiété,
Qui sans toi su jamais n’aurait été,
Le fils ne suit que l’exemple du père,
Partant sortir de nos liens n’espère,
Que lui rendu, joint que tout receleur,
Au double encourt la peine du voleur.
MOPSE.
Si je puis dire en quelle part du monde
Le misérable à l’heure vagabonde,
Que sous mes pieds l’Erebe s’entr’ouvrant,
Aille mon crime et ma tête couvrant,
Hélas ! chétif plut au vouloir Céleste,
Toi hors des dards de la Parque funeste,
Conduit en lieu d’assurance bien loin,
Que ce mien chef te plégeât au besoin.
MŒLIBÉE.
À son défaut il y va de ta vie,
L’une pour l’autre en échangé ravie,
Où la rançon de ta prochaine mort
Gît à guérir le venin d’un tel sort.
MOPSE.
Sains de renom, et purs de conscience,
Ne lui ne moi n’eûmes onc la science,
Qui périlleuses à tous les animaux,
Tantôt envoie, ores chasse les maux,
Un seul secret pratiquer je désire,
Qu’utile à tous nul ne me puisse nuire.
TITYRE.
La vérité contraire te dément.
MŒLIBÉE.
Un faux soupçon l’opprime injustement.
MÉROPE.
Silence amis, faites trêve aux querelles,
Une Colombe a du bruit de ses ailes
Donné l’augure et calmant à la fois,
Marque le lieu, le saint lieu dans les bois,
Où je prévois l’assistance Divine,
Sus qu’à genoux désormais on chemine,
L’âme Vénus et son fils découverts.
À votre mieux tendent les bras ouverts.
Scène IV
MÉROPE, VÉNUS, CUPIDON, CALISTE, CORINE, MÉLITE, ARCAS, TITYRE, MOPSE, MŒLIBÉE, SATIRE
MÉROPE.
Double ornement de la Troupe immortelle,
Qui de Nature embrasse la tutelle,
Faisant durer la race des humains,
Nous te joignons nos suppliantes mains
Pour apaiser une guerre amoureuse
Que tu peux faire en un moment heureuse.
VÉNUS.
Prononce toi mon fils ce jugement,
Qui de leurs maux porte l’allègement.
CUPIDON.
Caliste joint à sa belle Corine,
En est la fin comme il fut l’origine :
Arcas Mélite aura pour sa moitié,
Rare Phœnix d’une ferme amitié,
De ce trésor processus légitime,
Que sa valeur conserva magnanime :
Sus donnez vous réciproques la foi,
Que veut d’Hymen l’inviolable loi.
CALISTE.
Chère Corine, hélas ! je te demande
L’oubli premier de ma coulpe trop grande,
Ne t’en souviens Bergère, et je promets
En récompense être tien désormais.
CORINE.
Ô agréable ! ô céleste parole !
Par ta vertu tout mon malheur s’envole,
Pour t’obtenir je n’estimerai pas
Avoir assez enduré d’un trépas,
Caliste mien ? ô Amour ! je rends grâce
À ta bonté, qui tout’ autre surpasse.
MÉLITE.
La larme aux yeux, le repentir au cœur,
Je te supplie ne garder de rancœur
À ta Mélite, Arcas ma douce vie,
Ne soyons plus qu’une âme, et qu’une envie,
Et réparons de plaisirs amoureux
Le temps perdu qui nous fit langoureux.
ARÇAS.
Ô quel miracle aux neveux incroyable !
Mélite mienne ores d’impitoyable,
Vous l’avez fait puissantes Déités,
Et le faisant vous me ressuscitez,
Si comblé d’heur, si transporté de joie,
Que de l’excès, peu s’en faut, je larmoie.
CUPIDON.
Reste assoupir chez vous autres parents,
Ce qui pourrait nourrir les différents,
S’entre-promettre une amitié qui dure
Également jusqu’à la sépulture.
TITYRE.
Moi je le veux, Mopse pardonne nous
L’effort commis d’un imprudent courroux.
MOPSE.
Qui se fût pu garder sur l’apparence
De même faute en pareille occurrence ?
Nul des mortels, vu que le bien présent,
D’abolir tout est plus que suffisant.
MŒLIBÉE.
J’accepterai ma part de cette grâce,
Comme coupable avec lui je l’embrasse,.
CUPIDON.
Encor faut-il vous sceller ce bien fait,
De ne sais quoi de passetemps parfait,
L’arbre changé que voyez, en Satire.
SATIRE.
Qui hors de terre immobile me tire ?
Qui m’a rendu ma figure et ma vois ?
Quels nouveaux Dieux habitent dans nos bois ?
CUPIDON.
Contente-toi de ta forme reprise,
Sans plus donner à tes vices de prise
Sur tes désirs justement châtiés,
À l’avenir de la raison liés.
SATIRE.
À ce bandeau je n’en fais plus de doute,
C’est le vainqueur que l’Olympe redoute ;
Ô Paphien, je proteste à genoux
Ne provoquer jamais plus ton courroux,
Épris de vieille, ou de jeune qui vive,
Tant j’ai souffert pour ma fureur lascive.
VÉNUS.
Allez Bergères à bon heure cueillir
Nos fruits plus doux, qui ne peuvent vieillir,
Allez germer une suite féconde
De beaux enfants qui repeuplent le monde,
Allez jouir d’un assuré repos,
Et d’un courage allègrement dispos,
En notre honneur, sur vos flutes rustiques,
Jusques au Ciel pousser mille Cantiques,
Nous vous serons favorables toujours,
D’heur accomplis en vos saintes Amours.
MÉROPE.
Nous le jurons vénérable Déesse ;
Sus que chacun dépouillé de tristesse
Vienne à l’envi célébrer ce beau jour,
Que tous nos bois ne parlent que d’Amour,
De ris, de jeux, de caresses mignardes
Que de baisers, et de danses gaillardes,
Après avoir dans leurs sacrés Autels
Remercié les puissants Immortels.