Le Chat botté (Eugène SCRIBE - MÉLESVILLE - Charles-Gaspard DELESTRE-POIRSON)

Féerie-Vaudeville en deux actes.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Vaudeville, le 10 avril 1820.

 

Personnages

 

LE DUC DE MIROBOLAN

LE COMTE DE TURCAMORE

LE BARON DESASTUCES

BOUCHE-DE-FER, ogre

JEAN LE SIMPLE

UN INTENDANT de l’ogre

UN CHEF D’OFFICE de l’ogre

UN TAMBOUR

UN GARDE

LE CHAT BOTTÉ

BRILLANTINE, sous le nom de Lison, fille du duc de Mirobolan

SEIGNEURS

SUITE

VALETS

PAYSANS

PLUSIEURS CHATS

FÉES

GÉNIES

SYLPHES

 

Dans la principauté de Mirobolan.

 

 

ACTE I

 

 

Premier Tableau

 

Une campagne. D’un côté l’entrée d’une forêt, de l’autre quelques cabanes de paysans. Une table et un banc.

 

 

Scène première

                                         

UN TAMBOUR, qui bat un appel, suivi d’une troupe de PAYSANS

 

LES PAYSANS.

Air du vaudeville de Une Nuit de la garde nationale.

Quel vacarme ! quel tapage !
Dès l’ matin
Le tambour est en train ;
Queuqu’ vieill’ femm’ du voisinage
Cherch’ son époux ou son carlin.

 

 

Scène II

 

UN TAMBOUR, PAYSANS, JEAN, sortant de sa cabane et posant par terre un fagot

 

JEAN.

Avant l’heur’ du labourage
On nous réveille en sursaut !
Quelqu’un d’ nous dans le village
A donc gagné le gros lot ?

UN PAYSAN.

Eh ! non, on te dit que c’est une femme égarée.

JEAN.

Ah ! c’est différent... je l’ prenais pour le tambour-majeur de la loterie.

Roulement.

LES PAYSANS.

Quel vacarme ! quel tapage ! etc.

Roulement.

LE TAMBOUR.

Écoutez tous.

Il lit une affiche qu’il tire de sa poche.

« Il a été perdu, il y a huit jours, entre chien et loup, une jeune princesse d’une beauté incomparable. Le prince Mirobolan, son père, fait savoir à tous ses sujets, amis et connaissances, qu’une récompense honnête est promise à qui lui ramènera sa fille chérie, la princesse Brillantine. »

JEAN.

Une princesse ! ah ben oui ! comment la reconnaître ? moi d’abord, je n’en ai jamais vu.

LE TAMBOUR.

Silence !

Il lit.

Signalement de l’objet égaré :

Air : Mes chers amis, pouvez-vous m’enseigner. (Beaumarchais.)

« Teint blanc, œil noir et vif, nez aquilin,
« Taille de quatre pieds dix pouces,
« Toque d’argent, et robe de salin,
« Les cheveux bruns et les mœurs douces,
« Esprit toujours égal,
« Regard sentimental,
« Brillante, malgré son jeune âge,
« Et de sagesse et de vertu... »

JEAN.

Jusqu’à présent, il n’a paru
Rien de pareil dans le village.

LE TAMBOUR, continuant.

« Ladite princesse répond au nom de Brillantine ; on prie les personnes qui en auraient quelques nouvelles de les faire parvenir, franc de port, au Palais Royal de la principauté de Mirobolan ; s’adresser au surplus, pour la récompense promise, chez tous les notaires de l’endroit. »

Roulement ; il fait placarder l’affiche.

JEAN.

Ah ! mon Dieu ! mon Dieu ! c’ pauvre duc de Mirobolan ! il doit cire dans une désolation... lui qui est si bon prince !... perdre sa fille !

LE TAMBOUR.

Il en a perdu la tête.

JEAN.

Là !... faire coup sur coup deux pertes dont l’une est aussi considérable... car enfin, c’était une fille unique ; la défunte ne lui a laissé, je crois, que c’t’ enfant-là.

LE TAMBOUR.

Absolument.

JEAN.

Et se la voir enlever comme ça par un événement aussi... Sait-on comment ce malheur est arrivé ?

LE TAMBOUR, à voix basse.

On soupçonne un ogre qui habite ici près, ce terrible Bouche-de-Fer, de la tenir enchaînée dans quelque coin de ses domaines.

JEAN.

Voyez-vous ça !... c’est que c’est mauvais, un ogre !... et pourquoi n’a-t-on pas fait une visite domiciliaire chez le voisin ?

LE TAMBOUR.

Ah ! bien oui ! comment y arriver ? On ne peut entrer dans ses États que par le pont des Culbutes, que vous voyez d’ici ; et dès que quelqu’un ose le traverser, ça fait aller une cloche d’airain qui donne le signal... le pont se brise, et crac...

JEAN.

J’entends ! c’est une affaire coulée à fond ; je n’irai pas me promener de ce côté-là... Ah çà, quel métier fait-il, ce seigneur-là ?

LE TAMBOUR.

Il mange.

JEAN.

Eh bien ! il n’y a pas de mal à ça... il faut que tout le monde vive.

LE TAMBOUR.

C’est au contraire ce qu’il ne veut pas comprendre... Apprenez donc enfin... cela fait dresser les cheveux... mais silence...

Air : Un homme pour faire un tableau. (Les Hasards de la guerre.)

Au premier jour, il se pourrait
Que c’ voisin-là d’vînt notre maître ;
Vous sentez alors qu’il faudrait...

JEAN.

C’est trop juste, cela doit être !
Notr’ prince est bon, l’autre est méchant
Mais, pour peu qu’ l’ogre nous assomme,
V’là not’ prince qui d’vient un tyran
Et l’ogre un parfait honnête homme.

LE TAMBOUR, à voix basse.

Comment donc !... puisqu’on parle déjà d’une invasion...

JEAN.

Vous voyez donc bien... il ne faut jamais dire du mal des absents, quand ils peuvent arriver !

LE TAMBOUR, aux paysans.

Allons, allons, ne perdons pas de temps.

À un paysan.

Vous, Bertrand, courez la faire mettre dans les petites affiches ; et nous, poursuivons le cours de nos proclamations.

LES PAYSANS.

Air du vaudeville de Une nuit de la garde nationale.

Çà, poursuivons notre enquête ;
R’lan tan plan, songeons bien à cela,
Amis, récompense honnête
À celui qui la trouvera.

Ils sortent.

 

 

Scène III

 

JEAN, seul

 

Voyez pourtant ! une princesse ! ça t’irait bien, mon ami Jean, une trouvaille comme celle-là ; je n’en demanderais pas tant ; et si je rencontrais seulement une jeune fille avec un nez aquilin et un œil noir... qu’elle fût princesse ou non ; mais bah ! aucune ne veut m’écouter ; elles s’enfuient devant moi.

Air : Tenez, monsieur Joconde. (Joconde.)

Premier couplet.

Ah ! que n’ai-je une belle ?
Mais aux gentils minois
Que je vois
Faut d’ la riche dentelle
Ou des rubans
Charmants.

Quel désespoir.
Hélas ! d’avoir,
Pauvre Jean, (Bis.)
Tant d’amour et pas d’argent !

Deuxième couplet.

Avec ell’ en cadence
J’ pinc’rais mon rigodon
Sur l’ gazon,
Mais jarni ! quand on danse
Faut payer le violon ;

Quel désespoir, etc.

Le fait est que j’ai un guignon de possédé !... je n’ peux pas réussir à vendre mon tas d’ fagots ; je n’ai rien au monde que ma cabane et mon chat ; et encore, ce pauvre animal, on me le tuera quelque jour, vu que le duc de Mirobolan, qui n’aime pas les chats, vient de rendre un édit qui les bannit à perpétuité. Mais, par exemple, s’ils attrapent le mien, ils seront bien habiles... c’est un luron celui-là... un angola magnifique, qui grandit encore tous les jours... faut que ça soit une espèce particulière... peut-être un chat de Terre-Neuve ; je suis sûr qu’à l’heure qu’il est, il court les champs pour trouver notre dîner : une perdrix pour moi et une souris pour lui, v’là notre ordinaire de tous les jours.

On entend un coup de fusil.

Là ! qu’est-ce que je disais ?... ce diable de chat me fait des peurs... avec son petit fusil de quatre sols que j’ lui ai acheté à la dernière foire... malgré ça, s’il m’apporte quelque chose, ça ne fera pas mal, car notre déjeuner de ce matin a été passé sous silence, et dans ce moment, mon estomac ne serait pas fâché de trouver à qui parler.

Il appelle son chat.

Dis donc, petit, petit !... hum, hum... tiens, le voilà qui s’approche d’une jeune fille qui porte un panier... Minet, Minet ! par ici !

Le chat traverse le théâtre, son fusil sous une patte.

Eh bien ! où va-t-il donc ainsi ?

 

 

Scène IV

 

JEAN, LISON, vêtue en petite cuisinière, un panier sous le bras

 

LISON.

Au chat, au chat ! veux-tu venir ici... voyez donc comme on est menteur ! on disait qu’il n’y en avait plus dans ce canton. Oh ! le vilain matou ! il sera cause que je serai grondée.

JEAN.

Jarni ! v’là un joli brin de fille... Je vous demande pardon, mam’zelle, du tort que vous ont fait mes gens... c’est moi qui suis le propriétaire du chat.

LISON.

Ah ! que je suis malheureuse ! Pauvre Lison ! qu’est-ce que dira not’ maître ? Quand il est en colère, tout le monde y passe.

JEAN.

Et quel est-il donc, ce tyran assez barbare pour oser rudoyer l’innocence ?

LISON.

Pardine ! c’est l’ogre voisin... monseigneur Bouche-de-Fer, dont je suis la servante.

JEAN.

Comment ! celui dont on parlait tout à l’heure ? Je vois bien maintenant qu’il est friand et qu’il aime les bons morceaux !... mais comment avez-vous pu entrer au service d’un brutal comme celui-là ?

LISON.

Par exemple, je n’en sais rien ; je me suis trouvée chez lui, il y a huit jours, vêtue de ces habits et installée dans sa cuisine sans savoir comment j’y étais arrivée.

Air nouveau.

Premier couplet.

D’ monseigneur je suis servante,
Je porte le tablier ;
Pourtant j’ n’ai jamais, j’m’en vante,
Fait danser l’ans’ du panier.
Je n’ sais pourquoi j’ m’imagine,
Quand on m’appelle Lison,
Que Lison n’est pas mon nom,
Et pour la port’ d’ la cuisine
J’ prends souvent cell’ du salon.

Ensemble.

LISON.

Voyez donc, voyez donc,
Quand on est sensible,
Qu’ c’est terrible
D’êtr’ servant’ de la maison !

JEAN.

Voyez donc, voyez donc,
Quand on est sensible,
Qu’ c’est terrible,
Pauvr’ petit’ mam’zell’ Lison.

LISON.

Deuxième couplet.

Dans l’ villag’ dès qu’ je m’ présente,
Chacun dit en me voyant :
C’est elle, c’est la servante
De cet ogre si méchant.
Soudain, avec promptitude
Ils s’ sauv’t à travers les champs...
On cach’ les petits enfants ;
C’est que J’ n’ai pas l’habitude,
Moi, de faire enfuir les gens...

Ensemble.

LISON.

Voyez donc, voyez donc,
Quand on est sensible,
Que c’est terrible
D’êtr’ dans un’ mauvais’ maison.

JEAN.

Voyez donc, voyez donc, etc.

Voilà qui est singulier ! et comment ne cherchez-vous pas à quitter un maître aussi vorace, qui, à défaut de dîner, est capable de manger la cuisinière ?... surtout quand elle est comme vous, gentille à croquer ! il n’en ferait qu’une bouchée !

LISON.

Comment lui échapper ? il me trouverait toujours, puisqu’il est sorcier et qu’il a pour parrain le puissant Pendanfilando, le plus grand enchanteur du pays... D’ailleurs, ce n’est pas un ogre comme un autre.

Air : Ma belle est la belle des belles. (Arlequin Musard.)

Premier couplet.

En vers comme en prose il s’escrime,
Il est doucereux et léger ;
C’est toujours à ceux, qu’il estime
Qu’il fait l’honneur de les manger.
C’est un convive fort aimable,
Un ogre de bon ton enfin,
Bienfaisant quand il sort de table
Et sobre quand il n’a plus faim.

Deuxième couplet.

De son jardin les avenues
Offrent les groupes les plus beaux :
Il a des tableaux, des statues,
Des porcelaines, des magots.

JEAN.

Quoi ! malgré ses goûts égoïstes.
Les talents fixent ses regards !

LISON.

Il mange parfois les artistes,
Mais il protège les beaux-arts.

Il m’a dit comme ça ce matin : Lison, vous irez à la ville, au marché, vous me prendrez un lièvre, deux perdreaux, six douzaines de mauviettes, des gâteaux d’amandes, un baba et un paquet de cure-dents ; j’avais exécuté tout cela bien fidèlement, et voilà votre maudit chat qui est venu me voler jusque dans mon panier !

JEAN.

Et qu’est-ce qu’il vous a donc pris ?

LISON.

Je n’en sais rien ; attendez que je fasse l’inventaire ; voulez-vous m’aider ?

JEAN, s’asseyant sur un banc.

Comment donc ! tenez, mes genoux seront le buffet.

LISON, agenouillée, prend dans son panier qui est à terre et met ce qu’elle en retire sur les genoux de Jean.

Voilà le lièvre, les perdreaux, le baba...

JEAN, regardant le baba et le flairant.

Dieu ! queu mine ! je suis sûr que c’ gâteau-là est à la fleur d’orange...

LISON.

Eh bien ! qu’avez-vous donc ?

JEAN.

Rien, je me disais seulement que votre maître était bien heureux... il paraît qu’il déjeune tous les jours.

LISON.

Ah ! mon Dieu ! est-ce que par hasard vous n’auriez point...

JEAN.

Pas encore d’aujourd’hui, mais tout cela se retrouvera.

LISON, lui offrant le baba.

Ah ! monsieur, je vous en prie, vous ne voudriez pas me refuser... moi, ça me ferait tant de plaisir de vous voir manger !

JEAN.

Certainement, mademoiselle, ce serait un plaisir que je partagerais.

Prenant le baba et y mordant.

J’aurais parié que c’était de la pâtisserie fine.

Air : Je loge au quatrième étage. (Le Ménage de garçon.)

En la regardant.

Rien n’est égal, je vous le jure,
À ce que j’éprouve aujourd’hui...

Mangeant.

Vraiment... c’est de la confiture,
Ah ! qu’elle est bonne !... et vous aussi !...

LISON.

N’allez pas si vit’, prenez garde,
Donnez-vous un peu de répit.

JEAN, regardant toujours Lison, plus tendrement.

J’ai beau manger, plus je vous r’garde.
Plus j’ me sens naître d’appétit.

Je me dépêche, car je vous retarde là.

LISON.

Oh ! j’ai le temps ! en prenant par le pont des Culbutes, je serai tout de suite arrivée.

JEAN, tenant la gâteau en l’air.

Comment ! mam’zelle, vous allez sur ce pont-là... et la cloche ?

LISON.

Ne craignez rien ; j’ai un laissez-passer, parce que notre maître ne souffrirait pas que ses gens... car du reste il est assez bon homme... pourvu qu’on ne s’attaque pas à sa personne ou qu’on ne touche pas à son dîner ; ah ! par exemple ! son dîner... ce sont là les seules choses sur lesquelles il n’entend pas raillerie.

JEAN, s’arrêtant et jetant son baba.

Ah ! mon Dieu, et moi qui viens de manger...

LISON.

C’est vrai, je n’y avais pas pensé, je vais être grondée, peut-être pis que cela... mais c’est égal, je ne m’en repens pas.

JEAN.

Et moi, je suis désespéré... ce déjeuner va me rester là... Si ce vilain ogre se fâche... vous lui direz que c’est moi... Jean, entendez-vous... Jean de mon nom de famille.

LISON.

Je tâcherai qu’il ne s’en aperçoive pas... puisqu’il n’y a qu’un gâteau, je pourrai peut-être bien... ce n’est pas comme s’il y avait...

Pendant cela, le chat s’est encore approché du panier et a pris le lièvre et les deux perdreaux.

LISON, se retournant.

Ah, mon Dieu ! le v’là encore... Au chat ! au chat !

Le chat se sauve.

Si je l’attrape !... il m’emporte mon lièvre et mes deux perdreaux... aussi, c’est vous qui êtes là à me faire causer !

JEAN.

Ah ! mam’zelle !

LISON.

Je ne vous écoute plus, et j’emporte mon panier, il y a trop de danger.

Air : Pauvre petit, il est transi. (Renaud d’Ast.)

JEAN.

Arrêtez-vous ; encor deux mots...

LISON.

Non, non, je perds mes deux perdreaux.
J’ perds, par un coup si traître,
Le lièvr’ de notre maître.
Si j’ vous écoutais jusqu’au bout,
Je finirais par perdre tout.
Ah ! oui, ah ! oui, oui, je suis bien chanceuse !
Bien malheureuse !

Elle sort.

 

 

Scène V

 

JEAN, seul

 

Elle s’enfuit... Mam’zelle Lison, mam’zelle Lison ! Ah ! mon Dieu, qu’est-ce que je sens donc là... toc... toc... il me semble que j’avais tant de choses à lui dire... faut-il qu’elle se soit sauvée ! et c’est ce maudit raton qui en est la cause ! la vilaine espèce que ces chats ! c’est capable de me les faire prendre en grippe... Eh ben, le v’là justement aussi tranquille que le serait un honnête homme de chat.

 

 

Scène VI

 

JEAN, LE CHAT

 

JEAN.

Ici, ici, Minet !

Le chat passe sa patte par-dessus ses oreilles.

Oui, va, passe ta patte... il va y avoir de l’orage... Pourquoi qu’ vous avez pris dans l’ panier de cette jeune fille ? répondez.

LE CHAT.

C’était pour ton bien.

JEAN.

Miséricorde ! voilà mon chat qui parle.

LE CHAT.

Apprends que tous les animaux ont cette faculté, et s’ils ne s’en servent pas, c’est qu’ils ont peur d’en faire un mauvais usage.

JEAN.

Pardine, nous ne sommes pas si prudents.

LE CHAT.

C’est ce qui fait que vous dites plus de bêtises que nous.

JEAN.

Eh bien ! est-il étonnant ! voilà ce qui s’appelle un maître chat !

LE CHAT.

Écoute-moi ; lors du dernier édit qui nous proscrivait, tu as été humain envers moi.

JEAN.

Pardi ! que le duc de Mirobolan fasse la guerre aux chats, ça ne me regarde pas... moi, je suis en paix avec tout le monde.

LE CHAT.

Tu n’as pas suivi l’exemple ou les conseils de tes voisins.

JEAN.

Ça, c’est vrai ; les uns m’engageaient à aller faire ma déclaration, les autres voulaient que je fisse de toi un civet d’ lapin, et de ta peau un manchon de renard.

LE CHAT.

Tu ne te repentiras pas de m’avoir laissé la vie, et je me charge de ta fortune et de ton établissement.

JEAN.

Ça commence bien... quand nous n’avons seulement pas de quoi vivre !

LE CHAT.

Tu dis cela parce que tu n’as pas encore déjeuné.

JEAN.

Au contraire, c’est que j’ai déjeuné et que je suis désolé d’avoir déjeuné.

À part.

Cette pauvre mam’zelle Lison ! s’il allait la prendre pour remplacer le plat de dessert qui lui manque...

LE CHAT, s’approchant et en confidence.

Sois tranquille, il ne la croquera pas.

JEAN, tout étonné.

Comment ! tu saurais ?...

LE CHAT.

Est-ce que je ne sais pas tout ? je te prédis qu’avant la fin du jour...

JEAN, allant s’asseoir sur la table.

Air du Petit Matelot.

Comment ! il s’avis’ de’ prédire !
Il f’ra bientôt des almanachs.

LE CHAT.

Comme un outr’ j’en pourrais écrire...
Je prédis qu’ tu réussiras,
À la cour tu réussiras.
La chance tourne, et les courbettes
Vont commencer...

JEAN.

Mais en effet,
Lui qui voit d’ si près les girouettes,
Il doit savoir le temps qu’il fait.

LE CHAT.

Je vais te rapprocher de Lison... à condition que tu seras docile et que tu te laisseras conduire.

JEAN.

Parbleu ! je ne demande pas mieux.

LE CHAT.

Alors, tiens-toi bien.

La table sur laquelle Jean est assis se change en une calèche élégante avec quatre chevaux richement caparaçonnés, un de ceux de devant a une selle avec des étriers.

JEAN.

Eh ! mon Dieu, qu’est-ce que c’est que ça ?

LE CHAT, mettant le pied à l’étrier.

Ne m’as-tu pas permis de te conduire ?

JEAN.

À la bonne heure, mais où allons-nous ?

LE CHAT.

À la cour.

JEAN.

Mais un instant... un instant, Minet... réfléchis donc un peu, car quelquefois tu raisonnes comme une... est-ce qu’on va à la cour en veste et en casquette ?

LE CHAT.

Si ce n’est que cela...

Levant la patte.

De par Rominagrobis, roi des chats, je te fais marquis...

Jean se trouve vêtu d’un riche habit de velours à paillettes, etc.

JEAN.

Eh bien, pour un grand seigneur, on ne peut pas dire que j’aie été longtemps à ma toilette.

LE CHAT, montant à cheval et faisant claquer son fouet.

En route, postillon !

JEAN.

Air de la contredanse de La chasse.

Postillon, point d’ galop ;
Va plutôt
Le p’tit trot,
D’ l’équipage
J’ n’ai pas l’usage ;
Postillon, point d’ galop ;
Va plutôt
Le p’tit trot,
Le p’tit trot,
C’est ce qu’il me faut.

Tu dis donc qu’en ce jour
Nous allons à la cour ;
Ne va pas si grand train,
Car on verse en chemin.

Postillon, point d’ galop, etc.

La calèche part au galop et disparaît.

 

 

Deuxième Tableau

 

Une forêt. On aperçoit, dans le fond, le pont des Culbutes. À l’entrée du pont est un poteau auquel est suspendue une cloche d’airain. Sur le devant, en bas, est un autre poteau sur lequel est écrit : Limites des États du seigneur Bouche-de-Fer ; propriété assurée contre l’incendie.

 

 

Scène VII

 

MIROBOLAN, DESASTUCES, TURCAMORE, GARDES

 

Ils arrivent tous en désordre.

TOUS.

Air : Fragment de l’ouverture de Démophon.

Sauve qui peut !
Il nous en veut,
Il nous poursuit,
Fuyons sans bruit ;
Ils sont les plus forts,
Et nous sommes morts.

MIROBOLAN, à plusieurs gardes.

Faites bien sentinelle... et que personne ne puisse nous approcher avant que nous ayons battu en retraite... Ouf !

À Desastuces.

vous êtes sûr qu’on ne nous poursuit plus ?

DESASTUCES.

Si je pouvais avoir là-dessus le moindre doute, Votre Altesse ne me verrait pas ici.

MIROBOLAN.

Vous me rassurez... Mais êtes-vous bien certain qu’on nous ait poursuivis ?

DESASTUCES.

Écoutez donc, mon prince, nous étions à la fenêtre du palais, quand vous avez aperçu ce nuage de poussière... vous avez prétendu que c’était l’ogre en personne, qui venait avec un corps d’armée ; sur-le-champ, nous avons tous descendu les escaliers quatre à quatre.

TURCAMORE.

Moi, mon devoir était de suivre Son Altesse, sans cela... ah ! ah ! j’étais là.

MIROBOLAN.

Mon Dieu, mon cher Turcamore, je connais votre valeur ferrailleuse... mais c’est vous qui avec vos ah ! ah ! continuels m’avez le plus effrayé, je croyais toujours que nous étions attaqués, il y a de quoi perdre la tête.

Air : J’ai vu partout dans mes voyages. (Le Jaloux malgré lui.)

À chaque instant il nous arrive
Nouveau rapport dont je frémi ;
On est toujours sur le qui-vive !
Moi, je ne peux pas vivre ainsi...
Il règne une stupeur fatale,
Un tel désordre dans l’État,
Que j’ai quitté ma capitale
Sans avoir pris mon chocolat.

Du reste, ça ne m’étonne pas... il devait nous arriver quelque trahison : depuis l’enlèvement de ma fille, voilà la troisième fois que je fais le même rêve.

DESASTUCES.

Serait-il possible ?

MIROBOLAN.

Oui, messieurs, le croiriez-vous ! j’ai encore rêvé chat ; ces maudits animaux-là ont juré de me poursuivre partout.

DESASTUCES.

Il est vrai que les mesures rigoureuses qu’on a prises à leur égard peuvent en quelque sorte légitimer de pareilles représailles.

MIROBOLAN.

Je vous demande s’il y a de ma faute ! on ne peut pas disputer des goûts, et je n’ai jamais pu les souffrir... ça vient d’enfance... Vous savez, quand j’étais jeune, ce perroquet vert que j’aimais tant et avec qui j’avais fait mes études... c’est un chat qui l’a étranglé ! cette perruque qui marchait toute seule, et qui m’a fait tant de peur, c’était un chat qui était dessous ! et l’autre jour quand j’ai voulu m’asseoir sur mon trône, n’y ai-je pas trouvé un des leurs qui faisait le gros dos et qui a manqué me faire sauter au plafond... ils se fourrent partout... Vous m’avouerez que c’est à n’y pas tenir.

Air du vaudeville des Visitandines.

En vain mes rigoureux décrets
De ma présence les bannissent,
Pour mieux surprendre nos secrets
Jusque dans ma chambre ils se glissent.
En tous lieux, par leurs malins tours,
Ils m’espionnent, me déroutent.
Enfin au conseil tous les jours,
Quand je vous parle, j’ai toujours
Quelques bêtes qui m’écoutent.

Et tenez, qu’est-ce que je vous disais... n’en voilà-t-il pas encore ?

Sur tous les arbres paraissent un ou deux chats dans diverses attitudes.

DESASTUCES.

Nous sommes cernés...

TURCAMORE, portant la main à la garde de son épée.

À moi !...

Les chats disparaissent.

Ils ont bien fait de s’en aller... sans cela... ah ! ah !...

 

 

Scène VIII

 

MIROBOLAN, DESASTUCES, TURCAMORE, UN GARDE

 

LE GARDE.

Monseigneur !

TOUS, effrayés.

Qu’est-ce que c’est ?

LE GARDE.

Monseigneur, un chat qui demande à vous parler.

MIROBOLAN.

Par exemple ! c’est pousser loin la hardiesse... dites que je ne suis pas visible ; qu’est-ce que c’est que ça !

DESASTUCES.

Et moi, monseigneur, je pense qu’il serait impolitique de ne pas le recevoir... Lorsque vous avez déjà à craindre une invasion de la part de l’ogre... ce n’est pas le moment de se mettre mal avec tout le monde ; vous savez qu’ils se sont presque tous réfugiés dans ses États, et nous nous sommes privés par là d’une population industrieuse et utile.

MIROBOLAN.

Eh bien donc, qu’il entre !

 

 

Scène IX

 

MIROBOLAN, DESASTUCES, TURCAMORE, LE CHAT

 

DESASTUCES.

Ah ! le bel angora !

MIROBOLAN.

Laissez approcher l’animal ; je ne rebute aucun de mes sujets.

LE CHAT.

Monseigneur !...

MIROBOLAN.

Un chat qui s’exprime ainsi !...

LE CHAT.

Monseigneur, le marquis de Carabas, mon maître, instruit que Votre Altesse se trouvait sur ses domaines, m’a député vers vous pour vous demander la permission de venir en personne présenter ses hommages à Votre Altesse et lui offrir ce lièvre et ces deux perdreaux.

MIROBOLAN.

Comment diable ! mais voilà un présent de la dernière magnificence... deux perdreaux de l’année... le marquis de Carabas est trop honnête... et vous êtes à son service ?... j’entends alors qu’on vous délivre un sauf-conduit... Mais je connais ce nom-là, Carabas... n’y eut-il pas un Carabas qui fut tué à la terre sainte ?...

LE CHAT.

Ce n’est pas celui-là.

MIROBOLAN.

Alors je serai enchanté de faire connaissance avec lui.

LE CHAT.

Ce n’est pas tout : monseigneur, M. le marquis, ayant appris l’enlèvement de la princesse Brillantine votre fille, vous offre son bras et son épée.

MIROBOLAN.

Ce n’est pas de refus ; il paraît que M. le marquis est d’une naissance...

LE CHAT.

Regardez plutôt cet habit brodé... car le voici lui-même.

TURCAMORE.

Tubleu ! ce marquis de Carabas commence à me déplaire... ah ! ah !

 

 

Scène X

 

MIROBOLAN, DESASTUCES, TURCAMORE, LE CHAT, JEAN

 

Air de La Sabotière.

TOUS.

Oh ! oh ! quelle tournure !
Oh ! oh ! quel jouvenceau !
Oh ! oh ! quelle figure !
Oh ! oh ! comme il est beau !

JEAN.

Mes aïeux furent des héros ;
Bon chien, dit-on, chasse
De race ;
Je mets à vos pieds en trois mots
Mon nom, mon zèle et mes perdreaux.

TOUS.

Oh ! oh ! quelle tournure, etc.

MIROBOLAN, à Desastuces.

On voit qu’il a l’usage du grand monde.

À Jean.

Parbleu ! marquis, vous ne pouvez arriver plus à propos... vous savez tous que le libérateur de ma fille doit être mon gendre... le concours est ouvert...

JEAN.

Je l’ai appris ce matin... vaguement, mon prince, par des ouï-dire et par un tambour ; mais depuis, vous n’avez point eu de nouvelles officielles ?

MIROBOLAN.

J’ai fait ce matin, pour gagner de l’appétit, deux fois le tour de mes États sans rien découvrir ; la fée Lumineuse elle-même, la marraine de ma fille, n’a pu me donner aucun renseignement, mais tout nous porte à croire que Brillantine est au pouvoir du cruel Bouche-de-Fer.

JEAN.

Ah çà ! il en fait donc une collection ?

DESASTUCES.

Et ces quatre espions que nous avions envoyés dans le château de l’ogre ?

MIROBOLAN, d’un air attendri.

Il paraît qu’ils y ont tous passé, ça a fait sa provision de la journée...

DESASTUCES.

Serait-il possible ?

MIROBOLAN.

Des personnes dignes de foi assurent les avoir vus à sa table.

JEAN.

Quelle politique arbitraire et vexatoire !

MIROBOLAN.

Air du vaudeville de L’Écu de six francs.

Voyons, quel parti faut-il suivre ?
Tous nos plans restent sans effet,
Mes vassaux mêmes le font vivre,
Vous voyez ce qu’il en a fait !
Attaques d’autant plus cruelles
Qu’il ne nous combat qu’en mangeant.
Et qu’il retrouve en combattant
Tous les jours des forces nouvelles.

DESASTUCES.

Mon avis est qu’on lui intente un bon procès.

TURCAMORE.

Et moi... voilà mon avis, ah ! ah ! une, deux !... Se faire servir quatre de vos vassaux, il est temps de mettre un terme à ces abus... tête-bleu ! que n’est-il là ! une, deux !... ah ! ah !

 

 

Scène XI

 

MIROBOLAN, DESASTUCES, TURCAMORE, LE CHAT, JEAN, UN GARDE

 

LE GARDE.

Monseigneur, c’est fait de nous !

TURCAMORE, reculant de trois pas.

Qu’y a-t-il ?

LE GARDE.

L’alarme est dans le canton ; on vient d’apercevoir un géant, le maître d’hôtel de l’ogre, enfin, qui va à la provision.

DESASTUCES, TURCAMORE et MIROBOLAN, tremblants.

À... à... la provision.

TURCAMORE, au garde.

Eh bien ! qu’est-ce que cela prouve, imbécile ?

DESASTUCES.

Ça prouve que quand il va à la provision... il est toujours éclairé par un régiment de piqueurs armes de lardoires... et il se dirige de ce côté.

Musique.

MIROBOLAN.

Ah ! mon Dieu, que faut-il faire ?

DESASTUCES.

Je n’en sais rien.

TURCAMORE, tremblant.

Ni moi non plus ; parce que contre un régiment, il n’y a pas moyen de... Ah ! ah !...

MIROBOLAN.

Et vous, monsieur le marquis, que pensez-vous ?

JEAN.

Mais moi, je pense... demandez à mon chat... c’est mon conseiller ordinaire.

MIROBOLAN.

Et bien, seigneur chat, que feriez-vous à notre place ?

LE CHAT.

Mais moi, assez ordinairement, quand on me poursuit, je me sauve.

MIROBOLAN.

C’est bien là aussi notre plan d’attaque, mais comment se sauver ?

LE CHAT.

En traversant ce pont.

JEAN, bas.

Oui, et la cloche ?

LE CHAT, bas.

Tais-toi donc.

À Mirobolan.

Vous vous trouverez chez M. le marquis de Carabas, qui sera enchanté de vous recevoir dans ses domaines.

JEAN, le tirant par la queue.

Mes domaines... y penses-tu ?

MIROBOLAN.

Comment, marquis, vous avez des terres de ce côté ?

LE CHAT.

Voyez plutôt :

Il étend la patte ; l’écriteau sur lequel est écrit : Limites des États du seigneur Bouche-de-Fer se change, et on y lit : Limites des États du marquis de Carabas.

JEAN.

Ah ! mon Dieu !

MIROBOLAN, effrayé.

Cette fois, je ne me trompe pas... Voici la cavalerie, et nous n’aurons jamais le temps.

LE CHAT.

Laissez donc ! l’équipage de mon maître n’est-il pas à votre service !

Appelant.

La voiture de M. le marquis !

La voiture paraît, escortée par six chats bottés, le fusil sur l’épaule.

MIROBOLAN.

Comment donc ! c’est un superbe... landau... et qu’est-ce que je vois là ?...

LE CHAT.

N’ayez pas peur, c’est le régiment des gardes de M. le marquis.

MIROBOLAN, regardant dans la coulisse.

Ils avancent.

Courant à la voiture et s’y plaçant.

Ma foi, marquis, je ne ferai point de façons.

JEAN, montant aussi et s’adressant à Turcamore et à Desastuces.

Je suis désolé, messieurs, qu’il n’y ait que deux places.

TURCAMORE.

Laissez donc ; on a toujours des places quand on a de l’esprit et qu’on n’est pas fier...

Il monte derrière la voiture, ainsi que Desastuces, la voiture part, suivie de tous les gardes, et disparaît. Les arbres sont couverts de chats de grandeur ordinaire, qui avertissent le chat botté de l’arrivée des ennemis. Le chat botté grimpe au poteau où la cloche est suspendue, s’y accroche d’une patte et de l’autre arrête le battant. La voiture reparaît sur le pont et le traverse. Des paysans effrayés paraissent fuir à l’approche du maître d’hôtel. Un instant après arrive le cabriolet du maître d’hôtel, entouré de cavaliers. Le chat saisit la corde et sonne la cloche avec force. Le pont se brise et engloutit le maître d’hôtel, le cabriolet et les cavaliers. L’eau du fleuve se change en feu. Pendant ce temps, on aperçoit dans le lointain la voiture du marquis qui s’éloigne. Les paysans reparaissent de différents côtés. La fin de cette dernière scène et toute cette pantomime sont accompagnées par des fragments de l’ouverture du Jeune Henri. Au dernier tableau, les paysans chantent le chœur suivant.

LES PAYSANS.

Air de la chasse du Jeune Henri.

Que tout l’ canton se divertisse,
Le maîtr’ d’hôtel ne r’viendra pas
De c’ faux pas !
Au fond des enfers qu’il rôtisse,
Ce n’est qu’un jeu,
Il doit êtr’ fait au feu.
Le ciel lui devait ce supplice,
Car les méchants
Se mett’nt toujours dedans.

 

 

ACTE II

 

 

Premier Tableau

 

Un salon du palais de l’ogre, orné de bas-reliefs et de tableaux. À gauche une large croisée.

 

 

Scène première

 

UN INTENDANT, UN CHEF D’OFFICE, PLUSIEURS VALETS de l’ogre, occupés à différents préparatifs

 

LE CHEF D’OFFICE, lisant un menu.

Nous disons donc quatre potages, huit rôtis, trente-quatre entremets... et notre maître d’hôtel qui ne revient pas... j’avais compté sur lui pour les relevés de potage... concevez-vous ce qui peut le retarder ainsi ?

L’INTENDANT.

Ma foi non ; à moins que monseigneur Bouche-de-Fer ne l’ait chargé de quelque grande expédition.

LE CHEF D’OFFICE.

C’est que l’heure du dîner approche, et, moi qui ne suis pas encore très au fait du service de cette maison... je tremble de commettre quelque bévue. Ah çà ! et le dessert, monsieur l’intendant ?

L’INTENDANT.

Il est prêt, monsieur le chef d’office, trente-deux plats de dessert et quatre assiettes de raisin que je viens de cueillir, ça fait juste trente-six.

LE CHEF D’OFFICE, voulant y goûter.

Peste ! voilà du beau chasselas.

L’INTENDANT.

Gardez-vous d’y toucher ; vous ne savez donc pas qu’il vient de cette treille magique dont les raisins forcent tout le monde à dire la vérité, ce qui souvent entraîne ici de terribles conséquences.

Air : Tenez, moi je suis un bon homme. (Ida.)

Aux gens qu’ not’ maîtr’ reçoit à table
Quand ce raisin est présenté,
Ils envoient le bourgeois au diable
En croyant boire à sa santé ;
Aussi par des scèn’s assez vives
Crac, le dessert est échauffé,
Et c’est rar’ que tous les convives
Chez nous puiss’nt prendre leur café.

LE CHEF D’OFFICE.

Est-il possible ! c’est une caverne que cette maison... Pour moi, chaque sauce que je fais me retombe sur la conscience... les jours maigres, je ne dis pas, ça va encore... mais le reste de la semaine...

L’INTENDANT.

Je conviens que cette malheureuse habitude, qu’il a contractée dès l’enfance, lui fait beaucoup de tort dans le monde... mais, à cela près, il fait son métier d’ogre le plus honnêtement possible, et j’ai vu souvent avec attendrissement qu’il restait sur son appétit.

LE CHEF D’OFFICE.

Lui !... je vous dis que nous y passerons tous, et si, en notre qualité de chef de cuisine et d’intendant, nous le grugeons par-ci par-là, il nous le rendra bien ; enfin il n’y a que cette mademoiselle Lison qui ait son franc parler.

Air du vaudeville de L’Avare et son Ami.

À ses ordres lorsque personne
N’oserait résister ici,
Lison seul’ répond et raisonne
Et n’a rien à craindre de lui. (Bis.)

L’INTENDANT.

La voyant fraîche et si jeunette,
C’est que not’ maître apparemment
Dans son appétit prévoyant
Veut l’élever à la brochette.

LE CHEF D’OFFICE.

Je l’entends, je le reconnais à sa petite toux sèche ; le frisson me prend.

 

 

Scène II

 

L’INTENDANT, LE CHEF D’OFFICE, BOUCHE-DE-FER, vêtu très galamment, une perruque de marquis, bien poudré, démarche nonchalante et ton très mielleux

 

BOUCHE-DE-FER.

C’est vous, mes bons amis ?

L’INTENDANT.

Monseigneur a-t-il bien reposé ?

BOUCHE-DE-FER.

Ze n’ai pu fermer l’œil de la matinée.

L’INTENDANT.

On ne s’en douterait pas, monseigneur a le teint le plus brillant...

BOUCHE-DE-FER.

Ze le crois bien, z’ai une raze de dents.

L’INTENDANT et LE CHEF D’OFFICE, à part.

Ah ! la la...

BOUCHE-DE-FER.

Mon maître d’hôtel est-il de retour ?

LE CHEF D’OFFICE.

Pas encore, monseigneur, mais en son absence, je me suis empressé de préparer votre dîner, et si monseigneur veut jeter un coup d’œil sur le menu...

BOUCHE-DE-FER, lisant.

Trois moutons, six cosons de lait, une douzaine d’oies, deux quartiers de bœuf.

Au chef d’office.

C’est bien pour les petits pieds... mais ze ne vois pas là une pièze de résistance ! À propos, et la pâtisserie, le zibier... Lison est-elle revenue ?...

L’INTENDANT.

Oui, monseigneur, j’ai même remarqué un déficit dans ce qu’elle était chargée d’acheter.

BOUCHE-DE-FER.

Un déficit !

LE CHEF D’OFFICE.

Il manque un baba.

BOUCHE-DE-FER.

Un baba ! comment ! ce que z’aime le mieux ! qu’on me la fasse venir !

LE CHEF D’OFFICE.

Oui, monseigneur ; croyez que notre zèle...

L’INTENDANT.

Notre dévouement...

BOUCHE-DE-FER.

C’est fort bien, mes amis ; ze suis reconnaissant de vos soins ; ze sais que pour moi vous vous mettriez à toutes sauces... aussi, soyez tranquilles, vous serez les derniers...

L’INTENDANT et LE CHEF D’OFFICE, tremblants.

Les derniers...

BOUCHE-DE-FER.

Ze ne m’explique pas, ze ne dois pas m’expliquer, mais enfin si ze me trouvais au dépourvu... vous connaîtriez zusqu’où va mon attachement pour vous.

Il regarde l’intendant.

Eh bien, qu’est-ce que c’est que ça... vous vous laissez donc dépérir, mon ami... d’honneur, vous n’êtes pas présentable... allons, ze n’entends pas ça... il faut se soigner...

Air du vaudeville de La Robe et les Bottes.

Loin d’être avare... à mon zervice
Z’aime à voir les zens gros et gras,
Et ze permets qu’on s’arrondisse ;
Mes amis, ne vous zênez pas.
Oui, z’est un droit que ze vous laisse,
Mon bon cœur m’en fait une loi ;
À mes dépens lorsqu’on s’engraisse,
C’est touzours travailler pour moi.

Allez, et vivez en zoie.

L’intendant et le chef d’office sortent.

 

 

Scène III

 

BOUCHE-DE-FER, seul

 

Comme ils me sont dévoués ! que serait-ce donc, si mon bon naturel n’était pas terni par ce malheureux inconvénient... mais ze me suis toujours laissé aller à une foule d’inconséquences qui finiront par me nuire dans la société... ze tombe amoureux d’une princesse qui me dédaigne, et pourquoi ? parze que z’ai la réputation d’un zoyeux épicurien et d’un gastronome renforcé... ze fais alors l’étourderie de l’enlever et d’assommer le chef des gardes qui voulait m’arrêter... ze me reproserai touzours cette vivacité là ; enfin, pour dérober la belle Brillantine à tous les regards, autant que pour dompter zette âme orgueilleuze et fière, ze la transforme en petite zervante, ze la place dans la condition la plus basse et, depuis huit zours, ze ne puis encore m’en faire aimer ; z’est aussi trop me mortifier, et il me prend quelquefois en la voyant des fureurs... ah !...

Air : Qu’on se batte, qu’on se déchire.

Sans les lois de la politesse,
Les égards dus à sa maîtresse,
Combien de fois ze fus tenté
De l’égaler en cruauté !
Mais mon dépit, lorsque z’y pense
Pourrait blesser la bienzéance :
Ce n’est pas tout d’être gourmand,
Il faut encore être galant !
Z’ai de la grâce et de l’esprit.
De la santé, de l’appétit ;
Oui, sacun bénit mon empire :
Dans ma gazette on peut le lire ;
Et ze ne puis, le croirait-on ?
Me faire aimer d’une Lison.

Avec un mouvement marqué.

Ah !

Sans les lois de la politesse, etc.

Oui, zoyons galant !... mais la voici.

 

 

Scène IV

 

BOUCHE-DE-FER, LISON

 

LISON, une cage à la main, qu’elle pose ensuite sur une table.

Ah ! mon Dieu, on ne peut pas s’absenter un moment qu’il n’arrive des malheurs... ce pauvre petit...

BOUCHE-DE-FER.

Qu’est-ce que c’est, Lison ?

LISON.

Dans une maison où tout le monde mange, on l’a laissé mourir de faim... regardez comme il était gentil.

BOUCHE-DE-FER.

Il s’azit bien de votre oiseau.

LISON.

Oui, sans doute ; c’était la seule personne d’ici que j’aimasse un peu, et je n’ veux rien écouter qu’on ne me l’ait rendu à la vie.

BOUCHE-DE-FER.

Ah çà ! qu’est-ce que ça signifie ? faut-il qu’une bête défunte l’emporte sur une personne telle que moi ?

LISON.

Pauvre petit pinson ! c’est peut-être vous qui lui avez donné le coup de pouce ?

BOUCHE-DE-FER.

Lison, ze ne me sers point de pinson pour mon usaze habituel, ainsi vous me charzez là d’une inculpation gratuite. Ze vous ferai d’ailleurs observer que ze suis à zeun, et quand ze suis à zeun, Lison, ze n’aime pas qu’on me mette de mauvaise humeur... Approsez ici, voyons votre livre de dépense et vos commissions ; avez-vous passé sez le sculpteur ?

LISON.

Oui, monseigneur, il doit vous envoyer aujourd’hui même les quatre statues en terre cuite que vous lui avez commandées.

BOUCHE-DE-FER.

Fort bien. Ensuite... voyons, qu’avez-vous apporté ?

L’observant.

Mon baba ?

LISON, troublée.

Aux confitures ?

BOUCHE-DE-FER.

Précisément... Vous vous troublez, Lison ! eh bien ?...

LISON, de même.

Dame, monsieur... c’est que... une aventure bien singulière, allez... vous me croirez si vous voulez, mais j’avais mis dans mon panier un lièvre, votre baba et une couple de perdreaux que j’avais achetés au marché, et pendant que je regardais en l’air, tout ça s’est envolé ensemble, brrrr.

BOUCHE-DE-FER.

Ah çà ! Lison, me prenez-vous pour un Zéronte ou pour un ogre de comédie, avec vos perdreaux, vos brrrr, vous me faites là des contes de pizeon vole ! ze ne sais qui me retient...

LISON, avec humeur.

Eh bien ! si vous n’ voulez pas me croire, fâchez-vous ; je suis bien bonne de vous écouter... pour un lièvre et deux vilains perdreaux... tenez, tenez, v’là votre dépense et vos registres, faites vos commissions vous-même.

Elle jette tout par terre.

BOUCHE-DE-FER.

Ze vous le demande, a-t-on idée d’un pareil caractère !... quand elle devrait être à mes zenoux à me demander pardon !

LISON.

Ah ! ben oui, vous n’avez qu’à m’y attendre.

BOUCHE-DE-FER.

Mais vous ne savez donc pas, Lison, le sort qui vous est réservé ?... vous ne savez donc pas que vous avez mérité d’être... Eh bien ! ze veux encore vous pardonner... ze veux même, par une clémence inouïe, vous élever du rang où vous êtes à celui de ma compagne, et pour cela ze ne vous demande que de m’aimer.

LISON.

Vous aimer !

BOUCHE-DE-FER.

Oui.

LISON.

Ah ! ben ça n’ se peut pas, et j’aime mieux être mangée.

BOUCHE-DE-FER.

Comment ! est-il possible ?...

LISON.

Je veux être mangée, je vous dis.

BOUCHE-DE-FER.

Eh bien ! tu seras satisfaite.

Il fait un mouvement et s’arrête.

LISON, le regardant en souriant.

Air de Ma tante Aurore.

Premier couplet.

Mais à quoi bon cette colère ?
Tenez, monseigneur, mieux que vous
Je connais votre caractère :
Il est galant, aimable et doux ;
Si j’en croyais votre figure,
Je pourrais bien trembler, hélas !
Mais vot’ bon naturel me rassure,
Et malgré ces cris, ces éclats,
Non, monseigneur, vous n’ me mang’rez pas,
Non, ça n’ se peut pas.

BOUCHE-DE-FER.

Ze ne sais où z’en suis, ze ne me reconnais plus.

Deuxième couplet.

Croyez-moi, fillette jolie
Ne craint pas de tels accidents ;
Quand vous vous mettrez en furie,
Quand vous me montrerez les dents...
Vous feriez bien mieux, je le jure,
De parler sur un ton plus bas.

BOUCHE-DE-FER.

Eh bien ! me voilà à tes zenoux, na...

LISON, continuant.

Vous l’ voyez bien, j’en étais sûre,
Malgré ces cris et ce fracas,
Non, monseigneur, vous n’ me mang’rez pas,
Non, ça n’ se peut pas,
Non, ça n’ se peut pas.

 

 

Scène V

 

BOUCHE-DE-FER, LISON, L’INTENDANT

 

L’INTENDANT.

Monseigneur !

BOUCHE-DE-FER.

Qu’est-ce que c’est ? comment ! ze ne puis pas me livrer un moment à un accès de sensibilité sans être déranzé !

L’INTENDANT.

Monseigneur, c’est un chat.

BOUCHE-DE-FER.

Vous savez bien que ze n’en manze zamais, c’est une mesure politique.

L’INTENDANT.

C’est un chat expédié en courrier extraordinaire et qui est porteur, à ce qu’il dit, d’une nouvelle télégraphique de la dernière importance.

BOUCHE-DE-FER.

Un sat en courrier... cela me paraît du dernier bizarre ; qu’on l’introduise.

 

 

Scène VI

 

BOUCHE-DE-FER, LISON, L’INTENDANT, LE CHAT, en courrier, avec de grandes bottes et un fouet, LE CHEF D’OFFICE et QUELQUES VALETS de l’ogre

 

LE CHAT.

Air de La Galopade.

Je suis monsieur Chat botté,
Plus prompt qu’ les célérifères,
Dans mon cours précipité
Je suis rar’ment arrêté ;
En hiver comme en été
Voyageant par les gouttières,
Moi j’ai la propriété
De n’être jamais crotté.

BOUCHE-DE-FER.

De quoi s’azit-il ?

LE CHAT.

Monseigneur, député de la nation chatte à qui vous avez donné asile dans vos États, je viens vous annoncer qu’on a laissé brûler...

BOUCHE-DE-FER, effrayé.

Mon dîner ?

LE CHAT.

Non, votre maître d’hôtel qui s’est noyé dans les flammes.

BOUCHE-DE-FER.

Ah ! ze lui ai touzours dit... il avait le défaut de laisser tout trop cuire, il est la première victime de sa néglizence.

LE CHAT.

De plus, votre magnifique pont des Culbutes a été brûlé aussi de fond en comble.

BOUCHE-DE-FER.

Ah ! que c’est heureux de l’avoir fait assurer contre l’incendie... z’en aurai un neuf.

LE CHAT.

De plus, vos domaines sont menacés, une révolte a éclaté parmi vos vassaux... ils se lassent d’être mangés.

BOUCHE-DE-FER.

Est-il possible... Les séditieux !

LE CHAT.

C’est comme j’ai l’honneur de vous le dire.

BOUCHE-DE-FER.

De quoi se plaignent-ils ? ze ne fais que mes quatre repas par zour, il est vrai que ze n’en pourrais faire davantaze sans être incommodé, mais ils devraient me savoir gré de cette modération.

LE CHAT.

De plus...

BOUCHE-DE-FER.

Ah ! mon Dieu, que de nouvelles !... c’est pis que mon zournal qui ne m’apprend zamais rien.

LE CHAT.

Le duc de Mirobolan, secondé du marquis de Carabas et du comte de Turcamore, a formé le projet de vous ravir la princesse qui est en votre pouvoir.

BOUCHE-DE-FER.

Me ravir la princesse !... holà ! quelqu’un ! que l’on selle mon griffon.

Au chat.

Croyez, seigneur ambassadeur, que ze reconnaîtrai un service aussi important, et pour commencer, ze vous nomme premier sat de ma maison... la place n’est pas mauvaise... Ze vole chez l’ensanteur Pendanfilando, mon parrain, qui me donnera les moyens de dézouer les prozets de mes ennemis.

Tirant sa montre.

Quatre heures et demie... c’est l’heure où il se met à table... ze suis sûr de le trouver... Eh bien ! viendra-t-on quand z’appelle ?

Un griffon tout bridé et sellé sort de dessous terre.

L’INTENDANT, tenant la bride.

Monseigneur, voici votre griffon.

BOUCHE-DE-FER.

C’est bon, ze n’ai que huit cents lieues à faire... qu’on tienne le dîner saud... ze reviens dans vingt minutes.

Air : Bon voyage, cher Dumolet. (Le Départ pour Saint-Malo.)

Bon voyaze !
Au grand galop
Z’aurai bientôt
Accompli mon messaze ;
Bon voyaze !
Soignez le rôt,
Et vous, surtout tenez le dîner saud.

Il se met en selle. Montrant le chat.

Lison, donnez à monsieur sa pâtée,
Et vous, z’entends qu’en tout suivant sa loi,
Son Excellence ici soit respectée,
Et que ce sat soit traité comme moi.

Ouvrez la fenêtre, que je passe.

Ensemble.

BOUCHE-DE-FER.

Bon voyaze, etc.

TOUS.

Bon voyage !
Au grand galop
Il va bientôt
Accomplir son message ;
Bon voyage !
Soignons le rôt,
Qu’à son retour son dîner soit bien chaud.

L’ogre et le griffon s’envoient par la fenêtre.

 

 

Scène VII

 

LISON, L’INTENDANT, LE CHAT, LE CHEF D’OFFICE, VALETS

 

L’INTENDANT, le suivant des yeux.

Eh bien ! eh bien, il va accrocher le toit ; les chemins sont si mauvais !

LE CHAT, à part.

Bon ! il est déjà loin... Il n’y a pas de temps à perdre.

Haut.

Mes amis, mes chers amis... vous l’avez entendu... je suis le maître ! Apprenez que la cour va se rendre en ces lieux.

TOUS.

La cour !

LE CHAT.

Et songez bien que vous êtes tous au service du marquis de Carabas.

L’INTENDANT.

Comment ! et monseigneur ?...

LE CHAT.

Avez-vous oublié que je le représente ?... Si l’on ose me désobéir... je lui rendrai compte de vos tours de passe-passe, monsieur l’intendant ; de vos discours sur lui, monsieur le chef d’office ; et vous serez tous hachés, menu, menu, menu comme chair à pâté.

TOUS.

Ah ! mon Dieu !

LISON, le regardant.

Je le reconnais maintenant... c’est ce fripon de chat de ce matin.

LE CHAT.

Et toi, petite, si tu parles, je dirai à monseigneur Bouche-de-Fer que tu as un amant, et que depuis ce matin tu ne penses qu’à lui.

LISON.

Moi, je pense à M. Jean !

LE CHAT.

Tu le vois bien.

LISON.

Mon Dieu ! ces chats, comme c’est traître !

LE CHAT, aux valets.

C’est bien entendu, ce château, les dépendances, les domestiques, tout appartient au marquis de Carabas.

L’INTENDANT.

Le marquis de Carabas ! mais enfin, qu’est-ce que c’est donc que ce marquis-là ?

LE CHAT.

Le plus riche seigneur du canton, je vais vous en donner la preuve, regardez...

Il étend sa patte.

 

 

Deuxième Tableau

 

Le fond du théâtre s’ouvre et représente, à travers une gaze transparente, une campagne.

 

 

Scène VIII

 

LISON, L’INTENDANT, LE CHAT, LE CHEF D’OFFICE, VALETS, DES MOISSONNEURS occupés à couper les blés, dans le fond, des troupeaux de mutons et de bœufs, puis MIROBOLAN et sa SUITE

 

L’INTENDANT.

Tiens, c’est le beau champ de blé qui est à une lieue d’ici et qui appartient à monseigneur Bouche-de-Fer.

LE CHAT.

Il ne lui appartient plus. Écoutez.

Le tableau s’anime. L’orchestre reprend un fragment de l’ouverture du Jeune Henri. Un chat botté, semblable à celui qui est en scène, arrive auprès des moissonneurs, il leur montre la voiture du marquis qui approche et leur fait signe qu’ils seront tous hachés menu, menu, comme chair à pâté s’ils ne disent pas que tout appartient au marquis de Carabas. Les moissonneurs ôtent leurs chapeaux en signe d’obéissance. La voiture paraît, précédée des chats qui l’escortent. Elle s’arrête au milieu du champ.

MIROBOLAN, aux moissonneurs.

Air : Monsieur Champagne a la mine imposante. (Le Nouveau Seigneur.)

À qui ces blés et ces nombreuses gerbes ?

LES MOISSONNEURS.

C’est au marquis de Carabas.

MIROBOLAN.

Et ces moutons, ces bœufs si gras ?

LES MOISSONNEURS.

Sont au marquis de Carabas.

MIROBOLAN.

Quoi ! ces moissons, ces campagnes superbes ?

LES MOISSONNEURS.

C’est au marquis de Carabas.
Gloire au marquis de Carabas !
Au marquis de Carabas !

Sur ce dernier vers, le fond se referme, le tableau disparaît, les valets se regardent étonnés.

LE CHAT.

Vous le voyez, dans un instant il sera dans son château... ainsi, préparez son dîner.

L’INTENDANT.

Le dîner en est aussi ?

Même air.

Comment ! il prend toujours le bien des autres !
Est-c’ donc ainsi qu’on fait des marquisats ?
Quoiqu’ intendant, nous sommes délicats,
Mon maîtr’ me paie, et vraiment je n’ peux pas.

LE CHAT.

C’est convenu, vous êtes tous des nôtres.

L’INTENDANT.

Mon maîtr’ me paie, et vraiment je n’ peux pas.

Le chat fait un signe, et des bourses pleines d’or tombent aux pieds de chaque domestique ; ils les ramassent.

L’INTENDANT.

Dieux ! qui nous donne ces ducats ?

LE CHAT.

C’est le marquis de Carabas.

L’INTENDANT.

Oh ! alors...

Amis, chapeau bas, chapeau bas !
Gloire au marquis de Carabas ! (Ter.)

LE CHAT.

Je l’entends... Un air de satisfaction, de bonheur... vite un air de bonheur, ou je vous étrangle tous !

Ils saluent le marquis du Carabas, qui entre. Les gens du marquis achèvent l’air en entrant.

 

 

Scène IX

 

LISON, L’INTENDANT, LE CHAT, LE CHEF D’OFFICE, VALETS, MIROBOLAN, JEAN, DESASTUCES, TURCAMORE, SUITE et PIQUEURS

 

Même air.

MIROBOLAN.

Je marche ici de merveille en merveille !
À qui ces lieux ?

TOUS.

Au marquis d’ Carabas.

MIROBOLAN.

Ces orangers et ces beaux ananas ?

TOUS.

C’est au marquis de Carabas.

MIROBOLAN.

Quoi ! ces raisins, cette superbe treille ?

TOUS.

C’est au marquis de Carabas.
Gloire au marquis de Carabas ! (Ter.)

MIROBOLAN.

Au marquis de Carabas ! voilà qui est inouï, je n’ai entendu que ce nom-là sur la roule.

LE CHAT, à part.

J’y avais mis bon ordre.

MIROBOLAN.

À qui ces troupeaux ? ces foins, ces luzernes ? Au marquis de Carabas ! Parbleu ! marquis, vous devez être embarrassé pour manger tout votre revenu.

JEAN.

Monseigneur, vous êtes trop bon ; mais je vous prie de croire que les troupeaux, le foin et la luzerne, tout est au service de Votre Altesse.

Au chat.

Ah çà ! dis-moi donc, où sommes-nous ?

LE CHAT, bas.

Chez toi.

MIROBOLAN, apercevant Lison qui est montée sur une chaise pour mieux voir la cour.

Eh ! que vois-je ? À qui appartient cette jolie petite servante ?

TOUS, reprenant l’air.

C’est au marquis de Carabas,
C’est...

MIROBOLAN.

Assez, assez... c’est le même refrain... je m’en doute bien... c’est moi qui ai fait une bêtise de le demander.

LISON, regardant Jean.

C’est étonnant comme ça lui ressemble ! et si ce n’était son habit doré...

MIROBOLAN, bas à Jean.

Il paraît, marquis, que vous êtes amateur.

JEAN.

Monseigneur...

MIROBOLAN.

Allons, allons, c’est comme moi, quand on est veuf ou garçon, on sait bien que...

JEAN, à part, regardant Lison.

Oh ! c’est elle, c’est sûr...

Bas, au chat.

Si tu pouvais me débarrasser un peu...

LE CHAT, bas.

Laisse-moi faire.

MIROBOLAN.

Mais je n’en reviens pas... tout est ici d’une magnificence, d’une recherche...

LE CHAT.

Vous ne voyez rien, mon prince ! en attendant qu’on serve le dîner, si Votre Altesse veut examiner le musée, les galeries et le cabinet d’histoire naturelle, je vais vous conduire.

MIROBOLAN.

Volontiers ; un cabinet d’histoire naturelle, c’est fort amusant, on voit toutes sortes de bêtes... Marquis, vous n’y venez pas ?

JEAN.

Votre Altesse m’excusera, j’ai quelques ordres à donner.

MIROBOLAN.

Pour le dîner ?

JEAN, regardant Lison.

Précisément.

TOUS.

Air tiré de l’ouverture de Une Folie.

Parcourons les salons,
Visitons,
Admirons
Les statues,
Les avenues ;
Parcourons les salons,
Visitons,
Admirons
Le parc et ses environs.

MIROBOLAN, à Jean.

Venez-vous ?

JEAN.

De ma présence
Le dîner dépend beaucoup.

MIROBOLAN.

Oh ! la chose est d’importance,
Les affaires avant tout.

TOUS.

Parcourons les salons, etc.

Ils sortent.

JEAN.

Oui, monsieur le duc, je suis à vous dans l’instant, je vais m’occuper du dîner.

LISON.

Mon Dieu, comme ça lui ressemble !... si ce n’était son habit doré...

JEAN.

Oh ! c’est elle, c’est Lison, c’est bien sûr.

 

 

Scène X

 

JEAN, LISON

 

JEAN, à part.

Oh ! je n’y tiens plus, moi ! malgré le marquisat, il faut que je parle à cette petite fille...

Haut.

Lison...

LISON.

Tiens ! il sait mon nom...

JEAN.

Dites-moi, Lison : on ne vous a pas grondée ce matin à cause de ce baba ?... c’est tout ce qui m’inquiétait.

LISON.

Comment, c’est vous, monsieur Jean ? je veux dire monsieur le marquis ; c’est vous qui êtes le véritable propriétaire du château de l’ogre ?

JEAN.

Dame ! puisque je l’occupe.

LISON.

Mon Dieu ! monsieur le marquis, dites-moi seulement si je conserverai ma place.

JEAN.

Pour ça, Lison, je ne peux pas vous le promettre.

LISON.

Là, me v’là sans condition.

Air de Paris et le Village.

Monsieur Jean, c’est bien mal à vous
De vouloir qu’ainsi je vous quitte :
C’ matin vous étiez bien plus doux...
Que les grandeurs vous changent vite !
Me renvoyer de la maison.
Moi qui vous ai rendu service !
Si vous n’étiez pas au salon,
Je serais encore à l’office.

JEAN.

Même air.

N’ peut-on pas, par quelque moyen,
Trouver un’ plac’ qui vous convienne ?
J’ vous fais perdre la votre... Eh bien,
Voulez-vous partager la mienne ?
Je ne peux plus quitter Lison,
Il faut alors qu’elle choisisse
De voir la servante au salon,
Ou bien le marquis à l’office.

LISON.

Comment ! monsieur le marquis, vous seriez assez bon... oh non ! c’est moi qui dois toujours être votre servante...

JEAN.

Si vous voulez, soit... mais servante maîtresse ; et j’entends que vous ne fassiez votre ménage qu’en robe brodée et avec des plumes et des diamants.

LISON.

Quoi ! monsieur Jean... il serait possible ?... vous daignez encore songer à une pauvre fille telle que moi !

JEAN.

Écoutez donc, Lison... ma noblesse n’est pas assez ancienne pour que j’ fasse le fier... ce matin je me nommais Jean tout court, et en fait de titres, je n’avais guère que celui de Jean sans terre ; mais, enfin, j’en aurais plein ce salon que je les changerais tous contre celui de votre adorateur...

LISON.

Que dites-vous ?

Air : Le beau Lycas aimait Thémire. (Les Artistes par occasion.)

À tant d’ bonheur j’ n’ose souscrire.
C’est former des vœux insensés !
Dans le monde chacun va dire,
Hélas, que vous vous abaissez !

JEAN, la regardant.

De tant d’ beautés en voyant l’assemblage,
Ces attraits dont je suis ravi,
Ces yeux si doux, ce pied joli,

Se mettant à genoux.

Il est plus d’un grand personnage
Qui voudrait s’abaisser ainsi.

Jean, à la fin du couplet, reste aux genoux de Lison ; le duc de Mirobolan paraît avec sa suite.

 

 

Scène XI

 

JEAN, LISON, LE CHAT, MIROBOLAN, SUITE

 

MIROBOLAN.

Que vois-je ! monsieur le marquis...

JEAN.

Ah ! mon Dieu ! monseigneur...

MIROBOLAN.

Comment, marquis, vous vous oubliez à ce point ?... je ne dis pas que quelquefois, moi-même, ça s’est vu ; mais toujours en gardant le décorum.

LE CHAT.

Si monseigneur veut se mettre à table, il est servi...

 

 

Troisième Tableau

 

La salle à manger de l’ogre. Au milieu, un énorme buffet ; sur le devant, deux autres buffets, plus petits, sur lesquels sont des fruits et de gros raisins. Au fond du théâtre quatre piédestaux en terre cuite peinte attendant des statues. En avant deux autres piédestaux portant deux gros magots de la Chine.

 

 

Scène XII

 

JEAN, LE CHAT, MIROBOLAN, DESASTUCES, TURCAMORE, VALETS

 

MIROBOLAN, regardant.

Quelle magnifique collation !... des fruits superbes !... voilà surtout des raisins admirables... sont-ils de cette belle treille que j’ai vue en arrivant ?

LE CHAT.

Oui, monseigneur.

DESASTUCES.

On ne peut rien voir de plus beau.

MIROBOLAN.

En vérité, plus je vais et plus j’aurai de peine, messieurs, à choisir entre des concurrents tels que vous... les éminentes qualités de mon conseiller intime, la valeur du seigneur de Turcamore, et d’un autre côté les excellents dîners de monsieur le marquis... il sera très difficile de se prononcer.

LE CHAT, à part.

J’espère cependant que ce ne sera pas long.

DESASTUCES, tenant une grappe de raisin.

Moi d’abord, tout le monde connaît mon intégrité dans le maniement des finances.

LE CHAT, à part.

Bon ! il a mordu à la grappe.

DESASTUCES.

Je mets toujours la moitié de vos revenus dans ma poche ; je fais valoir vos capitaux à mon profit et rançonne vos sujets, je puis le dire, du mieux qu’il m’est possible... après cela je puis marcher tête levée.

TOUS, étonnés.

Qu’est-ce qu’il dit donc ?

MIROBOLAN.

Miséricorde !

TURCAMORE, tenant aussi une grappe.

Quant à moi, mon prince, je ne veux pas faire blanc de mon épée ; mais j’ai reçu plus de mille coups...

Il mange un grain.

mille coups de bâton à voire service... Ah ! ah ! et dans la dernière affaire encore...

Relevant sa moustache.

j’étais caché dans un fossé et je n’ai reparu que le lendemain de la bataille... Ah ! ah ! voilà comme je suis.

MIROBOLAN, étonné.

Eh bien ! j’en apprends de belles... heureusement que je puis me passer d’eux.

Prenant une grappe.

J’ai de la tête et du jugement.

Mangeant un grain

Il est vrai que je dors souvent à l’audience, et chacun sait que, sans mon sénéchal, je serais un véritable duc de carreau.

TURCAMORE.

Que dites-vous, prince ?

DESASTUCES.

Vous n’y pensez pas.

MIROBOLAN.

Pardonnez-moi ; j’y pense très fort... je n’ai jamais dit de plus grande vérité.

On entend le tonnerre.

An ! Mon Dieu, la terre tremble.

DESASTUCES.

Moi aussi.

MIROBOLAN.

C’est insupportable, on ne peut pas manger un morceau à son aise.

 

 

Scène XIII

 

JEAN, LE CHAT, MIROBOLAN, DESASTUCES, TURCAMORE, LISON, VALETS

 

LISON.

Sauve qui peut ! vous êtes tous perdus ; l’ogre arrive à tire d’aile.

TOUS.

L’ogre !

LISON.

Je l’ai vu ; il n’est plus qu’à six cents pas d’ici.

MIROBOLAN.

L’ogre ! nous serions chez lui... comment ? marquis !...

JEAN, tremblant.

Monseigneur, je me croyais dans mon château, je me serai trompé de porte.

Au chat.

Tu nous as mis dans de beaux draps !

LE CHAT.

Ne craignez rien, et taisez-vous... je me charge de lui tenir tête... vous autres, dans ce cabinet... et vous, sur ces piédestaux... immobiles comme des statues.

Les valets sortent ; Mirobolan, Turcamore, Jean et Desastuces se placent sur les piédestaux du fond.

 

 

Scène XIV

 

BOUCHE-DE-FER, LE CHAT, LISON, les autres personnages, ainsi qu’il est indiqué ci-dessus

 

Bouche-de-Fer descend par le fond, assis sur un nuage.

LISON, à part.

Ce pauvre Jean, c’en est fait de lui, c’est sûr ; comment le sauver ?

Haut.

Déjà de retour, monseigneur !...

BOUCHE-DE-FER.

Ma foi, z’ai laissé mon griffon en route... la pauvre bête était rendue... z’ai profité de l’occasion d’un nuaze qui revenait à vide.

LISON, tremblante.

Vous avez sans doute réussi.

BOUCHE-DE-FER.

Au delà de mes espérances. Pour le coup, ze les tiens !... le prince... ton marquis de Carabas et son bretteur de Turcamore... ils y passeront tous.

MIROBOLAN, à part.

Aïe !

BOUCHE-DE-FER, apercevant les quatre personnages en statues.

Qu’est-ce que ze vois là ? ce sont les quatre statues que z’avais commandées ; le sculpteur est donc venu ?...

LISON, toujours tremblante.

Oui, monseigneur, il les a placées lui-même.

BOUCHE-DE-FER, redressant Mirobolan qui chancelle.

En voilà une qui est toute de travers... il ne les a pas bien calées.

Il les examine.

Quels diables de vizazes a-t-il pris pour modèles ?

Montrant Desastuces.

Peut-on faire une figure aussi plate ?

Montrant Turcamore.

Et cet air hébété !

Montrant Jean.

Le petit bouffi n’est pas trop mal, lui : mais pour les trois autres, elles ne me conviennent pas... qu’on me les zette par la fenêtre.

LISON, effrayée.

Oh ! monseigneur ; il y a trente pieds de haut.

LES QUATRE STATUES, tremblant.

Ouf !

BOUCHE-DE-FER.

Qu’importe ? raison de plus.

LISON, balbutiant.

Ce serait dommage... en les faisant passer pour des magots de la Chine, vous pourrez les revendre avantageusement.

BOUCHE-DE-FER.

À la bonne heure !... cependant...

LISON, l’interrompant.

Vous disiez donc, monseigneur, que votre parrain l’enchanteur...

BOUCHE-DE-FER.

M’a donné le talisman le plus précieux... ce sont trois paroles maziques avec lesquelles ze puis tout détruire...

MIROBOLAN.

Ah ! mon Dieu !... je crois qu’il me regarde !...

BOUCHE-DE-FER.

Ou tout animer... Tiens, z’ordonne à ces quatre statues d’éternuer.

Les quatre statues éternuent.

Dieu vous bénisse !... que vous disais-ze ?...

LISON.

Voilà trois mots bien terribles !...

BOUCHE-DE-FER.

Mon pouvoir est tel, que ze n’ai qu’à prononcer ces trois mots maziques pour me transformer à volonté... et tu sens bien que, pouvant prendre à mon gré toutes les figures, il y aura bien du malheur si ze n’en rencontre pas une qui puisse te plaire...

JEAN, à part.

Ah ! mon Dieu ! s’il allait emprunter la mienne !

LISON.

C’est admirable de pouvoir se métamorphoser ainsi.

BOUCHE-DE-FER.

Air : J’ai vu partout dans mes voyages. (Le Jaloux malgré lui.)

Pour approcher d’une cruelle,
Ze pourrai prendre sans façon
La forme de son cien fidèle
Ou de son perroquet mignon :
Pour séduire une Agnès bien neuve,
La forme d’un cousin ceri ;
Ou pour effrayer une veuve,
Celle de son défunt mari !

Pendant ce temps, le chat est derrière Lison, et paraît lui faire la leçon pour ce qui suit.

LISON, hésitant.

Comment, monseigneur, vous avez le secret...

BOUCHE-DE-FER.

Tu sens quel avantaze pour moi ! ze prends la forme d’un lion et ze dessire mes rivaux en deux coups de patte ; ze me chanze en éléphant et z’ avale toute une armée, infanterie, cavalerie, armes et bagazes... c’est expéditif...

LISON.

Fi ! l’horreur ! si vous prenez cette vilaine figure, je me sauve.

BOUCHE-DE-FER.

Eh bien !... tu parlais tout à l’heure de magots de la Cine... Laisse-moi dire mes trois mots.

Il marmotte.

Partez, muscade !

Il se change en magot.

Me voilà en magot... qu’en dis-tu ?

LISON.

Eh bien ! cela ne vous change pas du tout.

LE CHAT.

Ah ! oui, mais s’il fallait devenir pas plus gros qu’un colibri, vous ne pourriez pas.

BOUCHE-DE-FER.

La même çose.

À part.

Eh ! parbleu ! la bonne idée ! d’ailleurs ce sera extrêmement galant.

À Lison.

Tu vois ce petit oiseau que tu aimais tant et que tu as perdu... eh bien ! tout à l’heure ça va être moi.

LISON.

Vous, en pinson !

BOUCHE-DE-FER.

Laisse-moi prendre mon élan.

LE CHAT, à l’ogre.

Air : Ah ! le bel oiseau, maman.

Ah ! le bel oiseau, vraiment !
Vous échouerez, je le gage ;
De pareils moineaux, autant
En emportera le vent.

BOUCHE-DE-FER, prenant son élan.

Ouvre la caze.

LE CHAT.

Voici !
Ah ! pour vous quel avantage
Si votre plumage, ici,
Ressemble à votre ramage !

L’ogre marmotte ses paroles magiques, il tombe sur le canapé, et l’on voit le petit oiseau qui veut voler vers la cage. Le chat s’élance dessus et s’en saisit. On entend un grand coup de tonnerre et une main de fer entraine l’ogre au milieu des flammes.

Monsieur l’ogre, à vos dépens
Retenez bien cet adage :
Que les petits en tout temps
Seront mangés par les grands.

Le tonnerre ébranle les quatre statues et les fait tomber à bas de leurs piédestaux.

 

 

Quatrième Tableau

 

Un salon magnifique qui conduit au palais de la fée Lumineuse.

 

 

Scène XV

 

JEAN, LE CHAT, MIROBOLAN, DESASTUCES, TURCAMORE, LISON, de tous côtés, DES FÉES, DES GÉNIES, DES SYLPHES dans diverses attitudes

 

Au moment où la décoration change, le chat donne un coup de patte à Lison, qui se trouve transformée en une princesse richement vêtue.

MIROBOLAN, la voyant.

Brillantine !

BRILLANTINE, courant à lui.

Mon père !

Ensemble.

Air : Chœur final del Matrimonio segreto.

MIROBOLAN.

Quoi ! c’est ma fille, c’est elle
Que je retrouve en ces lieux,
Et qu’une fée immortelle
Par son art rend à mes vœux !

TOUS.

Quoi, c’est sa fille, c’est elle
Qu’il retrouve dans ces lieux,
Et qu’une fée immortelle
Par son art rend à nos vœux !

BRILLANTINE.

Où suis-je transportée ?

LE CHAT.

Dans l’antichambre de ta marraine, la fée Lumineuse.

JEAN.

Diable ! la marraine est bien logée.

BRILLANTINE.

Il me semble que je sors d’un songe pénible.

MIROBOLAN, lui montrant Jean.

Ma fille, voilà ton libérateur...

JEAN.

Oh ! non... c’en est fait de moi ; la princesse Brillantine se rappellera que, dans ce songe-là, Jean n’était qu’un pauvre diable.

BRILLANTINE.

Je me rappellerai qu’il m’offrait sa fortune et sa main, voilà le seul souvenir qui me restera de mon rêve.

Elle lui tend la main qu’il baise.

JEAN, au chat.

Viens, Minet, tu ne me quitteras pas, tu seras mon secrétaire et mon historiogriffe.

LE CHAT.

Non pas ; tu n’as plus besoin de moi et j’ai ailleurs quelques coups de griffes à donner.

Il s’élève sur un piédestal et se trouve transformé en Amour.

TOUS.

L’Amour !

L’AMOUR, à Jean.

Oui, c’est moi qui, en récompense de ton bon cœur, ai voulu l’unir à la belle Brillantine, et qui vais vous conduire moi-même dans le palais de la fée Lumineuse.

Des nuages brillants enlèvent tous les personnages, qui s’élèvent au milieu des lumières qui étincellent de tous les côtés.

TOUS.

Air nouveau de M. Doche.

Ah ! le beau jour !
Ici le bonheur et la gloire
Vont le couronner tour à tour ;
On obtient toujours la victoire
Quand on est guidé par l’Amour.

LE CHAT, au public.

Air du vaudeville du jaloux malade.

Lorsque par maint effet magique,
Ce soir, j’ai voulu vous gagner,
Je m’attends bien que la critique
Va chercher à m’égratigner ;
Messieurs, de sa griffe ennemie
Sauvez les chats et les amours.
Et forcez-la, je vous en prie,
À faire patte de velours.

TOUS.

Ah ! le beau jour, etc.

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