Les Cadenats (Edme BOURSAULT)

Comédie en un acte, en vers.

Représentée pour la première fois en 1662.

 

Personnages

 

SPADARILLE, Gouverneur de Toulon, mari d’Olimpie, qui en est si jaloux, qu’il l’enferme à six cadenats

CLÉANDRE, Amant d’Olimpie, à qui Alcidor l’ôta pour la donner en mariage à Spadarille.

OLIMPIE, femme de Spadarille et fils d’Alcidor, autrefois promise à Cléandre

ALCIDOR, Père d’Olimpie

CASCARET, Valet de Cléandre

 

La scène est à Toulon.

 

 

Scène première

 

CLÉANDRE, ALCIDOR

 

CLÉANDRE.

Quoi que pour m’obliger votre cœur se propose,

Vous plaignez un malheur dont vous êtes la cause.

J’adorais Olimpie ; et j’avais espéré

Qu’à ses autres amants je serais préféré.

Cependant Spadarille, un vilain... ah ! j’enrage.

ALCIDOR.

Si vous aimez ma fille, ayez plus de courage ;

Je vous l’avais promise, et j’ai manqué de foi :

Mais vous n’êtes pas homme à vous régler sur moi.

Le regret que j’en ai rend ma faute punie,

Je vous plains, je me plains, et je plains Olimpie :

De son lâche mari les infâmes desseins...

CLÉANDRE.

Je viens, si je le puis, l’arracher de ses mains.

Vous en êtes témoins, et j’ai pour assistance

Le secourable effet de votre intelligence.

En vain pour empêcher qu’on ne vit ses appas,

Le jaloux à sa porte a mis six Cadenats ;

Olimpie outragée en son cœur le déteste :

Souffrez que je l’enlevé, et je répons du reste.

ALCIDOR.

Mais de voir Olimpie aurez-vous le moyen ?

CLÉANDRE.

J’ai su faire une brèche en un mur mitoyen,

Qui répond de ma Chambre en un coin de la sienne ;

Il faut sur ce sujet que je vous entretienne,

Outre que dans ce port nous avons un vaisseau,

Olimpie en mes mains a remis cet anneau,

Pour servir de signal au projet que je tente :

Il ne nous manque plus qu’une seule Patente,

Son Époux la délivre, et je dois pressentir...

Mais voyez ; de ce lieu le Jaloux va sortir,

Il sort ; de ce perfide évitons la présence.

Alcidor, Cléandre se retirent.

 

 

Scène II

 

SPADARILLE, OLIMPIE

 

SPADARILLE, en sortant.

Sortez.

OLIMPIE.

J’obéis.

SPADARILLE.

Bon ; j’aime l’obéissance.

Je vous l’avais bien dit, pour calmer votre effroi,

Que vous seriez toujours à votre aise avec moi ;

Et qu’assez de trésors vous auriez en partage,

Si de me posséder vous aviez l’avantage.

Mentais-je et le repos vous est-il assuré,

Ayant eu le bonheur de m’avoir rencontré ?

De semblables profits auriez-vous à prétendre ;

Si l’on vous eût laissée au pouvoir de Cléandre ;

Et si, par un destin contraire à vos plaisirs,

J’eusse en faveur d’une autre écouté mes désirs ?

OLIMPIE.

Quand je songe au malheur où je suis condamnée,

J’ai regret d’être à vous par les nœuds d’Hyménée ;

Et j’éprouve du sort les plus sensibles coups,

Puisqu’il m’a fait tomber dans les mains d’un jaloux.

Qu’est-ce que de ma part votre cœur appréhende ?

Mon honneur m’est trop cher pour vouloir...

SPADARILLE.

Ah friande !

Que si je m’empêchais de vous être cruel,

L’honneur dont vous parlez deviendrait casuel !

Et que sachant les tours dont les femmes sont dignes,

On nous prendrait bientôt dans le Ciel pour des Signes ;

Puisque de vos plaisirs un bon Frère garni

Produirait Capricorne, et ferait Gemini !

Sachez que de tout temps j’appréhende le blâme ;

Qu’au gré de mon désir je gouverne ma femme ;

Que sans en murmurer il faut suivre ma loi ;

Et que quand je vous pris ce ne fut que pour moi.

Que si votre mari dans ce lieu vous enferme,

C’est qu’il croit votre honneur n’être pas assez ferme :

Et que ne pas souffrir qu’on vous puisse approcher,

C’est ôter à vos sens les moyens de pécher.

OLIMPIE.

Vous, Monsieur, apprenez qu’un discours incommode

D’un crime qu’on ignore enseigne la méthode ;

Et que pour confirmer vos injustes soupçons,

D’un prétexte inutile on se fait des leçons :

Pour épargner du trouble à votre âme alarmée,

Peut-être avec raison m’avez-vous enfermée ;

Car de la liberté si j’usais pleinement,

Qui doute de ma foi douterait justement.

Voyez-vous qu’en effet d’autres fassent paraître...

SPADARILLE.

Les autres sont des sots, et je neveux pas l’être.

Nous savons mieux que vous ce que ces autres font.

Et ne prétendons pas devenir ce qu’ils sont.

Faut-il point, pour vous plaire, à l’exemple d’un autre.

Souffrir en mon absence un Galand qui soit votre,

Et qu’après qu’en honneur, cinquante ans j’ai vécu,

Je sois d’intelligence à me faire cocu ?

Faut-il point, dis-je encor, que moi-même je brigue ?

Que je pousse à la roue, et conduise l’intrigue ?

Et sur vos passions conformant mes désirs,

Que l’Époux ait la peine, et l’Amant les plaisirs ?

Quand on vient pour vous voir, faut-il point que je sorte ?

Sur vous, Se vos Muguets que je ferme la porte ?

Et que sous mon aveu vous ayez le moyen

D’acheter du Brocard d’autre argent que du mien ?

Voilà ce qu’aujourd’hui tous ces autres observent ;

Ils se font des Amis dont leurs femmes se servent ;

Et ne murmurent pas quand pour faire l’amour,

Elles courent la nuit, et reposent le jour.

Ah ! qu’il vaudrait bien mieux que du nombre assez ample

De ces Martyrisés je devinsse l’exemple !

Que si l’on enfermait chaque femme qui court

Avec six cadenats elle aurait le nez court !

Qu’on verrait de maris marcher tête levée,

Si ma règle par eux était bien observée,

Et que de quantité le destin serait doux,

Si leur plus grand malheur était d’être jaloux !

OLIMPIE.

Et de tous les malheurs en est-il un plus rude,

Monsieur ?

SPADARILLE.

Il me le semble, ô Madame la prude !

Et qui de la sagesse a le moindre rayon,

Préfère un sort d’Argus au destin d’Actéon.

OLIMPIE.

Quiconque peut avoir un rayon de sagesse,

Dans les maux d’une femme à jamais s’intéresse ;

Et loin qu’à l’outrager il puisse être contraint,

Il s’en veut faire aimer, et n’en pas être craint.

Qui d’avoir des soupçons ne pouvait se défendre,

Devait m’abandonner à l’amour de Cléandre ;

Et par l’éclat d’un bien dont je ne puis jouir,

N’abuser pas mon père, et ne pas l’éblouir.

SPADARILLE.

Il vous plaisait beaucoup ce Cléandre ?

OLIMPIE.

Sans doute.

SPADARILLE.

Il avait votre estime ?

OLIMPIE.

Encor même il l’a toute.

SPADARILLE.

Vous voudriez, je crois, être à lui ?

OLIMPIE.

Plût aux Dieux !

Mon sort...

SPADARILLE.

On dit bien vrai que l’amour n’a point d’yeux !

Vous avez donc regret de vous voir ma conquête,

Madame la Mignonne ?

OLIMPIE.

En effet.

SPADARILLE.

Bonne bête !

De vos mauvais desseins, c’est assez m’avertir,

Vous voudriez courir, et vous bien divertir.

Je voi ce qui vous choque et le ver qui vous pique ;

Il vous faut un mari de nouvelle fabrique,

Qui redoute une femme, et de crainte du choc

Laisse chanter la Poule, et plus haut que le Coq,

Il vous faut un mari qui crut faire un grand crime,

S’il ne donnait de quoi pour jouer à la Prime ;

Et qui ne laisse pas de paraître gaillard,

Si l’on quitte la Prime et qu’on jolie au Billard.

Il vous faut un mari qui confonde sa rente ;

Qui soit brave quatre ans, et gredin plus de trente ;

Et sur qui l’on saisisse, au profit des Marchands,

Et maisons de la ville, et revenus des champs.

Oui, je vous charmerais, ô Coureuse récluse,

Si vos débordements ne trouvaient une écluse :

Et du moins dans mes biens vous verriez des appas,

Sans les doubles ressorts de mes six cadenats ;

Mais quoique centre moi votre cœur se propose,

Sachez qu’avant la nuit j’en veux croître la dose :

Et dussiez-vous cent fois vous en mettre en courroux,

À vos six cadenats joindre autant de verrous.

Rentrez, car aussi bien je vois un Gentillâtre ;

De vos yeux bien fendus il ferait idolâtre.

Rentrez donc.

OLIMPIE.

Mais...

SPADARILLE.

Rentrez, sans vous embarrasser.

Diable ! que j’ai bien fait de la cadenasser !

 

 

Scène III

 

CLÉANDRE, SPADARILLE, CASCARET

 

CLÉANDRE.

Monsieur, vous savez bien qu’on me nomme Cléandre ?

SPADARILLE.

Oui.

CLÉANDRE.

Vous ne savez pas ce que j’ose prétendre ?

SPADARILLE.

Non.

CLÉANDRE.

Mais il vous souvient que je fus Amoureux ?

SPADARILLE.

Oui.

CLÉANDRE.

Que je ne fus pas un Amant fort heureux ?

SPADARILLE.

Non.

CLÉANDRE.

Que votre mérite emporta la balance ?

SPADARILLE.

Oui.

CLÉANDRE.

Qu’enfin mon ardeur n’eut point de récompense ?

SPADARILLE.

Non.

CLÉANDRE.

Ainsi donc, Monsieur, ne trouvez pas mauvais

Si je viens...

SPADARILLE.

Vous, Monsieur, trouvez bon si je vais...

Un si grand préambule est suspect à mon âme,

Parlez, bref.

CLÉANDRE.

Mais, Monsieur...

SPADARILLE.

Mais, Monsieur, mais, Madame :

J’ai des soins à donner autre part que vers vous ;

Avec mes cadenats j’ai besoin de verrous :

Près de mon Serrurier il est temps de me rendre :

Pour pouvoir me parler il ne faut que m’attendre.

Si je trouve mon fait, je reviens sur mes pas :

Si je ne trouve rien, je ne reviendrai pas.

Bonjour.

 

 

Scène IV

 

CLÉANDRE, CASCARET

 

CLÉANDRE.

De ce qu’il fait j’aurais tort de me plaindre,

Avec moins de faiblesse il serait plus à craindre ;

Si de quelque lumière il était éclairé,

En vain à le tromper je serais préparé.

Je veux à Spadarille arracher Olimpie ;

Mais je sais que son âme est sans cesse assoupie :

Et quand secrètement j’ose agir contre lui,

De sa brutalité je me fais un appui.

CASCARET.

Mais comme Spadarille est sujet à l’ombrage,

Quoique des cadenats il observe l’usage,

Si pour votre malheur il advient que ce fou

De sa femme Olimpie aperçoive le trou ;

Si d’un sensible affront se sentant l’âme outrée,

De ce trou favorable il occupe l’entrée,

Et que de son pouvoir se servant à propos,

De coups drus comme grêle il nous bris les os ?

Plaît-il ?

CLÉANDRE.

Non ; Spadarille a la tête trop sèche,

Je n’appréhende pas qu’il découvre ma brèche.

Si pour voir Olimpie, en un coin fort obscur,

On a fait de ma chambre une entrée à son mur,

Tu sais qu’un lit superbe, à ma flamme propice ;

Pour me favoriser cache mon artifice.

D’ailleurs notre vaisseau sur la fin de ce jour,

Doit partir pour Marseille et quitter ce séjour :

Cet anneau d’Olimpie est la marque secrète,

Qui doit, malgré l’Argus, assurer sa retraite ;

Et que pour accomplir d’équitables desseins,

Par l’avis de son père elle a mis dans mes mains.

Ainsi de mon Rival le défaut effroyable...

CASCARET.

Je sais que Spadarille est puant comme un Diable ;

Et que de son haleine il infecte tous ceux

Qui de parler à lui sont assez malheureux :

Mais il est Gouverneur, et c’est dont je frissonne ;

Car son train...

CLÉANDRE.

À sa suite il n’a nulle personne.

De peut que de sa femme on pût voir les attraits,

Ce jaloux hypocondre a chassé ses valets :

Son âme scrupuleuse, et toujours défiante

Ne peut près d’Olimpie endurer de servante ;

Dans la crainte qu’il a que l’on n’eût supposé

Sous l’habit d’une fille un garçon déguisé.

Si bien... mais il écoute, évitons ses reproches...

 

 

Scène V

 

SPADARILLE, CLÉANDRE, CASCARET

 

SPADARILLE, avec trois verrous en chaque main.

Voici pour des Polis empêcher les approches :

Qu’ils s’y viennent frotter, ces Mignons, ces Poudrés.

CLÉANDRE.

Quoi l’on ose ?...

SPADARILLE.

Oui l’on ose ; et ce sont des Madrés,

Qui voudraient sur ma terre usurper droit de chasse,

Vous qui d’un Chien couchant affectez la grimace,

N’êtes-vous point aussi quelque Amant aux yeux doux,

Qui pour plaire à l’épouse entretienne l’époux ?

Et lors...

CLÉANDRE.

Ne craignez point de la part d’Olimpie,

Tous mes vœux sont bornés à chérir la copie.

SPADARILLE.

Sa copie ?

CLÉANDRE.

Oui, Monsieur.

SPADARILLE.

Bon ! il semble à ce fat

Qu’on copie une femme aussi bien qu’un contrat.

Et vous vous en allez ?

CLÉANDRE.

Avec une Patente

Je suis prêt...

SPADARILLE.

Je vous puis rendre l’âme contente,

Mais dans ce petit doigt vous avez un anneau

Qui vous sied assez bien, et me semble sort beau ;

Que je voie.

CLÉANDRE, bas.

Ô malheur ! C’est...

SPADARILLE.

Vous êtes étrange !

Pour le voir un moment croyez-vous qu’on le mange ?

CLÉANDRE.

Non, Monsieur, mais...

SPADARILLE.

Quoi, mais ? A-t-il peur de mes yeux ?

Apercevant que c’est l’Anneau d’Olimpie.

Où Diable avez-vous pris ce bijou précieux ?

CASCARET.

Répondez hardiment, et mentez comme un Diable.

CLÉANDRE.

J’e l’ai pris...

SPADARILLE.

Parlez vite, ô l’Amant trop aimable,

Où donc l’avez-vous pris ?

CLÉANDRE.

Où prend-on les bijoux ?

SPADARILLE.

Et j’ai tort, mon Cadet, de paraître jaloux !

N’est-ce pas ?

CLÉANDRE.

Je ne sais s’il se peut qu’Olimpie...

SPADARILLE.

Et moi je sais fort bien qu’Olimpie est impie ;

Et sans les cadenats à sa porte attachés,

Qu’elle ferait souvent d’agréables péchés.

Quelque doux traitement qu’à ce sexe on prépare,

Une femme fidèle en ce temps est bien rare :

Et qui peut s’en servir doit s’attendre à ce coup

D’acquérir peu d’honneur, et d’en perdre beaucoup :

N’espérez, cependant, passeport ni patente,

Ou soyez résolu de remplir mon attente,

Et d’un Original que je dois soupçonner

Donne-moi la Copie à collationner.

Sinon...

CLÉANDRE.

Quoi ! vous voulez...

SPADARILLE.

Oui, je le veux, vous dis-je.

CASCARET, bas à Cléandre.

Par ce commandement ce jaloux vous oblige...

Avant qu’il ait ouvert cinq ou six cadenats,

L’anneau...

CLÉANDRE.

C’est ma pensée, et j’y vais de ce pas.

Puisqu’il vous plaît, Monsieur, d’admirer ma Maîtresse,

J’obéis.

 

 

Scène VI

 

SPADARILLE, seul, ouvrant la porte de la chambre d’Olimpie

 

 

Je vous tiens, ô la double Traîtresse,

Qui dans l’âpre dessein d’acquérir du renom,

Avez l’air d’une Sainte et l’esprit d’un Démon.

J’aperçois tous les tours que votre esprit enfante.

Vous donnez librement des faveurs par la fente.

Mais malgré vos desseins contre moi conjurés,

Les ais de votre porte en seront resserrés.

Voyons un peu sa mine.

 

 

Scène VII

 

SPADARILLE, OLIMPIE

 

SPADARILLE.

Approchez, la Matoise,

Dont la vertu s’altère, et l’honneur s’apprivoise.

Approchez.

OLIMPIE.

De ma part, désirez-vous...

SPADARILLE.

Moi ! Rien ;

Je viens voir seulement si vous vous portez bien.

OLIMPIE.

Quoi ! se peut-il, Monsieur, que mon malheur vous touche ?

SPADARILLE.

Vous n’en savez donc rien, ô la sainte Mitouche !

OLIMPIE.

Non ; daignez m’expliquer vos bizarres desseins.

SPADARILLE.

Je viens de voir Cléandre, il vous baise les mains.

OLIMPIE.

Quoi ! Cléandre est ici ?

SPADARILLE.

Point du tout, je me moque ;

Je l’ai pris pour un autre, et c’est une équivoque.

OLIMPIE.

Pourquoi donc voulez-vous...

SPADARILLE.

Belzébut incarné,

Démon acariâtre à me nuire obstiné,

C’est à tort à présent que ton âme biaise,

Je sais pour me trahir que tu fais la niaise ;

Et que de ton honneur prévoyant l’abandon...

OLIMPIE.

Cet outrage...

SPADARILLE.

À vos yeux je demande pardon !

Quel que soit le forfait dont mon cœur vous soupçonne,

C’est vous faire une injure, équitable friponne ;

Et parmi votre sexe outrageux à chacun,

Faire un mari cocu, c’est le vice commun.

OLIMPIE.

Enfin expliquez-vous ; qu’avez-vous à m’apprendre !

SPADARILLE.

Rien, sinon que j’ai vu l’un des doigts de Cléandre.

OLIMPIE, faisant la surprise.

Un des doigts de Cléandre !

SPADARILLE.

Un des doigts.

OLIMPIE.

Un des doigts ?

Si vous m’en assurez, aisément je le crois.

Mais qu’en concluez-vous ?

SPADARILLE.

Et qu’en peut-on conclure ?

Fin contre fin n’est pas bon à faire doublure,

La belle ; et dans mon âge il vous sied assez mal

De vouloir me charger d’un brevet d’animal.

OLIMPIE.

Ce langage confus...

SPADARILLE.

Vous rend l’âme éperdue.

Et je suis confondu de vous voir confondue.

OLIMPIE.

Je ne puis rien comprendre à tout votre discours.

SPADARILLE, lui montrant les verrous.

Voici pour mettre obstacle à tous vos petits tours.

Les anneaux déformais n’iront plus en campagne,

Et vous êtes sevrée amoureuse Compagne.

OLIMPIE.

Finissez ces discours, ils sont extravagants.

SPADARILLE.

Je suis donc fou ?

OLIMPIE.

Du moins on le croit.

SPADARILLE.

Bas les gants.

OLIMPIE.

Quoi ? Monsieur...

SPADARILLE.

Bas les gants.

OLIMPIE.

Mais au moins...

SPADARILLE.

Bas, vous dis-je.

OLIMPIE.

Si...

SPADARILLE.

Bas, vous dis-je.

OLIMPIE.

Encor, quel dessein vous oblige ?...

SPADARILLE.

Bas, vous dis-je ; et tantôt votre esprit éclairci...

Apercevant le même anneau qu’avait Cléandre.

Mais vertu-bleu que vois-je ? et que Diable est-ce ceci ?

Que cet anneau ressemble à celui de Cléandre !

OLIMPIE.

Ils sont bas.

SPADARILLE.

Sur ma foi, je n’y puis rien comprendre ;

Et ces anneaux tous deux ont un rapport si grand,

Que plus on les regarde, et plus on s’y méprend.

Vous pouvez cependant rechausser la mitaine ;

Puis après de rentrer il faut prendre la peine ;

Aussi-bien un vieillard adresse ici ses pas.

OLIMPIE.

Amour...

SPADARILLE.

Entrez, entrez, et ne raisonnez pas.

 

 

Scène VIII

 

ALCIDOR, SPADARILLE

 

ALCIDOR.

Monsieur le Gouverneur ; dont je suis le beau-père.

Je viens...

SPADARILLE, enfermant sa femme.

Beau-père, ou non, laissez-nous un peu faire.

Quand notre huis une fois sera clos à plaisir,

De vous voir pleinement nous aurons le loisir.

Taisez-vous donc.

ALCIDOR.

Monsieur, mais...

SPADARILLE.

Mais, Monsieur, vous-même,

Dont le morne visage est passablement blême.

ALCIDOR.

Je prétendais de vous qu’en faveur de mes soins...

SPADARILLE.

Un peu trop prétendant, prétendez un peu moins,

Et souffrez, s’il vous plaît, qu’à mon tour je prétende...

ALCIDOR.

Mais, Monsieur...

SPADARILLE, ayant achevé de fermer ses cadenats.

Hé bien donc, ô diseur de légende,

Dont je suis obligé d’enfermer le présent ;

Si le cœur vous en dit, raisonnez à présent.

ALCIDOR.

L’heur dont votre alliance a comblé ma famille,

Fait que je viens ici m’informer de ma fille.

Dites-moi donc comment elle se porte.

SPADARILLE.

Bien.

ALCIDOR.

Et de ses mœurs, Monsieur, ne m’apprendrez-vous rien ?

Dites-moi, si parfois son humeur vous contente ;

Si par fois cette humeur est pour vous complaisante,

Tirez-moi de souci ; comment vit-elle ?

SPADARILLE.

Mal.

ALCIDOR.

Mal, bons Dieux ! ce malheur est pour moi sans égal.

Où peut-elle avoir pris de mauvaise teinture,

Elle que de ses dons a comblé la nature ?

Pour me faire un outrage elle a donc le sang...

SPADARILLE.

Chaud.

ALCIDOR.

C’est l’amour chaud sans doute, et plus chaud qu’il ne faut ;

Mais n’est-ce point à tort qu’envers vous je la blâme ?

Ne lui faites vous rien qui chagrine son âme ?

Lors que vous la voyez, quel est son accueil ?

SPADARILLE.

Froid.

ALCIDOR.

D’en user de la sorte elle a bien peu de droit.

SPADARILLE.

D’accord ; mais de vous deux moi l’époux et le gendre,

Qui pour faire l’Amant pris le droit de Cléandre ;

Sachez que j’aurais lieu de paraître marri,

Si par droit réciproque il faisait le mari.

ALCIDOR.

Cléandre, oserait il suborner ?

SPADARILLE.

D’Olimpie,

Il aime, à ce qu’il dit seulement la copie ;

Cependant d’un anneau je le trouve pourvu ;

Autre part qu’en ses doigts je le crois avoir vu ;

Aussitôt par ma bouche Olimpie appelée,

À mes aigres propos contrefait la troublée ;

Veut voir par mes discours son esprit éclairci ;

Fait semblant d’ignorer que Cléandre est ici ;

Me soutient à mon nez que souvent j’extravague ;

Puis soudain le dégante, et me montre sa bague ;

Et je crois là-dessus, consultant mon cerveau,

Que qui la copia, copia son anneau.

De Cléandre pourtant je crains peu la finesse ;

Il doit en ce lieu même amener sa Maîtresse ;

Je l’attends, nous verrons ; mais tenez, je les voi.

ALCIDOR.

Il amené Olimpie.

SPADARILLE.

En effet, je le croi.

La serait-ce ?

ALCIDOR.

Ce l’est ; quelle erreur vous domine ?

SPADARILLE.

Ma foi, si ce ne l’est, elle en a bien la mine.

 

 

Scène IX

 

SPADARILLE, CLÉANDRE, OLIMPIE sous le nom d’Aspasie, ALCIDOR, CASCARET

 

SPADARILLE appelle sa femme à travers de la porte.

Olimpie !

OLIMPIE, bas à Cléandre.

Ah Cléandre !

CLÉANDRE.

Ah daignez tenir bon ;

Madame.

CASCARET.

Ou je me trompe, ou j’aurai du bâton.

SPADARILLE continue.

Olimpie ! ah j’enrage.

ALCIDOR.

Il s’échauffe la bile.

CASCARET.

Vous me parliez tantôt de m’envoyer en Ville,

Monsieur.

CLÉANDRE.

Poltron fieffé.

SPADARILLE continue.

Tout ceci me confond,

Olimpie ! écoutez comme elle me répond !

De ce tracas, Beau-père, en un met que vous semble ?

ALCIDOR.

J’ai peur que ce ne soit Olimpie.

SPADARILLE.

Et j’en tremble :

Mais on pourrait sortir aussitôt de l’Enfer,

Sa cheminée est close, et de grilles de fer ;

J’ai de même matière étoffé sa fenêtre,

Beau-père !

ALCIDOR.

S’il est vrai, ce ne peut donc pas l’être.

SPADARILLE.

Assez adroitement je la vais pressentir.

Je vous crois Olimpie, et ne crois pas mentir.

Si vous ne l’êtes pas, pour le moins sa jumelle,

Daignez quelque moment discourir avec elle ;

Entrez jusqu’en sa chambre, et trouvez à propos...

OLIMPIE.

Monsieur...

SPADARILLE.

Vous lui direz seulement quatre mots ;

Je vous en prie.

OLIMPIE.

Il faut...

SPADARILLE.

Il ne faut autre chose.

CLÉANDRE.

Des plaintes d’Olimpie elle ignore la cause ;

Ainsi...

SPADARILLE.

Mon Dieu, Monsieur, parlez à votre écot.

ALCIDOR.

Ce n’est pas...

SPADARILLE.

Vous aussi, taisez-vous, idiot.

OLIMPIE.

Pour moi, Monsieur, le Ciel me deviendrait propice.

S’il m’offrait un moyen de vous rendre service ;

Mais enfin sur le point de partir...

SPADARILLE.

Par ma foi,

Vous entrerez, Madame, ou vous direz pourquoi.

OLIMPIE.

Je puis...

SPADARILLE.

Entrez, vous dis-je ; ou bien point de Patente.

OLIMPIE.

Vous pouvoir obliger, c’est me rendre contente :

Mais envers Olimpie agréez mon respect.

Un visage inconnu lui peut être suspect ;

Durant donc un adieu qu’à l’instant je vais faire,

Sachez si ma visite aura droit de lui plaire ;

Et tandis que Cléandre attendra mon retour...

SPADARILLE.

C’est fort bien dit ; allez.

OLIMPIE, à Cléandre s’en allant.

Je prépare un détour,

Et quoique de ma part ce perfide prétende...

SPADARILLE.

Que lui dites-vous là ?

OLIMPIE.

Je lui dis qu’il m’attende.

SPADARILLE.

Bon cela.

CLÉANDRE.

J’obéis, et n’y contredis pas.

Cascaret, d’Aspasie accompagne les pas.

 

 

Scène X

 

SPADARILLE, CLÉANDRE, ALCIDOR

 

SPADARILLE.

Or ça, notre Beau-père, et vous Sire Cléandre,

Qui jadis malgré lui vouliez être son gendre,

Je vais vous faire voir Olimpie à l’instant.

ALCIDOR, qui craint qu’Olimpie ne soit pas encore rentrée.

Si j’en suis crû, Monsieur, ne vous hâtez pas tant.

SPADARILLE.

Et pourquoi ?

ALCIDOR.

Tout l’amour que Cléandre eut pour elle

Pourra se rallumer à l’aspect...

SPADARILLE.

Bagatelle.

CLÉANDRE.

En effet la beauté que je vous ai fait voir

De tout autre visage affaiblit le pouvoir :

Et s’il faut que mon âme à vos yeux se découvre,

Rien ne m’est échappé que mon cœur ne recouvre,

Puisqu’à l’objet que j’aime avec tant de raison

Pour paraître Olimpie il ne faut que le nom,

C’est pour ce seul objet qu’en secret je soupire,

Pour sa seule beauté je languis.

SPADARILLE.

C’est tout dire ;

Et pour l’amour de vous je m’en vais de ce pas

Réveiller les ressorts de mes six cadenats,

Attendez.

 

 

Scène XI

 

ALCIDOR, CLÉANDRE, et Spadarille au bout du Théâtre qui ouvre ses cadenats

 

ALCIDOR.

Parlons bas. Enfin, brave Cléandre,

Ma fille en peu de temps en vos bras se va rendre ;

Si d’avec ce brutal son hymen se détruit,

De vos soins généreux vous aurez tout le fruit,

Mais surtout que l’honneur.

CLÉANDRE.

Je vois peu d’apparence

À pouvoir l’affranchir d’une injuste puissance :

Mais enfin quelque effet qui succède à mes vœux,

L’intérêt d’Olimpie est plus fort que mes feux.

Nul espoir ne me flatte, et mon cœur avec joie

La dérobe aux tourments dont le sien est la proie ;

Et c’est le moindre effort qu’en semblable danger

La vertu malheureuse ait le droit d’exiger.

Ainsi...

 

 

Scène XII

 

SPADARILLE, OLIMPIE, CLÉANDRE, ALCIDOR

 

SPADARILLE.

Mes cadenats sont ouverts. Hô ! la Belle,

Venez-ça. Pourquoi donc se frotter la prunelle ?

Qu’avez-vous ?

OLIMPIE, faisant exprès l’endorme.

Du sommeil les pavots gracieux

Assoupissent mon âme, et me sillent les yeux ;

Depuis une heure ou deux leur douceur pour confondre...

SPADARILLE.

Elle avait bien raison de ne pas me répondre.

Vraiment ! çà la dormeuse, au sommeil un peu dur,

Qui n’avez pu m’entendre à travers de ce mur,

Ouvrez les yeux.

OLIMPIE, faisant l’étonnée.

Mon père ! ô destin, quelle grâce !

ALCIDOR.

Ma fille !

SPADARILLE, lui montrant Cléandre.

Et celui-ci, Bel enfant, qui sera-ce ?

OLIMPIE.

Ô Dieux !

CLÉANDRE, à Spadarille.

Souffrez qu’ici je me règle sur vous,

Et que de cet objet je devienne jaloux.

Je crois voir Aspasie, et mon âme confuse

Voudrait...

SPADARILLE.

Le tour est bon ; peste soit de la Buse !

CLÉANDRE.

C’est un peu vainement que vous êtes surpris,

C’est elle.

SPADARILLE.

Il veut sans doute égayer nos esprits ;

Pauvre Butor !

OLIMPIE.

Et quoi, de la part de Cléandre,

Est-ce là tout l’accueil que j’ai droit de prétendre ?

CLÉANDRE.

Aspasie est-ce vous dont les yeux éclatants...

SPADARILLE.

Quand les gens sont si sots, ils le sont pour longtemps.

Je le trouve bouffon avec sa jalousie.

CLÉANDRE.

Daignez donc me répondre. Est-ce vous, Aspasie ?

Dissipez le chagrin qui me rend assoupi ;

Et pour le moins.

SPADARILLE.

Beau-père, et pecora campi.

Quoi ! vous n’en riez point ?

CLÉANDRE, à Spadarille.

Éclaircissez, mon âme ;

Monsieur, ne l’est-ce pas ?

SPADARILLE en riant.

Non ma foi, c’est ma femme.

CLÉANDRE, à Olimpie.

Veuillez donc m’excuser, si pour m’être mépris...

OLIMPIE.

À votre indifférence ajourer le mépris,

Cléandre ; et feindre ici de ne me pas connaître ?

CLÉANDRE.

J’ai toujours tout l’amour que vos yeux firent naître ;

Mais si mon cœur soupire, apprenez qu’il m’est doux

De le voir soupirer pour une autre que vous ;

De ce cœur enflammé la langueur est extrême.

Mais cette autre que vous est une autre vous-même,

Et mon amour éteint ferait tout consumé,

Si vos mêmes appas ne l’avaient rallumé.

SPADARILLE, à Alcidor.

Quel niais compliment ce badin lui va faire !

ALCIDOR.

Il est fou.

OLIMPIE, à Cléandre.

Quelque Objet a donc l’heur de vous plaire ?

CLÉANDRE.

Oui, Madame ; et de plus cet Objet plein d’appas,

En mérite, en vertu ne vous céderait pas.

Quelque chose de plus est dans celle que j’aime,

Et...

SPADARILLE.

Ne disons point plus ; mais disons tout de même.

OLIMPIE.

Et quoi pour vous venger du refus qu’on vous fit,

Vous osez...

CLÉANDRE.

J’ai raison d’oser dire...

OLIMPIE, dans une feinte colère.

Il suffit.

Je connais vos desseins, et vous êtes un lâche,

Dont l’indigne mépris, et me choque, et me fâche :

Ne croyez pas pourtant que l’outrage soit grand ;

Votre amour, votre choix, tout m’est indifférent :

Et ne présumez pas...

CLÉANDRE.

Quoi ! Madame...

OLIMPIE.

Quoi ! Traître,

Vous avez pu m’aimer, et m’osez méconnaître ?

Et prétendez me faire un outrage odieux,

Qu’étaler par mépris votre choix à mes yeux ?

Je dédaigne à mon tour vos indignes approches,

Allez.

SPADARILLE.

Il est penaud comme un fondeur de cloches.

C’est qu’il aime...

OLIMPIE.

Et qu’importe ?

SPADARILLE.

Il importe fort peu.

Mais je veux vous montrer à l’objet de son feu :

Bientôt dans cet endroit nous aurons sa présence.

OLIMPIE.

Moi, Monsieur, me résoudre à cette complaisance ?

Que je puisse...

SPADARILLE.

Mon Dieu, forcez-vous de la voir ;

Et tâchez...

OLIMPIE.

Sur mes sens j’ai trop peu de pouvoir.

À m’expliquer ainsi son dédain m’autorise ;

J’ai peu de complaisance envers qui me méprise ;

Et quoique mon époux, c’est avoir le cœur bas

Qu’exiger de mon âme un respect qu’il n’a pas.

SPADARILLE.

Mais enfin Aspasie...

OLIMPIE.

Aspasie, ou Cléandre,

Je ne veux ni les voir, ni jamais les entendre,

Et préfère aux dédains de ce couple outrageux

L’inflexible rigueur d’un époux soupçonneux.

Renfermez-moi.

ALCIDOR.

Ma fille, est-il juste ?...

OLIMPIE.

Mon père,

Je ne fais rien ici qui ne soit nécessaire.

De Cléandre en un mot je connais le désir ;

Dans ce lieu de me voir il a peu de plaisir ;

De ses vœux mes souhaits précipitent le terme,

C’est assez l’obliger que vouloir qu’on m’enferme,

Mais ce qui plus me charme, et que j’aime le mieux,

C’est priver mes regards d’un objet odieux.

Je vous le dis encor, Aspasie ou Cléandre,

À Spadarille.

Je ne veux ni les voir, ni jamais les entendre.

Souscrivez sans murmure au plus doux de mes vœux.

Adieu.

SPADARILLE.

Pauvre Galand te voilà bien chanceux !

 

 

Scène XIII

 

SPADARILLE, CLÉANDRE, ALCIDOR

 

SPADARILLE.

Vous voyez.

CLÉANDRE.

Oui, Monsieur, je vois ce qui se passe.

Si je m’en repentais j’aurais l’âme trop basse.

J’aperçois qu’Olimpie a pour moi de l’horreur

Mais l’amour d’Aspasie adoucit cette aigreur.

J’ai sujet de goûter une joie assez pleine,

Si l’une a de l’amour quand l’autre a de la haine ;

Ou plutôt j’aurais tort de me plaindre à mon tour,

Quand des preuves de haine ont des marques d’amour.

Mais je vois Aspasie.

 

 

Scène XIV

 

OLIMPIE, sous le nom d’Aspasie, SPADARILLE, CLÉANDRE, ALCIDOR, CASCARET

 

OLIMPIE.

À présent pour vous plaire,

Sur ce que j’ai promis je vous viens satisfaire.

Je puis voir Olimpie, et je suis sur le point

De lui rendre...

SPADARILLE.

À présent, vous ne la verrez point.

Vous voilà, ce me semble, allez bien attrapée.

OLIMPIE.

Vous rendez en effet mon attente trompée ;

Me manquer de parole, et depuis un instant...

SPADARILLE.

Olimpie, en un mot, ne vous aime pas tant,

Si vous ne m’en croyez, demandez à Cléandre.

OLIMPIE.

Quel sujet aurait-elle ?...

SPADARILLE.

Il pourra vous l’apprendre.

CLÉANDRE.

Lors...

SPADARILLE.

De vous écouter je n’ai pas le loisir ;

Partez, ou demeurez, vous n’avez qu’à choisir.

OLIMPIE.

Et quoi...

SPADARILLE.

Tant de discours me font mal à la tête ;

Voulez-vous partir ?

CLÉANDRE.

Mais...

SPADARILLE.

Mais la Parente est prête ;

Et qui plus est pour vous je la donne gratis,

Tenez.

CLÉANDRE.

Puisqu’il vous plaît, nous voilà donc partis ;

Mais si pour m’acquitter de l’excès de vos grâces.

Je puis...

SPADARILLE.

N’affectons point d’importunes grimaces ;

Si vous voulez partir, partez.

CLÉANDRE.

Adieu, Messieurs.

SPADARILLE.

Notre beau-père et moi sommes vos serviteurs,

Adieu.

CLÉANDRE, bas à Olimpie.

L’occasion ne peut être plus belle,

Allons.

CASCARET.

Le pauvre Diable ! il n’a plus de femelle.

Je le donne en dix coups à qui fourbera mieux.

ALCIDOR, bas.

Hâtez, vous.

OLIMPIE, à Cléandre.

Mais mon père, il fait signe des yeux ;

S’il n’est hors de ses mains, mon souci n’est pas moindre.

CLÉANDRE.

N’en soyez point en peine, il saura nous rejoindre ;

Nous avons rendez-vous, et j’en fuis avoué,

Allons.

Ils s’en vont.

 

 

Scène XV

 

SPADARILLE, ALCIDOR

 

SPADARILLE fort joyeux.

De tout ceci le bon Dieu soit loué !

J’ai hors du pied, beau-père, une vilaine épine ;

De me tremper Cléandre avait toute la mine,

Il faisait tout exprès le petit complaisant ;

Dieu sait si votre fille est joyeuse à présent.

À haute voix à la porte d’Olimpie.

Allons l’en avertir. Répondez-moi, ma mie.

À Alcidor.

Ce Cléandre est parti... S’est-elle rendormie ?

Je ne la vis jamais si souvent sommeiller.

Mais entrons l’un et l’autre, et l’allons réveiller.

Loin d’en être marrie elle aura de la joie ;

Entrons.

ALCIDOR, bas.

De me venger je découvre une voie ;

Je le tiens.

SPADARILLE.

Sus, beau-père, entrez donc.

ALCIDOR.

Ah ! Monsieur,

Je sais trop...

SPADARILLE.

Je sais trop qu’en me doit de l’honneur ;

Mais entrez.

ALCIDOR.

Moi, commettre une faute si grande !

SPADARILLE.

Entrez, vous dis-je...

ALCIDOR.

Mais...

SPADARILLE.

Mais je vous le commande.

ALCIDOR.

De grâce...

SPADARILLE.

Obéissez, Courtisan mal éclos.

ALCIDOR.

Monsieur...

SPADARILLE.

S’il en fait rien, qu’on me brise les os.

ALCIDOR.

Ce que je suis, Monsieur, me permet de vous rendre...

SPADARILLE.

Vous êtes mon beau-père ; et je suis votre gendre ;

Avec vos pieds de veau, passez donc.

ALCIDOR.

Si jamais...

SPADARILLE.

Sans tant dire de si, ni de car, ni de mais,

Courtois souple-jarret, qui semblez par bravade

Pour me faire enrager vouloir faire gambade,

Entrez.

ALCIDOR.

Mais quand je songe aux respects que je doi...

SPADARILLE.

Respectueux beau-père, entrez donc après moi,

Puisqu’en vos sentiments vous demeurez si ferme.

ALCIDOR.

Un cadenat sans clef aisément se referme,

Il est pris.

SPADARILLE, dedans la chambre.

Suivez donc.

ALCIDOR.

Je n’ai pas le loisir.

SPADARILLE.

Vous m’enfermez !

ALCIDOR.

D’accord.

SPADARILLE.

Pourquoi ?

ALCIDOR.

Pour mon plaisir.

SPADARILLE.

Ah trigaut malfaisant si je sors je te jure...

ALCIDOR.

Tu ne sortiras pas, c’est moi qui t’en assure ;

Mais sans tenir ici d’inutiles propos,

Tu peux par ta fenêtre écouter quatre mots.

SPADARILLE, à sa fenêtre.

Exécrable barbon que ne puis-je descendre ?

Tu verrais...

ALCIDOR.

Olimpie est aux mains de Cléandre.

Mais de quelques désirs dont il soit combattu,

Il est trop généreux pour souiller sa vertu.

SPADARILLE.

Gueux par moi revêtu, que Dieu puisse confondre,

En ses mains !

ALCIDOR.

En ses mains ; et je puis t’en répondre.

Mais l’horrible défaut que chacun connaît bien,

Pour rompre un mariage est un trop sur moyen,

La cruelle fureur dont tu l’as poursuivie,

De l’ôter de tes mains m’a fait naître l’envie :

Et il j’ai des regrets, le plus rude de tous,

Est de voir qu’un barbare ait le titre d’époux.

En entrant le premier tu m’as mis hors de peine.

Adieu.

SPADARILLE.

Tu t’en vas donc, Marchand de chair humaine ;

Au voleur, au voleur...

 

 

Scène XVI

 

SPADARILLE, à la fenêtre

 

Le traître est échappé,

Il court comme un beau Diable, et je suis attrapé.

Jamais futé Renard dans sa propre tanière,

Se vit-il enfermé de semblable manière ?

Et peut-on en finesse égaler ce Griffon,

Qui m’enlève sa fille et me met en prison ?

Si la meilleure femme en malice est féconde,

Peuples qui m’écoutez, laissez périr le monde ;

Et disant à ce sexe un éternel adieu,

Songez que qui s’en passe est bien aimé de Dieu. 

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