Un bal en robe de chambre (Eugène LABICHE - MARC-MICHEL)

Épisode de la vie du grand monde, mêlé de couplets.

Représenté pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de la Montansier, le 12 octobre 1850.

 

Personnages

 

LE VICOMTE DE VERTGAZON

LE BARON DE ROCHEPOT

M. DE PONTCASTOR

FÉLIX, domestique

CÉCILE, fille de Vertgazon

LA BARONNE DE ROCHEPOT

MADAME DE PONTCASTOR

UN DOMESTIQUE

INVITÉS

MUSICIENS

Etc.

 

Un petit salon, richement meublé. Trois grandes portes au fond, ouvrant sur un grand salon. Deux portes à droite. Une porte à gauche au deuxième plan. Une cheminée au premier plan. Fauteuils. Tapis. À droite et à gauche, des girandoles avec des bougies.

 

 

Scène première

 

FÉLIX, seul, tenant un bougeoir

 

Mam’zelle qui vient de me dire d’allumer ; depuis trois jours elle me fait porter des lettres à toutes les connaissances de M. Vertgazon, son papa... est-ce qu’elle voudrait donner une soirée ? Que je suis bête ! une enfant de six ans et demi qui fait ses dents de sept.

Air de la Colonne.

C’tte enfant pas plus haut que ma botte,

Depuis trois jours ne fait trotter...

Avec sa bonne elle complote...

Quoi donc qu’elle peut comploter ?

Monsieur lui-même n’a pas l’air d’ s’en douter.

Pourquoi ce soir veut-elle donc que j’éclaire ?

J’ai beau m’ creuser, ma foi, j’ n’y comprends rien ;

Pour y voir claire dans ce mystère.

Allumant.

Après ça... qu’est-ce que ça me fait ? on m’a dit d’allumer, j’allume...

Il allume le côté droit su salon, et passe au côté gauche.

Je ne serai pas fâché de savoir ce que monsieur dira en rentrant.

Il allume à gauche.

 

 

Scène II

 

FÉLIX, VERTGAZON

 

VERTGAZON, entrant par le fond et sans voir Félix.

Je ne suis pas à mon aise... je me fais une fête de me coucher de bonne heure.

Apercevant les bougies allumées à droite.

Tiens ! qu’est-ce qui a donc allumé mes bougies ?

Il souffle toutes les bougies du côté droit.

FÉLIX, qui a allumé le côté gauche et repassant à droite.

Là... voilà qui est fait.

Apercevant les bougies éteintes.

Tiens !... le vent qui vient d’éteindre.

Il rallume à droite pendant que Vertgazon souffle à gauche.

VERTGAZON.

Là...

Passant à droite et apercevant les bougies rallumées.

Ah !

FÉLIX, apercevant le côté gauche éteint.

Oh !

VERTGAZON.

C’est toi, imbécile, qui brûle mes bougies.

FÉLIX.

Monsieur... ce sont les ordres de mademoiselle.

VERTGAZON.

Ma fille ! c’est ma fille qui t’a dit d’allumer ? Pourquoi ça ?

FÉLIX.

Je n’en sais rien.

VERTGAZON.

Fais-la venir... je vais lui laver la tête.

FÉLIX.

La voici.

Il sort.

 

 

Scène III

 

VERTGAZON, CÉCILE

 

CÉCILE.

Bonjour, mon papa.

VERTGAZON.

Approchez, mademoiselle... je suis très mécontent, je suis fort surpris...

CÉCILE.

Tu veux faire comme si tu étais en colère, mais tu ne l’es pas.

VERTGAZON.

Comment ?

CÉCILE.

Non, ton nez remue.

VERTGAZON.

C’est vrai ! mon nez remue... alors embrasse-moi.

Il s’assied.

CÉCILE.

Avec plaisir.

Elle se met sur ses genoux.

Dis donc, mon petit papa, as-tu réfléchi à ce que je t’ai demandé ?...

VERTGAZON.

Quoi ?

CÉCILE.

Tu sais bien, M. Roquetin, mon pauvre vieux maître de danse... il a attrapé un entorse... il parait que ça l’empêche de danser... de donner des leçons.

VERTGAZON.

Oui... les entorses produisent cet effet, dit-on, sur les maîtres de danse.

CÉCILE.

Alors, il ne peut plus payer son loyer, et son propriétaire veut le mettre à la porte... dans la rue... c’est bien froid !

VERTGAZON.

L’hiver, je n’en disconviens pas, mais en été...

CÉCILE, câlinant.

Mon petit papa, tu ne veux donc pas me donner ces huit cents francs... pour payer le loyer de M. Roquetin ?

VERTGAZON.

Non, ma fille, pour la vingtième fois non ! M. Roquetin est un vieux sauteur auquel je ne m’intéresse nullement... il t’a donné des leçons de danse, c’est vrai ; mais je lui ai payé ses cachets... donc je ne lui dois rien, donc, laisse-moi tranquille.

CÉCILE, le quittant en boudant.

C’est bien... je m’y attendais ; aussi j’ai trouvé un moyen.

VERTGAZON.

Qu’est-ce que c’est ?

CÉCILE.

C’est mon secret... mais, puisque tu ne veux pas payer... je paierai, moi.

VERTGAZON.

Avec quoi ?

CÉCILE.

Tiens, avec ma bourse... j’ai quinze francs... papa, combien me manque-t-il ?

VERTGAZON.

Plus tard, ma fille, vous apprendrez les mathématiques.

À lui-même.

Il ne faut pas fatiguer les enfants.

CÉCILE.

Un fois... deux fois... tu ne veux pas ?

VERTGAZON.

Air : du haut en bas.

Je suis de roc !

CÉCILE.

Ce pauvre homme est dans la misère !

VERTGAZON.

Je suis de roc !

Je suis plus têtu qu’un vieux coq !

CÉCILE, câlinant et lui tapotant les joues.

Allons ! écoute ma prière...

Je t’aimerai bien, p’tit pépère !

VERTGAZON.

Je suis de roc !

CÉCILE, sérieuse.

Alors, c’est toi qui l’auras voulu... je ne me repens pas de ce que j’ai fait.

VERTGAZON.

Qu’as-tu fait ?

CÉCILE.

Tu le verras.

VERTGAZON.

Dis-le moi... je t’en prie.

CÉCILE.

Même air.

Je suis de roc !

VERTGAZON.

Cède à la voix de la nature !...

CÉCILE.

Je suis de roc !

VERTGAZON.

Eh bien ! voyons !... faisons un troc :

Dis-moi ton secret, j’t’en conjure...

Et j’te donne... un pot de confiture !

CÉCILE, après un moment d’hésitation.

Je suis de roc !

VERTGAZON.

Ah ! elle me prend mes mots ! est-elle spirituelle !

CÉCILE.

Tout ce que je puis te dire... c’est que je paierai... avec mon travail... avec mes talents... et il ne t’en coûtera rien du tout.

VERTGAZON, riant.

Avec ses talents… 800 francs !... Ah ! je rirais... si je n’avais pas envie de dormir... Bonsoir, ma fille.

CÉCILE.

Bonsoir, papa. J’ai idée que tu ne dormiras pas bien cette nuit !

VERTGAZON.

Pourquoi ça ?

CÉCILE.

Parce que tu as été méchant avec ta petite fille.

VERTGAZON, à part.

C’est un prodige !... Madame de Staël !

Ensemble.

Air de l’Homme aux Souris.

Va te coucher, ma chère ;

Je vais cherche par là

Un livre qui, j’espère.

Bientôt m’assoupira.

CÉCILE.

Bonne nuit, méchant père,

Va donc chercher par là

Un livre qui, j’espère,

De peu te servira.

Vertgazon sort à droite.

 

 

Scène IV

 

CÉCILE, FÉLIX

 

Cécile sonne, Félix paraît portant sur son bras une robe de chambre et un bonnet de coton.

CÉCILE.

Allumez les bougies.

FÉLIX.

Mais, Mam’zelle, Monsieur votre père m’a défendu...

CÉCILE.

Mais allumez donc, quand on vous le dit ! – Dieu ! qu’on est mal servi aujourd’hui ! – Qu’est-ce que vous tenez là ?

FÉLIX.

C’est Monsieur qui m’a dit de lui donner sa robe de chambre...

CÉCILE.

Vous lui donnerez son habit noir... et son claque.

FÉLIX.

Pour se coucher.

CÉCILE.

Dieu ! que vous êtes raisonneur ! Voilà un vilain défaut...

FÉLIX, à part.

Faut pas lui en vouloir... elle fait ses dents.

CÉCILE.

Vous direz à Dominique de prendre dans la salle à manger un plat d’argent...

FÉLIX.

Dominique prendre un plat d’argent ! C’est un honnête garçon, mademoiselle !

CÉCILE, avec impatience.

Mais écoutez-moi donc !... il se tiendra toute la nuit à la porte de l’antichambre avec son plat.

FÉLIX.

Ah ! ah ! elle est bonne celle-là !

CÉCILE.

Je n’aime pas qu’on rie de ce qu’on ne comprend pas... Mais allumez donc ! il faudra peut-être que j’allume moi-même !

FÉLIX.

Voilà, mademoiselle, voilà.

CÉCILE, sortant.

Dieu qu’on est mal servi aujourd’hui !

Elle sort au fond.

 

 

Scène V

 

FÉLIX seul, puis VERTGAZON

 

FÉLIX.

Mademoiselle me dit de rallumer... moi je veux bien... rallumons.

Il rallume.

VERTGAZON, rentrant sans voir Félix, montrant le livre qu’il tient.

J’ai fait choix d’un narcotique efficace et puissant... des tragédies !...

Voyant les bougies allumées à droite.

Hein ! Encore cette illumination à giorno !

Il souffle à droite, pendant que Félix allume à gauche.

Cet animal de Félix s’entend bien certainement avec le marchand de bougies.

Il passe à gauche.

FÉLIX, à droite.

Tiens ! c’est r’éteint !

Il rallume.

VERTGAZON, à gauche.

Tiens ! c’est rallumé ! Ah ! ça mais, sapristi !...

Il souffle.

FÉLIX, l’apercevant.

Vous ressoufflez, monsieur ?

VERTGAZON.

Imbécile ! butor !... ça ne va donc pas finir ?

FÉLIX.

C’est mam’zelle qui me l’a dit...

VERTGAZON.

Va te promener.

FÉLIX.

Oui, monsieur.

Fausse sortie.

VERTGAZON.

Arrive ici.

FÉLIX.

Oui, m’sieur.

VERTGAZON.

Allume la veilleuse.

FÉLIX, obéissant.

Bien m’sieur !...

À lui-même.

Moi, j’ veux bien !

VERTGAZON.

Ce garçon-là est stupide !

À Félix qui va sortir.

Eh bien ! où vas-tu ?

FÉLIX.

Nune part, m’sieur.

VERTGAZON.

Nune part ! Donne-moi ma robe de chambre...

Il ôte son paletot.

FÉLIX, apportant un habit noir.

Votre robe de chambre : c’est-à-dire... Voilà...

Il lui passe son habit.

VERTGAZON.

Qu’est-ce que c’est que çà !

FÉLIX.

Mam’zelle m’a dit de vous mettre votre habit noir.

VERTGAZON.

Mais tu m’ennuies, mais tu m’agaces... mais tu me portes sur les nerfs ! Ma robe de chambre, drôle !

FÉLIX, la lui passant.

Voilà, m’sieur.

À part.

Moi, je veux bien.

VERTGAZON.

Prends ma perruque et donne-moi mon bonnet de coton.

FÉLIX, lui offrant son claque.

Non, m’sieur, votre claque.

VERTGAZON.

Des claques ; en voilà, animal !

Il lui donne une tape.

FÉLIX.

Mam’zelle m’a dit...

VERTGAZON.

Mon bonnet de nuit !

FÉLIX.

Voilà !

À part.

Qu’est-ce que ça me fait !

VERTGAZON, mettant son bonnet de coton.

Emporte ma perruque... Va bassiner mon lit... et prépare-moi mon jus d’herbe... pendant que je vais lire quelques scènes de ce volume de tragédies... Morphée s’en trouvera bien.

Il s’assied au coin du feu.

Eh bien ! va donc !

FÉLIX.

Qu’est-ce que ça me fait !... Moi, je veux bien !...

Il sort.

 

 

Scène VI

 

VERTGAZON, puis LE BARON et LA BARONNE DE ROCHEPOT, en grande toilette de bal

 

VERTGAZON, lisant.

La veuve du Malabar ou l’Empire des Costumes.

Se reprenant.

Non ! des coutumes.

« un illustre indien a terminé sa vie... »

UN DOMESTIQUE, ouvrant la porte du fond et annonçant.

Monsieur de baron et madame la baronne de Rochepot.

VERTGAZON.

Hein ? Une visite ! Je n’y suis pas.

Appelant.

Félix ! ma perruque, Félix ! ma...

Se trouvant devant la baronne.

Madame, j’ai l’honneur de vous présenter mes hommages...

À part.

Sapristi !

LA BARONNE, à part.

En robe de chambre !

LE BARON, de même.

En bonnet de coton !

VERTGAZON, s’efforçant d’être aimable.

Monsieur le baron... je suis bien aise... oh ! mais bien aise... de vous voir...

À part.

Que le diable les emporte !

LE BARON.

Nous venons trop tôt, n’est-ce pas ?

VERTGAZON, très galant.

Comment donc, madame... il n’est jamais trop tôt !...

À part, s’arrêtant tout court.

Sapristi ! je suis en bonnet de coton !...

Renfonçant son bonnet.

Laissons-leur croire que j’ai des cheveux !

LE BARON.

C’est la baronne qui m’a pressé... elle craignait d’être en retard.

VERTGAZON, étonné.

Ah ! madame craignait ?... quelle heure est-il donc ?...

LE BARON.

Onze heures...

VERTGAZON, vivement.

Vous retardez...

LE BARON.

Vous croyez ?

Bas, à la Baronne.

Ah ça, rien n’annonce les préparatifs d’un bal.

LA BARONNE, bas.

Je n’y comprend rien.

VERTGAZON, à part.

Mais quel motif peut les amener ?...

LE BARON.

Vicomte, c’est bien aujourd’hui jeudi, n’est-ce pas ?

VERTGAZON.

Oui... sans doute...

À part.

Si c’est pour me demander ça...

LE BARON.

Ah ! c’est que madame le Baronne craignait que ce ne fût pas aujourd’hui jeudi...

LA BARONNE.

Oui... en entrant...

LE BARON.

Mais du moment que c’est aujourd’hui jeudi, très bien... très bien !... Nous sommes tranquilles.

Ils s’asseyent.

VERTGAZON, à part.

Comment, ils s’installent !...

LA BARONNE.

J’ai dit à mon cocher de revenir me prendre à trois heures...

VERTGAZON.

Comment !

LE BARON.

Oui... nous nous retirons de bonne heure !

VERTGAZON, très aimable.

Ah ! tant pis ! Ah ! tant pis !

À part, en s’asseyant.

Il faut avoir la rage des visites !... Je ne connais que les chauves-souris pour se faire des politesses à une pareille heure...

LA BARONNE, bas, au Baron.

Dites-donc... est-ce qu’il ne vas pas aller s’habiller ?

LE BARON, de même.

J’espère bien que si !

Haut.

Nous vous gênons, peut-être ?

VERTGAZON.

Moi, pas du tout...

LA BARONNE.

Si vous avez quelque chose à faire...

VERTGAZON.

Non... je n’ai rien à faire... rien du tout... J’ai ma soirée.

LA BARONNE, à part.

Elle est jolie, sa soirée !

LE BARON.

Air : Un homme pour faire un tableau.

Cher vicomte, pas de façons !

Agissez sans cérémonie.

VERTGAZON.

Je n’en fais pas.

LA BARONNE.

Nous vous gênons !...

VERTGAZON.

Pas du tout.

LE BARON.

Allez, je vous prie...

VERTGAZON.

Que j’aille... où çà ?...

LE BARON.

S’il vous plaisait

De faire un tour dans votre chambre ?

VERTGAZON.

Non !

LA BARONNE, étonnée.

Plaît-il ?

LE BARON, bas, à la Baronne.

Je vois ce que c’est…

C’est un bal en robe de chambre.

Bas.

Je suis fâché d’avoir mis des gants neufs.

LA BARONNE, bas.

C’est mal éclairé !...

Vertgazon s’endort.

LE BARON, de même.

Je crois bien... deux bougies... et une veilleuse.

LA BARONNE.

Aujourd’hui les riches boudent.

LE BARON, à part.

Ce n’est pas possible, nous nous sommes trompés de jour.

LA BARONNE, bas.

Regardez votre lettre d’invitation.

LE BARON, parcourant se lettre, bas.

« De venir passer la soirée chez lui, le jeudi 16 mars... »

LA BARONNE.

C’est inconcevable.

LE BARON, à Vertgazon qui dort.

Pardon, vicomte, c’est bien aujourd’hui jeudi... 16 mars ?

VERTGAZON, s’éveillant.

Oui, 16 mars, le marronnier des Tuileries fleurit dans quatre jours.

À part.

Nous allons recommencer.

LE BARON.

C’est que la baronne craignait que ce ne fût pas aujourd’hui le 16 mars ; mais du moment que c’est aujourd’hui le 16 mars, très bien, très bien... nous sommes tranquilles.

VERTGAZON, à part.

Qu’est-ce que je disais ?... Nous recommençons ; ça va aller comme ça jusqu’à trois heures du matin.

 

 

Scène VII

 

VERTGAZON, LE BARON, LA BARONNE, UN DOMESTIQUE annonçant M. et MADAME DE PONTCASTOR

 

LE DOMESTIQUE.

M. et madame Farruch de Pontcastor.

VERTGAZON, à part.

Hein !

Grandes salutations de tout le monde.

Encore une visite ; ils se sont donné le mot.

MADAME DE PONTCASTOR, bas.

Quelle singulière toilette !

M. DE PONTCASTOR.

Seriez-vous indisposé, chez vicomte ?

VERTGAZON.

Mille fois trop bon ! au contraire.

Ils s’asseyent.

MADAME DE PONTCASTOR.

Pardon ! c’est bien aujourd’hui jeudi ?

VERTGAZON.

Oui !

À part.

Qu’est-ce qu’ils ont donc avec leur jeudi.

LA BARONNE.

Aurez-vous Levassor... l’acteur ?

VERTGAZON.

Moi ! Pourquoi faire ? je ne crois pas.

LE BARON.

Ah ! fâcheux, fâcheux ! je l’aime beaucoup... je l’ai vu dans Robert-le-Diable... il joue le rôle du diable comme un ange.

LA BARONNE.

C’est Levasseur, mon ami.

LE BARON.

Qu’est-ce que ça fait ? Levassor... Levasseur, ils se ressemblent, n’est-ce pas ?

VERTGAZON.

Parbleu !

LE BARON, à part.

Drôle de bal ! ça manque d’entrain... et de sirop... je suis fâché d’avoir mis des gants neufs... Je les ôte !

 

 

Scène VIII

 

VERTGAZON, LE BARON, LA BARONNE, M. et MADAME DE PONTCASTOR, FÉLIX

 

FÉLIX, entrant avec une tasse de tisane à la main et une bassinoire sous le bras.

Voilà, Monsieur, voilà.

LE BARON, se levant.

Enfin, voici des rafraîchissements !

FÉLIX, s’arrêtant.

Tiens, des visites !

LE BARON, prenant la tasse.

Qu’est-ce que c’est que ça ? du chocolat ?

FÉLIX.

C’est du jus d’herbes.

LE BARON.

Hein ?

LA BARONNE.

Et une bassinoire !

LE BARON, à part.

Quel drôle de bal !

VERTGAZON.

Je vous demande pardon... c’est cet imbécile...

LE BARON.

Non ! c’est impossible ! ce n’est pas aujourd’hui jeudi !

LA BARONNE.

16 mars.

VERTGAZON, à part.

Nous recommençons... très bien !

 

 

Scène IX

 

VERTGAZON, LE BARON, LA BARONNE, M. et MADAME DE PONTCASTOR, FÉLIX, INVITÉS, MUSICIENS

 

Un domestique ouvre la porte du fond et annonce les invités qui entrent successivement.

LE DOMESTIQUE.

Monsieur, Madame et Mademoiselle Olivarès de la Moselle !

VERTGAZON.

Pristi !

À Félix.

Ma perruque !

LE DOMESTIQUE.

Madame la chanoinesse de Criquebœuf.

VERTGAZON.

Cornebœuf !

À Félix.

Ma perruque !

FÉLIX.

Elle est par là !... Voici votre claque.

VERTGAZON ôte son bonnet de coton et met son claque.

Messieurs... Mesdames... enchanté... ravi...

Chœur.

Air : Valse de Satan.

VERTGAZON.

Ah ! morbleu ! c’est une gageure !

Qui diable à l’heure que voici,

Peut donc, je m’y perds, je le jure...

Amener tout ce monde ici ?

LES INVITÉS.

Ah ! vraiment ! c’est une gageure !

Rien n’est plus plaisant que ceci ;

Quel costume ! quelle coiffure !

Pourtant c’est aujourd’hui jeudi.

TOUS.

Ce costume !

VERTGAZON.

Je vous demande un million... mais je ne m’attendais pas à l’honneur !...

LE BARON.

Comment ! et votre invitation de bal ?

VERTGAZON.

Mon invitation ?

LE BARON.

Parbleu ! la voici...

Chacun lui donne sa lettre.

VERTGAZON.

C’est un peu fort !

Lisant.

« Monsieur le vicomte de Vertgazon vous prie de lui faire l’honneur de venir passer la soirée chez lui le jeudi 16 mars. Prix d’entrée : un cavalier, 5 francs... un cavalier et une dame, 7 francs. »

LE BARON.

Ça met les dames à 40 sous.

VERTGAZON.

Mais qu’est-ce que cela signifie ?

LE BARON.

Dam ! il y a dans l’antichambre un grand escogriffe avec un plat d’argent, et qui reçoit le prix des places.

VERTGAZON.

Comment !

LE BARON.

Entre nous... je crois que vous couvrirez vos dépenses...

Les trois portes du fond s’ouvrent.

VERTGAZON.

Mais c’est affreux ! faire payer à ma porte ! je suis déshonoré.

Se retournant et apercevant le salon éclairé, garni de guirlandes de fleurs.

Hein ! qu’est-ce que c’est que ça ?

Apercevant des musiciens.

Un orchestre !... c’est un rêve ! je deviens stupide ! qu’est-ce qui m’expliquera tout ça !

 

 

Scène X

 

VERTGAZON, LE BARON, LA BARONNE, M. et MADAME DE PONTCASTOR, FÉLIX, INVITÉS, MUSICIENS, LA PETITE CÉCILE habillée en hussarde

 

CÉCILE.

Moi, papa !

VERTGAZON.

Ma fille !

Air : La belle fille.

La belle fille !

Qu’elle est gentille !

La grâce brille

Dans tous ses traits.

Qu’elle est jolie !

L’âme attendrie

Se sent ravie

Par tant d’attraits.

Mademoiselle, me direz-vous ?...

CÉCILE.

C’est un bal que je donne au profit de mon maître de danse... vos amis sont venus à mon invitation, je vous disais bien qu’il aurait ses 800 francs !

VERTGAZON.

Ah ! coquine !... mais pourquoi ce costume ?...

CÉCILE.

Pour danser au bénéfice de mon professeur une polka hussarde qu’il m’a apprise...

TOUS.

Oui ! oui !

CÉCILE.

Vous avez payé en entrant... mais si vous êtes contents... personne ne vous empêchera de recommencer en sortant.

VERTGAZON, à part.

Ah ! elle est pétrie d’esprit !... Madame de Staël ! Je le mettrai dans le commerce.

Les personnages se rangent des deux côtés de la scène, la petite danse une polka hussarde. Après la danse, tous les personnages applaudissent et crient bravo ! La toile tombe.

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