Atis (Alexis PIRON - Jacques-Philippe D’ORNEVAL - LOUIS FUZELIER)

Parodie en un acte, précédée d’un prologue.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de l’Opéra-Comique, le 19 février 1726.

 

Personnages du Prologue

 

L’ENTREPRENEUR

LA FOIRE

LA FOLIE

ARLEQUIN

UN BOSSU

UN BÈGUE

UN BOITEUX

TROUPE DE QUINTES et DE VERTIGOS

 

La Scène est sur le Théâtre de l’Opéra-Comique.

 

Personnages de la Parodie

 

ATIS, Pierrot

CÉLÉNUS, le Docteur

CIBÈLE, Arlequin

SANGARIDE

LE SOMMEIL

UN SONGE agréable

UN SONGE funeste

TROUPE DE SONGES agréables

TROUPE DE SONGES funestes

TROUPE D’IVROGNES

 

La Scène est chez Cibèle.

 

 

PROLOGUE

 

Scène première

 

L’ENTREPRENEUR, LA FOIRE, représentée par Pierrot

 

L’ENTREPRENEUR.

Air : Des Trembleurs.

Oh ça, Madame la Foire,
Ne m’en faites plus accroire,
Il y va de votre gloire
De me gagner de l’argent.

LA FOIRE.

Qu’aucun soin ne vous agite ;
Soyez sûr que mon mérite,
Fera bouillir la marmite.
Allez. Vous serez content.

L’ENTREPRENEUR.

Adieu donc. Voilà la toile levée ; commencez, et divertissez bien ces Messieurs. Qu’est-ce que c’est ? Vous m’avez l’air embarrassée.

LA FOIRE, se grattant le derrière.

Eh, mais, c’est que...

L’ENTREPRENEUR.

Quoi ? N’avez-vous pas tout ce qu’il vous faut pour commencer ?

LA FOIRE.

Pas encore tout-à fait.

L’ENTREPRENEUR.

Que vous manque-t-il donc ?

LA FOIRE.

Une Pièce et des Acteurs.

L’ENTREPRENEUR.

Ah morbleu ! je suis ruiné ! et vous attendez à me le dire, que...

LA FOIRE.

J’avais mandé à la Folie de m’envoyer tout cela ; n’avez-vous rien reçu ?

L’ENTREPRENEUR.

Non. Voilà pourtant tout le monde qui attend. La honte me prend ; je me sauve ; adieu : tirez-vous d’affaire comme vous pourrez.

 

 

Scène II

 

LA FOIRE, seule

 

La jolie situation ! Ne bougez pourtant pas Messieurs ; demeurez : un peu de patience. Il faut bien que nous ayons réponse de la Folie : cela ne saurait tarder plus de huit jours. Bon ! voilà déjà une Actrice : les hommes ne sont pas loin. Les voici justement.

 

 

Scène III

 

LA FOIRE, UN PETIT BOSSU, UN VIEILLARD, UN BÈGUE, ARLEQUIN, en fille, représentant la petite LEGRAND, qui venait de faire, avec succès, le rôle d’Arlequin dans l’Impromptu de la Folie, Pièce de son Père, qui fit plus de profit aux Comédiens qu’au Libraire

 

LA FOIRE.

Air : Par bonheur, ou par malheur.

Que chacun de vous, enfants,
M’annonce un peu ses talents.
Ce Bossu me paraît drôle,
Ainsi que ce vieil goutteux :

Au Bossu.

Ami, quel est votre rôle ?

LE PETIT BOSSU.

Moi, je fais les amoureux.

LA FOIRE.

Vous faites les amoureux ? C’est donc dans Ésope à la Cour.

Air : Quand je bois de ce jus d’Octobre.

Pour un Amoureux, quel corsage !
Vous n’y pensez pas, mon ami,
Pour bien faire ce Personnage,
Il faut être droit comme un i.

Être fait comme ce garçon là, par exemple : Quel personnage fait-il, lui ?

LE BÈGUE.

Je f... ais les gr... ands rôles.

LA FOIRE.

À l’autre, qui ne saurait parler, et qui fait les grand rôles !

LE BÈGUE.

Vous verrez, si le Pupupupublic ne fait pas cacacacas de moi.

LA FOIRE.

Cacacacas de lui. Allez, allez, mon pauvre enfant, vous faite pipipipitié. Quelle plaisante espèce de gens la Folie m’envoie !

Air : Des Fraises.

Ce cadet de soixante ans,
Selon toute apparence,
Fera les rôles d’enfants.

LE VIEILLARD.

Non, je ne joue pas la Comédie, moi.

LA FOIRE.

Que faites-vous donc ?

LE VIEILLARD, finissant l’air.

Dans les divertissements,
Je danse, je danse, je danse.

Il dit ceci en dansant ; et tombe en finissant.

LA FOIRE.

Le bel air à la danse ! et dites-moi, vous n’êtes pas le seul danseur ; où est le reste ?

LE VIEILLARD.

Il n’a pu venir si vite que moi ; parce qu’il consiste en deux jambes cassées et trois cul-de-jattes.

LA FOIRE.

Voilà une jolie Troupe. Elle se sent bien d’où elle vient, eh fi, fi, tirez !

Elle les chasse.

 

 

Scène IV

 

LA FOIRE, ARLEQUIN

 

LA FOIRE continue.

Et vous, la belle fille, quels talents avez-vous pour briller sur un théâtre ?

ARLEQUIN.

J’ai tout.

LA FOIRE.

Mais, qu’êtes-vous ordinairement dans une Pièce ?

ARLEQUIN.

Je suis tout.

LA FOIRE.

Mais encore dites-moi, quels rôles y faites-vous ?

ARLEQUIN.

Je fais tout.

Air : Voici les Dragons qui viennent.

Je fais comme on veut, Madame,
La folle et le fou :
Je chante, danse, déclame,
Je fais la fille, la femme,
Et l’homme itou,
Et l’homme itou.

LA FOIRE.

Air : Lere la.

J’ai tout, je suis tout, je fais tout,
Je fais l’homme et la femme itou ;
Seule elle est une troupe entière.
Lere la, lere lanlere, lere la, lere lanla.

ARLEQUIN.

Ne vous moquez pas ; mettez-moi seulement à l’épreuve.

Air : Me promenant un matin, etc.

J’ai le jeu vif et badin :
Je joins l’art à la nature ;
Turelure,
Turelure :
Je suis un petit lutin,
Latu, latin, tintin, terelintintin,
Et très fertile en posture,
Turelure,
Turelure,
Et lonlanla, je veux enfin,
Je veux faire votre Arlequin.

LA FOIRE.

Vous, Mademoiselle ? Une fille, en habits d’Arlequin !

ARLEQUIN.

Où est la difficulté ? J’en serai quitte pour attacher ma ceinture un pied plus bas.

LA FOIRE.

Air : De Robin turelure.

Sous ce vêtement bouffon,
Pour le coup je serais sûre,
De la vertu d’un tendron,
Turelure,
D’en bas jusqu’à la ceinture,
Robin turelure, lure.

Quoi, Mademoiselle, vous prendriez les tons d’un Arlequin ? Vous auriez son geste ? Vous feriez sa grimace ? Vous ?

ARLEQUIN.

Air : Du haut en bas

Je la ferai.
Reposez-vous sur ma parole ;
Je la ferai.
Et de plus j’y réussirai.

LA FOIRE.

Mais à la fin de votre rôle,
Si l’on criait : la capriole[1] !

ARLEQUIN, faisant la capriole.

Je la ferai.

Tenez, la voilà ; qu’à cela ne tienne : mille pour une. Nous sommes bien à une capriole près, nous autres Comédiennes.

Air : La bonne aventure ô gué.

Dans les Troupes d’Histrions,
Fille qui s’enrôle,
A déjà pris des leçons ;
Et fait gaiement sans façons,
Une capriole,
Ô gué ;
Une capriole.

Il s’en va, en faisant encore une capriole.

 

 

Scène V

 

LA FOIRE, seule

 

Voilà un trésor ; mais cela ne suffit pas. Il faut une Pièce i il faut... Oh, voici donc enfin la Folie.

 

 

Scène VI

 

LA FOIRE, LA FOLIE

 

LA FOLIE, après que l’Orchestre a joué l’air : Plan, plan, plan, place au régiment de la Calotte.

Sous mes drapeaux je vous reçois,
Braves Comédiens François.
Vous servez donc, sur votre Scène,
Des mets de la table Foraine[2] ?
En quartier, pour ce beau coup-là,
À Montmartre on vous enverra,
Le cul dans une hotte !
Et plan, plan, plan,
Place au régiment de la Calotte.

À la Foire.

Ah, bonjour, grosse Maman : je vous cherchais, je l’avais oublié ; je vous vois, je m’en ressouviens. Voyons, parlons un peu d’affaires. Où en êtes-vous ? Contez-moi un peu ça.

LA FOIRE.

Il est presque temps de venir. En vérité, Madame la Folie, vous n’êtes pas sage...

LA FOLIE, l’interrompant brusquement.

Tant mieux !

LA FOIRE.

Je veux dire que vous n’y pensez pas, de m’abandonner comme vous faites. Quoi...

LA FOLIE.

Est-ce ma faute à moi ?

Air : Ma Commère quand je danse.

Je voudrons toute ma vie
Ne demeurer qu’avec vous.
J’aime votre compagnie,
Et pour moi rien n’est plus doux.
Mais vous allez,
Mais vous venez,
Mais vous allez,
Vous venez,
Vous, allez,

Tantôt au Faubourg Saint-Germain, tantôt au Faubourg Saint-Laurent ; de-là chez Monsieur votre Cousin l’Opéra[3], où je vous avais laissée. Je reviens enfin vous chercher à votre adresse ordinaire, néant ; je ne trouve ni vous, ni votre maison[4].

LA FOIRE.

Que voulez-vous ?

Air : Monsieur le Prévôt des Marchands.

La Foire est comme ces Beautés,
Qui courent de tous les côtés,
Sans en être plus estimées ;
Et qui, n’ayant plus de Chalands
Pour rétablir leurs renommées,
Déménagent à tous moments.

LA FOLIE.

Poussez, poussez la comparaison plus loin, et convenez que vous avez eu le sort de plusieurs de ces Beautés, dont le quartier du Palais-Royal a achevé de ruiner le crédit et la réputation.

LA FOIRE.

Laissons cela ; j’ai fait maison neuve : il s’agit de bien engrainer. Voyons vite ; que m’apportez-vous ?

LA FOLIE.

Ce que je vous apporte ? Moi ! Rien.

LA FOIRE.

Comment rien ?

LA FOLIE.

Quoi que ce soit.

LA FOIRE.

Air : Lanturelu.

Peste soit la bête !
Quoi ! vous n’avez pas
Quelque pièce prête ?
Que ferai-je, hélas !

LA FOLIE, se frappant le front.

N’ai-je pas ma tête,
La source de l’Impromptu ?

LA FOIRE.

Lanturelu, lanturelu, lanturelu.

LA FOLIE.

Qu’appelez-vous lanturelu ? N’avez-vous pas vu celui dont je viens d’enrichir la Comédie Française.

LA FOIRE.

Ah ! oui, à propos ! hélas ! je faisais comme le Public ; j’avais mis cela avec l’Almanach de l’an passé. Ah, diable ! vous avez raison.

LA FOLIE.

Heim ! mon Commandeur de la Rocaille, qu’en dites-vous ?

LA FOIRE, contrefaisant Armand, qui jouait ce rôle, en parlant beaucoup du nez.

Ah, ma foi, ça était beau ! ça était beau !

LA FOLIE.

Et mes Nouveaux débarqués ?

LA FOIRE, contrefaisant le même ton.

Ah, ma foi, ma foi, parfait ; ça était parfait !

LA FOLIE.

Pour la troisième Pièce...

LA FOIRE.

Ah ! ha[5] ! la verita a a a, la verita a a a ; bravo, bravo, bravo ; bene, bene, bene[6] ! Ah ! ma foi ! ma foi ! ça était beau ! ça était beau[7] !

LA FOLIE.

N’est-il pas vrai que cela était beau ?

Air : Réveillez-vous, Belle endormie.

Eh bien, d’un terrible déboire
Ce doit être un sujet pour vous,
Car enfin, Madame la Foire,
J’avais fait tout cela pour vous.

LA FOIRE.

Eh pourquoi donc m’en avoir sevrée, infidèle amie ?

LA FOLIE.

Hélas ! bien innocemment ! La Comédie Française sait si bien se travestir, et prend si bien, quelquefois, votre forme et votre figure, que les plus clairvoyants s’y trompent ; et comme je ne suis pas des plus avisées de ce monde, j’étais, comme beaucoup d’autres, dans l’erreur, quand je lui livrai ma marchandise. Mais, ma Commère, par donnons-lui cela.

Air : De tous les Capucins du monde.

Entre voisins point de rancune.

LA FOIRE, au Public.

Messieurs, plaignez mon infortune !
Cela n’est-il pas enrageant ?
Tout le monde me dévalise !
L’Opéra[8] me prend mon argent,
Et mes voisins ma marchandise !

Et une certaine Pièce comment ? Aidez-moi à dire... l’Italienne-Française[9]. N’était-ce pas encore pour moi que vous aviez fait cela ?

LA FOLIE.

Ah pour cette pièce, je ne crois pas que vous la revendiquiez.

Air : Tu croyais en aimant Colette.

C’était un ouvrage à la glace,
Qui partout n’aurait valu rien.
Ces Pièces là sont à leur place ;
Sur le Théâtre Italien.

LA FOIRE.

Que chaque Troupe ne joue-t-elle aussi son jeu ? La Française ne devait pas s’y prendre à l’Italienne, l’Italienne à la Française, et toutes les deux ne pas faire des courses de tous côtés sur moi. De quoi, surtout, s’est avisé cette Italienne, de contrefaire le Français ?

LA FOLIE.

Air : Que devant vous tout s’abaisse, etc.

Quand de Vénus on eut vu la ceinture,
Sangler en France un habit d’Arlequin ;
La Signora, jalouse outre mesure,
Crut en sangler un habit de Crispin.
Mais dans sa botte,
Dans sa culotte,
La Signora
Ma foi, s’embarrassa.

LA FOIRE.

Et Momus à cela n’aura pas gardé le tacet ?

Air : Ton himeur est Caterène.

N’a-t-il pas eu la malice
D’un peu la tympaniser ?

LA FOLIE.

Sur la tête de l’Actrice
Qui voulait crispiniser,
Momus a, pour récompense,
Changé, de sa propre main,
En calotte d’ordonnance,
La calotte de Crispin.

LA FOIRE.

Oh ça ! la belle extravagante, allons, vite, un enfant de votre façon ? Secouez-moi votre cerveau ! voulez-vous accoucher à la façon de Jupiter ; que je vous fasse donner un coup de coignée sur la tête ?

LA FOLIE.

Tout doucement, je ne l’ai déjà que trop fêlée ; et puis, la coignée n’est bonne que pour abattre du bois, elle n’a rien à faire sur la tête des femmes. Après tout, je suis bien embarrassée : je voudrais vous donner quelque chose qui vous caractérisât bien, là, qui fit dire à l’auditoire, nous sommes à la Foire.

Air : Comment faire.

Mais dans le Faubourg Saint-Germain,
Vous avez un fâcheux voisin,
Qui s’amuse à vous contrefaire ;
Dans le Marais l’on prend le ton
De ricandaine, ricandon[10],
Comment faire ?

Air : Des Rats.

Je veux, ma Commère,
Rêver là-dessus :
Je tiens votre affaire...
Je ne la tiens plus...
Attendez, voici qui va plaire...
Non, non, cela ne plairait pas...
Allons donc, mes Rats !

LA FOIRE.

Courage, animez-vous, Commère !

LA FOLIE.

Ah ! grâce à mes rats,
Nous voilà tirés d’embarras.

Deux sujets : La Recrue comique, et un Atis, en capilotade.

LA FOIRE.

Fort bien ! Un Atis encore, après celui des Italiens ?

LA FOLIE.

Air : Pierre Bagnolet.

La plaisante capilotade !
Qu’elle ne nous rebute pas.
Le cuisinier sale et maussade
Qui s’est mêlé de ce repas,
L’a fait trop gras !
L’a fait trop gras !
Le cœur, tant la sauce en est fade,
En soulève aux moins délicats.

LA FOIRE.

Air : Les Filles de Nanterre.

C’est de la contrebande ;
Mais le Public, enfin,
Aura, sur cette viande,
Passé sa grosse faim.

LA FOLIE.

Il lui faut piquer l’appétit par un nouveau ragoût.

LA FOIRE.

Air : Des Bourgeois de Chartres.

Toute mon épouvante,
De leur état briffé,
C’est que le mien ne sente,
Un peu le réchauffé.

LA FOLIE.

Oh ! j’y prendrai bien garde !

LA FOIRE.

Hélas ! je crois entendre
Chacun qui dit déjà,
Voilà,
Le pauvre Atis, rôti,
Bouilli,
Et traîné par la cendre !

Au Public.

Hélas, Messieurs,

Air : Ô reguingué, ô lonlanla.

Nous vous donnons au même prix ;
Les fions, fions, les landeriris ;
Ô reguingué ! ô lonlanla !
Mais, pour l’ancienne connaissance ;
Donnez-nous donc la préférence !

Oh ça, des Acteurs maintenant.

LA FOLIE.

Ne tous en ai-je pas envoyé déjà d’excellents ?

LA FOIRE.

Le bel envoi, assurément ! un Bègue, un Boiteux, un Bossu ; j’ai tout envoyé au Diable.

LA FOLIE.

Mal-à-propos ! très mal-à-propos ! voilà, les Acteurs qu’il faut, pour exécuter des Pièces estropiées, comme les miennes. Que devenait mon Impromptu[11], aux Français, sans le secours d’un Nasillard, d’un Bredouilleur, et d’un Baragouin ? Et mon Arlequin femelle ?

LA FOIRE.

Oh peste ! celle-là, je l’ai gardée !

LA FOLIE.

C’est de l’or en barre, cela ; diable ! Allons, vaille que vaille, ma Suite suppléera au reste.

Air : Du Fleuve d’Oubli.

Troupes de mon domaine,
Qui suivez mes drapeaux !
Ô, ô, ô, ô !
Paraissez sur la Scène,
Quintes et Vertigos !
Ô, ô, ô, ô !
Faites triompher la Foire,
Et que tout chante ici,
Biribi,
Notre gloire.

 

 

Scène VII

 

LA FOIRE, LA FOLIE, TROUPE DE QUINTES et DE VERTIGOS

 

Entrée de Quintes et de Vertigos.

UNE QUINTE, chante.

Amants, votre fortune est toujours incertaine !
Elle tourne à tous vents, elle approche, elle fuit.
Une Quinte vous la ravit :
Un Vertigo vous la ramène.

La danse reprend, et est entrecoupée du Vaudeville suivant.

Vaudeville.

LA FOLIE.

Accourez, Jeux, Ris et Grâces !
Que l’ennui soit fait capot !
Vous devez suivre mes traces,
Et c’est ici mon tripot ;
Tourelou, tourelou, tourelouribo,
Le drôle de Vertigo !

UNE QUINTE.

Souvent, sans raison Georgette
Se fâche contre Guillot ;
Guillot enfle sa musette,
Elle s’apaise aussitôt.
Tourelou, tourelou, tourelouribo,
Le drôle de Vertigo !

UN VERTIGO.

Damis enferme sa femme ;
Elle vivait comme il faut :
L’ennui fait rêver la Dame ;
Le Jaloux en est le sot.
Tourelou, tourelou, tourelouribo,
Le drôle de Vertigo !

UN PAYSAN.

Je sens mon feu qui redouble,
Quand je sis près de Margot ;
Je soupire, elle se trouble :
Et pis je ne disons mot.
Tourelou, tourelou, tourelouribo,
Le drôle de Vertigo !

LA FOIRE.

Cothurne, l’on vous déchausse ;
Melpomène est en sabot :
Elle a mis le haut-de-chausse
D’Arlequin et de Pierrot.
Tourelou, tourelou, tourelouribo
Le drôle de Vertigo !

La danse reprend, et le Prologue finit.

 

 

PARODIE

 

 

Scène première

 

SANGARIDE, ATIS

 

ATIS, ivre.

Air : Belle Brune.

Sangaride !
Sangaride !
J’ai le cœur tout plein de toi.

SANGARIDE.

Oui, quand ta bouteille est vide.

ATIS.

Sangaride !
Sangaride !

Air : Lampons.

Quelque déplaisir secret
Met de travers ton bonnet :
Lorsque l’ennui nous obsède ;
J’y connais un bon remède,
Lampons !
Lampons !
Sangaride, lampons.

SANGARIDE.

Air : Non j je ne ferai point ce qu’on veut que je fasses.

Atis, vous n’aimez point, et vous en faites gloire ;
Ou bien, si vous aimez, hélas ! c’est donc à boire !

ATIS.

Oui, quand je passe un jour sans boire, par ma foi,
Sangaride[12], ce jour est un grand jour pour moi !

SANGARIDE.

Adieu, sac-à-vin ; adieu.

Elle veut s’en aller ; Atis l’arrête.

ATIS.

Air : Ton himeur est Catherène.

Oh, parbleu je te veux suivre !

SANGARIDE, le repoussant.

Qu’un homme ivre est ennuyeux !

ATIS.

C’est pourtant, quand je suis ivre,

Il fait un hoquet.

Que je soupire le mieux :
Ce n’est qu’à jeun, Sangaride,
Qu’Atis est indifférent.

SANGARIDE.

Pour un ivrogne, perfide !
Je vous trouve à jeun souvent.

ATIS.

Ah, parbleu ! je n’y suis pas maintenant ! vous savez ce que je viens de vous offrir, en entrant.

SANGARIDE

Air : Va-t’en voir s’ils viennent, Jean.

J’aurais, en d’autres instants,
Trouvé l’offre honnête ;
Mais, c’est bien prendre son temps,
Quand la noce est prête !
Et viens-t’en voir la fête,
Jean !
Viens-t’en voir la fête !

ATIS, brusquement.

Air : Gascon.

Diga, Jeannette,
Ti voli marida ?
Larirette !
Diga, Jeannette,
Ti voli marida ?

SANGARIDE.

Oui, couquis, mi voli marida ; et si tu veux savoir avec qui, c’est avec Célénus, avec ton maître.

Air : Un petit moment plus tard.

Le lit nuptial est tout prêt...

ATIS.

Ah ! quelle disgrâce !

SANGARIDE.

Et Célénus a déjà fait
Bassiner sa place.
Adieu ; je m’en vais gaiement
Où je suis attendue :
Tu me peux, dans un moment,
Compter (bis) perdue !

ATIS.

Air : Non, je ne ferai point.

Non, tu ne feras point ce qu’on veut que tu fasses ?

SANGARIDE.

Je le ferai comme je le dis.

ATIS.

Me préférer un vieux Pénard comme cela !

Air : Les Filles de Nanterre.

Je vois ce qui t’enchante ;
C’est qu’il est grand Seigneur.

SANGARIDE.

Le bon vin me supplante
Dans ton volage cœur.

ATIS.

Air : Les Insulaires.

Quoi ! pour du bien tu deviens infidèle ?

SANGARIDE.

Quoi ! pour du vin tu me manques de foi ?

ATIS.

Vous changez donc ainsi, Beauté cruelle !

SANGARIDE.

Tu me trahis, et comment ? Et pourquoi ?

ATIS.

Ce n’est pas moi !

SANGARIDE.

Ce n’est pas moi !

ATIS et SANGARIDE.

Ce n’est pas moi.
Mais c’est toi,
Mais c’est toi,
Qui pour du { bien } me deviens infidèle.
                    { vin   }
Qui pour du { bien } m’ose manquer de foi.
                    { vin   }

ATIS.

Eh bien, promets-moi donc que nous nous verrons, malgré le mariage.

SANGARIDE.

Volontiers ; mais n’y aura-t-il point de danger pour ma gloire ?

ATIS.

Vous ne vous souvenez donc plus de ce que vous me disiez tantôt.

Air : Quand le péril, etc.

Quand le péril est agréable...

Il change d’air.

Gnia pas d’mal à ça,
Gnia pas d’mal à ça.

SANGARIDE.

Paix ! J’entends Cybèle et Célénus qui remuent dans la chambre haute.

Fuyons, fuyons, séparons-nous[13],
La Vieille va descendre.

ATIS.

Allons, allons, enivrons-nous,
Le vin me rend plus tendre.

 

 

Scène II

 

CYBÈLE, CÉLÉNUS, SANGARIDE

 

CYBÈLE, à Célénus.

Illustre fils du Dieu de la mer, vous faites trop d’honneur à la fille d’un petit ruisseau, de vouloir bien l’épouser.

À Sangaride.

Air : Le Branle de Metz.

Sangaride, la fortune
Qui te donne à Célénus,
T’élève bien au-dessus,
De ta naissance commune.
Rends lui grâce, et songe bien
Qu’il est bâtard de Neptune ;
Son père est noble, et le tien
Portait de l’eau chez le sien.

CÉLÉNUS.

Air d’Opéra : Un grand calme est trop fâcheux.

Venez, nous vivrons heureux,
J’ai l’humeur peu remuante :
Dans une paix innocence,
Nous dormirons tous les deux.

SANGARIDE.

À quoi sert une eau dormante ?
Un grand calme est trop fâcheux :
Nous aimons mieux la tourmente.
La Jeunesse aime le bruit et le mouvement.

Air : Vous en venez.

D’abord, un grand bal à ma noce ;
Nous verrons, avec votre bosse,
Comment vous vous en tirerez :
Vous danserez,
Vous danserez ;
Avec moi vous y danserez,
Vous la danserez.

CÉLÉNUS.

Air d’Atis : La Beauté la plus sévère.

Mais le moindre pas me coûte,
Je ne vais plus sans broncher.
L’eau qui tombe goutte-à-goutte,
Creuse le plus dur rocher.
Le temps vient, l’âge nous gèle.

SANGARIDE.

Nous aurons du feu tout prêt.

CÉLÉNUS.

Doucement, Mademoiselle,
Chez nous autres, comme on sait,
Le feu vient quand on l’appelle,
Et chez vous quand il vous plaît.

CYBÈLE.

Vous vous accommoderez bien. Sangaride, allez toujours devant ; allez réchauffer la place.

 

 

Scène III

 

CÉLÉNUS, CYBÈLE

 

CYBÈLE.

Air : Lonlanladeriri.

Vous aurez-là, pour un Barbon,
Diablement d’occupation,
Lonlanladeritte ;
Et moi j’en veux avoir aussi,
Lonlanladeriri.

Air : Des Trembleurs.

Quoique vieille qui roupille,
Que le menton me brandille,
Que je porte une béquille,
Et sois Grand’mère des Dieux :
Comme à quelque jeune fille,
Le petit cœur me frétille,
Et je sens bien qu’un bon drille,
Me le rendrait tout joyeux.

CÉLÉNUS.

Air : Vos beaux yeux, ma Nicole.

Vous charmerez, Madame,
Quiconque vous plaira.

CYBÈLE.

Certain objet m’enflamme.

CÉLÉNUS.

Quel est cet objet-là !

CYBÈLE.

Votre Valet... lui-même,
C’est Atis ; et je veux
Qu’il sache que je l’aime.

CÉLÉNUS.

Atis est trop heureux !

CYBÈLE.

Air : Les Filles de Nanterre.

Ma beauté décrépite,
Va le rendre amoureux :
Envoyez le moi, vite.

CÉLÉNUS.

Atis est trop heureux !

 

 

Scène IV

 

CYBÈLE, seule

 

Air : J’entends déjà le bruit des armes.

Sommeil ! descendez sur la terre ;
Venez ici, Dieu des pavots ;
Mais en venant, n’allez pas faire
Une descente mal-à-propos,
Sur les Loges et le Parterre,
Ainsi qu’aux Opéra nouveaux.

Tendrement.

Doux sommeil[14].

 

 

Scène V

 

CYBÈLE, LE SOMMEIL

 

LE SOMMEIL, du même ton que Doux sommeil, en entrant sur le Théâtre languissamment.

Me voilà !

CYBÈLE.

Pardon ; je vous tire peut-être de quelque lit de repos, où vous vous trouviez mieux qu’ici.

LE SOMMEIL.

Air : Du Cap de Bonne-Espérance.

Non, j’étais à l’Audience,
Et sur des gens à rabat,
J’étendais là ma puissance,
Sous un habit d’Avocat :
Je n’avais plus rien à faire,
Quand votre voix qu’on révère,
M’a tout fait abandonner ;
Car on allait opiner.

Air : M. le Prévôt des Marchands.

De quoi s’agit-il ?

CYBÈLE.

En dormant,
D’entretenir obligeamment
Le bel Atis, qui va paraître,
De tout ce que ressent mon cœur,
Dont l’Amour l’a rendu le maître.

LE SOMMEIL.

Vous me faites bien de l’honneur.

CYBÈLE, minaudant.

Air : Je ne suis né ni Roi ni Prince.

Faites qu’à m’aimer tout l’engage :
Présentez-lui bien mon image ;
Mettez, s’il vous plaît, tous vos soins
À peindre ma beauté divine.

Elle s’en va et revient.

Mais que mon image du moins,
Ne fasse pas la libertine.

LE SOMMEIL.

Et Atis ?

CYBÈLE.

Air : N’oubliez pas votre houlette.

Qu’Atis, ainsi que mon image.
Soit sage ;
Qu’il s’en tienne au respect.
Je ne veux pas que mon portrait
Le divertisse à mon dommage :
Qu’Atis, ainsi que mon image,
Soit sage :
Songea-y, s’il vous plaît.

Elle s’en va.

LE SOMMEIL.

Air : Tarare, pompon.

Vous serez tous, les deux retenus et modestes.

 

 

Scène VI

 

LE SOMMEIL, seul, poursuivant l’Air

 

Phantaze et Phobetor, venu prendre ma loi !
Venez, Courriers célestes,
Faire ici votre emploi !
Songes gais, et funestes
À moi !

 

 

Scène VII

 

LE SOMMEIL, UN SONGE agréable

 

LE SOMMEIL.

Bon, voici déjà un Songe agréable.

LE SONGE agréable, arrivant en courant.

Par ma foi, vous êtes cause que voilà une pauvre fille au désespoir.

LE SOMMEIL.

Pourquoi donc ?

LE SONGE agréable.

Air : Amis, sans regretter Paris.

Je la parais d’un vêtement,
Des plus brillants qu’on mette ;
Et lui faisais voir un amant,
Entrant dans sa chambrette.

LE SOMMEIL.

Oui ; voilà tout ce que rêve une fille, de la parure, et des amants. Et où en était le songe, quand je vous ai appelé ?

LE SONGE agréable.

L’amant s’émancipait.

LE SOMMEIL.

Et la fille ?

LE SONGE agréable.

Air : Et surtout prenez bien garde à votre cotillon.

D’abord elle trouvait fâcheux,
Qu’on fripât ses beaux habits neufs :
Mais j’ai quitté, quand le Tendron
Se lassait de prendre garde
À son beau cotillon.

LE SOMMEIL.

Ce songe-là trouvera bien son dénouement sans vous. Ah ! voici un mauvais Songe. D’où vient-il lui ?

 

 

Scène VIII

 

LE SOMMEIL, UN SONGE agréable, UN SONGE funeste

 

LE SONGE funeste.

Air : Joconde.

Je sors de chez un Procureur,
À qui je faisais croire,
Que des Brigands, avec fureur,
Enfonçaient son armoire.
Il crie à présent, au voleur,
Dans une peine extrême :
Et ce cri n’est pas une erreur ;
Car il se tient lui-même.

Le Songe, en disant ce dernier vers, se prend par le bras.

Mais parlez donc, Monsieur le Sommeil, ne m’allez pas donner de sottes commissions.

LE SOMMEIL.

Quelles commissions ?

LE SONGE funeste.

Air : L’autre jour j’aperçus.

Sans cesse vous voulez, qu’en songe,
Je montre à des maris bourrus,
Leurs femmes les faisant cocus :
Moi, qui suis ami du mensonge,
Je crois les tromper ; et je sais
Que tous ces rêves sont trop vrais.

LE SOMMEIL.

Vous ferez ce que vous aurez ordre de faire.

Air : De Vendôme.

Paix là ; paix ! taisez-vous !
Le bel Atis vient à nous.
Silence !
Silence !

Le Sommeil et les Songes se retirent.

 

 

Scène IX

 

ATIS, seul

 

Il entre avec un verre et une bouteille à la main, en dansant.

Air : Ah ! Philis, je vous vois.

Que le jus de la treille est charmant !
Plus j’en bois, plus j’aime tendrement :
Mon cœur était indifférent ;
Je le sens maintenant.
Vive le vin ! Plus on boit, plus on aime,
J’en boirai tant, j’en avalerai tant.

Il change d’air en versant dans son verre.

Air : De Vendôme.

Tant et tant !
Tant et tant !
Que je deviendrai constant.
Rasade !
Rasade !

Il change d’air.

Air : Ramonez-ci.

À ta santé, vieux Druide
Qui dors avec Sangaride !
Réveillez-vous, vieux Papa,

Il boit.

Ramonez-ci, ramonez la, la, la, la,
La cheminée...

Il change d’air.

Air : Du haut en bas.

Du haut en bas,
Nous vous ajusterons la tête,
Du haut en bas :
Les cornes n’y manqueront pas.

Air : Ah, que Colin l’autre jour me fit rire.

Car, à la barbe du Dieu d’Hyménée,
Sangaride et moi, dans cette journée,
Nous nous sommes promis cela ;
A aa, a a a, a a a a a.

Il fait des esses, et change d’air.

Air : Dondaine, dondaine.

Mais, je fais des esses déjà, (bis.)
Et je parle bredi breda ;
Je bâille !
Je bâille !
Dormons sur ce lit là,
Vaille que vaille.

Il se couche sur un banc.

 

 

Scène X

 

LE SOMMEIL, UN SONGE agréable, UN SONGE funeste, ATIS endormi

 

LE SOMMEIL, assis à la tête d’Atis, chante lentement.

Dormez ! beaux yeux qu’on adore !

Il change d’air, et chante toujours lentement.

Dormez paisibles !
On fera bien du fracas,
Des sauts et des cris terribles :
Mais ne vous réveillez pas.

Danse d’un Songe agréable.

UN SONGE agréable, à Atis.

Air : La Ceinture.

Bel Atis ! rendez grâce aux Dieux ;
Votre fortune est sans seconde ;
Vous avez charmé les beaux yeux
De la bisaïeule du monde !

ATIS, dormant chante.

Ah ! ah ! Cybèle a bon air !
La peste ! qu’elle a bon air !
Ah ! Ah !

Il s’interrompt pour ronfler.

UN SONGE agréable.

Air : Nanon dormait.

D’un nouveau feu,
Animez-vous pour elle !
Car c’est trop peu,
Que d’honorer Cybèle,
Et que de l’estimer ;
Il faut...
Il faut...

ATIS, dormant, chante.

Air : J’entends le moulin, tique, tique, tac.

Hélas ! Mon dieu ! je sais ce qu’il lui faut.
J’entends...

Il s’interrompt pour ronfler.

LE SONGE agréable, finit l’air qu’il a commencé, et qu’Atis a interrompu.

Il la faut encor plus aimer.

La bonne Vieille veut de la tendresse ; c’est là sa marotte.

La danse des Songes agréables reprend.

UN SONGE funeste, le pistolet sur la gorge d’Atis, endormi.

Air...

Garde-toi de faire le rebelle !
Garde-toi d’imiter les ingrats !
Songe bien à cajoler Cybèle !
Autrement tu t’en repentiras !
Tu ne pourras pas
Fuir le trépas :
Si tu ne fais cas,
De ses appas,
Tu périras !
Songe bien que tu périras.

CHŒUR.

Tu ne pourras pas
Fuir le trépas :
Tu périras !
Si tu ne fais cas
De ses appas,
Tu périras !
Songe bien que tu périras !

Danse des Songes funestes.

LE SONGE funeste.

Air : Quand on obtient ce qu’on aime.

Il faut qu’on l’aime ou qu’on crève !
L’on t’offre, l’on t’offre le choix, bis.

CHŒUR.

Il faut qu’on l’aime ou qu’on crève !
L’on t’offre, l’on t’offre le choix, (bis.)

La danse des Songes funestes reprend : après quoi, le Chœur répète deux fois encore.

Il faut qu’on l’aime, ou qu’on crève :
L’on t’offre, l’on t’offre le choix.

Le Songe funeste tire son pistolet, renverse le banc sur lequel Atis dort, et tout disparaît.

 

 

Scène XI

 

ATIS, seul, courant de côté et d’autre, comme un homme effrayé

 

Air : Pour la Baronne.

Miséricorde !
Que Diable viens-je de rêver !
Quoi sans que de rien l’on démorde,
Aimer une Vieille, ou crever !
Miséricorde !

 

 

Scène XII

 

CYBÈLE, ATIS

 

CYBÈLE, tendrement, et prenant Atis par le menton.

Air : Petits oiseaux, rassurez-vous.

Petit moineau, rassurez-vous !

ATIS.

Ah, Madame ! vous me voyez encore tout effaré d’un songe apéritif...

Air : C’est une médisance.

De grands vilains loups-garous,
Voulaient m’assurer que vous...
Mais, c’est une médisance.

CYBÈLE.

Poursuivez, sans répugnance ;
On ne vous a point flatté.
Ce qu’ils ont dit je le pense :
C’est la pure vérité.

Elle change d’air.

Air : Ah, Philis, je vous vois, je vous aime.

Oui, cher Atis : je vous veux, je vous aime ;
Si je vous ai, je vous aimerai tant !

Et c’était pour vous déclarer mon amour que je viens de vous envoyer le Sommeil, et les Songes qui vous ont fait si peur.

ATIS.

Pardi, Madame, il est bon là.

Air : Éveillez-vous, Belle endormie.

Pourquoi, si vous le vouliez dire,
Comme vous faites, tout de go,
M’exposiez-vous, pour m’en instruire,
À pisser de peur, au dodo.

CYBÈLE.

Air : Vivons pour les fillettes.

Ne te fâche pas, mon poupon, (bis.)
Ta maman te va faire un don,
Qui te fera bien aise.

ATIS.

Eh fi ! que Diable me pouvez-vous donner ?

CYBÈLE.

Un joujou qui t’apaise,
Joujou,
Un joujou qui t’apaise.

ATIS.

Voyons donc un peu ce beau joujou là.

CYBÈLE.

C’est une baguette, avec laquelle tu feras tout ce que tu voudras. Tu n’auras qu’à souhaiter ; sur le champ, tu seras satisfait. Je vais te le chercher, et je reviens.

 

 

Scène XIII

 

ATIS, seul

 

Oh, Diable ! c’est une autre affaire ceci ! Oh bien, puisque je n’aurai qu’à souhaiter, sourions Sangaride au nouveau marié !

Air : Ma raison s’en va beau train.

Elle est au lit nuptial,
Auprès de mon vieux rival,
Qui l’y tient gratis :
Crac, auprès d’Atis,
Tout à l’heure elle saute.
Et pour la mettre à rémotis,
Zeste, je l’escamote !
Lonla,
Zeste, je l’escamote !

 

 

Scène XIV

 

CYBÈLE, ATIS

 

CYBÈLE, donnant une baguette à Atis.

Air : Je reviendrai demain au soir.

Atis, recevez ce présent ;
Vous voilà tout-puissant ! (bis.)
Vous n’avez plus rien qu’à vouloir.

ATIS, en s’en allant.

C’est ce que je vais voir. (bis.)

 

 

Scène XV

 

CYBÈLE, seule

 

Et moi, je vais voir à quoi tu emploieras le don précieux que je te fais.

D’un air tendre.

Air : La beauté, la rareté, la curiosité.

Peut-être à me trahir ! je crains de Sangaride,
La beauté !
Enrichir un galant, sans en taire un perfide !
La rareté !
J’ai, de voir, où d’abord la baguette le guide,
La curiosité.

Mes Démons ont un ordre secret. Dès qu’ils lui auront obéi de le transporter dans cet appartement. Il y doit être déjà. Voyons...

Elle veut s’approcher du trou de la serrure pour y regarder.

 

 

Scène XVI

 

CÉLÉNUS, CYBÈLE

 

CÉLÉNUS, habillé en manteau de lit, et à peu près comme M. de Sottenville, entre, comme un forcené, en criant.

Arrête ! arrête ! arrête ! au voleur ! ah ! Madame ! aidez-moi ! courons après !

CYBÈLE, avec un air effrayé.

Après qui ?

CÉLÉNUS, courant de tous côtés.

Je ne sais pas !

CYBÈLE.

De quel côté ?

CÉLÉNUS.

Je n’en sais rien.

CYBÈLE.

Air : De quoi vous plaignez-vous.

Ah quel effroi jaloux,
Vient s’emparer de mon âme ?
Parlez donc, dites-nous,
De quoi vous plaignez-vous ?

CÉLÉNUS.

Hélas ! le Diable, Madame.

CYBÈLE, l’interrompant.

Le Diable ! eh bien, Célénus ?

CÉLÉNUS.

Vient d’emporter ma femme !

CYBÈLE, courant regarder au trou de la serrure.

Le Diable aura fait plus !

CÉLÉNUS, au-devant du théâtre, sans songer à ce que devient Cybèle.

On allait la déshabiller !
Et d’un œil qui déjà dévorait mon espoir[15],
Je m’enivrais, hélas ! du plaisir de la voir.

Air : Adieu Panurs.

Ses jarretières étaient défaites,
J’allais voir un petit pied-nu :
Tout-à-coup elle a disparu.

CYBÈLE, qui a regardé tout ce temps-là par la porte, revient toute furieuse, et chante en faisant tomber Célénus.

Adieu Paniers, vendanges sont faites !

CÉLÉNUS, se relevant.

Mordienne de vous ! vous m’avez fait une bosse au front.

CYBÈLE, courant çà et là.

On t’en va faire bien d’autres, vas ; on va t’en faire bien d’autres !

CÉLÉNUS.

Air : Je reviendrai demain au soir.

Que voulez-vous dire ? et pourquoi
Le trouble, où je vous vois ? (bis.)

CYBÈLE.

Oh ! pour le coup, chantons tous deux :
Atis est trop heureux ! (bis.)

CÉLÉNUS.

Atis ? Comment ?

CYBÈLE.

Atis est là-dedans avec votre femme ; et c’est lui qui vous l’a prise.

CÉLÉNUS.

Mon valet !

CYBÈLE.

Lui-même.

Air de l’Opéra d’Atis : Un grand calme est trop fâcheux.

Le pendard est amoureux
De ma chienne de servante :
Je les ai vus par la fente,
Qu’ils se moquaient de nous deux.

Elle change d’air.

Mais tiens la bien, tandis que tu la tiens,
Tu ne la tiendras plus guère.

CÉLÉNUS.

Comment ? il ne la tiendra plus guère.

Air : Voici les Dragons qui viennent.

Qu’il ne tienne la traitresse,
Plutôt point du tout !
Madame, la chose presse,
Et de près, vous intéresse ;
Et moi itou !
Et moi itou !

CYBÈLE.

Air : Ahi, ahi, Jeannette.

De leurs perfides amours
J’avais quelque défiance.

CÉLÉNUS.

Oh ! babillez donc toujours !
Cependant le mal avance ;
Ahi ! ahi ! ahi !
Ahi ! ahi ! ahi la tête !

CYBÈLE.

Qu’ils paraissent ici tous les deux ; tout à l’heure.

 

 

Scène XVII

 

CYBÈLE, CÉLÉNUS, ATIS, SANGARIDE

 

ATIS, sans chapeau et tout surpris.

On voit bien que j’étais servi par les valets du Diable, qui en font plus qu’on ne leur eu dit. D’où vient diantre nous trouvons-nous ici ?

CYBÈLE.

Vous ne deviniez pas que je vous ferais enfermer tous les deux chez moi ?

Air : Lonlanla landerirette.

Ah ! Ah ! bonnes gens, vous voilà !

À Atis.

Toi, tu fais donc comme cela
L’essai de ta baguette ?

ATIS et SANGARIDE.

Nous vous crions tous deux, merci !

CÉLÉNUS et CYBÈLE.

Lonlanla deriri.

CYBÈLE, seule.

Air : Je ne suis né ni Roi ni Prince.

Point de merci, couple infidèle !

ATIS.

Vous enfermez, Dame Cybèle,
Le chat dans le garde-manger ;
Et quand l’eau lui vient à la bouche,
Qu’il voit du fromage à gruger,
Vous ne voulez pas qu’il y touche.

ATIS et SANGARIDE.

Morguienne de vous !
Quell’femme, quell’femme !
Morguienne de vous !
Quell’femme êtes-vous ?

CÉLÉNUS, à Atis.

Pendu, coquin, pendu ! pour vol domestique.

ATIS.

Air : Talaleri.

Je n’ai rien volé, sur mon âme.

CÉLÉNUS.

Voyez un peu l’homme de bien !
Scélérat, tu me prends ma femme :
Appelles-tu donc cela rien ?

ATIS et SANGARIDE.

Bon, bon, ce n’était que pour rire
Talaleri, talaleri, talalerire.

CÉLÉNUS.

Air : Que faites-vous Marguerite.

Une chose m’assassine,
C’est de le voir sans chapeau.

ATIS et SANGARIDE.

Nous vous jurons...

CYBÈLE, à Sangaride.

Paix, coquine
Vous aimez trop le duo.

Air : Des fraises.

Vos discours sont superflus :
Allons, point d’indulgence !

CÉLÉNUS.

Nos intérêts confondus,
Vous demandent là-dessus,
Vengeance,
Vengeance,
Vengeance !

CYBÈLE.

Air : Des sept sauts.

Alecton, quittez votre chaudière,
Et laissez tisonner vos deux Sœurs !
Accourez ; et qu’un brûlant clystère,
À ce drôle inspire vos fureurs.

À Atis.

Vas, vas, tu vas voir beau jeu !

Alecton sort par une trappe, avec une seringue, au bout de laquelle est une fusée, et poursuit Atis comme on poursuit M. de Pourceaugnac.

ATIS, fuyant.

Ah ! que vois-je, ventrebleu !
Au feu ! au feu ! au feu !
Au feu ! au feu !
Au feu !

 

 

Scène XVIII

 

TOUS LES ACTEURS de la Scène précédente, hormis ALECTON

 

ATIS, entrant en fureur, crie.

Air : Ma raison s’en va beau train.

Quel éclat de tonnerre !

Il change d’air.

Air : À boire, à boire, à boire !

Je vois les deux, la terre,

Il change d’air.

Air : Sans-dessus-dessous.

Tourner de la belle manière,
Sans-dessus-dessous, sans-devant-derrière,
Et vous autres, je vous vois tous,
Sans-devant-derrière, sans-dessus dessous.

Air : La jeune Isabelle.

Le trou du Tartare
S’ouvre dessous moi !

Prenant Cybèle pour Sangaride, et Sangaride pour un monstre.

Sangaride, gare !
Gare ! Sauve-toi
De ce monstre infâme
Qui s’avance à nous !

SANGARIDE, à Cybèle.

Un monstre ! ah, Madame !
Il me prend pour vous.

Air : Le beau Berger Tircis.

Tendrement.

Atis ! mon cher Atis !...

ATIS, se cachant derrière Cybèle, et faisant la mine que faisait le garde-moulin aux Enragés, comme s’il contrefaisait le monstre qu’il croit voir en Sangaride.

Air : De la bouche de vérités et dedans la rage d’amour : prends garde à mes dents.

Ah ! vois-tu ses dents !
Sa gueule avide !

SANGARIDE, continuant son air.

Je suis ta Sangaride !

ATIS, continue son air, avec les mêmes grimaces.

J’entrerais tout brandi dedans !

SANGARIDE, continuant toujours son air tendrement.

Rappelle donc tes esprits !

ATIS, continuant le sien.

Quels hurlements !
Ah, Dieux ! ses deux prunelles
Sont comme deux chandelles !
Prends garde à ses dents.

Sangaride lui tend les bras.

Air : Des Fraises.

Ah, vois-tu ! vois-tu ! vois-tu !
Les griffes qu’il dégaine !
Comme il a l’ongle pointu !
Turlututu, tu, tu,

Prenant le bâton de Célénus, qui s’enfuit, avec Sangaride, après laquelle il court.

Rengaine !
Rengaine !
Rengaine !

 

 

Scène XIX

 

CYBÈLE, LE CHŒUR

 

CYBÈLE.

Air : Ziste, Zeste, point d’chagrin.

Ziste, zeste, à coups d’tricot,
Tape-lui, tape-lui, tape-lui la gueule :
Ziste, zeste, à coups d’tricot,
Tape-lui la gueule, comme il faut.

LE CHŒUR.

Ziste, zeste, à coup d’tricot, etc.

CYBÈLE.

Voilà qui est bien ! redeviens maintenant raisonnable, tant que tu voudras.

 

 

Scène XX

 

CYBÈLE, LE CHŒUR, ATIS

 

ATIS.

Air : Blaise revenant des champs.

Le sens que j’avais perdu,
M’est revenu, (bis.)
Sangaride ! où donc es-tu ?

CYBÈLE.

Atis, a lui-même,
Rossé ce qu’il aime.

LE CHŒUR.

Atis, a lui-même,
Rossé ce qu’il aime.

ATIS.

Même air.

Qu’entends-je ? Que me dit-on ?
Quoi ! tout de bon, (bis.)
Je suis un joli garçon !

CYBÈLE.

Atis, a lui-même,
Rossé ce qu’il aime.

LE CHŒUR.

Atis, a lui-même,
Rossé ce qu’il aime.

ATIS, en colère.

Air : Le fameux Diogène.

Oh bien, puisque moi même,
J’ai rossé ce que j’aime ;
Il faut, à tour de bras,
Il faut maudite Rosse,
Que maintenant je rosse,
Ce que je n’aime pas.

Il se veut jeter sur Cybèle, qui l’enferme dans un cercle qu’elle décrit avec sa baguette, et qui le cloue justement sur tendrait où il doit être changé en tonneau.

CYBÈLE.

Air : Ahi ! ahi ! ahi ! Jeannette.

Avec moi l’on n’y va pas,
Si vite qu’on s’imagine ;
Tu ne pourras faire un pas,
Hors du rond que je dessine.

ATIS.

Ahi ! ahi ! ahi !
Mes deux pieds prennent racine,
Ahi ! ahi ! ahi ! ahi ! ahi !

CYBÈLE.

Oh ça, il n’y a plus ici à barguigner.

Air : Adieu, voisine.

Dussé-je d’un long repentir,
Essuyer le déboire ;
Point de quartier ! il faut choisir
Le trépas, ou la gloire.
M’aimer toute à l’heure, ou périr.

ATIS.

J’aime mieux boire.

CYBÈLE.

Air : Chantez petit Colin.

Le petit sac à vin !

ATIS.

La vilaine carogne !

CYBÈLE.

Puisque tu veux de vin,
Toujours avoir le ventre plein ;
Vas-t-en, vilain ivrogne !
Vas rouler en Bourgogne !
Ennemi de l’eau,
Laisse-là ta peau,
Deviens un tonneau.

ATIS, devenant tonneau.

Air : Boire à mon tirelire.

Mes malheurs en ceci,
Sont moins grands que bien d’autres.
Buveurs, venez ici,
Pour oublier les vôtres !
Empressez-vous !
Accourez-tous,
Boire à mon tirelirelire,
Boire à mon toureloureloure,
Boire à mon tour.

Il devient tout-à-fait tonneau, avant que d’achever.

 

 

Scène XXI

 

Entrée d’IVROGNES

 

Leur danse est entrecoupée du Vaudeville suivant.

Vaudeville.

UN IVROGNE.

Si jamais le Destin,
Par un caprice étrange,
Me punit d’avoir aimé le vin,
J’aime mieux qu’il me change
En tonneau, qu’en sapin.
Trinque, tope, ô gué ! tin, tin, tin !
Je voudrais être toujours plein.

Quand l’aimable Catin,
Veut faire la cruelle ;
Pense-t-on que j’en sois plus chagrin ?
Non, non, je me ris d’elle,
En buvant de bon vin.
Trinque, tope, ô gué, tin, tin, tin !
Qui boit se moque du Destin.

L’Opéra met en vain,
Du nouveau sur la Scène :
Ce serait grand pitié du Cousin,
Sans la musique ancienne,
Et notre pot de vin.
Trinque, tope, ô gué, tin, tin, tin !
Il ne vit plus que de gratin.

Le Cabaret Forain,
De celui d’Italie,
Pense et parle, avec un fier dédain.
L’Italien décrie,
Le Cabaret forain.
Trinque, tope, ô gué, tin, tin, tin !
Et c’est partout le même vin.


[1] Depuis qu’on avoir vu le petit Arlequin faire la capriole dans Thimon, le Parterre lui ordonnait, à la fin de toutes les Pièces, de la faire. Et quand on vit Mademoiselle LEGRAND faire l’Arlequin, dans l’Impromptu de la Folie, dans le goût du petit THOMASSIN, on lui ordonna, à la fin de la Pièce, la capriole. Elle obéit.

[2] L’Impromptu, de la Folie était une Pièce, ou, pour mieux dire, une Farce de bas aloi, qui n’aurait pas été bonne pour la Foire, faute d’Acteurs qui l’eussent pu relever, comme aux Français ; il n’y avait qu’une voix là-dessus.

[3] La dernière Foire avait fini par trois représentations de mon Fâcheux Veuvage sur le Théâtre de l’Opéra.

[4] On venait d’abattre l’ancienne Loge de l’Opéra-Comique à la Foire Saint-Germain, pour faire un marché ; et c’était, pour la première fois, qu’il s’établissait à la rue de Bussi, Ce Prologue-ci eut l’étrenne de la nouvelle Loge.

[5] Imitant la petite LEGRAND, qui avait parfaitement imité la Cantatrice de la Comédie Italienne.

[6] Imitant ARMAND, qui avait parfaitement imité Pantalon.

[7] Du nez, comme le Commandeur.

[8] Le privilège de l’Opéra-Comique valait à l’Opéra 2 000 livres par an.

[9] Les Italiens, piqués que les François les eussent imités, donnèrent une Pièce Françoise, où Flaminia faisait Crispin. La Pièce tomba.

[10] On jouait aux Italiens une Parodie d’Atis, en Opéra-Comique, où, entre autres obscénités, se trouvait un couplet sur l’air de Ricandon.

[11] L’Impromptu de la Folie dut son succès au nasillement du Commandeur de la Rocaille, à l’imitation du baragouinage de Pantalon, et au bredouillement d’un Notaire, parlant vite, représenté par POISSON.

[12] Vers de l’Opéra.

[13] Parodié de l’Opéra d’Atis.

[14] Parodie de l’air bachique : Doux sommeil, endormez les Amants misérables.

[15] Vers d’Andromaque.

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