Arlequin roi de Serendib (Alain-René LESAGE)

Pièce en trois actes.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de la Foiré Saint-Germain, le 3 février 1713.

 

Personnages

 

ARLEQUIN, roi de Serendib

MEZZETIN, en grande-prêtresse

PIERROT, en suivante de Mezzetin

LE GRAND-VIZIR

LE GRAND-SACRIFICATEUR

SUITE du grand-sacrificateur

TROUPE de prêtresses

TROUPE de femmes du sérail

LE CHEF des eunuques

TROUPE d’officiers du palais

UN PEINTRE

UN MÉDECIN

TROUPE de voleurs, avec leurs femmes

 

La scène est dans l’île de Serendib.

 

 

ACTE I

 

Le théâtre représente une solitude où l’on voit des rochers escarpés.

 

 

Scène première

 

ARLEQUIN, seul

 

Arlequin, après avoir fait naufrage sur la côte de Serendib, s’avance dans l’île. Il tient une bourse, et paraît un peu consolé de sa disgrâce. Ce qu’il exprime par un écriteau[1] qui contient ces paroles :

Sur l’Air n° 1, ou Je laisse à la fortune.

Auprès de ce rivage,
Hélas ! notre vaisseau
Avec tout l’équipage
Vient de fondre sous l’eau !
Vu procureur du Maine
Dans la liquide plaine
A trouvé son tombeau ;
Moi, grâce à mon génie,
J’ai su sauver ma vie,
Et l’argent du Manceau.

Ce couplet chanté, il s’assied à terre, et se met à compter son argent. Tandis qu’il est dans cette occupation, il arrive un homme qui a un emplâtre sur l’œil et une carabine sur l’épaule. Cet homme fait plusieurs révérences à Arlequin, qui, se défiant de tant de civilités, dit à part, par un écriteau :

Air n° 2, ou En vain la fortune ennemie.

Ouf ! je crains fort pour ma finance :
Ce drôle a tout l’air d’un voleur,
Le gésier me bondit de peur
À chaque révérence.

L’homme pose son turban à terre, fait signe à Arlequin de jeter de l’argent dedans, et le couche en joue en criant, gnaff, gnaff. Arlequin, effrayé, jette plusieurs pièces dans le turban. Le voleur se retire, et dans le moment il en paraît un autre qui a le bras gauche en écharpe, une jambe de bois et un large coutelas au côté. Celui-ci fait aussi des révérences à Arlequin qui dit toujours à part :

Air n° 3, ou Je l’ai planté, je t’ai vu naître.

Quel autre homme s’offre à ma vue ?
Il est manchot ! Oui, justement,
C’est un fripon, il me salue ;
C’est du gnaff, gnaff, assurément.

Le second voleur met aussi à terre son turban, et, tirant son coutelas, fait signe à Arlequin d’y jeter de l’argent, en lui disant, gniff, gniff. Il obéit, et le voleur s’en va. Arlequin après cela, croyant en être quitte, pose sa bourse à terre derrière lui ; mais un troisième brigand en cul de jatte, portant un pistolet à la ceinture, paraît et s’empare subtilement de la bourse. Arlequin s’en aperçoit, et se lève pour la lui ôter. Le cul-de-jatte lui présente le bout de son pistolet en criant, gnoff, gnoff. Arlequin, désespérant de ravoir sa bourse, dit au voleur :

Air n° 4, ou Ô réguingué, ô lon, lan, la.

Cette bourse porte malheur ;
Elle me vient d’un procureur,
Et va de voleur en voleur :
Craignez, monsieur, que la justice
À son tour ne vous la ravisse.

On voit revenir les deux premiers voleurs, qui se défont, l’un de son emplâtre, l’autre de sa jambe de bois, le troisième sort de sa jatte, et tous se mettent à danser autour d’Arlequin. Dans le même temps il paraît une charrette tirée par un âne, et conduite par un sauvage qui tient à la main une grosse massue. Il y a dans la charrette une table, deux bancs, un piédestal, des peaux de boucs et un tonneau. Pendant qu’au fond du théâtre quelques voleurs s’occupent à décharger la charrette, trois autres s’avancent et dansent avec trois jolies femmes de leur compagnie. Leur danse est coupée par ces deux couplets :

UN VOLEUR.

Air n° 5, ou Pierrot se plaint que sa femme.

Nous menons joyeuse vie ;
Sans débat nous vivons tous.
Des grandes villes bannie,
L’équité vient avec nous :
Jamais d’envie ;
Chacun ne fait les yeux doux
Qu’à sa Sylvie.

UNE DES FEMMES.

Même air.

Nous ressemblons aux pucelles
Qui jadis couraient les champs ;
Toujours compagnes fidèles
De nos chevaliers errants,
Comme ces belles ;
Mais nous passons notre temps
Beaucoup mieux qu’elles.

Après la danse, les trois voleurs qui ont volé Arlequin dressent une table, sur laquelle ils tendent des peaux. Ils mettent ensuite des provisions dessus. On voit au milieu de la table le tonneau sur le piédestal. Il est posé de manière qu’on juge bien qu’il n’y a presque plus rien dedans. Ils se mettent tous à table, et ils obligent Arlequin à s’asseoir auprès d’eux, ce qu’il fait volontiers. Ils boivent tous dans des cruches et des gobelets de terre, qu’ils tendent sous le robinet du tonneau. Arlequin, après avoir bu quelques coups, veut cajoler une des femmes, qui est auprès de lui ; mais le cul-de-jatte lui présente le bout de son pistolet, et lui fait faire la culbute. Le repas fini, ils se lèvent de table, replient leurs peaux, et les remettent dans la charrette, avec les bancs et la table. Pour le tonneau, comme il est vide, ils le jettent par terre, et l’y laissent. Puis la charrette part, et il ne reste plus sur la scène qu’Arlequin avec les trois premiers voleurs. Ils veulent décider de son sort, ce qu’ils font connaître par ce couplet :

UN VOLEUR.

Air n° 6, ou Guillot auprès de Guillemette.

Or sus, amis, qu’on délibère
Sur son destin.
(bis.)
Qu’en pensez-vous ? que faut-il faire
De ce faquin ?
(bis.)
Si nous ne le faisons mourir,
Il pourra bien nous découvrir.

Alors celui qui a un coutelas le tire pour en frapper Arlequin, qui se met à genoux pour demander grâce. Un des voleurs s’oppose au dessein de son camarade, et lui dit :

UN DES VOLEURS.

Air précédent.

Ne frappez point ce pauvre diable ;
Ami, tout beau ;
Mettons plutôt ce misérable
Dans le tonneau ;
Des loups dont ce désert est plein
Il sera bientôt le butin.

Les voleurs prennent le tonneau, le défoncent, y mettent Arlequin, et s’en vont après avoir remis les fonds. Arlequin, se voyant sans espérance de salut, pleure, crie en roulant son tonneau. Il vient un loup affamé qui cherche de la pâture ; il va flairer le tonneau, et, comme il y sent de la chair fraîche, il fait tous ses efforts pour en briser les douves. Pendant qu’il s’y prend de toutes les manières, Arlequin passe la main par le trou de la bonde, attrape la queue du loup, qui, se voyant saisi, a peur et veut prendre la fuite ; mais, en tirant le tonneau, sa queue demeure entre les mains d’Arlequin, et dans le moment le tonneau se partage en deux. Le loup se sauve d’un côté, et Arlequin de l’autre.

Le théâtre change en cet endroit, et représente la capitale de l’île.

Mezzetin, habillé en grande-prêtresse de l’idole qu’on y adore, vient avec Pierrot sa confidente, faire des réflexions sur la coutume de l’île et sur l’état de leurs affaires.

 

 

Scène II

 

MEZZETIN en grande prêtresse, et PIERROT en confidente

 

MEZZETIN.

Air n° 7, ou Tu croyais, en aimant Colette.

Détestons ce fatal rivage,
Où nous vivons depuis trois mois ;
Pierrot, de ce climat sauvage
Maudissons les cruelles lois.

Air n° 8, ou Ô ma tendre musette !

Tous les mois sur le trône
L’on place un étranger,
Mais, ciel ! on le couronne,
Pourquoi ? pour l’égorger !
Au temple d’une idole
Qu’on nomme Késaïa,
Il faut que je l’immole
À ce dieu-là.

PIERROT.

Air n° 9, ou Livrons-nous à la tendresse.

Nous fîmes bien, sur mon âme,
En arrivant, Mezzetin,
De prendre un habit de femme
Pour fuir un pareil destin.
Le grand-vizir vous crut fille ;
Il vous trouva bien gentille,
Et vous fit, pour vos beaux yeux
Grande-prêtresse en ces lieux.

MEZZETIN.

Air n° 10, ou Ne m’entendez-vous pas ?

Oui ; mais, Pierrot, hélas !
Que je crains sa tendresse !
Tous les jours il rue presse...
Tu vois mon embarras.
Que n’ai-je moins d’appas !

PIERROT.

Air n° 11, ou Le fameux Diogène.

Ah ! cessez de vous plaindre ;
C’est au vizir à craindre :
Vous savez que la loi
Veut qu’il perde la vie,
Si, lorsqu’on sacrifie,
Serendib est sans roi.

Air n° 12, ou Réveillez-vous, belle endormie.

Ce soir on fait le sacrifice ;
Il n’est point venu d’étranger.

MEZZETIN.

Il faut que le vizir périsse.

PIERROT.

Préparez-vous à l’égorger.

Mezzetin paraît se consoler et marque par ses gestes qu’il immolera de bon cœur le grand-vizir à l’idole. Mais il ne jouit pas longtemps de la douceur de cette pensée. Ce ministre arrive, et lui dit avec beaucoup de joie.

 

 

Scène III

 

MEZZETIN, PIERROT, LE GRAND-VIZIR

 

LE GRAND-VIZIR.

Air n° 13, ou Monsieur le prévôt des marchands.

Charmant objet de mes amours,
Cessez de craindre pour mes jours ;
Ma reine, ayez l’esprit tranquille,
De la mort me voilà sauvé.
Un étranger dans cette ville
En ce moment est arrivé.

MEZZETIN, à part.

Air n° 14, ou Un berger sincère.

Que viens-je d’entendre !
Quel coup, justes dieux !

LE GRAND-VIZIR.

Bientôt dans ces lieux
Ce misérable va se rendre ;
On va l’amener
Pour le couronner.

Comme Mezzetin paraît triste, le vizir lui dit.

Air n° 15, ou Il n’est qu’un pas du mal au bien.

Mais comment ! à cette nouvelle,
Vous paraissez vous affliger ?

MEZZETIN.

Seigneur, je plains cet étranger.

LE GRAND-VIZIR.

Non, non. Dites plutôt, cruelle,
Que vous attendiez le trépas
D’un amant que vous n’aimez pas.

MEZZETIN, soupirant.

Ah !

LE GRAND VIZIR.

Air n° 16, ou Je reviendrai demain au soir.

Dès demain, madame, je veux
Voir couronner mes feux.
(bis.)
Je n’aime point tous ces soupirs ;
Il me faut des plaisirs.
(bis.)

Le vizir sort pour aller au-devant du nouveau roi, et Mezzetin, frappé de ce qu’il vient d’entendre, dit.

 

 

Scène IV

 

MEZZETIN, PIERROT

 

MEZZETIN.

Air n° 17, ou Des Trembleurs.

Il veut, dit-il, sans remise...
Pierrot, tu vois ma surprise...
Ce jour est un jour de crise ;
Ma foi je crains pour ma peau.

PIERROT.

Songeons à faire retraite ;
Par une porte secrète
Sortons d’ici sans trompette ;
Assurons-nous d’un vaisseau.

Ils sortent.

 

 

Scène V

 

ARLEQUIN, LE GRAND-VIZIR, LE CHEF DES EUNUQUES, TROUPE D’OFFICIERS DU PALAIS et DE SACRIFICATEURS

 

Mezzetin et Pierrot sont à peine sortis, qu’on entend un grand bruit de fifres, de timbales et de trompettes. En même temps on voit arriver Arlequin porté sur les épaules de quatre hommes. Des joueurs d’instruments commencent la marche. Ils sont suivis de six officiers du palais. Le grand-vizir, une hache à la main, et le chef des eunuques tenant une clef, viennent après, et précèdent immédiatement Arlequin, qui a derrière lui le grand-sacrificateur et ses suivants. Le grand-vizir et le chef des eunuques aident au roi à descendre. Il leur donne sur les mains et sur le visage de la queue de loup qu’il a arrachée. Dès qu’il est descendu, le grand-vizir lui dit.

Air n° 18, ou Lanturlu.

Régnez dans notre île
Jusques à la mort.

ARLEQUIN.

Votre humeur civile,
Messieurs, me plaît fort.

LE GRAND-VIZIR.

Sur toute la ville
Votre empire est absolu.

ARLEQUIN.

Lanturlu, lanturlu, lanturelu.

Même air.

Puisque sur le trône
Vous m’avez placé,
Vite, je l’ordonne,
Le buffet dressé ;
Sans quoi la couronne
Pour moi vaut moins qu’un fétu.
Lanturlu, lanturlu, lanturelu.

Après ce couplet, le grand-vizir et le chef des eunuques mènent Arlequin au fond du théâtre, et les officiers du palais dansent. Après quoi le grand-vizir et le chef des eunuques ramènent Arlequin sur le devant du théâtre, se retirent, et font place au grand-sacrificateur et à deux de ses suivants, qui commencent la cérémonie.

 

 

Scène VI

 

ARLEQUIN, LE GRAND-SACRIFICATEUR et SES SUIVANTS

 

Le grand-sacrificateur et ses suivants se laissent tomber sur le cul ; Arlequin fait la même chose. Ils se relèvent. Alors le grand-sacrificateur prend un livre, il lit, et les suivants répondent.

LE GRAND-SACRIFICATEUR, lentement.

Basileos, alifi, agogi, aformi.

LES SUIVANTS.

Basileos.

LE GRAND-SACRIFICATEUR, plus vite.

Bibli, bondromi, bebrofi.

LES SUIVANTS.

Basileos.

ARLEQUIN, arrachant un poil de la barbe du grand-sacrificateur.

Basileos.

LE GRAND-SACRIFICATEUR, très vite.

Mieno, milea, mileni, maliski.

LES SUIVANTS.

Basileos.

ARLEQUIN, lui passant la queue de loup sous le nez.

Basileos.

LE GRAND-SACRIFICATEUR, lentement.

Pollaxi, piretos, pephili, pepomfi.

LES SUIVANTS.

Basileos.

LE GRAND-SACRIFICATEUR.

Tou crizou, i crizi, tiptomen, tiptete, tiptoussi.

LES SUIVANTS.

Basileos.

ARLEQUIN, crachant au visage du grand-sacrificateur.

Basileos.

LE GRAND-SACRIFICATEUR, posant le turban royal sur la tête d’Arlequin.

Tragizo, trapeza, porphyra, Kecaca.

LES SUIVANTS.

Kecaca.

LE GRAND-SACRIFICATEUR.

Porphyra, pisma, Kecaca.

LES SUIVANTS.

Kecaca.

Arlequin, qui croit par ce dernier mot que le grand-sacrificateur et ses suivants lui disent qu’il est de la cérémonie de se servir de son turban comme d’un pot de chambre, se met en devoir de leur obéir ; mais ils font tous un cri d’indignation. Le grand-sacrificateur remet le turban sur la tête d’Arlequin. Ils remportent leur roi et par là finit le premier acte.

 

 

ACTE II

 

Le théâtre représente le plus bel appartement du sérail.

 

 

Scène première

 

ARLEQUIN, avec son turban royal et un tonnelet, UN CUISINIER

 

ARLEQUIN.

Air n° 19, ou Je suis encor dans mon printemps. (d’Une Folie.)

Oui, votre prince est très content
De vos ragoûts, de vos potages.
Allez dire à mon intendant
Qu’aujourd’hui je double vos gages.
Je viens de faire un bon repas ;
Mais qu’un second ne tarde pas.

 

 

Scène II

 

ARLEQUIN, LE CHEF DES EUNUQUES, UN PEINTRE

 

LE CHEF DES EUNUQUES.

Air n° 20, ou Qu’on apporte bouteille.

Voici le peintre habile,
Qui vient, suivant les lois,
Seigneur, tous les mois dans cette île
Faire le portrait de nos rois.

Le peintre est un homme qui paraît âgé de cent ans. Il s’appuie sur un bâton, et ne marche qu’avec beaucoup de peine. Il a sur le dos son chevalet et une grande toile pour faire le portrait du roi. Arlequin se met à rire en le voyant, et se moque de lui. Le peintre, s’en apercevant, lui dit :

LE PEINTRE.

Air n° 21, ou En vain la fortune ennemie.

Depuis cent ans dans cette ville
Je peins les princes trait pour trait.
Sachez que j’ai fait le portrait
Du premier roi de l’île.

ARLEQUIN.

Bonhomme, je crois en effet
Que vous l’avez pu faire ;
Vous pourriez bien même avoir fait
Celui du premier père.

Le peintre dresse son chevalet et pose sa toile dessus. Il place dans un fauteuil Arlequin, qui se lève aussitôt, et se tient les pieds en haut. Le peintre met ses lunettes, et, s’apercevant de la situation où est Arlequin, il lui fait signe de se tenir debout auprès de lui. Arlequin, dès que le peintre a le dos tourné, lui tourne aussi le dos en se mettant la tête en bas, et se tenant sur ses mains. Le peintre vient pour l’examiner, et pose sa tête entre les jambes d’Arlequin, qui lui fait tomber son chapeau et ses lunettes. Le peintre le fait mettre derrière son chevalet, de sorte qu’Arlequin a le menton sur la toile. Il fait tomber son turban sur la main du peintre. Cependant, malgré tous les lazzis d’Arlequin, la toile étant enduite de blanc d’Espagne, le peintre ne fait que la frotter, et le portrait d’Arlequin, qui est dessous, se découvre. Il le montre au nouveau roi en lui disant d’un air de confiance :

LE PEINTRE.

Air n° 22, ou La faridondaine.

Vous voyez qu’il ne manque rien,
Seigneur, à mon ouvrage ;
À cent ans je peins aussi bien
Qu’à la fleur de mon âge.

ARLEQUIN.

Je suis content de toi, barbon.

LE PEINTRE, s’applaudissant.

La faridondaine, la faridondon.

ARLEQUIN.

De moi tu le seras aussi,
Biribi,
À la façon de barbari,
Mon ami.

LE PEINTRE.

Air n° 23, ou Laire-la, laire lan-laire.

J’aurais besoin de vos bienfaits.

ARLEQUIN.

Au premier jour je te promets
Une pension viagère.

LE PEINTRE, branlant la tête en s’en allant.

Laire-la, laire lan-laire,
Laire-la,
Laire lan-la.

 

 

Scène III

 

ARLEQUIN, LE CHEF DES EUNUQUES, LE GRAND-VIZIR, LES TROIS VOLEURS qui ont volé Arlequin

 

LE GRAND-VIZIR.

Air n° 24, ou Réveillez-vous, belle endormie.

On vient de prendre dans la plaine,
Seigneur, par mes soins vigilants,
Trois voleurs que je vous amène ;
Jugez vous-même ces brigands.

Arlequin demande à les voir ; ils entrent ; il reconnaît en eux les trois fripons qui, l’ont volé. Il s’écrie : Ah ! gnaff, gniff, gnoff ! Les voleurs, le reconnaissant aussi, se jettent à ses pieds pour lui demander grâce ; mais Arlequin ôte son turban, le pose à terre devant eux, et fait tous les gestes qu’il leur a vu faire. Ensuite il les frappe de sa batte. Le vizir, ennuyé de ses lazzis, lui dit :

LE GRAND-VIZIR.

Air n° 25, ou Si vous sentez dans vos âmes.

Hé bien, rendez donc justice ;
Mais craignez d’être trop doux.
À quel genre de supplice,
Seigneur, les condamnez-vous ?

ARLEQUIN.

Air n° 3, ou En vain ta fortune ennemie.

Je veux qu’on branche ces compères ;
Qu’on les houspille tant et plus ;
Après qu’on les aura pendus,
Qu’on les mène aux galères.

Le grand-vizir emmène les trois voleurs, et Arlequin demeure avec le chef des eunuques.

 

 

Scène IV

 

ARLEQUIN, LE CHEF DES EUNUQUES

 

ARLEQUIN.

Air n° 26, ou Et zon, zon, zon, Lisette, ma Lisette.

Toi, dont ici l’emploi
Est de garder les filles,
Dis-moi de bonne foi,
En as-tu de gentilles ?
Et zon, zon, zon,
Lisette, la Lisette,
Et zon, zon, zon,
Lisette, la Lison.

LE CHEF DES EUNUQUES.

Air n° 27, ou Jupiter, prête-moi ta foudre.

Je vais vous en montrer l’élite,
Seigneur, dans cet appartement ;
Vous aurez une favorite,
Si vous voulez, dans un moment.

ARLEQUIN.

Air n° 28, ou Allons, gai, d’un air gai.

Oui, vite une maîtresse.
Ma foi, je suis enclin,
Ami, je le confesse,
Au sexe féminin.
Allons gai,
D’un air gai,
etc.

Le chef des eunuques sort.

 

 

Scène V

 

ARLEQUIN, seul

 

Air n° 29, ou Le curé de Pompone.

Ah ! qu’il est doux d’être aujourd’hui
Un homme d’importance !
Mère, époux, rampent devant lui ;
Et, s’il veut voir Hortense,
Il n’a qu’à tinter,
Il n’a qu’à compter,
Et la mignonne avance.

 

 

Scène VI

 

ARLEQUIN, LE CHEF DES EUNUQUES, TROUPE D’ESCLAVES

 

Le chef des eunuques revient avec six esclaves qui dansent autour du fauteuil où le roi s’est assis en les attendant. Elles agacent toutes Arlequin d’une manière différente ; il leur fait des mines en petit-maître, puis il tire son mouchoir pour le jeter à celle qu’il choisira. Dans le temps qu’il veut le jeter à l’une, il est tenté de le jeter à l’autre ; ce qui lui fait dire :

ARLEQUIN.

Air n° 18, ou Lanturlu.

Quand l’une m’agace,
Quand j’en suis blessé,
À l’autre je passe
Comme un insensé ;
Le choix m’embarrasse :
Je suis un irrésolu[2].
Lanturlu, lanturlu, lanturelu.

Enfin Arlequin met deux esclaves à part, Les autres aussitôt se retirent. Il balance quelque temps, puis il se détermine. L’esclave qui n’a pas eu la préférence sort ; mais à peine a-t-il fait un choix, qu’il s’en repent ; ce qu’il exprime par ce couplet :

ARLEQUIN, à la favorite.

Air n° 30, ou On dit qu’Amour est si charmant.

Vos beaux yeux forcent votre roi
À suivre une amoureuse loi.
Belle Iris, recevez ma foi,
En me donnant la vôtre.

À part.

Palsambleu ! j’aurais, je le crois,
Mieux fait de prendre l’autre.

Air n° 24, ou Réveillez-vous, telle endormie.

À la cantonade.

Tôt, tôt, tôt, qu’on dresse une table,
Qu’on me la couvre de perdrix.

À la favorite.

Buvons ; prenez, mon adorable,
L’esprit des dames de Paris.

L’ESCLAVE FAVORITE.

Air n° 12, ou Réveillez-vous belle endormie.

Je ne dois songer qu’à vous plaire ;
Mais, hélas ! seigneur, je crains bien
Que l’amour de la bonne chère...

ARLEQUIN.

Allez, cela ne gâte rien.

Air n° 25, ou Si vous sentez dans vos âmes.

Je porterai mon hommage
De la table à vos beaux yeux ;
Ne craignez point ce partage,
J’en aimerai trois fois mieux.

Pendant ce temps-là les officiers s’occupent à dresser une table ; ils la couvrent d’une nappe et y mettent deux couverts ; cela fait, Arlequin prend l’esclave par la main, la place à un bout de la table et va se mettre à l’autre. Ils prennent chacun un couteau, puis tout à coup, à l’imitation de Corésus et de Callirhoë[3], qu’on jouait en ce temps-là, ils se donnent la foi par ce couplet parodié de cet opéra :

ARLEQUIN et L’ESCLAVE FAVORITE.

Ensemble.

Air n° 31, ou des Folies d’Espagne.

Sur ces couverts, sur cette nappe blanche,
Sur cet autel redoutable aux poulets,
Par ce couteau la terreur de l’éclanche,
Je fais serment d’être à vous à jamais.

L’esclave s’évanouit comme Callirhoë : Arlequin vole à son secours ; il l’embrasse ; elle revient. Arlequin pose ses pieds sur la table, et frappe de temps en temps avec le manche de son couteau ; il siffle même quelquefois pour faire venir les officiers. Dès qu’il les voit paraître avec leurs plats, il se lève, court au-devant d’eux, et met la main dans les sauces, prend et mange, sans songer que c’est pour lui qu’on apporte ces mets. Enfin il se remet à table, et se dispose à bien manger ; mais le médecin arrive, et lui dit.

 

 

Scène VII

 

ARLEQUIN, L’ESCLAVE FAVORITE, LE MÉDECIN, LES OFFICIERS

 

LE MÉDECIN.

Air n° 32, ou Chantez, dansez, amusez-vous.

Quoi ! seigneur, vous mangez encor ?
C’est trop exposer votre vie.

ARLEQUIN, en colère.

Que nous vient chanter ce butor ?

LE MEDECIN, voulant ôter les plats.

Ces plats sentent l’apoplexie.

ARLEQUIN, donnant un coup de poing au médecin.

Laisse là mes plats, médecin,
Tu ne dois sentir qu’un bassin.

Le médecin, sans avoir égard à ce qui peut plaire ou déplaire à Arlequin, fait ôter les plats à mesure qu’il y porte la main, sous prétexte que ce sont des mets nuisibles à sa santé ; ce qu’il explique par ses gestes. Mais la patience échappe à Arlequin, qui lui dit :

Air n° 33, ou Ma mère, mariez-moi.

Retire-toi, bateleur.
Veux-tu nous porter malheur ?
Chacun, en te voyant là,
Va dire : Fi donc ! qu’est-ce que cela ?
Chacun, en te voyant là,
Croira voir Sancho Pança[4].

Arlequin continue à vouloir manger, et le médecin à lui enlever les plats. Arlequin prend une talemouse, mord dedans ; le médecin lui en arrache la moitié, l’autre demeure dans la bouche d’Arlequin, qui, outré de colère, se saisit d’un plat de crème et l’applique sur le visage du docteur ; ce qui finit le repas et le second acte.

 

 

ACTE III

 

Le théâtre représente le même appartement qu’au second acte.

 

 

Scène première

 

ARLEQUIN, LE CHEF DES EUNUQUES

 

ARLEQUIN.

Air n° 34, ou À boire, à boire, à boire.

Mon cher, dois-je, toujours fidèle,
Ne cajoler que même belle ?
Ventrebleu ! j’en enragerais,
Moi qui suis là-dessus Français.

LE CHEF DES EUNUQUES.

Air n° 35, ou Faire l’amour la nuit et le jour.

À l’infidélité
La loi n’est point contraire ;
À plus d’une beauté,
Seigneur, vous pourrez faire
L’amour
La nuit et le jour.

Air n° 36, ou De tous les capucins du monde.

Mais il faut que je vous présente
Une Grecque toute charmante
Que jamais Vénus n’égala.

ARLEQUIN.

La peste ! ce portrait me touche !
Tu me gardais donc celle là,
Vieux coquin, pour la bonne bouche ?
Le chef des eunuques va chercher la Grecque.

 

 

Scène II

 

ARLEQUIN, seul

 

Air n° 37, ou La tonne aventure, ô gué !

Moi qui devais des turbots
Être la pâture,
Je trouve, échappé des flots,
Les jeux, les ris, le repos.
La bonne aventure,
Ô gué !
La bonne aventure !

 

 

Scène III

 

ARLEQUIN, LE CHEF DES EUNUQUES, L’ESCLAVE GRECQUE

 

LE CHEF DES EUNUQUES.

Air n° 13, ou Monsieur le prévôt des marchands.

Seigneur, vous voyez la beauté.

ARLEQUIN.

Ah ! tu m’as dit la vérité.
Je n’ai rien vu qu’elle n’efface.
Tudieu ! qu’elle a l’œil assassin !
Sors, et ne laisse point, de grâce,
Entrer ici le médecin.

Le chef des eunuques sort.

 

 

Scène IV

 

ARLEQUIN, LA GRECQUE

 

L’ESCLAVE GRECQUE, se voyant seule avec le nouveau roi, lui fait des minauderies, et lui dit.

Air n° 38, ou Sais-tu la différence ?

Keleos, Kidafie,
Kilaspé, Karpeïa ;
Kina :
Kaclicos, Kidarie,
Kikinnou, Kastana,
Kasta,
Keleos, Karpeïa.

Après ce couplet de jargon, Arlequin rit avec l’esclave, qui fait tout ce qu’elle lui voit faire. Il en est charmé, et lui dit :

ARLEQUIN.

Air n° 24, ou Réveillez-vous, belle endormie.

Doucement, petite égrillarde.
Ahi, ahi, ahi, ahi ! Ouf ! Hoïmé !
Ah ! c’en est fait ! déjà, pendarde,
Mon pauvre cœur est empaumé.

LA GRECQUE.

Air n° 39, ou Dondaine, dondaine.

Seigneur, ne vous plaignez point tant ; (bis.)
Vous m’en avez fait tout autant,
Dondaine, dondaine.
Je sens qu’un doux penchant
Vers vous m’entraîne.

Arlequin, enchanté de ces paroles, veut embrasser la Grecque ; mais le grand-vizir vient l’interrompre. Ce ministre est suivi de deux sacrificateurs qui apportent l’habit de victime.

 

 

Scène V

 

ARLEQUIN, LA GRECQUE, LE GRAND-VIZIR, TROIS SACRIFICATEURS

 

LE GRAND-VIZIR.

Air n° 3, ou Je l’ai planté, je l’ai vu naître.

De votre glorieux supplice
Je viens vous annoncer l’instant.
Tout est prêt pour le sacrifice ;
Venez, seigneur ; on vous attend.

Le nouveau roi paraît fort étonné de ce compliment. Le grand-vizir lui parle à l’oreille, et l’instruit de la loi. Arlequin n’est pas plus tôt au fait, qu’il s’abandonne à la douleur.

ARLEQUIN.

Air n° 40, ou Or écoutez, petits et grands. (Air des fendus.)

C’est donc pour répandre mon sang
Qu’on m’a mis dans un si haut rang !
Le sort me gardait pour victime ;
C’était son dernier coup de lime.
Mes pleurs, puisqu’on va m’immoler,
Coulez, hâtez-vous de couler[5].

Les sacrificateurs dépouillent Arlequin de son habillement de prince, et commencent à le revêtir d’un habit de victime tout parsemé de pierreries. Pendant qu’ils le déshabillent, il met la main dans la poche du grand-sacrificateur, et lui dérobe sa bourse, par l’habitude qu’il a de voler ; mais, à peine a-t-il fait le coup, que, se souvenant qu’il va perdre la vie, il jette la bourse en faisant connaître par ses gestes que ce vol lui est inutile. Il pleure et se désespère. Le grand-sacrificateur, choqué de la répugnance que le nouveau roi paraît avoir pour le sacrifice, lui dit d’un air indigné :

LE GRAND-SACRIFICATEUR.

Air n° 41, ou Sous un ciel pur et sans nuage. (de Ninon chez madame de Sévigné.)

Vous allez mourir pour l’idole ;
Vous êtes couvert de bijoux :
D’un mortel qu’ainsi l’on immole
Le sort doit faire des jaloux.

ARLEQUIN.

Même air.

Monsieur le grand-prêtre, de grâce,
Si ce destin vous paraît doux,
Vous n’avez qu’à prendre ma place.

LE GRAND-SACRIFICATEUR, baissant les yeux d’un air hypocrite.

Cet honneur n’est point fait pour nous.

Pendant ce temps-là l’esclave grecque, qui a son mouchoir à la main, pousse des cris, et fait toutes les démonstrations d’une amante désespérée. Enfin Arlequin s’approche d’elle et lui dit :

ARLEQUIN.

Air n° 19, ou Je suis encor dons mon printemps. (d’une Folie.)

Je vais remplir mon triste sort ;
Il faut partir, chère mignonne,
 On va me conduire à la mort :
Mais, hélas ! avec vous, bouchonne,
Je n’ai folâtré qu’un instant !
Est-ce assez pour mourir content ?

LA GRECQUE.

Air n° 42, ou Jupiter, prête-moi ta foudre.

Connaissez toute ma tendresse :
Je cours à l’autel avec vous.
Allons. Il faut que la prêtresse
D’une pierre fasse deux coups.

Arlequin en cet endroit tait tous les gestes d’un héros de théâtre qui s’afflige sans modération. Ensuite il dit :

ARLEQUIN.

Air n° 43, ou Nous sommes demi-douzaine.

Ma douleur se renouvelle
Par ces amoureux discours.
Ô fortune cruelle !
Soûle-toi de mes jours.

Ensemble.

ARLEQUIN et LA GRECQUE.

Hélas ! Hélas ! une chaîne si belle,
De si tendres amours,
Hélas ! Hélas ! une chaîne si belle
Devait durer toujours.

Arlequin s’arrache avec violence des bras de l’esclave qui le retient. Il suit les sacrificateurs. La Grecque redouble ses cris, et cependant sort par la coulisse opposée à celle par où les prêtres emmènent Arlequin.

Le théâtre change, et représente la pagode ou temple de l’idole dont la porte est fermée. On voit la mer dans le lointain. Le grand-sacrificateur et la grande-prêtresse avec sa confidente viennent chanter la gloire de Késaya.

 

 

Scène VI

 

LE GRAND-SACRIFICATEUR, MEZZETIN en grande-prêtresse, PIERROT sa confidente

 

LE GRAND-SACRIFICATEUR.

Air n° 44, ou Tout roule aujourd’hui dans le monde.

Célébrons la gloire immortelle
Du grand Késaya par nos chants ;
Ranimons ici notre zèle
Pour chanter ses soins bienfaisants :
Il donne une face nouvelle
À nos campagnes tous les ans.

Le grand-sacrificateur, après avoir chanté son couplet, se retire ; et la grande-prêtresse continue avec sa suivante.

MEZZETIN.

Air précédent.

C’est lui qui fait la pimprenelle ;
De chardons il pare nos champs ;
C’est lui qui, quand l’hiver nous gèle,
Retarde les jours du printemps ;
C’est lui qui fait tomber la grêle,
Quand nous demandons du beau temps.

PIERROT.

Même air.

C’est lui qu’implorent nos vestales
Pour sortir des mains des tuteurs ;
C’est lui dont les faveurs vénales
Trouvent mille et mille acheteurs ;
Ce qui fait bouillir les timbales
De tous nos sacrificateurs.

Mezzetin et Pierrot se retirent aussi dans le fond de la pagode, dont la porte s’ouvre. On voit l’idole sur un trône élevé de quatre à cinq marches. Les sacrificateurs amènent la victime parée de guirlandes de fleurs. Ils lui font faire le tour du théâtre. Ensuite ils l’obligent à se mettre à genoux sur le premier degré du trône, où ils la laissent, pour former des danses avec les prêtresses. Après quoi le grand-sacrificateur s’avance sur le devant du théâtre, et dit.

 

 

Scène VII

 

MEZZETIN, PIERROT, ARLEQUIN, TROUPE DE SACRIFICATEURS et DE PRÊTRESSES

 

LE GRAND-SACRIFICATEUR.

Air n° 12, ou Réveillez-vous, belle endormit.

Le dieu fait sentir sa présence.
Dans un moment il va parler.
Les ruisseaux gardent le silence ;
Les arbres n’osent pas branler.

Après ce couplet, Mezzetin grande-prêtresse sort de derrière l’idole le poignard levé, et s’approche d’Arlequin pour le frapper[6]. Mais, il croit reconnaître ses traits ; il s’arrête ; et tout à coup, s’adressant aux sacrificateurs et aux prêtresses, il leur dit :

MEZZETIN.

Air n° 17, ou Des trembleurs.

Tremblez, mortels ! Qu’on m’entende.
Késaya parle, il commande.
Sachez qu’il veut qu’on suspende
Ce sacrifice aujourd’hui :
Que mon couteau redoutable
Demain verse un sang coupable.
Laissez-moi ce pauvre diable.
Allez. Je réponds de lui.

Tous les acteurs qui sont sur la scène sortent, excepté Arlequin, la grande-prêtresse et sa confidente.

 

 

Scène VIII

 

MEZZETIN, ARLEQUIN, PIERROT

 

MEZZETIN.

Il prend la victime par la main, l’aide à se relever, et lui dit :

Air n° 31, ou Des Folies d’Espagne.

Dans quel climat avez-vous pris naissance.
Jeune étranger ? parlez, dites-le nous.
Je veux ici prendre voire défense,
Et vous sauver moi-même de mes coups.

ARLEQUIN.

Même air.

Vous demandez le nom de ma patrie,
Je vais parler avec sincérité.
C’est à Bergame, hélas ! en Italie,
Qu’une tripière en ses flancs m’a porté.

MEZZETIN, ému de cette réponse.

Air n° 36, ou De tous les capucins du monde.

Quel transport de mon cœur s’empare !
Pour vous il se trouble, il s’égare.
Puis-je méconnaître ces traits ?
C’est Arlequin que j’envisage !
J’en crois mes mouvements secrets,
Et mes yeux encor davantage.

ARLEQUIN.

Air n° 45, ou Monsieur la Palisse est mort.

C’est lui (plaignez ses malheurs),
C’est lui que le sort ballotte.
Reconnaissez-le à ses pleurs
Encor plus à sa culotte.

Il montre sa culotte d’Arlequin.

Mezzetin et Pierrot se font connaître de la même manière.

MEZZETIN.

Air n° 33, ou Ma mère, mariez-moi.

Le ciel change ton destin.
Vois Pierrot et Mezzetin.

ARLEQUIN.

Quoi ! mes bons amis, c’est vous ?

MEZZETIN.

Oui, cher Arlequin.

ARLEQUIN.

Que ce jour m’est doux !

Ah ! mes bons amis, c’est vous !

PIERROT.

Quel bonheur !

ARLEQUIN.

Embrassons-nous.

Après qu’ils se sont embrassés tous trois à plusieurs reprises, Mezzetin dit :

MEZZETIN.

Air n° 46, ou De Joconde.

J’ai fait préparer un vaisseau,
Pour nous sauver en France.
Le jour a perdu son flambeau,
Partons en diligence.
Que nous allons boire à Paris
De flacons de Champagne !

Montrant des pierreries.

Avec ces brillants, que d’Iris
Nous mettrons en campagne !

ARLEQUIN.

Air n° 47, ou Lon lan la, derirette.

Oui ; mais avec tous nos bijoux
Emportons l’idole avec nous,
Lon lan la, derirette ;
Car l’opéra finit ainsi,
Lon lan la, deriri.

Arlequin, Pierrot et Mezzetin pillent le temple. Ils veulent enlever Késaya, qui s’abîme, et ne laisse entre leurs mains qu’un cochon de lait. Ensuite la pagode tombe par morceaux, comme si ce sacrilège eût attiré l’indignation de l’idole. Ils s’enfuient tous trois, et par là finit la pièce.


[1] Les écriteaux étaient une espèce de cartouche de toile roulée sur un bâton, et dans lequel était écrit en gros caractères le couplet, avec le nom du personnage qui aurait d le chanter. L’écriteau descendait du cintre, et était porté par deux enfants habillés en Amours, qui le tenaient en support. Les enfants, suspendus en l’air par le moyen des contrepoids, déroulaient l’écriteau ; l’orchestre jouait aussitôt l’air du couplet et donnait le ton aux spectateurs, qui chantaient eux-mêmes ce qu’ils voyaient écrit, pendant que les acteurs y accommodaient leurs gestes.

[2] On jouait en ce temps-là la comédie de l’Irrésolu, qui n’a pas réussi, parce que le caractère de l’Irrésolu était plutôt d’un fou que d’un esprit incertain. (Note de l’auteur.)

L’Irrésolu, comédie de Destouches, fut joué le 5 janvier 1713. Tout le monde en connaît le dernier vers :

J’aurais mieux fait, je crois, d’épouser Célimène.

Lesage l’a parodié dan ; le couplet suivant.

[3] Callirhoë, tragédie lyrique, avec un prologue, par Roy, jouée le 27 décembre 1712.

[4] On venait de jouer la comédie de Sancho Pança, qui n’avait pas réussi. (Note de l’auteur.)

Sancho Pança Gouverneur est une comédie de Dancourt.

[5] C’est un vers de l’opéra de Callirhoë. (Note de l’auteur.)

[6] Depuis cet endroit jusqu’à la fin tout est une parodie de l’opéra d’Iphigénie en Tauride, tragédie lyrique de Duché et Danchet. (Note de l’auteur).

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