Arlequin Mahomet (Alain-René LESAGE)

Pièce en un acte.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Jeu de paume de Belair, en juillet 1714.

 

Personnages

 

ARLEQUIN, faux Mahomet

DAHI, marchand, voisin d’Arlequin

BOUBEKIR, voyageur et mathématicien

QUATRE ARCHERS

LE ROI de Basra

LA PRINCESSE, sa fille

PIERROT, kam des Tartares

LE PRINCE de Perse

LA SUIVANTE de la princesse

TROUPE D’ESCLAVES et D’EUNUQUES

 

La scène et d’abord à Surate, et ensuite à Basra, dans les jardins du roi.

 

Le théâtre représente la cour de la maison d’Arlequin.

 

 

Scène première

 

ARLEQUIN, seul

 

Air n° 40, ou Or écoutez, petits et grands. (des pendus.)

Ô sort ! Ô destins ennemis !
Dans quel état m’avez-vous mis !
J’ai voulu tâter du commerce ;
J’ai gagné du bien dans la Perse ;
Mais la chance hélas ! a tourné.
Enfin, me voilà ruiné.

 

 

Scène II

 

ARLEQUIN, DAHI

 

DAHI.

Air n° 62, ou Dupont, mon ami.

Je viens à regret,
Ami, vous instruire
De ce qu’en secret
On m’est venu dire :
Vos créanciers en ce jour
Veulent vous jouer d’un tour.

ARLEQUIN, soupirant.

Ouf !

DAHI.

Air précèdent.

Vous les connaissez,
Trompez leur envie.

ARLEQUIN.

Seigneur, c’est assez.
Je vous remercie.

DAHI, s’en allant.

Adieu. Soyez assez fin
Pour éluder leur dessein.

 

 

Scène III

 

ARLEQUIN, seul

 

Air n° 45, ou Monsieur La Palisse est mort.

Marchands, qui dans pareil cas
Êtes bien sortis d’affaire,
Pour vous tirer d’embarras,
Comment avez-vous pu faire ?

 

 

Scène IV

 

ARLEQUIN, BOUBEKIR

 

BOUBEKIR, après avoir mis à terre un coffre qu’il avait sur ses épaules.

Air n° 31, ou des Folies d’Espagne.

Depuis trois jours que je suis dans Surate,
J’ai su, seigneur, par quelques commerçants,
Qu’on doit dans peu mettre sur vous la patte,
Et vous jeter dans les fers pour longtemps.

ARLEQUIN.

Hoïmé !

BOUBEKIR.

Air n° 63, ou Te bien aimer, ô ma chère Zélie.

Si vous craignez pareille destinée,
Dites-le moi ; parlez confidemment.
Je puis, seigneur, et dès cette journée,
Vous dérober à l’emprisonnement.

ARLEQUIN.

Air n° 2, ou En vain la fortune ennemie.

Non, non, cela n’est pas possible.
Sans doute on me fait observer ;
Et vous ne sauriez me sauver,
Sans me rendre invisible.

BOUBEKIR.

Air n° 11, ou Le fameux Diogène.

J’ai fait une machine
Qu’on peut nommer divine,
C’est un coffre volant.
Avec cet équipage,
Sans péril on voyage.

ARLEQUIN.

L’ouvrage est excellent.

Même air.

Mais n’est-il point magique ?

BOUBEKIR.

Non, non, de mécanique
C’est un ouvrage pur.
Entrez dans ma brouette,
Et faites une traite,
Pour en être plus sûr.

Boubekir va chercher son coffre, sur lequel sont peints des groupes de nuages et un croissant. Il fait entrer Arlequin dedans en lui disant :

Air n° 18, ou Lanturlu.

Je vais vous apprendre
Comme il faut monter,
Comme il faut descendre,
Ou vous arrêter,
De quel côté prendre,
Et voler comme un perdu.

ARLEQUIN.

Lanturlu, lanturlu, lanturlu.

Arlequin fait l’essai du coffre. Il en est charmé. Il le baise, embrasse Boubekir, et dit dans l’excès de son admiration :

Air n° 9, ou Livrons-nous à la tendresse.

Ô la charmante brouette !
Je l’accepte volontiers.
Je pourrai par ma retraite
Payer tous mes créanciers.

BOUBEKIR.

C’est une des sept merveilles.
J’en veux fournir de pareilles
À tous les banqueroutiers.

ARLEQUIN, à part.

Il en a donc des milliers.

BOUBEKIR, sur le ton des deux derniers vers.

J’en ai fait provision
Pour Paris et pour Lyon.

ARLEQUIN.

Air n° 28, ou Allons, gai, d’un air gai.

Un si précieux coffre
Vaut mieux que tout mon bien.

BOUBEKIR.

Cependant, je vous l’offre,
Si vous voulez, pour rien.

ARLEQUIN.

Allons, gai,
D’un air gai,
etc.

Boubekir se retire en faisant des façons pour recevoir une bourse qu’Arlequin lui donne.

 

 

Scène V

 

ARLEQUIN, seul

 

Il s’occupe à munir son coffre de provisions. Il y met du fromage, des cervelas, du vin, etc. jusqu’à un pot de chambre. À peine y a-t-il mis toutes ces choses, qu’il arrive chez lui des archers pour le prendre. Il se jette dans la machine en disant :

Air n° 64, ou Voici les dragons qui viennent.

Voici les archers qui viennent,
Vite, sauvons-nous.

 

 

Scène VI

 

ARLEQUIN, QUATRE ARCHERS

 

ARLEQUIN s’élève à quinze pieds de terre, et, se faisant voir aux archers, il chante.

Reprise de l’air n° 65, ou Sans un petit brin d’amour.

Un petit moment trop tard
La justice est venue...

Les archers tirent leurs épées. Ils le menacent ; mais Arlequin, se voyant hors de péril, les insulte. Il leur crache au visage, et vide sur eux son pot de chambre ; ensuite il disparaît. Les archers le suivent des yeux, et se retirent fort étonnés du prodige qui leur enlève leur proie.

Le théâtre change en cet endroit, et représente un bois et un château dans l’enfoncement. Un jeune prince parait appuyé contre un arbre dans l’attitude d’un homme accablé de douleur.

 

 

Scène VII

 

LE PRINCE DE PERSE, seul

 

Air n° 10, ou Ne m’entendez-vous pas ?

Reste-t-il quelque espoir,
Après cette traverse ?
Triste prince de Perse,
Meurs ; que ton désespoir
T’enseigne ton devoir.

On voit dans ce temps-là passer le coffre d’Arlequin, qui s’arrête en l’air.

 

 

Scène VIII

 

LE PRINCE, ARLEQUIN

 

LE PRINCE, sans apercevoir le coffre.

Air n° 8, ou Ô ma tendre musette.

Ciel ! que viens-je d’apprendre ?
Ah ! quel nouveau malheur !
Ai-je bien pu l’entendre,
Sans mourir de douleur !
Épris de ma princesse,
Un kam la vient, dit-on,
Ravir à ma tendresse.

ARLEQUIN, à part, en descendant de son coffre et s’approchant du prince.

C’est un fripon.

LE PRINCE, sans apercevoir Arlequin.

Air n° 66, ou Dans les gardes françaises.

Que de cet hyménée,
Mon amour malheureux,
Prévienne la journée
Par un coup généreux.

Il tire son poignard.

Qu’ici ce fer finisse
En ce moment mes jours.
Reçois ce sacrifice,
Objet de mes amours.

Il lève le bras pour se percer. Arlequin l’arrête, et lui dit :

ARLEQUIN.

Air n° 67, ou Il pleut, il pleut, bergère.

Que votre seigneurie
Modère ses transports.
Quittez la sotte envie
De voir les sombres bords.
Je prends votre tendresse
Sous ma protection ;
Et de votre maîtresse
Bientôt je vous fais don.

LE PRINCE.

Air n° 45, ou Monsieur La Palisse est mort.

Vous, qui d’un espoir si doux
Flattez ma mourante vie,
Eh ! sur quoi le fondez vous ?

ARLEQUIN.

Parbleu, sur mon industrie.

LE PRINCE.

Air n° 68, ou Sommes-nous pas trop heureux.

Un kam, que j’ai pour rival,
Veut m’enlever ma maîtresse ;
Aurez-vous assez d’adresse
Pour parer ce coup fatal ?

ARLEQUIN.

Oui, morbleu !

LE PRINCE.

Cette promesse
Dissipe un peu mon effroi.
Si je vous dois ma princesse,
Ami, disposez de moi.

ARLEQUIN.

Air n° 25, ou Si vous sentez dans vos âmes.

Çà, je vais de ce pas même...

LE PRINCE.

Mais par quelle invention ?...

ARLEQUIN.

Suivez-moi. Le stratagème
Naîtra de l’occasion.

Ils s’en vont tous deux. Le théâtre change et représente les jardins du roi de Basra, où la princesse se promène avec sa suivante à l’entrée de la nuit.

 

 

Scène IX

 

LA PRINCESSE, LA SUIVANTE

 

LA SUIVANTE

Air n° 12, ou Réveillez-vous, belle endormie.

Cent fois soit maudit l’astrologue
Qui, quand vous reçûtes le jour,
Nous prédit d’un air pédagogue
Que l’amour vous jouerait d’un tour !

Air n° 42, ou Jupiter, prête-moi ta foudre.

Selon lui, c’est dans cette année
Qu’un homme doit vous attraper :
Du moins, jusqu’à cette journée,
Nul encore n’a pu vous tromper.

LA PRINCESSE.

Air n° 69, ou Ta plainte me désespère. (chansons de Collé.)

Cependant le roi, mon père,
Craint ce que l’on a prédit ;
Et, pour mettre son esprit
En repos sur cette affaire.
Il prétend lier mon sort
Au sort d’un sexagénaire
Que je hais plus que la mort.

LA SUIVANTE.

Le roi votre père a tort.

Air n° 60, ou Philis plus avare que tendre.

Le ciel, ô princesse adorable,
Vous devait un destin plus doux ;
Et le prince le plus aimable
Est à peine digne de vous.

 

 

Scène X

 

LA PRINCESSE, LA SUIVANTE, ARLEQUIN, en l’air dans son coffre

 

LA PRINCESSE.

Air n° 70, ou Daigne écouter l’amant fidèle et tendre.

Quoi ! faudra-t-il, malgré ma répugnance,
Avec le kam vivre jusqu’au trépas ?

LA SUIVANTE, levant les mains au ciel.

Ô Mahomet ! de cette violence
Daigne sauver cet objet plein d’appas.

ARLEQUIN, en l’air, et prenant de cette apostrophe occasion de passer pour Mahomet, dit sur le ton du dernier vers.

Oh ! le vieux kam, ma foi, ne l’aura pas.

Il n’a pas sitôt chanté ce vers, qu’il disparaît. La princesse et sa suivante sont fort étonnées d’avoir entendu ces paroles. La suivante croit que c’est Mahomet qui les a prononcées, et, saisie d’une sainte horreur, elle dit à la princesse :

LA SUIVANTE.

Air n° 22, ou La faridondaine.

Vous voyez que c’est Mahomet,
Qui pour vous s’intéresse.

LA PRINCESSE.

C’est peut-être quelque follet,
Qui trompe ma tendresse.

ARLEQUIN, sans être aperçu.

Non, c’est Mahomet tout de bon,
La faridondaine,
La faridondon.
Le kam sera votre mari,
Biribi,
À la façon de Barbari,
Mon ami.

LA SUIVANTE.

Air n° 44, ou Tout route aujourd’hui dans le monde.

Accordez-nous votre assistance,
Grand prophète des musulmans ;
Donnez-nous-en une assurance
Qui rende le calme à nos sens ;
Et daignez de votre présence
Nous honorer dans ces moments.

ARLEQUIN.

Air n° 71, ou air d’Atis.

Allons, allons, accourez tous, (bis.)
Mahomet va descendre.

Arlequin descend dans un bosquet épais, où il laisse son coffre. Il s’approche de la princesse, qui lui dit avec étonnement :

LA PRINCESSE.

Air n° 15, ou Il n’est qu’un pas du mal au bien.

Vous Mahomet ! quelle jeunesse !

ARLEQUIN.

Suivant les temps, suivant les lieux,
J’ai l’air jeune ou je parais vieux.
Bientôt vous verrez, ma princesse,
Le grand prophète musulman
Plus barbu que le roi Priam.

Air n° 24, ou Tu croyais, en aimant Colette ; ou Réveillez-vous, belle endormie.

Je romprai votre mariage ;
Je rouerai le vieux kam de coups.
Je veux plus faire : je m’engage
À vous donner un autre époux.

Arlequin, à la faveur d’une lanterne sourde, présente à la princesse le portrait du prince de Perse, en lui disant :

Air n° 23, ou Laire la, laire lan laire.

C’est le fils d’un grand souverain
Que vous recevez de ma main.
Voyez lès traits de ce compère.
Laire la, laire lan laire ;
Laire la,
Laire lan la.

La princesse, après avoir considéré un moment le portrait, se le laisse arracher par sa suivante, qui dit :

LA SUIVANTE.

Air n° 52, ou Robin, turelure lure.

Voilà d’un prince joli
Le portrait en miniature.

ARLEQUIN.

Tudieu ! c’est un dégourdi,
Turelure.

LA SUIVANTE.

On le voit à la peinture,
Robin, turelure, lure.

Bas à Arlequin, et lui montrant sa maîtresse.

Air n° 7 2, ou Ô gué, lon la, lan laire.

Elle le trouve aimable,
Sans dire mot.

ARLEQUIN.

C’est, je me donne au diable,
Son vrai ballot.

LA SUIVANTE, toujours bas.

Je prévois, aux grâces qu’il a,
Que cet enfant-là
Voudra bien cela.
Ô gué, lon la,
Lan laire ;
Ô gué, lon la.

ARLEQUIN, cajolant la princesse.

Air n° 41, ou Sous un ciel pur et sans nuage. (de Madame de Sévigné.)

Expliquez-vous, belle brunette :
Que dit le cœur pour ce grivois ?

LA PRINCESSE.

Puis-je mieux faire, grand prophète,
Que d’applaudir à votre choix ?

ARLEQUIN.

Air n° 25, ou Si vous sentez dans vos âmes.

Vous voulez donc bien, mignonne...

À part.

Peste ! quel friand minois !

Haut.

Le prophète sent, friponne,
Qu’il s’échauffe en son harnois.

LA SUIVANTE.

Air n° 13, ou Monsieur le prévôt des marchands.

Malgré toutes les voluptés
Et toutes les félicités
De votre séjour délectable,
Je crois (mais je puis m’abuser)
Qu’en ce monde une femme aimable
Pourrait fort bien vous amuser.

ARLEQUIN.

Air n° 28, ou Allons, gai, d’un air gai.

Ce grand air de déesse
Et ce charmant souris
Me font, je le confesse,
Oublier mes houris[1].
Allons, gai,
D’un air gai,
etc.

LA SUIVANTE.

Air n° 26, ou Et zon, zon, zon, Lisette, la Lisette.

Ont-elles plus d’appas ?

ARLEQUIN.

Elles sont moins gentilles ;
Mais, diable ! j’en fais cas ;
Elles sont toujours filles.
Et zon, zon, zon,
Lisette, la Lisette,
Et zon, zon, zon,
Lisette, la Lison.

LA SUIVANTE, flattant Arlequin.

Air n° 19, ou Je suis encor dans mon printemps. (d’Une Folie.)

Puisque Mahomet ici-bas
Vient pour y faire un hyménée,
Il ne me refusera pas
De joindre aussi ma destinée
À celle de quelque garçon :
J’en veux un de votre façon.

ARLEQUIN.

Air n° 73, ou Amis, dans ce charmant bocage.

Un brunet toujours prêt à rire
Dès demain sera ton époux.
J’entends du bruit, je me retire.

LA PRINCESSE.

Ne vous éloignez pas de nous.

ARLEQUIN.

Non. Mais au roi vous pouvez dire
Que je veux disposer de vous.

Il se retire.

 

 

Scène XI

 

LA PRINCESSE, LA SUIVANTE, LE ROI, LE KAM

 

LE ROI, présentant le Kam à la princesse.

Air n° 3, ou Je l’ai planté, je l’ai vu naître.

Ma fille, recevez l’hommage
D’un cœur qui vous est destiné.

LA SUIVANTE, d’un ton ironique.

Ô le gracieux personnage
Que vous nous avez amené !

LE KAM, à la princesse.

Air n° 26, ou Et zon, zon, zon, Lisette ma Lisette.

Que je prends de plaisir
À vous voir si gentille !
Je sens un grand désir
D’entrer dans la famille.
Et zon, zon, zon,
Lisette, la Lisette,
Et zon, zon, zon,
Lisette, la Lison.

LA SUIVANTE, au roi, toujours ironiquement.

Air n° 46, ou de Joconde.

Vous ne pouviez choisir, seigneur,
Un gendre plus aimable ;
Il est fait pour toucher un cœur.

LA PRINCESSE, à part.

Qu’il est désagréable !

LA SUIVANTE.

Mais le prophète Mahomet,
À cet hymen contraire.
Vient de nous déclarer tout net
Qu’il prétend le défaire.

LE ROI, avec étonnement.

Air n° 11, ou Le fameux Diogène.

Que dites-vous, ma mie ?
Parlez-moi, je vous prie,
Un peu plus clairement.
Ce discours m’inquiète :
Vous avez au prophète
Parlé ?...

LA SUIVANTE.

Dans ce moment.

Air n° 32, ou Chantez, dansez, amusez vous. (d’Une Rosière.)

Du prince de Perso, dit-il,
Je fais l’époux de la princesse.
C’est un prince galant, gentil,
Digne, en un mot, de ma maîtresse.

LE ROI.

Tout cela ne sent rien de bon :
Ce Mahomet est un fripon.

Air n° 2, ou En vain la fortune ennemie.

Quoi ! malgré ma garde nombreuse,
Malgré tous mes soins, cette nuit
Un fourbe ici s’est introduit !

À la suivante.

Crains pour toi, malheureuse !

LE KAM.

Même air.

Oui, vous avez raison, beau-père ;
Mahomet est un scélérat.

LA SUIVANTE, effrayée de ce blasphème.

Ah ! n’attirez point sur l’état
Sa terrible colère !

LE ROI, irrité contre la suivante.

Air n° 74, ou Jardinier, ne vois-tu pas.

Vous osez d’un suborneur
Appuyer l’insolence !

Au Kam.

Cherchons ce larron d’honneur.
Cherchons, tirons-en seigneur,
Vengeance, vengeance, vengeance.

LE KAM, répète le dernier vers.

Vengeance, vengeance, vengeance.

Le Roi et le kam, le sabre à la main, cherchent partout le faux Mahomet, qui paraît en l’air, et qui de son coffre décharge sur la tête du kam des coups de batte en chantant aussi.

ARLEQUIN.

Vengeance, vengeance, vengeance.

LE ROI et LE KAM.

Ensemble.

Air n° 75, ou Poursuivons jusqu’au trépas.

Exterminons aujourd’hui
Ce coquin qui nous outrage ?
Exerçons sur lui
Toute notre rage.

Ils continuent à chercher le faux prophète, qui jette sur eux quantité de pétards et d’autres feux d’artifice, qui enflamment l’air. On voit en même temps Arlequin dans sa machine qui traverse le théâtre. Il a un pourpoint noir avec un turban, et une longue barbe blanche. Le roi et le kam sont frappés de cette apparition ; et la suivante, profitant de la crainte dont elle voit le roi saisi, lui dit :

LA SUIVANTE.

Air n° 76, ou Rendez-moi mon écuelle de bois.

Au lieu d’offenser Mahomet,
Faites ce qu’il désire ;
Vous verrez un bonheur parfait
Régner dans votre empire.

LE ROI.

Hé bien, j’y consens : c’en est fait,
Il faut donc me dédire.

Au Kam.

Air n° 17, ou des Trembleurs.

Prince, notre résistance

N’est qu’une vaine défense ;
Et vous voyez qu’elle offense
Le patron des musulmans.
Allez, croyez-moi, mon frère,
N’irritons point sa colère ;
Il faut, pour le satisfaire,
Rompre nos engagements.

LE KAM, en se frottant les épaules.

Air n° 77, ou Au clair de la lune.

Tout franc, votre fille
Était bien mon fait ;
Et j’étais un drille.
Mais votre valet :
Puisque le prophète
En agit ainsi,
Je vais, sans trompette,
Déloger d’ici.

Le kam fait la révérence au roi et à la princesse, et s’en va.

 

 

Scène XII

 

LE ROI, LA PRINCESSE, LA SUIVANTE

 

LA SUIVANTE, apostrophant Mahomet.

Air n° 42, ou Jupiter, prête-moi ta foudre.

Mahomet, que ton courroux cesse ;
On va suivre tes volontés :
Tu vois que notre roi s’empresse
À reconnaître tes bontés.

LE ROI, apostrophant aussi Mahomet.

Air n° 36, ou De tous les capucins du monde.

Ma sacrilège résistance
N’excitera plus ta vengeance.
Par Médine j’en fais serment,
Ville où les musulmans fidèles,
Avec un saint empressement,
Vont voir tes dépouilles mortelles.

 

 

Scène XIII

 

LE ROI, LA PRINCESSE, LA SUIVANTE, ARLEQUIN, LE PRINCE DE PERSE

 

Arlequin, qui a tout entendu, profitant de la disposition où il voit l’esprit du roi, sort d’un bosquet où il a transporté le prince de Perse, et s’avance avec lui vers le monarque.

LE ROI, se jetant aux pieds du faux Mahomet.

Air n° 16, Je reviendrai demain au soir.

Vous me voyez à vos genoux.

ARLEQUIN.

Bon roi, relevez-vous. (bis.)

LE ROI.

Moi, qui vous ai tant offensé...

ARLEQUIN.

Laissons là le passé. (bis.)

Présentant le prince.

Air n° 3, ou Je t’ai planté, je l’ai vu naître.

Voici l’époux de votre fille,
Du roi de Perse unique fils.
Pour recruter votre famille
Il a le mérite requis.

Air n° 12, ou Réveillez-vous, belle endormie.

Ne l’acceptez-vous pas pour gendre ?

LE ROI.

Je le reçois de tout mon cœur.
De votre main on doit tout prendre.

ARLEQUIN.

Oui, foi de prophète d’honneur !

Le prince de Perse tombe aux genoux du roi de Basra, qui l’embrasse.

LE ROI.

Air n° 73, ou Amis, dans ce charmant bocage.

Héritier d’un célèbre empire,
Pour moi quelle félicité !...

LE PRINCE.

Grand roi, que ne pouvez-vous lire
Dans le cœur d’un prince enchanté !...

LE ROI, à la princesse.

Avec plaisir tu dois souscrire,
Ma fille, à ce charmant traité.

LA SUIVANTE, au roi.

Air n° 78, ou Voici les dragons qui viennent.

Oh ! sans peine à cette affaire
Son cœur se résout !

LA PRINCESSE.

J’y consens, pour satisfaire
Le grand prophète et mon père.

ARLEQUIN.

Et vous itout. (bis.)

LE ROI.

Air n° 48, ou Tout est charmant chez Aspasie.

Que cette nuit on chante, on danse.

LA SUIVANTE.

Mahomet, dédaignerez-vous
D’honorer de votre présence
L’hymen de ces jeunes époux ?

ARLEQUIN.

Air n° 79, ou Talalerire.

Non, vraiment ; et je veux, poulette,
Être sur terre ton mari.

LA SUIVANTE.

Que dites-vous, ô grand prophète !

ARLEQUIN.

Tu me serviras de houri.

LA SUIVANTE, lui passant la main sous la barbe.

Le grand Mahomet aime à rire.

ARLEQUIN.

Talaleri, talareri, talalerire.

Une troupe d’esclaves et d’eunuques viennent former une danse qui finit la pièce.


[1] Ce sont les filles du paradis de Mahomet, qui, par un miracle de l’Alcoran, sont toujours vierges, quoiqu’elles fassent la félicité des bienheureux musulmans. (Note de l’auteur.)

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