Anglais et français (Jean-François BAYARD - Gustave DE WAILLY)

Comédie à-propos en un acte

Représenté pour la première fois, à Paris, à la salle Favart, par les comédiens réunis du Théâtre-Royal de l’Odéon et du théâtre anglais, le 22 octobre 1827.

 

Personnages

 

SIR RICHARD, jeune Anglais

EUGÈNE VERNEUIL, jeune Français déguisé en Anglais, un peu caricature

DESCHAMPS

MADAME DE MARILLY

MADAME DUFOUR

UN DOMESTIQUE.

 

La scène se passe à Lille, dans un hôtel tenu par madame Dufour.

 

Le théâtre représente une salle de l’hôtel, une table à droite.

 

 

Scène première

 

EUGÈNE seul, baragouinant, à ta cantonade

 

Yes, pressé moi, extrêmement fort beaucoup ; Le déjeuner tout de suite, entendez-vous.

Changeant de ton.

Enfin je suis seul, respirons un peu ; j’étouffe sous ce maudit costume ; la sotte chose qu’une perruque ! Diable ! passer pour Anglais, quand on ne sait guère, comme Figaro, que le fond de la langue, goddam ! C’est plus fatigant qu’on ne croit... surtout c’est plus cher ! Ces maudits aubergistes me rançonnent comme un Anglais chargé de guinées, et c’est toujours à la carte que je vois qu’on ne m’a pas reconnu.

 

 

Scène II

 

EUGÈNE, MADAME DUFOUR, UN DOMESTIQUE

 

MADAME DUFOUR.

Pardon, mylord, de vous avoir fait attendre ; que veut mylord ?

EUGÈNE, baragouinant.

Mais presque rien du tout, madame ; comme je suis extrêmement en hâte de arriver dans le Angleterre, je avoir dîné dans le Paris pour toute la route.

MADAME DUFOUR.

Voilà un mylord qui a de la précaution.

EUGÈNE.

Vous donner à moi le rosbeef et le plumpuding seulement ; je ne être pas dans mes appétits.

MADAME DUFOUR.

Vous allez être servi, mylord.

Elle fait signe au domestique qui sort et apporte le déjeuner. À part.

A la bonne heure, voilà de ces figures que j’aime, qui mangent bien et qui paient de même.

EUGÈNE.

Very well... dites à moi, madame, la voiture pour Dunkerque il doit partir bientôt ?

MADAME DUFOUR.

Dans une heure à peu près, mylord ; voici celle de Paris qui arrive.

EUGÈNE, à part.

De Paris... ah ! mon Dieu ! s’il y avait des voyageurs de ma connaissance.

 

 

Scène III

 

EUGÈNE, à table, MADAME DE MARILLY, DESCHAMPS, MADAME DUFOUR

 

DESCHAMPS.

Madame Dufour, une chambre pour madame.

EUGÈNE, à part.

Peste, la jolie femme !

Se remettant à manger.

Cela ne me regarde pas, voilà mon affaire.

DESCHAMPS.

Comment, madame, vous étiez dans la voiture de Paris ?

MADAME DE MARILLY.

Oui, mon cher Deschamps, je me rends à une terre que ma belle-sœur vient d’acheter près de Lille.

Apercevant Eugène.

Mais pardon, nous ne sommes pas seuls.

MADAME DUFOUR.

Ne faites pas attention, madame, c’est un Anglais qui ne comprend rien, et qui déjeune.

Elle sort.

MADAME DE MARILLY.

Ah !... mais vous, mon cher Deschamps, quel heureux hasard me procure le plaisir de vous voir ? Savez-vous que vous m’avez presque fait peur au sortir de la diligence ; cet air mystérieux avec lequel vous examiniez chaque voyageur qui descendait, ces questions que vous adressiez au conducteur, ces gens en noir qui entouraient la voiture, et qui entre nous n’ont pas l’air très aimable...

DESCHAMPS.

Comment donc, madame, ce sont de fort honnêtes gens, deux huissiers et trois recors...

EUGÈNE, à part.

Des huissiers !

DESCHAMPS.

Tout prêts à saisir certain jeune homme que je ne connais pas, mais dont j’ai le signalement...

EUGÈNE, à part.

Qu’est-ce qu’il dit là !

DESCHAMPS.

Et que je suis chargé de faire arrêter par procuration de sa famille.

EUGÈNE, à part.

Voici qui devient piquant.

MADAME DE MARILLY.

Et quel est donc ce jeune homme ?

DESCHAMPS.

Le neveu d’un de mes amis, de monsieur de Roberval.

EUGÈNE, à part.

Hein ! le neveu de mon oncle ! décidément il parait que c’est moi.

MADAME DE MARILLY.

Et qu’a-t-il donc fait, mon cher Deschamps ?

DESCHAMPS.

Il veut se marier.

MADAME DE MARILLY.

Ah ! c’est pour cela... c’est donc un mariage...

DESCHAMPS.

Extravagant.

MADAME DE MARILLY.

J’entends !... la jeune personne n’est pas d’une condition qui réponde à la sienne.

DESCHAMPS.

Oh ! de ce côté-là, il n’y a rien à dire.

MADAME DE MARILLY.

J’y suis ; elle est alors sans fortune.

DESCHAMPS.

De ce côté-là c’est un assez bon parti.

MADAME DE MARILLY.

Alors, c’est donc le caractère...

DESCHAMPS.

Oh ! de ce côté-là, on la dit fort douce... d’ailleurs dix huit ans, de l’esprit, une jolie figure.

MADAME DE MARILLY.

Ah ca, mais qu’est-ce donc ?

DESCHAMPS.

Elle est Anglaise.

MADAME DE MARILLY.

Ah !

DESCHAMPS.

Vous sentez toute la colère dont mon vieil ami a dû être saisi en apprenant la passion de son neveu, lui qui a encore dans toute leur force nos vieilles préventions... après avoir épuisé prières, menaces, il a fermé sa bourse au jeune homme pour l’obliger à capituler... eh bien ! pas du tout, le jeune homme a fait des dettes, ce qui est fort mal... c’est-à-dire, ce qui est fort bien, puisque sans cela nous ne pourrions l’empêcher de partir.

MADAME DE MARILLY.

Ah mon Dieu ! vous le faites poursuivre ?

DESCHAMPS.

Non pas... nous le poursuivons nous-mêmes... C’est plus sûr. L’oncle a acheté les créances.

EUGÈNE, à part.

Ce cher oncle ! il a payé mes dettes !

DESCHAMPS.

Justement on venait d’obtenir une prise de corps contre Eugène... le jeune homme s’appelle Eugène... nous la mettons à exécution... D’après ce qu’on m’écrit, il a dû prendre la route de Lille ; je l’attendais au passage, et j’espérais bien l’envoyer sous les verrous mûrir ses projets de mariage... Mais jugez de mon désappointement, lorsqu’à l’arrivée de la voiture, au lieu de trouver mon jeune étourdi, je n’ai vu sortir de la diligence que deux nourrices, deux vieilles femmes, et ce mylord qui faisait l’agréable auprès de vous.

EUGÈNE, à part.

Il paraît que j’ai bien fait de prendre les devants.

DESCHAMPS.

Mais c’est égal ; je ne me tiens pas pour battu, j’attends ce matin même de nouvelles instructions, et morbleu ! je n’épargnerai rien pour le faire arrêter, quand ce ne serait que par esprit national.

EUGÈNE, s’oubliant.

C’est ce que nous verrons.

Se reprenant.

Goddam, la fille, garçon ! ils ne m’entendent pas ! Le détestable pays que la France !

MADAME DE MARILLY.

Ah ! voilà un mylord qui ne me paraît pas très poli ; mais en revanche, celui qui a voyagé avec moi a été d’une politesse, d’une prévenance... En vérité il était temps que j’arrivasse ; car sa galanterie commençait à m’embarrasser.

DESCHAMPS.

Mon Dieu, Madame, comme vous en parlez... prenez-y garde, je n’ai pas contre vous de prise de corps.

MADAME DE MARILLY.

Plaisantez tant que vous voudrez : vous savez bien que veuve et libre, si jamais je me remarie, ce n’est pas à un étranger que je donnerai la préférence... mais il paraît que mon départ va être retardé... il faut que je m’informe... Adieu, je vous reverrai.

DESCHAMPS.

Mais je l’espère bien... permettez...

Il la reconduit jusqu’au fond du théâtre.

 

 

Scène IV

 

EUGÈNE, DESCHAMPS

 

EUGÈNE, se levant.

Ils s’en vont ! je respire !

DESCHAMPS, dans te fond.

Eh ! mais... il me vient une idée... si je questionnais cet autre voyageur... peut-être pourrait-il...

EUGÈNE, à part.

Ah ! mon Dieu ! comme il me regarde ?

DESCHAMPS.

Pardon, mylord, si je prends la liberté de vous adresser une question... Vous êtes venu, je crois, cette nuit par la voiture de Paris ?

EUGÈNE.

Yes, sir, yes.

À part.

Où veut-il en venir.

DESCHAMPS.

En ce cas, pourriez-vous me dire, si vous n’avez pas voyagé avec un jeune homme de 25 ans environ, cheveux bruns, taille moyenne, jolie tournure ?

EUGÈNE, à part.

Par exemple ! il s’adresse bien pour avoir des renseignements !

DESCHAMPS.

Vous n’avez pas remarqué, mylord, un jeune homme tel que celui que je vous dépeins ?

EUGÈNE.

Pardonnez, sir, moi ne pas entendre vous ; moi comprendre le français langage très difficultueusement.

DESCHAMPS.

Allons ! il ne comprend pas, maintenant ! Si je savais sa langue encore !

Apercevant sir Richard.

Ah !

 

 

Scène V

 

EUGÈNE, SIR RICHARD, DESCHAMPS

 

SIR RICHARD, entrant.

C’est bien, c’est bien, madame de Marilly will be pleased, I hope.

DESCHAMPS.

Oserais-je, mylord, réclamer de vous un service.

EUGÈNE, à part.

Un Anglais ! me voilà bien !

SIR RICHARD.

Parlez, monsieur, que voulez-vous ?

DESCHAMPS.

Madame de Marilly m’a dit que vous entendiez parfaitement le français ; voici un de vos compatriotes, dont je ne peux pas me faire comprendre.

SIR RICHARD, saluant Eugène.

Ah... I am happy to see you.

EUGÈNE, à part.

Je suis pris !

DESCHAMPS.

Voudriez-vous lui demander de ma part s’il n’a pas voyagé avec un jeune homme.

SIR RICHARD.

Comment donc ! très volontiers.

À Eugène.

Did you travel with a young Frenchman ?

DESCHAMPS, à Eugène.

Eh bien ! comprenez-vous à présent ?

EUGÈNE.

Si je comprends... il parle anglais lui... Par exemple, il serait fort que je ne entende pas mon langage.

À part.

Ah ! mon Dieu ! comment faire !

SIR RICHARD.

This gentleman wishes to know if you travelled with a young Frenchman ?

EUGÈNE.

Yes, sir, yes ; what’s o’clock ; I thank you.

SIR RICHARD, étonné.

Ah !

DESCHAMPS.

Eh bien, mylord, qu’est-ce qu’il dit !

SIR RICHARD.

Parbleu ! je n’en sais rien !

DESCHAMPS.

Comment ! vous n’en savez rien ? Voilà qui est particulier ! vous n’êtes donc pas Anglais...

EUGÈNE, à part.

S’il lui parle encore, je suis perdu.

Haut.

Goodnight sir, goodnight.

Bas à Richard.

Ne me trahissez pas.

Haut.

I am very glad, certainement I understand very well.

Bas.

Renvoyez-le, vous saurez tout, je suis Français.

SIR RICHARD.

Je ne m’étonne plus !

DESCHAMPS.

Eh bien ?

SIR RICHARD.

Eh bien ! monsieur, je ne suis pas plus heureux que vous ; mylord, je le vois, est Irlandais.

EUGÈNE.

Yes, yes, c’est cela.

SIR RICHARD.

Et nous parlerions ainsi deux heures sans nous comprendre.

DESCHAMPS.

Que le diable les emporte avec leur maudit baragouin ! S’ils ne s’entendent pas entre eux, comment veulent-ils qu’on les entende.

Il sort en colère.

 

 

Scène VI

 

EUGÈNE, SIR RICHARD

 

EUGÈNE.

Enfin il est sorti !

SIR RICHARD.

Comment ! vous n’êtes pas...

EUGÈNE.

Chut ! non, mylord, non, je suis Français ; je me nomme Eugène Verneuil, je passe en Angleterre ; mais on veut m’arrêter.

S1R RICHARD.

Vous êtes un agent de change ?

EUGÈNE.

Non, mylord, je suis un amant, voilà tout ; j’aime une anglaise charmante, on m’accorde sa main, et je vais l’épouser en dépit de deux ou trois de mes parents, qui ne trouvent pas d’autre moyen de m’empêcher de partir que de me poursuivre pour des dettes qu’ils ont achetées après m’avoir mis dans l’impossibilité de les payer.

SIR RICHARD.

Je comprends, je comprends, et c’est pour échapper...

EUGÈNE.

Oui, c’est pour échapper à leurs poursuites que j’ai pris ce déguisement, et que partout sur la route je me fais passer pour Anglais.

SIR RICHARD.

Anglais ! Non, non, ce n’est pas cela, il y a bien à Londres des caricatures comme à Paris, oh ! beaucoup, mais les jeunes gentlemen ne sont pas ridicules du tout, du tout...

EUGÈNE.

Ah ! mon Dieu, est-ce qu’on me reconnaîtrait ?

SIR RICHARD.

Non pas en France... Les théâtres montrent tous les Anglais en mylords gourmands ; de même les Français à Covent-Garden, à Drury-Lane, sont tous des fats, des petits-maîtres, quoiqu’on n’en voie plus ou presque plus à Paris... seulement, pour charger tout-à-fait, vous au riez dû barbouiller votre figure comme un gros Goddam qui boit beaucoup, beaucoup.

EUGÈNE.

Ma foi, si je ne suis pas plus rouge ce n’est pas ma faute ; pour mieux jouer mon rôle tout le long de la route je fais des repas qui me tuent, je bois et je mange comme l’Anglais le mieux conditionné.

SIR RICHARD.

Mais pour être un véritable Anglais il fallait prendre la tournure d’un fashionable de Londres, comme cela, tenez... ou d’un gros marchand de la cité qui ne boit que de la bière par patriotisme.

EUGÈNE.

Oh ! ma foi, j’aime encore mieux boire du vin. Heureusement je touche au terme de mon voyage.

SIR RICHARD.

Vous allez vous marier en Angleterre ? c’est bien ; vous ne détestez pas les Anglais, vous !

EUGÈNE.

Moi, mylord, non sans doute, détester les Anglais ! ah ! croyez que chez nous on pense plus noblement ; les préventions perdent tous les jours de leur force : ces préjugés d’un autre âge, ces idées rétrécies qui nous divisaient ont fait place à une généreuse émulation, nous travaillons au bonheur de notre patrie comme vous travaillez au bonheur de la vôtre. L’industrie peut enrichir la France et l’Angleterre ; et le commerce, les arts et la liberté en étouffant tous les vieux germes de discorde, doivent unir enfin deux grands peuples qui s’estiment et qui sont dignes de s’aimer.

SIR RICHARD.

Bien ! très bien ! moi je pense aussi comme vous, et bientôt nous penserons tous de même.

EUGÈNE.

Déjà le génie des deux nations a franchi le détroit.

SIR RICHARD.

Nous devons à un Français le pont sous la Tamise, oh ! c’est magnifique.

EUGÈNE.

J’ai admiré aux portes de Paris l’industrie anglaise.

SIR RICHARD.

On applaudit Voltaire à Drury-Lane.

EUGÈNE.

Et Shakespeare à Favart.

SIR RICHARD, gaiement.

Et vous, jeune Français, vous allez prendre une femme en Angleterre.

EUGÈNE.

Certainement, elle est aussi jolie qu’une Française.

SIR RICHARD.

Comme moi, la jeune dame que j’aime est aussi jolie qu’une Anglaise.

EUGÈNE.

Quoi ! mylord, vous êtes amoureux ?

SIR RICHARD.

Oui, beaucoup, je crois... une compagne de voyage jolie... Oh ! bien jolie... Moi j’étais depuis Paris en face d’elle... je la regardais toujours, et je ne sais comment cela s’est fait, mais quand je suis arrivé, j’avais le cœur pris, oh ! tout-à-fait.

EUGÈNE.

Comment, mylord, vous l’aimez... C’est charmant... Mais vous êtes-vous expliqué ?

SIR RICHARD.

Oh ! non, presque pas, je n’ai pas pu.

EUGÈNE.

Mais vous parlez français presque aussi bien que moi.

SIR RICHARD, riant.

Oui ? n’est-ce pas ! c’est une Française, qui me l’a montré, elle était jolie et je l’ai appris très vite : voyez-vous, lorsqu’une dame est bonne, aimable avec moi, je parle bien, les mots viennent toujours, je n’ai presque plus d’accent ; mais si elle ne veut pas m’écouter, si elle se fâche, oh ! alors je n’y suis plus, je m’embarrasse et je ne sais plus que de l’anglais.

EUGÈNE.

Je conçois, et il paraît que mon aimable compatriote vous intimide un peu.

SIR RICHARD.

Oui, elle a des préventions, je crois, mais je la verrai... j’aurai plus de courage,

Montrant l’appartement à droite.

elle est ici...

EUGÈNE.

Je vous laisse, mylord, vous savez mon secret, vous ne me trahirez pas...

SIR RICHARD.

Au contraire, je veux vous servir de tout mon cœur et je compte sur votre amitié ; nous pensons de même tous les deux, nous sommes tous les deux amoureux, unissons nous, donnez-moi la main, monsieur Eugène.

EUGÈNE.

De tout mon cœur, mon cher... comment vous nommez-vous ?

SIR RICHARD.

Sir Richard.

EUGÈNE.

Eh bien ! mon cher sir Richard, vous m’aiderez à tromper mes ennemis, et je ferai des vœux pour que vous plaisiez à la jeune Française ; pour le moment c’est tout ce que je peux vous offrir.

Il sort.

 

 

Scène VII

 

SIR RICHARD, seul

 

Poor fellow, I hope he will elude their vigilance ! But this delightful madame de Marilly engrosses all my thoughts ; I must endeavour to get rid of this mauvaise honte while I converse with her.

 

 

Scène VIII

 

MADAME DE MARILLY, SIR RICHARD

 

MADAME DE MARILLY.

Ah ! mylord, combien je suis touchée de tout ce que vous avez fait pour moi.

SIR RICHARD.

Comment donc, madame ?

MADAME DE MARILLY.

Vous apprenez que la voiture sur laquelle je comptais pour continuer ma route, ne peut m’être donnée avant deux jours, vous voyez mon embarras, et vous levez les obstacles qui s’opposaient à mon voyage.

SIR RICHARD.

Madame, j’ai su que je pourrais vous rendre contente, et j’ai été trop heureux.

À part.

Les mots me viennent bien.

MADAME DE MARILLY.

M’obliger ainsi ! et sans m’avoir prévenue.

SIR RICHARD.

Je n’étais pas sûr de réussir.

MADAME DE MARILLY.

C’est une délicatesse...

SIR RICHARD.

Toute naturelle, madame.

À part.

Si j’osais !

MADAME DE MARILLY.

Recevez de grâce mes remerciements.

SIR RICHARD.

Oui, madame, je les reçois, votre contentement est tout ce que je voulais, car si j’avais consulté mon intérêt particulier, j’y aurais mis moins d’empressement sans doute.

MADAME DE MARILLY.

Votre intérêt ! vous vous seriez privé pour moi...

SIR RICHARD.

Non madame, non, mais vous allez partir, et moi je ne serai plus près de vous...

MADAME DE MARILLY.

Ah ! n’est-ce que cela, mylord ?

SIR RICHARD, vivement.

C’est beaucoup ! il m’était si agréable de vous voir, de vous écouter toujours, et je vous perds lorsque l’amour le plus tendre...

MADAME DE MARILLY.

Que dites-vous, mylord ?

SIR RICHARD, intimidé.

Ah ! madame, je n’ai pas voulu vous offenser.

MADAME DE MARILLY.

Je le crois.

SIR RICHARD.

Mais pourquoi repousser l’aveu d’un amour...

Mouvement de madame de Marilly.

Non, madame, non... Je veux dire d’un sentiment qui...

À part.

Ô Dieu !

MADAME DE MARILLY.

Mylord, je suis venue vous remercier, je me retire.

SIR RICHARD, s’embarrassant de plus en plus.

De grâce, madame, n’éloignez pas... ne vous éloignez pas... permettez que j’exprime à vous le... Le respect infiniment... beaucoup... Je voulais... je...

MADAME DE MARILLY.

Remettez-vous, mylord, ce trouble...

SIR RICHARD.

Yes... non pas yes... oui... I am lost... Vous me pardonnez, madame, n’est-ce pas ?...

MADAME DE MARILLY.

Moi ! oui sans doute ; je ne veux voir dans tout cela qu’une politesse exagérée.

SIR RICHARD, vivement.

Non, madame, non je vous aime véritablement, la tendresse la plus vive...

MADAME DE MARILLY.

Alors je ne puis en entendre davantage.

SIR RICHARD.

Ah ! j’espérais...

MADAME DE MARILLY, s’éloignant.

N’insistez pas, je vous prie, ou...

SIR RICHARD, déconcerté.

Pardon, madame, c’est moi... Je sors plein d’amour... non, non... de respect...

À part.

Oh ! this devil of a tongue, I shall never get on with it.

Haut.

Pardon, madame... je sors...

Il sort par la gauche.

 

 

Scène IX

 

MADAME DE MARILLY, seule

 

Eh bien ! voilà ce que je craignais... une déclaration ! il ne manque pas de grâce, il n’est pas mal, raison de plus pour ne pas l’écouter ; un Anglais ! Je n’ai pas de préventions, mais il y a des convenances...

 

 

Scène X

 

MADAME DE MARILLY, DESCHAMPS, MADAME DUFOUR

 

DESCHAMPS, une lettre à la main.

Oui, oui, celui qui est arrivé avec madame, Sir Richard... qu’il vienne, nous désirons lui parler.

MADAME DUFOUR.

Tout de suite, monsieur.

MADAME DE MARILLY.

Comment... nous !

DESCHAMPS.

Vous ne savez pas, une aventure charmante ; je vais vous conter... ah ! madame Dufour.

MADAME DUFOUR, revenant.

Monsieur ?

DESCHAMPS.

S’il faisait quelques préparatifs de départ vous me préviendrez en secret.

MADAME DUFOUR.

Ah ! mon Dieu ! monsieur, très volontiers.

Elle sort.

 

 

Scène XI

 

MADAME DE MARILLY, DESCHAMPS

 

DESCHAMPS.

Allez vite ! je me charge du reste... Sir Richard ! le nom n’est pas mal choisi, qu’en dites vous ?

MADAME DE MARILLY.

Enfin m’apprendrez vous, mon cher Deschamps, d’où vient le grand intérêt que vous prenez à cet Anglais ?

DESCHAMPS.

Oui, Anglais comme vous et moi.

MADAME DE MARILLY.

Plaît-il ? que dites-vous ?

DESCHAMPS.

Eh bien ! vous ne comprenez pas ? mon étourdi qui va se marier en Angleterre et que je suis chargé d’arrêter au passage...

MADAME DE MARILLY.

Achevez !

DESCHAMPS.

Une lettre de Paris m’annonce qu’il sait tout, et que pour tromper notre surveillance, il se fait passer pour Anglais.

MADAME DE MARILLY.

Ah ! je comprends... ce jeune homme... oui, en effet, je le remarquais tout à l’heure, sa gaucherie paraît affectée, par moment sa prononciation plus nette...

DESCHAMPS, riant.

Aussi j’ai vu tout de suite qu’il avait quelque chose de singulier ; vous n’étiez pas ici quand il s’est trouvé en face de son prétendu compatriote, il avait l’air surpris, déconcerté, ils ne s’entendaient plus. Un Irlandais... par bleu, je le crois bien !

MADAME DE MARILLY.

Il se pourrait ! eh bien ! tant mieux !

DESCHAMPS.

N’est-ce pas ? c’est un garçon charmant, un homme d’esprit... Je vous demande un peu quelle idée ! jeune, aimable, bien fait, se marier de l’autre côté du détroit.

MADAME DE MARILLY.

Il est vrai que c’est une folie.

DESCHAMPS.

Oh ! nous y mettrons bon ordre, toutes mes mesures sont prises... à moins toutefois que ce que vous me disiez ne soit vrai.

MADAME DE MARILLY.

Moi je vous disais...

DESCHAMPS.

Qu’il avait pour vous des soins bien tendres, bien empressés.

MADAME DE MARILLY.

Oh ! des égards, voilà tout.

DESCHAMPS.

Mieux que cela, je le parierais... écoutez donc, quand vous lui feriez oublier quelque Lady, je ne vois rien là que de fort naturel... ce serait un grand service à nous rendre à tous et à lui-même.

MADAME DE MARILLY.

Un service ! allons ne plaisantez donc pas ainsi.

DESCHAMPS.

Non, ma parole d’honneur, je ne plaisante pas, et si vous consentiez...

MADAME DE MARILLY.

Mais je ne consens pas du tout...

DESCHAMPS.

Ah ! le voici !

 

 

Scène XII

 

MADAME DE MARILLY, DESCHAMPS, SIR RICHARD

 

SIR RICHARD, avec empressement.

Moi ! moi ! on me demande... ah ! madame.

DESCHAMPS.

Sir Richard, je suis enchanté de vous voir.

SIR RICHARD, se retournant d’un air froid.

Monsieur, moi aussi, très enchanté !

Vivement, à madame de Marilly.

il paraît que vous voulez parler à moi.

DESCHAMPS, riant.

À moi !

MADAME DE MARILLY, de même.

Pauvre jeune homme !

SIR RICHARD, les regardant avec surprise.

Je ne comprends pas...

DESCHAMPS.

Mais je voulais vous demander des nouvelles d’un jeune Français qui s’échappe de Paris pour aller à Londres.

SIR RICHARD.

Ô ciel ! vous savez...  

À part.

il est perdu !

MADAME DE MARILLY, l’observant.

C’est lui !

DESCHAMPS.

Ah ! Voilà déjà que vous prononcez mieux ! allons mon cher plus de mystère, vous le voyez, vous êtes reconnu.

SIR RICHARD, cherchant à comprendre.

Moi ! Oh ! moi !

DESCHAMPS, riant.

Vous ne comprenez pas, mylord ? Non, vous entendez si mal notre langue.

MADAME DE MARILLY.

Vous jouez très bien la comédie.

SIR RICHARD.

Moi ! Vous trouvez... Oui, oui je comprends.

Il rit.

DESCHAMPS.

Ah ! c’est fort heureux !

Ils rient tous tes trois.

MADAME DE MARILLY.

Me tromper ainsi ! depuis Paris vous prenez beaucoup de peine pour me donner le change... Vous me rendez service et vous n’avez pas confiance en moi... Ah ! ce n’est pas bien, je ne vous aurais pas trahi.

SIR RICHARD.

Madame...

MADAME DE MARILLY, souriant.

Non, ce n’est pas bien.

Elle sort.

 

 

Scène XIII

 

SIR RICHARD, DESCHAMPS

 

DESCHAMPS, riant.

Ah ! ah ! gaillard... mais je vous tiens, et vous ne m’échapperez pas...

SIR RICHARD.

Moi je ne veux pas m’échapper... jamais...

À part.

Monsieur Eugène pourra partir.-

DESCHAMPS.

Allons ! il ne s’agit plus de me tromper à présent. Savez-vous bien pourquoi je suis ici...

SIR RICHARD.

Oh ! oui ! pour arrêter le jeune...

Se reprenant.

Pour m’arrêter.

DESCHAMPS, riant.

Yes, mylord ; mais vous m’avez l’air d’un bon enfant ; touchez là, et entendons nous... Pourquoi diable ! voulez-vous quitter votre pays, votre famille pour aller épouser une Anglaise, qui, j’en suis sûr...

SIR RICHARD, vivement.

Oh ! de jolies femmes à Londres, à Paris... l’amour n’a pas de préjugés... J’ai aimé des Anglaises, j’ai aimé des Françaises... et c’est toujours la même chose, ma parole d’honneur !

DESCHAMPS.

Je n’en crois rien... et par exemple, la jeune dame qui a voyagé avec vous, qui est ici... Madame de Marilly.

SIR RICHARD.

Oh ! madame de Marilly, charmante !

DESCHAMPS.

Parbleu ! vous devez le savoir l Il paraît que depuis Paris jusqu’à Lille, vous n’avez eu des yeux que pour elle... et je gage que vous l’aimeriez...

SIR RICHARD.

Je l’aimerais, oui, beaucoup... je l’aimerais toujours.

DESCHAMPS.

Eh bien ! franchement je crois qu’elle ne vous voit pas avec indifférence.

SIR RICHARD.

Vraiment ! vous croyez...

DESCHAMPS.

Elle est veuve, jeune, riche... Voulez-vous l’épouser ?

SIR RICHARD.

Oh ! oui... je veux infiniment...

DESCHAMPS.

Restez en France, revenez à Paris.

SIR RICHARD.

Je reviens à Paris.

DESCHAMPS.

Et je vous la donne.

SIR RICHARD.

Je la prends... mais vous croyez qu’elle m’aimerait ?

DESCHAMPS.

Oui, vous dis-je, soyez tranquille.

SIR RICHARD.

Elle m’avait repoussé toujours.

DESCHAMPS.

Parbleu ! je crois bien ! mais du moment qu’elle sait qui vous êtes, elle vous écoutera.

SIR RICHARD.

Ah ! elle m’écoutera.

DESCHAMPS.

Eh oui ! mais encore une fois, mettez-vous à votre aise avec nous... ne craignez plus rien, nous voilà d’accord, ne vous donnez pas tant de peine pour estropier votre langue.

SIR RICHARD.

Non, non, je parlerai bien.

DESCHAMPS.

Laissez là du moins votre accent britannique.

SIR RICHARD.

Oh ! pour l’accent ! je le garderai toujours un peu... pour des raisons particulières, à moi.

DESCHAMPS.

Ah ! si vous y mettez de l’obstination... mais je vous préviens que je vais prendre mes précautions... vous retournerez à Paris, ou je vous fais arrêter... je ne connais que ça, moi.

SIR RICHARD.

Yes, sir.

DESCHAMPS.

Yes ! tenez, mon cher, vous n’y mettez pas assez d’adresse... depuis que je vous vois, je n’ai pas encore entendu un seul goddam...

 

 

Scène XIV

 

SIR RICHARD, DESCHAMPS, EUGÈNE

 

EUGÈNE, à la cantonade.

Goddam ! madame... être pressé moi... entendez-vous...

DESCHAMPS.

Eh ! tenez ! à la bonne heure ! en voici un : il n’y a pas à s’y tromper.

EUGÈNE, à part.

Allons ! encore ici !

SIR RICHARD, riant.

Un mylord... un gros mylord lui, vous avez raison.

EUGÈNE.

Sir, le voiture être prête pour le... pour le partement.

SIR RICHARD.

Yes, sir.

DESCHAMPS.

Hein ! c’est cela ! peur le partement... voilà comme ils parlent tous...

À Eugène.

Je suis bien fâché, mylord ; il paraît que vous attendiez monsieur pour faire route avec lui... mais il ne partira pas... il ne peut pas partir.

À sir Richard.

Ainsi madame de Marilly, en France... ou... vous savez... mais voyez donc... voyez donc... voilà le costume, la tournure... c’est cela ! c’est bien cela !

Il sort en riant.

 

 

Scène XV

 

SIR RICHARD, EUGÈNE

 

EUGÈNE.

Il paraît que vous êtes très bien ensemble.

SIR RICHARD, très gaiement.

Très bien !... il veut me faire aller en prison.

EUGÈNE.

Comment ! en prison ! il veut donc arrêter tout le monde, cet homme-là.

SIR RICHARD.

Non pas vous, mais moi... oh ! je suis content, très content !

EUGÈNE.

Ah ça ! il a perdu la tête !

SIR RICHARD.

Monsieur Deschamps a découvert votre stratagème.

EUGÈNE.

Ô ciel !

SIR RICHARD.

Non, ne craignez rien... c’est moi qu’il a pris pour l’amoureux de la jeune lady... Vous êtes toujours Anglais, moi, je suis Français : madame de Marilly va m’aimer... oh ! oui, j’espère... je reste en France... vous, vite ! vite ! partez pour l’Angleterre.

EUGÈNE.

Ah ! mylord ! comment reconnaître tant d’amitié !

SIR RICHARD.

En m’aimant toujours, beaucoup ! Je suis heureux, vous êtes heureux, nous sommes quittes... Tenez, embrassons-nous.

EUGÈNE.

De tout mon cœur... Ma foi ! si mon départ enlève un mari à nos jeunes Françaises, je laisse du moins en France un brave garçon qui prendra ma place.

SIR RICHARD.

Adieu ! adieu !

EUGÈNE.

Farewell, farewell !

Il sort.

 

 

Scène XVI

 

SIR RICHARD, seul

 

Oh ! I am the happiest fellow in the world ; he will escape, and I shall again behold this charming creature.

 

 

Scène XVII

 

SIR RICHARD, MADAME DE MARILLY

 

MADAME DE MARILLY, à la cantonade.

Eh ! non, de grâce, ne précipitez rien.

SIR RICHARD.

Ah ! c’est elle !

MADAME DE MARILLY.

Monsieur Eugène ! monsieur Eugène !

SIR RICHARD.

Me voici, madame.

MADAME DE MARILLY.

De grâce, si vous voulez partir, hâtez-vous ; vous n’avez pas de temps à perdre... Vous me voyez toute tremblante... monsieur Deschamps vient d’apprendre que tandis que vous lui permettiez de rester en France, on faisait tout préparer pour votre départ... Il place des gens près de la voiture, aux portes de l’hôtel, partout..

SIR RICHARD, à part.

Ah ! pourvu que monsieur Eugène...

MADAME DE MARILLY.

Cherchez quelque moyen de vous échapper... j’avais promis de me taire... mais votre situation me fait de la peine.

SIR RICHARD.

Ah ! madame, tant de bonté...

MADAME DE MARILLY.

Vous voulez passer en Angleterre, vous y marier... c’est peut-être une folie ; mais enfin...

SIR RICHARD.

Non, madame, non, je reste.

MADAME DE MARILLY.

Vous voyez qu’il s’agit de votre liberté.

SIR RICHARD.

Et si je me trouve bien ici ?

MADAME DE MARILLY.

Vous ?

SIR RICHARD.

Oui, madame ; en quittant Paris je me croyais bien décidé, mais auprès de vous j’ai senti quelques regrets à sortir de France... Croyez-vous que ce voyage ne m’ait pas fait changer d’avis ?

MADAME DE MARILLY.

L’amour qui vous conduisait à Londres se serait éteint bien subitement.

SIR RICHARD.

Et si mon cœur était libre, si dès que je vous ai vue...

MADAME DE MARILLY.

Ah ! une déclaration ! je vous préviens que je n’en croirai pas un mot... on dirait que vous avez aussi intérêt à me tromper : cet air étranger, cette prononciation affectée...

SIR RICHARD.

Ne faites pas attention... c’est un reste d’habitude... il y a si longtemps que je fais l’Anglais... mais je vous parle avec franchise... et mon trouble aurait dû vous le dire. Tout à l’heure encore j’étais embarrassé... les mots ne répondaient plus à mes idées ; je voulais parler, et je restais muet...

MADAME DE MARILLY.

Je vois que la parole vous est revenue...

SIR RICHARD.

C’est que vous m’accueillez avec plus de bonté.

MADAME DE MARILLY.

C’est que vous n’êtes plus Anglais.

SIR RICHARD.

Ah ! voilà des préventions qui ne sont pas justes ; vous avez l’esprit national, et moi aussi... mais l’amour, comme les arts, ne doit-il pas rapprocher tout ce que les préjugés ont séparé trop longtemps ?... et parce que je suis... c’est-à-dire, parce que j’étais Anglais, deviez-vous me traiter avec tant de rigueur ? Il me semble que dans quelque pays que le ciel m’eût fait naître, j’aurais toujours éprouvé près de vous je ne sais quelle émotion... sympathique... Je vous aurais toujours aimée... comme je vous aime à présent.

MADAME DE MARILLY.

Ah ! voilà une leçon de tolérance qui finit d’une plaisante manière.

SIR RICHARD.

Ne pensez-vous pas comme moi ?

MADAME DE MARILLY.

Tenez, vous avez beau dire, j’ai des préjugés, si vous voulez ; mais je crois qu’un Anglais sera toujours moins aimable...

SIR RICHARD.

Qu’un Français ?

MADAME DE MARILLY.

Oui.

SIR RICHARD.

C’est-à-dire que je vous le parais un peu plus que tout à l’heure.

MADAME DE MARILLY.

Ah ! cela, c’est vrai.

SIR RICHARD.

Que l’aveu de mon amour vous déplairait moins.

MADAME DE MARILLY.

Je ne dis pas...

SIR RICHARD.

Oh ! dites, dites toujours... laissez-moi lire dans vos yeux que je ne vous déplais pas... et pourtant si je n’étais pas celui que vous croyez, si monsieur Eugène était loin d’ici...

MADAME DE MARILLY.

Comment ?

SIR RICHARD.

Si j’étais toujours Anglais ?

MADAME DE MARILLY, vivement.

Vous ! il se pourrait...

SIR RICHARD, de même.

Oh ! non... non... rassurez-vous... je suis Français, moi, je suis tout ce que vous voudrez... Eh ! qu’importe mon pays... j’ai un nom honorable, une belle fortune... je suis libre... je vous aime, et pour nous deux l’Angleterre et la France ne feraient plus qu’une patrie... Répondez-moi... oh ! répondez-moi.

 

 

Scène XVIII

 

SIR RICHARD, MADAME DE MARILLY, DESCHAMPS

 

DESCHAMPS, à la cantonade.

Par ici, messieurs ; attendez-moi.

MADAME DE MARILLY.

Grand Dieu ! les voici !

DESCHAMPS.

Ah ! jeune homme ! vous espériez me tromper, vous échapper en abusant de ma complaisance ; mais ces messieurs...

MADAME DE MARILLY.

Ah ! de grâce, mon cher Deschamps, puisque monsieur ne veut plus passer en Angleterre, puisqu’il reste en France, qu’il me demande ma main...

SIR RICHARD, vivement.

Vous ne me la refusez pas ?

MADAME DE MARILLY.

Je ne vous presse plus de partir.

DESCHAMPS.

Laissez donc ! on ne m’y prend pas deux fois.

MADAME DE MARILLY.

Mais cependant...

SIR RICHARD.

Rassurez-vous, Madame, je suis trop heureux pour consentir à m’éloigner ;

Passant entre eux.

oui, monsieur, je reste en France ; et pour vous prouver que je ne vous trompe pas, tenez, prenez,

Il lui remet un portefeuille.

ne poursuivez plus personne... Il me reste à vous remercier de ces poursuites obstinées qui ont trompé madame, en me faisant passer pour Eugène Verneuil, lorsque je n’étais toujours que sir Richard.

MADAME DE MARILLY.

Décidément vous êtes donc ?...

SIR RICHARD.

Yes, Madame.

DESCHAMPS.

Ah ça ! qu’est-ce que cela veut dire ?

 

 

Scène XVIII

 

SIR RICHARD, MADAME DE MARILLY, DESCHAMPS, EUGÈNE

 

EUGÈNE, entrant brusquement.

Non, non, c’est fini, je ne pars pas, je reste.

SIR RICHARD.

Ah ! mon Dieu ! le Français.

DESCHAMPS.

Eh bien ! il ne parle plus anglais, celui-là.

SIR RICHARD.

Quoi ! vous n’êtes pas parti ?

EUGÈNE.

Non, mylord, non : au moment de monter dans la voiture, il a fallu exhiber mon passeport. J’étais entre des huissiers et des gendarmes, j’ai vu que j’étais pris, et ma foi ! en désespoir de cause, je reviens à monsieur, qui sera, je l’espère, plus traitable.

DESCHAMPS.

Ah ! permettez, ceci change tout, et je rends à mylord...

SIR RICHARD.

Et moi, je ne reprends rien.

EUGÈNE.

Comment ! vous aviez... eh bien ! mon ami, j’accepte, c’est un prêt qui vous sera remboursé à Londres.

SIR RICHARD.

Non... à Paris, puisque Madame y consent... tenez, monsieur Deschamps, ne soyez pas aussi sévère... on peut épouser une Anglaise sans cesser d’être bon Français, laissez partir monsieur Eugène.

DESCHAMPS.

Parbleu ! je ne peux pas faire autrement... Allons, je voulais empêcher un mariage, en voilà deux.

SIR RICHARD.

Quant à moi, je trouve le bonheur parmi vous, et j’y reste !... Des deux côtés, mon cher Eugène, une hospitalité délicate adoucira pour vous, comme pour moi, le souvenir de la patrie absente ; comme moi sans doute, vous sentirez au fond du cœur que les enfants de la France et ceux de l’Angleterre peuvent rester toujours rivaux, sans cesser d’être amis.

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