Alcimédon (Pierre DU RYER)

Tragi-comédie en cinq actes et en vers.

Représentée pour la première fois, en 1632.

 

Personnages

 

DAPHNÉ, Amoureuse d’Alcimédon

NÉRINE, Confidente de Scamandre

SCAMANDRE, Amoureux de Daphné

PHILANTE, Ami d’Alcimédon

RODOPE, Grande Dame, veuve amoureuse de Scamandre

TIRÈNE, Gentilhomme de Rodope

TRACINE, Domestique de Rodope

GÉRON, Assassin

 

La scène est à Paris.

 

 

À TRÈS HAUT ET TRÈS PUISSANT PRINCE, CÉSAR,

DUC DE VENDÔME, DE MERCŒUR, DE PENTHIÈVRE, de Beaufort et d’Étampes,  Prince d’Anet et de Martigues, etc., Pair de France

 

Monseigneur,

 

Je n’avais jamais fait voir de mes ouvrages qu’en tremblant, et le peu d’opinion que j’ai de moi-même, ne m’avait jamais pu permettre de faire des jugements avantageux de ce que je produits. Alors qu’Alcimédon recevait des favorables applaudissements, je ne me considérais que comme un mauvais Artisan, qui trouve quelques-fois par hasard, ce que les plus grands Maîtres ne peuvent bien souvent rencontrer après une langue expérience. Mais depuis que j’ai l’honneur d’être en quelque considération auprès de votre Grandeur, je me trouve obligé de relever mes opinions en ma faveur ; je crois que la vanité qui est accusable en tout monde serait excusable en moi seul ; et j’ai même de la peine à confesser que je ne tiens que de ma bonne fortune une réputation que je suis honteux de ne pas devoir à ma vertu. Aussi serais-je sans raison si je n’étais glorieux de l’approbation que mes ouvrages reçoivent de votre Grandeur : C’est un bien qui pourrait servir de récompense aux plus nobles productions d’esprit, et qui n’est pas moindre que le Soleil qui ne saurait reluire sans donner du lustre à tout ce qu’il éclaire. Ainsi, Monseigneur, Alcimédon va voir le monde, sans dessein de lui demander de l’estime et de la réparation ; il en est assez riche puisqu’il a plu à votre Grandeur, et je le trouve assez fort contre toutes sortes d’atteintes, puisque vous n’avez pas dédaigné de le prendre en votre protection. S’il n’est pas considérable pour son mérite, il sera sans doute recommandable à cause de son Protecteur : Et comme on respectait autrefois les moindres victimes aussitôt qu’elles étaient consacrées aux Dieux, je veux croire qu’on estimera cet ouvrage come une offrande dédiée à la Vertu. Ne trouvez pas étrange ce discours, Monseigneur, je vous considère comme elle-même, puisque je n’ai jamais pu mettre de différence entr’elle, et un Prince parfait. Mais, bien que le jugement que votre Grandeur a fait d’Alcimédon me fasse croire qu’il vaut quelque chose, il ne paraîtrait pas toutefois, si ce n’était pour satisfaire à vos commandements. La place qu’il possède dans votre Cabinet me semble bien plus glorieuse pour lui, que les applaudissements de tout un monde ; Et s’il en sort aujourd’hui, ce n’est pas pour se donner aux autres, mais seulement pour faire savoir partout qu’il a l’honneur d’être à vous. C’est là son bien, c’est là son ambition : Et si les Pères se doivent réjouir de voir leurs enfants bien placés, j’ai toutes sortes de sujets de me louer de la fortune du mien. Elle est beaucoup plus éclatante qu’il ne m’était permis de l’espérer, et me doit être d’autant plus précieuse, qu’elle est cause que je puis me publier,

 

Monseigneur,

 

De votre Grandeur.

 

            Le très humble, très obéissant, et très fidèle serviteur.

 

DU RYER.

 

 

ACTE I

 

 

Scène première

 

NÉRINE, DAPHNÉ

 

NÉRINE.

Quitte, Chère Daphné, le titre de cruelle,

Pour te faire adorer il suffit d’être belle,

Et si tu ne me crois en fin tes cruautés

Détruiront les Autels qu’on dresse à tes beautés.

Reçois donc mes conseils en faveur de toi-même.      

Et pour ton intérêt aime celui qui t’aime.

DAPHNÉ.

Termine ce discours que j’entends chaque jour,

Tu perds contre un Rocher les flèches de l’amour,

Appelle-moi cruelle, appelle-moi sauvage,

J’endurerai ces noms plutôt que son servage ;

Souffre enfin que mon cœur hors de captivité

Ne reçoive des lois que de ma volonté.

NÉRINE.

Crois-moi, belle Daphné, sers-toi de ta jeunesse,

Et n’attends pas enfin que ta grâce te laisse,

Les beautés sont des biens qui ne se gardent pas,      

Et le temps, qui les fait, efface leurs appas ;

Si l’on peut condamner l’avare qui possède

Autant d’or qu’il en veut, et jamais ne s’en aide,

Ne te pourra-t-on pas justement accuser

D’avoir cette jeunesse, et de n’en pas user ?

Durant l’aimable temps que la jeunesse dure

C’est un rare dépôt qu’on a de la Nature,

C’est un rare trésor dont il se faut servir

Devant qu’un nombre d’ans nous le vienne ravir.

Lorsqu’on n’a pas joui d’un bien si délectable

Le mal de la vieillesse en est moins supportable,

Mais alors qu’en aimant l’âge nous l’a ravi,

Le plaisir reste encor de s’en être servi.

Reçois donc mes conseils en faveur de toi-même,

Et pour ton intérêt aime celui qui t’aime.         

DAPHNÉ.

Si la beauté du corps est un bien si léger

Penses-tu que l’amour l’empêche de changer ?

Au contraire l’amour l’a détruit devant l’âge,

Les soins qu’il met au cœur ternissent le visage,

Et lorsque de ses traits un esprit est atteint      

Son feu sèche les lis, et les roses du teint,

Ainsi je fuis l’amour, cette source de larmes,

Pour garder plus longtemps si peu que j’ai de charmes.

Souffre donc que mon cœur hors de captivité

Ne reçoive des lois que de ma volonté.

NÉRINE.

Tu t’abuses, Daphné, l’amour est une flamme

Qui ne fait qu’échauffer, et ne brûle pas l’âme,

Son ardeur est semblable à ces douces chaleurs

Qui font germer la terre, et la couvrent de fleurs.

Puisque de la beauté l’amour tire son être       

Voudrait-il outrager celle qui le fait naître ?

Au contraire, Daphné, tu sais bien qu’aux Amants

On remarque toujours de nouveaux ornements.

Quand l’amour est au cœur, l’œil en a plus de grâce,

Le visage en reçoit une agréable audace,         

Et l’on dirait enfin qu’en nous jetant ses traits

Il verse dessus nous mille nouveaux attraits,

Si bien que c’est de lui d’où procède la grâce,

Et lorsqu’elle se perd, c’est le temps qui l’efface :

Mais puisque l’on doit perdre un trésor si charmant

Qu’on le perde du moins avec contentement,

Et que l’on puisse dire en sa froide vieillesse,

J’ai plutôt employé que perdu ma jeunesse.

Qui perd avec plaisir ce qui le doit quitter

Semble en quelque façon en perdant profiter.

Poursuis donc tes plaisirs, et n’attends pas que l’âge

Ennemi des beautés t’en dérobe l’usage.

Souffre qu’on te recherche, et te laisse toucher

Devant qu’un front ridé t’oblige à rechercher.

Alors que ton visage aura perdu sa gloire       

Tu te repentiras de ne m’avoir pu croire,

Et lorsqu’en cet état un jour je te verrai,

Tu pleureras ta perte, et moi je m’en rirai,

Reçois donc mes conseils en faveur de toi-même,

Et pour ton intérêt aime celui qui t’aime.         

DAPHNÉ.

Invente des discours, recherche des raisons,

Qui prouvent que l’amour a de belles prisons,

Dis-moi que ton conseil me peut faire revivre,

Je suis prêt à t’ouïr et non pas à te suivre.

Souffre donc que mon cœur hors de captivité

Ne reçoive des lois que de ma volonté.

NÉRINE.

Nos propres volontés bien souvent nous abusent,

Et nous profiterions de ce qu’elles refusent.

Pense donc à toi-même et change dès ce jour.

Toute fille superbe est indigne d’amour,         

Et le Ciel la punit de cet orgueil infâme

En la laissant vieillir devant que d’être femme.

Combien en voyons-nous toutes pâles d’ennui

Qu’on suivait autrefois, et qu’on fuit aujourd’hui ?

Combien en voyons-nous en beaucoup de familles

Qui meurent seulement du regret d’être filles ?

Daphné, c’est un effet de cet injuste orgueil

Qui chassa leurs Amants et les mit au cercueil,

Prends garde à ce discours, et sans faire la vaine

Tandis que tu le peux évite cette peine,

Rends ton âme à l’amour, ce glorieux vainqueur,

Comme il est dans tes yeux qu’il soit dedans ton cœur,

Et que le changement de ton humeur sauvage

Précède pour ton bien celui de ton visage,

Scamandre que tu fuis a des perfections

Dignes à mon avis de tes affections !

DAPHNÉ.

Ha ! Nérine.

NÉRINE.

Aimes-tu ? parle sans artifice.

Découvre-moi ton cœur, l’amour n’est pas un vice,

Aimes-tu ?

DAPHNÉ.

Mes soupirs te le disent assez.

NÉRINE.

Scamandre verra donc ses vœux récompensés ?         

DAPHNÉ.

Je ne puis plus me feindre, il me faut faire entendre,

Mais si j’ai de l’amour, ce n’est pas pour Scamandre.

NÉRINE.

Ce n’est pas pour Scamandre ! achève librement,

Nous ayant dit l’amour, tu peux dire l’amant.

DAPHNÉ.

Sache pour contenter notre commune envie,

Que je ressent l’amour aussitôt que la vie.

Et que j’ignore enfin par l’injure du sort

Si je plains un vivant, ou si je pleure un mort.

NÉRINE.

Explique-toi.

DAPHNÉ.

Tu sais que je suis de Candie.

NÉRINE.

Je sais bien ton pays, dis-moi ta maladie.         

DAPHNÉ.

L’on dit que cet amour, qui donne tant d’ennui,

Ne blesse point les cœurs des enfants comme lui.

Mais selon sa coutume orgueilleux et sauvage

Étant encor enfant il me mit en servage.

J’aimai donc à douze ans, et celui que j’aimais

De sept ans plus âgé suivait les mêmes lois.

NÉRINE.

Je faisais des leçons à qui m’en pourrait faire ;

Mais achève de dire et de me satisfaire.

DAPHNÉ.

Nous brûlions en secret dedans un feu si doux,

Et nos yeux n’en parlaient à personne qu’à nous :      

Nos âmes recevaient de semblables atteintes,

Alcimédon et moi poussions de mêmes plaintes,

Hélas ! voilà le nom de mon premier vainqueur,

Comme j’étais son âme, il était tout mon cœur.

Mais je connus bientôt par mes peines diverses         

Que le plus doux amour ne va point sans traverses,

Un des grands du pays, ha ! Cruelles amours.

Nérine c’est assez.

NÉRINE.

Achève ton discours.

DAPHNÉ.

Un des grands du pays me trouvant assez belle

Conçut à mon sujet une amour criminelle,       

Et l’on apprit bientôt que ses sales désirs

S’attachaient moins à moi qu’à ses propres plaisirs.

Il voulut m’enlever, et sa force couverte

Avait mis mon honneur au moment de sa perte.

NÉRINE.

Hé Dieux je crains pour toi !

DAPHNÉ.

Mais écoute comment.

On rompit le dessein de ce ravissement ;

Mon Père en eut avis, il s’étonne, il se trouble,

Au moindre bruit qui court sa frayeur se redouble.

NÉRINE.

Mais pour rompre ce coup dis-moi ce qu’il fit.

DAPHNÉ.

Il feignit qu’un grand mal me retenait au lit,

Et peu de temps après, il fit en telle sorte

Que par toute la ville on crût que j’étais morte,

La crainte de ce rapt l’avait troublé si fort

Que ce trouble assura le faux bruit de ma mort,

Et la même pâleur qui venait de sa crainte      

Servit en ce dessein à colorer sa feinte :

Il fit donc en ma place enterrer un cercueil

Que l’on accompagna de larmes et de deuil.

Mais il fallut quitter le lieu de ma naissance

De peur que de la ruse on n’eût la connaissance,       

Si bien qu’au même soir, que l’aspect d’un tombeau

Me fit croire sous terre, il me mit dessus l’eau,

Aimant mieux que les eaux me livrassent la guerre

Que de voir mon honneur hasardé sur la terre,

Ainsi je le quittai traversé de douleurs,

Et pour tous ses adieux, je lui donnai des pleurs.

NÉRINE.

Tu vins en ce pays.

DAPHNÉ.

Oui, je vins chez son frère,

Qui m’a depuis servi de support et de père,

Et de peur que le temps ne l’apprît quelque jour

On me changea mon nom en changeant de séjour.

NÉRINE.

Comment t’appelait-on ?

DAPHNÉ.

On m’appelait Phénice

Devant que le destin commençât mon supplice.

NÉRINE.

Le jeune Alcimédon fut de tout averti ?

DAPHNÉ.

Hélas c’est en ce point que j’ai le plus pâti.

Mon départ trop pressé ne me put pas permettre      

De le désabuser ou de bouche ou de lettre.

NÉRINE.

N’en as-tu rien appris depuis six ou sept ans

Que tu passes ici le plus beau de ton temps ?

DAPHNÉ.

Rien, sinon qu’on ne sait au pays d’où nous sommes

S’il est au rang des morts, ou bien au rang des hommes.      

NÉRINE.

Daphné, s’il t’est ravi par l’effort du trépas

Tes soupirs et tes pleurs ne te le rendront pas :

Ou bien s’il est vivant, l’apparence t’assure,

Que son amour est mort dessus ta Sépulture,

Et qu’une autre beauté charme aujourd’hui le cœur

De qui ton œil divin fut autrefois vainqueur.

S’il est vrai que l’amour n’est qu’un désir extrême

De posséder un jour le sujet que l’on aime,

À l’aspect de ta tombe ayant perdu l’espoir

Crois-tu qu’il brûle encor du désir de t’avoir ?

Non, non, ne pense plus à ton premier servage,

Fais voir en le quittant un acte de courage,

Et montrant à Scamandre un peu plus de bonté

Fais voir en même temps un acte d’équité.

Quitte pour ton profit cette humeur solitaire

Qui te rend désormais à toi-même contraire,

Tu te prives Daphné de ton contentement

Quand tu veux en priver un si fidèle amant.

DAPHNÉ.

Nérine je t’ai fait un tableau de ma vie

Bien moins pour contenter ta curieuse envie

Que pour te faire ici justement deviner

Que je n’ai plus de cœur ni d’amour à donner.

NÉRINE.

Mais j’aperçois Scamandre, il faut.

DAPHNÉ.

Adieu.

 

 

Scène II

 

PHILANTE, DAPHNÉ, SCAMANDRE, NÉRINE

 

PHILANTE.

Cruelle

Autant que ton amant est aimable et fidèle,

Arrête.

SCAMANDRE.

Et souffre enfin adorable beauté

Que je voie une fois mon bonheur arrêté.

Ne refuse donc pas au malheureux Scamandre

Pour tous ses déplaisirs la faveur de l’entendre,

Et de tous les grands feux de sa vive amitié

Ne reçois seulement qu’un rayon de pitié,       

Je serai satisfait, si mon mal incroyable

Te trouve à son excès seulement pitoyable,

Et de mes longs travaux je recevrai le prix

Si tu me vois mourir pour le moins sans mépris.

NÉRINE.

Il me touche le cœur, et je ressens l’atteinte

Que l’ingrate devrait recevoir de sa plainte ;

Ha ! si ce pauvre amant m’adressait son discours :

Qu’il me trouverait prompte à lui donner secours !

DAPHNÉ.

Scamandre ma rigueur, qui te semble inhumaine,

N’est pas en ton endroit un effet de ma haine.

NÉRINE.

Enfin elle se rend.

DAPHNÉ.

Mais plutôt du dessein

De chasser ce tyran qui règne dans ton sein.

Je t’offre mes rigueurs de même qu’un remède

D’où ton esprit blessé pourrait tirer de l’aide,

Je ne te les fais voir que pour ta guérison         

Et ton cœur les reçoit de même qu’un poison,

Si bien que si ton mal de jour en jour augmente

C’est faute d’employer l’aide qu’on te présente ;

Ton amour t’a réduit aux termes de périr

Et je t’en veux venger en le faisant mourir.      

NÉRINE.

Qui n’eût jugé d’abord qu’elle s’était rendue ?

SCAMANDRE.

Voilà donc la faveur, que j’avais attendue !

Propice en apparence, et cruelle en effet,

Crois-tu guérir mon mal par le coup qui le fait ?

Et fermer une plaie en tant de maux féconde

Avec le même fer qui la rend plus profonde ?

Enfin, chère Daphné, crois-tu me secourir

Par les mêmes moyens qui me feront mourir ?

DAPHNÉ.

Puisque ton mal est grand, et qu’il se rend extrême,

Il faut pour le guérir un remède de même.      

SCAMANDRE.

Adorable sujet de qui vient mon souci,

Le mal que fait l’amour ne guérit pas ainsi,

Ses plus fortes douleurs, à qui mon âme cède,

Ne peuvent s’alléger que par un doux remède.

Hé quoi, belle Daphné, connaissant ma langueur,     

Tu détournes tes yeux de même que ton cœur :

Si tu ne veux aider l’esclave qui t’implore,

Regarde pour le moins un amant qui t’adore,

Vois pendre à tes genoux.

NÉRINE.

Scamandre c’est assez,

Par tes soumissions les Dieux sont offensés,

Enfin relève-toi de corps et de courage,

Daphné va prendre part au joug de ton servage,

Et déjà ses beaux yeux adoucis par tes pleurs

Chassent par un souris tes plus vives douleurs.

Cette belle se change, et sa bouche divine        

Va t’annoncer le bien.

DAPHNÉ.

Tu te trompes Nérine.

Et si Scamandre crois que j’accepte ses vœux,

Par un commun abus vous vous trompez tous deux.

PHILANTE.

Ô fille de Rocher !

NÉRINE.

Orgueilleuse, cruelle,

Méprises-tu le cœur d’un amant si fidèle ?      

D’un amant qui t’adore, et qui dérobe aux Dieux

L’hommage qu’il leur doit, pour le rendre à tes yeux.

DAPHNÉ.

Il vaut mieux s’en aller, que vainement débattre.

Je ne gagnerais pas, j’en ai trop à combattre.

NÉRINE.

Arrête ingrate, arrête.

SCAMANDRE.

Ha cruelle Daphné,

Indigne du bel œil, que le ciel t’a donné,

Ne croiras-tu jamais que tu brûles Scamandre

Qu’alors que tu verras sa misérable cendre ?

Attends, et tu verras après tant de transports

L’embrasement du cœur par la cendre du corps,        

Et qu’enfin mon amour aurait pu sans audace

Comparer son excès à celui de ta grâce.

Tourne donc devers moi ton visage et tes pas,

Mais que sert de parler si l’on ne m’entend pas ?

L’inhumaine qu’elle est, insensible au reproche,        

De même que le cœur, a l’oreille de roche.

 

 

Scène III

 

NÉRINE, PHILANTE, SCAMANDRE

 

NÉRINE.

En vain ai-je espéré de pouvoir l’arrêter.

PHILANTE.

Quitte cette cruelle.

NÉRINE.

Il les faut écouter,

Tel nous parle d’amour, qui n’en a que l’image.

PHILANTE.

Résous-toi seulement, tu rompras ton servage.

SCAMANDRE.

Que sert de se résoudre à quiconque fut né

Pour être dans le monde esclave infortuné !

Ce destin, dont nos soins ne nous peuvent défendre,

Connaît Alcimédon sous le nom de Scamandre.

Il me trouve partout.

NÉRINE.

Qu’ai-je entendu, bons Dieux ?

SCAMANDRE.

L’amour et le malheur me suivent en tous lieux,

Ces communs ennemis qui font partout la guerre

M’ont suivi sur les eaux, et me suivent sur terre.

Le moyen d’espérer la fin de mes ennuis

Si je trouve partout les Tyrans que je fuis ?

NÉRINE.

Il les faut accoster, et savoir cette histoire,

Lorsqu’il n’y pense pas, il gagne une victoire.

Espère de Daphné qu’un mot l’adoucira,

Cette cruelle est fille, elle se changera.

SCAMANDRE.

Pourrait-elle changer, si c’est une statue ?        

Que nous voyons dans Chypre en fille revêtue ?

NÉRINE.

N’a-t-elle point appris que ton cœur est à deux,

Et qu’une autre reçoit la moitié de tes vœux ?

Scamandre notre sexe est jaloux de nature,

Il ne perd cette humeur que dans la sépulture,

Et pour dire en un mot ce qu’on ne peut nier

Toute fille en amour désire un cœur entier.

Parle je suis discrète, et bien que je sois femme

J’ouvre et cache à propos ce que j’ai dedans l’âme.

PHILANTE.

Montre en lui racontant ta vieille affection       

Combien tu fais état de sa discrétion.

SCAMANDRE.

Oui, Nérine, autrefois ce cœur moins déplorable

Reçut d’un beau sujet le portrait adorable,

Et ce même portrait, qu’amour m’avait donné,

Je le vois maintenant sur le front de Daphné.

Puisque mon sort le veut il faut que je te die

Que j’ai pris la naissance et l’amour en Candie,

Mais pour être sorti d’où naquirent des Dieux

Je n’en ai pas joui d’un sort plus glorieux.

NÉRINE.

Achève.

SCAMANDRE.

Là j’aimai sans fard, sans artifice

La grâce et la vertu sous le nom de Phénice.

Tu te troubles Nérine ! ha réserve tes pleurs,

Je ne suis pas encore au bout de mes douleurs ;

Si tu veux de mon mal ressentir les atteintes,

Voici, voici le coup qui mérite des plaintes,

Ma Phénice mourut, et ce triste moment

Ravit à l’Univers son plus riche ornement.

NÉRINE.

Es-tu bien assuré parmi tant de tristesse

Que la mort t’ait ravi cette belle maîtresse ?

SCAMANDRE.

Cet œil qui l’a pleurée et qui la pleure encor,

Vit cacher sous la terre un  si rare trésor.

NÉRINE.

Poursuis donc.

SCAMANDRE.

Cette perte eut assez de puissance

Pour me rendre odieux le lieu de ma naissance :

Je quittai donc alors mes parents ébahis,

Sa mort l’ôta du monde, et moi de mon pays.

NÉRINE.

Ne te suivit-on point ?

SCAMANDRE.

Cela pourrait bien être,

Mais de peur que le temps ne me fît reconnaître,

Je déguisai partout mon pays et mon nom,

Scamandre tint caché le triste Alcimédon,

Et pour me déguiser encore davantage

L’âge et les déplaisirs ont changé mon visage.

Ainsi j’ai vu du monde l’un et l’autre bout,

Et mon seul désespoir fut mon guide partout.

NÉRINE.

Hé Dieux quelle aventure !

SCAMANDRE.

Après beaucoup d’années

Enfin cette belle île a mes courses bornées ;

Mais de quelque côté que tourne un malheureux

Il rencontre toujours un destin rigoureux.

À peine en ce pays avais-je vu la terre,

Que les yeux de Daphné m’annoncèrent la guerre,

Je vis Phénice en elle, et je fus étonné

De voir en même corps et Phénice et Daphné.

Je crus lors que sa mort n’était rien qu’un mensonge,

Et que mes déplaisirs ne venaient que d’un songe.

Mais quand je vis Daphné cruelle et sans pitié

Mépriser les transports de ma sainte amitié,

Quand je vis ses rigueurs, qui font tout mon supplice,

Je dis en même temps, ce n’est pas là Phénice.

NÉRINE.

Est-elle si semblable à ce premier objet

Qui fut jadis ta Reine, et dont tu fus sujet ?

SCAMANDRE.

Nérine, je ne sais tant elle lui ressemble

Si j’aime l’une ou l’autre, ou bien les deux ensemble,

Ton fidèle miroir ne te reçoit pas mieux,

Que Daphné représente et son port et ses yeux.

PHILANTE.

Scamandre, ton discours doit s’accorder au nôtre,

Tu n’aimes en Daphné que le portrait d’une autre.

SCAMANDRE.

Ha je vois bien que j’aime un portrait seulement,

Puisqu’elle est insensible aux peines d’un amant.

NÉRINE.

Réponds-moi maintenant, parle sans artifice,

Quitterais-tu Daphné, si tu voyais Phénice ?

SCAMANDRE.

Phénice elle n’est plus, ne me tente donc point,

Je ne te puis enfin répondre sur ce point.

NÉRINE.

N’as-tu rien de Phénice ?

SCAMANDRE.

Hélas j’en ai dans l’âme

Avec le souvenir un portrait tout de flamme,

Et pour vous témoigner qu’elle approuva mes vœux

J’en reçus autrefois ce tissu de cheveux,

Où nos deux noms mêlés sont un vrai témoignage

Que nos cœurs autrefois le furent davantage.

NÉRINE.

Donne-moi ces cheveux, et pour ces beaux liens

Espère de Daphné toutes sortes de biens.

Je vais les faire voir.

SCAMANDRE.

Que me dis-tu Nérine ?

Veux-tu me faire voir le jour de ma ruine ?

Suivons-la ; mais hélas ! Cet esprit obstiné

Est déjà chez Rodope, où demeure Daphné.

PHILANTE.

Chez Rodope, Daphné ! depuis quand s’y tient-elle ?

SCAMANDRE.

Depuis deux ou trois jours Rodope a cette belle,       

Et peut dire qu’enfin son logis glorieux

Est plus riche en beautés que ne sont pas les cieux.

PHILANTE.

Va la voir chez Rodope.

SCAMANDRE.

Hélas Rodope m’aime.

PHILANTE.

Elle t’aime ?

SCAMANDRE.

Elle m’aime.

PHILANTE.

Il faut faire de même.

Ainsi pour ton plaisir et pour te soulager        

Le Ciel fait naître ici les moyens de changer :

Elle est veuve, il est vrai, mas elle est riche et belle,

Et vaut bien pour le moins une fille cruelle.

Borne là, cher ami, toutes tes volontés,

Les biens à mon avis sont de grandes beautés,

Ils donnent aujourd’hui de l’estime aux familles,

Et trouvent plus d’amants que les grâces des filles.

Si de tes longs travaux tu désires du fruit,

Scamandre, aime qui t’aime, et fuis ce qui te fuit.

Pour oublier Daphné songe à qui te caresse,

Daphné n’est que suivante, et Rodope est maîtresse,

Résous-toi de changer et d’apprendre à ton tour

Que bien souvent l’amour est chassé par l’amour.

SCAMANDRE.

Ô funestes cheveux ! ô plaintes trop frivoles !

PHILANTE.

Que voilà justement répondre à mes paroles !

SCAMANDRE.

Ha, si Daphné les voit, ne croira-t-elle pas

Qu’une autre a pris le cœur que j’offre à ses appas.

PHILANTE.

Qu’un Amant est aveugle, et qu’il est incapable

D’écouter et de suivre un conseil profitable !

SCAMANDRE.

Courons après, Philante, allons lui faire voir

Que je lui rends par tout un fidèle devoir.

 

 

ACTE II

 

 

Scène première

 

DAPHNÉ, NÉRINE

 

DAPHNÉ.

Nérine que tiens-tu ?

NÉRINE.

Daphné, toutes les belles

Ne sont pas pour Scamandre également cruelles.

Il trouvera bientôt plus de contentement

Que ta sévérité ne lui fait de tourment ;

Ce tissu que lui donne une belle maîtresse

Par un secret pouvoir charmera sa tristesse,

Bornera ses travaux, finira ses langueurs,

Et sera le lien qui rejoindra deux cœurs.

Tu t’étonnes Phénice, et tu deviens muette !

Ces cheveux auraient-ils quelque vertu secrète ?

Ou crains-tu que Scamandre aime un sujet plus doux ?

Et n’ayant point d’amour as-tu l’esprit jaloux ?

Tu pâlis, tu rougis, et ton âme contrainte

Montre par ces couleurs ta colère ou ta crainte.          

DAPHNÉ.

Que vois-je ?

NÉRINE.

Des cheveux.

DAPHNÉ.

Qui t’en a fait don ?

Je les donnai jadis au jeune Alcimédon.

Qui te les a donnés ? dis Nérine.

NÉRINE.

Lui-même.

DAPHNÉ.

Nérine, allons le voir, bienheureuse s’il m’aime.

NÉRINE.

Tu le vois tous les jours, et tu t’enfuis de lui :

Tu peux finir sa peine, et tu fais son ennui.

DAPHNÉ.

Tu te moques Nérine, ou je ne puis t’entendre,

Ai-je d’autres Amants que l’importun Scamandre ?

NÉRINE.

Sache qu’Alcimédon si longtemps mal traité

S’est jusqu’ici caché sous ce nom emprunté.

DAPHNÉ.

Alcimédon, Nérine, ha nouvelle agréable !

Mais ce bien est si grand qu’il me semble incroyable.

Te croirai-je mon cœur ? Vous croirai-je cheveux,

Qui fûtes son plaisir, et le prix de ses vœux ?

NÉRINE.

Ils te parlent assez de ce bonheur extrême,      

Et ce sont des témoins qui viennent de toi-même.

DAPHNÉ.

Je ne veux plus douter de l’excès de mes biens,

Je connais mon captif à ses propres liens.

Nérine allons le voir.

NÉRINE.

Mais.

DAPHNÉ.

Que me veux-tu dire ?

NÉRINE.

Ce n’est plus en ces lieux qu’Alcimédon soupire,      

Enfin ta cruauté l’oblige à les quitter

DAPHNÉ.

M’as-tu donné l’espoir afin de me l’ôter ?

Tu m’offres d’une main des fleurs et des délices,

Et l’autre en même temps me donne des supplices.

Tu m’as fait concevoir les voluptés du port,

Pour rendre plus cruels mon naufrage, et ma mort.

Que ne me cachais-tu ce qui me désespère,

C’est avoir quelque bien qu’ignorer sa misère,

Quelque trait que nous pousse un astre rigoureux

Tant qu’on ne le sent pas on est encor heureux.          

Mais suivons mon Amant.

NÉRINE.

Pourquoi veux-tu le suivre,

Si de tes cruautés la fuite le délivre ?

DAPHNÉ.

T’ai-je vu mon souci, t’ai-je trouvé mon cœur ?

As-tu vu ta captive, ai-je vu mon vainqueur ?

Ô peine sans pareille, et rarement soufferte,

Au point que je le trouve, on m’annonce sa perte.

Hélas il me suivit, et s’approcha de moi

Tandis que mes rigueurs combattirent sa foi,

Et par un sort étrange, il fuit, il m’abandonne,

Maintenant que ma main lui porte une Couronne.

Ô malheureux effet d’un dessein innocent,

Présent je l’affligeais, et je le pleure absent.

Reviens, Alcimédon, mais le Ciel équitable

Refus à mes travaux ce prix incomparable,

Et de la cruauté que j’eus pour mon amant

La Justice Divine a fait mon châtiment.

Remèdes souverains du mal qui nous dévore,

Dieux donnez-moi l’espoir de le revoir encore.

Mais puis-je seulement mériter cet espoir

Si même en le voyant je n’ai pas pu le voir ?

Mais dis-moi son départ, contente une insensée,

Et m’achève de perdre après m’avoir blessée.

NÉRINE.

Apaise-toi Daphné, j’ai feint ces déplaisirs

Pour savoir si ton cœur jetait de vrais soupirs.

DAPHNÉ.

Hélas je te l’ai dit.

NÉRINE.

Les yeux et le langage,

Ne donnent en amour qu’un douteux témoignage,

Et pour dire en deux mots, la seule vérité

Qui m’avait fait douter de ta fidélité,

N’est-ce pas un miracle à bon droit incroyable

De voir en notre sexe un amour si durable ?

DAPHNÉ.

Mais que dois-je espérer qui termine mon deuil,

Le repos de la vie, ou celui du cercueil ?

Ne me fais plus languir. Verrai-je.

NÉRINE.

Oui Phénice,

L’appel de ton amant  finira ton supplice.

DAPHNÉ.

De même que les Dieux je te dois respecter,

Puisque tu sais comme eux l’art de ressusciter.

 

 

Scène II

 

SCAMANDRE, PHILANTE, NÉRINE, DAPHNÉ

 

SCAMANDRE.

Je n’ose l’approcher.

PHILANTE.

Avance-toi Scamandre,

Et parais plus hardi puisqu’il faut te défendre.

DAPHNÉ.

Heureux gage d’amour !

SCAMANDRE.

Hélas qu’ai-je aperçu !

Ha Philante, Daphné regarde ce tissu !

DAPHNÉ.

Mais dis-moi sa fortune, et par quelle aventure

Il est venu finir le tourment que j’endure.

NÉRINE.

Sache qu’Alcimédon sans espoir de guérir :

Mais entrons dans ce bois pour en mieux discourir,

Si l’un de ces causeurs, que ton bel œil attire,

Nous surprenait ici, je ne pourrais rien dire.

SCAMANDRE.

Que ferai-je Philante en l’état où je suis ?

Ha pour mourir plutôt que n’ai-je plus d’ennuis !

Il me semble déjà que je vois la cruelle

Offenser mon amour du titre d’infidèle,           

Et sur le faux rapport de ses traîtres cheveux,

Condamner son esclave à mourir dans ses feux.

Ô cheveux, ô liens autrefois salutaires,

Qu’à tous autres liens vous me semblez contraires,

Vous ne m’êtes cruels, et vous ne me gênez

Qu’au malheureux moment que vous m’abandonnez.

Déloyale Nérine est-ce là l’assistance

Que tu semblais offrir à ma vaine constance ?

Et par qui ta pitié me promit plus de fleurs

Que l’ingrate Daphné ne m’a tiré de pleurs ?

Cesse, cesse d’aigrir la douleur qui m’outrage,

Laisse à mon inhumaine un dessein si sauvage,

Et lorsque mes ennuis me traînent au trépas

Si tu ne veux m’aider, au moins ne me nuis pas.

Hélas ! mon innocence aussi claire que sainte

Ne me peut exempter des assauts de la crainte,

Et j’apprends des malheurs qui me viennent troubler,

Que le plus innocent peut quelquefois trembler.

Ami va lui parler, va dire à cette belle

Que je meurs seulement pour être trop fidèle,

Et que malgré les maux qui tombent dessus moi

Elle est plus dans mon cœur qu’aux lieux où je la vois.

PHILANTE.

Quelles impressions ne peuvent pas séduire

Un cœur appréhensif à qui tout semble nuire ?

Il trouve bien souvent un rigoureux trépas

Dans la crainte d’un mal qui n’arriverait pas.

Empêche-toi de craindre une telle aventure,

La crainte d’endurer fait même qu’on endure :

Attends à t’affliger quand ta chère Daphné

T’appellera coupable, et t’aura condamné.      

 

 

Scène III

 

NÉRINE, DAPHNÉ, SCAMANDRE, PHILANTE

 

NÉRINE.

Voilà de ses erreurs la véritable histoire.

DAPHNÉ.

À moins que de le voir je ne te saurais croire.

NÉRINE.

Je le vois, mais attends.

DAPHNÉ.

Que j’aille l’embrasser.

NÉRINE.

Phénice ne fais rien qui te puisse offenser.

Que dirait cet ami dont il fait tant de compte

Si l’amour devant lui triomphait de ta honte ?

DAPHNÉ.

Nérine, allons le voir.

NÉRINE.

C’est à lui d’approcher,

Les hommes ne sont faits que pour nous rechercher,

Feins de te promener, je ferai bien en sorte

Que tu lui parleras auparavant qu’il sorte.      

DAPHNÉ.

Nérine il s’en retourne.

NÉRINE.

Attends-moi seulement.

PHILANTE.

Scamandre les voici, retourne promptement.

NÉRINE.

Scamandre attends un peu.

SCAMANDRE.

Que j’attende, perfide,

Veux-tu donc achever d’être mon homicide ?

Et pour comble de maux recevrai-je la mort

De cette même main qui m’offrait du support ?

NÉRINE.

Donne-moi le loisir.

SCAMANDRE.

Quoi, de m’ôter la vie ?

Si Daphné l’a conclu, contente son envie,

Ouvre, ouvre-moi le sein, arrache-moi le cœur,

Et le porte sanglant aux yeux de son vainqueur,        

Et si pour ce dessein tu manques de courage,

Je prêterai ma main à ce funeste ouvrage,

Et serai satisfait de l’amour et du sort

Si l’ingrate Daphné le reçoit vif ou mort.

DAPHNÉ.

Hé Dieux qu’il est changé !

NÉRINE.

Dis-moi d’où vient ta plainte,

Ou laisse-moi parler.

SCAMANDRE.

Parle, invente une feinte,

La nature marie en ton sexe léger

L’art de feindre aisément à l’humeur de changer.

NÉRINE.

Qu’en parlant de la sorte il nous donne de gloire !

La passion l’emporte, il ne le faut pas croire.

PHILANTE.

Scamandre écoute-la ; bien souvent le discours

Aux peines de l’esprit apporte du secours.

NÉRINE.

Pour te dire en un mot ce que tu dois apprendre,

Un rival a causé la peine de Scamandre.

SCAMANDRE.

Un rival ! dis-le moi.

NÉRINE.

Mais Daphné l’aime bien.

SCAMANDRE.

S’il veut garder son cœur, il faut qu’il ait le mien.

NÉRINE.

Mais tu l’aimes Scamandre à l’égal de toi-même.

SCAMANDRE.

Il est mon ennemi si ma maîtresse l’aime.

Mais où puis-je trouver ce glorieux rival

Qui reçoit le secours que l’on doit à mon mal ?

Nérine dis-le moi, rend ma rage contente,

Je veux avoir son sang, si je n’ai son amante ;

Où puis-je le trouver, Nérine dis-le moi ?

NÉRINE.

Tous les jours, à toute heure, il est avecques toi.

SCAMANDRE.

Avecques moi Nérine !

NÉRINE.

Avecques toi Scamandre,

Et tu voudrais enfin toi-même le défendre,

Tu ne le quittes point.

SCAMANDRE.

Que dit-elle bons Dieux !

Philante n’es-tu point ce rival odieux ?

N’es-tu point ce cruel, ce traître, ce perfide,

Qui sous un front d’ami cache un cœur d’homicide ?

PHILANTE.

Nérine réponds-lui.

NÉRINE.

Veux-tu savoir son nom,

Scamandre a pour rival.

SCAMANDRE.

Achève.

NÉRINE.

Alcimédon.

PHILANTE.

Alcimédon, Nérine, en ce transport extrême

Scamandre est donc jaloux seulement de lui-même ?

NÉRINE.

On aime Alcimédon, n’est-ce pas ton ami ?

Voudrais-tu l’outrager, ou l’aimer à demi ?

Les mêmes déplaisirs qui le viennent surprendre

Ne sont-ils pas communs au fidèle Scamandre ?

Parle.

SCAMANDRE.

Pour te répondre en cet événement

Tu me devais donner un moindre étonnement.          

NÉRINE.

Redonne l’assurance à ton âme incertaine,

Que ton étonnement soit ta dernière peine ;

Enfin par un prodige à ton bien destiné

Les cheveux de Phénice ont adouci Daphné.

SCAMANDRE.

Hé Dieux !

DAPHNÉ.

L’amour plus fort que n’est la bienséance          

Me contraint de céder à mon impatience.

Il les faut accoster, et feindre néanmoins

Que c’était à les voir que je songeais le moins :

Nérine je te cherche, et j’en suis hors d’haleine.

NÉRINE.

Phénice je le pense, et plains beaucoup ta peine.       

SCAMANDRE.

Phénice.

NÉRINE.

Oui Phénice.

SCAMANDRE.

Hélas que plût aux Dieux

Qu’elle en eût la douceur comme elle en a les yeux !

NÉRINE.

C’est elle, tu la vois, et tu viens de l’entendre.

SCAMANDRE.

La mort qui retient tout a-t-elle appris à rendre ?

Et ce Dieu des tombeaux et d’un si long sommeil      

N’a-t-il pu chez les morts endurer un soleil ?

Ma voix à tout moment de sanglots étouffée

A-t-elle eu le pouvoir de la lyre d’Orphée ?

Ha ! si je n’ai le bien que trouva cet amant,

Je suis trop assuré d’en avoir le tourment.       

NÉRINE.

Cette jeune beauté qui connut ton mérite,

A traversé la mer, et non pas le Cocyte.

Si tu peux voir enfin ton supplice borné,

Qu’importe que ce soit ou Phénice ou Daphné ?

Mais les yeux peuvent-ils reconnaître un visage        

Alors que dans le cœur on en porte l’image ?

DAPHNÉ.

Si tu ne m’as connue à ma longue rigueur,

Reconnais-tu Phénice  aux plaies de son cœur ?

SCAMANDRE.

Est-ce vous ?

NÉRINE.

En ce bien que le Ciel vous envoie

Modérez-vous un peu, ne mourez pas de joie,

Ne servons point d’obstacle à leurs contentements,

Un tiers déplaît toujours aux plus chastes amants,

Sans doute elle lui dit l’histoire de sa vie.

PHILANTE.

Contente là-dessus ma curieuse envie.

NÉRINE.

Sortons, et vous aurez un entretien si doux,

Ces amants feront bien leurs affaires sans nous.

 

 

Scène IV

 

SCAMANDRE, DAPHNÉ

 

SCAMANDRE.

Hé Dieux !

DAPHNÉ.

Oui cette mort a causé ton supplice,

Mais pardonne à Daphné pour l’amour de Phénice,

Accorde à mes soupirs un généreux pardon,

J’ai mal traité Scamandre, et non Alcimédon :

Que mes pleurs soient taris, que ta peine finisse,

Daphné te fut cruelle, et non pas ta Phénice.

Enfin par un mystère inconnu tant de mois

Je ne t’ai pas aimé, pour ce que je t’aimais.

SCAMANDRE.

Pardonne-moi plutôt doux sujet de mes peines,        

D’avoir cent fois nommé tes beautés inhumaines.

Chère cause des biens qui suivent mes désirs,

Ma bouche est impuissante à dire mes plaisirs,

Et dedans ce transport, quelque bien qui me vienne,

Je ne m’en puis servir que pour baiser la tienne.        

Que l’on doit estimer les fers et les tourments,

D’où l’on voit naître enfin tant de contentements !

Et qu’on embrasserait volontiers les supplices,

S’ils devaient tous finir par de telles délices !

DAPHNÉ.

Excuse si mes yeux ne t’ont pas reconnu          

Au portrait que mon cœur a de toi retenu.

Ton visage a changé cher auteur ce ma flamme,

Mais non pas le portrait que j’en avais dans l’âme.

SCAMANDRE.

Qui t’eût fait reconnaître un malheureux amant,

Qui n’a rien du passé que l’amour seulement,

Et qui changea si fort par sa douleur extrême,

Qu’à peine seulement il se connaît lui-même ?

J’aime enfin ta rigueur, j’aime ta cruauté,

Puisque c’est un témoin de ta fidélité.

DAPHNÉ.

Ayant aimé Daphné sans croire aimer Phénice,          

D’un infidèle amant n’as-tu pas eu le vice ?

SCAMANDRE.

Il est vrai qu’en l’aimant, il semblait que mon cœur

Fût sorti des prisons de son premier vainqueur.

Mais par une merveille incroyable et nouvelle

Quand j’ai cru te quitter je t’étais plus fidèle ;

Ainsi dans mes ennuis qui croissaient chaque jour

Mon visage a changé, mais non pas mon amour.

Lorsque je te rendais un véritable hommage

Je croyais en Daphné n’aimer que ton image ;

Et comme en leurs portraits on adore les Dieux,        

J’adorais en Daphné la gloire de tes yeux ;

Mais pour ce qu’un portrait d’une belle maîtresse

Est un charme aux douleurs, un frein à la tristesse,

Je désirais Daphné que je prenais alors

Pour le portrait vivant des grâces de ton corps,          

M’étant imaginé qu’après t’avoir perdue

Pour le moins ton image à mes vœux était due.

DAPHNÉ.

N’en parlons plus mon cœur, l’amour nous a rejoints

Pour les contentements, et non pas pour les soins.

SCAMANDRE.

Hélas que cet amour donne peu de délices,

Où le sort ennemi ne mêle ses malices !

DAPHNÉ.

Quelle peine t’oblige à de nouveaux soupirs

Alors qu’à pleines mains tu cueilles des plaisirs ?

Tout rit à nos souhaits, Rodope me caresse,

Et sa facilité te promet ta maîtresse.       

SCAMANDRE.

Je ne trouve en mes maux que des remèdes vains.

DAPHNÉ.

Rodope me chérit, que crains-tu ?

SCAMANDRE.

Je la crains.

DAPHNÉ.

Quoi, pour me témoigner que ta flamme extrême

Deviendras-tu jaloux d’une femme qui m’aime ?

SCAMANDRE.

Mais qui m’aime.

DAPHNÉ.

Tant mieux, l’amour qu’elle pour nous

Rendra notre destin plus facile et plus doux.

SCAMANDRE.

Que le secours est faux qui t’offre des délices !

Et que notre fortune a d’étranges caprices !

Hélas ! au même instant qu’on nous aime tous deux,

C’est alors qu’on se rend plus contraire à nos vœux.

Mon destin remarquable en rigueurs éternelles

Ferme ma vieille plaie, et m’en fait des nouvelles :

Et lorsque ce malheur met mon espoir à bas,

Le même coup te blesse, et tu ne le sens pas.

On m’aime d’un amour, le dirai-je ? mon âme,

Qui peut remplir le cœur d’une jalouse flamme.

DAPHNÉ.

Que dites-vous ?

SCAMANDRE.

Gardons que son esprit jaloux

Contre notre assurance allume son courroux.

Retourne chez ton oncle.

DAPHNÉ.

Hélas sans son absence

Rodope n’aurait pas ton bien en sa puissance.

Il m’a mise chez elle attendant son retour

Que l’on ne verra point qu’un an n’ait fait son tour.

SCAMANDRE.

Écrivons en Candie, et nos bouches discrètes

Tiendront durant ce temps nos amitiés secrètes.

Rodope ne sais pas que nous nous connaissons,        

Et n’en saurait enfin concevoir de soupçons.

DAPHNÉ.

Mais si durant ce temps elle apprend le contraire ?

SCAMANDRE.

Feignons d’être parents, toi ma sœur, moi ton frère.

 

 

Scène V

 

RODOPE, DAPHNÉ, SCAMANDRE

 

RODOPE.

Ha que c’est vainement qu’en matières d’amours

Hors de l’objet aimé l’on cherche du secours !

Rien ne me divertit que les yeux de Scamandre,

Et j’aime ainsi le feu qui me réduit en cendre ;

Mais ne le vois-je pas qui caresse Daphné ?

Quoi, se connaissent-ils ? ô jour infortuné !

DAPHNÉ.

Rodope nous a vus !

SCAMANDRE.

Usons de notre feinte,

Et pour la mieux couvrir, ne montre point de crainte.

Ma sœur, ma chère sœur.

RODOPE.

Il l’appelle sa sœur.

SCAMANDRE.

Que le Ciel favorable a pour nous de douceur !

Qu’il est en ton endroit prodigue de caresse

De t’avoir fait trouver Rodope pour maîtresse !          

Sa grâce et sa vertu sont les plus beaux vainqueurs

Qui puissent parvenir à l’empire des cœurs.

Adore, chère sœur, ses vertus sans limites,

De la même façon que j’aime ses mérites.

RODOPE.

Que ce discours me plaît !

SCAMANDRE.

Toutes ses actions

Sont autant de témoins de ses perfections.

RODOPE.

Que j’ai sans y songer la fortune prospère,

Le secours de la sœur me donnera le frère !

SCAMANDRE.

Mais allons la trouver.

RODOPE.

Vous ne me direz rien

Qu’après tous vos discours je ne sache fort bien,       

Mais depuis quatre mois que la bonne fortune

Te rend ainsi qu’à nous cette terre commune.

DAPHNÉ.

Amour aide les tiens.

RODOPE.

Depuis dis-je ce temps

Que cette Île te nombre entre ses habitants,

Quelle triste aventure ou quelle autre puissance       

Aurait pu retarder votre reconnaissance ?

SCAMANDRE.

J’ignorais jusqu’ici qu’elle fut en ces lieux

Où nos mauvais destins la cachaient à mes yeux,

Mais si cette rencontre est le bien de ma vie,

Si de mille plaisirs j’en ai l’âme ravie,

Je vous dois ce bonheur si charmant et si doux,

Puisqu’en vous visitant je le trouve chez vous.

RODOPE.

Ne savais-tu pas bien l’aventure fatale

Qui fit sortir ta sœur de sa terre natale ?

DAPHNÉ.

Que lui répondra-t-il ?

SCAMANDRE.

Deux mois auparavant

Flatté par la faveur d’un agréable vent,

Et poussé des désirs familiers à mon âge,

De mon pays natal je quittai le rivage.

RODOPE.

Et depuis-ce temps-là ?

SCAMANDRE.

Mille calamités

M’ont empêché de voir les bords que j’ai quittés,      

Et des cieux irrités les sentences cruelles

M’ont même refusé d’en savoir des nouvelles.

DAPHNÉ.

Jusqu’ici tout va bien, je vois pour mon repos

Que c’est une vertu que mentir à propos.

RODOPE.

N’avais-tu pas appris autrefois de ton père

Que ton oncle habitait en cette ville étrangère ?

DAPHNÉ.

Notre oncle était encore où j’ai reçu le jour

Quand mon frère fort jeune en quitta le séjour.

SCAMANDRE.

Qu’elle m’a délivré d’une incroyable peine !

 

 

Scène VI

 

TYRÈNE, RODOPE, SCAMANDRE, DAPHNÉ

 

TYRÈNE.

Madame on vous attend au château de Climène.       

RODOPE.

M’y pouvez-vous mener, aurai-je ce bonheur ?

SCAMANDRE.

Devez-vous demander si je veux de l’honneur ?

Qui ne serait heureux de conduire les Grâces,

Et de suivre partout  leurs amoureuses traces ?

RODOPE.

Ma fille, et vous Tyrène attendez-nous ici.       

TYRÈNE.

Peut-on mieux me laisser qu’en me laissant ainsi ?

DAPHNÉ.

Il est vrai que ces lieux n’ont rien qui ne contente,

Rien qui ne plaise à l’œil, et qui ne nous enchante.

TYRÈNE.

Vous n’y voyez pas tout, ils ont d’autres appas,

Et j’y vois des beautés que vous n’y voyez pas :         

Ce sont vos yeux, Daphné, ces deux sources de flamme,

D’où l’amour sort toujours pour entrer dans nos âmes.

DAPHNÉ.

De même que cœur ignore l’art d’aimer,

Mes yeux sont ignorants en celui de charmer.

TYRÈNE.

Vous avez toutefois un amant qui soupire      

Dans l’aimable prison de votre doux empire.

DAPHNÉ.

Saurait-il notre amour ! quel est donc cet amant ?

TYRÈNE.

Tu viens de lui parler, il t’aime uniquement.

DAPHNÉ.

Nous sommes découverts ! dis-moi son nom, Tyrène.

TYRÈNE.

Tu viens de le nommer, et j’en ressens la peine,         

Il te voit, il te touche, il te parle Daphné,

C’est Tyrène en un mot que tu tiens enchaîné.

DAPHNÉ.

Après tant de contrainte à la fin je respire.

TYRÈNE, seul.

L’agréable façon d’alléger un martyre :

Hélas pauvre Tyrène, un départ si soudain

Te montre peu d’amour, et beaucoup de dédain :

Persévère pourtant, ose tout, importune,

Espère à ton secours l’Amour et la Fortune,

Ces deux Divinités qu’on adore en tous lieux

Aident les importuns et les audacieux.

 

 

ACTE III

 

 

Scène première

 

RODOPE, DAPHNÉ

 

RODOPE.

Aimable et seul espoir de mon âme incertaine,

Ainsi que ton secours peut adoucir ma peine,

Que n’as-tu le pouvoir de lire dans mon sein,

Et de voir là-dedans mon mal et mon dessein :

Maintenant que mon cœur secrètement soupire,        

Tu pourrais m’épargner la honte de le dire.

Tu verrais en leur source et mes soins et mes vœux,

Je ne rougirais pas au récit de mes feux.

Mais pourquoi fais-je ici ce discours ridicule,

Le front peut bien rougir alors que l’âme brûle :        

Lorsque l’amour est juste aussi les feux le sont,

Et qui les souffre au cœur les peut souffrir au front.

J’aime, voilà le mal et le bien de ma vie,

Ton frère est le vainqueur qui la tient asservie,

L’amour et le destin ne sont plus dans les cieux,        

L’amour est dans mon cœur, mon destin dans ses yeux.

DAPHNÉ.

Il serait ennemi de son propre avantage

S’il n’entrait avec vous dans un même servage ;

Quand vos possessions ne le pourraient tenter,

Vos yeux poussent des traits qu’il ne peut éviter,      

L’amour étend sur lui sa force et son empire,

Et s’il n’en parle pas, sans doute il en soupire.

RODOPE.

Le sais-tu bien, Daphné, le dois-je imaginer ?

DAPHNÉ.

Vos charmantes beautés me le font deviner.

RODOPE.

Tu prends de faux témoins pour me prouver qu’il aime.     

DAPHNÉ.

Il aime assurément, et d’un amour extrême,

Mais ce vaincu discret respecte son vainqueur,

Et sa langue est captive aussi bien que son cœur.

RODOPE.

Daphné, je connais bien que son âme contrainte

Mêle en ses actions le respect et la crainte,       

Mais mon cœur fait esclave à son premier aspect

Demande de l’amour, et non pas du respect.

DAPHNÉ.

Souvent l’amour honteux alors qu’il veut paraître

Emprunte le respect pour se faire connaître,

Et comme s’il craignait de se montrer tout nu,

Il se couvre d’un front modeste et retenu.

RODOPE.

Va lui dire qu’il perde une humeur si craintive,

Il doit être plus libre avecques sa captive,

Et se servir enfin de ce titre de Roi

Que l’amour et le sort lui donnent dessus moi ;         

Porte-lui ces baisers que mon âme dépose

Sur l’aimable beauté de ta bouche de rose,

Et fais tant que son cœur plus touché que jamais

Prenne avec ces baisers tout le feu que j’y mets.

DAPHNÉ.

Puisque vous le voulez, je tenterai mon frère,

Je ferai beaucoup plus que votre amour n’espère :

Et si par des baisers nous le pouvons avoir,

Croyez qu’il est déjà dessous notre pouvoir.

RODOPE.

Daphné, voici ton frère, ou bien plutôt mon âme,

Porte-lui de ma part ces baisers tous de flamme.       

DAPHNÉ.

Je vais plus en donner que vous ne m’en donnez.

RODOPE.

Dis-lui que tous mes biens lui sont abandonnés.

Je puis bien lui donner les plus grands biens que j’aime,

Puisqu’à ses volontés je me donne moi-même.

Va donc, et dans ce bois j’attendrai ton retour :           

Porte-lui ces baisers, et fais pour moi l’amour.

J’aurai l’esprit content, pourvu que je le voie

Répondre sur ta bouche aux baisers que j’envoie ;

Aimable et cher auteur de mes justes transports

Je t’embrasse du cœur, ne l’osant pas du corps.          

 

 

Scène II

 

SCAMANDRE, DAPHNÉ, RODOPE

 

SCAMANDRE.

Ma Reine.

DAPHNÉ.

Dis ta sœur.

SCAMANDRE.

Puisque c’est ton envie

J’appellerai ma sœur la Reine de ma vie :

Aussi chère Daphné sans feindre en ce moment

Je t’aime comme frère, et te sers en amant.

DAPHNÉ.

Et moi cher entretien d’une amour véhémente

Je t’aime comme sœur, et te plains en amante.

RODOPE.

Il lui parle ardemment, et cette affection

Répond visiblement à mon intention.

SCAMANDRE.

Ma sœur.

DAPHNÉ.

Mais parle bas, Rodope nous écoute ;

Et bien qu’elle nous aime, en fin je la redoute :

Elle me fait servir à découvrir ses feux,

Et veux que je lui gagne un trésor que je veux.

SCAMANDRE.

Que dis-tu ?

DAPHNÉ.

Que Rodope à tes yeux asservie,

Emploie un ennemi pour lui garder la vie ;

Et comme d’une offrande on charge les autels

Pour la rendre agréable aux yeux des immortels,

Ainsi pour te donner un bien qu’elle te voue ?

Elle en vient de charger et ma bouche et ma joue.

SCAMANDRE.

Ainsi Rodope aveugle ignore son devoir,

Faisant servir d’autel ce qui doit en avoir.       

DAPHNÉ.

Mais il faut m’acquitter de ce que l’on m’ordonne,

Et rendre à ton amour les baisers qu’on lui donne.

Pour comble de plaisirs, mon frère, il t’est permis

De recueillir ton bien devant tes ennemis.

SCAMANDRE.

Il ne m’importe pas pour finir ma misère         

De baiser en amant, ou de baiser en frère.

Ô plaisirs ! ô transports ! les baisers d’une sœur

Froids au regard des tiens n’ont point cette douceur.

RODOPE.

Ô bienheureuse sœur ! ô baiser qui me touche !

Je le reçois dans l’âme, et Daphné sur sa bouche        

Scamandre a jusqu’à moi répandu la douceur

Que sa bouche a versé sur celle de sa sœur.

DAPHNÉ.

Les trouves-tu si doux venant d’une maîtresse

Dont tu ne peux souffrir l’importune caresse ?

Rodope te les donne, ils ne sont pas de moi.

SCAMANDRE.

Je les reçois pourtant comme venant de toi.

DAPHNÉ.

Enfin notre amoureuse (on ne peut nous entendre)

Met son cœur en mes mains afin de te les rendre.

SCAMANDRE.

En mains de sa rivale il est en grand danger.

DAPHNÉ.

Le veux-tu recevoir ? Le veux-tu soulager ?

SCAMANDRE.

Il le faut recevoir pour l’empêcher de nuire,

Et la nécessité semble nous en instruire,

Aimable et chère sœur, il faut au moins flatter

L’ennemi que l’on craint et qu’on ne peut dompter.

Je la visiterai, j’apaiserai ses plaintes,

Sinon par amitié, pour le moins par des feintes ;

Ainsi j’achèterai par de fausses amours

Le véritable bien de te voir tous les jours :

Mais surtout chère sœur garde bien devant elle

Que ton front amoureux ne nous soit infidèle,

Empêche à tes yeux  d’exprimer nos langueurs,

Le mouvement des yeux montre celui des cœurs.

DAPHNÉ.

Je feindrai mieux que vous ; vous ne devez rien craindre.

Étant fille mon cœur ne saurais-je pas feindre ?

RODOPE.

Il faut les écouter.

DAPHNÉ.

Elle s’approche d’ici.           

SCAMANDRE.

Plus elle avancera, plus reculons aussi,

Mais feignons de tenir une route incertaine,

Et d’aller sans dessein où notre pied nous mène.

RODOPE.

Que je l’entende amour ainsi que je le vois,

Hé quoi serait-ce avoir trop de bien à la fois ?

Arrête un peu Daphné, que ton frère s’arrête,

Je lui fais signe en vain des mains et de la tête,

Daphné, Scamandre, hé Dieux ! dois-je les appeler ?

Je veux que l’on m’entende, et je n’ose parler.

SCAMANDRE.

Mais il faut que Nérine apprenne cette feinte,

Elle ignore l’amour, dont Rodope est atteinte,

Et pensant nous donner un fidèle secours,

Elle pourrait trahir mes secrètes amours.

DAPHNÉ.

Va la voir, cependant que dirai-je à Rodope

Pour me tirer des rets où le Sort m’enveloppe ?         

SCAMANDRE.

Invente des discours qui flattent son souci,

Ce que tu lui diras, je le dirai aussi ;

N’ayant tous deux qu’une âme heureusement blessée

Nous ne pouvons avoir qu’une même pensée.

RODOPE.

Vous avez été longs à vous entretenir.

DAPHNÉ.

Quand on parle de vous, on ne saurait finir.

RODOPE.

Mais enfin ton discours, a-t-il touché son âme ?

DAPHNÉ.

Mon discours en a fait un homme tout de flamme.

RODOPE.

Comment a-t-il reçu mes baisers amoureux ?

DAPHNÉ.

Comme nous recevons ce qui nous rend heureux,

Son âme sur ma bouche heureusement ravie

Au lieu de ces baisers semblait prendre la vie.

RODOPE.

Phénice mon support, ou bien plutôt ma sœur,

Puisque ton frère et moi nous sommes joints du cœur,

Que maintenant ma bouche au défaut de la sienne

Recueille les baisers qu’il a mis sur la tienne :

Ô merveilleux effet d’un baiser si charmant !

J’y trouve avec le feu du rafraîchissement ;

Phénice, si jamais Alcimédon se trouve

Tu verras de mes soins une fidèle preuve,       

Quand il adorerait d’autres yeux que les tiens

Je le ramènerais dans ses premiers liens.

DAPHNÉ.

L’amour qu’il eût pour moi lui fut si naturelle

Qu’il ne peut vivre encor qu’il ne me soit fidèle.

RODOPE.

Fais état de Rodope, et de ce qu’elle peut.       

DAPHNÉ.

Elle m’offre un amant, et c’est ce qu’elle veut.

RODOPE.

Que dis-tu ?

DAPHNÉ.

Que le sort me prive d’espérance.

RODOPE.

Espère tout Daphné de ta persévérance,

La fortune et l’amour qui font vivre nos soins,

Les font aussi mourir quand nous l’espérons moins,

Mon exemple l’enseigne, et te fait reconnaître

Que les fleurs de l’amour en tout temps peuvent naître.

Mais retourne à ton frère, et dis-lui de ma part

Qu’il se retrouve ici dans une heure au plus tard,

Va rappeler ainsi mon âme et mes délices,      

Mille faveurs suivront de si rares services.

DAPHNÉ.

Bien que de vos faveurs les effets soient bien doux,

J’en trouve assez, Madame, à m’employer pour vous.

RODOPE.

Va mon cœur, va Phénice, et mille fois encore

Baise en mon nom la bouche, et les yeux que j’adore,

Va.

DAPHNÉ.

Je n’oublierai rien de vos commandements,

Mais que je crains la fin de mes contentements.

RODOPE, seule.

Chère source de biens et de maux sans exemples

Que je te dois amour, et de vœux, et de temples !

Il commença mes maux, il finit mes douleurs,

Sa main au lieu de traits jette sur moi des fleurs,

Et de tous les transports que ce Dieu nous envoie

Je n’ai plus dans le cœur  que celui de la joie.

Ha ! Que l’amour est juste, et que dans ses liens

Il trouve de chemins pour avancer les siens.

Au point qu’il semblait sourd à ma longue prière

Il m’a donné la sœur pour me donner le frère,

Et m’apprend aujourd’hui par de secrets plaisirs

Que s’il ne voit nos pleurs il entend nos soupirs.

Mais quelqu’un vient ici, c’est Nérine.

 

 

Scène III

 

NÉRINE, RODOPE

 

NÉRINE.

C’est elle

Qui vous vient apporter une bonne nouvelle.

Celui qui prit hier vos perles à Daphné

Convaincu du larcin vient d’être condamné.

RODOPE.

Je le savais déjà ; mais je te veux apprendre

Le bonheur que Daphné rencontre avec Scamandre.

NÉRINE.

Je sais tout le bonheur qui leur fut destiné,

J’ai ma part des plaisirs que possède Daphné,

Et vois par le discours que vous me tenez d’elle

Que nous ne dirons point aujourd’hui de nouvelle.

On ne peut toutefois rien dire de plus beau,

Et de qui le succès me semble plus nouveau.

Jamais un accident ne fut plus véritable,

Et jamais vérité ne sembla mieux la fable.

RODOPE.

Les désirant chérir tous deux uniquement

Je partage avec eux tout leur contentement,

Et voudrais que leur bien ne fût pas vraisemblable,

Car il serait plus grand, s’il était moins croyable.

NÉRINE.

Je les crois désormais parfaitement heureux

Par la seule amitié que vous avez pour eux,

Et leur bonne fortune également se montre,

Et dedans votre amour, et dedans leur rencontre.

RODOPE.

Quelques contentements qu’ils puissent désirer

Je ferai plus pour eux qu’ils n’osent espérer,

Donne m’en si tu veux de la gloire ou du blâme,

Mes biens leur sont ouverts aussi bien que mon âme.

NÉRINE.

On n’est jamais blâmé de ces nobles désirs

Qui nous ouvrent les mains pour faire des plaisirs.

RODOPE.

J’admire en leur endroit cette vertu profonde,

Qui regarde, qui juge, et qui conduit le monde.

NÉRINE.

Et moi je pense voir ces fabuleux Romans

Quand je pense au destin de ces parfaits amants.

RODOPE.

Que dit-elle d’amant, n’est-ce donc pas son frère ?

Mais dis-moi tout.

NÉRINE.

Daphné lui fut longtemps contraire,

Vous savez tout cela, je crois que leur discours

Ne vous a rien caché de leurs chastes amours.

RODOPE.

Non ; mais ce qui nous plaît et nous semble incroyable

Au centième récit est encore agréable.

NÉRINE.

Sachant donc que Scamandre était Alcimédon

Son cœur par ses soupirs lui demanda pardon.

RODOPE.

Il n’en faut plus douter.

NÉRINE.

N’en doutez point Madame,

Jamais un chaste amour ne jeta plus de flamme.

RODOPE.

Il est vrai.

NÉRINE.

Mais d’où vient ce changement si prompt

Qui couvre de soucis les lis de votre front ?

RODOPE.

D’un petit mal de tête, et je prévois, Nérine,

Que d’un mal incurable il sera l’origine.          

NÉRINE.

Nous verrons un effet contraire à ce propos,

Mais pour votre secours je vous laisse en repos.

 

 

Scène IV

 

RODOPE, seule

 

En repos ! quel repos ! que dit cette insensée ?

Le corps en reçoit-il lorsque l’âme est blessée ?

Ha cruelle Nérine, hélas sans y penser

Tu m’ôtes le repos que tu crois me laisser.

Ainsi mon entreprise à moi-même fatale

Dans les bras d’un amant a porté ma rivale,

Et ma crédulité vient d’établir entre eux

Un commerce d’amour qui les rend bienheureux.      

Ils en ont le plaisir, et j’en suis à la gêne.

Ils en ont tout le gain, et moi toute la peine.

Mais je ferai connaître à ces audacieux

Que le gain qui doit nuire est en fin odieux.

Malheureuse Rodope, amante infortunée,       

Aveugle par l’amour et par la destinée,

Ainsi pour te combler de rage et de tourments

Tu sers une impudique en ses contentements.

Et comme si Phénice eût manqué de caresses

Pour faire à son amant de lascives largesses,

Prodigue à mon malheur des plus chers de mes biens

J’ai joint à ses baisers  les plus ardents des miens,

Ô rage ! ô désespoir ! Hé Dieux, qui peut le croire ?

J’ai mis mes ennemis au comble de leur gloire,

Je les viens d’élever au trône où je les vois.     

Et je leur aide enfin à triompher de moi.

Mais je leur apprendrai par leur perte prochaine

Que l’amour méprisé se convertit en haine,

Et qu’il ne m’a laissé que les funestes feux

Qui me peuvent servir à les perdre tous deux.

Où j’attends du respect je reçois des outrages,

Je reçois des mépris où j’attends des hommages ;

Et le mépris est seul le trait plus rigoureux

Dont l’on puisse toucher un esprit généreux.

Venge-toi donc Rodope, et pour ton allégeance         

Marque ici de leur sang le jour de ta vengeance,

Que Scamandre, ha ce mot a mon esprit charmé !

Puis-je perdre bons Dieux ce que j’ai tant aimé ?

Un reste d’amitié m’oppose tous ses charmes,

Affaiblit ma fureur, me fait quitter les armes,

Et remontre à mon cœur qui l’avait condamné,

Que le mal est venu seulement de Daphné.

Mais de quels mouvements ai-je l’âme battue ?

Dois-je excuser encore l’ennemi qui me tue ?

Fureurs à qui je cède et qui me commandez,

À quoi réduirez-vous mes esprits possédés ?

À quelle extrémité n’ira pas mon courage,

Autrefois plein d’amour, maintenant plein de rage ?

N’ai-je pas vu le traître embrasser ardemment

L’impudique sujet de son contentement ?        

N’a-t-il pas à mes yeux caressé l’impudente

Autrement qu’une sœur, ou qu’une confidente ?

Et ses puissants transports que j’ai vus aujourd’hui,

Sont-ils pas les témoins qui parlent contre lui ?

Il n’en faut plus douter, Scamandre est sans défense,

L’un et l’autre a poussé la flèche qui m’offense,

Lâche auteur de mes maux et de tant de soupirs,

Pour la dernière fois saoule-toi de plaisirs,

Épuise de baisers la bouche de Phénice,

Arme-toi contre moi de quelque autre artifice,

Et crois que si l’amour t’apprend à m’outrager,

La haine désormais m’apprend à me venger.

Porte-toi donc mon âme où la rage te pousse,

La plus prompte vengeance est toujours la plus douce ;

La colère se perd dans le retardement,

Et qui se venge tôt, se venge doublement.

Entreprends, ose tout, passe jusques aux crimes,

Donne à ta passion de sanglantes victimes,

Et montre qu’une femme a rarement appris

À souffrir sans vengeance un si lâche mépris.

 

 

ACTE IV

 

 

Scène première

 

TYRÈNE, seul

 

Que notre cœur est faible et sait peu se défendre

Alors que de beaux yeux lui parlent de se rendre,

Il se jette lui-même aux fers de son vainqueur,

Et quand même il soupire il aime sa langueur :

Mais pourquoi voudrait-on le refuser aux belles,      

Puisque le Ciel le forme et le donne pour elles :

Il nous fait de nos cœurs un dépôt amoureux

Pour le rendre aux beautés qui président sur eux ;

Aussi chère Daphné, Daphné toute divine,

Je te donne ce cœur que le Ciel te destine,       

Et bien que ton mépris veuille le rejeter,

Ton bel œil le retient et semble le flatter.

Adorable sujet à qui je rends les armes,

Mesure mon amour par l’excès de tes charmes,

Et tu verras alors que mon affection

Est égale en grandeur à ta perfection.

Toi qui comme mes feux rends ma douleur extrême,

Doux tyran des esprits amour fais qu’elle m’aime,

Ou que ses yeux plus doux ayant su m’enflammer,

Me donnent pour le moins plus de sujets d’aimer.

Mais Rodope s’avance.

 

 

Scène II

 

RODOPE, TYRÈNE

 

RODOPE.

Il faut trouver Tyrène.

Que son bras contribue à me tirer de peine,

Il est à mes bienfaits obligé dès longtemps,

Et doit à mes faveurs l’effet que j’en attends.

TYRÈNE.

Daphné ne la suit pas.

RODOPE.

Le voici qui s’avance,

Découvre-lui sans peur ce dessein d’importance ;

Commande en menaçant, parle sans t’ébahir,

Qui commande en tremblant montre à désobéir.

Tyrène en un dessein où je suis occupée

J’appelle à mon secours ton bras et ton épée.

TYRÈNE.

Disposez de mon sang si souvent répandu,

Je le tiendrai pour vous heureusement perdu.

RODOPE.

Dois-je suivre un dessein qui m’inspire une rage ?

TYRÈNE.

D’où vient cette pâleur qui couvre son visage ?

RODOPE.

Tyrène, une autre fois je te pourrai parler.       

Non, l’instant est venu qu’il la faut immoler,

Mais plus je veux parler, plus ma bouche pressée

Refuse le passage à ma triste pensée,

Mon dessein m’épouvante, et pourtant il me plaît.

Que dois-je faire ? À Dieu.

TYRÈNE.

Je serai toujours prêt.      

RODOPE.

Non, non, approche-toi, promets, atteste, jure,

Que tu me tireras des peines que j’endure.

TYRÈNE.

Pourrais-je refuser à tirer des liens

L’incomparable main qui m’a comblé de biens ?

RODOPE.

Tu sais bien que ce bras a fondé ta fortune,

Qui l’élève aujourd’hui par-dessus la commune.

Et tu sais bien aussi que de ce même bras

Je la puis ébranler, et la jeter à bas,

Considère ce point, il te touche, il te presse,

Garde donc de me faire une vaine promesse.

TYRÈNE.

Je sais ce que je dois à vos rares bienfaits,

Madame, commandez, vous verrez des effets.

RODOPE.

Que dessous de grands maux mon âme est abattue ?

Sache que j’entretiens un serpent qui me tue,

Que je veux aujourd’hui par tes mains l’étouffer,      

Et renvoyer là-bas cette rage d’enfer ;

En un mot c’est Daphné, tu t’étonnes Tyrène,

Tu n’oses et tu veux m’appeler inhumaine,

Ton courage abattu condamne ma rigueur,

Et je vois sur ton front ce que pense ton cœur.

TYRÈNE.

Vous n’y pouvez rien voir qu’un désir de vous plaire.

Mais d’où vient ce transport ? d’où vient cette colère ?

RODOPE.

Ne t’informe de rien, exécute mes vœux,

Et pour toute raison apprends que je le veux.

TYRÈNE.

Ne peut-on jeter d’eau sur des flammes si grandes ?

RODOPE.

Qui désire obéir ne fait point ces demandes.

Quand mes commandements t’imposent quelques lois,

Tu dois agir des mains plutôt que de la voix.

TYRÈNE.

Je n’y refuse point ni ma main, ni ma vie.

RODOPE.

Pourquoi donc sembles-tu combattre mon envie ?

Parle, réponds, veux-tu te perdre et m’outrager ?

TYRÈNE.

Non, Madame.

RODOPE.

Il faut donc aujourd’hui me venger.

Embrasse ce dessein, injuste ou légitime,

Ma colère ne peut s’apaiser sans victime.

TYRÈNE.

À quoi que vous voudrez j’ai le courage prêt.

Mais où ferai-je voir l’effet de cet arrêt ?

RODOPE.

Prêt de ce grand étang dont la vaste étendue

Cache de tous côtés ces bords à notre vue,

Là tu feras tomber son esprit chez les morts,

Et les eaux de l’étang recèleront son corps,      

Les eaux qui couvriront l’ingrate, la perfide,

Couvriront tout ensemble un si juste homicide.

Mais je vais de ce pas faire sortir Daphné,

Va l’attendre, Tyrène, à l’endroit destiné.

TYRÈNE, seul.

Ô Dieux qui punissez les crimes de la terre !

Avez-vous oublié l’usage du tonnerre ?

Qu’une femme est étrange en son ressentiment,

Que toute passion en dispose aisément ;

Il n’est rien de plus doux alors qu’elle nous flatte,

Et rien de plus cruel quand sa fureur éclate.

Ses attraits adorés aussitôt que connus

Devant nos yeux charmés en font une Vénus,

Et le premier transport qui vient de la colère

D’une aimable Vénus en fait une Mégère.

C’est en fin vainement qu’elle appelle ma main         

À l’exécution de cet acte inhumain,

Ni bienfaits, ni faveurs, ni craintes, ni supplices,

Ne peuvent m’obliger à de lâches services :

Nous devons être ingrats au plus rare bienfait

Alors que pour son prix on demande un forfait ;        

Qu’elle m’appelle ingrat, et mille fois timide,

Il vaut mieux après tout être ingrat qu’homicide,

En pareille rencontre un esprit combattu

Fait de l’ingratitude un acte de vertu.

Cruelle ! peux-tu voir tant de beautés reluire

Sans perdre en même temps le dessein de leur nuire ?

Penses-tu que ses yeux nos plus puissants vainqueurs ?

Puissent peu sur nos bras pouvant tout sur nos cœurs ?

À l’aspect de son sein d’où naissent tant de charmes

Qui ne voudrait pas rendre et le cœur et les armes ?

Pourrait-on l’outrager par de si rudes coups,

Elle dont les beautés en donnent de si doux ?

Non, non, ce beau Soleil  qui brûle tant de monde

N’a pas été formé pour mourir dedans l’onde ;

Mais t’accuse Rodope, et je dois l’excuser,       

Puisque enfin son dessein me peut favoriser,

Si je dis à Daphné cette cruelle envie

Qui menace aujourd’hui le filet de sa vie,

Et si enfin je puis lui conserver le jour

Ce bienfait infini m’obtiendra son amour ;       

Mais la voici qui vient semblable à la victime

Qu’on destine à la mort, et n’a point fait de crime.

 

 

Scène III

 

DAPHNÉ, TYRÈNE

 

DAPHNÉ.

Il lui faut obéir, l’étang est ici près.

TYRÈNE.

Peut-on être cruel à de si doux attraits ?

Tu vas donc à l’étang ?

DAPHNÉ.

Qui te l’a dit Tyrène ?

TYRÈNE.

Je connais mieux que toi le sujet qui t’y mène.

DAPHNÉ.

J’allais le voir pêcher, Rodope me l’a dit.

TYRÈNE.

Ha Daphné !

DAPHNÉ.

Laissez-moi, vous êtes interdit,

C’est un effet d’amour.

TYRÈNE.

Mais plutôt d’une crainte

Dont tu dois recevoir la plus sensible atteinte,

Tu ne sais pas Daphné qu’à l’endroit où tu cours

Un puissant ennemi menace tes beaux jours.

DAPHNÉ.

Tyrène, en me jouant, vous vous jouez vous-même,

Ai-je des ennemis où tout le monde m’aime ?

TYRÈNE.

Les ennemis cachés sous un front plein d’appas        

Sont d’autant plus cruels qu’on ne les connaît pas.

DAPHNÉ.

Dis-moi cet ennemi, s’il me veut entreprendre

L’amitié de Rodope a de quoi me défendre.

TYRÈNE.

Qu’une faible apparence abuse ta raison !

Tu cherches ta santé dans le même poison,

Tu cherches ton salut dedans le précipice,

Tu cherches du repos au milieu du supplice,

Et par un sort étrange et rempli de rigueur

Tu caresses le bras qui te perce le cœur.

Celle que ta frayeur appelle à ta défense          

Est celle qui te flatte, et celle qui t’offense,

Rodope est l’ennemi qui demande ton sang,

Et la mort t’attendait sur les bords de l’étang.

DAPHNÉ.

Hé ! Dieux que me dis-tu ? d’où procède sa haine ?

Elle a sans doute appris.

TYRÈNE.

Quoi Daphné ?         

DAPHNÉ.

Rien Tyrène.         

Mais dois-je croire en fin  ce funeste rapport ?

TYRÈNE.

Voudrais-je la blâmer et l’accuser à tort ?

Elle dont la faveur sans peine poursuivie

M’élève jusqu’au point de donner de l’envie.

Crois donc que sa fureur te destine au trépas,

Et que pour t’immoler elle a choisi mon bras ;

Mais qu’elle est aveuglée et prompte à se méprendre

D’employer à ta mort ce qui t’en doit défendre.

Je fais gloire Daphné de sauver mon vainqueur,

Et de garder la vie à qui m’ôte le cœur.

DAPHNÉ.

Ici l’étonnement égale mon martyre,

Que dirai-je, Tyrène, où j’en ai tant à dire ?

Mais plutôt quel endroit s’offrira désormais

Pour garder sûrement le bien que tu me fais ?

Où pourrai-je éviter le coup de ma ruine ?      

 

 

Scène IV

 

SCAMANDRE, PHILANTE, DAPHNÉ, TYRÈNE

 

SCAMANDRE.

En vain de tous côtés j’ai recherché Nérine,

Je ne la trouve point, Dieux que je suis gêné.

PHILANTE.

Mais peut-être Nérine a tout su de Daphné.

SCAMANDRE.

Amour fais voir ici que ton soin nous regarde,

Montre que tes sujets ont un Dieu qui les garde,        

Conserve-nous le bien que tu nous as donné,

Et montre Alcimédon seulement à Daphné.

PHILANTE.

Ne l’aperçois-tu pas, Tyrène est avec elle.

TYRÈNE.

Où veux-tu donc aller ?

DAPHNÉ.

Nérine m’est fidèle.

PHILANTE.

N’en es-tu point jaloux ?

SCAMANDRE.

Philante apprends de moi

Que le monde n’a rien d’assuré que sa foi.

Tâchons de les ouïr, et tu diras sans feindre

Que si Tyrène l’aime il est beaucoup à plaindre.

DAPHNÉ.

Conduis-moi chez Nérine, elle m’aime.

TYRÈNE.

Allons-y.

La main qui te défend te doit conduire aussi.

SCAMANDRE.

Écoutons.

DAPHNÉ.

Que rendrai-je à tant de bons offices ?

Quel assez digne prix suivra tant de services ?

TYRÈNE.

Si tu veux de mes soins me donner quelque prix,

Fais-moi voir seulement la fin de tes mépris.

DAPHNÉ.

Reçois avec ma main l’assurance certaine        

Que jamais mon dédain ne causera ta peine.

SCAMANDRE.

Reçois avec ma main, dieux qu’est-ce que je vois ?

Elle donne sa main et peut-être sa foi ;

Mais dois-je le souffrir et contre tant d’atteintes

Opposer seulement des larmes et des plaintes ?        

Non, non, mais où sont-ils ? Ô parjure trop clair !

L’ingrate a disparu de même qu’un éclair,

Et malgré ma constance et mon amour extrême

Son esprit trop léger rend son corps tout de même,

Ou pour en mieux parler dans mes justes transports

Le vice de l’esprit passe jusqu’à son corps.

PHILANTE.

Est-ce là, cher ami, cette rare merveille

Dont la fidélité n’eût jamais de pareille ?

SCAMANDRE.

Non, non, de mes plaisirs un démon envieux

A pris pour me gêner et sa vois et ses yeux ;

Mais que veux-je te dire, et que viens-je d’entendre ?

Je me flatte insensé.

PHILANTE.

Je le pense Scamandre,

Et si tous les Démons avaient autant d’appas,

L’enfer à mon avis ne me déplairait pas.

SCAMANDRE.

À peine ai-je vu naître un bien incomparable

Que sa soudaine fin m’a rendu misérable,

Hé Dieux qu’une faveur est sujette à changer

Alors qu’elle dépend de ce sexe léger !

L’ingrate ne reçut de mon amour extrême

Qu’une image d’amour, et non pas l’amour même,

Quelques vœux enflammés qu’on ait faits chaque jour

Un amour qui finit ne fut jamais amour.

Enfin ce cœur léger plus que son front n’est grave

Me traite maintenant ainsi qu’un vieil esclave,

Qu’on voudrait voir fuir, et qui ne le peut pas,          

Pour ce que ses langueurs s’opposent à ses pas.

Te joindras-tu volage avec les destinées

Pour éteindre en un jour un feu de dix années ?

Et malgré des ennuis si longs et si cuisants

M’ôteras-tu le prix d’un travail de dix ans ?

Ainsi belle inhumaine, orgueilleuse, cruelle,

Je te perdis constante, et te trouve infidèle ;

Mais puisque l’inconstance est jointe à tes appas,

Il m’eût été plus doux de ne te trouver pas.

Je te perdis constante, et j’en fus au martyre,

Je te trouve infidèle, et mon sort en est pire ;

Ainsi tu m’es cruelle, et tu me mets aux fers

Alors que je te trouve, et lorsque je te perds.

PHILANTE.

Que fais-tu ? que dis-tu ? de quoi te plains-tu d’elle ?

Voir changer une fille est-ce chose nouvelle ?

Hé bien l’on t’a quitté, quitte pour te venger,

Ce mal est-il si grand qu’il te doive affliger ?

SCAMANDRE.

Si ce mal est si grand, ha Philante, ma bouche

Ne te saurait montrer la douleur qui me touche,

Mais tu la verras mieux dedans ce cœur ouvert          

Quand ma main et ce fer te l’auront découvert.

PHILANTE.

Je l’ai pour te servir, et non pas pour te nuire.

SCAMANDRE.

Peut-il mieux me servir qu’en m’ôtant de martyre ?

PHILANTE.

Ne te montre point faible en cette extrémité,

Mais tire ton secours de sa déloyauté.

SCAMANDRE.

Son inconstance éteint le feu qui me consume,

Mais sa beauté plus forte aussitôt le rallume ;

Enfin elle me quitte, et pourtant sa beauté

Me touche beaucoup plus que sa déloyauté.

Que l’Empire d’amour est rempli d’injustice

Lorsqu’une fille change elle y commet un vice,

Elle se rend coupable, et toutefois l’amant

Qui n’a pas fait le mal en a le châtiment.

PHILANTE.

Dis plutôt que l’amour est la même Justice,

Et qu’il sait à l’offense égaler le supplice,        

Ne fais-tu pas un crime en adorant des yeux

Qu’une infidélité te doit rendre odieux ?

Ne fais-tu pas un crime indigne de sa grâce

Quand tu veux l’adorer en une seule place ?

Il est Dieu cet Amour, et comme tous les Dieux         

Il veut que sans réserve on l’adore en tous lieux,

Qu’on le craigne en Philis ainsi qu’en Arténice,

Qu’on le suive en Rodope aussi bien qu’en Phénice,

On l’éprouve autrement superbe et rigoureux,

Et par notre constance il nous rend malheureux.        

Quitte donc cher ami cette vaine constance

Qui donne tant de maux et si peu d’assistance,

Et crois que la raison permet le changement :

Lorsque nous le suivons pour notre allègement.

Souffre qu’un feu plus doux échauffe sa belle âme,

Et tu triompheras de ta première flamme :

Je t’ai dit mille fois qu’on apprend chaque jour

Qu’une flamme éteint l’autre en matière d’amour.

Vois Rodope, poursuis, ses mains te sont ouvertes

Et l’excès de son bien réparera tes pertes ;       

Les biens à mon avis et les possessions

Sont un puissant remède à nos afflictions.

Mais elle vient ici.

 

 

Scène V

 

RODOPE, SCAMANDRE, PHILANTE

 

Rodope doit sortir avec un valet à qui elle parle.

RODOPE.

Va, cours après Tyrène,

Il est devers l’étang.

SCAMANDRE.

Que je me trouve en peine.

RODOPE.

Dis-lui qu’il s’en revienne, et qu’il n’achève pas,        

Il sait bien ce que c’est, n’épargne point tes pas.

Que le remords est prompt à succéder au crime !

Et qu’il porte en mon cœur un tourment légitime !

PHILANTE.

À Dieu, va-t’en la voir.

SCAMANDRE.

Elle m’a vu, bons Dieux !

Rends le calme à ton front, et rassure tes yeux.           

RODOPE.

À son funeste aspect je tremble, je me trouble ;

J’ignore si ma haine ou mon amour redouble,

Je l’aime, je le hais, ce lâche, ce brutal,

Et je ne sais si je veux ou son bien ou son mal.

SCAMANDRE.

Plus comblé de vos biens, que rempli de mérites,     

Je donne à vos désirs mes vœux et mes visites,

Ne trouvant rien en moi d’aimable ni de doux

Que l’honneur seulement d’être chéri de vous.

Vous avez adouci ma fortune cruelle,

Je reçois de vos mains les biens qu’on reçoit d’elle,

Et pour tant de faveurs qui m’imposent des lois

Il faut donner le cœur, et retenir la voix.

RODOPE.

Et toutefois, ingrat, tu fais voir le contraire,

Tu parles en ami, tu fais en adversaire ;

Et sans appréhender ma haine et ma rigueur,

Tu me donnes ta voix, et tu retiens ton cœur.

SCAMANDRE.

Hé Dieux que dites-vous ?

RODOPE.

Ce que je dis infâme !

Phénice est donc ta sœur ?

SCAMANDRE.

Vous le savez, Madame.

RODOPE.

Oui traître je le sais.

SCAMANDRE.

Que mon malheur est grand !

À peine plains-je un mal qu’un autre me surprend.

RODOPE.

Daphné n’est pas ton cœur, ce n’est pas la Déesse

Qui reçoit ton encens, qui finit ta tristesse,

Tu n’es pas son amant.

SCAMANDRE.

Je ne sais qui je suis

Dans ce dédale obscur de peines et d’ennuis,

RODOPE.

Tu l’adores toujours comme elle persévère,

Et sous ces chastes noms, et de sœur et de frère,

On a trouvé l’amour plus doux et plus charmant,

Que sous ces noms lascifs de maîtresse et d’amant.

SCAMANDRE.

Oui je suis son amant, et je ne dois plus feindre

Puisque dans mes malheurs je n’ai plus rien à craindre :     

Je l’aime, je la sers depuis mon premier jour,

Et le feu qui m’anime est celui de l’amour.

Je l’adore par tout inconstante, ou fidèle,

Je fais état des maux alors qu’ils viennent d’elle,

Et comme je naquis pour adorer ses yeux,       

J’aurai même en mourant ce dessein glorieux ;

Mais ce cruel amour qui demande mes larmes

Est plutôt un destin qu’un effet de ses charmes.

Voulez-vous donc Madame en vain lui résister ?

Et si c’est un destin, croyez-vous le dompter ?

Non, non, si des malheurs aussi vieux que moi-même

Font une vaine guerre à mon amour extrême,

Il ne doit plus céder qu’à l’invincible effort

Que ce cœur malheureux recevra de la mort.

RODOPE, seule.

Arrête, arrête, ingrat. Mais hélas il me laisse,

Et mon cœur aveuglé suit celui qui le blesse,

Reviens cruel, reviens contenter ta rigueur,

Et m’emporte la vie aussi bien que le cœur.

Reviens Alcimédon, excuse ma colère ;

Puisqu’elle vient d’amour, elle devrait te plaire,

Le courroux d’une amante à peine dure un jour,

Et venant de l’amour, c’est un signe d’amour.

Aime ailleurs, feins pour moi, j’arrêterai mes larmes,

La feinte qui nous flatte a même quelques charmes ;

Mais de quelles erreurs ai-je l’esprit atteint ?

Guérit-on d’un vrai mal par un remède feint ?

Et peut-on sans miracle en pareille aventure

Éteindre de vrais feux par des eaux en peinture ?

Triste et cruel amour adoucis ton effort,

Ou bien change tes traits avec ceux de la mort,

Et pour guérir ce cœur où ta force préside

Ne sois plus mon tyran, ou sois mon homicide.

Mais je l’implore en vain après tant de travaux,

Ainsi qu’il est aveugle il est sourd à mes maux,

Et ce tyran des cœurs est bien plus redoutable

Que toute sa faveur ne nous est profitable,

Cependant je l’implore, et ce cœur insensé

Appelle à son secours celui qui l’a blessé,

Non, non, j’ai le pouvoir de rompre mon servage,

Toute ma guérison dépend de mon courage,

Et bien qu’amour me traite en superbe vainqueur ;

Un coup de désespoir l’ôtera de mon cœur.

Scamandre, aime Daphné ; mais que dis-je, cruelle ;

Peut-être que sa mort m’a rendu criminelle !

Il me semble déjà que son ombre sans corps

Pour rompre mon repos quitte celui des morts.

 

 

Scène VI

 

TYRÈNE, RODOPE

 

TYRÈNE.

Rodope parle seule, ha quelle extravagance !

Mais il faut l’écouter devant que je m’avance,

Lorsque l’on parle ainsi l’esprit est bien gêné.

RODOPE.

Dieux détournez le coup qui menace Daphné.

Et si par mon amour je me rends misérable

Ne souffrez pas grands Dieux qu’il me rende coupable.

TYRÈNE.

Ô d’un mauvais dessein heureux et doux effet ?

Rodope se repent.

RODOPE.

Tyrène qu’as-tu fait ?

TYRÈNE.

Votre commandement, elle est morte, Madame.         

RODOPE.

Tyrène qu’as-tu fait ? ô malheureuse femme ?

Ne pouvais-tu juger que ce commandement

N’était rien qu’un effet d’un premier mouvement ?

Ne pouvais-tu juger qu’un remords trop sévère

Succéderait bientôt à ma prompte colère ?       

Et que j’aurais horreur de cette extrémité

Où l’aveugle fureur a mon esprit porté ?

TYRÈNE.

Je l’ai prévu Madame, Et Daphné n’est pas morte.

RODOPE.

Que le plaisir est grand que ton discours m’apporte !

Tu ne m’as pu combler d’un vrai contentement          

Qu’en te montrant rebelle à mon commandement.

En quels lieux est Daphné ?

TYRÈNE.

Chez Nérine.

RODOPE.

Sait-elle

Combien en son endroit je me rendis cruelle ?

TYRÈNE.

Je sais ce qu’il faut dire et ce qu’il faut celer,

Et je n’ai pas jugé qu’il en fallût parler.

RODOPE.

Que je sens d’un grand faix mon âme soulagée.

Tu m’as en même temps par deux fois obligée,

Mais puisque ta pensée a si bien réussi,

Va-t’en dire à Daphné qu’elle revienne ici.

Le remords a rompu tous mes desseins tragiques,

Va vite, j’aperçois l’un de mes domestiques,

Tracine, que veux-tu ?

 

 

Scène VII

 

TRACINE, RODOPE

 

TRACINE.

Je vous viens assurer

Que la force d’un Dieu ne l’en peut retirer.

RODOPE.

De qui veux-tu parler ?

TRACINE.

Vous m’avez fait entendre

Que vous aviez reçu des mépris de Scamandre.         

RODOPE.

Hé bien.

TRACINE.

Vous m’avez dit qu’un outrage si fort

Vous donnait des désirs qui regardent sa mort.

Pour moi qui n’ai pour vous qu’un courage fidèle,

Et qui vous sert bien moins par devoir que par zèle,

Je viens de pratiquer des amis assurés

Qui le mettront bientôt où vous le désirez.

Ils l’attendront ce soir dans ce petit bocage

Qu’en allant chez Nérine il trouve à son passage.

RODOPE.

Tracine, que dis-tu, de quoi m’as-tu parlé ?

Leur as-tu dit mon nom ?

TRACINE.

C’est ce que j’ai celé,         

Mais j’ai dit seulement que Dame outragée

Voulait être aujourd’hui par leur aide vengée,

Et ces esprits touchés par l’attente d’un don

M’ont plutôt demandé votre or que votre nom.

RODOPE.

T’avais-je commandé cette indigne vengeance ?         

Tu me donnes la mort au lieu d’une allégeance,

Tâche à les prévenir, inhumain cours après,

D’un si mauvais dessein va rompre les apprêts.

TRACINE.

Mais, Madame.

RODOPE.

Va vite, il faut que je te suive.

Empêche pour ton bien qu’un désastre m’arrive,       

Et crois qu’en ce sujet de désordre et d’effroi

Le coup qui l’atteindra rejaillira sur toi.

 

 

ACTE V

 

 

Scène première

 

NÉRINE, DAPHNÉ

 

NÉRINE.

Phénice, j’aurais peine à croire cette histoire,

Si ton étonnement ne me la faisait croire.

DAPHNÉ.

Après tant d’accidents laisse-moi respirer,       

Ou bien plutôt, mon cœur, laisse-moi soupirer.

Et par l’extrême bien dont me comble Tyrène,

Juge ici du loyer que je dois à sa peine.

Et quoi sans être ingrate et mériter la mort

Dont il vient d’affranchir mon misérable sort.

Nérine mon appui, Nérine que j’embrasse,

Lui pourrais-je en mon cœur refuser une place ?

Non, non, quand mes dédains lui fermeraient ce cœur,

Son bienfait l’ouvrirait, et s’en rendrait vainqueur.

Nérine, les bienfaits ont une force étrange,      

Par eux on s’amollit, par eux l’esprit se change,

Ils peuvent triompher des plus fortes rigueurs,

Et les bienfaits en fin sont les clefs de nos cœurs.

NÉRINE.

Je ne vous comprends point, il semble à vous entendre

Que Tyrène ait le bien que possédait Scamandre.      

DAPHNÉ.

Mais quittons ce bocage, allons enfin chez vous.

Déjà l’obscurité s’avance devers nous.

Le Soleil de plus près se mire dedans l’onde,

Sa clarté se dérobe aux yeux de tout le monde,

Et cet astre réglé par les lois du destin

Me donne un triste soir après un beau matin.

NÉRINE.

Console-toi mon cœur, les mêmes destinées

Après de tristes nuits sont des belles journées.

DAPHNÉ.

Hélas !

NÉRINE.

Que peux-tu craindre après cet accident

Où le Ciel t’a montré son amour évident ?       

Daphné, le même Dieu qui nous veut faire naître,

Est curieux aussi de conserver notre être.

Si comme les plus hauts, les plus bas des humains,

Tâchent à protéger l’ouvrage de leurs mains,

Si même par l’instinct dont l’animal abonde

Il conserve et défend ce qu’il a mis au monde,

Penses-tu que ce Dieu qu’on implore au besoin,

Ait formé les mortels pour en perdre le soin ?

Non, non, sa providence est toujours sans pareille.

DAPHNÉ.

Mais quelque bruit confus a frappé mon oreille.        

 

 

Scène II

 

GÉRON, DAPHNÉ, NÉRINE, SCAMANDRE

 

GÉRON.

Scamandre, il faut mourir.

SCAMANDRE.

Traîtres.

NÉRINE.

Que faites-vous ?

Opposons-nous, Phénice, à de si lâches coups.

GÉRON.

Il n’en peut échapper, il faut, il faut qu’il meure.

DAPHNÉ, prend Scamandre.

Traître enfin je te tiens.

GÉRON.

Donnons ?

NÉRINE.

Hé Dieux !

DAPHNÉ.

Demeure,

Et permets que mon bras par la raison poussé

Venge sur ce cruel mon honneur offensé,

Alors qu’on est touché de quelque injure extrême :

Le plus grand bien consiste à se venger soi-même.

Contente mes désirs, j’en viendrai bien à bout,

Une femme en colère est capable de tout.        

GÉRON.

Amis n’est-ce point là cette Dame outragée

Qui veut être aujourd’hui par notre aide vengée ?

SCAMANDRE.

Achève maintenant par cette cruauté

Ce que tu commenças par ta déloyauté,

Ce serait peu Daphné que ton cœur fût perfide          

Si ton bras inhumain n’était mon homicide,

Par un acte sanglant couronne ta rigueur.

Et rends ton bras coupable aussi bien que ton cœur.

DAPHNÉ.

Permettez que ce fer seconde mon courage,

Ma haine et ma fureur m’en apprendront l’usage,

Souffrez que par mon bras, je me puisse alléger,

C’est moi que l’on offense, et je m’en dois venger.

Alors que dans son sang ma main sera plongée

Vous serez satisfaits et je serai vengée ;

Mais enfin si le sort a conclu son trépas

S’il doit ici mourir, qu’importe de quel bras ?

GÉRON.

C’est elle assurément pour qui l’on nous emploie,

Servez-vous du secours que le Ciel vous envoie,

Madame vengez-vous.

NÉRINE.

Que faites-vous Daphné ?

Percez plutôt mon sein que cet infortuné.        

GÉRON.

Madame je la tiens, contentez votre envie.

DAPHNÉ, présente l’épée à Scamandre.

Scamandre défends-toi, vends chèrement ta vie,

Si le sort ne veut pas que tu vives heureux,

Meurs pour le moins sans honte en homme généreux.

NÉRINE.

Ô miracle d’amour !

GÉRON.

Hé Dieux quelle surprise !

SCAMANDRE.

Voici de quoi tromper votre lâche entreprise,

Ce fer injustement destiné contre nous

Est enfin justement employé contre vous.

NÉRINE.

Sois content de leur fuite, et de ton avantage,

Tu dois craindre leur nombre, et non pas leur courage,        

Mais dis-nous quel malheur t’a conduit au danger

D’où l’amour de Phénice a su te dégager ?

SCAMANDRE.

Pensant aller chez vous par ce petit bocage

Ces lâches inconnus m’ont surpris au passage,

Et l’orage était prêt à tomber dessus moi         

Quand ce jeune Soleil en a chassé l’effroi,

Ainsi chère Phénice en dépit de l’envie,

Ton pouvoir seulement a droit dessus ma vie.

Mais qui croirait enfin ce miracle d’amour

Que qui m’ôte le cœur me conserve le jour ?

NÉRINE.

J’approuve en quelque sorte un dessein si barbare

Puisqu’il nous a fait voir une action si rare,

Mais qui croirait Daphné qu’un grand étonnement

Pût laisser à l’esprit un si clair jugement ?

DAPHNÉ.

Le désir violent de sauver ce qu’on aime         

Peut plus dessus l’esprit que l’épouvante même.

Mais pour apprendre tout, écoute mon discours,

Et vois comme les Dieux nous prêtent leur secours.

Avant que te trouver auprès de ce bocage

J’ai suivi trois soldats qui tenaient ce langage,

Je ne la connais point, mais il faut l’assister,

L’espérance du gain nous y doit inviter.

Or te voyant surpris par cette troupe infâme

Ce que j’avais ouï s’est remis dans mon âme.

Si bien qu’ayant jugé qu’ils employaient leurs bras

Au secours de quelqu’un qu’ils ne connaissaient pas,

J’ai feint ce qu’on a vu, quelque Dieu m’a guidée,

Et pour te délivrer les traîtres m’ont aidée,

On voit dans les dangers l’esprit industrieux,

Et la nécessité le rend ingénieux.

NÉRINE.

S’ils eussent fait leur coup, que tu semblais attendre.

DAPHNÉ.

J’eusse mêlé mon sang à celui de Scamandre.

SCAMANDRE.

Ha mon âme ! ha Daphné ! sans toutes ces rigueurs

L’amour est satisfait d’un mélange de cœurs.

 

 

Scène III

 

TYRÈNE, DAPHNÉ, SCAMANDRE, NÉRINE

 

TYRÈNE.

Quel nouveau déplaisir me jette dans un gouffre !

Scamandre la caresse, et l’ingrate le souffre.

Scamandre c’est assez, je n’en ai que trop vu,

Et vous avez trop pris d’un trésor qui m’est du.

SCAMANDRE.

Qui vous est dû, comment ?

TYRÈNE.

Daphné vous le peut dire.

DAPHNÉ.

Ha mes jours finiront plutôt que mon Martyre.          

SCAMANDRE.

Ne vous abusez point, Tyrène elle est à moi.

TYRÈNE.

Ne te fais point de tort, Scamandre j’ai sa foi,

Parlez, parlez Daphné.

DAPHNÉ.

Tyrène je confesse

Que je vous ai donné ma main et ma promesse.

TYRÈNE.

Et bien que dites-vous ?

DAPHNÉ.

Mais en cette rigueur          

Je ne vous ai donné ni ma foi ni mon cœur.

J’adore néanmoins la main qui m’a sauvée

J’aurai toujours au cœur ton image gravée,

Et sans rien te cacher de mon ressentiment

Je t’aime en défenseur, et non pas en amant.

Ne te rendrai-je pas un assez beau salaire

Quand je t’adorerai comme un Dieu tutélaire ?

Et ne seras-tu pas pleinement satisfait

Lorsque avec de l’encens, je paierai ton bienfait ?

TYRÈNE.

Une âme de désirs et d’amour enflammée       

Ne se contente pas avec de la fumée.

NÉRINE.

Quel sujet avez-vous de vous plaindre en ces lieux

Si l’on vous veut traiter comme on traite les Dieux ?

Ne lui conteste plus, que prétends-tu Tyrène ?

Au lieu de son amour veux-tu gagner sa haine ?        

Et n’as-tu pas appris ce précepte en aimant

Qu’un véritable Amour doit naître librement ?

Nous contraindre d’aimer c’est causer un divorce,

L’amour n’est pas un bien qui se gagne par force.

TYRÈNE.

Je l’ai bien acheté, la sauvant du trépas.

NÉRINE.

Crois que l’amour se donne, et ne s’achète pas.

TYRÈNE.

Nérine il me suffit si la raison m’en prive

Ce fer la peut ôter à tout homme qui vive.

DAPHNÉ.

Armez-vous contre moi cachez dans le tombeau

Ce malheureux sujet d’un désordre nouveau,

Pour être à deux amants dont je suis poursuivie

Si Scamandre a mon cœur, Tyrène prends ma vie.

Et si je fus le but de vos douces erreurs

Que je sois aujourd’hui celui de vos fureurs.

SCAMANDRE.

Ne me tiens point Nérine.

 

 

Scène IV

 

RODOPE, TRACINE, DAPHNÉ, SCAMANDRE, NÉRINE, TYRÈNE

 

RODOPE.

Arrête-toi Tyrène.

TRACINE.

Ce n’est pas lui, Madame.

DAPHNÉ.

Ha voici l’inhumaine.

RODOPE.

D’où viennent ces discords qui s’élèvent entre eux ?

NÉRINE.

Voici de tant de maux le sujet malheureux.

RODOPE.

Vous l’aimez donc Tyrène.

TYRÈNE.

Oui, Madame, je l’aime,

Un feu comme le mien se montre de lui-même,          

Et l’on me voit ici justement disputer

La foi qu’on m’a donnée et qu’on me veut ôter.

RODOPE, à Scamandre.

Si Tyrène a sa foi, pourquoi perds-tu ta peine

Dans le lâche dessein  d’une poursuite vaine ?

Tu peux trouver ailleurs pour ton allègement

Avec moins de travail plus de contentement,

Tu sais de qui je parle, et tu sais bien encore

Combien on te chérit et combien on t’adore,

Si pour plaire à tes yeux on a manqué d’appas,

La foi que l’on te donne on ne te l’ôte pas,       

Si l’on ne peut t’offrir une amante plus belle,

L’on t’offre pour le moins une âme plus fidèle ;

Et tu m’accorderas que sa fidélité

Surpasse en sa valeur l’inconstante beauté.

SCAMANDRE.

Ne vous efforcez point d’étouffer cette flamme,         

Qui doit être immortelle aussi bien que notre âme ;

L’amour joignit nos cœurs même dans le berceau,

Et le même lien les doit joindre au tombeau.

Ne pensez pas pourtant qu’un si libre langage

Sois de quelque mépris le triste témoignage,

Je prise les honneurs qui me sont étalés,

J’honore la beauté de qui vous me parlez,

Et si je n’ai pour elle un cœur assez fidèle,

Madame j’ai du sang à répandre pour elle :

Mais si j’abandonnais cette jeune beauté          

Pourrait-on s’assurer de ma fidélité ?

Celui qu’un premier change a pu rendre coupable

D’un second changement est d’autant plus capable.

L’amour nous assembla pour les maux et les biens,

La mort nous sépara sans rompre nos liens,

Et si malgré la mort nous sommes joints ensemble

Pensez-vous désunir ce qu’un destin assemble ?

Percez plutôt ce corps abattu de langueur,

Et vous aurez mon sang si vous n’avez mon cœur.

RODOPE.

À quoi me résoudrai-je avec tant de faiblesse ?          

Leur amitié me touche, et la mienne me blesse.

DAPHNÉ.

S’il vous souvient encor de vos premiers discours,

Vous devez à mes maux du soin et du secours,

Si jamais, disiez-vous, Alcimédon se trouve

Tu verras de mes soins une fidèle preuve,       

Il est trouvé, Madame, et vous devez juger

À quoi votre parole a pu vous obliger.

Vous deviez le remettre en mon obéissance

S’il eût été captif sous une autre puissance,

Cependant votre soin le force à me quitter,

Et nie l’ayant donné vous voulez me l’ôter.

RODOPE.

Pourrais-je mieux cacher la grandeur de mon crime

Qu’en donnant à sa peine un secours légitime ?

Et puis-je me punir plus rigoureusement

Qu’en me privant d’un bien que j’aime uniquement ?

Il le faut je le dois.

 

 

Scène V

 

PHILANTE, RODOPE, DAPHNÉ, SCAMANDRE, NÉRINE, TYRÈNE

 

PHILANTE.

Je te cherche Scamandre.

Je te cherche Daphné.

DAPHNÉ.

Que viens-tu nous apprendre ?

Nous n’avons pas tari la source de nos pleurs,

En devons-nous encore à de nouveaux malheurs ?

PHILANTE.

Bannissez loin de vous une crainte si vaine,

Un triomphe d’Amour succède à votre peine.

Vos pères sont venus.

SCAMANDRE.

Nos Pères.

TYRÈNE.

Malheureux.

PHILANTE.

Et vos contentements sont venus avec eux,

Le Roi même travaille à vous tirer des gênes,

Et ses Royales mains vous font de douces chaînes.

RODOPE.

Par un petit récit de cet événement

Fais-nous prendre une part de leur contentement.

PHILANTE.

Le Roi se promenait sur ce plaisant rivage

D’où l’on voit sans frayeur naître et mourir l’orage,

Lorsqu’un vaisseau poussé par un vent furieux         

Est venu contre un banc se briser à ses yeux,

Mais dedans son malheur il eut cet avantage

De saluer un Prince aussitôt qu’un rivage,

Ceux qu’il avait portés furent jetés au bord,

Où le Roi les reçut et s’enquit de leur sort.      

Deux vieillards étonnés autant que vénérables

Parlèrent les premiers comme les plus notables ;

Tout le monde accourut, et le moins curieux

Leur prêta tout ensemble et l’oreille et les yeux,

L’on sut que la Candie est leur natale terre,

Et que leur exercice est celui de la guerre.

Alors le moins troublé de ces sages vieillards

De la belle Daphné raconta les hasards ;

Dit qu’il était son Père, et qu’enfin sa famille

Pouvait en sûreté posséder cette fille.

L’autre moins consolé montra plus de douleurs,

Et son courage seul retint ces tristes pleurs.

Hélas, dit-il alors, les fières destinées

Me font chercher l’appui de mes vieilles années,

Et cette feinte mort qui conserve Daphné,        

Me fait perdre en effet un fils infortuné.

Lorsqu’il eût dit ton nom, je parle, l’on m’écoute

Plus je voulais parler plus on était en doute,

Le Roi même ravi par ces événements

S’imaginait ouïr un récit de Romans,

Mais par lui-même enfin l’assistance étonnée

Vit arrêter le nœud d’un si juste Hyménée,

Ce gentilhomme et moi nous venons de sa part,

Vous annoncer le bien que le Ciel vous départ.

RODOPE.

Jouissez, chers amants, des voluptés du calme,

Joignez à votre Myrte une agréable palme,

Je cède sans regret, et de ma volonté,

Ce qu’un autre rendrait à la nécessité,

Je t’aime toutefois, et cette pure flamme

Au-delà du tombeau sera jointe à mon âme.

Mais comme cet objet de ton contentement

Cesse d’aimer en sœur pour t’aimer en amant,

Je cesse, Alcimédon, par un effet contraire

De t’aimer en Amant pour te chérir en frère,

Et je te veux donner le loyer de ta foi

Devant que ton Amour le reçoive du Roi.

SCAMANDRE.

Qu’avons-nous entendu ? Phénice dois-je croire

Qu’à tant de déplaisirs succède tant de gloire ?

Ha ! Madame, nos biens sont d’autant plus certains,

Que pour les appuyer vous nous prêtez les mains.

RODOPE.

Puissiez-vous les trouver aussi remplis de charmes

Que leur possession vous a coûté de larmes.

NÉRINE.

Tyrène il faut céder, et te rendre à ton tour,

Puisqu’un Roi prend ici le parti de l’amour.

TYRÈNE.

Je n’ai jamais brûlé d’une amour obstinée,       

Et le vouloir du Roi m’est une destinée

PHILANTE.

Venez prendre des mains d’un Prince glorieux

Le plus sacré lien qui nous vienne des Cieux ;

Votre sort est si beau, tant d’éclat l’environne

Qu’il mérite aujourd’hui qu’un grand Roi le couronne.        

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