Les Pavés de l’ours (Georges FEYDEAU)

Comédie en un acte.

Représentée pour la première fois, à Versailles, sur le Théâtre Montansier, le 26 septembre 1896.

 

Personnages

 

BRETEL

LUCIEN FERRET

DORA

MADAME PRÉVALLON

 

 

Scène première

 

LUCIEN, puis DORA

 

Un salon-salle à manger dans un appartement de garçon. Mobilier élégant. Au fond, porte d’entrée, à gauche deuxième plan, une porte, à gauche premier plan, une cheminée. Près de la cheminée un petit guéridon et un canapé tête-à-tête. À droite, premier plan, une porte. Deuxième plan, à droite également, un bahut servant de buffet. À droite, non loin de la porte, une table de travail avec un fauteuil à gauche de la table, faisant face à la porte. Sur les murs, des tableaux, dont un représente « Léda et son cygne ». Sur la cheminée, une statuette d’une Diane quelconque, des photographies de femmes, encadrées.

LUCIEN, à sa table, écrit.

Hélas ! ma chère Dora, il est des circonstances dans la vie, où l’on doit sacrifier son bonheur à son devoir....

Répétant.

à son devoir, hum !... son bonheur à son devoir... voilà des lettres embêtantes à écrire.

DORA, venant de droite. Elle tient une capote de sergent d’administration sous le bras.

Je suis prête.

LUCIEN.

Elle !...

Il cache vivement la lettre.

DORA.

Pourquoi caches-tu ce que tu écrivais ?

LUCIEN.

Hum ! je ne le cache pas... je... je l’ai mis dans ma poche, voilà tout.

DORA.

Ah ! c’est donc une chose que je ne peux pas voir.

LUCIEN.

Précisément !

DORA.

Parce que...

LUCIEN.

Parce que ?... parce que c’est pour toi, là ! alors...

DORA.

Ah ! la raison est excellente.

LUCIEN.

Oui, tu comprends...

DORA.

Ma foi, non...

LUCIEN.

Il y a des choses qu’on ne peut pas dire comme ça de vive voix, et qu’on ose écrire.

DORA.

Donne, alors ! je lirai.

LUCIEN.

Ah ! non... merci, comme ça devant moi... et puis, et puis ce n’est pas au point... Ma lettre est l’expression d’un élan spontané... alors, tu comprends ça a besoin d’être réfléchi... il faut que je prenne mon temps.

DORA.

À ton aise... je flaire une surprise et je ne veux pas la connaître... La veille d’un jour de fête, la discrétion est de rigueur.

LUCIEN.

D’un jour de fête ?

DORA.

Dame ! Demain, j’ai... vingt-deux ans.

LUCIEN.

Ah ! comme l’an dernier...

DORA.

Tu crois ? c’est possible ! Tu sais, nous autres femmes... c’est le contraire des militaires, nos années de campagne comptent moitié... À propos de campagne, voici ton uniforme, j’ai consolidé les boutons...

LUCIEN.

Toi-même ?...

DORA.

Moi-même... Oh ! tu dois être beau avec... Tu es quoi ?

LUCIEN.

Sergent !... sergent des infirmiers militaires.

DORA.

Je te croyais officier.

LUCIEN.

Hein ? Non, c’est-à-dire... je suis officier d’académie, et puis sergent des infirmiers militaires, voilà !... Tu sais, ça n’est pas élégant ! élégant ! mais ça ne m’allait pas mal au temps de l’active. Dame ! aujourd’hui, je ne sais pas... j’ai engraissé... D’ailleurs, tu auras le temps de me voir, demain, après-demain et comme ça pendant 28 jours !...

DORA.

Oh ! ça m’amusera... te voir en guerrier....

LUCIEN.

En guerrier, oui... c’est peut-être un bien grand mot pour mon arme... mais enfin...

DORA.

Allons, je sors...

LUCIEN.

Comment, maintenant ?... mais nous allons déjeuner dans un quart d’heure.

DORA.

Justement... je vais acheter le dessert pour le festin... Tu as commandé le solide ?

LUCIEN.

Oui, chez Chevet... Ah ! çà, tu es une excellente femme de ménage.

DORA.

Tu t’en aperçois !... ça te donnera peut-être l’idée de m’épouser.

LUCIEN.

Non !...

DORA.

Merci...

LUCIEN.

Seulement, je t’admire,... j’ai presque envie de ne plus prendre de domestique.

DORA.

Ah ! non ! tu es bien bon !... Si tu crois que ça m’amuse de faire le service... Quand auras-tu quelqu’un ?

LUCIEN.

Mais j’attends, aujourd’hui... Ah ! c’est que je ne veux plus de ces domestiques de Paris... comme était Etienne, ça a de l’œil, oui, mais c’est indiscret, menteur, filou, potinier ! Oh ! non, plus de ça !... je fais venir de la campagne une âme neuve, une âme simple, un diamant brut, mais pur... Il ne saura rien faire de propre... mais il ne fera rien de sale. Eh ! bien, ma foi ! je le stylerai... je serai très mal, mais très honnêtement servi... Ça me changera.

DORA.

Allons ! nous verrons le diamant... Je me sauve.

Elle l’embrasse sur le front.

LUCIEN.

Eh ! bien, dis donc, en passant, dépose donc cet uniforme dans ma chambre... À tout à l’heure.

Sortie de Dora.

 

 

Scène II

 

LUCIEN, seul

 

Lucien s’installe à sa table et se dispose à écrire. Un temps, on sonne.

Qui est-ce qui vient m’embêter ?... ce doit être le domestique attendu...

Il se dirige vers le fond.

C’est le comble ! c’est moi qui vais ouvrir à mon domestique.

Il sort et revient.

 

 

Scène III

 

LUCIEN, BRETEL

 

LUCIEN.

Entrez !

BRETEL, fort accent belge.

Bonjour, Monsieur, ça va bien... à c’t’heure ?

LUCIEN.

Hein ?

BRETEL, avec admiration.

Oh ? gott, gott, gott... ouïe, ouïe, ouïe, ça est chenu tout de même, ici ! tu sais ?

LUCIEN, riant.

Ah ! nature simple, primitive, la voilà !

Haut.

hein ! ça vous plaît, ça ?

BRETEL.

Pour sûr, alors, ç’aïe de la belle article, tout ça, savez-vous !

LUCIEN, à moitié riant.

Oui, mon ami. Seulement, vous auriez pu vous nettoyer les pieds avant de venir...

BRETEL.

Moi ! Eih ! qu’est-ce que tu dis, j’ai pris un bain de rivière avant-hier, comme par hasard.

LUCIEN.

Non, vos bottes !... vous auriez pu vous essuyer avant d’entrer... Le tapis est fait pour ça.

BRETEL.

Et bien ! alors, il n’y a pas de temps de perdu...

Il se frotte les pieds sur le tapis.

LUCIEN.

Eh ! non ! Eh ! pas là !...

BRETEL.

Eh ! bien, alors qu’est-ce que tu chantes que le tapis est fait pour ça.

LUCIEN.

Oh ! mais il est d’un primitif exagéré !...

Il dépose sa cigarette sur un cendrier qui est sur la cheminée.

BRETEL.

Tiens ! qu’est-ce que vous faites, monsieur ?... Tu déposes tes moignons de cigarettes dans des assiettes ?

LUCIEN.

Ce n’est pas une assiette ! c’est un cendrier... C’est fait pour mettre les bouts de cigares et de cigarettes, et enfin toutes les choses pas propres qu’on me jetterait sur le tapis.

BRETEL.

Voyez-vous ça, tout de même... Ça est ce que l’on appelle généralement de la raffinerie.

LUCIEN, riant.

Non, pas généralement... rarement !... Tenez ! restez un peu tranquille, j’ai une lettre importante à achever et je suis à vous.

BRETEL.

Alleï ! Alleï !

LUCIEN, écrivant le dos tourné à Bretel, pendant que celui-ci inspecte l’appartement (Il relit.).

« Hélas, ma chère Dora, il est des circonstances dans la vie où l’on doit faire le sacrifice de son bonheur à son devoir... »

BRETEL, avec conviction.

Oui !

LUCIEN, se retournant.

Hein ?

BRETEL.

Oui, ça est bien !... Tu parles comme un curé... sais-tu ?... ça est bien, voilà !

LUCIEN.

Oh ! non, mais de quoi se mêle-t-il ?

BRETEL, répétant.

« On doit, dans la vie, avoir de sacrés fils pour son bonheur et son devoir ! » très bien ! ça est comme qui dirait une farandole... une farandole de l’Évangile.

LUCIEN.

Hein !

BRETEL.

Une farandole de l’Évangile !... C’est-à-dire que ça roule bien à l’oreille, et ça ne veut rien dire...

LUCIEN.

C’est un type ! allons ! laissez-moi écrire...

Écrivant.

« son bonheur à son devoir »... Si je sais comment tourner ça – « Je t’ai donné souvent des preuves de mon amour... »

BRETEL.

De son amour !... c’est une lettre à du sexe, ça...

Il regarde un tableau qui représente «Léda et son cygne», à part.

Ouïe, ouïe ! qu’est-ce que ça est tout de même que cette jeune fille qui s’a fait tirer comme ça, habillée avec une volaille sur les genoux ?...

Haut.

Dis-donc, M’sieur, c’est-y une de ta famille, cette madame-là ?...

LUCIEN.

Quoi ? Quelle dame ?

BRETEL.

Cette madame qui plume une oie et qu’a peur de salir ses vêtements ?

LUCIEN.

Hein !... la Léda ?... vous êtes fou ! Laissez-moi écrire !

BRETEL.

Alleï ! Alleï !

LUCIEN, écrivant.

« Des preuves de mon amour, tu n’as donc pas à en douter... aussi faut-il des raisons... »

BRETEL, à la cheminée, voyant une statuette d’une Diane quelconque.

Ça est une belle posture, tout de même...

Haut.

M’sieur !

LUCIEN.

Quoi encore ?

BRETEL.

C’est-y de votre famille, cette madame-là ?

LUCIEN.

Oh ! mais, il m’embête...

BRETEL.

Pourquoi que vous la laissez courir comme ça, toute nue ?... Pourquoi que tu l’habilles pas... avec des petits vêtements... comme Mannekenpiss chez nous ?...

LUCIEN.

Ah ! çà ! dites donc, vous n’allez pas m’interrompre comme ça tout le temps ?... Faites ce que vous voudrez... mais ne parlez plus... tant que je n’aurai pas fini d’écrire.

BRETEL.

Bien.

LUCIEN, se retournant.

C’est vrai !... j’ai déjà assez de peine à tourner ce poulet diplomatique... Voyons !

Écrivant.

« Il faut des raisons... » non.

Il efface.

« Hélas ! qui m’eût dit... » non. – « J’en atteste le ciel » – non « Dieu m’est témoin que je n’aurais jamais voulu te quitter. »

Bretel s’est assis à gauche, il tire sa pipe, la bourre et l’allume.

LUCIEN, écrivant.

« Mais je me vois dans la nécessité »

Se corrigeant.

« dans la dure nécessité de rompre notre lune de miel ».

BRETEL va pour cracher, il s’arrête... regarde partout le tapis, puis prend le cendrier et crache dedans.

C’est pas commode...

LUCIEN, répétant.

« De rompre notre lune de miel !... »

Parlé.

Seulement voilà, qu’est-ce qui peut bien me mettre dans la nécessité de rompre notre lune de miel ?... Oh ! j’y suis !...

Écrivant.

« j’avais engagé toute ma fortune dans les fonds calédoniens... c’est une débâcle, tout y a passé.. .»

BRETEL, crachant dans le cendrier.

Pas commode !

LUCIEN.

« Je suis absolument ruiné... »

BRETEL, posant sa pipe.

Tu es ruiné ?... vous ?

LUCIEN.

Hein ! quoi ? mais non... si vous ne vous occupiez pas de ce que j’écris...

BRETEL.

Je ne m’occupe pas... seulement, c’est vous qui dis.

LUCIEN.

Eh ! bien, qu’est-ce que ça prouve ?... j’écris une lettre d’affaires.

BRETEL.

Ah ! très bien, ça est une craque, alors ?... je disais aussi !... C’te pauvre jeune homme qu’est ruiné, j’vas pas pouvoir rester à son service.

LUCIEN.

Ah ! je vous remercie de votre sollicitude.

Il se remet à écrire, tandis que Bretel reprend sa pipe et continue de fumer.

«  Je n’ai pas le droit de te faire partager ma misère... tu le voudrais, que je m’y opposerais... »

À part.

il est bon de tout prévoir.

Écrivant.

« Tu es jeune, tu es jolie... tu as une belle carrière devant toi... va ! oublie-moi ! sois heureuse ! »

Parlé.

là, et puis trois beaux billets de mille francs avec ça... Ah ! mais au fait, non, puisque je suis ruiné... c’est pas la peine... non ! un peu de lyrisme.

Écrivant.

« Que ne puis-je, en te quittant, t’offrir mieux que les larmes, que j’ai versées. »

Tout en écrivant, il répète sur un refrain de valse.

t’offrir mieux que les larmes que j’ai versées !

BRETEL, qui a écouté tout ce qui précède avec une émotion croissante, dépose sa pipe et sanglote.

Ah ! ah ! ah !

LUCIEN, se levant.

Eh ! bien, qu’est-ce qu’il y a ?

BRETEL.

Ça est cette lettre de blague... qui est si triste...

LUCIEN.

Comment, c’est pour ça ?... Quel diamant !... mais voyons, puisque c’est pour rire !...

BRETEL, pleurant.

Ech ! je le sais bien... Si c’était pour de vrai, je serais ferme,... mais puisque ça n’est pas... ça c’est pas besoin.

LUCIEN, hausse les épaules, puis met la lettre sous enveloppe.

Mlle Dora Brochet... là !...

Humant l’air.

Ah ça ! qu’est-ce qui sent le brûlé comme ça... ici ?

BRETEL, humant l’air.

Le brulëi ?

LUCIEN.

Oui, ça sent la pipe...

BRETEL.

Ah ! je sais ! c’est Gudule.

LUCIEN.

Gudule ?

BRETEL, montrant sa pipe.

La voilà, Gudule... c’t’une vielle amie.

LUCIEN.

Eh ! bien, dites donc, on ne fume pas ici...

BRETEL.

Ici ? Alleï, alleï, qu’est-ce que tu chantes ?... Tu viens de fumer toi-même, savez-vous !...

LUCIEN.

Moi !...

À part.

ah ! non, il est superbe !

Voyant Bretel qui crache dans le cendrier.

Eh ! bien, qu’est-ce que vous faites ?

BRETEL, étonné.

Eh bien ! je crache, Monsieur, dans l’assiette comme t’as dit.

LUCIEN.

Moi, j’ai dit ça ?

BRETEL.

Oui, t’as dit qu’elle était pour mettre les cochoncetés que tu voulais pas qu’on mette sur le tapis.

LUCIEN.

D’abord, on ne crache pas dans un salon.

BRETEL.

Oui ? Eh bien, quoi donc est-ce que tu veux que j’en fasse ?

LUCIEN.

Eh ! ça vous regarde... On ne crache pas, voilà tout.

BRETEL.

Monsieur, je ne suis pas un saligaud, tu sais ?

LUCIEN.

C’est bon ! ça suffit !... Comment vous appelez-vous ?

BRETEL.

Bretel !

LUCIEN, inscrivant.

Ça s’écrit ?...

BRETEL.

Si on veut...

LUCIEN.

Je vous demande comment ça s’écrit... Est-ce, T.E.L., ou comme bretelle de pantalon ?

BRETEL.

Non, Bretel, tout court...

LUCIEN.

Quel idiot !... Enfin, ça s’écrit-il comme ça se prononce ?

BRETEL.

Pour sûr, tiens : comme hôtel, chapelle, boutelle, solele... T’as donc jamais été à la laïque que tu ne sais pas faire l’autographe ?

LUCIEN.

D’abord, mon ami, je vous prierai de perdre l’habitude de me poser ainsi des questions, ça n’est pas à vous à m’interroger... Un domestique ne doit jamais prendre la parole le premier, il doit attendre que son maître...

Voyant Bretel qui rit.

Qu’est-ce que vous avez à rire ?

BRETEL, riant.

Rien !... je ris... parce que ça est rigolo, comme tu as de l’accent, tu sais...

LUCIEN, ahuri.

Hein ? Ah ! bien, non ! il est stupéfiant !

BRETEL.

C’est vrai, tu dis :

L’imitant.

Un domestique, il ne doit jamais prendre la parole le premier.

Parlant.

Pourquoi est-ce que tu ne dis pas tout simplement... comme tout le monde

Avec un fort accent belge.

un domestique il ne doit jamais prendre la parole le premier.

LUCIEN, moqueur.

Ah !

BRETEL.

Oui ! ça te ferait pas autant remarquer, tu sais...

L’imitant une seconde fois.

Un domestique, il ne doit jamais prendre la parole le premier.

À Lucien.

Tu ne trouves pas comme ça est rigolo ?

LUCIEN, riant.

Il est impayable...

BRETEL.

Ah ! tu ris, toi aussi !... gott ferdeck ! tu es un chic homme, tu sais !

Il lui tape sur le ventre.

LUCIEN.

Hein ! Eh ! bien, dites donc, pas tant de familiarités !...

À part.

Oh ! oh ! trop brut, ce diamant, trop brut...

Haut.

Vous saurez qu’on ne tape pas sur le ventre de son maître,... et puis je vous prierai également de ne pas me tutoyer ainsi !... Je vous dis bien « vous », moi... Faites-en autant.

BRETEL.

Tu veux que je parle au pluriel ?... non !

LUCIEN.

Hein ?

BRETEL.

Non, Monsieur, tu sais, ça n’est pas possible !... « vous », à toi seul, mais qu’est-ce que je dirais quand tu serais plusieurs... Mais je ne suis pas fier, pour une fois, Monsieur, je te permets de me dire « tu », savez-vous ?

LUCIEN.

Vous êtes bien bon... Eh ! bien, vous ferez comme si j’étais plusieurs... Vous comprenez, n’est-ce pas ?

BRETEL.

Je te comprends...

LUCIEN.

Je veux bien vous prendre à mon service... si vous me promettez d’avoir de la bonne volonté.

BRETEL.

Oh ! pour ça !...

Il crache et tend la main pour prêter serment.

Tu peux compter pour une fois, tu sais...

LUCIEN.

Et puis, vous serez économe ?... je ne veux pas qu’on soit dépensier...

Bretel tend la main et veut cracher comme plus haut. Lucien l’arrête.

Non, ce n’est pas la peine... Enfin, vous aurez de la tenue, nous ne sommes plus dans les champs, ici... D’abord, vous trouverez une livrée pour vous, là, dans une chambre.

BRETEL.

Une livrée ?

LUCIEN.

Oui... une livrée, un costume, enfin !... bleu, avec des boutons d’or.

BRETEL.

Une mascarade.

LUCIEN.

Vous irez le mettre tout à l’heure... Quand on sonnera vous irez ouvrir... Vous ne ferez pas aux visiteurs des questions indiscrètes... leur nom simplement ; si on ne veut pas vous le dire, vous n’insisterez pas...

BRETEL.

Bien !

LUCIEN.

S’il vient une lettre, un paquet pour moi... vous ne me le présenterez pas à même la main, vous le mettrez sur un plateau... Il y a un plat pour ça.

BRETEL, tout en écoutant se met les doigts dans le nez.

Bien.

LUCIEN.

Enfin, quand je vous parle, vous éviterez de vous fourrer les doigts dans le nez.

BRETEL.

Oh ! gott ! gott ! Y en a-t-il ! y en a-t-il !

LUCIEN.

Voilà ce que j’ai à vous dire pour le moment... Je vous donnerai cinquante francs par mois.

BRETEL.

Ça est bien.

LUCIEN.

Le blanchissage.

BRETEL, avec une moue.

Peuh !

LUCIEN.

Le vin.

BRETEL.

Non, pas de vin, sais-tu, Monsieur, du farro !

LUCIEN.

Ça, c’est votre affaire.

BRETEL.

Et le milk-café.

LUCIEN.

Le milk-café ?

BRETEL.

Ah ! ça est vrai, tu ne causes pas le patois parisien !... Tu ne parles pas le français belge !... Eh ! bien, le café au lait !

LUCIEN.

Ah ! le café ! va pour le café. Maintenant, mettez-vous à votre service. Le couvert est déjà sur la table. Vous n’avez qu’à la porter ici, au milieu.

BRETEL.

Voila !...

Il porte la table au milieu de la scène.

Et le déjeuner, monsieur, où c’qu’il est ?

Montrant la salade qui est sur la table.

Est-ce qu’il n’y a que la salade ?

LUCIEN.

Ne vous inquiétez pas ! On l’apportera tout à l’heure.

Voyant Bretel dont les regards se sont fixés sur une photographie de Dora qui est sur la cheminée.

Qu’est-ce que vous regardez comme ça ?...

BRETEL, prenant la photographie sous cadre.

C’est c’te dame ! ça est un beau brin de sexe, sais-tu ?

LUCIEN.

Vous trouvez ?

BRETEL.

Ça est ta bonne amie, hé ?

LUCIEN.

Eh ! bien, dites donc, est-ce que ça vous regarde ?... Voilà des expressions !

BRETEL.

Alleï ! alleï ! ça, c’est de ton âge ! ça est une belle femme !

LUCIEN.

Vous saurez, Monsieur Bretel, que je ne reçois jamais ici que de jeunes et jolies femmes !

BRETEL.

Tu as raison... Seulement, la vitre, il est sale...

Il crache sur le verre de la photographie et l’essuie avec la serviette de Lucien qu’il a prise sur la table.

LUCIEN.

Eh ! bien, en voilà des manières ! espèce de malpropre !

Il lui arrache le portrait qu’il replace sur la cheminée. On sonne.

LUCIEN.

Tenez, on sonne ! allez ouvrir. Moi, je vais passer une jaquette. Vous m’apporterez mes bottines.

BRETEL.

Oui, Monsieur...

Il remonte au fond, tandis que Lucien se dirige vers la gauche, deuxième plan.

LUCIEN.

Oh ! oh ! j’aurai de la peine à le former.

Il sort.

 

 

Scène IV

 

BRETEL, MADAME PREVALLON

 

MADAME PREVALLON, bégayant. Elle est suivie de Bretel qui tient une paire de bottines à la main.

Mo-o-onsieur Lucien... Fé... erret !

BRETEL, riant.

Ah ! ah ! elle est rigolo aussi, celle-là...

Haut.

Comment est-ce que tu t’appelles ?

MADAME PREVALLON, choquée.

Qué-é-est-ce que vous dites ?

BRETEL.

Comment est-ce que tu t’appelles ?

MADAME PREVALLON.

Impépé-pépé-pépertinent ! Je-e-e-vous dé-dé-défends de me tu-utu-tutu...

BRETEL.

Tutu !

MADAME PREVALLON.

Tutuoyer !... Anno... oncez... Madame de Prépréva-allon !

BRETEL.

Madame de Prépréva-aallon ?

MADAME PREVALLON.

Non, Pré... vallon, butor !

BRETEL.

Madame Prévallon-butor ! ça est égal ! tout ça, ça est pas la peine, sais-tu, Madame... C’est pas toi qu’es sa bonne amie, pour une fois.

MADAME PREVALLON.

Hein ?

BRETEL.

Eh ! bien. M. Ferret, il reçoit que les jeunes et jolies femmes, savez-vous. Tu peux t’en aller !

MADAME PREVALLON.

Hein... coco... coco... omment !

BRETEL.

Oui, coco... coco... mment... allez fort ! allez fort !

Il lui fait signe de déguerpir.

MADAME PREVALLON.

Malalap... malalap... appris... vous direz à M. Lulu... Lucien que je suis affreuse... affreuse...

BRETEL.

Affreuse, oui, Madame...

MADAME PREVALLON.

Affreusement en colère... et que tout est ro-ompu entre nous... A... adieu.

Elle sort.

 

 

Scène V

 

BRETEL, puis LUCIEN

 

BRETEL.

Elle est comique tout de même, la petite vieille... allons ! allons porter les bottes à Monsieur...

Il se dirige vers la porte de gauche, deuxième plan ; se souvenant de la recommandation de Lucien, va prendre un plat sur la table et met la paire de bottines dessus.

Voilà !

LUCIEN, sortant de gauche.

Eh ! bien, et mes bottines ?

BRETEL.

Les voilà, Monsieur.

LUCIEN.

Hein ! Vous êtes fou !... sur un plat !...

Il les prend en entr’ouvrant la porte de gauche, il les dépose dans la pièce voisine.

BRETEL.

Eh ! bien, quoi ! tu sais donc plus ce que tu dis, monsieur.

LUCIEN.

Vous êtes idiot !... qui est-ce qui a sonné ?

BRETEL.

Oh ! rien. Ca est une vieille dame... qui parle rigolo, et qui s’intitule, madame Préprévaaallonbutor.

LUCIEN.

Ma marraine ! Déjà !... où est-elle ?

BRETEL.

Oh ! n’aie pas peur, pour une fois... je l’ai flanquée à la porte, tu sais !...

LUCIEN.

Madame de Prévallon... à la porte !

BRETEL, hochant la tête en riant, content de lui.

Oui !

LUCIEN.

Espèce d’idiot ! crétin ! butor !... ma future belle-mère !

BRETEL.

Eh ! bien, quoi, ça est toi qui m’as dit, pour une fois, que tu ne recevais que les jeunes et jolies femmes... Elle n’est pas jolie, sais-tu ?

LUCIEN.

Vous n’êtes qu’un âne !... taisez-vous !

BRETEL.

Qu’est-ce qu’il a donc ?

LUCIEN.

Madame de Prévallon... à la porte !... Elle doit être furieuse... Enfin, qu’est-ce qu’elle a dit ?

BRETEL.

Elle a dit que tout était rompu... Alors, il n’y a pas de mal.

LUCIEN.

Non ! comment donc, au contraire !... Voilà un parti superbe que cet imbécile me fera perdre... Est-ce que vous êtes ici pour me faire du tort ?

On sonne.

On sonne ; vous n’entendez pas ?

BRETEL.

Oui.

Il court, ahuri, au fond, et sort.

 

 

Scène VI

 

LUCIEN, puis BRETEL

 

LUCIEN.

Eh ! bien, me voilà dans de beaux draps, à cause de cet animal-là !

Voix de BRETEL, dans la coulisse.

Oui, alleï ! filou ! voleur !... assassin !

LUCIEN.

Allons ! bon ! qu’est-ce qu’il a encore fait ?

Appelant.

Bretel ! Bretel !

BRETEL, paraissant.

Monsieur ?

LUCIEN, sec.

Qu’est-ce qu’il y a encore ?

BRETEL.

Euh ! c’est une canalle de gâte-sauce de restaurant, qui apportait de la victualle.

LUCIEN.

Eh bien ?

BRETEL.

Eh bien ! sais-tu pas, Monsieur... il comptait six francs un viel poulet qui est mort de la pépie, bien sûr, pour une fois... et une espèce de gâteau de viande qu’il appelait de la pâtée, cinq francs.

LUCIEN.

Eh bien ?...

BRETEL.

Eh ! bien, tu m’a recommandé d’être économe. C’est de la volerie, tout ça... À Arcquedines, une poule vaut vingt-cinq sous... Alors, je ne t’ai pas fait de tort, sais-tu, cette fois !... je l’ai flanqué à la porte.

LUCIEN.

Encore ? Mais vous avez donc la manie de flanquer les gens à la porte !... Qu’est-ce que nous allons manger, alors ?

BRETEL.

Ça est égal... tu ne mangeras pas s’il le faut, mais tant que Bretel sera là... on ne te volera pas, savez-vous !

LUCIEN.

Oh ! ce qu’il commence à m’agacer !... Eh ! bien qu’est-ce que vous restez-là ?... courez au moins acheter quelque chose... un poulet froid chez le rôtisseur. Et pourquoi n’êtes-vous pas en livrée ?... je vous avais dit de la mettre.

BRETEL.

La livrée !... un poulet froid... oui, Monsieur, ouïe, ouïe, ce qu’il y a de la peine dans cette maison !

On sonne.

LUCIEN.

Allez ouvrir, d’abord.

BRETEL.

Oui... ouf !

Il court ouvrir.

LUCIEN.

Quelle brute !...

 

 

Scène VII

 

LUCIEN, BRETEL, DORA

 

BRETEL, annonçant.

Madame ta bonne amie.

LUCIEN.

Hein ?

DORA.

Qu’est-ce qu’il dit ?

LUCIEN.

Voilà une façon d’annoncer !

DORA, le considérant.

Ah ! c’est là, le diamant ? ... Il ne paraît pas d’une belle eau.

LUCIEN.

Ah ! ne m’en parle pas !... Il fait sottise sur sottise...

À Bretel.

Eh ! bien, allez, allez ! On n’a pas besoin de vous.

BRETEL.

Je vas mettre la livréie.

Il sort.

DORA, posant différents paquets sur le bahut.

Voici mon dessert.

LUCIEN, à part.

Sapristi !... Pourvu que ma marraine ne tombe pas en ce moment.

DORA.

À quoi penses-tu ?

LUCIEN.

Ah ! à des affaires sérieuses.

DORA.

Tu es tout chose depuis quelques jours.

LUCIEN, à part.

Elle me tend la perche ! Abordons !...

Haut.

C’est qu’en ce moment, vois-tu, je traverse une crise... Il y a des circonstances dans la vie...

DORA, subitement.

Oh !

LUCIEN.

Quoi ?

DORA.

Comme ça sent la pipe, ici !

LUCIEN.

Ah !... la... pipe, ici ?

DORA.

C’est une horreur !... quelle infection !

LUCIEN, à part.

Maudite pipe !... J’étais si bien parti !...

Haut.

C’est cet imbécile qui s’est permis de fumer dans le salon.

DORA.

Mais c’est horrible !... Et tu as permis ?... Où est le vaporisateur ?

LUCIEN.

Le vaporisateur ?... Dans mon cabinet de toilette... Attends !

Il sonne.

DORA.

On n’a jamais vu un domestique pareil !

 

 

Scène VIII

 

LUCIEN, DORA, BRETEL

 

BRETEL, en pantalon et manches de chemise.

Ça a sonné... C’est-t-y toi, Monsieur ?

LUCIEN.

Parfait !... Très bien !... Vous venez ici en chemise, maintenant !

BRETEL.

J’étais en train de me déshabiller... Alors, pour ne pas te faire attendre...

LUCIEN.

C’est bien !... Vous allez aller dans mon cabinet de toilette... Vous trouverez un vaporisateur... Vous l’apporterez.

BRETEL.

Un quoi ?

LUCIEN.

Un vaporisateur !... C’est une sorte de flacon, de récipient !... Vous verrez ce que je veux dire, ça a un tuyau en caoutchouc comme un biberon.

BRETEL.

Oui... Je trouverai, je trouverai...

Il sort en courant à droite.

 

 

Scène IX

 

LUCIEN, DORA

 

DORA.

Pourquoi ton domestique te tutoie-t-il ?

LUCIEN.

Je lui en ai fait l’observation... Mais qu’est-ce que tu veux ?... il est belge.

DORA, trouvant le vaporisateur sur un meuble.

Eh ! mais... le voilà, le vaporisateur...

Elle vaporise à droite et à gauche.

Ah ! j’aime mieux ça !

LUCIEN.

Moi aussi !...

À part.

Comment revenir à la grande question ?... Il n’y a pas... il faut que je liquide aujourd’hui même...

Haut.

Hum !... tu sais, Dora... la lettre que je t’écrivais ce matin...

DORA, posant le vaporisateur.

Oui, après ?

LUCIEN, avec une émotion jouée.

Mais d’abord, laisse-moi t’embrasser tendrement.

DORA.

Oui... quoi ?...

Lucien l’étreint sur sa poitrine. Entre Bretel portant un objet que le spectateur ne peut pas voir.

 

 

Scène X

 

LUCIEN, DORA, BRETEL

 

DORA, se dégageant.

Oh !... le domestique !

BRETEL.

Oh ! tu sais, madame, ne vous dérangez pas pour moi. Les roucoulades, je connais ça pour une fois... Quand on a été, comme moi, dans l’élève des bestiaux !

LUCIEN.

Qui est-ce qui vous demande quelque chose !... Eh ! bien, vous n’avez rien trouvé ?

BRETEL.

Si...

Montrant un irrigateur.

C’est-y ce gros biberon-là, monsieur ?

LUCIEN.

Hein ! le... Voulez-vous bien cacher ça !...

DORA.

Horreur !

 

BRETEL.

Hein !... Qu’est-ce qu’ils ont ?

LUCIEN, lui montrant le vaporisateur.

Tenez ! voilà ce que c’est qu’un vaporisateur... c’est ce flacon, avec ce vinaigre dedans !

BRETEL.

Ce vinaigre !... Ah !

LUCIEN.

Et maintenant, allez !

Bretel sort par le fond.

 

 

Scène XI

 

LUCIEN, DORA

 

LUCIEN, riant.

Cet homme est horrible !

DORA.

Horrible !... Mais qu’est-ce que tu me disais donc quand il est venu nous interrompre ?... Ah ! oui, tu me parlais de la lettre...

LUCIEN, à part.

C’est elle qui y revient...

Haut.

Oui, je te parlais de ma lettre... Ma lettre ! Ah ! il a fallu, pour que je prisse la pénible détermination de t’écrire, que j’y fusse réduit par une cruelle extrémité...

DORA.

Ah ! mon Dieu !... Je vois ce que c’est !... C’est une rupture !

LUCIEN.

Hein ! une... Ah ! là... comme tu y vas !...Une rupture ? Non... une séparation tout au plus...

DORA, éclatant.

Allons donc !... dis-le donc... Oh ! je sentais bien que tu ne m’aimais plus depuis quelque temps... Va ! on n’abuse pas une femme qui aime !... Je vois clair à présent !

LUCIEN, à part.

Aïe ! aïe !... Voilà ce que je craignais !

DORA.

Et moi qui me disais : Cette lettre est une surprise... une attention pour mes vingt-deux... ou trois ans. Ah ! bien, oui !... Monsieur, n’écoutant que sa satiété, foulant aux pieds les sentiments les plus sacrés de l’amour, s’inquiétait peu de briser un cœur assez naïf pour aimer.

LUCIEN, à part.

Aïe ! aïe ! aïe ! aïe !

DORA.

Oh ! bête !... bête !... trois fois bête la femme qui se laisse séduire par ces suborneurs que vous êtes tous !... On me l’avait bien dit, l’homme aime avant, la femme après... Voilà !...

Elle tombe assise sur une chaise.

LUCIEN, à part.

Qu’elle est embêtante !...

Haut.

Voyons, Dora !

Se mettant à genoux devant elle.

Dora calme-toi !...

DORA.

Laissez-moi, Monsieur !

 

 

Scène XII

 

LUCIEN, DORA, BRETEL

 

Bretel entre vivement du fond. Il a mis la capote militaire, le pantalon rouge de Lucien, et tient le képi à la main. En voyant la scène, il fait « Oh !... » et sort vivement... Une fois dehors, il frappe à la porte.

BRETEL, passant la tête par l’entrebâillement de la porte, de façon à ce que Lucien ne voie pas son uniforme.

Ça est bien un poulet qu’il vous faut ?

LUCIEN, sèchement.

Oui !

BRETEL.

Dis donc, Monsieur, ça pleut dehors... Est-ce que je peux t’y prendre le parapluie ?

LUCIEN.

Eh ! oui... Allez !

Bretel sort.

 

 

Scène XIII

 

LUCIEN, DORA

 

LUCIEN.

Voyons, Dora, écoute-moi !... Tu es une enfant... Je te dis qu’il n’y a rien de changé dans mon amour pour toi... C’est ma situation qui n’est plus la même... Enfin, veux-tu que je te dise... je suis ruiné !

DORA.

Ruiné ?

LUCIEN.

Absolument !... C’est là ce que je t’écrivais, ce matin... Tiens, tu pourras lire ma lettre.

DORA.

Alors, c’est parce que tu es ruiné que... Ah ! quel bonheur !

LUCIEN.

Je te remercie de l’intérêt que tu prends à mon désastre.

DORA.

Non... je veux dire : ça n’est pas parce que tu ne m’aimes plus que...

LUCIEN.

Oh ! Pouvais-tu le penser ?

DORA.

Et comment ça t’est-il arrivé, mon pauvre Lucien ?

LUCIEN.

Eh ! bien, tu sais, l’appât du gain... J’avais engagé ma fortune dans des spéculations qui devaient me rapporter de gros bénéfices... Un coulissier, qui est très fort, m’avait dit : « Il y a un gros coup à faire dans les... » ...Mais ça ne t’intéresserait pas... C’est de la Bourse... tu n’y comprendrais rien !...

DORA.

Mais si ! mais si !... je comprends très bien... Moi aussi, j’ai mes petites économies que je fais valoir... Eh ! bien, dans les quoi... voyons ?

LUCIEN.

Eh ! bien, dans les fonds Calédoniens.

DORA, se dressant.

Les fonds Calédoniens !... Ah mon Dieu !... mais, moi aussi, j’ai presque tout dans les fonds Calédoniens ! Alors, je suis ruinée !...

LUCIEN.

Hein, tu...

À part.

Eh ! bien, je tombe bien !...

Haut.

Mais non, mais non... tu n’es pas ruinée.

DORA, très agitée.

Comment, non !... Si tu perds, moi aussi !... Et l’on me trompait !... On me disait que cela montait tous les jours !

LUCIEN, vivement.

Mais justement !... Moi, je jouais à la baisse.

DORA.

Hein ?

LUCIEN.

Alors, plus ça montait, tu comprends ?... plus je dégringolais !... voilà.

DORA.

Oui !... ah ! merci.

LUCIEN.

Il n’y a pas de quoi.

DORA.

Si tu savais combien j’ai eu peur !... Te perdre et perdre mes valeurs en même temps, ça aurait été trop à la fois.

LUCIEN.

Oh ! oui... moi, je suffis bien...

DORA.

Mon pauvre Lucien ! Comment vas-tu faire ainsi, tout seul ?... Car tu as raison, je n’ai pas le droit de te rester à charge... Oh ! ne t’inquiète pas de moi, je trouverai bien à me pourvoir...

LUCIEN.

Oui ?

DORA.

Je serai toujours une amie pour toi, tu sais.

LUCIEN.

Ah ! merci ! brave Dora !...

À part.

Et voilà les femmes ! Elles ne vous permettent pas de les lâcher quand vous avez assez d’elles. Elles vous le permettent quand vous n’avez plus assez pour elles.

DORA.

Mais toi, dis, que vas-tu faire ?

LUCIEN.

La seule chose qui me reste. Je vais me marier.

DORA.

Toi !... Avec qui ?... Une femme que tu aimes ?

LUCIEN.

Mais non !... mais non !... Ah ! là... Une femme que j’aime ! Non c’est un très beau parti, voilà tout !... Puisque je suis ruiné, il faut bien que...

DORA.

Oh ! mais promets-moi que tu épouses une femme laide ?

LUCIEN.

Laide ?... Un monstre... Est-ce que je l’épouserais sans ça ?

DORA.

Ah ! merci !...

LUCIEN, à part.

Eh ! bien, ça a très bien mordu.

 

 

Scène XIV

 

LUCIEN, DORA, BRETEL

 

BRETEL, arrivant effondré. Il est en uniforme et a, à une main, un poulet enveloppé, à l’autre, une ombrelle de femme. L’ombrelle, en satin rouge, est trempée.

Ouf !

LUCIEN.

Vous ?... et dans mon uniforme !

DORA.

Et mon ombrelle !... Dans quel état !

LUCIEN.

Qu’est-ce que cela veut dire ?

BRETEL.

Ouïe ! ouïe ! Gott ferdeck, monsieur... si tu savais ce qui m’arrive !... Tout à l’heure, je descends dans la rue... tout à coup, en tournant, je me cogne, sais-tu, contre un monsieur, en mascarade, comme moi, qui m’appelle et qui me dit : « Eih ! Sargent... Qu’est-ce que ça est que ces manières de se promener en tenue, avec un parapluie ridicule... »

LUCIEN.

Vous dites ?

BRETEL.

Je lui réponds : « Qu’est-ce que ça te fait, monsieur... ? »Là-dessus, mon bonhomme devient rouge... comme mon pantalon... et il me dit un tas de machines... qu’il est adjudant de place, qu’il a dit... qu’j’étais en état d’ébriévété, et il m’arrache ma casquette pour voir mon numéro immatricule, qu’il disait... qu’est-ce que ça est, tout ça, monsieur... qu’est-ce que ça est ?

LUCIEN.

Mais malheureux... vous avez donc juré ma perte !... ah ! vous me mettez dans de beaux draps !

BRETEL.

Moi ?... Allons, qu’est-ce que j’ai encore fait ?

LUCIEN.

Un rapport à la Place... avec mon numéro matricule... C’est sur moi que tout cela va retomber... Et alors, la prison... et tout cela pour... Ah ! tenez ! je vous flanque dehors... j’ai assez de vous !

BRETEL.

Moi ! oh !

DORA.

Une ombrelle toute neuve !... de quoi ça a l’air !...

Elle l’ouvre.

BRETEL.

J’ai t’y pas demandé la permission de la prendre ?

LUCIEN.

Taisez-vous !... Me voilà joli, moi !... Quoi ?... il faudra que je coure à la Place aujourd’hui... que je leur explique... Butor, va !

BRETEL.

Dieu !... Que le service est dur, à Paris.

LUCIEN.

Allons, allez retirer cet uniforme, et servez-nous enfin à déjeuner !

BRETEL.

Oui... Voilà le poulet !...

Il dépose son paquet.

 

 

Scène XV

 

LUCIEN, DORA

 

LUCIEN.

Oh ! je suis furieux !... On n’a pas idée d’une imbécilité pareille... Quel crétin !... Ah ! j’ai eu une heureuse idée d’aller chercher ce diamant brut !

DORA.

Pauvre garçon : il est bête, mais pas méchant... S’il pèche c’est par excès de zèle.

LUCIEN.

Oui, l’ours aussi, avec ses pavés... Mais ça vous écrase tout de même.

DORA.

Allons, calme-toi ! de la patience !... Quand on se marie, mon cher, il faut s’en armer...

LUCIEN.

Oh ! ne m’effraie pas d’avance !...

DORA.

C’est égal !... Je voudrais la voir, ta fiancée !... quel âge a-t-elle ?

LUCIEN.

Oh ! cinquante... cinquante-cinq ans... C’est une vieille médaille... Si tu avait été là tout à l’heure, tu l’aurais vue...

DORA.

Alors, c’est un mariage platonique ?

LUCIEN.

Parbleu !... une femme de cinquante-cinq ans... Est-ce que tu crois que je me permettrais de lui manquer de respect... Une sinécure, je te dis... j’épouse une sinécure.

DORA.

Paresseux !...

Ils rient.

Ah çà ! on ne va pas servir ?... Je meurs de faim !

LUCIEN.

Oui, attends !...

Appelant.

Bretel, Bretel !

 

 

Scène XVI

 

LUCIEN, DORA, BRETEL

 

BRETEL, achevant de boutonner sa livrée.

Voilà, Monsieur...

LUCIEN.

Eh ! bien, ce déjeuner, mon garçon ?

BRETEL.

Alleï ! alleï ! Monsieur, Madame, mettez-vous à table.

On se met à table.

Ça est un beau poulet tout de même, hein !

Il le brandit à la main.

LUCIEN.

Si vous ne vouliez pas le prendre comme ça, à même la main, hein ?... Tenez, préparez la salade pendant que je découpe...

Il découpe le poulet.

BRETEL.

Oui, Monsieur...

Il prépare la salade.

Voyons, ça est de l’huile ça ?...

Il verse le contenu d’un huilier dans la salade.

Hein ! une bête !...

Haut.

Monsieur, est-ce que tu aimes les escargots ?

LUCIEN.

Quand ils sont bons... En voilà une question !

BRETEL, au public.

Bon !... alors, je le laisse... Le vinaigre, maintenant... où est le vinaigre ?... ah ! oui...

Il va prendre le vaporisateur et vaporise les feuilles de salade.

Voilà !... du sel, du poivre, bien...

LUCIEN.

Tenez, passez le poulet à Madame...

BRETEL, après avoir déposé le saladier sur la table.

Tiens ! du poulet, Madame ?...

DORA.

Merci !...

Elle se sert.

BRETEL, présentant le plat à Lucien.

Et toi ?

LUCIEN, répétant tout en se servant.

« Et toi ? ». Il est étonnant avec son tutoiement !

Bretel porte le plat sur le bahut, et prend un pilon qu’il va manger à l’avant-scène.

LUCIEN, à Dora.

Un peu de salade ?

DORA.

Oui !

Il sert Dora, puis se sert lui-même.

LUCIEN.

Pouah !... Qu’est-ce que c’est que ça ?

DORA.

Horreur !... ça sent la parfumerie !... Qu’est-ce que vous avez mis là-dedans ?

BRETEL.

J’ai mis de l’huile, sais-tu, Madame, et puis du vinaigre du biberon-là, Madame.

DORA.

Du vinaigre de Bully... Mais c’est horrible !

LUCIEN.

Vous êtes donc absolument crétin !...

Voyant Bretel qui a la bouche pleine.

Et qu’est-ce que vous faites ?... Vous mangez du poulet ?...

BRETEL.

Monsieur, ça est du...

Il s’étrangle en avalant de travers et tout en toussant, il se précipite vers le verre de Dora dont il avale le contenu.

LUCIEN.

Eh ! bien, ne vous gênez pas !... Quel domestique, mon Dieu !... Vous savez ce que je vous ai dit : « Vous pouvez faire vos paquets... »

BRETEL.

Mais non !... ça est parce que, Monsieur, tu es habitué au service de Paris... Moi, je suis le service belge...

LUCIEN.

Il est joli, le service belge !... Et qu’est-ce que nous avons avec ça ?

BRETEL.

Mais, rien !...

LUCIEN.

C’est pas lourd !... Charmant déjeuner !

DORA.

Pour un déjeuner qui est peut-être notre dernier...

LUCIEN.

Ah ! ne dis pas ça... Tu me crèves le cœur... Tu vois bien que je me fais violence...

DORA.

Oui ?... Oh ! mais, jure-moi que tu ne me trompes pas... Elle est bien vieille, hein ?...

LUCIEN.

Qui ?

DORA.

Ta sinécure... Tu ne vas pas épouser une jeune fille, hein ?

LUCIEN.

Moi ?... Mais non... voyons ! C’est-à-dire qu’on me proposerait toutes les jeunes filles, eussent-elles quarante ans... je n’en voudrais pas !...

DORA.

Ah ! oui... car ce serait affreux !

BRETEL.

N’aie pas peur, Madame... Il n’en voudrait pas...

LUCIEN.

Qui vous demande l’heure qu’il est ?

On sonne.

...Tenez, on sonne... allez voir qui c’est...

Sortie de Bretel.

Il en a une couche !...

BRETEL, revenant.

Monsieur, c’est la vieille dame de tout à l’heure.

LUCIEN, à part.

Ma marraine, fichtre !...

À Dora.

Justement, c’est la fiancée en question... Entre là, dans le cabinet de toilette... qu’elle ne te voie pas... Tu la verras par le trou de la serrure... Elle a cent onze ans.

DORA.

Cent onze ans !

LUCIEN.

Enfin, pour une épouse...

Il fait entrer Dora à droite. À Bretel.

Faites entrer !

BRETEL, appelant.

Entre Madame...

À part.

Cent onze ans... elle ne paraît pas...

 

 

Scène XVII

 

LUCIEN, BRETEL, MADAME PREVALLON

 

MADAME PREVALLON.

Ah ! voi...alà...mon...onsieur... Je suis ex...ex...exas...

LUCIEN, terminant.

...pérée...

MADAME PREVALLON.

Oui... après vous...

LUCIEN.

Excusez-moi, marraine.

BRETEL.

Comment qu’il l’appelle ?

LUCIEN.

J’ai appris ce qui s’était passé tout à l’heure, et j’en suis désolé... La faute en est à cet imbécile !

Mme Prévallon regarde Bretel qui salue de la tête.

Il vous a mal reçue, il paraît...

MADAME PREVALLON.

Lui ! Il a fait pi-pi... pi-pi...

 

BRETEL.

Moi !

MADAME PREVALLON.

Pire encore... il m’a cha cha...assée comme un vulgaire four...four...

BRETEL, soufflant.

Fourneau.

MADAME PREVALLON.

Euh ! fou-ournisseur...

BRETEL.

Gott ferdeck ! elle doit être longue quand elle fait sa prière...

MADAME PREVALLON.

Alors, que vous-voulez-vous ? J’ai des né-né...

BRETEL.

C’est pas possible ?

MADAME PREVALLON.

Des nerfs... je-e suis partie.

LUCIEN.

Mais vous êtes revenue, Marraine, et vous avez bien fait. Tout cela est le résultat d’une méprise de ce jocrisse...

Bretel salue.

Il a pris à contresens un ordre que je lui avais donné... parce que moi, vous savez, je suis avant tout un garçon sérieux, rangé, pas volage, une vraie pâte de mari, quoi ! Allons la consigne, ici, c’est : « Ne recevoir aucune jeune et jolie femme ».

MADAME PREVALLON.

Hein ? Et c’est pour ça... Ah ! mais alors, il est très gaga-gaga...

LUCIEN.

Lui ! oui !

MADAME PREVALLON.

Très galant...

LUCIEN, très aimable.

Non, c’est-à-dire, qu’il avait compris le contraire : « ne recevoir que les jeunes et jolies femmes ! »... alors, naturellement, il vous a mise à la porte.

MADAME PREVALLON.

Hein ?

LUCIEN.

Non ! euh ! ce n’est pas ce que je voulais dire... Ah ! je suis bien content de vous voir ! et vous allez bien, marraine ?

BRETEL, répétant.

Marraine !

À Lucien.

Dis-donc, pourquoi est-ce que tu l’appelles « ta reine » ?

LUCIEN.

Hein ! Pourquoi ?

MADAME PREVALLON.

Je suis venue vous voir pour papa.

BRETEL.

Comment, elle l’a encore ?

MADAME PREVALLON.

Parler de votre mariage avec ma fille...

LUCIEN, inquiet.

Hein ! le... hum ! pas si haut !...

BRETEL.

Le mariage avec sa file.

LUCIEN.

Tenez, marraine, pour causer de ça, passons donc par là.

MADAME PREVALLON.

Pou-ourquoi ?

LUCIEN.

Il est inutile devant mon domestique... Entrez !

Il la fait entrer à gauche. À Bretel, une fois Mme Prévallon sortie.

Vous, allez vite trouver madame, lui dire qu’elle peut profiter de ce que nous sommes par là pour s’esquiver... Allez !

BRETEL.

Oui.

LUCIEN.

Ah ! vous ajouterez qu’en vous parlant d’elle, j’avais des larmes dans la voix... que vous m’avez vu pleurer à la perspective de la quitter.

BRETEL, étonné.

Pleurer ?

Voix de MADAME PREVALLON.

Eh... Eh bien, Lu-cien !

LUCIEN.

Voilà, marraine...

Chantant sur l’air de « En revenant de la Revue ».

« Gais et contents

Nous marchions triomphants... »

Il sort.

 

 

Scène XVIII

 

BRETEL, DORA

 

BRETEL.

Ça est tout de même une drôle de façon de pleurer pour une fois.

Ouvrant la porte de droite.

Madame !

DORA.

Quoi ?

BRETEL.

Ça est Monsieur qui m’a dit de te dire, savez-vous, que si tu voulais t’esquiver, qu’il a dit, tu pouvais à c’t’heure.

DORA.

Merci ! je me sauve... et c’est tout ce qu’il a dit ?

BRETEL.

Ah ! si ! Tu lui diras, qu’y disait, que j’ai des larmes dans la voix et que je suis occupé à pleurer...

DORA.

Vraiment ? Pauvre garçon !

BRETEL.

Oui. Et il chantaie, sais-tu, madame, il chantaie...

L’imitant.

« Gais et contents, nous marchions triomphants »... Ca est bien triste, savez-vous !

DORA.

Oui ! C’est pour s’étourdir...

BRETEL.

Voilà ! Mais pourquoi est-ce que tu nous quittes ?... T’as donc pas du plaisir, ici ?

DORA.

Mon ami, il faut savoir écouter sa raison...

BRETEL.

Sa raison ?

DORA.

Votre maître a perdu toute sa fortune.

BRETEL.

Hein ! Qu’est-ce que tu dis, madame, sa fortune ! Comment, tu crois aussi !... C’est pour la lettre qu’il a écrit tout à l’heure ? Ah ! elle est bonne !... ah ! elle est rigolo !

DORA.

Hein !

BRETEL.

Comment, tu sais donc pas ? Mais ça est une craque, sais-tu !... Je peux te le dire à toi ; tu es de la maison, pour une fois... Monsieur Lucien te dit tout à toi, ça est une craque !... il est pas ruiné du tout !... Ah ! elle est bonne !... ah ! elle est bonne !

Il éclate de rire.

DORA.

Qu’est-ce que vous racontez-là ? Vous ne savez ce que vous dites... Puisqu’il en est réduit à épouser cette vieille dame...

BRETEL.

Mais non ! mais non ! Qu’est-ce que tu ne sais donc rien ? ça est la vieille dame qui est sa reine, qu’il dit ! et qui veut lui marier sa file... mais oui, madame, c’est la file !

DORA.

Sa fille !...

BRETEL.

Oh ! mais rien à craindre, madame, tu sais... Monsieur Lucien, il t’a dit qu’il marierait pas la jeune fille avec lui !... il mariera pas !... et tu croyais, toi madame !... ah ! ça est une veine que j’aie été là !... tu serais partie !... Hein ! et alors, tu vois !... Mais Bretel est là et il arrange tout... Tiens ! rentre là, madame, espère un instant, espère...

Il la fait rentrer à droite.

Ah ! c’est monsieur qui va avoir du plaisir !

 

 

Scène XIX

 

BRETEL, puis LUCIEN, MADAME PREVALLON

 

BRETEL, ouvrant la porte de gauche.

Monsieur ?

LUCIEN.

Hein !

Bas.

Eh bien, elle est partie ?

BRETEL.

Oui, oui !

À part.

Je veux qu’il ait une surprise !

LUCIEN.

C’est bien...

À Mme Prévallon.

Venez, marraine !

MADAME PREVALLON.

Me voilà ! A-alors, c’est nouveau pour-our le mariage... Vous m’allez... Je voulais prendre un gar-gar un garg-gar...

LUCIEN, voulant d’aider.

Un gargarisme.

MADAME PREVALLON.

Non... un gar...çon sérieux. Vous êtes le gen-gen, le gen-gen.

BRETEL.

Le Jean-jean ?

MADAME PREVALLON.

Le gendre rêvé !

LUCIEN.

Marraine, vous me flattez.

MADAME PREVALLON, qui a été à la cheminée et considère le portrait de Dora.

Quelle est cette jo-jo... jo-olie femme ?

LUCIEN.

Aïe ! rien, c’est une photographie... une vieille photographie d’Agnès Sorel.

MADAME PREVALLON.

Ça ?

BRETEL.

Oui, ça est sa bonne amie, tu vois bien, madame.

MADAME PREVALLON.

Hein ! que-est-ce qu’il a dit ?

LUCIEN, à part.

Le crétin !

Haut.

Oui... c’est... c’est une bonne amie... une bonne vieille amie.

BRETEL.

Qu’est-ce que tu dis, une vielle amie ? Vielle, elle !... Mais alors, qu’est-ce que tu dirais de Madame ?

MADAME PREVALLON.

Hein ?

LUCIEN.

Vous n’allez pas vous taire, vous ?

À Mme Prévallon.

Marraine, ne faites pas attention à ce que raconte cet imbécile, il ne sait ce qu’il dit...

MADAME PREVALLON.

Cependant... euh ! ce-ette bonne amie !

LUCIEN.

S’il faut tout vous dire, j’ai eu la douleur de la perdre !

BRETEL.

Oui... tu crois ça ! Non, heureusement pour toi, Bretel était là, lui... il a empêché d’avoir la douleur de la perdre. Elle est toujours là, ta bonne amie. Tu vas la revoir, ta bonne amie !

Il se dirige vers la chambre.

LUCIEN.

Hein ! mais il est fou !...

MADAME PREVALLON.

Oh ! Mo-onsieur... je vous rere-reprends ma fille.

BRETEL, revenant.

Mais est-ce que tu crois qu’il en veut de ta file ? Mais tu peux la garder, ta file !... il l’a dit encore tout à l’heure à sa bonne amie. Il n’y a pas de danger qu’il l’épouse, ta file... Seulement, ça est une bonne nature, il n’ose pas te le dire, sais-tu, madame, mais je te le dis, moi.

MADAME PREVALLON.

C’est... est affreux !

LUCIEN.

Vous n’allez pas vous taire, misérable !

BRETEL.

Non ! ça est pour ton bien. Je vas chercher ta bonne amie.

LUCIEN.

Si tu fais ça !...

BRETEL.

Laisse donc !

Il ouvre la porte de droite.

Entre, madame !

 

 

Scène XX

 

BRETEL, LUCIEN, MADAME PREVALLON, DORA

 

LUCIEN, stupéfié.

Dora !

DORA.

Lucien !

MADAME PREVALLON, scandalisée.

Oh ! monsieur, tout est fifi...iini entre nous.

Elle remonte.

LUCIEN, se précipitant.

Marraine !

MADAME PREVALLON.

Lai-laissez-moi !

Elle sort furieuse.

LUCIEN.

Partie !

À Bretel.

Oh ! triple buse, va !... Tout est à recommencer, maintenant !

DORA.

Ah ! mon cher Lucien... je savais bien que c’était une épreuve !

LUCIEN.

Ah ! oui, comment donc !

DORA.

Embrasse ta petite femme !

LUCIEN, grinçant des dents.

Ta petite femme !

Il l’embrasse avec mauvaise humeur.

BRETEL.

Eh bien ! tu vois que tu es content, monsieur.

LUCIEN.

Content ! Tiens !

Il lui donne un coup de pied qui l’envoie rouler à plat ventre.

BRETEL.

Oh ! zut !

LUCIEN, avec enthousiasme.

Oh ! les domestiques parisiens !

Il va rejoindre Dora qui l’a entraîné doucement sur la causeuse.

DORA.

Mon cher Lucien...

LUCIEN, avec écœurement.

Ma chère Dora !

BRETEL, se relevant.

Alleï ! alleï ! Bretel, les maîtres, ça est toujours, des ingrats, savez-vous !

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