Les Plaideurs (Jean RACINE)

Comédie en trois actes, en vers.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de l’Hôtel de Bourgogne, en novembre 1668.

 

Personnages

 

DANDIN, juge[1]

LÉANDRE, fils de Dandin

CHICANNEAU, bourgeois[2]

ISABELLE, fille de Chicanneau

LA COMTESSE

PETIT JEAN, portier

L’INTIMÉ, secrétaire[3]

LE SOUFFLEUR

 

La scène est dans une ville de basse Normandie.

 

 

AU LECTEUR

 

Quand je lus les Guêpes d’Aristophane, je ne songeais guères que j’en dusse faire les Plaideurs. J’avoue qu’elles me divertirent beaucoup, et que j’y trouvai quantité de plaisanteries qui me tentèrent d’en faire part au public, mais c’était en les mettant dans la bouche des Italiens[4], à qui je les avais destinées, comme une chose qui leur appartenait de plein droit. Le juge qui saute par les fenêtres, le chien criminel, et les larmes de sa famille, me semblaient autant d’incidents dignes de la gravité de Scaramouche. Le départ de cet acteur[5] interrompit mon dessein, et fit naître l’envie à quelques-uns de mes amis de voir sur notre théâtre un échantillon[6] d’Aristophane. Je ne me rendis pas à la première proposition qu’ils m’en firent. Je leur dis que quelque esprit que je trouvasse dans cet auteur, mon inclination ne me porterait pas à le prendre pour modèle, si j’avais à faire une comédie ; et que j’aimerais beaucoup mieux imiter la régularité de Ménandre et de Térence, que la liberté de Plaute et d’Aristophane[7]. On me répondit que ce n’était pas une comédie qu’on me demandait, et qu’on voulait seulement voir si les bons mots d’Aristophane auraient quelque grâce dans notre langue. Ainsi, moitié en m’encourageant, moitié en mettant eux-mêmes la main à l’œuvre, mes amis me firent commencer une pièce qui ne tarda guère à être achevée.

Cependant la plupart du monde ne se soucie point de l’intention ni de la diligence des auteurs. On examina d’abord mon amusement comme on aurait fait une tragédie. Ceux mêmes qui s’y étaient le plus divertis eurent peur de n’avoir pas ri dans les règles, et trouvèrent mauvais que je n’eusse pas songé plus sérieusement à les faire rire. Quelques autres s’imaginèrent qu’il était bienséant à eux de s’y ennuyer, et que les matières de Palais ne pouvaient pas être un sujet de divertissement pour des gens de cour[8]. La pièce fut bientôt après jouée à Versailles. On ne fit point de scrupule de s’y réjouir ; et ceux qui avaient cru se déshonorer de rire à Paris, furent peut-être obligés de rire à Versailles pour se faire honneur.

Ils auraient tort, à la vérité, s’ils me reprochaient d’avoir fatigué leurs oreilles de trop de chicane. C’est une langue qui m’est plus étrangère qu’à personne, et je n’en ai[9] employé que quelques mots barbares que je puis avoir appris dans le cours d’un procès que ni mes juges ni moi n’avons jamais bien entendu[10].

Si j’appréhende quelque chose, c’est que des personnes un peu sérieuses ne traitent de badineries le procès du chien et les extravagances du juge. Mais enfin je traduis Aristophane, et l’on doit se souvenir qu’il avait affaire à des spectateurs assez difficiles. Les Athéniens savaient apparemment ce que c’était que le sel attique ; et ils étaient bien sûrs, quand ils avaient ri d’une chose, qu’ils n’avaient pas ri d’une sottise.

Pour moi, je trouve qu’Aristophane a eu raison de pousser les choses au delà du vraisemblable. Les juges de l’Aréopage n’auraient pas peut-être trouvé bon qu’il eût marqué au naturel leur avidité de gagner, les bons tours de leurs secrétaires, et les forfanteries de leurs avocats. Il était à propos d’outrer un peu les personnages pour les empêcher de se reconnaître. Le public ne laissait pas de discerner le vrai au travers du ridicule ; et je m’assure qu’il vaut mieux avoir occupé l’impertinente éloquence de deux orateurs autour d’un chien accusé, que si l’on avait mis sur la sellette un véritable criminel, et qu’on eût intéressé les spectateurs à la vie d’un homme.

Quoi qu’il en soit, je puis dire que notre siècle n’a pas été de plus mauvaise humeur que le sien, et que si le but de ma comédie était de faire rire, jamais comédie n’a mieux attrapé son but. Ce n’est pas que j’attende un grand honneur d’avoir assez longtemps réjoui le monde. Mais je me sais quelque gré de l’avoir fait sans qu’il m’en ait coûté une seule de ces sales équivoques[11] et de ces malhonnêtes plaisanteries qui coûtent maintenant si peu à la plupart de nos écrivains, et qui font retomber le théâtre dans la turpitude d’où quelques auteurs plus modestes l’avaient tiré.

 

 

ACTE I

 

 

Scène première

 

PETIT JEAN, traînant un gros sac de procès

 

Ma foi, sur l’avenir bien fou qui se fiera :

Tel qui rit vendredi, dimanche pleurera.

Un juge, l’an passé, me prit à son service ;

Il m’avait fait venir d’Amiens pour être Suisse[12].

Tous ces Normands voulaient se divertir de nous :

On apprend à hurler, dit l’autre[13], avec les loups.

Tout Picard que j’étais, j’étais un bon apôtre[14],

Et je faisais claquer mon fouet[15] tout comme un autre.

Tous les plus gros monsieurs[16] me parlaient chapeau bas :

« Monsieur de Petit Jean, » ah ! gros comme le bras[17] !

Mais sans argent l’honneur n’est qu’une maladie.

Ma foi, j’étais un franc portier de comédie[18] :

On avait beau heurter et m’ôter son chapeau,

On n’entrait point chez nous sans graisser le marteau[19].

Point d’argent, point de Suisse[20], et ma porte était close.

Il est vrai qu’à Monsieur j’en rendais quelque chose :

Nous comptions quelquefois. On me donnait le soin

De fournir la maison de chandelle et de foin ;

Mais je n’y perdais rien. Enfin, vaille que vaille,

J’aurais sur le marché fort bien fourni la paille.

C’est dommage : il avait le cœur trop au métier ;

Tous les jours le premier aux plaids, et le dernier,

Et bien souvent tout seul ; si l’on l’eût voulu croire,

Il y serait couché sans manger et sans boire[21].

Je lui disais parfois : « Monsieur Perrin Dandin,

Tout franc, vous vous levez tous les jours trop matin :

Qui veut voyager loin ménage sa monture.

Buvez, mangez, dormez, et faisons feu qui dure. »

Il n’en a tenu compte. Il a si bien veillé

Et si bien fait, qu’on dit que son timbre est brouillé[22].

Il nous veut tous juger les uns après les autres.

Il marmotte toujours certaines patenôtres[23]

Où je ne comprends rien. Il veut, bon gré, mal gré,

Ne se coucher qu’en robe et qu’en bonnet carré[24].

Il fit couper la tête à son coq, de colère[25],

Pour l’avoir éveillé plus tard qu’à l’ordinaire ;

Il disait qu’un plaideur dont l’affaire allait mal

Avait graissé la patte à ce pauvre animal[26].

Depuis ce bel arrêt, le pauvre homme a beau faire,

Son fils ne souffre plus qu’on lui parle d’affaire.

Il nous le fait garder jour et nuit, et de près :

Autrement serviteur, et mon homme est aux plaids.

Pour s’échapper de nous, Dieu sait s’il est allaigre.

Pour moi, je ne dors plus : aussi je deviens maigre,

C’est pitié. Je m’étends, et ne fais que bâiller[27]

Mais veille qui voudra, voici mon oreiller.

Ma foi, pour cette nuit il faut que je m’en donne ;

Pour dormir dans la rue on n’offense personne.

Dormons[28].

 

 

Scène II

 

L’INTIMÉ, PETIT JEAN

 

L’INTIMÉ.

Ay, Petit Jean ! Petit Jean !

PETIT JEAN.

L’Intimé !

Il a déjà bien peur de me voir enrhumé[29].

L’INTIMÉ.

Que diable ! si matin que fais-tu dans la rue ?

PETIT JEAN.

Est-ce qu’il faut toujours faire le pied de grue[30],

Garder toujours un homme, et l’entendre crier ?

Quelle gueule[31] ! Pour moi, je crois qu’il est sorcier.

L’INTIMÉ.

Bon !

PETIT JEAN.

Je lui disais donc, en me grattant la tête,

Que je voulais dormir. « Présente ta requête

Comme tu veux dormir, » m’a-t-il dit gravement[32].

Je dors en te contant la chose seulement.

Bonsoir.

L’INTIMÉ.

Comment bonsoir ? Que le diable m’emporte

Si... Mais j’entends du bruit au-dessus de la porte.

 

 

Scène III

 

DANDIN, L’INTIMÉ, PETIT JEAN

 

DANDIN, à la fenêtre.

Petit Jean ! L’Intimé !

L’INTIMÉ, à Petit Jean.

Paix !

DANDIN.

Je suis seul ici.

Voilà mes guichetiers en défaut, Dieu merci.

Si je leur donne temps, ils pourront comparaître[33].

Çà, pour nous élargir, sautons par la fenêtre.

Hors de cour[34].

L’INTIMÉ.

Comme il saute !

PETIT JEAN.

Ho ! Monsieur, je vous tien.

DANDIN.

Au voleur ! Au voleur !

PETIT JEAN.

Ho ! nous vous tenons bien.

L’INTIMÉ.

Vous avez beau crier.

DANDIN.

Main forte ! l’on me tue[35] !

 

 

Scène IV

 

LÉANDRE, DANDIN, L’INTIMÉ, PETIT JEAN

 

LÉANDRE.

Vite un flambeau ! j’entends mon père dans la rue.

Mon père, si matin qui vous fait déloger ?

Où courez-vous la nuit ?

DANDIN.

Je veux aller juger.

LÉANDRE.

Et qui juger ? Tout dort.

PETIT JEAN.

Ma foi, je ne dors guères.

LÉANDRE.

Que de sacs ! il en a jusques aux jarretières[36].

DANDIN.

Je ne veux de trois mois rentrer dans la maison.

De sacs et de procès j’ai fait provision.

LÉANDRE.

Et qui vous nourrira ?

DANDIN.

Le buvetier, je pense.

LÉANDRE.

Mais où dormirez-vous, mon père ?

DANDIN.

À l’audience.

LÉANDRE.

Non, mon père : il vaut mieux que vous ne sortiez pas.

Dormez chez vous. Chez vous faites tous vos repas.

Souffrez que la raison enfin vous persuade ;

Et pour votre santé...

DANDIN.

Je veux être malade.

LÉANDRE.

Vous ne l’êtes que trop. Donnez-vous du repos :

Vous n’avez tantôt plus que la peau sur les os.

DANDIN.

Du repos ? Ah ! sur toi tu veux régler ton père.

Crois-tu qu’un juge n’ait qu’à faire bonne chère,

Qu’à battre le pavé comme un tas de galants,

Courir le bal la nuit, et le jour les brelans ?

L’argent ne nous vient pas si vite que l’on pense.

Chacun de tes rubans me coûte une sentence[37].

Ma robe vous fait honte : un fils de juge ! Ah, fi !

Tu fais le gentilhomme. Hé ! Dandin, mon ami,

Regarde dans ma chambre et dans ma garde-robe

Les portraits des Dandins : tous ont porté la robe ;

Et c’est le bon parti. Compare prix pour prix

Les étrennes d’un juge à celles d’un marquis :

Attends que nous soyons à la fin de décembre.

Qu’est-ce qu’un gentilhomme ? Un pilier d’antichambre.

Combien en as-tu vu, je dis des plus hupés[38],

À souffler dans leurs doigts dans ma cour occupés,

Le manteau sur le nez, ou la main dans la poche ;

Enfin, pour se chauffer, venir tourner ma broche[39] !

Voilà comme on les traite. Hé ! mon pauvre garçon,

De ta défunte mère est-ce là la leçon ?

La pauvre Babonnette ! Hélas ! lorsque j’y pense,

Elle ne manquait pas une seule audience.

Jamais, au grand jamais, elle ne me quitta,

Et Dieu sait bien souvent ce qu’elle en rapporta :

Elle eût du buvetier emporte les serviettes,

Plutôt que de rentrer au logis les mains nettes[40].

Et voilà comme on fait les bonnes maisons. Va,

Tu ne seras qu’un sot.

LÉANDRE.

Vous vous morfondez là,

Mon père. Petit Jean, remenez votre maître ;

Couchez-le dans son lit, fermez porte, fenêtre[41] ;

Qu’on barricade tout, afin qu’il ait plus chaud.

PETIT JEAN.

Faites donc mettre au moins des garde-fous là-haut.

DANDIN.

Quoi ? l’on me mènera coucher sans autre forme ?

Obtenez un arrêt comme il faut que je dorme[42].

LÉANDRE.

Hé ! par provision, mon père, couchez-vous.

DANDIN.

J’irai ; mais je m’en vais vous faire enrager tous :

Je ne dormirai point.

LÉANDRE.

Hé bien, à la bonne heure !

Qu’on ne le quitte pas. Toi, l’Intimé, demeure[43].

 

 

Scène V

 

LÉANDRE, L’INTIMÉ

 

LÉANDRE.

Je veux l’entretenir un moment sans témoin.

L’INTIMÉ.

Quoi ? vous faut-il garder ?

LÉANDRE.

J’en aurais bon besoin[44].

J’ai ma folie, hélas ! aussi bien que mon père.

L’INTIMÉ.

Ho ! vous voulez juger ?

LÉANDRE[45].

Laissons là le mystère.

Tu connais ce logis.

L’INTIMÉ.

Je vous entends enfin :

Diantre ! l’amour vous tient au cœur de bon matin.

Vous me voulez parler sans doute d’Isabelle.

Je vous l’ai dit cent fois, elle est sage, elle est belle ;

Mais vous devez songer que monsieur Chicanneau

De son bien en procès consume le plus beau.

Qui ne plaide-t-il point ? Je crois qu’à l’audience[46]

Il fera, s’il ne meurt, venir toute la France.

Tout auprès de son juge il s’est venu loger :

L’un veut plaider toujours, l’autre toujours juger.

Et c’est un grand hasard s’il conclut votre affaire

Sans plaider le curé, le gendre et le notaire.

LÉANDRE.

Je le sais comme toi. Mais, malgré tout cela,

Je meurs pour Isabelle.

L’INTIMÉ.

Hé bien ! épousez-la.

Vous n’avez qu’à parler : c’est une affaire prête.

LÉANDRE.

Hé ! cela ne va pas si vite que ta tête.

Son père est un sauvage à qui je ferais peur[47].

À moins que d’être huissier, sergent ou procureur,

On ne voit point sa fille ; et la pauvre Isabelle,

Invisible et dolente, est en prison chez elle.

Elle voit dissiper sa jeunesse en regrets[48],

Mon amour en fumée, et son bien en procès.

Il la ruinera si l’on le laisse faire.

Ne connaîtrais-tu point quelque honnête faussaire

Qui servît ses amis, en le payant, s’entend,

Quelque sergent zélé ?

L’INTIMÉ.

Bon ! l’on en trouve tant !

LÉANDRE.

Mais encore ?

L’INTIMÉ.

Ah ! Monsieur, si feu mon pauvre père

Était encor vivant, c’était bien votre affaire.

Il gagnait en un jour plus qu’un autre en six mois :

Ses rides sur son front gravaient tous ses exploits[49].

Il vous eût arrêté le carrosse d’un prince ;

Il vous l’eût pris lui-même ; et si dans la province

Il se donnait en tout vingt coups de nerfs de bœuf,

Mon père, pour sa part, en emboursait dix-neuf[50].

Mais de quoi s’agit-il ? Suis-je pas fils de maître[51] ?

Je vous servirai.

LÉANDRE.

Toi ?

L’INTIMÉ.

Mieux qu’un sergent peut-être.

LÉANDRE.

Tu porterais au père un faux exploit ?

L’INTIMÉ.

Hon ! bon[52] !

LÉANDRE.

Tu rendrais à la fille un billet ?

L’INTIMÉ.

Pourquoi non ?

Je suis des deux métiers.

LÉANDRE.

Viens, je l’entends qui crie.

Allons à ce dessein rêver ailleurs.

 

 

Scène VI

 

CHICANNEAU, allant et revenant

 

La Brie,

Qu’on garde la maison, je reviendrai bientôt.

Qu’on ne laisse monter aucune âme là-haut.

Fais porter cette lettre à la poste du Maine.

Prends-moi dans mon clapier trois lapins de garenne[53],

Et chez mon procureur porte-les ce matin.

Si son clerc vient céans, fais-lui goûter mon vin.

Ah ! donne-lui ce sac qui pend à ma fenêtre.

Est-ce tout ? Il viendra me demander peut-être

Un grand homme sec, là, qui me sert de témoin,

Et qui jure pour moi lorsque j’en ai besoin :

Qu’il m’attende. Je crains que mon juge ne sorte.

Quatre heures vont sonner. Mais frappons à sa porte.

PETIT JEAN, entr’ouvrant la porte.

Qui va là ?

CHICANNEAU.

Peut-on voir Monsieur ?

PETIT JEAN, refermant la porte.

Non.

CHICANNEAU[54].

Pourrait-on

Dire un mot à Monsieur son secrétaire ?

PETIT JEAN[55].

Non.

CHICANNEAU[56].

Et Monsieur son portier ?

PETIT JEAN.

C’est moi-même.

CHICANNEAU.

De grâce,

Buvez à ma santé, Monsieur.

PETIT JEAN[57].

Grand bien vous fasse[58] !

Mais revenez demain.

CHICANNEAU.

Hé ! rendez donc l’argent.

Le monde est devenu, sans mentir, bien méchant.

J’ai vu que les procès ne donnaient point de peine :

Six écus en gagnaient une demi-douzaine.

Mais aujourd’hui, je crois que tout mon bien entier

Ne me suffirait pas pour gagner un portier.

Mais j’aperçois venir Madame la comtesse

De Pimbesche[59]. Elle vient pour affaire qui presse.

 

 

Scène VII

 

CHICANNEAU, LA COMTESSE

 

CHICANNEAU.

Madame, on n’entre plus.

LA COMTESSE.

Hé bien ! l’ai-je pas dit ?

Sans mentir, mes valets me font perdre l’esprit.

Pour les faire lever c’est en vain que je gronde :

Il faut que tous les jours j’éveille tout mon monde.

CHICANNEAU.

Il faut absolument qu’il se fasse celer.

LA COMTESSE.

Pour moi, depuis deux jours je ne lui puis parler.

CHICANNEAU.

Ma partie est puissante, et j’ai lieu de tout craindre.

LA COMTESSE.

Après ce qu’on m’a fait, il ne faut plus se plaindre.

CHICANNEAU.

Si pourtant[60] j’ai bon droit.

LA COMTESSE.

Ah ! Monsieur, quel arrêt !

CHICANNEAU.

Je m’en rapporte à vous. Écoutez, s’il vous plaît[61].

LA COMTESSE.

Il faut que vous sachiez, Monsieur, la perfidie.

CHICANNEAU.

Ce n’est rien dans le fond.

LA COMTESSE.

Monsieur, que je vous die...

CHICANNEAU.

Voici le fait. Depuis quinze ou vingt ans en çà,

Au travers d’un mien pré certain ânon passa,

S’y vautra, non sans faire un notable dommage,

Dont je formai ma plainte au juge du village.

Je fais saisir l’ânon. Un expert est nommé,

À deux bottes de foin le dégât estimé.

Enfin, au bout d’un an, sentence par laquelle

Nous sommes renvoyés hors de cour. J’en appelle.

Pendant qu’à l’audience on poursuit un arrêt,

Remarquez bien ceci. Madame, s’il vous plaît,

Notre ami Drolichon, qui n’est pas une bête,

Obtient pour quelque argent un arrêt sur requête,

Et je gagné ma cause. À cela que fait-on ?

Mon chicaneur[62] s’oppose à l’exécution.

Autre incident : tandis qu’au procès on travaille,

Ma partie en mon pré laisse aller sa volaille.

Ordonné qu’il sera fait rapport à la cour

Du foin que peut manger une poule en un jour[63] :

Le tout joint au procès enfin, et toute chose

Demeurant en état, on appointe la cause

Le cinquième ou sixième avril cinquante-six.

J’écris sur nouveaux frais. Je produis, je fournis

De dits, de contredits, enquêtes, compulsoires,

Rapports d’experts, transports, trois interlocutoires,

Griefs et faits nouveaux, baux et procès-verbaux.

J’obtiens lettres royaux, et je m’inscris en faux.

Quatorze appointements, trente exploits, six instances,

Six-vingts[64] productions, vingt arrêts de défenses[65],

Arrêt enfin. Je perds ma cause avec dépens,

Estimés environ cinq à six mille francs.

Est-ce là faire droit ? Est-ce là comme on juge ?

Après quinze ou vingt ans ! Il me reste un refuge :

La requête civile[66] est ouverte pour moi,

Je ne suis pas rendu. Mais vous, comme je voi,

Vous plaidez.

LA COMTESSE.

Plût à Dieu !

CHICANNEAU.

J’y brûlerai mes livres.

LA COMTESSE.

Je...

CHICANNEAU.

Deux bottes de foin cinq à six mille livres[67] !

LA COMTESSE.

Monsieur, tous mes procès allaient être finis ;

Il ne m’en restait plus que quatre ou cinq petits :

L’un contre mon mari, l’autre contre mon père,

Et contre mes enfants. Ah ! Monsieur, la misère !

Je ne sais quel biais ils ont imaginé,

Ni tout ce qu’ils ont fait ; mais on leur a donné

Un arrêt par lequel, moi vêtue et nourrie,

On me défend, Monsieur, de plaider de ma vie.

CHICANNEAU.

De plaider ?

LA COMTESSE.

De plaider.

CHICANNEAU.

Certes, le trait est noir.

J’en suis surpris.

LA COMTESSE.

Monsieur, j’en suis au désespoir.

CHICANNEAU.

Comment, lier les mains aux gens de votre sorte !

Mais cette pension, Madame, est-elle forte ?

LA COMTESSE.

Je n’en vivrais. Monsieur, que trop honnêtement.

Mais vivre sans plaider, est-ce contentement ?

CHICANNEAU.

Des chicaneurs viendront nous manger jusqu’à l’âme,

Et nous ne dirons mot ! Mais, s’il vous plaît, Madame,

Depuis quand plaidez-vous ?

LA COMTESSE.

Il ne m’en souvient pas ;

Depuis trente ans, au plus.

CHICANNEAU.

Ce n’est pas trop.

LA COMTESSE.

Hélas !

CHICANNEAU.

Et quel âge avez-vous ? Vous avez bon visage.

LA COMTESSE.

Hé ! quelque soixante ans[68].

CHICANNEAU.

Comment ! c’est le bel âge

Pour plaider.

LA COMTESSE.

Laissez faire, ils ne sont pas au bout :

J’y vendrai ma chemise ; et je veux rien ou tout.

CHICANNEAU.

Madame, écoutez-moi. Voici ce qu’il faut faire.

LA COMTESSE.

Oui, Monsieur, je vous crois comme mon propre père.

CHICANNEAU.

J’irais trouver mon juge.

LA COMTESSE.

Oh ! oui, Monsieur, j’irai.

CHICANNEAU.

Me jeter à ses pieds.

LA COMTESSE.

Oui, je m’y jetterai :

Je l’ai bien résolu.

CHICANNEAU.

Mais daignez donc m’entendre.

LA COMTESSE.

Oui, vous prenez la chose ainsi qu’il la faut prendre.

CHICANNEAU.

Avez-vous dit, Madame ?

LA COMTESSE.

Oui.

CHICANNEAU.

J’irais sans façon[69]

Trouver mon juge.

LA COMTESSE.

Hélas ! que ce Monsieur est bon !

CHICANNEAU.

Si vous parlez toujours, il faut que je me taise.

LA COMTESSE.

Ah ! que vous m’obligez ! Je ne me sens pas d’aise.

CHICANNEAU.

J’irais trouver mon juge, et lui dirais...

LA COMTESSE.

Oui.

CHICANNEAU.

Voi[70].

Et lui dirais : Monsieur...

LA COMTESSE.

Oui, Monsieur.

CHICANNEAU.

Liez-moi...

LA COMTESSE.

Monsieur, je ne veux point être liée[71].

CHICANNEAU.

À l’autre !

LA COMTESSE.

Je ne la serai point.

CHICANNEAU.

Quelle humeur est la vôtre ?

LA COMTESSE.

Non.

CHICANNEAU.

Vous ne savez pas, Madame, où je viendrai.

LA COMTESSE.

Je plaiderai, Monsieur, ou bien je ne pourrai.

CHICANNEAU.

Mais...

LA COMTESSE.

Mais je ne veux point, Monsieur, que l’on me lie.

CHICANNEAU.

Enfin, quand une femme en tête a sa folie...

LA COMTESSE.

Fou vous-même.

CHICANNEAU.

Madame !

LA COMTESSE.

Et pourquoi me lier ?

CHICANNEAU.

Madame...

LA COMTESSE.

Voyez-vous ? il se rend familier.

CHICANNEAU.

Mais, Madame...

LA COMTESSE.

Un crasseux, qui n’a que sa chicane,

Veut donner des avis !

CHICANNEAU.

Madame !

LA COMTESSE.

Avec son âne !

CHICANNEAU.

Vous me poussez.

LA COMTESSE.

Bonhomme, allez garder vos foins.

CHICANNEAU.

Vous m’excédez.

LA COMTESSE.

Le sot !

CHICANNEAU.

Que n’ai-je des témoins ?

 

 

Scène VIII

 

PETIT JEAN, LA COMTESSE, CHICANNEAU

 

PETIT JEAN.

Voyez le beau sabbat qu’ils font à notre porte.

Messieurs, allez plus loin tempêter de la sorte.

CHICANNEAU.

Monsieur, soyez témoin...

LA COMTESSE.

Que Monsieur est un sot.

CHICANNEAU.

Monsieur, vous l’entendez : retenez bien ce mot.

PETIT JEAN[72].

Ah ! vous ne deviez pas lâcher cette parole.

LA COMTESSE.

Vraiment, c’est bien à lui de me traiter de folle !

PETIT JEAN.

Folle ![73] Vous avez tort. Pourquoi l’injurier ?

CHICANNEAU.

On la conseille.

PETIT JEAN.

Oh !

LA COMTESSE.

Oui, de me faire lier.

PETIT JEAN.

Oh ! Monsieur.

CHICANNEAU.

Jusqu’au bout que ne m’écoute-t-elle ?

PETIT JEAN.

Oh ! Madame.

LA COMTESSE.

Qui ? moi ? souffrir qu’on me querelle ?

CHICANNEAU.

Une crieuse !

PETIT JEAN.

Hé, paix !

LA COMTESSE.

Un chicaneur !

PETIT JEAN.

Holà !

CHICANNEAU.

Qui n’ose plus plaider !

LA COMTESSE.

Que t’importe cela ?

Qu’est-ce qui t’en revient, faussaire abominable,

Brouillon, voleur ?

CHICANNEAU.

Et bon, et bon, de par le diable !

Un sergent ! un sergent !

LA COMTESSE.

Un huissier ! un huissier !

PETIT JEAN[74].

Ma foi, juge et plaideurs, il faudrait tout lier.

 

 

ACTE II

 

 

Scène première

 

LÉANDRE, L’INTIMÉ

 

L’INTIMÉ.

Monsieur, encore un coup, je ne puis pas tout faire :

Puisque je fais l’huissier, faites le commissaire.

En robe sur mes pas il ne faut que venir :

Vous aurez tout moyen de vous entretenir[75].

Changez en cheveux noirs votre perruque blonde.

Ces plaideurs songent-ils que vous soyez au monde ?

Hé ! lorsqu’à votre père ils vont faire leur cour,

À peine seulement savez-vous s’il est jour.

Mais n’admirez-vous pas cette bonne comtesse

Qu’avec tant de bonheur la fortune m’adresse ;

Qui dès qu’elle me voit, donnant dans le panneau,

Me charge d’un exploit pour Monsieur Chicanneau,

Et le fait assigner pour certaine parole.

Disant qu’il la voudrait faire passer pour folle :

Je dis folle à lier ; et pour d’autres excès

Et blasphèmes, toujours l’ornement des procès ?

Mais vous ne dites rien de tout mon équipage ?

Ai-je bien d’un sergent le port et le visage ?

LÉANDRE.

Ah ! fort bien.

L’INTIMÉ.

Je ne sais, mais je me sens enfin

L’âme et le dos six fois plus durs que ce matin.

Quoi qu’il en soit, voici l’exploit et votre lettre.

Isabelle l’aura, j’ose vous le promettre.

Mais pour faire signer le contrat que voici,

Il faut que sur mes pas vous vous rendiez ici.

Vous feindrez d’informer sur toute cette affaire,

Et vous ferez l’amour en présence du père.

LÉANDRE.

Mais ne va pas donner l’exploit pour le billet.

L’INTIMÉ.

Le père aura l’exploit, la fille le poulet.

Rentrez[76].

 

 

Scène II

 

L’INTIMÉ, ISABELLE

 

ISABELLE.

Qui frappe ?

L’INTIMÉ.

Ami. C’est la voix d’Isabelle.

ISABELLE.

Demandez-vous quelqu’un, Monsieur ?

L’INTIMÉ.

Mademoiselle,

C’est un petit exploit que j’ose vous prier

De m’accorder l’honneur de vous signifier.

ISABELLE.

Monsieur, excusez-moi, je n’y puis rien comprendre.

Mon père va venir, qui pourra vous entendre.

L’INTIMÉ.

Il n’est donc pas ici. Mademoiselle ?

ISABELLE.

Non.

L’INTIMÉ.

L’exploit, Mademoiselle, est mis sous votre nom.

ISABELLE.

Monsieur, vous me prenez pour une autre, sans doute[77] :

Sans avoir de procès, je sais ce qu’il en coûte ;

Et si l’on n’aimait pas à plaider plus que moi,

Vos pareils pourraient bien chercher un autre emploi.

Adieu.

L’INTIMÉ.

Mais permettez...

ISABELLE.

Je ne veux rien permettre.

L’INTIMÉ.

Ce n’est pas un exploit.

ISABELLE.

Chanson !

L’INTIMÉ.

C’est une lettre.

ISABELLE.

Encor moins.

L’INTIMÉ.

Mais lisez.

ISABELLE.

Vous ne m’y tenez pas.

L’INTIMÉ.

C’est de Monsieur...

ISABELLE.

Adieu.

L’INTIMÉ.

Léandre.

ISABELLE.

Parlez bas.

C’est de Monsieur... ?

L’INTIMÉ.

Que diable ! on a bien de la peine

À se faire écouter : je suis tout hors d’haleine.

ISABELLE.

Ah ! l’Intimé, pardonne à mes sens étonnés ;

Donne.

L’INTIMÉ.

Vous me deviez fermer la porte au nez.

ISABELLE.

Et qui t’aurait connu déguisé de la sorte ?

Mais donne.

L’INTIMÉ.

Aux gens de bien ouvre-t-on votre porte ?

ISABELLE.

Hé ! donne donc.

L’INTIMÉ.

La peste...

ISABELLE.

Oh ! ne donnez donc pas.

Avec votre billet retournez sur vos pas.

L’INTIMÉ.

Tenez. Une autre fois ne soyez pas si prompte.

 

 

Scène III

 

CHICANNEAU, ISABELLE, L’INTIMÉ

 

CHICANNEAU.

Oui ? je suis donc un sot, un voleur, à son compte ?

Un sergent s’est chargé de la remercier,

Et je lui vais servir un plat de mon métier.

Je serais bien fâché que ce fût à refaire,

Ni qu’elle m’envoyât assigner la première.

Mais un homme ici parle à ma fille. Comment ?

Elle lit un billet ? Ah ! c’est de quelque amant !

Approchons.

ISABELLE.

Tout de bon, ton maître est-il sincère ?

Le croirai-je ?

L’INTIMÉ.

Il ne dort non plus que votre père.

Apercevant Chicanneau.

Il se tourmente ; il vous fera voir aujourd’hui

Que l’on ne gagne rien à plaider contre lui[78].

ISABELLE[79].

C’est mon père[80] ! Vraiment, vous leur pouvez apprendre

Que si l’on nous poursuit, nous saurons nous défendre.

[81]Tenez, voilà le cas qu’on fait de votre exploit.

CHICANNEAU.

Comment ? c’est un exploit que ma fille lisoit[82] ?

Ah ! tu seras un jour l’honneur de ta famille :

Tu défendras ton bien. Viens, mon sang, viens, ma fille[83].

Va, je t’achèterai le Praticien françois[84].

Mais, diantre ! il ne faut pas déchirer les exploits.

ISABELLE[85].

Au moins, dites-leur bien que je ne les crains guère ;

Ils me feront plaisir : je les mets à pis faire.

CHICAINNEAU.

Hé ! ne te fâche point.

ISABELLE[86].

Adieu, Monsieur.

 

 

Scène IV

 

CHICANNEAU, L’INTIMÉ

 

L’INTIMÉ[87].

Or çà,

Verbalisons.

CHICANNEAU.

Monsieur, de grâce, excusez-la :

Elle n’est pas instruite ; et puis, si bon vous semble,

En voici les morceaux que je vais mettre ensemble.

L’INTIMÉ.

Non.

CHICANNEAU.

Je le lirai bien.

L’INTIMÉ.

Je ne suis pas méchant :

J’en ai sur moi copie.

CHICANNEAU.

Ah ! le trait est touchant.

Mais je ne sais pourquoi, plus je vous envisage,

Et moins je me remets, Monsieur, votre visage.

Je connais force huissiers.

L’INTIMÉ.

Informez-vous de moi :

Je m’acquitte assez bien de mon petit emploi.

CHICANNEAU.

Soit. Pour qui venez-vous ?

L’INTIMÉ.

Pour une brave dame,

Monsieur, qui vous honore, et de toute son âme

Voudrait que vous vinssiez à ma sommation

Lui faire un petit mot de réparation.

CHICANNEAU.

De réparation ? Je n’ai blessé personne.

L’INTIMÉ.

Je le crois : vous avez, Monsieur, l’âme trop bonne.

CHICANNEAU.

Que demandez-vous donc ?

L’INTIMÉ.

Elle voudrait, Monsieur,

Que devant des témoins vous lui fissiez l’honneur

De l’avouer pour sage, et point extravagante.

CHICANNEAU.

Parbleu, c’est ma comtesse.

L’INTIMÉ.

Elle est votre servante.

CHICANNEAU.

Je suis son serviteur.

L’INTIMÉ.

Vous êtes obligeant,

Monsieur.

CHICANNEAU.

Oui, vous pouvez l’assurer qu’un sergent

Lui doit porter pour moi tout ce qu’elle demande.

Hé quoi donc ? les battus, ma foi, paieront l’amende !

Voyons ce qu’elle chante. Hon... Sixième janvier,

Pour avoir faussement dit qu’il fallait lier,

Étant à ce porté par esprit de chicane,

Haute et puissante dame Yolande Cudasne,

Comtesse de Pimbesche, Orbesche, et cætera,

Il soit dit que sur l’heure il se transportera

Au logis de la dame ; et là, d’une voix claire,

Devant quatre témoins assistés d’un notaire,

Zeste[88], ledit Hiérome avouera hautement

Qu’il la tient pour sensée et de bon jugement.

LE BON. C’est donc le nom de votre seigneurie ?

L’INTIMÉ.

Pour vous servir.[89] Il faut payer d’effronterie.

CHICANNEAU.

Le Bon ? Jamais exploit ne fut signé LE BON[90].

Monsieur le Bon !

L’INTIMÉ.

Monsieur.

CHICANNEAU.

Vous êtes un fripon.

L’INTIMÉ.

Monsieur, pardonnez-moi, je suis fort honnête homme.

CHICANNEAU.

Mais fripon le plus franc qui soit de Caen à Rome.

L’INTIMÉ.

Monsieur, je ne suis pas pour vous désavouer :

Vous aurez la bonté de me le bien payer.

CHICANNEAU.

Moi, payer ? En soufflets.

L’INTIMÉ.

Vous êtes trop honnête :

Vous me le paierez bien.

CHICANNEAU.

Oh ! tu me romps la tête.

Tiens, voilà ton paiement.

L’INTIMÉ.

Un soufflet ! Écrivons :

Lequel Hiérome, après plusieurs rébellions,

Aurait atteint, frappé, moi sergent, à la joue,

Et fait tomber d’un coup mon chapeau dans la boue[91].

CHICANNEAU[92].

Ajoute cela.

L’INTIMÉ.

Bon : c’est de l’argent comptant ;

J’en avais bien besoin. Et de ce non content,

Aurait avec le pied réitéré. Courage !

Outre plus, le susdit serait venu, de rage.

Pour lacérer ledit présent procès-verbal.

Allons, mon cher Monsieur, cela ne va pas mal.

Ne vous relâchez point.

CHICANNEAU.

Coquin !

L’INTIMÉ.

Ne vous déplaise,

Quelques coups de bâton, et je suis à mon aise[93].

CHICANNEAU[94].

Oui-da : je verrai bien s’il est sergent.

L’INTIMÉ, en posture d’écrire.

Tôt donc,

Frappez : j’ai quatre enfants à nourrir.

CHICANNEAU.

Ah ! pardon !

Monsieur, pour un sergent je ne pouvais vous prendre ;

Mais le plus habile homme enfin peut se méprendre.

Je saurai réparer ce soupçon outrageant.

Oui, vous êtes sergent, Monsieur, et très sergent.

Touchez là. Vos pareils sont gens que je révère ;

Et j’ai toujours été nourri par feu mon père

Dans la crainte de Dieu, Monsieur, et des sergents.

L’INTIMÉ.

Non, à si bon marché l’on ne bat point les gens.

CHICANNEAU.

Monsieur, point de procès !

L’INTIMÉ.

Serviteur. Contumace[95],

Bâton levé, soufflet, coup de pied. Ah !

CHICANNEAU.

De grâce,

Rendez-les-moi plutôt.

L’INTIMÉ.

Suffit qu’ils soient reçus ;

Je ne les voudrais pas donner pour mille écus.

 

 

Scène V

 

LÉANDRE[96], CHICANNEAU, L’INTIMÉ

 

L’INTIMÉ.

Voici fort à propos Monsieur le commissaire.

Monsieur, votre présence est ici nécessaire.

Tel que vous me voyez, Monsieur ici présent

M’a d’un fort grand soufflet fait un petit présent.

LÉANDRE.

À vous, Monsieur ?

L’INTIMÉ.

À moi, parlant à ma personne.

Item, un coup de pied ; plus, les noms qu’il me donne.

LÉANDRE.

Avez-vous des témoins ?

L’INTIMÉ.

Monsieur, tâtez plutôt :

Le soufflet sur ma joue est encore tout chaud.

LÉANDRE.

Pris en flagrant délit. Affaire criminelle.

CHICANNEAU.

Foin de moi !

L’INTIMÉ.

Plus, sa fille, au moins soi-disant telle,

A mis un mien papier en morceaux, protestant

Qu’on lui ferait plaisir, et que d’un œil content

Elle nous défiait.

LÉANDRE.

Faites venir la fille.

L’esprit de contumace est dans cette famille.

CHICANNEAU.

Il faut absolument qu’on m’ait ensorcelé :

Si j’en connais pas un, je veux être étranglé.

LÉANDRE.

Comment ? battre un huissier ! Mais voici la rebelle.

 

 

Scène VI

 

LÉANDRE, ISABELLE, CHICANNEAU, L’INTIMÉ

 

L’INTIMÉ, à Isabelle.

Vous le reconnaissez.

LÉANDRE.

Hé bien, Mademoiselle,

C’est donc vous qui tantôt braviez notre officier,

Et qui si hautement osez nous défier ?

Votre nom ?

ISABELLE.

Isabelle.

LÉANDRE, à l’Intimé.

Écrivez. Et votre âge ?

ISABELLE.

Dix-huit ans.

CHICANNEAU.

Elle eu a quelque peu davantage,

Mais n’importe.

LÉANDRE.

Êtes-vous en pouvoir de mari ?

ISABELLE.

Non, Monsieur.

LÉANDRE.

Vous riez ? Écrivez qu’elle a ri.

CHICANNEAU.

Monsieur, ne parlons point de maris à des filles :

Voyez-vous, ce sont là des secrets de familles.

LÉANDRE.

Mettez qu’il interrompt.

CHICANNEAU.

Hé ! je n’y pensais pas.

Prends bien garde, ma fille, à ce que tu diras.

LÉANDRE.

Là, ne vous troublez point. Répondez à votre aise.

On ne veut pas rien faire ici qui vous déplaise.

N’avez-vous pas reçu de l’huissier que voilà

Certain papier tantôt ?

ISABELLE.

Oui, Monsieur.

CHICANNEAU.

Bon cela.

LÉANDRE.

Avez-vous déchiré ce papier sans le lire[97] ?

ISABELLE.

Monsieur, je l’ai lu.

CHICANNEAU.

Bon.

LÉANDRE[98].

Continuez d’écrire.

[99]Et pourquoi l’avez-vous déchiré ?

ISABELLE.

J’avais peur

Que mon père ne prît l’affaire trop à cœur,

Et qu’il ne s’échauffât le sang à sa lecture.

CHICANNEAU.

Et tu fuis les procès ? C’est méchanceté pure.

LÉANDRE.

Vous ne l’avez donc pas déchiré par dépit,

Ou par mépris de ceux qui vous l’avaient écrit ?

ISABELLE.

Monsieur, je n’ai pour eux ni mépris ni colère.

LÉANDRE[100].

Écrivez.

CHICANNEAU.

Je vous dis qu’elle tient de son père :

Elle répond fort bien.

LÉANDRE.

Vous montrez cependant

Pour tous les gens de robe un mépris évident.

ISABELLE.

Une robe toujours m’avait choqué la vue ;

Mais cette aversion à présent diminue.

CHICANNEAU.

La pauvre enfant ! Va, va, je te marierai bien,

Dès que je le pourrai, s’il ne m’en coûte rien.

LÉANDRE.

À la justice donc vous voulez satisfaire ?

ISABELLE.

Monsieur, je ferai tout pour ne vous pas déplaire.

L’INTIMÉ.

Monsieur, faites signer.

LÉANDRE.

Dans les occasions

Soutiendrez-vous au moins vos dépositions ?

ISABELLE.

Monsieur, assurez-vous qu’Isabelle est constante.

LÉANDRE.

Signez. Cela va bien : la justice est contente.

Çà, ne signez-vous pas, Monsieur ?

CHICANNEAU.

Oui-da, gaiement,

À tout ce qu’elle a dit, je signe aveuglément.

LÉANDRE, à Isabelle[101].

Tout va bien. À mes vœux le succès est conforme :

Il signe un bon contrat écrit en bonne forme,

Et sera condamné tantôt sur son écrit.

CHICANNEAU[102].

Que lui dit-il ? Il est charmé de son esprit.

LÉANDRE.

Adieu. Soyez toujours aussi sage que belle :

Tout ira bien. Huissier, remenez-la chez elle.

Et vous. Monsieur, marchez.

CHICANNEAU.

Où, Monsieur ?

LÉANDRE.

Suivez-moi.

CHICANNEAU.

Où donc ?

LÉANDRE.

Vous le saurez. Marchez de par le Roi.

CHICANNEAU.

Comment ?

 

 

Scène VII

 

PETIT JEAN, LÉANDRE, CHICANNEAU

 

PETIT JEAN.

Holà ! quelqu’un n’a-t-il point vu mon maître ?

Quel chemin a-t-il pris ? la porte ou la fenêtre ?

LÉANDRE.

À l’autre !

PETIT JEAN.

Je ne sais qu’est devenu son fils ;

Et pour le père, il est où le diable l’a mis.

Il me redemandait sans cesse ses épices ;

Et j’ai tout bonnement couru dans les offices

Chercher la boîte au poivre[103] ; et lui, pendant cela,

Est disparu.

 

 

Scène VIII

 

DANDIN[104], LÉANDRE, CHICANNEAU, L’INTIMÉ, PETIT JEAN

 

DANDIN.

Paix ! paix ! que l’on se taise là.

LÉANDRE.

Hé ! grand Dieu !

PETIT JEAN.

Le voilà, ma foi, dans les gouttières[105].

DANDIN.

Quelles gens êtes-vous ? Quelles sont vos affaires ?

Qui sont ces gens en robe ? Êtes-vous avocats ?

Çà, parlez.

PETIT JEAN.

Vous verrez qu’il va juger les chats.

DANDIN.

Avez-vous eu le soin de voir mon secrétaire ?

Allez lui demander si je sais votre affaire.

LÉANDRE.

Il faut bien que je l’aille arracher de ces lieux.

Sur votre prisonnier, huissier, ayez les yeux.

PETIT JEAN.

Ho ! ho ! Monsieur.

LÉANDRE.

Tais-toi, sur les yeux de ta tête,

Et suis-moi.

 

 

Scène IX

 

DANDIN, CHICANNEAU, LA COMTESSE, L’INTIMÉ

 

DANDIN.

Dépêchez, donnez votre requête.

CHICANNEAU.

Monsieur, sans votre aveu, l’on me fait prisonnier.

LA COMTESSE.

Hé, mon Dieu ! j’aperçois Monsieur dans son grenier.

Que fait-il là ?

L’INTIMÉ.

Madame, il y donne audience.

Le champ vous est ouvert.

CHICANNEAU.

On me fait violence,

Monsieur ; on m’injurie ; et je venais ici

Me plaindre à vous.

LA COMTESSE.

Monsieur, je viens me plaindre aussi.

CHICANNEAU et LA COMTESSE.

Vous voyez devant vous mon adverse partie.

L’INTIMÉ.

Parbleu ! je me veux mettre aussi de la partie.

CHICANNEAU, LA COMTESSE et L’INTIMÉ.

Monsieur, je viens ici pour un petit exploit.

CHICANNEAU.

Hé ! Messieurs, tour à tour exposons notre droit.

LA COMTESSE.

Son droit ? tout ce qu’il dit sont autant d’impostures.

DANDIN.

Qu’est-ce qu’on vous a fait ?

CHICANNEAU, L’INTIMÉ et LA COMTESSE.

On m’a dit des injures.

L’INTIMÉ, continuant.

Outre un soufflet, Monsieur, que j’ai reçu plus qu’eux.

CHICANNEAU.

Monsieur, je suis cousin de l’un de vos neveux.

LA COMTESSE.

Monsieur, père Cordon vous dira mon affaire.

L’INTIMÉ.

Monsieur, je suis bâtard de votre apothicaire[106].

DANDIN.

Vos qualités ?

LA COMTESSE.

Je suis comtesse.

L’INTIMÉ.

Huissier.

CHICANNEAU.

Bourgeois.

Messieurs...

DANDIN[107].

Parlez toujours : je vous entends tous trois.

CHICANNEAU.

Monsieur...

L’INTIMÉ.

Bon ! le voilà qui fausse compagnie.

LA COMTESSE.

Hélas !

CHICANNEAU.

Hé quoi ? déjà l’audience est finie ?

Je n’ai pas eu le temps de lui dire deux mots.

 

 

Scène X

 

CHICANNEAU, LÉANDRE, sans robe, etc.

 

LÉANDRE.

Messieurs, voulez-vous bien nous laisser en repos ?

CHICANNEAU.

Monsieur, peut-on entrer ?

LÉANDRE.

Non, Monsieur, ou je meure !

CHICANNEAU.

Hé, pourquoi ? J’aurai fait en une petite heure,

En deux heures au plus.

LÉANDRE.

On n’entre point, Monsieur.

LA COMTESSE.

C’est bien fait de fermer la porte à ce crieur[108].

Mais moi...

LÉANDRE.

L’on n’entre point, Madame, je vous jure.

LA COMTESSE.

Ho ! Monsieur, j’entrerai.

LÉANDRE.

Peut-être.

LA COMTESSE.

J’en suis sûre.

LÉANDRE.

Par la fenêtre donc.

LA COMTESSE.

Par la porte.

LÉANDRE.

Il faut voir.

CHICANNEAU.

Quand je devrais ici demeurer jusqu’au soir.

 

 

Scène XI

 

PETIT JEAN, LÉANDRE, CHICANNEAU, etc.

 

PETIT JEAN, à Léandre.

On ne l’entendra pas, quelque chose qu’il fasse,

Parbleu ! je l’ai fourré dans notre salle basse,

Tout auprès de la cave.

LÉANDRE.

En un mot comme en cent,

On ne voit point mon père.

CHICANNEAU.

Hé bien donc. Si pourtant[109]

Sur toute cette affaire il faut que je le voie.

Dandin paraît par le soupirail.

Mais que vois-je ? Ah ! c’est lui que le ciel nous renvoie.

LÉANDRE.

Quoi ? par le soupirail ?

PETIT JEAN.

Il a le diable au corps.

CHICANNEAU.

Monsieur...

DANDIN.

L’impertinent ! Sans lui j’étais dehors.

CHICANNEAU.

Monsieur...

DANDIN.

Retirez-vous, vous êtes une bête.

CHICANNEAU.

Monsieur, voulez-vous bien[110]...

DANDIN.

Vous me rompez la tête.

CHICANNEAU.

Monsieur, j’ai commandé...

DANDIN.

Taisez-vous, vous dit-on.

CHICANNEAU.

Que l’on portât chez vous...

DANDIN.

Qu’on le mène en prison.

CHICANNEAU.

Certain cartaut[111] de vin.

DANDIN.

Hé ! je n’en ai que faire.

CHICANNEAU.

C’est de très bon muscat.

DANDIN.

Redites votre affaire[112].

LÉANDRE, à l’Intimé.

Il faut les entourer ici de tous côtés.

LA COMTESSE.

Monsieur, il vous va dire autant de faussetés.

CHICANNEAU.

Monsieur, je vous dis vrai.

DANDIN.

Mon Dieu, laissez-la dire.

LA COMTESSE.

Monsieur, écoutez-moi.

DANDIN.

Souffrez que je respire.

CHICANNEAU.

Monsieur...

DANDIN.

Vous m’étranglez.

LA COMTESSE.

Tournez les yeux vers moi.

DANDIN.

Elle m’étrangle... Ay ! ay !

CHICANNEAU.

Vous m’entraînez, ma foi !

Prenez garde, je tombe.

PETIT JEAN.

Ils sont, sur ma parole,

L’un et l’autre encavés.

LÉANDRE.

Vite, que l’on y vole :

Courez à leur secours. Mais au moins je prétends

Que Monsieur Chicanneau, puisqu’il est là dedans,

N’en sorte d’aujourd’hui. L’Intimé, prends-y garde.

L’INTIMÉ.

Gardez le soupirail.

LÉANDRE.

Va vite : je le garde.

 

 

Scène XII

 

LA COMTESSE, LÉANDRE

 

LA COMTESSE.

Misérable ! il s’en va lui prévenir l’esprit.

Par le soupirail.

Monsieur, ne croyez rien de tout ce qu’il vous dit ;

Il n’a point de témoins : c’est un menteur.

LÉANDRE.

Madame,

Que leur contez-vous là ? Peut-être ils rendent l’âme.

LA COMTESSE.

Il lui fera, Monsieur, croire ce qu’il voudra.

Souffrez que j’entre.

LÉANDRE.

Oh non ! personne n’entrera.

LA COMTESSE.

Je le vois bien, Monsieur, le vin muscat opère

Aussi bien sur le fils que sur l’esprit du père.

Patience ! je vais protester comme il faut

Contre Monsieur le juge et contre le cartaut.

LÉANDRE.

Allez donc, et cessez de nous rompre la tête.

Que de fous ! Je ne fus jamais à telle fête.

 

 

Scène XIII

 

DANDIN, L’INTIMÉ, LÉANDRE

 

L’INTIMÉ.

Monsieur, où courez-vous ? C’est vous mettre en danger,

Et vous boitez tout bas.

DANDIN.

Je veux aller juger.

LÉANDRE.

Comment, mon père ? Allons, permettez qu’on vous panse.

Vite, un chirurgien.

DANDIN.

Qu’il vienne à l’audience.

LÉANDRE.

Hé ! mon père, arrêtez...

DANDIN.

Ho ! je vois ce que c’est :

Tu prétends faire ici de moi ce qui te plaît ;

Tu ne gardes pour moi respect ni complaisance :

Je ne puis prononcer une seule sentence.

Achève, prends ce sac, prends vite[113].

LÉANDRE.

Hé ! doucement,

Mon père. Il faut trouver quelque accommodement.

Si pour vous, sans juger, la vie est un supplice,

Si vous êtes pressé de rendre la justice,

Il ne faut point sortir pour cela de chez vous :

Exercez le talent, et jugez parmi nous[114].

DANDIN.

Ne raillons point ici de la magistrature[115] :

Vois-tu ? je ne veux point être un juge en peinture.

LÉANDRE.

Vous serez, au contraire, un juge sans appel,

Et juge du civil comme du criminel.

Vous pourrez tous les jours tenir deux audiences :

Tout vous sera chez vous matière de sentences.

Un valet manque-t-il de rendre un verre net.

Condamnez-le à l’amende ; ou s’il le casse, au fouet.

DANDIN.

C’est quelque chose. Encor passe quand on raisonne.

Et mes vacations, qui les paiera ? Personne ?

LÉANDRE.

Leurs gages vous tiendront lieu de nantissement.

 

DANDIN.

Il parle, ce me semble, assez pertinemment.

LÉANDRE.

Contre un de vos voisins[116]...

 

 

Scène XIV

 

DANDIN, LÉANDRE, L’INTIMÉ, PETIT JEAN

 

PETIT JEAN.

Arrête ! arrête ! attrape !

LÉANDRE.

Ah ! c’est mon prisonnier, sans cloute, qui s’échappe !

L’INTIMÉ.

Non, non, ne craignez rien.

PETIT JEAN.

Tout est perdu... Citron...

Votre chien vient là-bas de manger un chapon.

Rien n’est sûr devant lui : ce qu’il trouve il l’emporte.

LÉANDRE.

Bon ! voilà pour mon père une cause. Main-forte[117] !

Qu’on se mette après lui. Courez tous.

DANDIN.

Point de bruit,

Tout doux. Un amené[118] sans scandale suffit.

LÉANDRE.

Çà, mon père, il faut faire un exemple authentique :

Jugez sévèrement ce voleur domestique.

DANDIN.

Mais je veux faire au moins la chose avec éclat.

Il faut de part et d’autre avoir un avocat ;

Nous n’en avons pas un.

LÉANDRE.

Hé bien ! il en faut faire.

Voilà votre portier et votre secrétaire :

Vous en ferez, je crois, d’excellents avocats ;

Ils sont fort ignorants.

L’INTIMÉ.

Non pas, Monsieur, non pas.

J’endormirai Monsieur tout aussi bien qu’un autre.

PETIT JEAN.

Pour moi, je ne sais rien ; n’attendez rien du nôtre.

LÉANDRE.

C’est ta première cause, et l’on te la fera.

PETIT JEAN.

Mais je ne sais pas lire.

LÉANDRE.

Hé ! l’on te soufflera[119].

DANDIN.

Allons nous préparer. Çà, Messieurs, point d’intrigue !

Fermons l’œil aux présents, et l’oreille à la brigue.

Vous, maître Petit Jean, serez le demandeur ;

Vous, maître l’Intimé, soyez le défendeur.

 

 

ACTE III

 

 

Scène première

 

CHICANNEAU, LÉANDRE, LE SOUFFLEUR

 

CHICANNEAU.

Oui, Monsieur, c’est ainsi qu’ils ont conduit l’affaire.

L’huissier m’est inconnu, comme le commissaire.

Je ne mens pas d’un mot.

LÉANDRE.

Oui, je crois tout cela ;

Mais si vous m’en croyez, vous les laisserez là.

En vain vous prétendez les pousser l’un et l’autre,

Vous troublerez bien moins leur repos que le vôtre.

Les trois quarts de vos biens sont déjà dépensés

À faire enfler des sacs l’un sur l’autre entassés ;

Et dans une poursuite à vous-même contraire[120]...

CHICANNEAU.

Vraiment, vous me donnez un conseil salutaire,

Et devant qu’il soit peu je veux en profiter ;

Mais je vous prie au moins de bien solliciter.

Puisque Monsieur Dandin va donner audience,

Je vais faire venir ma fille en diligence.

On peut l’interroger, elle est de bonne foi ;

Et même elle saura mieux répondre que moi.

LÉANDRE.

Allez et revenez : l’on vous fera justice.

LE SOUFFLEUR.

Quel homme !

 

 

Scène II

 

LÉANDRE, LE SOUFFLEUR

 

LÉANDRE.

Je me sers d’un étrange artifice ;

Mais mon père est un homme à se désespérer,

Et d’une cause en l’air il le faut bien leurrer.

D’ailleurs j’ai mon dessein, et je veux qu’il condamne

Ce fou qui réduit tout au pied de la chicane.

Mais voici tous nos gens qui marchent sur nos pas.

 

 

Scène III

 

DANDIN, LÉANDRE, L’INTIMÉ, PETIT JEAN[121], LE SOUFFLEUR

 

DANDIN.

Çà, qu’êtes-vous ici ?

LÉANDRE.

Ce sont les avocats.

DANDIN.

Vous ?

LE SOUFFLEUR.

Je viens secourir leur mémoire troublée[122].

DANDIN.

Je vous entends. Et vous ?

LÉANDRE.

Moi ? Je suis l’assemblée.

DANDIN.

Commencez donc.

LE SOUFFLEUR.

Messieurs...

PETIT JEAN.

Oh ! prenez-le plus bas :

Si vous soufflez si haut, l’ou ne m’entendra pas.

Messieurs...

DANDIN.

Couvrez-vous.

PETIT JEAN.

Oh ! Mes...

DANDIN.

Couvrez-vous, vous dis-je.

PETIT JEAN.

Oh ! Monsieur, je sais bien à quoi l’honneur m’oblige.

DANDIN.

Ne te couvre donc pas.

PETIT JEAN, se couvrant.

Messieurs... Vous[123], doucement ;

Ce que je sais le mieux, c’est mon commencement.

Messieurs, quand je regarde avec exactitude[124]

L’inconstance du monde et sa vicissitude ;

Lorsque je vois, parmi tant d’hommes différents,

Pas une étoile fixe, et tant d’astres errants ;

Quand je vois les Césars, quand je vois leur fortune ;

Quand je vois le soleil, et quand je vois la lune ;

Quand je vois les États des Babiboniens[125]

Transférés des Serpans[126] aux Nacédoniens[127] ;

Quand je vois les Lorrains[128], de l’état dépotique[129].

Passer au démocrite[130], et puis au monarchique ;

Quand je vois le Japon...

L’INTIMÉ.

Quand aura-t-il tout vu ?

PETIT JEAN.

Oh ! pourquoi celui-là m’a-t-il interrompu ?

Je ne dirai plus rien.

DANDIN.

Avocat incommode.

Que ne lui laissez-vous finir sa période ?

Je suais sang et eau, pour voir si du Japon

Il viendrait à bon port au fait de son chapon,

Et vous l’interrompez par un discours frivole.

Parlez donc, avocat.

PETIT JEAN.

J’ai perdu la parole.

LÉANDRE.

Achève, Petit Jean : c’est fort bien débuté.

Mais que font là tes bras pendants à ton côté ?

Te voilà sur tes pieds droit comme une statue.

Dégourdis-toi. Courage ! allons, qu’on s’évertue.

PETIT JEAN, remuant les bras.

Quand... je vois... Quand... je vois...

LÉANDRE.

Dis donc ce que tu vois.

PETIT JEAN.

Oh dame ! on ne court pas deux lièvres à la fois.

LE SOUFFLEUR.

On lit...

PETIT JEAN.

On lit...

LE SOUFFLEUR.

Dans la...

PETIT JEAN.

Dans la...

LE SOUFFLEUR.

Métamorphose...

PETIT JEAN.

Comment ?

LE SOUFFLEUR.

Que la métem...

PETIT JEAN.

Que la métem...

LE SOUFFLEUR.

psycose...

PETIT JEAN.

Psycose...

LE SOUFFLEUR.

Hé ! le cheval !

PETIT JEAN.

Et le cheval...

LE SOUFFLEUR.

Encor !

PETIT JEAN.

Encor...

LE SOUFFLEUR.

Le chien !

PETIT JEAN.

Le chien...

LE SOUFFLEUR.

Le butor !

PETIT JEAN.

Le butor...

LE SOUFFLEUR.

Peste de l’avocat !

PETIT JEAN.

Ah ! peste de toi-même !

Voyez cet autre avec sa face de carême !

Va-t’en au diable !

DANDIN.

Et vous, venez au fait. Un mot

Du fait.

PETIT JEAN.

Hé ! faut-il tant tourner autour du pot ?

Ils me font dire aussi des mots longs d’une toise,

De grands mots qui tiendraient d’ici jusqu’à Pontoise.

Pour moi, je ne sais point tant faire de façon

Pour dire qu’un mâtin vient de prendre un chapon.

Tant y a qu’il n’est rien que votre chien ne prenne ;

Qu’il a mangé là-bas un bon chapon du Maine ;

Que la première fois que je l’y trouverai,

Son procès est tout fait, et je l’assommerai.

LÉANDRE.

Belle conclusion, et digne de l’exorde !

PETIT JEAN.

On l’entend bien toujours. Qui voudra mordre y morde.

DANDIN.

Appelez les témoins.

LÉANDRE.

C’est bien dit, s’il le peut :

Les témoins sont fort chers, et n’en a pas qui veut.

PETIT JEAN.

Nous en avons pourtant, et qui sont sans reproche.

DANDIN.

Faites-les donc venir.

PETIT JEAN.

Je les ai dans ma poche.

Tenez : voilà la tête et les pieds du chapon.

Voyez-les, et jugez.

L’INTIMÉ.

Je les récuse.

DANDIN.

Bon !

Pourquoi les récuser ?

L’INTIMÉ.

Monsieur, ils sont du Maine.

DANDIN.

Il est vrai que du Mans il en vient par douzaine.

L’INTIMÉ.

Messieurs...

DANDIN.

Serez-vous long, avocat ? dites-moi[131].

L’INTIMÉ.

Je ne réponds de rien.

DANDIN.

Il est de bonne foi.

L’INTIMÉ, d’un ton finissant en fausset.

Messieurs, tout ce qui peut étonner un coupable,

Tout ce que les mortels ont de plus redoutable,

Semble s’être assemblé contre nous par hasar :

Je veux dire la brigue et l’éloquence[132]. Car

D’un côté le crédit du défunt m’épouvante ;

Et de l’autre côté l’éloquence éclatante

De maître Petit Jean m’éblouit.

DANDIN.

Avocat,

De votre ton vous-même adoucissez l’éclat.

L’INTIMÉ, du beau ton.

Oui-da, j’en ai plusieurs... Mais quelque défiance

Que nous doive donner la susdite éloquence,

Et le susdit crédit, ce néanmoins, Messieurs,

L’ancre de vos bontés nous rassure d’ailleurs[133].

Devant le grand Dandin l’innocence est hardie ;

Oui, devant ce Caton de basse Normandie,

Ce soleil d’équité qui n’est jamais terni :

Victrix causa dits placuit, sed victa Catoni[134].

DANDIN.

Vraiment, il plaide bien.

L’INTIMÉ.

Sans craindre aucune chose,

Je prends donc la parole, et je viens à ma cause.

Aristote, primo, peri Politicon[135],

Dit fort bien...

DANDIN.

Avocat, il s’agit d’un chapon,

Et non point d’Aristote et de sa Politique[136].

L’INTIMÉ.

Oui ; mais l’autorité du Péripatétique[137]

Prouverait que le bien et le mal...

DANDIN.

Je prétends

Qu’Aristote n’a point d’autorité céans.

Au fait.

L’INTIMÉ.

Pausanias, en ses Corinthiaques[138]...

DANDIN.

Au fait.

L’INTIMÉ.

Rebuffe...

DANDIN.

Au fait, vous dis-je.

L’INTIMÉ.

Le grand Jacques[139]...

DANDIN.

Au fait, au fait, au fait.

L’INTIMÉ.

Armeno Pul, in Prompt[140]...

DANDIN.

Ho ! je te vais juger[141].

L’INTIMÉ.

Ho ! vous êtes si prompt !

Vite.

Voici le fait. Un chien vient dans une cuisine ;

Il y trouve un chapon, lequel a bonne mine.

Or celui pour lequel je parle est affamé ;

Celui contre lequel je parle autem plumé ;

Et celui pour lequel je suis prend en cachette

Celui contre lequel je parle. L’on décrète :

On le prend. Avocat pour et contre appelé ;

Jour pris. Je dois parler, je parle, j’ai parlé.

DANDIN.

Ta, ta, ta, ta. Voilà bien instruire une affaire !

Il dit fort posément ce dont on n’a que faire,

Et court le grand galop quand il est à son fait.

L’INTIMÉ.

Mais le premier, Monsieur, c’est le beau.

DANDIN.

C’est le laid.

A-t-on jamais plaidé d’une telle méthode ?

Mais qu’en dit l’assemblée ?

LÉANDRE.

Il est fort à la mode.

L’INTIMÉ, d’un ton véhément.

Qu’arrive-t-il, Messieurs ? On vient. Comment vient-on ?

On poursuit ma partie. On force une maison[142].

Quelle maison ? maison de notre propre juge !

On brise le cellier[143] qui nous sert de refuge !

De vol, de brigandage on nous déclare auteurs !

On nous traîne, on nous livre à nos accusateurs,

À maître Petit Jean, Messieurs. Je vous atteste :

Qui ne sait que la loi Si quis canis, Digeste,

De Vi, paragrapho, Messieurs, Caponibus[144],

Est manifestement contraire à cet abus ?

Et quand il serait vrai que Citron, ma partie,

Aurait mangé, Messieurs, le tout, ou bien partie

Dudit chapon : qu’on mette en compensation

Ce que nous avons fait avant cette action.

Quand ma partie a-t-elle été réprimandée ?

Par qui votre maison a-t-elle été gardée ?

Quand avons-nous manqué d’aboyer au larron[145] ?

Témoin trois procureurs, dont icelui Citron

A déchiré la robe. On en verra les pièces.

Pour nous justifier, voulez-vous d’autres pièces ?

PETIT JEAN.

Maître Adam...

L’INTIMÉ.

Laissez-nous.

PETIT JEAN.

L’Intimé...

L’INTIMÉ.

Laissez-nous.

PETIT JEAN.

S’enroue[146].

L’INTIMÉ.

Hé ! laissez-nous. Euh ! euh !

DANDIN.

Reposez-vous,

Et concluez.

L’INTIMÉ, d’un ton pesant.

Puis donc, qu’on nous, permet, de prendre[147],

Haleine, et que l’on nous, défend, de nous, étendre,

Je vais, sans rien obmettre, et sans prévariquer,

Compendieusement[148] énoncer, expliquer,

Exposer, à vos yeux, l’idée universelle

De ma cause, et des faits, renfermés, en icelle.

DANDIN.

Il aurait plus tôt fait de dire tout vingt fois,

Que de l’abréger une. Homme, ou qui que tu sois,

Diable, conclus ; ou bien que le ciel te confonde !

L’INTIMÉ.

Je finis.

DANDIN.

Ah !

L’INTIMÉ.

Avant la naissance du monde...

DANDIN, bâillant.

Avocat, ah ! passons au déluge.

L’INTIMÉ.

Avant donc

La naissance du monde, et sa création,

Le monde, l’univers, tout, la nature entière

Était ensevelie au fond de la matière.

Les éléments, le feu, l’air, et la terre, et l’eau,

Enfoncés, entassés, ne faisaient qu’un monceau,

Une confusion, une masse sans forme,

Un désordre, un chaos, une cohue énorme :

Unus erat toto naturæ vultus in orbe,

Quem Græci dixere chaos[149], rudis indigestaque moles[150].

LÉANDRE.

Quelle chute ! Mon père !

PETIT JEAN.

Ay ! Monsieur. Comme il dort !

LÉANDRE.

Mon père, éveillez-vous.

PETIT JEAN.

Monsieur, êtes-vous mort ?

LÉANDRE.

Mon père !

DANDIN.

Hé bien ? hé bien ? Quoi ? Qu’est-ce ? Ah ! ah ! quel homme !

Certes, je n’ai jamais dormi d’un si bon somme.

LÉANDRE.

Mon père, il faut juger.

DANDIN.

Aux galères.

LÉANDRE.

Un chien

Aux galères !

DANDIN.

Ma foi ! je n’y conçois plus rien[151] :

De monde, de chaos, j’ai la tête troublée.

Hé ! concluez.

L’INTIMÉ, lui présentant de petits chiens.

Venez, famille désolée ;

Venez, pauvres enfants qu’on veut rendre orphelins :

Venez faire parler, vos esprits enfantins[152].

Oui, Messieurs, vous voyez ici notre misère :

Nous sommes orphelins ; rendez-nous notre père,

Notre père, par qui nous fûmes engendrés,

Notre père, qui nous...

DANDIN.

Tirez, tirez, tirez[153].

L’INTIMÉ.

Notre père, Messieurs...

DANDIN.

Tirez donc. Quels vacarmes !

Ils ont pissé partout.

L’INTIMÉ.

Monsieur, voyez nos larmes[154].

DANDIN.

Ouf ! Je me sens déjà pris de compassion.

Ce que c’est qu’à propos toucher la passion !

Je suis bien empêché. La vérité me presse ;

Le crime est avéré : lui-même il le confesse.

Mais s’il est condamné, l’embarras est égal :

Voilà bien des enfants réduits à l’hôpital.

Mais je suis occupé, je ne veux voir personne.

 

 

Scène IV

 

CHICANNEAU, ISABELLE, etc.[155]

 

CHICANNEAU.

Monsieur...

DANDIN.

Oui, pour vous seuls l’audience se donne[156].

Adieu. Mais, s’il vous plaît, quel est cet enfant-là[157] ?

CHICANNEAU.

C’est ma fille, Monsieur.

DANDIN.

Hé ! tôt, rappelez-la.

ISABELLE.

Vous êtes occupé.

DANDIN.

Moi ! Je n’ai point d’affaire.

Que ne me disiez-vous que vous étiez son père ?

CHICANNEAU.

Monsieur...

DANDIN.

Elle sait mieux votre affaire que vous.

Dites. Qu’elle est jolie, et qu’elle a les yeux doux !

Ce n’est pas tout, ma fille, il faut de la sagesse.

Je suis tout réjoui de voir cette jeunesse.

Savez-vous que j’étais un compère autrefois ?

On a parlé de nous.

ISABELLE.

Ah ! Monsieur, je vous crois.

DANDIN.

Dis-nous : à qui veux-tu faire perdre la cause ?

ISABELLE.

À personne.

DANDIN.

Pour toi je ferai toute chose.

Parle donc.

ISABELLE.

Je vous ai trop d’obligation.

DANDIN.

N’avez-vous jamais vu donner la question[158] ?

ISABELLE.

Non ; et ne le verrai, que je crois, de ma vie.

DANDIN.

Venez, je vous en veux faire passer l’envie.

ISABELLE.

Hé ! Monsieur, peut-on voir souffrir des malheureux ?

DANDIN.

Bon ! Cela fait toujours passer une heure ou deux.

CHICANNEAU.

Monsieur, je viens ici pour vous dire...

LÉANDRE.

Mon père,

Je vous vais en deux mots dire toute l’affaire :

C’est pour un mariage. Et vous saurez d’abord

Qu’il ne tient plus qu’à vous, et que tout est d’accord.

La fille le veut bien ; son amant le respire ;

Ce que la fille veut, le père le désire.

C’est à vous de juger.

DANDIN, se rasseyant.

Mariez au plus tôt :

Dès demain, si l’on veut ; aujourd’hui, s’il le faut.

LÉANDRE.

Mademoiselle, allons, voilà votre beau-père :

Saluez-le.

CHICANNEAU.

Comment ?

DANDIN.

Quel est donc ce mystère ?

LÉANDRE.

Ce que vous avez dit se fait de point en point.

DANDIN.

Puisque je l’ai jugé, je n’en reviendrai point.

CHICANNEAU.

Mais on ne donne pas une fille sans elle.

LÉANDRE.

Sans doute, et j’en croirai la charmante Isabelle.

CHICANNEAU.

Es-tu muette ? Allons, c’est à toi de parler.

Parle.

ISABELLE.

Je n’ose pas, mon père, en appeler.

CHICANNEAU.

Mais j’en appelle, moi.

LÉANDRE[159].

Voyez cette écriture.

Vous n’appellerez pas de votre signature ?

CHICANNEAU.

Plaît-il ?

DANDIN.

C’est un contrat en fort bonne façon.

CHICANNEAU.

Je vois qu’on m’a surpris ; mais j’en aurai raison :

De plus de vingt procès ceci sera la source.

On a la fille, soit : on n’aura pas la bourse.

LÉANDRE.

Hé ! Monsieur, qui vous dit qu’on vous demande rien ?

Laissez-nous votre fille, et gardez votre bien.

CHICANNEAU.

Ah !

LÉANDRE.

Mon père, êtes-vous content de l’audience ?

DANDIN.

Oui-da. Que les procès viennent en abondance,

Et je passe avec vous le reste de mes jours.

Mais que les avocats soient désormais plus courts.

Et notre criminel ?

LÉANDRE.

Ne parlons que de joie :

Grâce ! grâce ! mon père.

DANDIN.

Hé bien, qu’on le renvoie ;

C’est en votre faveur, ma bru, ce que j’en fais.

Allons nous délasser à voir d’autres procès.


[1] Racine a pris le nom de Perrin Dandin dans Rabelais (Pantagruel, livre III, chapitre XLI). Là toutefois Perrin Dandin n’est pas un juge, mais un « appointeur de procès. » Le même chapitre de Rabelais offrait à Racine un nom de juge, Bridoye, qui lui a semblé sans doute moins heureux, et dont Beaumarchais plus tard devait s’emparer : tout le monde connaît Bridoison.

[2] Nous avons conservé à ce nom les deux n, qui sont dans toutes les éditions imprimées du vivant de Racine. C’est seulement dans les éditions plus récentes qu’on l’écrit Chicaneau. Rabelais a encore fourni ce nom ; mais chez lui les chicanous sont des huissiers, non des plaideurs.

[3] Le nom de l’Intimé est emprunté à la langue du Palais : l’intimé est le défendeur en cause d’appel.

[4] La troupe italienne donnait, au dix-septième siècle, ses représentations, en alternant avec les comédiens français. Elle joua d’abord au Petit-Bourbon, puis au Palais-Royal, et enfin à l’Hôtel de Bourgogne.

[5] Il s’agit de Tiberio Fiurilli, né à Naples en 1608, mort à la fin de 1694. Cet excellent comédien, dont les exemples avaient été profitables à Molière, parut le premier en France sous l’habit de Scaramouche. Voyez la Notice sur les Plaideurs.

[6] Var. (édit. de 1669) : quelque échantillon.

[7] Var. (édit. de 1669) : et que la régularité de Ménandre et de Térence me semblait bien plus glorieuse et même plus agréable à imiter que la liberté de Plaute et d’Aristophane.

[8] Les éditions de 1713, 1728, 1736 ont : « les gens de cour. » D’Olivet indique des comme variante.

[9] Dans l’édition de M. Aimé-Martin on lit : « et je n’ai employé. »

[10] Var. (édit. de 1669) : que je puis avoir retenus dans le cours d’un procès que ni moi ni mes juges n’ont jamais bien entendu.

[11] Var. (édit. de 1669-87) : un seul de ces sales équivoques.

[12] Les suisses, domestiques chargés de garder la porte des hôtels, étaient autrefois véritablement Suisses de nation. Celui-ci, au lieu de venir de Suisse, vient de Picardie ; c’est ce qui rend ce vers plaisant.

[13] Dit l’autre, c’est-à-dire : dit-on, dit le proverbe, façon populaire de parler. On trouve aussi dans Molière (le Médecin malgré lui, acte III, scène II) : « Tout ça, comme dit l’autre, n’a été que de l’onguent miton-mitaine. »

[14] Bon apôtre a d’ordinaire le sens d’hypocrite : dans la Fontaine, Grippeminaud le bon apôtre, Cormoran le bon apôtre. Il paraît signifier ici un homme qui sait son métier, un rusé compère.

[15] Faire claquer son fouet, se donner de l’importance.

[16] Molière avait déjà mis dans la bouche naïve de Georgette cette expression Monsieurs, au lieu de Messieurs :

...Nous en voyons qui paraissent joyeux

Lorsque leurs femmes sont avec les beaux Monsieurs.

(École des Femmes, acte II, scène III.)

[17] La phrase est elliptique : « On me donnait gros comme le bras (c’est-à-dire très respectueusement, très cérémonieusement) le titre de Monsieur de Petit Jean. »

[18] Le portier de comédie était celui qui se tenait à la porte du théâtre pour recevoir l’argent. Chapuzeau, dans son Théâtre français, p. 242 et 243, donne des détails sur les portiers de la comédie. Il dit que les contrôleurs des portes « ont soin que les portiers fassent leur devoir, qu’ils ne reçoivent de l’argent de qui que ce soit. » Le vers de Racine donne à penser que la défense faite aux portiers n’était pas toujours bien observée.

[19] Graisser le marteau (de la porte, qu’on nommait aussi le heurtoir), c’est donner de l’argent au portier, pour qu’il nous laisse entrer.

[20] Point d’argent, point de Suisse, se disait proverbialement, parce que les troupes suisses engagées à prix d’argent au service des puissances étrangères se retiraient quand leur solde n’était pas exactement payée.

[21] Il y serait couché est le texte de toutes les éditions imprimées du vivant de Racine. Louis Racine dit dans ses Notes sur la langue des Plaideurs, que c’est une faute d’impression. Plusieurs éditeurs, adoptant sans doute cette opinion, qui n’est nullement fondée, ont imprimé : « Il s’y serait couché. »

[22] Son timbre est brouillé, c’est-à-dire sa cervelle est brouillée, dérangée. On dit plus souvent dans ce sens : « son timbre est fêlé. » Des commentateurs ont blâmé l’expression de Racine. La métaphore ne veut pas être ici analysée si exactement, et pourrait d’ailleurs être justifiée.

[23] Patenôtres signifie le plus souvent des pater noster, des prières. Petit Jean donne ce nom aux formules inintelligibles, au grimoire que récite son maître.

[24] L’esclave Xanthias, dans les Guêpes d’Aristophane, fait de la folie de son maître Philocléon un tableau à peu près semblable.

[25] Ce trait est emprunté à Aristophane.

[26] Graisser la patte signifie corrompre en donnant de l’argent.

[27] Ce mot, dans les anciennes éditions, est constamment écrit : baailler.

[28] L’édition de 1736 et celle de M. Aimé-Martin donnent ici l’indication : « Il se couche par terre. »

[29] L’édition de M. Aimé-Martin fait précéder ce vers de l’indication : « À part. »

[30] Faire le pied de grue, attendre longtemps sur ses pieds, comme une grue se tient immobile sur une jambe.

[31] Boileau s’est aussi servi du mot gueule, en parlant de la chicane, dans la satire VIII (vers 299) :

Lorsqu’il entend de loin d’une gueule infernale

La chicane en fureur mugir dans la grand’salle.

Gaultier, célèbre avocat de ce temps, était surnommé Gaultier la Gueule.

[32] « Il y avait alors... un président si amoureux de son métier qu’il l’exerçait dans son domestique. Quand son fils lui représentait qu’il avait besoin d’un habit neuf, il lui répondait gravement : Présente ta requête... et quand le fils lui avait présenté sa requête, il répondait par un : Soit communiqué à sa mère. » (Louis Racine, Comparaison des Plaideurs et de la comédie d’Aristophane intitulée les Guêpes, au tome I des Remarques sur les Tragédies de Jean Racine, p. 217 et 218.)

[33] Il y a, dans les anciennes éditions, comparestre, pour rimer avec fenestre.

[34] Comparaître, élargir, hors de cour, sont des termes de Palais.

[35] Il y a une lutte semblable entre Philocléon et les esclaves qui le gardent.

[36] Aujourd’hui le dossier, dans la langue du Palais, a remplacé le sac. Rabelais plaisante aussi beaucoup sur les sacz où « sont contenues, comme il dit, les escriptures et autres procédures, » sur « les sacz de toille plains d’informations. » Lorsque les procès « sont bien ensachez, on les peut vrayement dire membrez et formez... Les sergeans, huissiers, appariteurs, chicquaneurs, procureurs... etc., suegeans bien fort et continuellement les bourses des parties, engendrent a leurs proces, teste, pieds, griphes, bec, dens, mains, venes, artères, nerfz, muscles, humeurs. Ce sont les sacz... La vraie étymologie de proces est en ce qu’il doit avoir... prou sacz. » (Pantagruel, livre III, chapitre XLII.)

[37] « On portait encore des rubans au temps de Racine. C’était un reste de l’ancien habillement déchiqueté. Aujourd’hui les comédiens substituent au mot de rubans celui de boutons. » (Note de l’édition de 1768.) On pourrait croire que les comédiens se permettaient encore ce changement ridicule au temps où la Harpe écrivait son commentaire, puisqu’il a reproduit cette note, sans en citer la source, et semble se l’approprier.

[38] Il y a bien hupés, et non huppés, dans les anciennes éditions.

[39] Var. Enfin, pour se chauffer, venir tourner la broche. (1676)

[40] Ce trait, suivant Brossette, aurait été fourni à Racine par un récit que l’on faisait des larcins de Marie Ferrier, femme de Jacques Tardieu, lieutenant criminel de Paris. Voici le commentaire de Brossette sur le vers 253 de la satire X de Boileau : « Mme Tardieu n’entrait jamais dans une maison qu’elle n’escroquât quelque chose... C’est d’elle que Racine a dit dans ses Plaideurs :

Elle eût du buvetier emporté les serviettes..., etc.

Elle avait effectivement pris quelques serviettes chez le buvetier du Palais. »

[41] Bdélycléon, dans les Guêpes (vers 199 et 200), ordonne de même à Sosie de fermer la porte au verrou et de tout barricader.

[42] Au tome II, p. 260, du Ducatiana (Amsterdam, 1738,  2 vol. in-12), on dit que Racine a fait ici un emprunt au Mensa philosophica, ce petit livre de Thibauld d’Auguilbert auquel Molière doit l’idée de son Médecin malgré lui. Dans le Mensa philosophica, livre IV, chapitre XXXIII, de Advocatis, on raconte l’anecdote d’un avocat mourant, qui ne veut pas communier si un arrêt n’est rendu par des juges compétents pour le lui prescrire : « Advocatus quidam, cum graviter infirmaretur, et dicerent ci ut communicaret : Volo, inquit, ut mihi judicetur, an debeum facere, necne. Et cum adstantes diccrent ei : « Judicamus quod sic, Appello, inquit, tanquam ab iniqua sententia, quia non estis judices mei. Et sic mortuus est. »

[43] Var. Qu’on ne le quitte point. Toi, l’Intimé, demeure. (1669)

[44] Var. Quoi ? vous faut-il garder ?

LÉANDRE.

J’en aurais bien besoin. (1669-87)

[45] LÉANDRE, montrant le logis d’Isabelle. (1736 et M. Aimé-Martin)

[46] Var. À qui n’en veut-il point ? Je crois qu’à l’audience. (1669-87)

[47] Dans l’édition de 1669, il n’y a qu’une virgule à la fin de ce vers ; point et virgule à la fin du vers suivant.

[48] Pour le tour de cette phrase, voyez la note sur le vers 1410 d’Andromaque. Racine a dit aussi dans Britannicus (vers 979) :

J’ai vu sur ma ruine élever l’injustice.

[49] Cette parodie du vers 35 du Cid :

Ses rides sur son front ont gravé ses exploits,

blessa Corneille. « J’ai vu, dit le Menagiana (tome III, p. 306 et 307), feu M. Corneille fort en colère contre M. Racine pour cette bagatelle... « Quoi ?  disait M. Corneille, ne tient-il qu’à un jeune homme de venir tourner en ridicule les plus beaux vers des gens ? » Nous ferons remarquer, aux vers 368 et 601, deux autres parodies de vers du Cid.

[50] C’est ce que dit Rabelais d’un chicquanous a rouge muzeau : « Si en tout le territoyre nestoyent que trente coupz de bastons a guaingner, il en emboursoyt tousiours vingthuyet et demy. » (Pantagruel, livre IV, chapitre XVI.)

[51] Dans la maîtrise, il y avait certains droits particuliers pour ceux qui étaient fils de maître. Ici l’expression est figurée.

[52] Var. Tu porterais au père un faux exploit ?

L’INTIMÉ.

Quoi donc ? (1669-87)

[53] Var. Prends-moi dans ce clapier trois lapins de garenne. (1669 et 76)

[54] CHICANNEAU, frappant à la porte. (1736 et M. Aimé-Martin)

[55] PETIT JEAN, fermant la porte. (Ibidem)

[56] CHICANNEAU, frappant à la porte. (Ibidem)

[57] PETIT JEAN, prenant l’argent. (1736 et M. Aimé-Martin)

[58] Après ce vers les mêmes éditions donnent de nouveau l’indication : « Fermant la porte. »

[59] Racine a pu tirer de quelque vieil auteur le nom de Pimbesche, comme il a fait ceux de Dandin et de Chicanneau. En tout cas, c’était un nom déjà connu. Le Dictionnaire anglais et français de Cotgrave (Londres, 1611) donne le mot Pimbesche, qu’il définit : « A wilie queane, subtile wench... ; one that can finely execute her mistresses knavish devises. » Mais il n’y a rien là qui convienne au caractère de notre comtesse. L’édition de 1694 du Dictionnaire de l’Académie explique ainsi le même mot : « Terme de mépris, dont on se sert en parlant d’une femme impertinente, qui fait la capable. » Ce n’est pas encore tout a fait ce que nous cherchons. Nous ignorons si Racine avait ailleurs rencontré Pimbesche employé, avant lui, dans un sens moins éloigné de celui qu’il lui a donné.

[60] Si pourtant se disait autrefois pour signifier cependant. Racine a mis une seconde fois (vers 558) cette locution surannée dans la bouche du vieux bourgeois plaideur, à qui elle sied bien. Luneau de Boisjermain ayant fait remarquer que si pourtant ne se disait plus, la Harpe le contredit, et avertit « qu’il ne faut pas induire en erreur les étrangers, qui pourraient croire en lisant les vers d’Iphigénie :

Si pourtant ce respect, si cette obéissante, etc.,

que Racine a employé une locution hors d’usage » Il paraîtrait que la Harpe faisait un contre-sens sur le vers des Plaideurs.

[61] Furetière dit, à la page 423 de son Roman bourgeois (Paris, Claude Barbin. 1666, 1 vol. in-12) : « Il n’y a rien de plus naturel à des plaideurs que de se conter leurs procès les uns aux autres. Ils font facilement connaissance ensemble, et ne manquent point de matière pour fournir à la conversation. »

[62] Les éditions imprimées du vivant de Racine ont partout chicanneur, chicanne, ce qui explique l’orthographe du nom de Chicanneau, que nous avons cru devoir conserver.

[63] Cizeron-Rival, dans ses Récréations littéraires, p. 104 et 105, croît que Racine a fait ici un emprunt à un poème poitevin. C’est peut-être chercher un peu loin l’origine d’une plaisanterie que notre poète a bien pu imaginer sans ce secours. Quoi qu’il en soit, voici la petite découverte de Cizeron-Rival : « Racine a pris l’idée de cet incident du procès de Chicanneau dans la Gente Poitevin’rie, poème en langage poitevin imprimé à Poitiers en 1610. Il est parlé dans cet ouvrage d’un procès qu’un paysan poitevin avait fait à son voisin, en réparation du dommage fait à ses champs par cinq ou six oisons de ce même voisin. »

[64] Les éditions anciennes ont toutes six-vingt, sans s.

[65] Louis Racine, dans ses Mémoires, dit que ce fut M. de Brilhac, conseiller au parlement de Paris, qui apprit à Racine ces termes de Palais. On les trouve pour la plupart dans ce passage de Rabelais, qui, au besoin, a pu, tout aussi bien que M. de Brilhac, les enseigner à Racine : « ayant bien veu, reueu, leu, releu, paperassé et feuilleté les complainctes, adiournemens,... contredictz, requestes, enquestes, replicques, duplicques, triplicques,... lettres royaux, compulsoires, declinatoires, apoinctemens,... exploictz, et autres telles dragées et espisseryes... » (Pantagruel, livre III, chapitre XXXIX.)

[66] La requête civile est celle qu’on présente à une cour souveraine, pour en obtenir qu’elle revoie et juge de nouveau la même affaire sur laquelle elle a déjà rendu un arrêt définitif auquel il n’y a plus lieu de former opposition.

[67] « Les traits des poètes comiques paraissent quelquefois outrés, et ne le sont pas. Il est rapporté dans l’éloge historique de M. Boivin l’aîné qu’il soutint un procès pour une redevance de vingt-quatre sols, dont il prétendait qu’une maison qu’il avait achetée en Normandie devait être exempte. Ce procès, qu’il perdit, dura douze ans, et lui coûta douze mille livres de frais. » (Louis Racine, dans ses Remarques sur les Plaideurs.)

[68] Dans les éditions de 1669-87 il y a : « quelques soixante ans. »

[69] Var. Avez-vous dit, Madame ?

LA COMTESSE.

Oui, Monsieur.

CHICANNEAU.

J’irais donc. (1669-87)

[70] L’édition de 1702 et la plupart des suivantes écrivent voi ! ou voy ! avec un point d’exclamation. C’est en effet ici une interjection d’impatience. Nous avons trouvé deux exemples de l’exclamation : voy ! dans la comédie du Champenois Pierre de Larivey, intitulée : les Jaloux (acte I, scène I, et acte II, scène I). Voyez l’Ancien théâtre français de la collection Jannet, tome VI, p. 9 et p. 21.

[71] Brossette, dans une note sur le vers 105 de la satire III de Boileau, dit que Racine dut l’idée de cette scène à un récit que lui fit Boileau : « B. D. L., dit-il, cousin issu de germain de notre auteur (de Boileau), était neveu de M. de L..., grand audiencier de France, qui lui avait acheté une charge de président à la cour des Monnaies... Il allait souvent chez M. Boileau le greffier, frère aîné de M. Despréaux. Ce fut là que se passa entre ce même M. D. L. et la comtesse de Crissé cette scène plaisante et vive qui a été décrite par M. Racine sous les noms de Chicanneau et [de] la comtesse de Pimbêche. La comtesse de Crissé était une plaideuse de profession, qui a passé toute sa vie dans les procès, et qui a dissipé de grands biens dans cette occupation ruineuse. Le Parlement, fatigué de son obstination à plaider, lui défendit  d’intenter aucun procès sans l’avis par écrit de deux avocats que la cour lui nomma. Cette interdiction de plaider la mit dans une fureur inconcevable. Après avoir fatigué de son désespoir les juges, les avocats et son procureur, elle alla encore porter ses plaintes à M. Boileau le greffier, chez qui se trouva par hasard M. de L... dont il s’agit. Cet homme, qui voulait se rendre nécessaire partout, s’avisa de donner des conseils à cette plaideuse. Elle les écouta d’abord avec avidité ; mais par un malentendu qui survint entre eux, elle crut qu’il voulait l’insulter, et l’accabla d’injures. M. Despréaux, qui était présent à cette scène, en fit le récit à M. Racine, qui l’accommoda au théâtre et l’inséra dans la comédie des Plaideurs. Il n’a presque fait que la rimer. La première fois que l’on joua cette comédie, on donna à l’actrice qui représentait la comtesse de Pimbêche un habit de couleur de rose sèche et un masque sur l’oreille qui était l’ajustement ordinaire de la comtesse de Crissé. » Le parent de Boileau que Brossette désigne par les initiales B. D. L. était Balthazard de Lyonne. Il n’était point cousin issu de germain de Boileau, mais son cousin au septième degré, comme l’établit M. Berriat-Saint-Prix, Œuvres de Boileau, tome III, p. 478 (Erreurs de Brossette). Les autres inexactitudes que M. Berriat-Saint-Prix relève dans la note de Brossette, en ce qui concerne Balthazard de Lyonne, lui rendent suspecte l’historiette du commentateur. Toutefois le Menagiana, recueil plus ancien que le commentaire de Brossette, et imprimé du vivant de Racine, raconte la même anecdote, avec un peu moins de détails, et sans pouvoir nommer la Comtesse : « La scène des Plaideurs de M. Racine où Chicanneau se brouille avec la Comtesse... est arrivée, de la même manière qu’on la rapporte, chez M. Boileau le greffier. Chicanneau était M. le président de L****. Je ne sais point qui était la Comtesse, mais j’ai su autrefois son nom ; et il me souvient seulement que lorsqu’on la joua pour la première fois, on avait conservé à celle qui la représentait sur le théâtre un habit de couleur de rose sèche et un masque sur l’oreille, qui était l’ajustement ordinaire de cette comtesse. » (Menagiana, tome III, p. 24 et 25.)

[72] PETIT JEAN, à la Comtesse. (1736 et M. Aimé-Martin)

[73] Avant les mots : « Vous avez tort, » l’édition de 1736 et celle de M. Aimé-Martin donnent l’indication : « PETIT JEAN, à Chicanneau. »

[74] PETIT JEAN, seul. (1736 et M. Aimé-Martin)

[75] M. Marty-Laveaux, dans les Œuvres de Corneille, rapproche ce vers du vers 1132 de la Suite du Menteur :

Nous aurons tout loisir de nous entretenir.

S’il y a plagiat, il est véniel.

[76] L’édition de 1736 et M. Aimé-Martin donnent ici l’indication suivante : « L’Intimé va frapper à la porte d’Isabelle. »

[77] Var. Monsieur, vous me prenez pour un autre sans doute. (1676)

[78] Var. Que l’on ne gagne guère à plaider contre lui. (1669 et 76)

[79] ISABELLE, apercevant Chicanneau. (1736 et M. Aimé-Martin)

[80] ISABELLE, à l’Intimé. (Ibidem)

[81] Déchirant le billet. (Ibidem)

[82] Il faut prononcer lisoit, comme il est écrit ; et de même un peu plus bas, vers 369, le Praticien françois. Ce n’était plus la prononciation de la cour, ni celle du monde poli, mais c’était encore celle du Palais. « Vaugelas (Remarque CX) nous apprend que les gens de Palais prononçaient encore de son temps à pleine bouche la diphtongue oi ; et cette coutume sans doute s’était conservée jusqu’au temps de Racine, du moins parmi les vieux procureurs. Ainsi c’est à dessein et avec grâce qu’il fait parler de cette sorte Chicanneau, plaideur de profession. » (D’Olivet, Remarques de grammaire sur les Plaideurs.) Le même d’Olivet (ibidem), à propos du vers :

Va, je t’achèterai le Praticien françois,

ajoute : « Quand je haranguai la reine de Suède, dit Patru (note sur Vaugelas, Remarque CX), je prononçai « l’Académie françoise, » suivant l’avis de la Compagnie. Thomas Corneille (note sur Vaugelas, Remarque CCCCXIII) veut aussi qu’en parlant publiquement on dise les François. » D’Olivet dit même que l’évêque de Mirepoix (Jean-François Boyer), lorsqu’il avait été reçu à l’Académie française (ce fut en 1736), « venait encore de suivre l’usage de nos pères. »

[83] C’est une parodie du vers 266 du Cid :

Viens, mon fils, viens, mon sang, viens réparer ma honte.

[84] Ce livre de Lepain, avocat au Parlement, a eu plusieurs éditions qui ont successivement paru sous les titres de : le Vrai Praticien François, le Vrai et nouveau Praticien François, le Parfait Praticien François. Chicanneau pouvait offrir à sa fille l’édition de 1666, revue par L. F. (F. Desmaisons), avocat au Parlement.

[85] ISABELLE, à l’Intimé. (1736 et M. Aimé-Martin)

[86] ISABELLE, à l’Intimé. (Ibidem)

[87] L’INTIMÉ, se mettant en état d’écrire. (1736 et M. Aimé-Martin)

[88] Zeste. Chicanneau interrompt sa lecture de l’exploit par cette interjection de mépris, que le Dictionnaire de l’Académie a toujours écrite Zest !

[89] À part. (1736 et M. Aimé-Martin)

[90] Michault, dans ses Mélanges historiques et philologiques (M.DCC.LIV), p. 386 et 387, dit que la Logique de Port-Royal, qui est de MM. Arnauld et Nicole, parut sous le titre de Logique de M. le Bon. Il ajoute : « Je suis comme persuadé que Racine, dans le temps qu’il était brouillé avec Messieurs de Port-Royal, affecta, par rapport à eux et pour les mystifier, de donner dans sa comédie des Plaideurs le nom de le Bon à un sergent. » Il est possible que Racine ait emprunté à Port-Royal le pseudonyme de le Bon. Ce n’était pas une mystification bien méchante.

[91] Var. Et fait tomber du coup mon chapeau dans la boue. (1669 et 76)

[92] CHICANNEAU, lui donnant un coup de pied. (1736 et M. Aimé-Martin)

[93] Cette plaisanterie sur les sergents est dans Rabelais : « Les chicquanous gaignent leur vie a estre battuz. De mode que si par long temps demouroyent sans estre battuz, ilz mourroient de male faim, eulx, leurs femmes et enfans... Quand ung moyne, presbtre, usurier ou aduocat veult mal a quelque gentilhomme de son pays, il enuoye vers luy ung de ces chicquanous : chicquanous le citera, ladiournera, le oultraigera, le iniurira impudentement, suyuant son record et instruction ; tant que le gentilhomme, s’il n’est paralyticque de sens,... sera contrainct de luy donner bastonnades... Cela faict, voyla chicquanous riche pour quatre moys ; comme si coupz de baston feussent ses naifues moissons. » (Pantagruel, livre IV, chapitre XII.) – Au chapitre XVII du même livre de Pantagruel, frère Jean fait essai du naturel des chicquanous en les battant. Un d’eux, bien battu, lui dit : « Monsieur, si mauez treuué bonne robbe, et vous plaist encore en me battant vous esbattre, je me contenteray de la moitié du iuste prix. »... »Les aultres chicquanous se retyroyent vers Panurge, Epistemon, Gymnaste et aultres, les supplians deuotement estre par eulx a quelque petit prix battuz : aultrement estoyent en dangier de bien longuement ieusner. »

[94] CHICANNEAU, tenant un bâton. (1736 et M. Aimé-Martin)

[95] Au lieu de contumace, l’édition de 1669 a ici coutumace, et de même plus loin, au vers 456.

[96] LÉANDRE, en robe de commissaire. (1736 et M. Aimé-Martin)

[97] Voici encore une rencontre avec Corneille, qui paraît fortuite. S’il y a eu réminiscence, peu importe :

Elle a donc déchiré mon billet sans le lire.

(Le Menteur, vers 1653.)

[98] LÉANDRE, à l’Intimé. (1736 et M. Aimé-Martin)

[99] À Isabelle. (Ibidem)

[100] LÉANDRE, à l’Intimé. (1736 et M. Aimé-Martin)

[101] LÉANDRE, bas à Isabelle. (1736 et M. Aimé-Martin)

[102] CHICANNEAU, à part. (Ibidem)

[103] Luneau de Boisjermain rapproche ce jeu de mots d’une épigramme de Saint-Amand sur l’incendie du Palais :

Certes l’on vit un triste jeu

Quand à Paris Dame Justice

Se mit le Palais tout en feu

Pour avoir trop mangé d’épice.

Autrefois on appelait épices des confitures, des dragées. L’usage s’établit de présenter des boîtes de confitures aux juges, après le jugement du procès. Ce petit don volontaire se changea insensiblement eu une rétribution exigée, qui finit par se payer en argent.

[104] DANDIN, à une fenêtre. (1736). DANDIN, à une lucarne du toit. (M. Aimé- Martin)

[105] Philocléon se sauve aussi par les gouttières.

Racine peut bien ne s’être pas seulement souvenu ici d’Aristophane, mais avoir pensé aussi à une anecdote bien connue alors, et que Tallemant a contée dans ses Historiettes (tome I, p. 453) : « M. de Portail était un conseiller au parlement de Paris, fort homme de bien, mais fort visionnaire. Il avait retranché son grenier, y avait fait son cabinet, et ne parlait aux gens que par la fenêtre de son grenier. » Tallemant représente ensuite M. de Portail « la tête à la lucarne, » donnant audience à des pâtissiers qui venaient le remercier de l’arrêt rendu par lui dans une affaire de leur communauté, et, un autre jour, à un procureur qu’il laisse se morfondre dans sa cour.

[106] Ces traits comiques ont pu être suggérés à Racine par Furetière. On trouve quelque chose de semblable dans le Roman bourgeois, p. 432-434 : « En continuant dans le style ordinaire des plaideurs, qui vont rechercher des habitudes auprès des juges dans une longue suite de générations et jusqu’au dixième degré de parenté et d’alliance, Collantine (c’est, dans le Roman bourgeois, le nom de la demoiselle chicaneuse) demanda à Charroselles s’il ne lui pourrait point donner quelques adresses pour avoir de l’accès auprès de quelques autres conseillers... Il lui dit : « Je connais assez le secrétaire du secrétaire de celui-là ; je puis, par son moyen, faire recommander votre procès au maître secrétaire et par le maître secrétaire à Monsieur le conseiller... Ma belle-sœur a tenu un enfant du fils aîné de celui-là, chez lequel elle est cuisinière ; je puis lui faire tenir un placet par cette voie. »

[107] DANDIN, se retirant de la fenêtre. (1736). DANDIN, se retirant de la lucarne du toit. (M. Aimé-Martin)

[108] Nous croirions volontiers que la Comtesse prononçait crieu. Toutefois la rime peut bien ici, comme aux vers 389 et 390, 737 et 738, n’être pas si exacte.

[109] Nouvel exemple dans cette pièce de si pourtant.

[110] Var. Monsieur, vous voulez bien... (1669)

[111] Cartaut est l’orthographe des éditions publiées du vivant de Racine. L’Académie (1694) et Furetière (1690) écrivent quartaud, quartaut.

[112] Le germe de cette plaisanterie se trouve dans la satire de Furetière, le Déjeuner d’un procureur. Si Furetière a donné l’idée, Racine l’a assaisonnée d’un bien meilleur sel. Dans la satire, le plaideur, qui a été trouver son procureur, parle ainsi :

« Vous m’importunez bien, mon ami, me dit-il ;

Vous croyez que je songe à votre seule affaire ;

Voyez le rapporteur, parlez au secrétaire :

Ils sont allés aux champs, et n’ont rien fait du tout.

C’est beaucoup si d’un mois vous en venez à bout.

– Excusez, dis-je alors, Monsieur, je ne vous presse

Qu’après m’avoir donné votre parole expresse.

J’aurais plus attendu ; mais souffrez qu’à présent

D’un levraut que j’ai pris je vous fasse un présent... »

À ces mots il se lève, et m’ôte son bonnet..., etc.

Cela fait aussi souvenir des vers 168 et 169 des Plaideurs :

Prends-moi dans mon clapier trois lapins de garenne,

Et chez mon procureur porte-les ce matin.

[113] Voici pour la troisième fois un vers du Cid (le vers 227) parodié dans cette pièce :

Achève, et prends ma vie après un tel affront.

[114] Bdélycléon donne le même conseil à son père.

[115] Philocléon répond à son fils, à peu près comme Dandin.

[116] Var. Contre un de nos voisins... (1669)

[117] Le commencement de cette scène est imité d’Aristophane. L’esclave Xanthias entrant brusquement en scène, comme Petit Jean, poursuit le chien Labès, qui vient d’emporter un fromage de Sicile.

[118] Un amené signifie un ordre d’amener.

[119] Var.

[LÉANDRE.

Hé ! l’on te soufflera.]

PETIT JEAN.

Je vous entends, oui ; mais d’une première cause,

Monsieur, à l’avocat revient-il quelque chose ?

LÉANDRE.

Ah, fi ! Garde-toi bien d’en vouloir rien toucher :

C’est la cause d’honneur, on l’achète bien cher.

On sème des billets par toute la famille ;

Et le petit garçon et la petite fille,

Oncle, tante, cousins, tout vient, jusques au chat,

Dormir au plaidoyer* de Monsieur l’avocat.

DANDIN.

[Allons nous préparer. Çà, Messieurs, point d’intrigue.] (1669)

* Il y a plaidoyé dans l’édition de 1669.

[120] Var. Et dans une poursuite à vous-même funeste,

Vous en voulez encore absorber tout le reste.

Ne vaudrait-il pas mieux, sans soucis, sans chagrins,

Et de vos revenus régalant vos voisins.

Vivre en père jaloux du bien de sa famille,

Pour en laisser un jour le fonds à votre fille,

Que de nourrir un tas d’officiers affamés

Qui moissonnent les champs que vous avez semés ;

Dont la main toujours pleine, et toujours indigente,

S’engraisse impunément de vos chapons de rente ?

Le beau plaisir d’aller, tout mourant de sommeil,

À la porte d’un juge attendre son réveil,

Et d’essuyer le vent qui vous souffle aux oreilles.

Tandis que Monsieur dort, et cuve vos bouteilles !

Ou bien, si vous entrez, de passer tout un jour

À compter, en grondant, les carreaux de sa cour !

Hé ! Monsieur, croyez-moi, quittez cette misère.

CHICANNEAU.

[Vraiment, vous me donnez un conseil salutaire.] (1669)

[121] L’INTIMÉ et PETIT JEAN, en robe. (1736 et M. Aimé-Martin)

[122] Cette idée du Souffleur a peut-être été empruntée au Roman bourgeois (p. 503), où Belastre, prévôt très ignorant, a besoin de ce que Furetière appelle un siffleur. « Il y avait un advocat qui montoit au siège auprès de lui, pour lui servir de conseil ou de trucheman, qui lui souffloit mot à mot tout ce qu’il aurait à prononcer. »

[123] Il y a ici, dans l’édition de 1736 et dans celle de M. Aimé-Martin, l’indication : « Au souffleur. »

[124] Dans les Plaidoyés de M. Gaultier (tome II, publié par Gueret, 1688), le quatorzième plaidoyer, contre la Requête civile touchant le Prieuré de la Charité, prononcé au mois d’août 1646, et dans lequel nous aurons à signaler une autre imitation de Racine, a un exorde dont le tour rappelle celui de Petit Jean : « Messieurs, quand je vois dans cette cause le concours de tant de puissances,... quand je considère ce partage de brigues et de faveurs, etc. » La ressemblance a déjà été signalée dans le commentaire des Historiettes de Tallemant des Réaux (édition de 1858), tome II, p. 190. Mais peut-être la répétition ; quand je vois, quand je vois, et la boutade : Quand aura-t-il tout vu ? ont-elles été suggérées à Racine par la lecture du livre dixième de d’Alaric de Scudéry, dans lequel une quarantaine de vers commencent invariablement par : Je vois, Je vois.

[125] Babyloniens.

[126] Persans.

[127] Macédoniens.

[128] Romains.

[129] Despotique.

[130] Démocratique.

(Notes de Racine, placées entre les lignes dans les anciennes éditions.)

[131] « Quand l’Intimé répond au juge qui lui demande s’il sera long, en disant oui contre la coutume, c’est M. de Montauban ; et il me souvient de lui avoir entendu dire en pareille occasion par Monsieur le premier président : « Du moins, vous êtes de bonne foi. » (Menagiana, tome III, p. 26.)

[132] « Par l’Intimé qui emploie, dans une cause de bibus (une cause qui roule sur une bagatelle), le magnifique exorde de l’oraison [de Cicéron] pro Quintio : « Quæ res in civitate duæ plurimum possunt, hæ contra nos ambæ faciunt in hoc tempore, summa gratia et eloquentia, etc., » on a voulu tourner en ridicule M. P..., qui, dans un procès qu’un pâtissier avait pour une vétille contre un boulanger, s’était servi du même exorde. J’ai entendu dire que l’avocat de la partie adverse lui dit : « Maître P**** ne se tiendra pas pour interrompu, si je lui dis que pour l’éloquence, je n’en ai jamais été autrement soupçonné ; quant au crédit de ma partie, c’est un maître boulanger de petit pain. » (Menagiana, tome III, p. 25.) M. P est, dit-on généralement, M. Patru. Peut-être, comme nous l’avons dit dans la Notice, n’est-il pas très vraisemblable que Racine ait cru trouver matière à s’égayer à ses dépens. D’ailleurs l’anecdote du Menagiana est une de celles qui couraient depuis longtemps, et qu’on attribuait à différents avocats. Tallemant des Réaux (tome VII, p. 273) la conte aussi à sa manière : « Un jeune advocat, ayant à plaider contre un nommé Desfitas, bon praticien et non autre chose, s’avisa de prendre l’exorde de l’oraison pour Quintius. Desfitas aussitôt prit la parole et dit : « Messieurs, l’advocat de la partie adverse ne se tiendra pas pour interrompu : je ne me pique point d’éloquence, et ma partie est un savetier. »

[133] Nous avons suivi la ponctuation de toutes les anciennes éditions. M. Aimé-Martin ponctue ainsi :

L’ancre de vos bontés nous rassure. D’ailleurs,

Devant, etc.

[134] La cause du vainqueur a pour elle les Dieux, la cause du vaincu a pour elle Caton. (Lucain, Pharsale, livre I, vers 128.) – Racine a peut-être emprunté cette citation au quatorzième plaidoyer, déjà cité, de l’avocat Gaultier : « Que dirai-je davantage ? Le ciel qui a décidé du droit des combats a pris notre parti contre vous,

Victrix causa Diis placuit.

Et faites les Catons, tant que vous voudrez, par des jugements téméraires et présomptueux, pour témoigner que la cause des vaincus vous plaît, etc. »

[135] « Dans le premier livre de la Politique. »

[136] « Ceci, dit Luneau de Boisjermain, est une imitation de l’épigramme XIX du livre VII de Martial, in Posthumum causidicum, que M. de la Monnoye a traduite ainsi :

Pour trois montons qu’on m’avait pris,

J’avais un procès au bailliage.

Gui, le phénix des beaux esprits,

Plaidait ma cause et faisait rage.

Quand il eut dit un mot du fait,

Pour exagérer le forfait

Il cita la faille et l’histoire,

Les Aristotes, les Platons.

Gui, laissez là tout ce grimoire,

Et retournez à vos moutons. »

[137] Ce vers est ainsi ponctué dans les éditions de 1669 et de 1676 :

Oui mais. L’autorité du Péripatétique, etc.

Le Péripatétique est Aristote, chef de l’école dite péripatéticienne.

[138] Pausanias, historien grec du second siècle. Son Voyage en Grèce est divisé en dix livres, dont chacun porte le nom de la contrée qu’il décrit : les Attiques, les Corinthiaques, etc.

[139] Rebuffe (Pierre Rebuffi), jurisconsulte français, né en 1487, mort en 1557, a écrit sur les matières bénéficiales. – Le grand Jacques pourrait bien être Jacques Cujas, né à Toulouse en 1520, mort en 1590.

[140] Var. Armen Pul en son Prompt... (1669)

La citation de l’Intimé est interrompue. Il allait dire : « Armeno Pul in Promptuario. » Constantin Harmenopul ou Harmenopoulos est un jurisconsulte grec du quatorzième siècle. Son ouvrage, autrefois célèbre, Manuel des lois, a été plusieurs fois traduit en latin, sous le titre de Promptuarium juris civilis. – Nous avons, pour ce nom d’Harmenopul, conservé l’orthographe des éditions imprimées du vivant de Racine. L’édition de 1736 donne, comme les éditions les plus récentes, Harmenopul. Nous ne saurions dire si ce nom a été défiguré par la faute des imprimeurs, ou si on le citait ainsi au temps de Racine. – Louis Racine défigure encore plus le nom de ce jurisconsulte. Il le nomme Aménophus.

[141] La colère de Dandin contre l’Intimé, et ses cris répétés : Au fait, forment une scène que le Palais avait vue souvent. Tallemant (tome VII, p. 275) a encore ici une petite historiette qu’il est à propos de citer : « À Thoulouse un jeune advocat commença son plaidoyer par : « Le Roy Pyrrhus. » Il y avait alors un président fort rébarbatif, qui lui dit : Au fait ! au fait ! Quelqu’un eut pitié du pauvre garçon, et représenta que c’estoit une première cause. « Eh bien ! dit le président, parlez donc, l’advocat du Roy Pyrrhus. »

[142] Les éditions de 1702, de 1713, de 1728 donnent : la maison.

[143] Les anciennes éditions ont : « le sellier. »

[144] L’Intimé cite la loi imaginaire : «Si quis canis, » si quelque chien, titre « de Vi, » de la Violence, paragraphe « Caponibus, » des Chapons, dans le Digeste. On sait que le Digeste est un recueil de décisions des jurisconsultes, composé par l’ordre de l’empereur Justinien.

[145] Bdélycléon fait valoir de semblables services en faveur du chien Labès.

[146] La phrase, deux fois interrompue, de Petit Jean paraît devoir être lue de suite : « Maître Adam l’Intimé s’enroue. » Ce nom d’Adam n’est donné à l’Intimé dans aucun autre passage de la pièce. Nous hasarderons cette explication : Petit Jean, qui veut appeler l’Intimé maître, de même que celui-ci l’a appelé maître Petit Jean, et qui ne connaît d’autre maître que Maître Adam, le poète populaire, ajoute à la qualification de maître le nom d’Adam, comme s’il en était inséparable.

[147] Pour la ponctuation de ce vers et des cinq vers suivants nous avons suivi le texte de 1669. Les éditions suivantes ont de moins la virgule après exposer, au vers 793 ; l’édition de 1697 n’en a pas non plus après le premier nous, au vers 792.

[148] Compendieusement signifie : en abrégeant. «  C’est une faute ridicule, dit M. Littré dans son Dictionnaire de la langue française, d’employer ce mot pour dire avec détail, sans rien omettre et tout au long. Il n’est pas sûr que Racine n’ait pas voulu la faire faire à son faux avocat. » Nous croyons qu’il faut s’en tenir à la remarque de M. Geruzez, que cite M. Littré dans le même article : « Compendieusement exprime si bien le contraire de ce qu’il signifie, que bien des gens y sont pris et lui donnent le sens de longuement. La Harpe a fort bien dit : « Où l’auteur a-t-il été chercher ce mot de six syllabes, qui tient un demi-vers, et qui signifie en abrégé ? C’est une bonne fortune. »

[149] Ce mot est écrit cahos dans les éditions publiées du vivant de Racine. L’orthographe est la même, en français, au vers 817.

[150] « La nature avait partout une même figure. C’est ce que les Grecs ont nommé le chaos, masse informe et confuse. » (Ovide, Métamorphoses, livre I, vers 6 et 7.) Dans le second vers le mot Græci est de trop. C’est une glose que des éditions à l’usage des écoliers ont parfois placée dans le texte entre parenthèses. – Après le vers 810, l’édition de 1736 et celle de M. Aimé-Martin ont cette indication : « Dandin, endormi, se laisse tomber. »

[151] L’édition de 1736 et celle de M. Aimé-Martin donnent ici la variante : « Je n’y connais plus rien. » Mais nous ne la trouvons que là.

[152] Var. Venez faire parler vos soupirs enfantins. (1669 et 76)

[153] « Tirez, tirez, terme, dit le Dictionnaire de l’Académie, dont on se servait autrefois pour chasser un chien. » Mascarille, dans l’Étourdi de Molière, acte IV, scène VIII, en fait une application irrévérencieuse à son maître Lélie :

Tirez, tirez, tous dis-je, ou bien je vous assomme.

[154] Var. Ils ont pissé partout.

L’INTIMÉ.

Monsieur, ce sont leurs larmes. (1669)

[155] L’édition de 1669 donne ainsi les noms des personnages : CHICANNEAU, ISABELLE, DANDIN, LÉANDRE, etc.; et elle omet le nom de celui qui commence la scène en disant : Monsieur.

[156] Les éditions de 1768, de 1808 et celle de M. Aimé-Martin ont avant ce vers l’indication : « DANDIN, à Petit Jean et a l’Intimé. » – L’édition de 1676, dans ce même vers, a : « pour vous seul. » Dans l’édition de 1807 (avec commentaires de la Harpe), l’éditeur adopte ce dernier texte, et dit : « Ceci s’adresse ironiquement à Chicanneau, et non pas affirmativement à l’Intimé et à Petit Jean. » Il suppose un point d’exclamation à la fin du vers.

[157] Les éditions de 1702, de 1713, de 1728 ont : cette enfant-là. Comme la phrase entière s’y lit : « quel est cette enfant-là ? » il doit y avoir-une faute d’impression, qui peut tomber aussi bien sur quel que sur cette.

[158] « Belastre ne laissait pas d’employer ses soins à faire la cour à Collantine et à lui conter des fleurettes aussi douces que des chardons... Il lui faisait bailler place commode dans les lieux publics, pour voir les pendus et les roues qu’il faisait exécuter. » (le Roman bourgeois, p. 533.) On se rappelle dans le Malade imaginaire (postérieur de quatre années aux Plaideurs) Thomas Diafoirus disant à Angélique (acte II, scène VI) : « Je vous invite à venir voir, l’un de ces jours, pour vous divertir, la dissection d’une femme. »

[159] LÉANDRE, lui montrant un papier. (1736 et M. Aimé-Martin)

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