L’Île de la Raison (MARIVAUX)

Comédie en trois actes et un prologue, en prose.

Représentée pour la première fois, à Paris, par les comédiens français, sur le Théâtre de la rue des Fossés Saint-Germain, le 11 septembre 1727.

 

Personnages du Prologue

 

LE MARQUIS

LE CHEVALIER

LA COMTESSE

LE CONSEILLER

L’ACTEUR

 

La scène est dans les foyers de la Comédie-Française.

 

Personnages de la comédie

 

LE GOUVERNEUR                                              

PARMENÈS, fils du Gouverneur                           

FLORIS, fille du Gouverneur

BLECTRUE, conseiller du Gouverneur

UN INSULAIRE                                         

UNE INSULAIRE

MÉGISTE, domestique insulaire

SUITE du Gouverneur

LE COURTISAN

LA COMTESSE, sœur du Courtisan

FONTIGNANC, Gascon, secrétaire du Courtisan

SPINETTE, suivante de la Comtesse

LE POÈTE

LE PHILOSOPHE

LE MÉDECIN

LE PAYSAN BLAISE

 

La scène est dans l’île de la Raison.

 

 

PRÉFACE

 

J’ai eu tort de donner cette comédie-ci au théâtre. Elle n’était pas bonne à être représentée, et le public lui a fait justice en la condamnant. Point d’intrigue, peu d’action, peu d’intérêt ; ce sujet, tel que je l’avais conçu, n’était point susceptible de tout cela : il était d’ailleurs trop singulier ; et c’est sa singularité qui m’a trompé : elle amusait mon imagination. J’allais vite en faisant la pièce, parce que je la faisais aisément.

Quand elle a été faite, ceux à qui je l’ai lue, ceux qui l’ont lue eux-mêmes, tous gens d’esprit, ne finissaient point de la louer. Le beau, l’agréable, tout s’y trouvait, disaient-ils ; jamais, peut-être, lecture de pièce n’a tant fait rire. Je ne me fiais pourtant point à cela : l’ouvrage m’avait trop peu coûté pour l’estimer tant ; j’en connaissais tous les défauts que je viens de dire ; et dans le détail, je voyais bien des choses qui auraient pu être mieux ; mais telles qu’elles étaient, je les trouvais bien. Et, quand la représentation aurait rabattu la moitié du plaisir qu’elles faisaient dans la lecture, ç’aurait toujours été un grand succès.

Mais tout cela a changé sur le théâtre. Ces Petits Hommes, qui devenaient fictivement grands, n’ont point pris. Les yeux ne se sont point plu à cela, et dès lors on a senti que cela se répétait toujours. Le dégoût est venu, et voilà la pièce perdue.

Si on n’avait fait que la lire, peut-être en aurait-on pensé autrement : et par un simple motif de curiosité, je voudrais trouver quelqu’un qui n’en eût point entendu parler, et qui m’en dît son sentiment après l’avoir lue : elle serait pourtant autrement qu’elle n’est, si je n’avais point songé à la faire jouer.

Je l’ai fait imprimer le lendemain de la représentation, parce que mes amis, plus fâchés que moi de sa chute, me l’ont conseillé d’une manière si pressante, que je crois qu’un refus les aurait choqués : ç’aurait été mépriser leur avis que de le rejeter.

Au reste, je n’en ai rien retranché, pas même les endroits que l’on a blâmés dans le rôle du paysan, parce que je ne les savais pas ; et à présent que je les sais, j’avouerai franchement que je ne sens point ce qu’ils ont de mauvais en eux-mêmes. Je comprends seulement que le dégoût qu’on a eu pour le reste les a gâtés, sans compter qu’ils étaient dans la bouche d’un acteur dont le jeu, naturellement fin et délié, ne s’ajustait peut-être point à ce qu’ils ont de rustique.

Quelques personnes ont cru que, dans mon Prologue, j’attaquais la comédie du Français à Londres. Je me contente de dire que je n’y ai point pensé, et que cela n’est point de mon caractère. La manière dont j’ai jusqu’ici traité les matières du bel esprit est bien éloignée de ces petites bassesses-là ; ainsi ce n’est pas un reproche dont je me disculpe, c’est une injure dont je me plains.

 

 

PROLOGUE

 

 

Scène première

 

LE MARQUIS, LE CHEVALIER

 

LE MARQUIS, tenant le Chevalier par la main.

Parbleu, Chevalier, je suis charmé de te trouver ici, nous causerons ensemble, en attendant que la comédie commence.

LE CHEVALIER.

De tout mon cœur, Marquis.

LE MARQUIS.

La pièce que nous allons voir est sans doute tirée de Gulliver ?

LE CHEVALIER.

Je l’ignore. Sur quoi le présumes-tu ?

LE MARQUIS.

Parbleu, cela s’appelle les Petits Hommes ; et apparemment que ce sont les petits hommes du livre anglais.

LE CHEVALIER.

Mais, il ne faut avoir vu qu’un nain pour avoir l’idée des petits hommes, sans le secours de son livre.

LE MARQUIS, avec précipitation.

Quoi ! sérieusement, tu crois qu’il n’y est pas question de Gulliver ?

LE CHEVALIER.

Eh ! que nous importe ?

LE MARQUIS.

Ce qu’il m’importe ? C’est que, s’il ne s’en agissait pas, je m’en irais tout à l’heure.

LE CHEVALIER, riant.

Écoute. Il est très douteux qu’il s’en agisse ; et franchement, à ta place, je ne voudrais point du tout m’exposer à ce doute-là : je ne m’y fierais pas, car cela est très désagréable, et je partirais sur-le-champ.

LE MARQUIS.

Tu plaisantes. Tu le prends sur un ton de railleur. Mais en un mot, l’auteur, sur cette idée-là, m’a accoutumé à des choses pensées, instructives ; et si on ne l’a pas suivi, nous n’aurons rien de tout cela.

LE CHEVALIER, raillant.

Peut-être bien, d’autant plus qu’en général (et toute comédie à part), nous autres Français, nous ne pensons pas ; nous n’avons pas ce talent-là.

LE MARQUIS.

Eh ! mais nous pensons, si tu le veux.

LE CHEVALIER.

Tu ne le veux donc pas trop, toi ?

LE MARQUIS.

Ma foi, crois-moi, ce n’est pas là notre fort : pour de l’esprit, nous en avons à ne savoir qu’en faire ; nous en mettons partout, mais de jugement, de réflexion, de flegme, de sagesse, en un mot, de cela,

Montrant son front.

n’en parlons pas, mon cher Chevalier ; glissons là-dessus : on ne nous en donne guère ; et entre nous, on n’a pas tout le tort.

LE CHEVALIER, riant.

Eh, eh, eh ! je t’admire, mon cher Marquis, avec l’air mortifié dont tu parais finir ta période : mais tu ne m’effrayes point ; tu n’es qu’un hypocrite ; et je sais bien que ce n’est que par vanité que tu soupires sur nous.

LE MARQUIS.

Ah ! par vanité : celui-là est impayable.

LE CHEVALIER.

Oui, vanité pure. Comment donc ! Malpeste ! il faut avoir bien du jugement pour sentir que nous n’en avons point. N’est-ce pas là la réflexion que tu veux qu’on fasse ? Je le gage sur ta conscience.

LE MARQUIS, riant.

Ah, ah, ah ! parbleu, Chevalier, ta pensée est pourtant plaisante. Sais-tu bien que j’ai envie de dire qu’elle est vraie ?

LE CHEVALIER.

Très vraie ; et par-dessus le marché, c’est qu’il n’y a rien de si raisonnable que l’aveu que tu en fais. Je t’accuse d’être vain, tu en conviens ; tu badines de ta propre vanité : il n’y a peut-être que le Français au monde capable de cela.

LE MARQUIS.

Ma foi, cela ne me coûte rien, et tu as raison ; un étranger se fâcherait : et je vois bien que nous sommes naturellement philosophes.

LE CHEVALIER.

Ainsi, si nous n’avons rien de sensé dans cette pièce-ci, ce ne sera pas à l’esprit de la nation qu’il faudra s’en prendre.

LE MARQUIS.

Ce sera au seul Français qui l’aura fait.

LE CHEVALIER.

Ah ! nous voilà d’accord ; et pour achever de te prouver notre raison, va-t’en, par exemple ; chez une autre nation lui exposer ses ridicules, et y donner hautement la préférence à la tienne : elle ne sera pas assez forte pour soutenir cela, on te jettera par les fenêtres. Ici tu verras tout un peuple rire, battre des mains, applaudir à un spectacle où on se moque de lui, en le mettant bien au-dessous d’une autre nation qu’on lui compare. L’étranger qu’on y loue n’y rit pas de si bon cœur que lui, et cela est charmant.

LE MARQUIS.

Effectivement cela nous fait honneur, c’est que notre orgueil entend raillerie.

LE CHEVALIER.

Il est moins neuf que celui des autres. Dans de certains pays sont-ils savants ? leur science les charge ; ils ne s’y font jamais, ils en sont tout entrepris. Sont-ils sages ? c’est avec une austérité qui rebute de leur sagesse. Sont-ils fous, ce qu’on appelle étourdis et badins ? leur badinage n’est pas de commerce ; il y a quelque chose de rude, de violent, d’étranger à la véritable joie ; leur raison est sans complaisance, il lui manque cette douceur que nous avons, et qui invite ceux qui ne sont pas raisonnables à le devenir : chez eux, tout est sérieux, tout y est grave, tout y est pris à la lettre : on dirait qu’il n’y a pas encore assez longtemps qu’ils sont ensemble ; les autres hommes ne sont pas encore leurs frères, ils les regardent comme d’autres créatures. Voient-ils d’autres mœurs que les leurs ? cela les fâche. Et nous, tout cela nous amuse, tout est bien venu parmi nous ; nous sommes les originaires de tous pays : chez nous le fou y divertit le sage, le sage y corrige le fou sans le rebuter. Il n’y a rien ici d’important, rien de grave que ce qui mérite de l’être. Nous sommes les hommes du monde qui avons le plus compté avec l’humanité. L’étranger nous dit-il nos défauts ? nous en convenons, nous l’aidons à les trouver, nous lui en apprenons qu’il ne sait pas ; nous nous critiquons même par galanterie pour lui, ou par égard à sa faiblesse. Parle-t-il des talents ? son pays en a plus que le nôtre ; il rebute nos livres, et nous admirons les siens. Manque-t-il ici aux égards qu’il nous doit ? nous l’en accablons, en l’excusant. Nous ne sommes plus chez nos quand il y est ; il faut presque échapper à ses yeux, quand nous sommes chez lui. Toute notre indulgence, tous nos éloges, toutes nos admirations, toute notre justice, est pour l’étranger ; enfin notre amour-propre n’en veut qu’à notre nation ; celui de tous les étrangers n’en veut qu’à nous, et le nôtre ne favorise qu’eux.

LE MARQUIS.

Viens, bon citoyen, viens que je t’embrasse. Morbleu ! le titre excepté, je serais fâché à cette heure que dans la comédie que nous allons voir, on eût pris l’idée de Gulliver ; je partirais si cela était. Mais en voilà assez. Saluons la Comtesse, qui arrive avec tous ses agréments.

 

 

Scène II

 

LE MARQUIS, LE CHEVALIER, LA COMTESSE, LE CONSEILLER

 

LA COMTESSE.

Ah ! vous voilà, Marquis ! Bonjour, Chevalier ; êtes-vous venu avec des dames ?

LE MARQUIS.

Non, Madame, et nous n’avons fait que nous rencontrer tous deux.

LA COMTESSE.

J’ai préféré la comédie à la promenade où l’on voulait m’emmener : et Monsieur a bien voulu me tenir compagnie. Je suis curieuse de toutes les nouveautés : comment appelle-t-on celle qu’on va jouer ?

LE CHEVALIER.

Les Petits Hommes, Madame.

LA COMTESSE.

Les Petits Hommes ! Ah, le vilain titre ! Qu’est-ce que c’est que des petits hommes ? Que peut-on faire de cela ?

LE MARQUIS.

Toutes les dames disent que cela ne promet rien.

LA COMTESSE.

Assurément, le titre est rebutant ; qu’en dites-vous, Monsieur le Conseiller ?

LE CONSEILLER.

Les Petits Hommes, Madame ! Eh ! oui-da ! Pourquoi non ? Je trouve cela plaisant. Ce sera peut-être comme dans Gulliver ; ils y sont si jolis ! Il y a là un grand homme qui les met dans sa poche ou sur le bout du doigt, et qui en porte cinquante ou soixante sur lui ; cela me réjouirait fort.

LE MARQUIS, riant.

Il sera difficile de vous donner ce plaisir-là. Mais voilà un acteur qui passe ; demandons-lui de quoi il s’agit.

 

 

Scène III

 

LE MARQUIS, LE CHEVALIER, LA COMTESSE, LE CONSEILLER, L’ACTEUR

 

LA COMTESSE, à l’acteur.

Monsieur ! Monsieur ! Voulez-vous bien nous dire ce que c’est que vos Petits Hommes ? Où les avez-vous pris ?

L’ACTEUR.

Dans la fiction, Madame.

LE CONSEILLER.

Je me suis bien douté qu’ils n’étaient pas réellement petits.

L’ACTEUR.

Cela ne se pouvait pas, Monsieur, à moins que d’aller dans l’île où on les trouve.

LE CHEVALIER.

Ah, ce n’est pas la peine : les nôtres sont fort bons pour figurer en petit : la taille n’y fera rien pour moi.

LE MARQUIS.

Parbleu ! tous les jours on voit des nains qui ont six pieds de haut. Et d’ailleurs, ne suppose-t-on pas sur le théâtre qu’un homme ou une femme deviennent invisibles par le moyen d’une ceinture ?

L’ACTEUR.

Et ici on suppose, pour quelque temps seulement, qu’il y a des hommes plus petits que d’autres.

LA COMTESSE.

Mais comment fonder cela ?

LE MARQUIS.

Vous deviez changer votre titre à cause des dames.

L’ACTEUR.

Nous ne voulions point vous tromper ; nous vous disons ce que c’est, et vous êtes venus sur l’affiche qui vous promet des petits hommes ; d’ailleurs, nous avons mis aussi l’Île de la Raison.

LA COMTESSE.

L’Île de la Raison ! Hum ! ce n’est pas là le séjour de la joie.

L’ACTEUR.

Madame, vous allez voir de quoi il s’agit. Si cette comédie peut vous faire quelque plaisir, ce serait vous l’ôter que de vous en faire le détail : nous vous prions seulement de vouloir bien vous y prêter. On va commencer dans un moment.

LE MARQUIS.

Allons donc prendre nos places. Pour moi, je verrai vos hommes tout aussi petits qu’il vous plaira.

 

 

ACTE I

 

 

Scène première

 

UN INSULAIRE, BLAISE, LE POÈTE, LA COMTESSE, FONTIGNAC, LE COURTISAN, LE PHILOSOPHE, SPINETTE, LE MÉDECIN

 

L’INSULAIRE.

Tenez, petites créatures, mettez-vous là en attendant que le gouverneur vienne vous voir : vous n’êtes plus à moi ; je vous ai donné à lui, adieu ; je vous reverrai encore, avant de m’en retourner chez moi.

 

 

Scène II

 

BLAISE, LE POÈTE, LA COMTESSE, FONTIGNAC, LE COURTISAN, LE PHILOSOPHE, SPINETTE, LE MÉDECIN, consternés

 

BLAISE.

Morgué, que nous velà jolis garçons !

LE POÈTE.

Que signifie tout cela ? quel sort que le nôtre !

LA COMTESSE.

Mais, Messieurs, depuis six mois que nous avons été pris par cet insulaire qui vient de nous mettre ici, que vous est-il arrivé ? car il nous avait séparés, quoique nous fussions dans la même maison. Vous a-t-il regardé comme des créatures raisonnables, comme des hommes ?

TOUS, soupirant.

Ah !

LA COMTESSE.

J’entends cette réponse-là.

BLAISE.

Quant à ce qui est de moi, noute geoulier, sa femme et ses enfants, ils me regardiont tous ni plus ni moins comme un animal. Ils m’appeliont noute ami quatre pattes ; ils preniont mes mains pour des pattes de devant, et mes pieds pour celles de darrière.

FONTIGNAC, gascon.

Ils ont essayé dé mé nourrir dé graine.

LA COMTESSE.

Ils ne me prenaient point non plus pour une fille.

BLAISE.

Ah ! c’est la faute de la rareté.

FONTIGNAC.

Oui-da, lé douté là-dessus est pardonnavle.

LE COURTISAN.

Pour moi, j’ai été entre les mains de deux insulaires qui voulaient d’abord m’apprendre à parler comme on le fait aux perroquets.

FONTIGNAC.

Ils ont commencé aussi par mé siffler, moi.

BLAISE.

Vous a-t-on à tretous appris la langue du pays ?

TOUS.

Oui.

BLAISE.

Bon : tout le monde a donc épelé ici ? Mais morgué ! n’avons-je plus rian à nous dire ? Là, tâtez-vous, camarades ; tâtez-vous itou, Mademoiselle.

LA COMTESSE.

Quoi ?

BLAISE.

N’y a-t-il rian à redire après vous ? N’y a-t-il rian de changé à voute affaire ?

LE PHILOSOPHE.

Pourquoi nous dites-vous cela ?

BLAISE.

Avant que j’abordissions ici, comment étais-je fait ? N’étais-je pas gros comme un tonniau, et droit comme une parche ?

SPINETTE.

Vous avez raison.

BLAISE.

Eh bian ! n’y a plus ni tonniau ni parche ; tout ça a pris congé de ma parsonne.

LE MÉDECIN.

C’est-à-dire ?

BLAISE.

C’est-à-dire que moi qu’on appelait le grand Blaise, moi qui vous parle, il n’y a pus de nouvelles de moi : je ne savons pas ce que je sis devenu ; je ne trouve pus dans mon pourpoint qu’un petit reste de moi, qu’un petit criquet qui ne tiant pas plus de place qu’un éparlan.

TOUS.

Eh !

BLAISE.

Je me sens d’un rapetissement, d’une corpusculence si chiche, je sis si diminué, si chu, que je prenrais de bon cœur une lantarne pour me charcher. Je vois bian que vous êtes aplatis itou ; mais me voyez-vous comme je vous vois, vous autres ?

FONTIGNAC.

Tu l’as dit, paubre éperlan. Et dé moi, que t’en semble ?

BLAISE.

Vous ? ou êtes de la taille d’un goujon.

FONTIGNAC.

Mé boilà.

LE COURTISAN.

Et moi, Fontignac, suis-je aussi petit qu’il me paraît que je le suis devenu ?

FONTIGNAC.

Monsieur, bous êtes mon maîtré, hommé de cour et grand seigneur ; bous mé démandez cé qué bous êtes ; mais jé né bous bois pas ; mettez-bous dans un microscope.

LE PHILOSOPHE.

Je ne saurais croire que notre petitesse soit réelle : il faut que l’air de ce pays-ci ait fait une révolution dans nos organes, et qu’il soit arrivé quelque accident à notre rétine, en vertu duquel nous nous croyons petits.

LE COURTISAN.

La mort vaudrait mieux que l’état où nous sommes.

BLAISE.

Ah ! ma foi, ma parsonne est bian diminuée ; mais j’aime encore mieux le petit morciau qui m’en reste, que de n’en avoir rian du tout : mais tenez, velà apparemment le gouverneux d’ici qui nous lorgne avec une leunette.

 

 

Scène III

 

LE GOUVERNEUR, PARMENÈS, FLORIS, BLECTRUE, L’INSULAIRE, MÉGISTE, SUITE DU GOUVERNEUR, BLAISE, LE POÈTE, LA COMTESSE, FONTIGNAC, LE COURTISAN, LE PHILOSOPHE, SPINETTE, LE MÉDECIN

 

L’INSULAIRE.

Les voilà, Seigneur.

LE GOUVERNEUR, de loin, avec une lunette d’approche.

Vous me montrez là quelque chose de bien extraordinaire : il n’y a assurément rien de pareil dans le monde. Quelle petitesse ! et cependant ces petits animaux ont parfaitement la figure d’homme, et même à peu près nos gestes et notre façon de regarder. En vérité, puisque vous me les donnez, je les accepte avec plaisir. Approchons.

PARMENÈS, se saisissant de la Comtesse.

Mon père, je me charge de cette petite femelle-ci, car je la crois telle.

FLORIS, prenant le courtisan.

En voilà un que je serais bien aise d’avoir aussi : je crois que c’est un petit mâle.

LE COURTISAN.

Madame, n’abusez point de l’état où je suis.

FLORIS.

Ah ! mon père, je crois qu’il me répond ; mais il n’a qu’un petit filet de voix.

L’INSULAIRE.

Vraiment, ils parlent ; ils ont des pensées, et je leur ai fait apprendre notre langue.

FLORIS.

Que cela va me divertir ! Ah ! mon petit mignon, que vous êtes aimable !

PARMENÈS.

Et ma petite femelle, me dira-t-elle quelque chose ?

LA COMTESSE.

Vous me paraissez généreux, Seigneur ; secourez-moi, indiquez-moi, si vous le pouvez, de quoi reprendre ma figure naturelle.

PARMENÈS.

Ma sœur, ma femelle vaut bien votre mâle.

FLORIS.

Oh ! j’aime mieux mon mâle que tout le reste ; mais ne mordent-ils pas, au moins ?

BLAISE, riant.

Ah, ah, ah, ah !...

FLORIS.

En voilà un qui rit de ce que je dis.

BLAISE.

Morgué ! je ne ris pourtant que du bout des dents.

LE GOUVERNEUR.

Et les autres ?

LE PHILOSOPHE.

Les autres sont indignés du peu d’égard qu’on a ici pour des créatures raisonnables.

FONTIGNAC, avec feu.

Sire, réprésentez-bous lé mieux fait dé botré royaume. Boilà ce que jé suis, sans mé soucier qui mé gâte la taille.

BLAISE.

Vartigué ! Monsieu le Gouverneux, ou bian Monsieu le Roi, je ne savons lequel c’est ; et vous, Mademoiselle sa fille, et Monsieur son garçon, il n’y a qu’un mot qui sarve. Venez me voir avaler ma pitance, vous varrez s’il y a d’homme qui débride mieux ; je ne sis pas pus haut que chopaine, mais morgué ! dans cette chopaine vous y varrez tenir pinte.

LE GOUVERNEUR.

Il me semble qu’ils se fâchent : allons, qu’on les remette en cage, et qu’on leur donne à manger ; cela les adoucira peut-être.

LE COURTISAN, à Floris, en lui baisant la main.

Aimable dame, ne m’abandonnez pas dans mon malheur.

FLORIS.

Eh ! voyez donc, mon père, comme il me baise la main ! Non, mon petit rat ; vous serez à moi, et j’aurai soin de vous. En vérité, il me fait pitié !

LE PHILOSOPHE, soupirant.

Ah !

BLAISE.

Jarnicoton, queu train !

 

 

Scène IV

 

LE GOUVERNEUR, BLECTRUE, PARMENÈS, FLORIS, MÉGISTE, L’INSULAIRE

 

LE GOUVERNEUR.

Voilà, par exemple, de ces choses qui passent toute vraisemblance ! Nos histoires n’ont-elles jamais parlé de ces animaux-là ?

BLECTRUE.

Seigneur, je me rappelle un fait ; c’est que j’ai lu dans les registres de l’État, qu’il y a près de deux cents ans qu’on en prit de semblables à ceux-là ; ils sont dépeints de même. On crut que c’étaient des animaux, et cependant c’étaient des hommes : car il est dit qu’ils devinrent aussi grands que nous, et qu’on voyait croître leur taille à vue d’œil, à mesure qu’ils goûtaient notre raison et nos idées.

LE GOUVERNEUR.

Que me dites-vous là ? qu’ils goûtaient notre raison et nos idées ? Était-ce à cause qu’ils étaient petits de raison que les dieux voulaient qu’ils parussent petits de corps ?

BLECTRUE.

Peut-être bien.

LE GOUVERNEUR.

Leur petitesse n’était donc que l’effet d’un charme, ou bien qu’une punition des égarements et de la dégradation de leur âme ?

BLECTRUE.

Je le croirais volontiers.

PARMENÈS.

D’autant plus qu’ils parlent, qu’ils répondent et qu’ils marchent comme nous.

LE GOUVERNEUR.

À l’égard de marcher, nous avons des singes qui en font autant. Il est vrai qu’ils parlent et qu’ils répondent à ce qu’on leur dit : mais nous ne savons pas jusqu’où l’instinct des animaux peut aller.

FLORIS.

S’ils devenaient grands, ce que je ne crois pas, mon petit mâle serait charmant. Ce sont les plus jolis petits traits du monde ; rien de si fin que sa petite taille.

PARMENÈS.

Vous n’avez pas remarqué les grâces de ma femelle.

LE GOUVERNEUR.

Quoi qu’il en soit, n’ayons rien à nous reprocher. Si leur petitesse n’est qu’un charme, essayons de le dissiper, en les rendant raisonnables : c’est toujours faire une bonne action que de tenter d’en faire une. Blectrue, c’est à vous à qui je les confie. Je vous charge du soin de les éclairer ; n’y perdez point de temps ; interrogez-les ; voyez ce qu’ils sont et ce qu’ils faisaient ; tâchez de rétablir leur âme dans sa dignité, de retrouver quelques traces de sa grandeur. Si cela ne réussit pas, nous aurons du moins fait notre devoir ; et si ce ne sont que des animaux, qu’on les garde à cause de leur figure semblable à la nôtre. En les voyant faits comme nous, nous en sentirons encore mieux le prix de la raison, puisqu’elle seule fait la différence de la bête à l’homme.

FLORIS.

Et nous reprendrons nos petites marionnettes, s’il n’y a point d’espérances qu’elles changent.

BLECTRUE.

Seigneur, dès ce moment je vais travailler à l’emploi que vous me donnez.

 

 

Scène V

 

BLECTRUE, MÉGISTE

 

BLECTRUE.

Mégiste, je vous prie de dire qu’on me les amène ici.

 

 

Scène VI

 

BLECTRUE, seul

 

Hélas ! je n’ai pas grande espérance, ils se querellent, ils se fâchent même les uns contre les autres. On dit qu’il y en a deux tantôt qui ont voulu se battre ; et cela ne ressemble point à l’homme.

 

 

Scène VII

 

BLECTRUE, MÉGISTE, SUITE, BLAISE, LE POÈTE, LA COMTESSE, FONTIGNAC, LE COURTISAN, LE PHILOSOPHE, SPINETTE, LE MÉDECIN

 

BLECTRUE.

Jolies petites marmottes, écoutez-moi ; nous soupçonnons que vous êtes des hommes.

BLAISE.

Voyez ! la belle nouvelle qu’il nous apprend là !

FONTIGNAC.

Allez, Monsieur, passez à la certitude ; jé bous la garantis.

BLECTRUE.

Soit.

LE PHILOSOPHE.

En doutant que nous soyons des hommes, vous nous faites douter si vous en êtes.

BLECTRUE.

Point de colère, vous y êtes sujet : ce sont des mouvements de quadrupèdes que je n’aime point à vous voir.

LE PHILOSOPHE.

Nous, quadrupèdes !

LA COMTESSE.

Quelle humiliation !

FONTIGNAC.

Sandis ! fortune espiègle, tu mé houspilles rudément.

BLAISE.

Par la sangué ! vous qui parlez, savez-vous bian que si vous êtes noute prouchain, que c’est tout le bout du monde ?

SPINETTE.

Maudit pays !

BLECTRUE.

Doucement, petits singes ; apaisez-vous, je ne demande qu’à sortir d’erreur ; et le parti que je vais prendre pour cela, c’est de vous entretenir chacun en particulier, et je vais vous laisser un moment ensemble pour vous y déterminer : calmez-vous, nous ne vous voulons que du bien ; si vous êtes des hommes, tâchez de devenir raisonnables : on dit que c’est pour vous le moyen de devenir grands.

 

 

Scène VIII

 

BLAISE, LE POÈTE, LA COMTESSE, FONTIGNAC, LE COURTISAN, LE PHILOSOPHE, SPINETTE, LE MÉDECIN

 

FONTIGNAC.

Qué beut donc dire cé vouffon, avec son débénez raisonnavle ? Peut-on débénir cé qué l’on est ? S’il né fallait qué dé la raison pour être grand dé taillé, jé passérais le chêné en hautur.

BLAISE.

Bon, bon ! vous prenez bian voute temps pour des gasconnades ! pensons à noute affaire.

LE POÈTE.

Pour moi, je crois que c’est un pays de magie, où notre naufrage nous a fait aborder.

LE PHILOSOPHE.

Un pays de magie ! idée poétique que cela, Monsieur le Poète, car vous m’avez dit que vous l’étiez.

LE POÈTE.

Ma foi, Monsieur de la philosophie, car vous m’avez dit que vous l’aimiez, une idée de poète vaut bien une vision de philosophe.

BLAISE.

Morgué ! si je ne m’y mets, velà de la fourmi qui se va battre : paix donc là, grenaille.

FONTIGNAC.

Eh ! Messieurs, un peu dé concordé dans l’état présent dé nos affaires.

BLAISE.

Jarnigué, acoutez-moi ; il me viant en pensement queuque chose de bon sur les paroles de ceti-là qui nous a boutés ici. Les gens de ce pays l’appelont l’île de la Raison, n’est-ce pas ? Il faut donc que les habitants s’appelaint les Raisonnables ; car en France il n’y a que des Français, en Allemagne des Allemands, et à Passy des gens de Passy, et pas un Raisonnable parmi ça : ce n’est que des Français, des Allemands, et des gens de Passy. Les Raisonnables, ils sont dans l’île de la Raison ; cela va tout seul.

LE PHILOSOPHE.

Eh finis, mon ami, finis, tu nous ennuies.

BLAISE.

Eh bian ! ou avez le temps de vous ennuyer ; patience. Je dis donc que j’ai entendu dire par le seigneur de noute village, qui était un songe-creux, que ceux-là qui n’étiont pas raisonnables, deveniont bian petits en la présence de ceux-là qui étiont raisonnables. Je ne voyions goutte à son idée en ce temps-là : mais morgué ! en véci la véréfication dans ce pays. Je ne sommes que des Français, des Gascons, ou autre chose ; je nous trouvons avec des Raisonnables, et velà ce qui nous rapetisse la taille.

LE POÈTE.

Comme si les Français n’étaient pas raisonnables.

BLAISE.

Eh morgué, non : ils ne sont que des Français ; ils ne pourront pas être nés natifs de deux pays.

FONTIGNAC.

Cadédis, pour moi, jé troubé l’imagination essellente ; il faut qué cet hommé soit dé race gasconne, en berité ; et j’adopte sa pensée : sauf lé respect qué jé dois à tous, jé prendrai seulément la liberté dé purger son discours dé la broussaillé qui s’y troube. Jé dis donc qué plus jé bous régarde, et plus jé mé fortifie dans l’idée dé cé rustré ; notré pétitessé, sandis, n’est pas uniformé ; rémarquez, Messieurs, qu’ellé va par échélons.

BLAISE.

Toujours en dévalant, toujours de pis en pis.

LE PHILOSOPHE.

Eh laissons de pareilles chimères.

BLAISE.

Eh morgué, laissez-li bailler du large à ma pensée.

FONTIGNAC.

Jé bous parlais d’échélons : eh pourquoi ces échélons, cadédis ?

BLAISE.

C’est peut-être parce qu’il y en a de plus fous les uns que les autres.

FONTIGNAC.

Cet hommé dit d’or ; jé pense qué c’est lé dégré dé folie qui régle la chose ; et qu’ainsi ne soit, regardez cé paysan, cé n’est qu’un rustre.

BLAISE.

Eh ! là, là, n’appuyez pas si farme.

FONTIGNAC.

Et cépendant cé rustre, il est lé plus grand dé nous tous.

BLAISE.

Oui, je sis le pus sage de la bande.

FONTIGNAC.

Non pas lé plus sage, mais lé moins frappé dé folie, et jé né m’en étonné pas ; lé champ dé vataillé dé l’extrabagancé, boyez-bous, c’est lé grand monde, et cé paysan né lé connaît pas, la folie né l’attrapé qué dé loin ; et boilà cé qui lui rend ici la taillé un peu plus longue.

BLAISE.

La foulie vous blesse tout à fait, vous autres ; alle ne fait que m’égratigner, moi : stapendant, voyez que j’ai bon air avec mes égratignures !

FONTIGNAC.

En suivant lé dégré, j’arribe après lui, moi, plus pétit qué lui, mais plus grand qué les autres. Jé né m’en étonne pas non plus ; dans lé monde, jé né suis qué suvalterne, et jé n’ai jamais eu lé moyen d’être aussi fou qué les autres.

BLAISE.

Oh ! à voir voute taille, ou avez eu des moyans de reste.

FONTIGNAC.

Je continue ma ronde, et Spinette mé suit.

BLAISE.

En effet, la chambrière n’est pas si petiote que la maîtresse, faut bian qu’alle ne soit pas si folle.

FONTIGNAC.

Ellé né vient pourtant qu’après nous, et c’est qué la raison des femmes est toujours un peu plus dévilé qué la nôtre.

SPINETTE.

À quelque impertinence près, tout cela me paraîtrait assez naturel.

LE PHILOSOPHE.

Et moi, je le trouve pitoyable.

BLAISE.

Morgué ! tenez, philosophe, vous qui parlez, voute taille est la plus malingre de toutes.

FONTIGNAC.

Oui, c’est la plus inapercévable, cellé qui rampe lé plus, et la raison en est bonne ! Monsieur lé philosophe nous a dit dans lé vaisseau, qu’il avait quitté la France, dé peur dé loger à la Vastille.

BLAISE.

Vous n’êtes pas chanceux en aubarges.

FONTIGNAC.

Et qu’actuellement il s’enfuyait pour un petit livre dé science, dé petits mots hardis, dé petits sentiments ; et franchement tant dé pétitesses pourraient bien nous aboir produit lé petit hommé à qui jé parle. Venons à Monsieur le poète.

BLAISE.

Il est, morgué bian écrasé.

LE POÈTE.

Je n’ai pourtant rien à reprocher à ma raison.

FONTIGNAC.

Des gens dé botre métier, cependant, lé bon sens n’en est pas célèbre ; n’avez-vous pas dit qué bous étiez en voyage pour une épigramme ?

LE POÈTE.

Cela est vrai. Je l’avais fait contre un homme puissant qui m’aimait assez, et qui s’est scandalisé mal à propos d’un pur jeu d’esprit.

BLAISE.

Pauvre faiseux de vars, il y a comme ça des gens de mauvaise himeur qui n’aimont pas qu’on les vilipende.

FONTIGNAC, à la Comtesse.

À vous lé dé, Madame.

LA COMTESSE.

Taisez-vous, vos raisonnements ne me plaisent pas.

BLAISE.

Il n’y a qu’à la voir pour juger du paquet. Et noute médecin ?

FONTIGNAC.

Jé l’oubliais, dé la profession dont il est, sa critique est touté faite.

LE MÉDECIN.

Bon ! vous nous faites là de beaux contes !

FONTIGNAC, parlant du Courtisan.

Jé n’interrogé pas Monsieur, dé qui jé suis lé sécrétaire dépuis dix ans, et qué lé hasard a fait naître en France ; quoiqué dé famille espagnolé ; il allait vice-roi dans les Indes avec Madamé sa sœur, et Spinette, cette agréablé fille de qui jé suis tombé épris dans lé voyage.

LE COURTISAN.

Je ne crois pas, Monsieur de Fontignac, que vous m’ayez vu faire de folies.

FONTIGNAC.

Monsieur, lé respect mé fermé la bouche, et jé bous renvoie à votré taille.

BLAISE.

En effet, faut que vous ayez de maîtres vartigos dans voute tête.

FONTIGNAC.

Paix, silencé ; voilà notre homme qui revient.

 

 

Scène IX

 

BLECTRUE, UN DOMESTIQUE, BLAISE, LE POÈTE, LA COMTESSE, FONTIGNAC, LE COURTISAN, LE PHILOSOPHE, SPINETTE, LE MÉDECIN

 

BLECTRUE.

Allons, mes petits amis, lequel de vous veut lier le premier conversation avec moi ?

LE POÈTE.

C’est moi, je serai bien aise de savoir ce dont il s’agit.

BLAISE.

Morgué ! je voulais venir, moi ; je vianrai donc après.

BLECTRUE.

Allons, soit, qu’on ramène les autres.

LE PHILOSOPHE.

Et moi, je ne veux plus paraître ; je suis las de toutes ces façons.

BLECTRUE.

J’ai toujours remarqué que ce petit animal-là a plus de férocité que les autres ; qu’on le mette à part, de peur qu’il ne les gâte.

 

 

Scène X

 

BLECTRUE, LE POÈTE

 

BLECTRUE.

Allons, causons ensemble ; j’ai bonne opinion de vous, puisque vous avez déjà eu l’instinct d’apprendre notre langue.

LE POÈTE.

Seigneur Blectrue, laissons là l’instinct, il n’est fait que pour les bêtes ; il est vrai que nous sommes petits.

BLECTRUE.

Oh ! extrêmement.

LE POÈTE.

Ou du moins vous nous croyez tels, et nous aussi ; mais cette petitesse réelle ou fausse ne nous est venue que depuis que nous avons mis le pied sur vos terres.

BLECTRUE.

En êtes-vous bien sûr ?

À part.

Cela ressemblerait à l’article dont il est fait mention dans nos registres.

LE POÈTE.

Je vous dis la vérité.

BLECTRUE, l’embrassant.

Petit bonhomme, veuille le ciel que vous ne vous trompiez pas, et que ce soit mon semblable que j’embrasse dans une créature pourtant si méconnaissable ! Vous me pénétrez de compassion pour vous. Quoi ! vous seriez un homme ?

LE POÈTE.

Hélas ! oui.

BLECTRUE.

Eh ! qui vous a donc mis dans l’état où vous êtes ?

LE POÈTE.

Je n’en sais ma foi rien.

BLECTRUE.

Ne serait-ce pas que vous seriez déchu de la grandeur d’une créature raisonnable ? Ne porteriez-vous pas la peine de vos égarements ?

LE POÈTE.

Mais, seigneur Blectrue, je ne les connais pas ; ne serait-ce pas plutôt un coup de magie ?

BLECTRUE.

Je n’y connais point d’autre magie que vos faiblesses.

LE POÈTE.

Croyez-vous, mon cher ami ?

BLECTRUE.

N’en doutez point, mon cher : j’ai des raisons pour vous dire cela, et je me sens saisi de joie, puisque vous commencez à le soupçonner vous-même. Je crois vous reconnaître à travers le déguisement humiliant où vous êtes : oui, la petitesse de votre corps n’est qu’une figure de la petitesse de votre âme.

LE POÈTE.

Eh bien ! seigneur Blectrue, charitable insulaire, conduisez-moi, je me remets entre vos mains ; voyez ce qu’il faut que je fasse. Hélas ! je sais que l’homme est bien peu de chose.

BLECTRUE.

C’est le disciple des dieux, quand il est raisonnable ; c’est le compagnon des bêtes quand il ne l’est point.

LE POÈTE.

Cependant, quand j’y songe, où sont mes folies ?

BLECTRUE.

Ah ! vous retombez en arrière.

LE POÈTE.

Je ne saurais me voir définir le compagnon des bêtes.

BLECTRUE.

Je ne dis pas encore que ma définition vous convienne ; mais voyons : que faisiez-vous dans le pays dont vous êtes ?

LE POÈTE.

Vous n’avez point dans votre langue de mot pour définir ce que j’étais.

BLECTRUE.

Tant pis. Vous étiez donc quelque chose de bien étrange ?

LE POÈTE.

Non, quelque chose de très honorable ; j’étais homme d’esprit et bon poète.

BLECTRUE.

Poète ! est-ce comme qui dirait marchand ?

LE POÈTE.

Non, des vers ne sont pas une marchandise, et on ne peut pas appeler un poète un marchand de vers. Tenez, je m’amusais dans mon pays à des ouvrages d’esprit, dont le but était, tantôt de faire rire, tantôt de faire pleurer les autres.

BLECTRUE.

Des ouvrages qui font pleurer ! cela est bien bizarre.

LE POÈTE.

On appelle cela des tragédies, que l’on récite en dialogues, où il y a des héros si tendres, qui ont tour à tour des transports de vertu et de passion si merveilleux ; de nobles coupables qui ont une fierté si étonnante, dont les crimes ont quelque chose de si grand, et les reproches qu’ils s’en font sont si magnanimes ; des hommes enfin qui ont de si respectables faiblesses, qui se tuent quelquefois d’une manière si admirable et si auguste, qu’on ne saurait les voir sans en avoir l’âme émue, et pleurer de plaisir. Vous ne me répondez rien ?

BLECTRUE, surpris, l’examine sérieusement.

Voilà qui est fini, je n’espère plus rien ; votre espèce me devient plus problématique que jamais. Quel pot pourri de crimes admirables, de vertus coupables et de faiblesses augustes ! il faut que leur raison ne soit qu’un coq-à-l’âne. Continuez.

LE POÈTE.

Et puis, il y a des comédies où je représentais les vices et les ridicules des hommes.

BLECTRUE.

Ah ! je leur pardonne de pleurer là.

LE POÈTE.

Point du tout ; cela les faisait rire.

BLECTRUE.

Hem ?

LE POÈTE.

Je vous dis qu’ils riaient.

BLECTRUE.

Pleurer où l’on doit rire, et rire où l’on doit pleurer ! les monstrueuses créatures !

LE POÈTE, à part.

Ce qu’il dit là est assez plaisant.

BLECTRUE.

Et pourquoi faisiez-vous ces ouvrages ?

LE POÈTE.

Pour être loué, et admiré même, si vous voulez.

BLECTRUE.

Vous aimiez donc bien la louange ?

LE POÈTE.

Eh mais, c’est une chose très gracieuse.

BLECTRUE.

J’aurais cru qu’on ne la méritait plus quand on l’aimait tant.

LE POÈTE.

Ce que vous dites là peut se penser.

BLECTRUE.

Eh ! quand on vous admirait, et que vous croyiez en être digne, alliez-vous dire aux autres : Je suis un homme admirable ?

LE POÈTE.

Non, vraiment ; cela ne se dit point : j’aurais été ridicule.

BLECTRUE.

Ah ! j’entends. Vous cachiez que vous étiez un ridicule, et vous ne l’étiez qu’incognito.

LE POÈTE.

Attendez donc, expliquons-nous ; comment l’entendez-vous ? je n’aurais donc été qu’un sot, à votre compte ?

BLECTRUE.

Un sot admiré ; dans l’éclaircissement, voilà tout ce qu’on y trouve.

LE POÈTE, étonné.

Il semblerait qu’il dit vrai.

BLECTRUE.

N’êtes-vous pas de mon sentiment ? voyez-vous cela comme moi ?

LE POÈTE.

Oui, assez ; et en même temps je sens un mouvement intérieur que je ne puis expliquer.

BLECTRUE.

Je crois voir aussi quelque changement à votre taille. Courage, petit homme, ouvrez les yeux.

LE POÈTE.

Souffrez que je me retire ; je veux réfléchir tout seul sur moi-même : il y a effectivement quelque chose d’extraordinaire qui se passe en moi.

BLECTRUE.

Allez, mon fils, allez ; faites de sérieuses réflexions sur vous ; tâchez de vous mettre au fait de toute votre sottise. Ce n’est pas là tout, sans doute, et nous nous reverrons, s’il le faut.

 

 

Scène XI

 

BLECTRUE

 

Je suis charmé, mes espérances renaissent, il faut voir les autres. Y a-t-il quelqu’un ?

 

 

Scène XII

 

BLECTRUE, MÉGISTE

 

BLECTRUE.

Faites-moi voir la plus grande de ces petites créatures.

MÉGISTE.

Vous savez qu’on les a toutes mises chacune dans une cage. Amènerai-je celle que vous demandez dans la sienne ?

BLECTRUE.

Eh bien ! amenez-la comme elle est.

 

 

Scène XIII

 

BLECTRUE seul

 

Je veux voir pourquoi elle n’est pas si petite que les autres ; cela pourra encore m’apprendre quelque chose sur leur espèce. Quelle joie de les voir semblables à nous !

 

 

Scène XIV

 

BLECTRUE, MÉGISTE, SUITE, BLAISE, en cage

 

BLAISE.

Parlez donc, noute ami Blectrue : eh ! morgué, est-ce qu’on nous prend pour des oisiaux ? avons-je de la pleume pour nous tenir en cage ? Je sis là comme une volaille qu’on va mener vendre à la vallée. Mettez-moi donc plutôt dindon de basse-cour.

BLECTRUE.

Ne tient-il qu’à vous ouvrir votre cage pour vous rendre content ? tenez, la voilà ouverte.

BLAISE.

Ah ! pargué, faut que vous radotiez, vous autres, pour nous enfarmer. Allons, de quoi s’agit-il ?

BLECTRUE.

Vous n’êtes, dit-on, devenus petits qu’en entrant dans notre île. Cela est-il vrai ?

BLAISE.

Tenez, velà l’histoire de noute taille. Dès le premier pas ici, je me suis aparçu dévaler jusqu’à la ceinture ; et pis, en faisant l’autre pas, je n’allais pus qu’à ma jambe ; et pis je me sis trouvé à la cheville du pied.

BLECTRUE.

Sur ce pied-là, il faut que vous sachiez une chose.

BLAISE.

Deux, si vous voulez.

BLECTRUE.

Il y a deux siècles qu’on prit ici de petites créatures comme vous autres.

BLAISE.

Voulez-vous gager que je sommes dans leur cage ?

BLECTRUE.

On les traita comme vous ; car ils n’étaient pas plus grands ; mais ensuite ils devinrent tout aussi grands que nous.

BLAISE.

Eh ! morgué, depuis six mois j’épions pour en avoir autant : apprenez-moi le secret qu’il faut pour ça. Pargué, si jamais voute chemin s’adonne jusqu’à Passy, vous varrez un brave homme ; je trinquerons d’importance. Dites-moi ce qu’il faut faire.

BLECTRUE.

Mon petit mignon, je vous l’ai déjà dit, rien que devenir raisonnable.

BLAISE.

Quoi ! cette marmaille guarit par là ?

BLECTRUE.

Oui. Apparemment qu’elle ne l’était pas ; et sans doute vous êtes de même ?

BLAISE.

Eh ! palsangué, velà donc mon compte de tantôt avec les échelons du Gascon ; velà ce que c’est ; ous avez raison, je ne sis pas raisonnable.

BLECTRUE.

Que cet aveu-là me fait plaisir ! Mon petit ami, vous êtes dans le bon chemin. Poursuivez.

BLAISE.

Non, morgué ! je n’ons point de raison, c’est ma pensée. Je ne sis qu’un nigaud, qu’un butor, et je le soutianrons dans le carrefour, à son de trompe, afin d’en être pus confus ; car, morgué ! ça est honteux.

BLECTRUE.

Fort bien. Vous pensez à merveille. Ne vous lassez point.

BLAISE.

Oui, ça va fort bian. Mais parlez donc : cette taille ne pousse point.

BLECTRUE.

Prenez garde ; l’aveu que vous faites de manquer de raison n’est peut-être pas comme il faut : peut-être ne le faites-vous que dans la seule vue de rattraper votre figure ?

BLAISE.

Eh ! vrament non.

BLECTRUE.

Ce n’est pas assez. Ce ne doit pas être là votre objet.

BLAISE.

Pargué ! il en vaut pourtant bian la peine.

BLECTRUE.

Eh ! mon cher enfant, ne souhaitez la raison que pour la raison même. Réfléchissez sur vos folies pour en guérir ; soyez-en honteux de bonne foi : c’est de quoi il s’agit apparemment.

BLAISE.

Morgué ! me velà bian embarrassé. Si je savions écrire, je vous griffonnerions un petit mémoire de mes fredaines ; ça serait pus tôt fait. Encore ma raison et mon impartinence sont si embarrassées l’une dans l’autre, que tout ça fait un ballot où je ne connais pus rian. Traitons ça par demande et par réponse.

BLECTRUE.

Je ne saurais ; car je n’ai presque point l’idée de ce que vous êtes. Mais repassez cela vous-même, et excitez-vous à aimer la raison.

BLAISE.

Ah ! jarnigué, c’est une balle chose, si alle n’était pas si difficile !

BLECTRUE.

Voyez la douceur et la tranquillité qui règnent parmi nous ; n’en êtes-vous pas touché ?

BLAISE.

Ça est vrai ; vous m’y faites penser. Vous avez des faces d’une bonté, des physolomies si innocentes, des cœurs si gaillards...

BLECTRUE.

C’est l’effet de la raison.

BLAISE.

C’est l’effet de la raison ? Faut qu’alle soit d’un grand rapport ! Ça me ravit d’amiquié pour alle. Allons, mon ami, je ne vous quitte pus. Me velà honteux, me velà enchanté, me velà comme il faut. Baillez-moi cette raison, et gardez ma taille. Oui, mon ami, un homme de six pieds ne vaut pas une marionnette raisonnable ; c’est mon darnier mot et ma darnière parole. Eh ! tenez, tout en vous contant ça, velà que je sis en transport. Ah ! morgué, regardez-moi bian ! Iorgnez-moi ; je crois que je hausse. Je ne sis pus à la cheville de voute pied, j’attrape voute jarretière.

BLECTRUE.

Oh ! Ciel ! quel prodige ! ceci est sensible.

BLAISE.

Ah ! Garnigoi, velà que ça reste là.

BLECTRUE.

Courage. Vous n’aimez pas plus tôt la raison, que vous en êtes récompensé.

BLAISE, étonné et hors d’haleine.

Ça est vrai ; j’en sis tout stupéfait : mais faut bian que je ne l’aime pas encore autant qu’alle en est daigne ; ou bian, c’est que je ne mérite pas qu’alle achève ma délivrance. Acoutez-moi. Je vous dirai que je suis premièrement un ivrogne : parsonne n’a siroté d’aussi bon appétit que moi. J’ons si souvent pardu la raison, que je m’étonne qu’alle puisse me retrouver alle-même.

BLECTRUE.

Ah ! que j’ai de joie ! Ce sont des hommes, voilà qui est fini. Achevez, mon cher semblable, achevez ; encore une secousse.

BLAISE.

Hélas ! j’avons un tas de fautes qui est trop grand pour en venir à bout : mais, quant à ce qui est de cette ivrognerie, j’ons toujours fricassé tout mon argent pour elle : et pis, mon ami, quand je vendions nos denrées, combian de chalands n’ons-je pas fourbé, sans parmettre aux gens de me fourber itou ! ça est bian malin !

BLECTRUE.

À merveille.

BLAISE.

Et le compère Mathurin, que n’ons-je pas fait pour mettre sa femme à mal ? Par bonheur qu’alle a toujours été rudânière envars moi ; ce qui fait que je l’en remarcie : mais, dans la raison, pourquoi vouloir se ragoûter de l’honneur d’un compère, quand on ne voudrait pas qu’il eût appétit du nôtre ?

BLECTRUE.

Comme il change à vue d’œil !

BLAISE.

Hélas ! oui, ma taille s’avance ; et c’est bian de la grâce que la raison me fait ; car je sis un pauvre homme. Tenez, mon ami ; j’avais un quarquier de vaigne avec un quarquier de pré ; je vivions sans ennui avec ma sarpe et mon labourage ; le capitaine Duflot viant là-dessus, qui me dit comme ça : Blaise, veux-tu me sarvir dans mon vaissiau ? Veux-tu venir gagner de l’argent ? Ne velà-t-il pas mes oreilles qui se dressont à ce mot d’argent, comme les oreilles d’une bourrique ? Velà-t-il pas que je quitte, sauf votre respect, bétail, amis, parents ? Ne vas-je pas m’enfarmer dans cette baraque de planches ? Et pis le temps se fâche, velà un orage, l’iau gâte nos vivres ; il n’y a pus ni pâte ni faraine. Eh ! qu’est-ce que c’est que ça ? En pleure, en crie, en jure, en meurt de faim ; la baraque enfonce ; les poissons mangeont Monsieur Duflot, qui les aurait bian mangé li-même. Je nous sauvons une demi-douzaine. Je repetissons en arrivant. Velà tout l’argent que me vaut mon équipée. Mais morgué j’ons fait connaissance avec cette raison, et j’aime mieux ça que toute la boutique d’un orfèvre. Tenez, tenez, ami Blectrue, considérez ; velà encore une crue qui me prend : on dirait d’un agioteux, je devians grand tout d’un coup ; me velà comme j’étais !

BLECTRUE, l’embrassant.

Vous ne sauriez croire avec quelle joie je vois votre changement.

BLAISE.

Vartigué ! que je vas me moquer de mes camarades ! que je vas être glorieux ! que je vas me carrer !...

BLECTRUE.

Ah ! que dites-vous là, mon cher ? Quel sentiment de bête ! Vous redevenez petit.

BLAISE.

Eh ! morgué, ça est vrai ; me velà rechuté, je raccourcis. À moi ! à moi ! Je me repens. Je demande pardon. Je fais vœu d’être humble. Jamais pus de vanité, jamais... Ah... ah, ah, ah... Je retorne !

BLECTRUE.

N’y revenez plus.

BLAISE.

Le bon secret que l’humilité pour être grand ! Qui est-ce qui dirait ça ? Que je vous embrasse, camarade. Mon père m’a fait, et vous m’avez refait.

BLECTRUE.

Ménagez-vous donc bien désormais.

BLAISE.

Oh ! morgué, de l’humilité, vous dis-je. Comme cette gloire mange la taille ! Oh ! je n’en dépenserai pus en suffisance.

BLECTRUE.

Il me tarde d’aller porter cette bonne nouvelle-là au roi.

BLAISE.

Mais dites-moi, j’ons piquié de mes pauvres camarades ; je prends de la charité pour eux. Ils valont mieux que moi : je sis le pire de tous ; faut les secourir ; et tantôt, si vous voulez, je leur ferai entendre raison. Drès qu’ils me varront, ma présence les sarmonnera ; faut qu’ils devenient souples, et qu’ils restient tous parclus d’étonnement.

BLECTRUE.

Vous raisonnez fort juste.

BLAISE.

Vrament grand marci à vous.

BLECTRUE.

Vous vaudrez mieux qu’un autre pour les instruire ; vous sortez du même monde, et vous aurez des lumières que je n’ai point.

BLAISE.

Oh ! que vous n’avez point ! ça vous plaît à dire. C’est vous qui êtes le soleil, et je ne sis pas tant seulement la leune auprès de vous, moi : mais je ferons de mon mieux, à moins qu’ils me rebutiont à cause de ma chétive condition.

BLECTRUE.

Comment, chétive condition ? Vous m’avez dit que vous étiez un laboureur.

BLAISE.

Et c’est à cause de ça.

BLECTRUE.

Et ils vous mépriseraient ! Oh ! raison humaine, peut-on t’avoir abandonné jusque-là ! Eh bien ! tirons parti de leur démence sur votre chapitre ; qu’ils soient humiliés de vous voir plus raisonnable qu’eux, vous dont ils font si peu de cas.

BLAISE.

Et qui ne sais ni B, ni A. Morgué ! faudrait se mettre à genoux pour écouter voute bon sens. Mais je pense que velà un de nos camarades qui viant.

 

 

Scène XV

 

BLECTRUE, MÉGISTE, BLAISE, FONTIGNAC

 

MÉGISTE.

Seigneur Blectrue, en voilà un qui veut absolument vous parler.

 

 

Scène XVI

 

BLECTRUE, BLAISE, FONTIGNAC

 

FONTIGNAC.

Sandis ! maître Blaise, n’ai-jé pas la verlue ! Etés-bous l’éperlan dé tantôt ?

BLAISE.

Oui, frère, velà le poulet qui viant de sortir de sa coquille.

BLECTRUE.

Il ne tiendra qu’à vous qu’il vous en arrive autant, petit bonhomme.

FONTIGNAC.

Eh ! cadédis, jé m’en meurs, et jé vénais en consultation là-dessus.

BLECTRUE.

Tenez, il en sait le moyen, lui ; et je vous laisse ensemble.

 

 

Scène XVII

 

FONTIGNAC, BLAISE

 

FONTIGNAC.

Allons, mon ami, jé rémets lé pétit goujon entré vos mains ; jé vous en récommandé la métamorphose.

BLAISE.

Il n’y a rian de si aisé. Boutez de la raison là-dedans ; et pis, zeste, tout le corps arrive.

FONTIGNAC.

Comment, dé la raison ! Tantôt nous avons donc déviné juste !

BLAISE.

Oui, j’avions mis le nez dessus. Il n’y a qu’à être bian persuadé qu’ou êtes une bête, et déclarer en quoi.

FONTIGNAC.

Uné bêté ? Né pourrait-on changer l’épithéte ? Ce n’est pas que j’y répugne.

BLAISE.

Nenni, morgué ! c’est la plus balle pensée qu’ou aurez de voute vie.

FONTIGNAC.

Écoutez-moi, galant homme ; n’est-cé pas ses imperfétions qu’il faut réconnaîtré ?

BLAISE.

Fort bian.

FONTIGNAC.

Eh donc ! la bêtise n’est pas dé mon lot. Cé n’est pas là qué gît mon mal : c’était lé vôtre ; chacun a lé sien. Jé né prétends pourtant pas mé ménager, car jé né m’estimé plus ; mais dans la réflétion, jé mé trouvé moins imvécile qu’impertinent, moins sot qué fat.

BLAISE.

Bon, morgué ! c’est ce que je voulons dire : ça va grand train. Il baille appétit de s’accuser, ce garçon-là. Est-ce là tout ?

FONTIGNAC.

Non, non : mettez qué jé suis mentur.

BLAISE.

Sans doute, puisqu’ou êtes Gascon ; mais est-ce par couteume ou par occasion ?

FONTIGNAC.

Entré nous, tout mé sert d’occasion ; ainsi comptez pour habitude.

BLAISE.

Qu’est-ce que c’est que ça ? Un homme qui ment, c’est comme un homme qui a pardu la parole.

FONTIGNAC.

Comment ça sé fait-il ? car jé suis mentur et vavillard en même temps.

BLAISE.

N’importe, maugré qu’ou soyez bavard, mon dire est vrai ; c’est que ceti-là qui ment ne dit jamais la parole qu’il faut, et c’est comme s’il ne sonnait mot.

FONTIGNAC.

Jé né hais pas cetté pensée ; elle est fantasque.

BLAISE.

Revenons à vos misères. Retornez vos poches. Montrez-moi le fond du sac.

FONTIGNAC.

Jé mé réproché d’avoir été empoisonnur.

BLAISE, se reculant.

Oh ! pour de ceti-là, il me faut du conseil ; car faura peut-être vous étouffer pour vous guarir, voyez-vous ! et je sis obligé d’en avartir les habitants.

FONTIGNAC.

Cé n’est point lé corps qué j’empoisonnais, jé faisais mieux.

BLAISE.

C’est peut-être les rivières ?

FONTIGNAC.

Non : pis qué tout céla.

BLAISE.

Eh ! morgué, parlez vite.

FONTIGNAC.

C’est l’esprit des hommes qué jé corrompais ; jé les rendais avugles ; en un mot, j’étais un flattur.

BLAISE.

Ah ! patience ; car d’abord voute poison avait bian mauvaise meine ; mais ça est épouvantable, et je sis tout escandalisé.

FONTIGNAC.

Jé mé détesté. Imaginez-vous qué du ridiculé dé mon maîtré, il en a plus dé moitié dé ma façon.

BLAISE.

Faut bian soupirer de cette affaire-là.

FONTIGNAC.

J’en respiré à peine.

BLAISE.

Vous allez donc hausser.

FONTIGNAC.

Jé n’en douté pas à cé qué jé sens. Suivez-moi, jé veux qué lé prodigé éclaté aux yeux de Spinetté et dé mon maîtré. N’attendons pas, courons ; jé suis pressé.

BLAISE.

Allons vite, et faisons que tous nos camarades aient leur compte.

 

 

ACTE II

 

 

Scène première

 

FONTIGNAC, BLAISE, SPINETTE

 

            Ils entrent comme se caressant.

FONTIGNAC, à Blaise.

Viens donc, qué je t’embrasse encore, mon cher ami, mon intimé Blaise. Jé suis pressé d’une réconnaissance qui duréra tout autant qué moi : en un mot ; jé té dois ma raison et lé rétour dé ma figure.

SPINETTE.

Pour moi, Fontignac, je ne te haïssais pas : mais j’avoue qu’aujourd’hui mon cœur est bien disposé pour toi ; je te dois autant que tu dois à Blaise.

FONTIGNAC.

Les biens mé pleuvent donc dé tous côtés.

BLAISE.

Pargué ! j’ons bian de la satisfaction de tout ça : j’ons guari Monsieu de Fontignac, et pis Monsieu de Fontignac vous a guarie ; et par ainsi, de guarison en guarison, je me porte bian, il se porte bian, vous vous portez bian : et velà trois malades qui sont devenus médecins ; car vous êtes itou médeceine envars les autres, Mademoiselle Spinette.

SPINETTE.

Hélas ! je ne demande pas mieux que de leur rendre service.

FONTIGNAC.

Ah ! jé lé crois ; chez quiconque a dé la raison, lé prochain affligé n’a qué faire dé récommandation.

BLAISE.

Ça est admirable ! Comme on deviant honnêtes gens avec cette raison !

FONTIGNAC.

Jé mé sens une douceur, uné suavité dans l’âmé.

BLAISE.

Et la mienne est si bian reposée !

SPINETTE.

La raison est un si grand trésor.

BLAISE.

Morgué ! ne le pardez pas, vous ; ça est bian casuel entre les mains d’une fille.

SPINETTE.

Je vous suis bien obligée de l’avertissement.

BLAISE.

Alle me charme, Monsieu de Fontignac ; alle a de la modestie, alle est aussi raisonnable que nous autres hommes.

FONTIGNAC.

Jé m’estimérais bien fortuné dé l’être autant qu’elle.

BLAISE.

Encore ? un Gascon de modeste ! oh ! queu convarsion ! Allons, ou êtes purgé à fond.

 

 

Scène II

 

MÉGISTE, FONTIGNAC, BLAISE, SPINETTE, LE MÉDECIN

 

MÉGISTE.

Messieurs, voilà un de vos camarades qui m’a demandé en grâce de vous l’amener pour vous voir.

BLAISE.

Eh ! où est-il donc ?

FONTIGNAC.

Jé né l’aperçois pas non plus.

LE MÉDECIN.

Me voilà.

BLAISE.

Ah ! je voyais queuque chose qui se remuait là ; mais je ne savais pas ce que c’était. Je pense que c’est noute médecin ?

LE MÉDECIN.

Lui-même.

SPINETTE.

Allons ! mes amis, il faut tâcher de le tirer d’affaire.

LE MÉDECIN.

Eh ! Mademoiselle, je ne demande pas mieux ; car en vérité, c’est quelque chose de bien affreux que de rester comme je suis, moi qui ai du bien, qui suis riche et estimé dans mon pays.

FONTIGNAC.

Né comptez pas l’estimé dé ces fous.

LE MÉDECIN.

Mais faudra-t-il que je demeure éloigné de chez moi, pauvre, et sans avoir de quoi vivre ?

BLAISE.

Taisez-vous donc, gourmand. Est-ce que la pitance vous manque ici ?

LE MÉDECIN.

Non ; mais mon bien, que deviendra-t-il ?

BLAISE.

Queu pauvreté avec son bian ! c’est comme un enfant qui crie après sa poupée. Tenez, un pourpoint, des vivres et de la raison, quand un homme a ça, le velà garni pour son été et pour son hivar ; le voilà fourré comme un manchon. Vous varrez, vous varrez.

SPINETTE.

Dites-lui ce qu’il faut qu’il fasse pour redevenir comme il était.

BLAISE.

Voulez-vous que ce soit moi qui le traite ?

FONTIGNAC.

Sans douté ; l’honnur vous appartient ; vous êtes lé doyen dé tous.

BLAISE.

Eh ! morgué, pus d’honneur, je n’en voulons pus tâter ; et je sais bian que je ne sis qu’un pauvre réchappé des Petites-Maisons.

FONTIGNAC.

Rémettons donc cet estropié d’esprit entré les mains dé Madémoisellé Spinetté.

SPINETTE.

Moi, Messieurs ! c’est à moi à me taire où vous êtes.

LE MÉDECIN.

Eh ! mes amis, voilà des compliments bien longs pour un homme qui souffre.

BLAISE.

Oh dame, il faut que l’humilité marche entre nous ; je nous mettons bas pour rester haut. Ça vous passe, mon mignon ; et j’allons, pisque ma compagnée l’ordonne, vous apprenre à devenir grand garçon, et le tu autem de voute petitesse : mais je vas être brutal, je vous en avartis ; faut que j’assomme voute rapetissement avec des injures : demandez putôt aux camarades.

FONTIGNAC.

Oui, votre santé en dépend.

LE MÉDECIN.

Quoi ! tout votre secret est de me dire des injures ? Je n’en veux point.

BLAISE.

Oh bian ! gardez donc vos quatre pattes.

SPINETTE.

Mais essayez, petit homme, essayez.

LE MÉDECIN.

Des injures à un docteur de la Faculté !

BLAISE.

Il n’y a ni docteur ni doctraine ; quand vous seriez apothicaire.

LE MÉDECIN.

Voyons donc ce que c’est.

FONTIGNAC.

Bon, jé vous félicité du parti qué vous prénez. Madémoisellé Spinetté, laissons faire maître Blaisé, et l’écoutons.

BLAISE.

Premièrement, faut commencer par vous dire qu’on êtes un sot d’être médecin.

LE MÉDECIN.

Voilà un paysan bien hardi.

BLAISE.

Hardi ! je ne sis pas entre vos mains. Dites-moi, sans vous fâcher, étiez-vous en ménage, aviez-vous femme là-bas ?

LE MÉDECIN.

Non, je suis veuf ; ma femme est morte à vingt-cinq ans d’une fluxion de poitrine.

BLAISE.

Maugré la doctraine de la Faculté ?

LE MÉDECIN.

Il ne me fut pas possible de la réchapper.

BLAISE.

Avez-vous des enfants ?

LE MÉDECIN.

Non.

BLAISE.

Ni en bien ni en mal ?

LE MÉDECIN.

Non, vous dis-je. J’en avais trois ; et ils sont morts de la petite vérole, il y a quatre ans.

BLAISE.

Peste soit du docteur ! Eh ! de quoi guarissiez-vous donc le monde ?

LE MÉDECIN.

Vous avez beau dire, j’étais plus couru qu’un autre.

BLAISE.

C’est que c’était pour la darnière fois qu’on courait. Eh ! ne dites-vous pas qu’ou êtes riche ?

LE MÉDECIN.

Sans doute.

BLAISE.

Eh mais, morgué, pisque vous n’avez pas besoin de gagner voute vie en tuant le monde, ou avez donc tort d’être médecin. Encore est-ce, quand c’est la pauvreté qui oblige à tuer les gens ; mais quand en est riche, ce n’est pas la peine ; et je continue toujours à dire qu’ou êtes un sot, et que, si vous voulez grandir, faut laisser les gens mourir tout seuls.

LE MÉDECIN.

Mais enfin...

FONTIGNAC.

Cadédis, bous né tuez pas mieux qu’il raisonne.

SPINETTE.

Assurément.

LE MÉDECIN, en colère.

Ah ! je m’en vais. Ces animaux-là se moquent de moi.

SPINETTE.

Il n’a pas laissé que d’être frappé, il y reviendra.

 

 

Scène III

 

BLECTRUE, FONTIGNAC, BLAISE, SPINETTE

 

FONTIGNAC.

Ah ! voilà l’honnête homme dé qui nous sont vénus les prémiers rayons dé lumière. Vénez, Monsieur Blectrue, approchez dé vos enfants, et récévez-les entre vos bras.

BLAISE.

Oh ! je lui ai déjà rendu mes grâce.

BLECTRUE.

Et moi, je les rends aux dieux de l’état où vous êtes. Il ne s’agit plus que de vos camarades.

BLAISE.

Je venons d’en rater un tout à l’heure ; et les autres sont bian opiniâtres, surtout le courtisan et le philosophe.

SPINETTE.

Pour moi, j’espère que je ferai entendre raison à ma maîtresse, et que nous demeurerons tous ici ; car on y est si bien !

BLECTRUE.

Je me proposais de vous le persuader, mes enfants ; dans votre pays vous retomberiez peut-être.

BLAISE.

Pargué ! noute çarvelle serait biantôt fondue. La raison dans le pays des folies, c’est comme une pelote de neige au soleil. Mais à propos de soleil, dites-moi, papa Blectrue : tantôt, en passant, j’ons rencontré une jeune poulette du pays, tout à fait gentille, ma foi, qui m’a pris la main, et qui m’a dit : Vous velà donc grand ! Ça vous va fort bian ; je vous en fais mon compliment. Et pis, en disant ça, les yeux li trottaient sur moi, fallait voir ; et pis : Mon biau garçon, regardez-moi ; parmettez que je vous aime. Ah ! Mademoiselle, vous vous gaussez, ai-je repris ; ce n’est pas moi qui baille les parvilèges, c’est moi qui les demande. Et pis vous êtes venu, et j’en avons resté là. Qu’est-ce que ça signifie ?

BLECTRUE.

Cela signifie qu’elle vous aime et qu’elle vous en faisait la déclaration.

BLAISE.

Une déclaration d’amour à ma parsonne ! et n’y a-t-il pas de mal à ça ?

BLECTRUE.

Nullement. Comment donc ? c’est la loi du pays qui veut qu’on en use ainsi.

BLAISE.

Allons, allons, vous êtes un gausseux.

SPINETTE.

Monsieur Blectrue aime à rire.

BLECTRUE.

Non, certes, je parle sérieusement.

FONTIGNAC.

Mais dans lé fond, en France céla commence à s’établir.

BLECTRUE.

Vous voudriez que les hommes attaquassent les femmes ! Et la sagesse des femmes y résisterait-elle ?

FONTIGNAC.

D’ordinaire effectivément ellé n’est pas robuste.

BLAISE.

Morgué ça est vrai, on ne voit partout que des sagesses à la renvarse.

BLECTRUE.

Que deviendra la faiblesse si la force l’attaque ?

BLAISE.

Adieu la voiture !

BLECTRUE.

Que deviendra l’amour, si c’est le sexe le moins fort que vous chargez du soin d’en surmonter les fougues ? Quoi ? vous mettrez la séduction du côté des hommes, et la nécessité de la vaincre du côté des femmes ! Et si elles y succombent, qu’avez-vous à leur dire ? C’est vous en ce cas qu’il faut déshonorer, et non pas elles. Quelles étranges lois que les vôtres en fait d’amour ! Allez mes enfants, ce n’est pas la raison, c’est le vice qui les a faites ; il a bien entendu ses intérêts. Dans un pays où l’on a réglé que les femmes résisteraient aux hommes, on a voulu que la vertu n’y servît qu’à ragoûter les passions, et non pas à les soumettre.

BLAISE.

Morgué ! les femmes n’ont qu’à venir, ma force les attend de pied farme. Alles varront si je ne voulons de la vartu que pour rire.

SPINETTE.

Je vous avoue que j’aurai bien de la peine à m’accoutumer à vos usages, quoique sensés.

BLECTRUE.

Tant pis, je vous regarde comme retombée.

SPINETTE.

Hélas ! Monsieur, actuellement j’en ai peur.

BLAISE.

Eh ! morgué, faites donc vite. Venez à repentance ; velà voute taille qui s’en va.

SPINETTE.

Oui, je me rends ; je ferai tout ce qu’on voudra ; et pour preuve de mon obéissance, tenez, Fontignac, je vous prie de m’aimer, je vous en prie sérieusement.

FONTIGNAC.

Vous êtes bien pressante.

SPINETTE.

Je sens que vous avez raison, Monsieur Blectrue ; et je vous promets de me conformer à vos lois. Ce que je viens d’éprouver en ce moment me donne encore plus de respect pour elles. Allons, ma maîtresse gémit ; permettez que je travaille à la tirer d’affaire ; je veux lui parler.

BLAISE.

Laissez-moi vous aider itou.

BLECTRUE.

Je vais de ce pas dire qu’on vous l’amène.

FONTIGNAC.

Et moi, dé mon côté, jé vais combattré les vertigés dé mon maître.

 

 

Scène IV

 

BLAISE, SPINETTE

 

BLAISE.

Tatigué, Mademoiselle Spinette, qu’en dites-vous ? Il y a de belles maxaimes en ce pays-ci ! Cet amour qu’il faut qu’on nous fasse, à nous autres hommes, qu’il y a de prudence à ça !

SPINETTE.

Tout me charme ici.

BLAISE.

Morgué ! tenez, velà cette fille qui m’a tantôt cajolé, qui viant à nous.

 

 

Scène V

 

SPINETTE, BLAISE, UNE INSULAIRE

 

L’INSULAIRE.

Ah ! mon beau garçon, je vous retrouve ; et vous, Mademoiselle, je suis bien ravie de vous voir comme vous êtes.

BLAISE.

J’en sis fort ravi aussi. Quant à l’égard du biau garçon, il n’y a point de ça ici.

L’INSULAIRE.

Pour moi, vous me paraissez tel.

BLAISE, à Spinette.

Vous voyez bian qu’alle me conte la fleurette. Mais, Mademoiselle, parlez-moi, dans queulle intention est-ce que vous me dites que je sis biau ? Je sis d’avis de savoir ça. Est-ce que je vous plais ?

L’INSULAIRE.

Assurément.

BLAISE.

Souvenez-vous bian que je n’y saurais que faire.

                À Spinette.

Je sis bian sévère, est-ce pas ?

L’INSULAIRE.

Eh quoi ! me trouvez-vous si désagréable ?

BLAISE, à part.

Vous ! non... Si fait, si fait. C’est que je rêve. Morgué ! queu dommage de rudoyer ça !

SPINETTE.

Maître Blaise, la conquête d’une si jolie fille mérite pourtant votre attention.

BLAISE.

Oh ! mais il faut que ça vianne ; ça n’est pas encore bian mûr, et je varrons pendant qu’à m’aimera ; qu’alle aille son train.

L’INSULAIRE.

Aimer toute seule est bien triste !

BLAISE.

Ma sagesse n’a pas encore résolu que ça soit divartissant.

L’INSULAIRE.

Voici, je pense, quelqu’un de vos camarades qui vient ; je me retire, sans rien attendre de votre cœur.

BLAISE.

Là, là, ma mie, vous revianrez. Ne vous découragez pas, entendez-vous ?

L’INSULAIRE.

Passe pour cela.

BLAISE.

Adieu, adieu. J’avons affaire. Vous gagnez trop de terrain, et j’en ai honte. Adieu.

 

 

Scène VI

 

LA COMTESSE, SPINETTE, BLAISE

 

LA COMTESSE.

Eh bien ! que me veut-on ? Ô ciel ! que vois-je ? par quel enchantement avez-vous repris votre figure naturelle ? Je tombe dans un désespoir dont je ne suis plus la maîtresse.

BLAISE.

Allons, ma petiote damoiselle, tout bellement, tout bellement. Il ne s’agit ici que d’un petit raccommodage de çarviau.

SPINETTE.

Vous savez, Madame, que tantôt Fontignac et ce paysan croyaient que nous n’étions petits que parce que nous manquions de raison ; et ils croyaient juste : cela s’est vérifié.

LA COMTESSE.

Quelles chimères ! est-ce que je suis folle ?

BLAISE.

Eh oui ! morgué, velà cen que c’est.

LA COMTESSE.

Moi, j’ai perdu l’esprit ! À quelle extrémité suis-je réduite !

BLAISE.

Par exemple, j’ons bian avoué que j’étais un ivrogne, moi.

SPINETTE.

Ce n’est que par l’aveu de mes folies que j’ai rattrapé ma raison.

BLAISE.

Bon, bon, attrapé ! Faut qu’alle oublie sa figure ! Velà un biau chiffon pour tant courir après ! qu’à pleure sa raison tornée, velà tout.

SPINETTE.

Fontignac a eu autant de peine à me persuader que j’en ai après vous, ma chère maîtresse ; mais je me suis rendue.

BLAISE.

Pendant qu’un manant comme moi porte l’état d’une criature raisonnable, voulez-vous toujours garder voute état d’animal, une damoiselle de la cour ?

SPINETTE.

Ne lui parlez plus de cette malheureuse cour.

LA COMTESSE.

Mes larmes m’empêchent de parler.

BLAISE.

Velà qui est bel et bon ; mais il n’y a que voute folie qui en varse : voute raison n’en baille pas une goutte, et ça n’avance rian.

SPINETTE.

Cela est vrai.

BLAISE.

Ne vous fâchez pas, ce n’est que par charité que je vous méprisons.

LA COMTESSE, à Spinette.

Mais de grâce, apprenez-moi mes folies !

SPINETTE.

Eh ! Madame, un peu de réflexion. Ne savez-vous pas que vous êtes jeune, belle, et fille de condition ? Citez-moi une tête de fille qui ait tenu contre ces trois qualités-là, citez-m’en une.

BLAISE.

Cette jeunesse, alle est une girouette. Cette qualité rend glorieuse.

SPINETTE.

Et la beauté ?

BLAISE.

Ça fait les femmes si sottes !...

LA COMTESSE.

À votre compte, Spinette, je suis donc une étourdie, une sotte et une glorieuse ?

SPINETTE.

Madame, vous comptez si bien, que ce n’est pas la peine que je m’en mêle.

BLAISE.

Ce n’est pas pour des preunes qu’ou êtes si petite. Vous voyez bian qu’on vous a baillé de la marchandise pour voute argent.

LA COMTESSE.

De l’orgueil, de la sottise et de l’étourderie !

BLAISE.

Oui, ruminez, mâchez bian ça en vous-même, à celle fin que ça vous sarve de médecaine.

LA COMTESSE.

Enfin, Spinette, je veux croire que tout ceci est de bonne foi ; mais je ne vois rien en moi qui ressemble à ce que vous dites.

BLAISE.

Morgué, pourtant je vous approchons la lantarne assez près du nez. Parlons-li un peu de cette coquetterie. Dans ce vaissiau alle avait la maine d’en avoir une bonne tapée.

SPINETTE.

Aidez-vous, Madame ; songez, par exemple, à ce que c’est qu’une toilette.

BLAISE.

Attendez. Une toilette ? n’est-ce pas une table qui est si bian dressée, avec tant de brimborions, où il y a des flambiaux, de petits bahuts d’argent et une couvarture sur un miroir ?

SPINETTE.

C’est cela même.

BLAISE.

Oh ! la dame de cheux nous avait la pareille.

SPINETTE.

Vous souvenez-vous, ma chère maîtresse, de cette quantité d’outils pour votre visage qui était sur la vôtre ?

BLAISE.

Des outils pour son visage ! Est-ce que sa mère ne li avait pas baillé un visage tout fait ?

SPINETTE.

Bon ! est-ce que le visage d’une coquette est jamais fini ? Tous les jours on y travaille : il faut concerter les mines, ajuster les œillades. N’est-il pas vrai qu’à votre miroir, un jour, un regard doux vous a coûté plus de trois heures à attraper ? Encore n’en attrapâtes-vous que la moitié de ce que vous en vouliez ; car, quoique ce fût un regard doux, il s’agissait aussi d’y mêler quelque chose de fier : il fallait qu’un quart de fierté y tempérât trois quarts de douceur ; cela n’est pas aisé. Tantôt le fier prenait trop sur le doux : tantôt le doux étouffait le fier. On n’a pas la balance à la main ; je vous voyais faire, et je ne vous regardais que trop. N’allais-je pas répéter toutes vos contorsions ? Il fallait me voir avec mes yeux chercher des doses de feu, de langueur, d’étourderie et de noblesse dans mes regards. J’en possédais plus d’un mille qui étaient autant de coups de pistolet, moi qui n’avais étudié que sous vous. Vous en aviez un qui était vif et mourant, qui a pensé me faire perdre l’esprit : il faut qu’il m’ait coûté plus de six mois de ma vie, sans compter un torticolis que je me donnai pour le suivre.

LA COMTESSE, soupirant.

Ah !

BLAISE.

Queu tas de balivarnes ! Velà une tarrible condition que d’être les yeux d’une coquette !

SPINETTE.

Et notre ajustement ! et l’architecture de notre tête, surtout en France où Madame a demeuré ! et le choix des rubans ! Mettrai-je celui-là ? non, il me rend le visage dur. Essayons de celui-ci ; je crois qu’il me rembrunit. Voyons le jaune, il me pâlit ; le blanc, il m’affadit le teint. Que mettra-t-on donc ? Les couleurs sont si bornées, toutes variées qu’elles sont ! La coquetterie reste dans la disette ; elle n’a pas seulement son nécessaire avec elle. Cependant on essaye, on ôte, on remet, on change, on se fâche ; les bras tombent de fatigue, il n’y a plus que la vanité qui les soutient. Enfin on achève : voilà cette tête en état : voilà les yeux armés. L’étourdi à qui tant de grâces sont destinées arrivera tantôt. Est-ce qu’on l’aime ? non. Mais toutes les femmes tirent dessus, et toutes le manquent. Ah ! le beau coup, si on pouvait l’attraper !

BLAISE.

Mais de cette manière-là, vous autres femmes dans le monde qui tirez sur les gens, je comprends qu’ou êtes comme des fusils.

SPINETTE.

À peu près, mon pauvre Blaise.

LA COMTESSE.

Ah ciel !

BLAISE.

Elle se lamente. C’est la raison qui bataille avec la folie.

SPINETTE.

Ne vous troublez point, Madame ; c’est un cœur tout à vous qui vous parle. Malheureusement je n’ai point de mémoire, et je ne me ressouviens pas de la moitié de vos folies. Orgueil sur le chapitre de la naissance : Qui sont-ils ces gens-là ? de quelle maison ? et cette petite bourgeoise qui fait comparaison avec moi ? Et puis cette bonté superbe avec laquelle on salue des inférieurs ; cet air altier avec lequel on prend sa place ; cette évaluation de ce que l’on est et de ce que les autres ne sont pas. Reconduira-t-on celle-ci ? Ne fera-t-on que saluer celle-là ? Sans compter cette rancune contre tous les jolis visages que l’on va détruisant d’un ton nonchalant et distrait. Combien en avez-vous trouvé de boursouflés, parce qu’ils étaient gras ? Vous n’accordiez que la peau sur les os à celui qui était maigre. Il y avait un nez sur celui-ci qui l’empêchait d’être spirituel. Des yeux étaient-ils fiers ? ils devenaient hagards. Étaient-ils doux ? les voilà bêtes. Étaient-ils vifs ? les voilà fous. À vingt-cinq ans, on approchait de sa quarantaine. Une petite femme avait-elle des grâces ? ah ! la bamboche ! Était-elle grande et bien faite ? ah ! la géante ! elle aurait pu se montrer à la foire. Ajoutez à cela cette finesse avec laquelle on prend le parti d’une femme sur des médisances que l’on augmente en les combattant, qu’on ne fait semblant d’arrêter que pour les faire courir, et qu’on développe si bien, qu’on ne saurait plus les détruire.

LA COMTESSE.

Arrête, Spinette, arrête, je te prie.

BLAISE.

Pargué ! velà une histoire bian récriative et bian pitoyable en même temps. Queu bouffon que ce grand monde ! Queu drôle de parfide ! Faudrait, morgué ! le montrer sur le Pont-Neuf, comme la curiosité. Je voudrais bien retenir ce pot-pourri-là. Toutes sortes d’acabits de rubans, du vart, du gris, du jaune, qui n’ont pas d’amiquié pour une face ; une coquetterie qui n’a pas de quoi vivre avec des couleurs ; des bras qui s’impatientont ; et pis de la vanité qui leur dit : Courage ! et pis du doux dans un regard, qui se détrempe avec du fiar ; et pis une balance pour peser cette marchandise : qu’est-ce que c’est que tout ça ?

SPINETTE.

Achevez, maître Blaise ; cela vaut mieux que tout ce que j’ai dit.

BLAISE.

Pargué ! je veux bian. Tenez, un tiers d’œillade avec un autre quart ; un visage qu’il faut remonter comme un horloge ; un étourdi qui viant voir ce visage ; des femmes qui vont à la chasse après cet étourdi, pour tirer dessus ; et pis de la poudre et du plomb dans l’œil ; des naissances qui demandont la maison des gens ; des bourgeoises de comparaison saugrenue : des faces joufflues qui ont de la boursouflure, avec du gras ; un arpent de taille qu’on baille à celle-ci pour un quarquier qu’on ôte à celle-là ; de l’esprit qui ne saurait compatir avec un nez, et de la médisance de bon cœur. Y en a-t-il encore ? Car je veux tout avoir, pour lui montrer quand alle sera guarie ; ça la fera rire.

SPINETTE.

Madame, assurément ce portrait-là a de quoi rappeler la raison.

LA COMTESSE, confuse.

Spinette, il me dessille les yeux ; il faut se rendre : j’ai vécu comme une folle. Soutiens-moi ; je ne sais ce que je deviens.

BLAISE.

Ah ! Spinette, m’amie, velà qui est fait, la marionnette est partie ; velà le pus biau jet qui se fera jamais.

SPINETTE.

Ah ! ma chère maîtresse, que je suis contente !

LA COMTESSE.

Que je t’ai d’obligation, Blaise ; et à toi aussi, Spinette !

BLAISE.

Morgué ; que j’ons de joie ! pus de petitesse ; je l’ons tuée toute roide.

LA COMTESSE.

Ah ! mes enfants, ce qu’il y a de plus doux pour moi dans tout cela, c’est le jugement sain et raisonnable que je porte actuellement des choses. Que la raison est délicieuse !

SPINETTE.

Je vous l’avais promis, et si vous m’en croyez, nous resterons ici. Il ne faut plus nous exposer ; les rechutes, chez nous autres femmes, sont bien plus faciles que chez les hommes.

BLAISE.

Comment, une femme ? alle est toujours à moitié tombée. Une femme marche toujours sur la glace.

LA COMTESSE.

Ne craignez rien ; j’ai retrouvé la raison ici ; je n’en sortirai jamais. Que pourrais-je avoir qui la valût ?

BLAISE.

Rian que des guenilles. Premièrement, il y a ici le fils du Gouvarneur, qui est un garçon bian torné.

LA COMTESSE.

Très aimable, et je l’ai remarqué.

SPINETTE.

Il ne vous sera pas difficile d’en être aimée.

BLAISE.

Tenez, il viant ici avec sa sœur.

 

 

Scène VII

 

LA COMTESSE, SPINETTE, BLAISE, PARMENÈS, FLORIS

 

FLORIS.

Que vois-je ? Ah ! mon frère, la jolie personne !

BLAISE.

C’est pourtant cette bamboche de tantôt.

SPINETTE.

C’est ma maîtresse, cette petite femelle que Monsieur avait retenue.

PARMENÈS.

Quoi ! vous, Madame ?

LA COMTESSE.

Oui, Seigneur, c’est moi-même, sur qui la raison a repris son empire.

FLORIS.

Et mon petit mâle ?

BLAISE.

On travaille à li faire sa taille à ceti-là : le Gascon est après, à ce qu’il nous a dit.

FLORIS, à la Comtesse.

Je voudrais bien qu’il eût le même bonheur. Et vous, Madame, l’état où vous étiez nous cachait une charmante figure. Je vous demande votre amitié.

LA COMTESSE.

J’allais vous demander la vôtre, Madame, avec un asile éternel en ce pays-ci.

FLORIS.

Vous ne pouvez, ma chère amie, nous faire un plus grand plaisir ; et si la modestie permettait à mon frère de s’expliquer là-dessus, je crois qu’il en marquerait autant de joie que moi.

PARMENÈS.

Doucement, ma sœur.

LA COMTESSE.

Non, Prince, votre joie peut paraître ; elle ne risquera point de déplaire.

BLAISE.

Eh ! morgué, à propos, ce n’est pas comme ça qu’il faut répondre ; c’est à li à tenir sa morgue, et non pas à vous. C’est les hommes qui font les pimbêches, ici, et non pas les femmes. Amenez voute amour, il varra ce qu’il en fera.

LA COMTESSE.

Comment ? je ne l’entends pas.

SPINETTE.

Madame, c’est que cela a changé de main. Dans notre pays on nous assiège ; c’est nous qui assiégeons ici parce que la place en est mieux défendue.

BLAISE.

L’homme ici, c’est le garde-fou de la femme.

LA COMTESSE.

La pratique de cet usage-là m’est bien neuve ; mais j’y ai pensé plus d’une fois en ma vie, quand j’ai vu les hommes se vanter des faiblesses des femmes.

FLORIS.

Ainsi, ma chère amie, si vous aimiez mon frère, ne faites point de façon de lui en parler.

SPINETTE.

Oui, oui, cela est extrêmement juste.

LA COMTESSE.

Cela m’embarrasse un peu.

SPINETTE.

Prenez garde, j’ai pensé retomber avec ces petites façons-là.

LA COMTESSE.

Comme vous voudrez.

FLORIS.

Mon frère, Madame est instruite de nos usages, et elle a un secret à vous confier. Souvenez-vous qu’elle est étrangère, et qu’elle mérite plus d’égards qu’une autre. Pour moi, qui ne veux savoir les secrets de personne, je vous laisse.

BLAISE.

Je sis discret itou, moi.

SPINETTE.

Et moi aussi, et je sors.

BLAISE.

Allons voir si voute petit mâle de tantôt est bian avancé.

FLORIS, à la Comtesse.

Je le souhaite beaucoup. Adieu, chère belle-sœur.

 

 

Scène VIII

 

LA COMTESSE, PARMENÈS

 

PARMENÈS.

Je suis charmé, Madame, des noms caressants que ma sœur vous donne, et de l’amitié qui commence si bien entre vous deux.

LA COMTESSE.

Je n’ai rien vu de si aimable qu’elle, et... toute sa famille lui ressemble.

PARMENÈS.

Nous vous sommes obligés de ce sentiment ; mais vous avez, dit-on, un secret à me confier.

LA COMTESSE soupire.

Hem ! oui.

PARMENÈS.

De quoi s’agit-il, Madame ? Serait-ce quelque service que je pourrais vous rendre ? Il n’y a personne ici qui ne s’empresse à vous être utile.

LA COMTESSE.

Vous avez bien de la bonté.

PARMENÈS.

Parlez hardiment, Madame.

LA COMTESSE.

Les lois de mon pays sont bien différentes des vôtres.

PARMENÈS.

Sans doute que les nôtres vous paraissent préférables ?

LA COMTESSE.

Je suis pénétrée de leur sagesse ; mais...

PARMENÈS.

Quoi ! Madame ? achevez.

LA COMTESSE.

J’étais accoutumée aux miennes, et l’on perd difficilement de mauvaises habitudes.

PARMENÈS.

Dès que la raison les condamne, on ne saurait y renoncer trop tôt.

LA COMTESSE.

Cela est vrai, et personne ne m’engagerait plus vite à y renoncer que vous.

PARMENÈS.

Voyons, puis-je vous y aider ? Je me prête autant que je puis à cette difficulté qui vous reste encore.

LA COMTESSE.

Vous la nommez bien ; elle est vraiment difficulté. Mais, Prince, ne pensez-vous rien, vous-même ?

PARMENÈS.

Nous autres hommes, ici, nous ne disons point ce que nous pensons.

LA COMTESSE.

Faites pourtant réflexion que je suis étrangère, comme on vous l’a dit. Il y a des choses sur lesquelles je puis n’être pas encore bien affermie.

PARMENÈS.

Eh ! quelles sont-elles ? Donnez-m’en seulement l’idée ; aidez-moi à savoir ce que c’est.

LA COMTESSE.

Si j’avais de l’inclination pour quelqu’un, par exemple ?

PARMENÈS.

Eh bien ! cela n’est pas défendu : l’amour est un sentiment naturel et nécessaire ; il n’y a que les vivacités qu’il en faut régler.

LA COMTESSE.

Mais cette inclination, on m’a dit qu’il faudrait que je l’avouasse à celui pour qui je l’aurais.

PARMENÈS.

Nous ne vivons pas autrement ici ; continuez, Madame. Avez-vous du penchant pour quelqu’un ?

LA COMTESSE.

Oui, Prince.

PARMENÈS.

Il y a toute apparence qu’on n’y sera pas insensible.

LA COMTESSE.

Me le promettez-vous ?

PARMENÈS.

On ne saurait répondre que de soi.

LA COMTESSE.

Je le sais bien.

PARMENÈS.

Et j’ignore pour qui votre penchant se déclare.

LA COMTESSE.

Vous voyez bien que ce n’est pas pour un autre. Ah !

PARMENÈS.

Cessez de rougir, Madame ; vous m’aimez et je vous aime. Que la franchise de mon aveu dissipe la peine que vous a fait le vôtre.

LA COMTESSE.

Vous êtes aussi généreux qu’aimable.

PARMENÈS.

Et vous, aussi aimée que vous êtes digne de l’être. Je vous réponds d’avance du plaisir que vous ferez à mon père quand vous lui déclarerez vos sentiments. Rien ne lui sera plus précieux que l’état où vous êtes, et que la durée de cet état par votre séjour ici. Je n’ai plus qu’un mot à vous dire, Madame. Vous et les vôtres, vous m’appelez Prince, et je me suis fait expliquer ce que ce mot-là signifie ; ne vous en servez plus. Nous ne connaissons point ce titre-là ici ; mon nom est Parmenès, et l’on ne m’en donne point d’autre. On a bien de la peine à détruire l’orgueil en le combattant. Que deviendrait-il, si on le flattait ? Il serait la source de tous les maux. Surtout que le ciel en préserve ceux qui sont établis pour commander, eux qui doivent avoir plus de vertus que les autres, parce qu’il n’y a point de justice contre leurs défauts.

 

 

Scène IX

 

PARMENÈS, LA COMTESSE, FONTIGNAC

 

FONTIGNAC.

Ah ! Madame, je vous réconnais ; mes yeux rétrouvent cé qu’il y avait dé plus charmant dans lé monde ! Voilà la prémiéré fois dé ma vie qué j’ai vu la beauté et la raison ensemble. Permettez, Seigneur, qué j’emmène Madame ; l’esprit dé son frère fait lé mutin, il régimbe ; sa folie est ténace, et j’ai bésoin dé troupes auxiliaires.

PARMENÈS.

Allez, Madame, n’épargnez rien pour le tirer d’affaire.

FONTIGNAC.

Il y aura dé la vésogne après lui ; car c’est une cervelle dé courtisan.

 

 

ACTE III

 

 

Scène première

 

LA COMTESSE, FLORIS, LE COURTISAN, FONTIGNAC, SPINETTE, BLAISE

 

LA COMTESSE, au Courtisan.

Oui, mon frère, rendez-vous aux exemples qui vous frappent ; vous nous voyez tous rétablis dans l’état où nous étions ; cela ne doit-il pas vous persuader ? Moi qui vous parle, voyez ce que je suis aujourd’hui ; reconnaissez-vous votre sœur à l’aveu franc qu’elle a fait de ses folies ? M’auriez-vous cru capable de ce courage-là ? Pouvez-vous vous empêcher de l’estimer, et ne me l’enviez-vous pas vous-même ?

BLAISE.

Eh ! morgué, il n’y a qu’à ouvrir les yeux pour nous admirer, sans compter que velà Mademoiselle qui est la propre fille du Gouverneur et qui n’attend que la revenue de votre parsonne pour vous entretenir de vos beaux yeux : ce qui vous sera bian agriable à entendre.

FLORIS.

Oui, donnez-moi la joie de vous voir comme je m’imagine que vous serez. Sortez de cet état indigne de vous, où vous êtes comme enseveli.

FONTIGNAC.

Si vous savez le plaisir qui vous attend dans le plus profond de vous-même !

BLAISE.

Velà noute médecin de guari ; il en embrasse tout le monde ; il est si joyeux, qu’il a pensé étouffer un passant. Quand est-ce donc que vous nous étoufferez itou ? Il n’y a pus que vous d’ostiné, avec ce faiseur de vars, qui est rechuté, et ce petit glorieux de phisolophe, qui est trop sot pour s’amender, et qui raisonne comme une cruche.

LA COMTESSE.

Allons, mon frère, n’hésitez plus, je vous en conjure.

SPINETTE.

Il en faut venir là, Monsieur. Il n’y a pas moyen de faire autrement.

LE COURTISAN.

Quelle situation !

BLAISE.

Que faire à ça ? Quand je songe que voute sœur a bian pu endurer l’avanie que je li avons faite ; la velà pour le dire. Demandez-li si je l’avons marchandée, et tout ce qu’alle a supporté dans son pauvre esprit, et les bêtises dont je l’avons blâmée ; demandez-li le houspillage.

FLORIS.

Eh bien ! nous en croirez-vous ?

LE COURTISAN.

Ah ! Madame, quel événement ! je vous demande en grâce de vouloir bien me laisser un moment avec Fontignac.

LA COMTESSE.

Oui, mon frère, nous allons vous quitter ; mais, au nom de notre amitié, ne résistez plus.

FONTIGNAC, à Blaise, à part.

Blaise, né vous éloignez pas, pour mé prêter main-forte si j’en ai bésoin.

BLAISE.

Non, je rôderons à l’entour d’ici.

 

 

Scène II

 

LE COURTISAN, FONTIGNAC

 

LE COURTISAN.

Je t’avoue, Fontignac, que je me sens ébranlé.

FONTIGNAC.

Jé lé crois : la raison et vous, dans lé fond, vous n’êtes vrouillés qué faute dé vous entendre.

LE COURTISAN.

Est-il vrai que ma sœur est convenue de toutes les folies dont elle parle ?

FONTIGNAC.

L’histoiré rapporte qu’elle en a fait l’aveu d’une manière exemplaire, en vérité.

LE COURTISAN.

Elle qui était si glorieuse, comment a-t-elle souffert cette confusion-là ?

FONTIGNAC.

On dit en effet qué son âme d’abord était en travail. Grand nombre d’exclamations : Où en suis-je ? On rougissait. Il est venu des larmes, un peu dé découragément, dé pétites colères brochant sur le tout. La vanité défendait le logis ; mais enfin la raison l’a serrée dé si près, qu’elle l’a, comme on dit, jetée par les fenêtres, et jé régarde déjà la vôtre commé sautée.

LE COURTISAN.

Mais dis-moi de quoi tu veux que je convienne ; car voilà mon embarras.

FONTIGNAC.

Jé vous fais excuse ; vous êtes fourni ; votre emvarras né peut vénir qué dé l’avondancé du sujet.

LE COURTISAN.

Moi, je ne me connais point de ces faiblesses, de ces extravagances dont on peut rougir ; je ne m’en connais point.

FONTIGNAC.

Eh bien ! jé vous mettrai en pays dé connaissance !

LE COURTISAN.

Vous plaisantez, sans doute, Fontignac ?

FONTIGNAC.

Moi, plaisanter dans lé ministère qué j’exerce, quand il s’agit dé guérir un avugle ! Vous n’y pensez pas.

LE COURTISAN.

Où est-il donc cet aveugle ?

FONTIGNAC.

Monsieur, avrégeons ; la vie est courte ; parlons d’affaire.

LE COURTISAN.

Ah ! tu m’inquiètes. Que vas-tu me dire ? Je n’aime pas les critiques.

FONTIGNAC.

Jé vous prends sur lé fait. Actuellément vous préludez par une petitesse. Il en est dé vous commé dé ces vases trop pleins ; on né peut les rémuer qu’ils né répandent.

LE COURTISAN.

Voudriez-vous bien me dire quelle est cette faiblesse par laquelle je prélude ?

FONTIGNAC.

C’est la peur qué vous avez qué jé né vous épluche. N’avez-vous jamais vu d’enfant entre les bras dé sa nourrice ? Connaissez-vous lé hochet dont elle agite les grelots pour réjouir lé poupon avecqué la chansonnette ? Qué vous ressemvlez bien à cé poupon, vous autres grands seignurs ! Régardez ceux qui vous approchent, ils ont tous lé hochet à la main ; il faut qué lé grélot joue, et qué sa chansonnette marché. Vous mé régardez ? Qué pensez-vous ?

LE COURTISAN.

Que vous oubliez entièrement à qui vous parlez.

FONTIGNAC.

Eh ! cadédis, quittez la bavette ; il est bien temps qué vous soyez sévré.

LE COURTISAN.

Voilà un faquin que je ne reconnais pas. Où est donc le respect que tu me dois ?

FONTIGNAC.

Lé respect qué vous démandez, voyez-vous, c’est lé sécouement du grélot ; mais j’ai perdu lé hochet.

LE COURTISAN.

Misérable !

FONTIGNAC.

Plus dé quartier, sandis. Quand un homme a lé bras disloqué, né faut-il pas lé rémettre ? Céla s’en va-t-il sans doulur ? et né va-t-on pas son train ? Cé n’est pas le bras à vous, c’est la tête qu’il faut vous rémettre ! tête dé coutisan, cadédis, qué jé vous garantis aussi disloquée à sa façon, qu’aucun bras lé peut être. Vous criérez : Mais jé vous aime, et jé vous avertis qué jé suis sourd.

LE COURTISAN.

Si j’en croyais ma colère...

FONTIGNAC.

Eh ! cadédis, qu’en feriez-vous ? Lé moucheron à présent vous combattrait à force égale.

LE COURTISAN.

Retirez-vous, insolent que vous êtes, retirez-vous.

FONTIGNAC.

Pour lé moins entamons lé sujet.

LE COURTISAN.

Laissez-moi, vous dis-je ; mon plus grand malheur est de vous voir ici.

 

 

Scène III

 

LE COURTISAN, FONTIGNAC, BLAISE

 

BLAISE.

Queu tintamarre est-ce que j’entends là ? En dirait d’un papillon qui bourdonne. Qu’avez-vous donc qui vous fâche ?

LE COURTISAN.

C’est ce coquin que tu vois qui vient de me dire tout ce qu’il y a de plus injurieux au monde.

                Fontignac et Blaise se font des mines d’intelligence.

BLAISE.

Qui, li ?

FONTIGNAC.

Hélas ! maîtré Blaise, vous savez lé dessein qué j’avais. Monsieur a cru qué jé l’avais piqué, quand jé né faisais encore qu’approcher ma lancetté pour lui tirer lé mauvais sang que vous lui connaissez.

BLAISE.

C’est qu’ou êtes un maladroit ; il a bian fait de retirer le bras.

LE COURTISAN.

La vue de cet impudent-là m’indigne.

BLAISE.

Jarnigué ! et moi itou. Il li appartient bian de fâcher un mignard comme ça, à cause qu’il n’est qu’un petit bout d’homme. Eh bian, qu’est-ce ? Moyennant la raison, il devianra grand.

LE COURTISAN.

Eh ! je t’assure que ce n’est pas la raison qui me manque.

BLAISE.

Eh ! morgué, quand alle vous manquerait, j’en avons pour tous deux, moi ; ne vous embarrassez pas.

LE COURTISAN.

Quoi qu’il en soit, je te suis obligé de vouloir bien prendre mon parti.

BLAISE.

Tenez, il m’est obligé, ce dit-il. Y a-t-il rian de si honnête ? Il n’est déjà pus si glorieux comme dans ce vaissiau où il ne me regardait pas. Morgué, ça me va au cœur : allons, qu’en se mette à genoux tout à l’heure pour li demander pardon, et qu’an se baisse bian bas pour être à son niviau.

LE COURTISAN.

Qu’il ne m’approche pas.

BLAISE, à Fontignac.

Mais, malheureux ; que li avez-vous donc dit, pour le rendre si rancunier ?

FONTIGNAC.

Il né m’a pas donné lé temps, vous dis-je. Quand vous êtes vénu, jé né faisais que peloter ; jé lé préparais.

BLAISE, au Courtisan.

Faut que j’accomode ça moi-même ; mais comme je ne savons pas voute vie, je le requiens tant seulement pour m’en bailler la copie. Vous le voulez bian ? Je manierons ça tout doucettement, à celle fin que ça ne vous apporte guère de confusion. Allons, Monsieur de Fontignac, s’il y a des bêtises dans son histoire, qu’en les raconte bian honnêtement. Où en étiez-vous ?

LE COURTISAN.

Je ne saurais souffrir qu’il parle davantage.

BLAISE.

Je ne prétends pas qu’il vous parle à vous, car il n’en est pas daigne ; ce sera à moi qu’il parlera à l’écart.

FONTIGNAC.

J’allais tomber sur les emprunts dé Monsieur.

LE COURTISAN.

Et que t’importent mes emprunts, dis ?

BLAISE, au Courtisan.

Ne faites donc semblant de rian.

                À Fontignac.

Vous rapportez des emprunts : qu’est-ce que ça fait, pourvu qu’on rende ?

FONTIGNAC.

Sans doute ; mais il était trop généreux pour payer ses dettes.

BLAISE.

Tenez, cet étourdi qui reproche aux gens d’être généreux !

Au Courtisan.

Stapendant je n’entends pas bian cet acabit de générosité-là ; alle a la phisolomie un peu friponne.

LE COURTISAN.

Je ne sais ce qu’il veut dire.

FONTIGNAC.

Jé m’expliqué : c’est qué Monsieur avait lé cœur grand.

BLAISE.

Le cœur grand ! Est-ce que tout y tenait ? le bian de son prochain et le sian ?

FONTIGNAC.

Tout juste. Les grandes âmes donnent tout, et né restituent rien, et la noblessé dé la sienne étouffait sa justice.

BLAISE, au Courtisan.

Eh ! j’aimerais mieux que ce fût la justice qui eût étouffé la noblesse.

FONTIGNAC.

D’autant plus qué cetté noblesse est cause qué l’on rafle la tavlé dé ses créanciers pour entréténir la magnifience dé la sienne.

BLAISE, au Courtisan.

Qu’est-ce que c’est que cette avaleuse de magnificence ? ça ressemble à un brochet dans un étang. Vous n’avez pas été si méchamment goulu que ça, peut-être ?

LE COURTISAN, triste.

J’ai fait tout ce que j’ai pu pour éviter cet inconvénient-là.

BLAISE.

Hum ! vous varrez qu’ou aurez grugé queuque poisson.

FONTIGNAC.

Là-bas si vous l’aviez vu caresser tout lé monde, et verbiager des compliments, promettré tout et né ténir rien !

LE COURTISAN.

J’entends tout ce qu’il dit.

BLAISE.

C’est qu’il parle trop haut. Il me chuchote qu’ou étiez un donneur de galbanum ; mais il ne sait pas qu’ou l’entendez.

FONTIGNAC.

Qué dités-vous dé ces gens qui n’ont qué des mensonges sur lé visage ?

BLAISE, au Courtisan.

Morgué ! je vous en prie, ne portez plus comme ça des bourdes sur la face.

FONTIGNAC.

Des gens dont les yeux ont pris l’arrangement dé dire à tout lé monde : Jé vous aime ?...

BLAISE, au Courtisan.

Ça est-il vrai que vos yeux ont arrangé de vendre du noir ?

FONTIGNAC.

Des gens enfin qui, tout en emvrassant lé suvalterne, né lé voient seulement pas. Cé sont des caresses machinales, des bras à ressort qui d’eux-mêmes viennent à vous sans savoir cé qu’ils font.

BLAISE, au Courtisan.

Ahi ! ça me fâche. Il dit qué vos bras ont un ressort avec lequeul ils embrassont les gens sans le faire exprès. Cassez-moi ce ressort-là ; en dirait d’un torne-broche quand il est monté.

FONTIGNAC.

Cé sont des paroles qui leur tombent dé la bouche ; des ritournelles, dont cependant l’inférieur va sé vantant, et qui lui donnent lé plaisir d’en devenir plus sot qu’à l’ordinaire.

BLAISE.

Velà de sottes gens que ces sots-là ! Qu’en dites-vous ? A-t-il raison ?

LE COURTISAN.

Que veux-tu que je lui réponde, dès qu’il a perdu tout respect pour un homme de ma condition ?

BLAISE.

Morgué, Monsieur de Fontignac, ne badinez pas sur la condition.

FONTIGNAC.

Jé né parle qué dé l’homme, et non pas du rang.

BLAISE.

Ah ! ça est honnête, et vous devez être content de la diffarance ; car velà, par exemple, un animal chargé de vivres : et bian ! les vivres sont bons, je serais bian fâché d’en médire ; mais de ceti-là qui les porte, il n’y a pas de mal à dire que c’est un animal, n’est-ce pas ?

FONTIGNAC.

Si Monsieur lé permettait, jé finirais par lé récit dé son amitié pour ses égaux.

BLAISE, au Courtisan.

De l’amiquié ? oui-da, baillez-li cette libarté-là, ça vous ravigotera.

FONTIGNAC.

Un jour vous vous trouviez avec un dé ces Messieurs. Jé vous entendais vous entréfriponner tous deux. Rien dé plus affétueux qué vos témoignages d’affétion réciproque. Jé tâchai dé réténir vos paroles, et j’en traduisis un pétit lamveau. Sandis ! lui disiez-vous, jé n’estime à la cour personne autant qué vous ; jé m’en fais fort, jé lé dis partout, vous devez lé savoir ; cadédis, j’aime l’honnur, et vous en avez. De ces discours en voici la traduction : Maudit concurrent dé ma fortune, jé té connais, tu né vaux rien ; tu mé perdrais si tu pouvais mé perdre, et tu penses qué j’en ferais dé même. Tu n’as pas tort ; mais né lé crois pas, s’il est possible. Laissé-toi duper à mes expressions. Jé mé travaille pour en trouver qui té persuadent, et jé mé montre persuadé des tiennes. Allons, tâche dé mé croire imvécile, afin dé lé dévenir à ton tour ; donné-moi ta main, qué la mienne la serre. Ah ! sandis, qué jé t’aime ! Régarde mon visage et touté la tendressé dont jé lé frelate. Pense qué jé t’affétionne, afin dé né mé plus craindre. Dé grâce, maudit fourbe, un peu dé crédulité pour ma mascarade. Permets qué jé t’endorme, afin qué jé t’en égorge plus à mon aise.

BLAISE.

Tout ça ne voulait donc dire qu’un coup de coutiau ? Ou avez donc le cœur bien traîtreux, vous autres !

LE COURTISAN.

Aujourd’hui il dit du mal de moi ; autrefois il faisait mon éloge.

FONTIGNAC.

Ah ! lé fourbe qué j’étais ! Monsieur, jé les ai pleuré ces éloges, jé les ai pleuré, lé coquin vous louait, et né vous en estimait pas davantagé.

BLAISE.

Ça est vrai, il m’a dit qu’il vous attrapait comme un innocent.

FONTIGNAC.

Jé vous berçais, vous dis-jé. Jé vous voyais affamé dé dupéries, vous en démandiez à tout le monde : donnez-m’en. Jé vous en donnais, jé vous en gonflais, j’étais à même : la fiction mé fournissait mes matières ; c’était lé moyen dé n’en pas manquer.

LE COURTISAN.

Ah ! que viens-je d’entendre ?

FONTIGNAC, à Blaise.

Cet emvarras qui lé prend serait-il l’avant-coureur de la sagesse ?

BLAISE.

Faut savoir ça.

Au Courtisan.

Voulez-vous à cette heure qu’il vous demande pardon ? Êtes-vous assez robuste pour ça ?

LE COURTISAN.

Non, il n’est plus nécessaire. Je ne le trouve plus coupable

BLAISE.

Tout de bon ?

À Fontignac.

Chut ! ne dites mot ; regardez aller sa taille, alle court la poste. Ahi ! encore un chiquet ; courage ! Que ces courtisans ont de peine à s’amender ! Bon ! le velà à point : velà le niviau.

Il le mesure avec lui.

LE COURTISAN, qui a rêvé, leur tend la main à tous deux.

Fontignac, et toi, mon ami Blaise, je vous remercie tous deux.

BLAISE.

Oh ! oh ! vous vous amendiez donc en tapinois ? Morgué ! vous revenez de loin !

FONTIGNAC.

Sandis ; j’en suis tout extasié ; il faut qué jé vous quitte, pour en porter la nouvelle à la fille du Gouvernur.

BLAISE, à Fontignac.

C’est bian dit, courez toujours. Au Courtisan. Alle vous aimera comme une folle.

 

 

Scène IV

 

LE COURTISAN, BLAISE, BLECTRUE, LE POÈTE, LE PHILOSOPHE

 

BLECTRUE.

Arrête ! arrête !

Le Courtisan se saisit du Philosophe et Blaise du Poète.

BLAISE.

D’où viant donc ce tapage-là ?

BLECTRUE.

C’est une chose qui mérite une véritable compassion. Il faut que les dieux soient bien ennemis de ces deux petites créatures-là ; car ils ne veulent rien faire pour elles.

LE COURTISAN, au Philosophe.

Quoi ! vous, Monsieur le philosophe, vous, plus incapable que nous de devenir raisonnable, pendant qu’un homme de cour, peut-être de tous les hommes le plus frappé d’illusion et de folie, retrouve la raison ? Un philosophe plus égaré qu’un courtisan ! Qu’est-ce que c’est donc qu’une science où l’on puise plus de corruption que dans le commerce du plus grand monde ?

LE PHILOSOPHE.

Monsieur, je sais le cas qu’un courtisan en peut faire : mais il ne s’agit pas de cela. Il s’agit de cet impertinent-là qui a l’audace de faire des vers où il me satirise.

BLECTRUE.

Si vous appelez cela des vers, il en a fait contre nous tous en forme de requête, qu’il adressait au Gouverneur, en lui demandant sa liberté ; et j’y étais moi-même accommodé on ne peut pas mieux.

BLAISE.

Misérable petit faiseur de varmine ! C’est un var qui en fait d’autres mais morgué ! que vous avais-je fait pour nous mettre dans une requête qui nous blâme ?

LE POÈTE.

Moi, je ne vous veux pas de mal.

LE COURTISAN.

Pourquoi donc nous en faites-vous ?

LE POÈTE.

Point du tout ; ce sont des idées qui viennent et qui sont plaisantes ; il faut que cela sorte ; cela se fait tout seul. Je n’ai fait que les écrire, et cela aurait diverti le Gouverneur, un peu à vos dépens, à la vérité ; mais c’est ce qui en fait tout le sel ; et à cause que j’ai mis quelque épithète un peu maligne contre le Philosophe, cela l’a mis en colère. Voulez-vous que je vous en dise quelques morceaux ? Ils sont heureux.

LE PHILOSOPHE.

Poète insolent !

LE POÈTE, se débattant entre les mains du Courtisan.

Il faut que mon épigramme soit bonne, car il est bien piqué.

LE COURTISAN.

Faire des vers en cet état-là ! cela n’est pas concevable.

BLAISE.

Faut que ce soit un acabit d’esprit enragé.

LE COURTISAN.

Ils se battront, si on les lâche.

BLECTRUE.

Vraiment je suis arrivé comme ils se battaient ; j’ai voulu les prendre, et ils se sont enfui : mais je vais les séparer et les remettre entre les mains de quelqu’un qui les gardera pour toujours. Tout ce qu’on peut faire d’eux, c’est de les nourrir, puisque ce sont des hommes, car il n’est pas permis de les étouffer. Donnez-moi-les, que je les confie à un autre.

LE PHILOSOPHE.

Qu’est-ce que cela signifie ? Nous enfermer ? je ne le veux point.

BLAISE.

Tenez, ne velà-t-il pas un homme bian peigné pour dire : je veux !

LE PHILOSOPHE.

Ah ! tu parles, toi, manant. Comment t’es-tu guéri ?

BLAISE.

En devenant sage.

Aux autres.

Laissez-nous un peu dire.

LE PHILOSOPHE.

Et qu’est-ce que c’est que cette sagesse ?

BLAISE.

C’est de n’être pas fou.

LE PHILOSOPHE.

Mais je ne suis pas fou, moi ; et je ne guéris pourtant pas.

LE POÈTE.

Ni ne guériras.

BLAISE, au poète.

Taisez-vous, petit sarpent.

Au Philosophe.

Vous dites que vous n’êtes pas fou, pauvre rêveux : qu’en savez-vous si vous ne l’êtes pas ? Quand un homme est fou, en sait-il queuque chose ?

BLECTRUE.

Fort bien.

LE PHILOSOPHE.

Fort mal ; car ce manant est donc fou aussi.

BLAISE.

Eh ! pourquoi ça ?

LE PHILOSOPHE.

C’est que tu ne crois pas l’être.

BLAISE.

Eh bian ! morgué, me velà pris ; il a si bian ravaudé ça que je n’y connais pus rian ; j’ons peur qu’il ne me gâte.

LE COURTISAN.

Crois-moi, ne te joue point à lui. Ces gens-là sont dangereux.

BLAISE.

C’est pis que la peste. Emmenez ce marchand de çarvelle, et fourrez-moi ça aux Petites-Maisons ou bian aux Incurables.

LE PHILOSOPHE.

Comment, on me fera violence ?

BLECTRUE.

Allons, suivez-moi tous deux.

LE POÈTE.

Un poète aux Petites-Maisons !

BLAISE.

Eh ! pargué, c’est vous mener cheux vous.

BLECTRUE.

Plus de raisonnement, il faut qu’on vienne.

BLAISE.

Ça fait compassion.

Au Courtisan, à part.

Tenez-vous grave, car j’aparçois la damoiselle d’ici qui vous contemple. Souvenez-vous de voute gloire, et aimez-la bian fiarement.

 

 

Scène V

 

FLORIS, LE COURTISAN, BLAISE

 

FLORIS.

Enfin, le ciel a donc exaucé nos vœux.

LE COURTISAN.

Vous le voyez, Madame.

BLAISE.

Ah ! c’était biau à voir !

FLORIS.

Que vous êtes aimable de cette façon-là !

LE COURTISAN.

Je suis raisonnable, et ce bien-là est sans prix ; mais, après cela, rien ne me flatte tant, dans mon aventure, que le plaisir de pouvoir vous offrir mon cœur.

BLAISE.

Ah ! nous y velà avec son cœur qui va bailler... Apprenez-li un peu son devoir de criauté.

LE COURTISAN.

De quoi ris-tu donc ?

BLAISE.

De rian, de rian ; vous en aurez avis. Dites, Madame ; je m’arrête ici pour voir comment ça fera.

FLORIS.

Vous m’offrez votre cœur, et c’est à moi à vous offrir le mien.

LE COURTISAN.

Je me rappelle en effet d’avoir entendu parler ma sœur dans ce sens-là. Mais en vérité, Madame, j’aurais bien honte de suivre vos lois là-dessus : quand elles ont été faites, vous n’y étiez pas ; si on vous avait vue, on les aurait changées.

BLAISE.

Tarare ! on en aurait vu mille comme elle, que ça n’aurait rian fait. Guarissez de cette autre infirmité-là.

FLORIS.

Je vous conjure, par toute la tendresse que je sens pour vous, de ne me plus tenir ce langage-là.

BLAISE.

Ça nous ravale trop : je sommes ici la force, et velà la faiblesse.

FLORIS.

Souvenez-vous que vous êtes un homme, et qu’il n’y aurait rien de si indécent qu’un abandon si subit à vos mouvements. Votre cœur ne doit point se donner ; c’est bien assez qu’il se laisse surprendre. Je vous instruis contre moi ; je vous apprends à me résister, mais en même temps à mériter ma tendresse et mon estime. Ménagez-moi donc l’honneur de vous vaincre ; que votre amour soit le prix du mien, et non pas un pur don de votre faiblesse : n’avilissez point votre cœur par l’impatience qu’il aurait de se rendre ; et pour vous achever l’idée de ce que vous devez être, n’oubliez pas qu’en nous aimant tous deux, vous devenez, s’il est possible, encore plus comptable de ma vertu que je ne la suis moi-même.

BLAISE.

Pargué ! vélà des lois qui connaissont bian la femme, car ils ne s’y fiont guère.

LE COURTISAN.

Il faut donc se rendre à ce qui vous plaît, Madame ?

FLORIS.

Oui, si vous voulez que je vous aime.

LE COURTISAN, avec transport.

Si je le veux, Madame ? mon bonheur...

FLORIS.

Arrêtez, de grâce, je sens que je vous mépriserais.

BLAISE.

Tout bellement ; tenez voute amour à deux mains : vous allez comme une brouette.

FLORIS.

Vous me forcerez à vous quitter.

LE COURTISAN.

J’en serais bien fâché.

BLAISE.

Que ne dites-vous que vous en serez bien aise ?

LE COURTISAN.

Je ne saurais parler comme cela.

FLORIS.

Vous ne sauriez donc vous vaincre ? Adieu, je vous quitte ; mon penchant ne serait plus raisonnable.

BLAISE.

Ne vélà-t-il pas encore une taille qui va dégringoler ?

LE COURTISAN, à Floris qui s’en va.

Madame, écoutez-moi : quoique vous vous en alliez, vous voyez bien que je ne vous arrête point ; et assurément vous devez, ce me semble, être contente de mon indifférence. Quand même vous vous en iriez tout à fait, j’aurais le courage de ne vous point rappeler.

FLORIS.

Cette indifférence-là ne me rebute point ; mais je ne veux point la fatiguer à présent, et je me retire.

 

 

Scène VI

 

LE COURTISAN, BLAISE

 

LE COURTISAN, soupirant.

Ah !

BLAISE.

Ne bougez pas ; consarvez voute dignité humaine ; aussi bian, je vous tians par le pourpoint.

LE COURTISAN.

Mais, mon cher Blaise, elle est pourtant partie.

BLAISE.

Qu’alle soit ; alle a d’aussi bonnes jambes pour revenir que pour s’en aller.

LE COURTISAN.

Si tu savais combien je l’aime !

BLAISE.

Ah ! je vous parmets de me conter ça à moi, et il n’y a pas de mal à l’aimer en cachette ; ça est honnête ; et mêmement ils disont ici que pus en aime sans le dire, et pus ça est biau ; car en souffre biaucoup, et c’est cette souffrance-là qui est daigne de nous, disont-ils. Cheux nous les femmes de bian ne font pas autre chose. N’avons-je pas une maîtresse itou, moi ? une jolie fille, qui me poursuit avec des civilités et de petits mots qui sont si friands ? Mais, morgué, je me tians coi. Je vous la rabroue, faut voir ! Alle n’aura la consolation de me gagner que tantôt. Morgué ! tenez, je l’aparçois qui viant à moi. Je vas tout à cette heure vous enseigner un bon exemple. Je sis pourtant affollé d’elle. Stapendant, regardez-moi mener ça. Voyez la suffisance de mon comportement. Boutez-vous : là, sans mot dire.

 

 

Scène VII

 

LE COURTISAN, BLAISE, FONTIGNAC, L’INSULAIRE

 

FONTIGNAC, au Courtisan.

Permettez, Monsieur, qué jé parle à Blaise, et lui présente une réquête dont voici lé sujet.

En montrant l’insulaire.

BLAISE.

Ah ! ah ! Monsieur de Fontignac, ou êtes un fin marle, vous voulez me prendre sans vart. Eh bian ! le sujet de voute requête, à quoi prétend-il !

FONTIGNAC.

D’abord à votre cœur, ensuite à votre main.

L’INSULAIRE.

Voilà ce que c’est.

BLAISE.

C’est coucher bien gros tout d’une fois. Voilà bian des affaires. Traite-t-on du cœur d’un homme comme de ceti-là d’une femme ? faut bian d’autres çarimonies.

FONTIGNAC.

Jé mé suis pourtant fait fort dé votré consentement.

L’INSULAIRE.

J’ai compté sur l’amitié que vous avez pour Fontignac.

BLAISE.

Oui ; mais voute compte n’est pas le mian : j’avons une autre arusmétique.

FONTIGNAC.

Né vous en défendez point. Il est temps qué votre modestie cède la victoire. Jé sais qu’ellé vous plaît, cetté tendre et charmante fille.

BLAISE.

Eh ! mais, en vérité, taisez-vous donc, vous n’y songez pas. Il me viant des rougeurs que je ne sais où les mettre.

L’INSULAIRE.

Mon dessein n’est pas de vous faire de la peine : et s’il est vrai que vous ne puissiez avoir du retour...

BLAISE.

Je ne dis pas ça.

FONTIGNAC.

Achévons donc. Qué tant dé mérite vous touche !

BLAISE, au Courtisan.

En avez-vous assez vu ? Ça commence à me rendre las. Je vais signer la requête.

LE COURTISAN.

Finis.

FONTIGNAC.

L’ami Blaise, j’entends qué Monsieur vous encourage.

BLAISE, à l’Insulaire.

Morgué ! il n’y a donc pus de répit ; ou êtes bian pressée, ma mie ?

L’INSULAIRE.

N’est-ce pas assez disputer ?

BLAISE.

Eh bian ! ce cœur, pisque vous le voulez tant, ou avez bian fait de le prendré, car, jarnicoton ! je ne vous l’aurais pas baillé.

L’INSULAIRE.

Me voilà contente.

BLAISE, voyant Floris.

Tant mieux. Mais ne causons pus ; velà une autre amoureuse qui viant.

Au Courtisan.

Préparez-li une bonne moue, et regardéz-moi-la par-dessus les épaules.

 

 

Scène VIII

 

LE COURTISAN, BLAISE, FONTIGNAC, L’INSULAIRE, FLORIS

 

FLORIS.

Je reviens. Je n’étais sortie que pour vous éprouver, et vous n’avez que trop bien soutenu cette épreuve. Votre indifférence même commence à m’alarmer.

Le Courtisan la regarde sans rien dire.

BLAISE, à Floris.

Vous n’êtes pas encore si malade.

FLORIS.

Faites-moi la grâce de me répondre.

LE COURTISAN.

J’aurais peur de finir vos alarmes, que je ne hais point.

BLAISE.

Ça est bon ; ça tire honnêtement à sa fin.

FLORIS.

Mes alarmes que vous ne haïssez point ? Expliquez-vous plus clairement.

Le Courtisan la regarde sans répondre.

BLAISE.

Morgué ! velà des yeux bian clairs !

FLORIS.

Ils me disent que vous m’aimez.

BLAISE.

C’est qu’ils disent ce qu’ils savent.

FONTIGNAC.

Cé sont des échos.

FLORIS.

Les en avouez-vous ?

LE COURTISAN.

Vous le voyez bien.

BLAISE.

Ça est donc bâclé ?

FLORIS.

Oui, cela est fait : en voilà assez ; et je me charge du reste auprès de mon père.

FONTIGNAC.

Vous n’irez pas lé chercher, car il entre.

 

 

Scène IX

 

LE GOUVERNEUR, PARMENÈS, FLORIS, L’INSULAIRE, LE COURTISAN, LA COMTESSE, FONTIGNAC, SPINETTE, BLAISE

 

LA COMTESSE.

Oui, Seigneur, mettez le comble à vos bienfaits : je vous ai mille obligations ; joignez-y encore la grâce de m’accorder votre fils.

LE GOUVERNEUR.

Vous lui faites honneur, et je suis charmé que vous l’aimiez.

LA COMTESSE.

Tendrement.

BLAISE.

En rirait bian dans noute pays de voir ça.

LE GOUVERNEUR.

Mais c’est pourtant à vous à décider, mon fils ; aimez-vous Madame ?

PARMENÈS, honteusement.

Oui, mon père.

FLORIS.

J’ai besoin de la même grâce, mon père, et je vous demande Alvarès.

LE GOUVERNEUR.

Je consens à tout.

En montrant Spinette.

Et cette jolie fille ?

BLAISE.

Je vas faire son compte.

À Fontignac.

Vous m’avez tantôt présenté une requête, Fontignac ; je vous la rends toute brandie pour noute amie Spinette. Que dites-vous à ça ?

FONTIGNAC.

Jé rougis sous lé chapeau.

BLAISE.

Ça veut dire : tope. Où est donc le notaire pour tous ces mariages, et pour écrire le contrat ?

LE GOUVERNEUR.

Nous n’en avons point d’autre ici que la présence de ceux devant qui on se marie. Quand on a de la raison, toutes les conventions sont faites. Puissent les dieux vous combler de leurs faveurs ! Quelqu’uns de vos camarades languissent encore dans leur malheur ; je vous exhorte à ne rien oublier pour les en tirer. L’usage le plus digne qu’on puisse faire de son bonheur, c’est de s’en servir à l’avantage des autres. Que des fêtes à présent annoncent la joie que nous avons de vous voir devenus raisonnables.

 

 

DIVERTISSEMENT

 

M. LEGRAND chante.

Livrez-vous, jeunes cœurs, au dieu de la tendresse ;

Vous pouvez, sans faiblesse,

Former d’amoureux sentiments.

La Raison, dont les lois sont prudentes et sages,

Ne vous défend pas d’être amants,

Mais d’être amants volages.

I. Menuet dansé par Mlles JOUVENOT, LA MOTTE et LABATTE.

Mlle LEGRAND chante.

Quel plaisir de voir l’Amour,

Dans cet heureux séjour,

À la Raison faire sa cour !

Que ses armes

Ont pour nous de charmes !

Tous nos désirs,

Tous nos soupirs

Sont des plaisirs.

II. Menuet dansé par Mlles JOUVENOT, LA MOTTE et LEGRAND.

Mlle LABATTE chante.

Jamais aucun regret ne vient troubler nos cœurs,

Dans cette île charmante,

D’une flamme innocente

Nous y ressentons les ardeurs,

Et la Raison gouverne les faveurs

Que l’Amour nous présente.

Vaudeville

I. Couplet par M. DUFRESNE.

Toi qui fais l’important,

Ta superbe apparence,

Tes grands airs, ta dépense,

Séduisent un peuple ignorant ;

Tu lui parais un colosse, un géant.

Ici, ta grandeur cesse ;

On voit ta petitesse,

Ton néant, ta bassesse ;

Tu n’es enfin, chez la Raison,

Qu’un petit garçon,

Qu’un embryon,

Qu’un myrmidon.

II. Couplet par M. DD MIRAIL.

              Philosophe arrogant,

Qui te moques sans cesse

De l’humaine faiblesse,

Tu t’applaudis d’en être exempt :

Dans l’univers tu te crois un géant.

Par la moindre disgrâce,

Ton courage se passe,

Ta fermeté se lasse.

Tu n’es plus, avec ta raison,

Qu’un petit garçon,

Qu’un embryon,

Qu’un myrmidon.

III. Couplet par Mlle JOUVENOT.

Mortel indifférent,

Qui sans cesse déclames

Contre les douces flammes

Que fait sentir le tendre enfant,

Auprès de lui tu te crois un géant.

Qu’un bel œil se présente,

Sa douceur séduisante

Rend ta force impuissante.

Tu n’es plus, contre Cupidon,

Qu’un petit garçon,

Qu’un embryon,

Qu’un myrmidon.

IV. Couplet par Mlle LEGRAND.

Qu’un nain soit opulent,

Malgré son air grotesque

Et sa taille burlesque,

Grâce à Plutus, il paraît grand :

L’or et l’argent de lui font un géant,

Mais sans leur assistance,

La plus belle prestance

Perd son crédit en France ;

Et l’on n’est, quand Plutus dit non,

Qu’un petit garçon,

Qu’un embryon,

Qu’un myrmidon.

V. Couplet par Mlle QUINAULT.

Que tu semblais ardent,

Mari, quand tu pris femme !

De l’excès de ta flamme

Tu lui parlais à chaque instant :

Avant l’hymen, tu te croyais géant.

Six mois de mariage

De ce hardi langage

T’ont fait perdre l’usage.

Tu n’es plus, pauvre fanfaron,

Qu’un petit garçon,

Qu’un embryon,

Qu’un myrmidon.

VI. Couplet par M. QUINAULT.

Il n’y a pas longtemps

Que j’avais la barlue.

Ma foi, j’étais bian grue !

Chez vous, Messieurs les courtisans,

Je croyais voir les plus grands des géants.

Aujourd’hui la leunette

Que la raison me prête

Rend ma visière nette.

Je vois dans toutes vos façons,

Des petits garçons,

Des embryons,

Des myrmidons.

VII. Couplet par Mlle QUINAULT, au parterre.

Partisans du bon sens,

Vous, dont l’heureux génie

Fut formé par Thalie,

Nous en croirons vos jugements.

Chez vous, des nains ne sont point des géants.

Si notre comédie

Par vous est applaudie,

Nous craindrons peu l’envie,

Vous contraindrez, par vos leçons,

Les petits garçons,

Les embryons,

Les myrmidons.

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