L’Impromptu de la Folie (Marc-Antoine LEGRAND)

Ambigu-Comique, composé de deux comédies (les Nouveaux débarqués, la Française italienne) et d’un prologue.

Représenté pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de la rue des Fossés Saint-Germain, le 5 novembre 1725.

 

Personnages du Prologue

 

THALIE, Muse de la Comédie

LA FOLIE

LA COMÉDIE FRANÇAISE

UN VIEUX COMMANDEUR, Député du Public

UN PETIT MAÎTRE, Député du Public

UN AVOCAT, Député du Public

UN MARCHAND, Député du Public

MOMUS, Député du Public

TROUPE DU RÉGIMENT DE LA CALOTTE

 

La Scène est à Montmartre.

 

 

AU SEIGNEUR AYMON, GÉNÉRAL DE LA CALOTTE

 

Monseigneur,

 

Dussiez-vous me placer surnuméraire dans votre Brigade des Faux-Plaisants, ou dans celle des Ennuyeux, j’ai cru ne pouvoir mieux mériter l’honneur que vous m’avez fait de m’enrôler dans votre illustre Corps, qu’en vous dédiant mon Impromptu de la folie. Il a fait  plaisir à toute La Calotte ; c’est-à-dire ; qu’il a été du goût de bien du monde ; et sur le succès, je pourrais me flatter d’être reçu dans votre Brigade des Fous Heureux, si quelque s Officiers subalternes de la Brigade des Difficiles ne traversaient mes desseins.

Je veux parler de ces Calotins Flegmatiques que rien ne réjouit, et qui ne réjouissent personne ; de ces Poltrons Critiques, qui n’ayant jamais osé monter la tranchée du Parnasse, ni même courir le moindre hasard, ne sont occupés qu’à rabaisser le mérite des Actions des autres.

En vérité, Monseigneur, vous devriez forcer ces Cognards Caustiques à s’exposer au feu à leur tour, ou les condamner du moins à demeurer pour toujours renfermés dans leurs Casernes.

Vous avez assez, d’autres Soldats tour tenir tête à La Sagesse, en cas qu’elle voulut remuer et rompre le Traité que vous avez arrêté depuis un temps entre Elle et La Folie.

Tout l’Univers, Monseigneur, admire avec quelle conduite un accord si difficile a été ménagé.

Vous avez commencé par porter notre Déesse à être moins extravagante et moins outrée, et sa fière Ennemie à paraître moins bizarre et moins austère.

Vous avez renvoyé à La Sagesse tous les Prisonniers que vous n’avez pas jugé de bonne prise, et que votre Brigade des Indiscrets avait amenés à votre Camp contre les Lois de la Guerre.

On vous a vu hautement désavouer sous les brevets injurieux que vos malins Secrétaires leurs avaient expédiés à votre insu, ne reconnaissant que ceux que vous aviez signés de votre propre main, pour les Déserteurs de cette même Sagesse, qui de leur bonne volonté, et de leur propre mouvement, s’étaient venus ranger sous vos Étendards.

Quant à ces derniers, ils ont été reçus de vous à bras ouverts ; vous leur avez donné des Charges dans votre Armée, suivant leur mérite et les actions qu’ils avaient pu faire, dignes de La Calotte, toujours prêts cependant à les renvoyer libres, sitôt que La Raison viendrait les réclamer.

Pour peu qu’il s’en soit trouvé qui aient voulu retourner, quel accueil ne leur a pas fait leur Souveraine ? Elle a été d’autant plus contente de les revoir, qu’elle vous les avait envoyés Fous, et que vous les lui avez renvoyés Sages : et c’est ce qui l’a engagée à conclure avec La Folie, cette Trêve si avantageuse à tout le monde.

Quelle gloire pour vous, Monseigneur, étant Général de La Calotte, de vous voir en même temps si bien avec La Sagesse ! d’avoir trouvé le moyen de ramener ses Sujets à son obéissance, en inventant un nouvel art de corriger les mœurs en folâtrant, et, de faire la guerre au Ridicule, en lui donnant des louanges à le faire rougir.

Mais à propos de louanges, ne croyez pas, Monseigneur, que celles que je vous donne ici soient intéressées, quoique je ne sois pas riche, et que vous possédiez, les fonds immenses sur lesquels on assigne les Gratifications et les Pensions qu’on accorde ordinairement à la plupart des faiseurs d’Épîtres Dédicatoires, je vous proteste que c’est la seule estime que j’ai pour vos vertus, qui me les fait publier, étant d’ailleurs avec un profond respect,

 

Monseigneur,

 

Votre très humble, et très obéissant serviteur,

 

LEGRAND.

 

 

PROLOGUE

 

Le Théâtre représente Montmartre. Thalie est endormie au pied de ce Mont. On joue l’ouverture, après quoi on entend un chœur d’Ânes.

 

 

Scène première

 

THALIE, LA COMÉDIE FRANÇAISE

 

CHŒUR.

Hi-hon, hi-hon, hi-hon, hi-hon, hans-hans.

LA COMÉDIE chante.

Réveillez-vous, belle Thalie,

Réveillez-vous, il en est temps.

CHŒUR.

Hi-hon, hi-hon, hi-han, hi-hans.

LA COMÉDIE.

Pouvez-vous dormir aux accents

D’une pareille mélodie ?

CHŒUR.

Hi-hon, hi-hans, hi-hans, hi-hans, hans.

LA COMÉDIE.

Ce n’est point ici votre place,

On y voit périr vos talents.

CHŒUR.

Hi-hon, hi-hans, hi-hans, hi-hans, hans.

LA COMÉDIE.

Abandonnez les Habitants

De ce ridicule Parnasse.

CHŒUR.

Hi-hon, hi-hans, hi-hans, hi-hans.

 

 

Scène II

 

THALIE, LA COMÉDIE

 

LA COMÉDIE.

En vérité, les Poètes de Montmartre sont bien insupportables, de me troubler ainsi sans relâche, et de m’empêcher de tirer Thalie de l’assoupissement où elle est plongée depuis si longtemps. Mais aussi quel séjour cette Muse a-t-elle été choisir, depuis qu’Apollon l’a bannie du Mont Parnasse ? Montmartre !... Qui l’aurait jamais pu croire ? Ah ! malheureuse Comédie Française, que tu est à plaindre, de te fournir dans une pareille boutique ! Il faut pourtant, à quelque prix que ce soit, que je réveille Thalie. Holà, Muse, holà, c’est la Comédie Française qui vous appelle.

THALIE, se réveillant.

La Comédie Française ! Ah ! ma chère amie, votre voix seule était capable de me tirer de ma léthargie. Mais, bon Dieux, que je vous trouve changée ! et qui pourrait vous reconnaître dans l’état où vous êtes ?

LA COMÉDIE.

Hé le moyen ! je n’ai plus que la moitié de ma Troupe. Mais vous, divine Muse, que faites-vous à Montmartre ?

THALIE.

Hélas ! j’y dors, et j’endors souvent les autres. Que veux-tu ? depuis un temps, je n’étais presque plus occupée que pour les Poètes de ce canton, ils sont trop lourds et trop paresseux pour me venir trouver jusqu’au sommet du Parnasse ; et j’ai pris le parti de venir vers eux. J’ai du moins ici le plaisir de dormir, et de me reposer de mes anciennes fatigues.

LA COMÉDIE.

En effet, il me souvient qu’autrefois vous vous plaigniez que mes Poètes vous faisaient de trop rudes saignées : mais je crois qu’ici vous n’êtes pas dans le même cas. Il faut pourtant, belle Thalie, que vous fassiez un effort pour ma petite Troupe. Tout Paris vous en prie.

THALIE.

Paris ? fort bien : pour se moquer encore de moi, comme il fait depuis si longtemps. Il est trop difficile à contenter sur votre Théâtre. Il s’efforce en toute occasion de rabaisser mes nouvelles productions, pour relever mes anciennes, qu’il ne veut plus voir.

LA COMÉDIE.

Il est vrai que votre Sœur Melpomène est plus heureuse que vous. Son métier n’est pourtant pas si difficile que le vôtre, à beaucoup près. Il est plus aisé d’outrer la nature, que de l’imiter.

THALIE.

Ah ! je t’avouerai que je suis quelquefois surprise des succès de Melpomène. Cela me fâche de voir qu’on soit prévenu en faveur de ses Tragédies nouvelles, même avant de les avoir vues. La moitié des gens les applaudissent sans les entendre. On les admire longtemps sans s’apercevoir de leurs défauts ; et ce n’est souvent que l’impression qui fait ouvrir les yeux à cette foule d’approbateurs, qui se laissent séduire au son de quelques vers ampoulés, qu’un Acteur a l’art de faire valoir, et qui dans le fonds ne sont quelquefois qu’un pompeux galimatias.

LA COMÉDIE.

J’en demeure d’accord.

THALIE.

Mais il n’en est pas de même de mes productions. Une Scène plus froide que les autres, deux ou trois mauvaises plaisanteries hasardées dans une de mes Comédies, empêchent souvent qu’on n’entende le reste de l’Ouvrage. Ce qu’on ne trouve pas de son goût dans le commencement prévient contre tout ce qui suit ; alors le bon et le mauvais ont même sort, tout est confondu, on ne veut plus rien écouter. Mais ce qu’il y a de consolant pour moi, c’est qu’on voit telles Pièces Comiques, qui n’ont pas été applaudies d’abord, qui sont aujourd’hui l’honneur de votre Théâtre, et que personne n’ose se vanter à présent d’avoir sifflé à la première représentation.

LA COMÉDIE.

Oui, vous avez raison de vous plaindre de la préférence qu’on donne à votre Sœur. Mais enfin nous ne l’avons plus, et Paris se trouvant aujourd’hui dénué de plus de la moitié de ses plaisirs, n’a recours qu’à vous ; et je suis venu ici avec les Députés que le Public vous envoyé, pour vous prier de nous donner une Pièce de votre façon.

THALIE.

Le Public m’envoie des Députés ? c’en est trop. Allons, il ne faut point avoir de ressentiment, et je veux bien encore m’exposer à son ingratitude, en cherchant à le divertir ; mais avant de rien entreprendre, consultons ces Députés, pour savoir ce qui pourra être de leur goût.

 

 

Scène III

 

THALIE, LA COMÉDIE FRANÇAISE, L’AVOCAT, LE PETIT MAÎTRE, LE MARCHAND, LE VIEUX COMMANDEUR nasonnant

 

LES DÉPUTÉS, tous ensemble.

Divine Muse, nous sommes les Députés du Public, qui venons vous demander une Comédie nouvelle.

THALIE.

Oh ! doucement, Messieurs, les uns après les autres, s’il vous plaît. Sachons d’abord qui vous êtes ?

L’AVOCAT.

Je me nomme Pointillant, Avocat de profession.

LA COMÉDIE.

Soit disant bel esprit.

LE PETIT MAÎTRE.

Je suis, moi, le Chevalier du Tapage.

LA COMÉDIE.

Espèce de Petit Maître manqué.

LE MARCHAND.

Et moi, Monsieur Dimanche, Marchand de la rue S. Denis.

LA COMÉDIE.

Approuvant de bonne foi tout ce qui lui fait plaisir.

LE COMMANDEUR.

Quant à moi, je suis le Commandeur de la Rocaille, ancien pilier de Théâtre.

LA COMÉDIE.

Grand Partisan des Anciens.

THALIE.

C’est-à-dire, laudater temporis acti. Oh ça, parlez, Monsieur l’Avocat, vous me paraissez le plus posé. Le Public, à ce que j’apprends, demande une Pièce de ma façon. Dans quel goût souhaitez-vous qu’elle soit ?

L’AVOCAT.

Hélas, savante Muse, pour moi je ne vous demande qu’une bagatelle. Je souhaite une Comédie en vers en cinq Actes, où il y ait un caractère soutenu du commencement à la fin ; que l’intrigue soit bien conduite ; qu’elle tienne toujours l’Auditeur en suspend, et se débrouille à la fin sans peine : qu’il y ait dans cette Pièce des mœurs, des sentiments, et surtout, qu’elle soit écrite noblement.

THALIE.

Et vous appeliez cela une bagatelle ? Oh ! vraiment, il y a longtemps que le moule de ces forces d’ouvrage est cassé.

LE MARCHAND.

Parbleu, Monsieur l’Avocat, vous parlez pour vous : mais avec votre permission, ce n’est pas là le goût général. Je suis Marchand de la rue S. Denis, et pour mon argent, je veux me réjouir. Vous pouvez lire ces fortes de Pièces dans votre cabinet, vous autres beaux esprits ; mais pour moi, qui ne lit que mes livres de comptes, et qui ne vais à la Comédie que pour rire, tenez, les Comédiens annonceraient cent fois des Pièces de cette nature, que je n’irais pas à une.

LE PETIT MAÎTRE.

Je ne les hais pas moi, aux premières représentations, s’entend, j’ai le plaisir de les faire tomber.

LE COMMANDEUR.

J’ai vu jouer toute les Pièces de Molière, d’original. Celles qui étaient dans ce goût-là, n’ont pas été celles qui ont été les plus suivies. Mais, ma foi, cela était parfait. Oh ! ma foi, ma foi, cela était beau. Je voudrais bien qu’on nous en donnât aujourd’hui de semblables.

LE MARCHAND.

Et moi, c’est ce que je ne demande point. Ah ! mes chers Italiens, quand reviendrez-vous ? c’est ma folie à moi, que les Italiens.

L’AVOCAT.

Pour moi, je ne les aime que quand ils parlent Italien.

LE PETIT MAÎTRE.

Et moi qui ne l’entend pas, je ne les aime que dans le Français.

LE COMMANDEUR.

Ceux-ci sont fort bons ; mais parlez-moi des précédents. Vous n’avez pas vu l’ancien Scaramouche, vous autres ? quel naturel dans ses grimaces et dans ses gestes ! Ah ! ma foi, ma foi, cela était bon.

LE PETIT MAÎTRE.

Et que Diable, Monsieur le Commandeur, vous ne nous parlez jamais que du temps passé. Pour moi, je vous avouerai que j’aime dans les Pièces un peu de gaillardises, pourvu que cela soit finement enveloppé.

L’AVOCAT.

Ah, fi !

LE MARCHAND.

Je ne hais pas cela non plus, pourvu que ma femme n’en rougisse point, et que ma fille n’y entende rien.

LE COMMANDEUR.

J’ai vu des Pièces de Scarron dans leur nouveauté. Elles étaient un peu dans ce goût-là. Jodelet y faisait des merveilles. Il nasonnait un peu ; mais ma foi, c’était un grand Acteur. Ah ! grand Acteur.

L’AVOCAT.

Le Théâtre Français est aujourd’hui trop épuré pour souffrir ces sortes de Pièces, non plus que les Farces du temps passé.

LE COMMANDEUR.

À propos de Farce. Croiriez-vous que j’ai vu gros Guillaume et Guillot Gorju ? ma foi, ma foi, ma foi, cela n’était point si mauvais.

LA COMÉDIE.

Hé bien, Messieurs, avez-vous bientôt fini votre conversation ? il me semble que ce n’est pas pour cela que vous êtes ici, et que vous y venez demander une Pièce à Thalie ?

THALIE.

Ils n’en auront point de ma façon, tant que leurs goûts ne seront pas mieux d’accord. Mais à présent que me voilà tout-à-fait réveillée ; adieu je m’en retourne sur le Parnasse faire ma paix avec Apollon , en attendant que toute la Troupe soit rassemblée, et que quelque Génie supérieur vienne m’y trouver.

 

 

Scène IV

 

LA COMÉDIE, L’AVOCAT, LE COMMANDEUR, LE MARCHAND, LE PETIT MAÎTRE

 

LE MARCHAND.

Parbleu, Monsieur l’Avocat, vous êtes cause que Thalie nous abandonne, par la difficulté qu’elle trouve à vous contenter. Mais quel bruit entends-je ?

On entend un bruit de Hautbois et de Tambours.

LA COMÉDIE.

C’est la Folie qui fait battre la Caisse ici au tour pour faire des recrues pour son Régiment. Mais la voici elle-même qui vient à propos à votre secours. C’est une étourdie, qui au défaut de Thalie, pourra peut-être sur le champ trouver quelque heureuse saillie qui amusera le Public, et me tirera d’embarras. Mais elle est depuis un temps si entêtée de l’Opéra, qu’elle ne marche plus qu’en chantant et en dansant. Heureusement elle a toujours à sa suite quelques Pièces, qui pourront faire votre affaire.

LE MARCHAND.

À la bonne heure. J’aime encore mieux une Pièce dictée sur le champ par la Folie, que d’attendre que Thalie nous en envoyé une du Mont Parnasse. J’aime à jouir, moi.

 

 

Scène V

 

LA COMÉDIE, L’AVOCAT, LE COMMANDEUR, LE MARCHAND, LE PETIT MAÎTRE, LA FOLIE et SA SUITE, MOMUS

 

LA FOLIE chante et danse.

Ritournelle gaie.

Fuyez loin de nous,

Tristes Fous,

Fous mélancoliques,

Colériques,

Frénétiques,

Fuyez loin de nous.

Venez aimables Fous, donc l’heureuse manie

Est de rire et de chanter,

De prendre et de quitter,

Tantôt Cloris, tantôt Silvie,

Et de vouloir goûter

De tous les plaisirs de la vie,

Sans qu’aucun vous puisse arrêter.

Ah ! l’agréable Folie !

LA COMÉDIE.

Aimable Déesse, laissez pour un moment vos plaisirs, pour nous tirer de l’embarras où nous sommes.

LA FOLIE.

Bon ! la Folie tirer les gens d’embarras ! on dit que c’est moi qui les y plonge.

LA COMÉDIE.

Assez souvent ; mais il faut avouer aussi que vous êtes quelquefois heureuse.

LA FOLIE.

Hé bien, en quoi vous puis-je faire part de mon bonheur ?

LA COMÉDIE.

En tirant de votre cerveau l’idée de quelque Divertissement comique, qui puisse amuser Paris pendant cette Automne, et le dédommager de l’absence de Melpomène, et de la Troupe Italienne.

LA FOLIE, accompagnée des Violons.

Ah ! je sens Apollon,

Qui déjà m’inspire :

J’entends le son,

De sa Lyre, lyre, lyre, lyre,

J’entends le son

De son Violon.

Symphonie.

LA FOLIE, avec des accompagnements.

Quelle plaisante idée en ce moment me frappe,

Elle est nouvelle, elle réussira.

Ah ! ah ! ah !... je la tiens... mais non, elle m’échappe.

J’y suis enfin... non, ce n’est pas cela...

Elle revient, je la rattrape,

Écoutez, la voilà.

Donnez au Public deux Actes différents, un dans le goût Français, et l’autre dans le goût Italien.

LA COMÉDIE.

Une pièce dans le goût Italien, représentée par les Comédiens Français ! pour le coup voilà bien un trait de la Folie.

LA FOLIE.

Ma foi Madame la Comédie Française, vous avez beau dire ; vous ne pouvez dans ce temps-ci vous sauver que par quelque chose d’extraordinaire. Votre première Pièce aura pour titre : les Nouveaux Débarqués : et la seconde, la Française Italienne.

LA COMÉDIE.

Mais il faut du moins un Prologue.

LA FOLIE.

Mon arrivée imprévue, pour vous tirer d’embarras, en servira, avec quelques Vaudevilles que nous glisserons par-ci par-là. Je ne manque pas de Musiciens, comme vous savez ; et tandis que mes Poètes vont travailler pour vous, restez quelque temps en ma Compagnie, si vous vous y ennuyez, vous serez plus fou que moi. Allons, marche à moi, le Régiment de la Calotte.

 

 

DIVERTISSEMENT

 

Le Régiment conduit par Momus, passe sur le Théâtre, il est composé de toutes sortes de Caractères, plus fous les uns que les autres.

Entrée de six Porte-Marottes.

MOMUS et LA FOLIE.

Heureux Calotins, livrez-vous

Aux Ris, aux Jeux, à l’Allégresse.

Heureux Calotins, livrez-vous,

Aux plaisirs les plus doux.

MOMUS, seul.

Sages du temps, vous seriez fous

Si l’austère raison vous occupait sans cesse ?

Sages du temps vous seriez fous

Mille fois plus que nous.

ENSEMBLE.

Heureux Calotins, livrez-vous

Aux Ris, aux Jeux, à l’Allégresse,

Heureux Calotins, livrez-vous,

Aux plaisirs les plus doux.

Entrée de Fous.

Vaudeville.

Damis pour grossir son Trésor,

Voulait changer le Cuivre en Or,

Il a passé toute sa vie

A s’instruire dans la Chimie.

Que lui reste-t-il à présent ?

Il nourrit sa Femme de vent,

Il a vendu sa cotte.

Et plan, plan, plan,

Place au Régiment

De la Calotte.

 

Lubin jaloux et curieux,

Observait sa Femme en tous lieux :

Ennuyé de n’y rien connaître,

Il se déguise en Petit Maître ;

Il est bientôt heureux Amant,

Et se fait ce qu’il craignait tant ;

Ah ! que l’épreuve est sotte !

Et plan, plan, plan,

Place au Régiment

De la Calotte.

 

Jadis Cléon pour s’enrichir,

Ne donnait dans aucun plaisir,

Le voilà septuagénaire,

De tout son bien que va-t-il faire ?

Près d’entrer dans le Monument,

Il entreprend un Bâtiment,

La plaisante Marotte !

Et plan, plan, plan,

Place au Régiment

De la Calotte.

 

Après s’être raillé longtemps

De tous les Maris mécontents,

Blaise à soixante ans se marie,

Il prend Femme jeune et jolie,

Qui n’attend pas le bouc de l’an,

Pour le mener tambour battant,

Ah ! comme on le ballotte !

Et plan, plan, plan,

Place au Régiment

De la Calotte.

 

Mon Tuteur me fait élever,

Croyant pour lui me conserver,

Il me nourrit dans l’ignorance,

Mais je n’en ai pas tant qu’il pense,

À quatorze ans, ah ! voyez donc,

Comme je voudrais d’un Barbon,

Je ne suis pas si sotte !

Et plan, plan, plan,

Place au Régiment

De la Calotte.

Au Parterre.

Messieurs du Parterre c’est vous

Qui conduisez le goût de tous :

Si vous approuvez cet Ouvrage,

On dira que l’Auteur est sage :

Si vous en jugez autrement,

On suivra votre Jugement,

On dira qu’il radote :

Et plan, plan, plan,

Place au Régiment

De la Calotte.

Entrée générale de Fous et de Folles.

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