Les Nobles de province (HAUTEROCHE)

Comédie en cinq actes et en vers.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de l’Hôtel de Bourgogne, en janvier 1678.

 

Personnages

 

M. DE FATENCOUR

MADAME DE FATENCOUR

M. DE FONDNID

M. DE VALREUX

M. D’ISL-MARETS, amant d’Angélique, en justaucorps de velours noir

ANGÉLIQUE, fille de M. de Fatencour

FLORINE, suivante d’Angélique

ARPALIS, cousine d’Angélique

M. DE LOISONNIÈRE, cousin de M. de Fatencour, en justaucorps de velours noir

LA TOUR, exempt

FABRICE, valet de M. d’Islmarets

CRISPIN, fils du fermier de M. de Fatencour

GRAND-JOBE, paysan

GRATIAN, paysan

NICOLAS, paysan

ROBIN, paysan

M. CHIROS, chirurgien

 

 

ACTE I

 

 

Scène première

 

FATENCOUR, VALCREUX

 

FATENCOUR.

Non, Monsieur de Valcreux, il ne fera point dit

Que ma Maison le cède à celle de Fondnid,

Vous m’accusez en vain d’avoir l’humeur bouillante ;

Madame de Fondnid est une impertinente :

Je voudrais bien savoir qui lui donne l’orgueil,

Quand ma femme survient, de garder le fauteuil ?

Le vouloir emporter sur ma femme !

VALCREUX.

Hé ! de grâce...

FATENCOUR.

Si l’ancienneté fait le prix d’une race,

J’en ai... Vous le savez, si c’est depuis un jour

Que l’histoire fait bruit du nom de Fatencour.

VALCREUX.

Je ne conteste point ce qui se peut connaître :

Vous êtes Gentilhomme autant qu’on le peut être ;

D’accord. Prétendez-vous que la bonne Maison

Donne droit de fermer l’oreille à la raison ?

Modérez-votre bile, et vous rendez traitable.

FATENCOUR.

J’écoute la raison, quand elle est raisonnable ;

Et c’est parler raison, que de vous soutenir

Que sur le pas devant je me dois maintenir.

Ma noblesse...

VALCREUX.

On le fait, elle est fort ancienne.

FATENCOUR.

J’en veux dresser la carte, afin qu’on s’en souvienne.

En l’an mil quatre-cent nonante-deux, (j’en ai

De bons titres, s’il faut prouver que je dis vrai ;)

Gaspard de Fatencour, seul dès-lors de sa sorte,

Eut l’honneur d’épouser Claire de Branchemorte ;

Héritière fameuse, et qui très noblement

Portait, en champ de gueule, onze chevaux d’argent :

Belles armes !

VALCREUX.

Sans doute.

FATENCOUR.

Et ce fut en mémoire

De l’un de ses aïeux qui, tout couvert de gloire,

Sur onze Turcs, montant chacun un cheval blanc,

Avant que d’expirer, vengea son propre sang,

Quand, d’une belle ardeur suivant la noble atteinte,

Godefroi de Bouillon conquit la Terre sainte.

VALCREUX.

Je crois qu’il est ainsi.

FATENCOUR.

Ce Gaspard mit au jour

Messire Valentin-Blaise de Fatencour ;

De ce Valentin-Blaise, et d’une Bestenville,

Naquit un Olivier : celui-là fut fertile ;

Car, d’une Cochonzac, il laissa huit enfants ;

Savoir, Richard, Thibaut, René...

VALCREUX.

C’est perdre temps :

Déjà, plus d’une fois, vous m’avez fait la grâce

De m’éclaircir à fond sur toute votre race ;

J’en sais les descendants.

FATENCOUR.

C’est pour vous témoigner

Que le sang dont je sors, n’est pas à dédaigner,

Et que des Fatencours la noblesse authentique

Est un peu plus que noble ; et c’est ce qui me pique,

Qu’une femme...

VALCREUX.

Elle a tort ; on ne le peut nier.

FATENCOUR.

Richard, qui fut l’aîné des huit fils d’Olivier,

De Barbe d’Arpenroc, eut Quentin...

VALCREUX.

Je vous prie,

Encore un coup, laissons leur généalogie ;

Et, puisque je vous trouve en ce lieu sans témoins,

De mon zèle pour vous souffrez les derniers soins.

Si vous sortez d’un sang considérable, illustre,

La Maison de Fondnid ne manque point de lustre ;

Et vouloir, de hauteur, la contraindre à céder,

C’est à quoi, de plus près, vous devez regarder.

FATENCOUR.

Par mes Armes, on voit de grandes alliances,

Qui, de nous aux Fondnids, font voir des différences ;

D’ailleurs, par des tombeaux, comme par le blason,

Je puis encor prouver l’éclat de ma Maison.

S’il ne tient qu’à fournir des contrats, de grands titres...

VALCREUX.

Croyez-moi, faites mieux, choisissez des arbitres ;

Et ne commettez point, pour vos seuls intérêts,

Les meilleures Maisons de tout le Vivarais :

Ou pour, ou contre vous, la Noblesse engagée,

Sur votre différent se trouve partagée ;

Il peut coûter du sang, si...

FATENCOUR.

Je ne prétends point

Qu’il en coûte à personne.

VALCREUX.

Oui, mais...

FATENCOUR.

Non, sur ce point,

Montrant son épée.

Je suis ferme, et voici qui guidera l’affaire ;

Point d’autre arbitre.

VALCREUX.

Ainsi vos amis ont beau faire ;

Leurs avis...

FATENCOUR.

Leurs avis sont avis superflus.

VALCREUX.

Quoi ! toujours...

FATENCOUR.

J’en croirai mon épée, et rien plus.

VALCREUX.

Mais vous savez du Roi la sévère Ordonnance ;

Il défend les duels.

FATENCOUR.

N’était cette défense,

Déjà Fondnid et moi, sur le pré... Mais enfin

On se rencontre, et lors on passe son chagrin.

VALCREUX.

Défiez-vous du vôtre ; il vous perd.

FATENCOUR.

Bagatelle.

VALCREUX.

Monsieur le Gouverneur, qui sait votre querelle...

FATENCOUR.

Monsieur le Gouverneur sait bien que Fatencour

Est homme à dégainer cinquante fois le jour ;

Et, sur se point d’honneur me connaissant sensible,

Verra, sans s’étonner, que je sois inflexible.

VALCREUX.

Deux fois il m’a mandé d’apaiser vos discords ;

Et, sans y réussir, j’ai fait tous mes efforts :

Mais j’attends aujourd’hui sa réponse dernière,

Ou par un homme exprès, ou bien par l’ordinaire ;

Croyez-moi comme ami, prévenez son pouvoir.

FATENCOUR.

Je connais ce qu’il peut ; mais je sais mon devoir

Et que, quand d’une offense on a l’âme frappée,

On doit, s’il est besoin, tirer cent fois l’épée.

VALCREUX.

Donc, qui vous en croira, toujours flamberge au vent ?

On n’est point brave, à moins qu’on se batte souvent ?

Ne vous y trompez point ; la gloire en est petite :

Tous ces grands dégaineurs sont gens que l’on évite ;

Et le solide honneur, dont on doit faire cas,

Ne consiste jamais à faire du fracas.

Il faut que la prudence au courage réponde.

FATENCOUR.

Tous ces raisonnements sont les plus beaux du monde ;

Mais Monsieur de Fondnid me le paiera.

 

 

Scène II

 

FATENCOUR, VALCREUX, CRISPIN

 

CRISPIN, sortant, à Arpalis qui est dans la maison.

Coquin !

Moi coquin ! Apprenez qu’on me nomme Crispin,

Et que...

FATENCOUR, à Crispin.

Qu’as-tu ?

CRISPIN, de même.

Morbleu ! si vous étiez un homme,

Je vous ferais bien voir que je reviens de Rome ;

Que, dans l’occasion, je suis garçon de cœur ;

Sans noblesse, il est vrai ; mais tout rempli d’honneur.

FATENCOUR.

Qu’as-tu donc ?

CRISPIN, à Fatencour.

On m’a fait un déplaisir extrême.

FATENCOUR.

Hé qui ?

CRISPIN.

C’est votre nièce.

FATENCOUR.

Arpalis ?

CRISPIN.

Elle-même :

Elle m’a menacé de cent coups de bâton.

FATENCOUR.

Quel en est le sujet ?

CRISPIN.

C’est pour un violon

Que je voulais avoir.

FATENCOUR.

Elle est un peu mutine.

Pourquoi ce violon ?

CRISPIN.

Pour porter à Florine

Un bouquet. J’ai tout fait pour la persuader ;

Mais elle n’a jamais voulu me l’accorder,

Et m’a dit brusquement qu’elle en avait affaire.

FATENCOUR.

Tu devais t’empêcher de te mettre en colère.

CRISPIN.

Vous savez que Florine est promise à ma foi ;

Que l’hymen doit, dans peu, nous mettre sous sa loi ;

Que c’est par votre aveu... que notre mariage

Doit causer de la joie à tout le voisinage.

Donc, quand un Amant aime... et qu’à l’objet aimé

Il veut plaire, il fait voir comme il en est charmé.

C’est par cent petits soins, qu’à la personne aimée

Il prouve, avec ardeur, que son âme est charmée.

Moi, voulant à Florine, avec un vert bouquet,

Lui prouver tendrement que je l’aime en effet...

Ainsi, quand il survient... en pareille occurrence,

Des gens... qui... Serviteur.

 

 

Scène III

 

VALCREUX, FATENCOUR

 

VALCREUX.

Il en tient.

 

FATENCOUR.

Je le pense.

VALCREUX.

Revenons à Fondnid.

FATENCOUR.

Je vous quitte.

VALCREUX.

Sur vous,

Je ne pourrai donc rien ?

FATENCOUR.

Point d’accord entre nous :

Pour vous en faire voir l’entreprise frivole,

Je lui fais demander deux deniers une obole,

Qu’au terme de Noël il me doit tous les ans,

Pour un pré qui dépend de mon Fief des Faisans :

J’en ai trouve le titre ; il le veut méconnaître,

Et voilà qui...

VALCREUX.

Pourquoi tant de chaleur ? Peut-être

Que ses amis pourront lui faire concevoir...

FATENCOUR.

Il n’est point de raison qu’il veuille recevoir ;

Point d’endroits où l’orgueil de Fondnid ne paraisse.

Il occupe, de plus, un banc, dans la Paroisse,

Dont jadis mes aïeux ont été possesseurs,

Et qui ne fut jamais à ses prédécesseurs :

C’est ce que, depuis peu, des gens m’ont fait comprendre.

VALCREUX.

Croyez-vous, par fierté, l’obliger à le rendre ?

FATENCOUR.

Nous verrons.

VALCREUX.

Agissez par douceur ; en tout cas,

Vous pourrez, par Justice...

FATENCOUR.

Ah ! ne m’en parles pas.

Par Justice !

VALCREUX.

Comment ?...

FATENCOUR.

Est-il raison si bonne,

Que l’argent ne renverse, aussitôt qu’on en donne ?

Et, sur le meilleur droit, peut-on rien emporter,

Qu’autant qu’on trouve l’art de bien solliciter ?

Qu’à mes prétentions une femme s’oppose,

Qu’elle s’en mêle, adieu l’équité de ma cause.

D’ailleurs, il faudra croire un Procureur sans foi,

Qui saura, sur des riens, chicaner malgré moi ;

Qui, de fausses raisons m’accablant les oreilles,

Sur cent formalités promettra des merveilles ;

Et qui, pour me piller, trouvera le moyen

De prolonger vingt ans une affaire de rien.

Moi ! d’un procès vingt ans j’aurais l’âme occupée,

Quand je puis le finir par quatre coups d’épée !

VALCREUX.

Voyez mieux les périls qui suivent ce dessein :

Le succès des combats est toujours incertain ;

Et de votre ennemi la valeur éprouvée...

FATENCOUR.

Ma femme, par la sienne, aurait été bravée !

VALCREUX.

Mais...

FATENCOUR.

Devant mon logis, hier même, il eut encor

L’audace de sonner cinq ou six fois du cor.

Bien lui prit que j’étais ailleurs.

VALCREUX.

La Vénerie

Donne ce privilège : un Chasseur...

FATENCOUR.

Je vous prie,

Finissons-là : je sens ma bile s’émouvoir ;

La matière m’échauffe ; et là-dessus... Bonsoir.

 

 

Scène IV

 

VALCREUX

 

Que de son propre sens une âme prévenue,

Se rend mal aisément la vérité connue !

J’ai beau lui faire voir ce qu’il doit redouter

De l’aveugle courroux qu’il veut trop écouter,

Il suit obstinément ce qu’il s’est mis en tête ;

Et, sans examiner quels malheurs il s’apprête,

D’un fantôme d’honneur...

 

 

Scène V

 

VALCREUX, D’ISL-MARETS, FABRICE

 

D’ISL-MARETS, en justaucorps de velours noir.

Seul, à rêver ainsi !

VALCREUX.

J’allais rendre visite à deux cents pas d’ici ;

Et, trouvant Fatencour, je l’ai mis sur l’affaire

Qui cause sa rupture avecque votre père.

D’ISL-MARETS.

Qu’avez-vous obtenu ?

VALCREUX.

Point d’accommodement :

Il n’écoute et ne croît que son emportements.

D’ISL-MARETS.

Ne vous relâchez point, et lui parlez encore.

VALCREUX.

Souffrons qu’en liberté sa bile s’évapore ;

Après, cherchant le temps de le voir sans témoins,

S’il peut être gagné, soyez sur de mes soins.

 

 

Scène VI

 

D’ISL-MARETS, FABRICE

 

D’ISL-MARETS.

Tu ne dis mot, Fabrice ?

FABRICE.

Hé ! que pourrais-je dire ?

Je vois, de jour en jour, que votre mal empire ;

Et qu’en continuant, vous allez à crédit

Hypothéquer le peu que vous avez d’esprit.

D’ISL-MARETS.

Ma folie est donc grande ?

FABRICE.

Elle n’a point d’égale.

Quoi ! vous, être entêté d’une Provinciale !

Vous qui, depuis dix ans, à la Cour attaché,

Sur les seules douceurs vous êtes retranché ;

Et qui, ne méditant que conquêtes nouvelles,

Trafiquiez, sans scrupule, avec toutes les Belles !

D’ISL-MARETS.

Il est vrai qu’ennemi de tout attachement,

J’ai traité, jusqu’ici, l’amour d’amusement :

Mais la Belle Angélique, à qui je rends les armes,

N’avait point à mes yeux fait éclater ses charmes ;

Et j’ignorais encor qu’il fut une Beauté

Si digne des soupirs dont je fais vanité.

Mille objets, à la Cour, sans doute, ont de quoi plaire ;

Mais tout n’est, là, qu’intrigue, artifice et mystère ;

Et la ruse s’y trouve en un si haut crédit,

Qu’on n’y pense rien moins que ce que l’on y dit.

Ces défauts ne font point dans l’aimable Angélique :

Son jeune cœur ressent ce que sa bouche explique ;

Et, lorsqu’il se promet à ma fidélité,

Ses yeux me sont garants de sa sincérité.

FABRICE.

De l’air dont elle est faite, elle en vaut bien une autre,

Il est vrai ; mais son père est ennemi du vôtre ;

Et, quoi que vous fassiez, Monsieur de Fatencour

De sa fille jamais n’approuvera l’amour :

Il vous faut son aveu, pour devenir son gendre.

D’ISL-MARETS.

L’obstacle est malheureux ; mais devais-je l’attendre ?

Depuis deux mois et plus que je suis en ces lieux,

Angélique partout s’est montrée à mes yeux :

Surpris de la beauté, j’ai tâché de lui plaire ;

Et, prêt à découvrir mon amour à son père,

Pouvais-je deviner qu’un mauvais point d’honneur,

Divisant nos Maisons, troublerait mon bonheur ?

Cependant, blâmes-tu ma passion extrême ?

Malgré nos différents, Angélique est la même ;

Sa tendresse subsiste ; et son cœur, tout à moi,

Tous les jours, en secret, me répond de sa foi.

FABRICE.

Florine a de l’esprit, et je sais que, par elle,

Vous avez le plaisir de voir souvent la Belle :

Mais on peut découvrir vos secrets rendez-vous ;

Et, lors...

D’ISL-MARETS.

Espérons mieux ; l’Amour fera pour nous :

Il ne faut qu’un moment, pour bien changer des choses.

FABRICE.

Oui ; quand d’une querelle on veut peser les causes,

On vient alors, sans peine, à l’accommodement :

Mais, ici, vous perdez votre raisonnement.

Messieurs les Campagnards sont gens, sur ces matières,

À ne s’en rapporter qu’à leurs longues rapières :

Qu’un mot les ait choqués, ils sont aux champs d’abord,

Se font tenir à quatre ; et, sans leur faire tort,

Monsieur de Fatencour et Monsieur votre père

En sont deux aussi francs... soit dit sans vous déplaire :

Mais, qui les en croirait, pour un banc, chaque jour

On livrerait bataille.

D’ISL-MARETS.

Épargne mon amour :

Pourquoi lui fais-tu voir les malheurs qu’il doit craindre ?

FABRICE.

Sans Monsieur de Valcreux, vous seriez plus à plaindre :

Pour apaiser les gens, si ses efforts sont vains.

Il empêche, du moins, que l’on en vienne aux mains.

 

 

Scène VII

 

D’ISL-MARETS, FABRICE, FLORINE

 

FABRICE.

Mais Florine survient.

D’ISL-MARETS.

Ah ! ma chère Florine,

Qu’est-ce ? hé bien ! ta Maîtresse ?

FLORINE.

Elle est toujours chagrine,

Et doit être au jardin dans une heure, au plus tard :

Voilà ce que j’allais vous dire, de sa part.

Vers la petite porte ayez soin de vous rendre ;

J’ai la clef pour l’ouvrir, vous n’aurez qu’à m’attendre.

D’ISL-MARETS.

J’y serai. Quel malheur, qu’il faille nous cacher,

Pour jouir du bonheur qui nous est le plus cher !

Ne pouvoir plus nous voir qu’avec cette contrainte !

FLORINE.

Elle hasarde un peu ; mais j’affaiblis sa crainte,

Et fais si bien le guet...

D’ISL-MARETS.

Il est vrai que, sans toi,

Je perdrais tout espoir.

 

 

Scène VIII

 

CRISPIN, qui écoute, D’ISL-MARETS, FABRICE, FLORINE

 

D’ISL-MARETS, continuant, à Florine.

Aussi, Florine, crois

Que je n’aurai jamais bien, fortune, avantage,

Dont je ne sois ravi...

CRISPIN, s’approchant, à d’Isl-marets.

Cela va bien ; courage !

Si, pour vous, la chaleur n’a rien de trop malsain,

Continuez, tandis que vous êtes en train.

D’ISL-MARETS, à Crispin.

Plaît-il ?

CRISPIN.

Le temps est cher ; fol est qui ne l’emploie.

Allons donc, poursuivez ; il n’est que d’être en joie.

Peut-on trop égayer la Belle que voilà ?

D’ISL-MARETS.

Vas, passe ton chemin.

CRISPIN.

Je veux demeurer là.

FABRICE, à d’Isl-marets.

Comme il ouvre les yeux !

D’ISL-MARETS.

Son insolence extrême

Mériterait...

FLORINE, à Crispin.

Prends garde...

CRISPIN, à Florine.

Hé ! prends garde, toi-même.

J’aurais démangeaison de te... Je ne dis mot.

Qui sont ces drôles-là ?

D’ISL-MARETS.

Parlez donc, maître sot...

CRISPIN, à d’Isl-marets.

Je ne veux pas parler, moi.

D’ISL-MARETS.

Sans cérémonie,

Délogeons ; autrement, je pourrais...

CRISPIN.

Oh ! jarnie !

Ne vous y frottez pas ; vous n’êtes point hupé

Assez haut, pour...

D’Isl-marets pousse Crispin rudement.

Je crois que vous m’avez frappé ?

Si j’en étais certain, je vous ferais connaître...

D’Isl-marets lui donne un soufflet.

Un soufflet ! sans rien dire ! Ah ! c’est frapper en traître.

Ventre ! j’ai de l’honneur, et...

D’ISL-MARETS.

Si tu ne t’en vas...

FLORINE, à d’Isl-marets.

Hé ! pour l’amour de moi, ne le maltraitez pas.

CRISPIN, à Florine.

Oui ! pour l’amour de toi ! C’est bien dit : patience !

Rira bien qui rira le dernier, vas.

Il sort.

 

 

Scène IX

 

D’ISL-MARETS, FLORINE, FABRICE

 

D’ISL-MARETS.

Je pense

Qu’il a l’esprit perdu.

À Florine.

Quel est-il ?

FLORINE.

C’est le fils

D’un nommé Jean Rustaut, le Fermier du logis.

Il revient d’Italie, et s’est mis dans la tête

De m’épouser.

D’ISL-MARETS.

Ma main, à souffleter trop prête,

T’a déplu : mais, Florine, il faut me pardonner ;

Mon brusque emportement doit peu te chagriner ;

J’en ai, je te proteste, un déplaisir extrême,

Et j’en veux, au plutôt, faire excuse à lui-même.

FLORINE.

Bien que j’en sois fâchée, il méritait cela.

FABRICE, à Florine.

Ainsi tu n’en es pas trop touchée ?

FLORINE, à Fabrice.

Hé ! là là.

Il aura de bon bien, et c’est assez pour plaire.

D’ISL-MARETS.

Et tu l’épouseras ?

FLORINE, à d’Isl-marets.

Pourquoi ne pas le faire ?

Il m’aime.

FABRICE.

Je t’entends. C’est-à-dire, en un mot,

Que n’étant, par lui-même, encor qu’à demi sot,

Tu le rendras complet.

FLORINE, à Fabrice.

Voyez !... il faut l’entendre.

FABRICE.

S’il te faut du secours, tu n’auras qu’à me prendre.

FLORINE.

C’est bien à toi, vraiment, à donner ton avis !

 

 

Scène X

 

LOISONNIÈRE, dans le fond, en justaucorps de velours noir, D’ISL-MARETS, FLORINE, FABRICE

 

FLORINE.

Mais, là-bas, j’aperçois un cousin du logis :

Il viendra m’aborder ; éloignez-vous, de grâce.

D’ISL-MARETS, s’en allant.

Souviens-toi que...

FLORINE, à d’Isl-marets.

Je sais ce qu’il faut que je fasse ;

Venez au rendez-vous, sans vous inquiéter.

 

 

Scène XI

 

LOISONNIÈRE, dans le fond, FLORINE

 

FLORINE, à elle-même.

Si l’importun cousin se pouvait éviter...

Mais il vient droit à moi. Peste de la querelle

Qui nous attire ici cette sotte séquelle !

Depuis qu’elle a fait bruit, chez nous, de toutes parts,

Je vois, à tous moments, pleuvoir des Campagnards :

Celui-ci nous accable à toute heure.

LOISONNIÈRE.

Ah ! Florine,

Comment est le cousin ?

FLORINE.

Fort bien.

LOISONNIÈRE.

Et la cousine

Sa femme ? hem ?

FLORINE.

Hé ! je crois qu’elle se porte bien ;

N’en déplaise, pourtant, à son Chirurgien,

Qui lui soutient que non.

LOISONNIÈRE.

Je la tiens maladive.

FLORINE.

Son plus grand mal ne gît qu’en l’imaginative.

LOISONNIÈRE.

La cousine leur fille ? hem ? Tu ne m’en dis rien.

FLORINE.

Tous ont la santé bonne, et le chat, et le chien ;

Sans compter deux Messieurs à panse large et ronde,

Qui dînent au logis ; tout est le mieux du monde.

LOISONNIÈRE.

Qui sont-ils ?

FLORINE.

Je ne sais ; mais ce sont de ces gens

Qui ne craignent personne, et chamaillent des dents,

Et qui d’un ennemi se défont fort en hâte :

Il leur dure aussi peu que fait un lièvre en pâte ;

En quatre coups d’escrime, il est expédié.

LOISONNIÈRE.

L’intérêt du cousin nous a tous mis sur pied.

On se fait voir ami, dans les grandes affaires.

FLORINE.

Vous êtes tous sur pied, mais vous n’avancez guères,

Pourquoi, par un accord, ne pas tout terminer,

Plutôt que d’être prêts, sans cesse, à dégainer ?

Tant de Gentilhommeaux, à nourrir, embarrassent.

LOISONNIÈRE.

Ce sont des points d’honneur, Florine, qui te passent.

FLORINE.

Ma foi, le point d’honneur qui vous anime tous,

C’est de venir ici boire comme des trous :

Vous trouvez votre compte à vous voir nécessaires,

Et seriez bien fâchés d’abréger les affaires.

Sur la moindre raison, pour vous toujours de poids,

Vous accourez ici cinq ou six à la fois ;

Deux mots sur la querelle, et quatre heures à table.

LOISONNIÈRE.

Tout le monde n’est pas d’un sentiment semblable ;

Les avis différents donnent à raisonner.

FLORINE.

Et le tout n’aboutit jamais qu’à bien dîner.

Ce font raisonnements éternels, que les vôtres.

Pour deux qui s’en iront, il en revient six autres ;

Et vous faites bien moins la guerre, tour-à-tour,

À Monsieur de Fondnid, qu’à notre basse-cour.

Ces vérités, chez nous, un peu trop se connaissent :

Dès que vous paraissez, nos poulets disparaissent ;

Et vous voir arriver dispos, frais et gaillards,

C’est on Arrêt de mort pour nos meilleurs canards

Lapins, dindons, brochets, carpes, tout vous redoute.

LOISONNIÈRE.

Cela coûte au cousin quelque chose, sans doute ;

Aussi, pour le servir, il a de braves gens,

Tout prêts à s’égorger, quand il en sera temps :

Comme au champ de bataille, ils courent tous en hâte.

FLORINE.

Et cependant, de peur que notre vin se gâte,

Ils l’entonnent toujours, à bon compte. Pour moi,

Je sens que tout me choit, sitôt que je les vois.

L’un, avalant d’abord trois ou quatre lampées,

Parle de pistolets, de fusils et d’épées.

L’autre, en son jeune temps, assure qu’il a mis

Plus de bretteurs à bas, que tué de perdrix.

Cet autre, en attendant l’heure de la crevaille,

Le fleuret à la main, attaque la muraille ;

Et d’une telle force allonge de grands coups,

Qu’il en fait retentir et vitres et verrous.

Celui-ci, le plus sot, quoique le plus tranquille,

Sur le ton doucereux veut ajuster son style :

Il fait le raisonnable ; et, par tout ce qu’il dit,

On voit qu’il a sans cesse un travers dans l’esprit.

Celui-ci, grand jureur, faisant le diable à quatre,

Lorsqu’il ne voit personne, enrage de se battre :

Point d’accommodement, c’est son opinion.

Je n’ai jamais passé qu’un hiver à Lyon ;

Mais je n’ai rien vu, là, qui ne soit fort contraire

À ce qu’aux Campagnards tous les jours je vois faire.

Savez-vous ce qu’on dit ?

LOISONNIÈRE.

Moi ? non.

FLORINE.

On dit, tout franc,

Que tous vos conseils vont à répandre du sang ;

Que vous êtes fâché, quand on se raccommode

Sans faire quelque plaie.

LOISONNIÈRE.

Oui, c’est là ma méthode.

Pour tempérer les gens qui prennent trop d’effort,

Il est bon...

 

 

Scène XII

 

CRISPIN, LOISONNIÈRE, FLORINE, NICOLAS, ROBIN, GRATIAN, GRAND-JOBE

 

CRISPIN, en entrant.

Ah ! parbleu ! je le retrouve encor.

Frappe, Gratian, frappe.

NICOLAS, à Loisonnière, lui jetant un sac sur la tête par derrière, et lui saisissant son épée, tandis que les autres le frappent de leurs gaules.

Ah ! tatigué ! mon drôle,

Vous soufflette les gens !

LOISONNIÈRE, se démenant.

Qu’est-ce donc ?

NICOLAS, le frappant avec les autres.

À l’école,

Margué ! vous apprendrez qui je sommes.

LOISONNIÈRE, fuyant.

Coquin !

FLORINE.

Êtes-vous possédés ? Arrêtez-les, Robin.

NICOLAS, poursuivant Loisonnière.

Oh ! jarnigué ! j’aurons notre revanche.

CRISPIN, à Nicolas.

Assomme.

 

 

Scène XIII

 

CRISPIN, NICOLAS, ROBIN, GRATIAN, GRAND-JOBE, FLORINE

 

CRISPIN.

Il s’enfuit. Ferme après, Grand-Jobe.

NICOLAS, revenant.

Voilà comme

Je traitons les batteux de gens. Oh ! palsangué !

Il en a tout le soul.

CRISPIN, à Nicolas.

Grand merci.

NICOLAS.

Ventregué !

S’il ne m’eût pas montré les talons...

FLORINE, à Crispin.

Misérable !

As-tu perdu l’esprit ? dis.

CRISPIN, à Florine.

J’ai perdu le diable.

FLORINE.

Je pense qu’il est fou.

CRISPIN.

Si je suis fou, tant mieux ;

C’est mon plaisir.

FLORINE.

Voyez comme il roule les yeux !

CRISPIN.

Je veux les rouler, moi.

FLORINE.

Poursuis ; tu fais merveilles.

CRISPIN.

Prends garde à ne pas trop m’échauffer les oreilles ;

Tu pourrais bien, vois-tu !...

NICOLAS.

Tout doux, Monsieur Crispin.

CRISPIN.

Pourquoi tout doux ? Jernie ! ai-je tort ?

NICOLAS.

Non.

CRISPIN.

Enfin,

Qu’elle s’en aille, ou bien...

FLORINE.

Je te quitte la place :

L’accès te prend, il faut attendre qu’il se passe.

 

 

Scène XIV

 

CRISPIN, NICOLAS, ROBIN, GRATIAN, GRAND-JOBE

 

CRISPIN.

Elle a, morbleu, bien fait : encore un mot ou deux,

J’allais...

NICOLAS.

Monsieur Crispin, Vous êtes orageux.

Mettre la main dessus, ça n’est pas d’un brave homme.

Est-ce que vous avez vu battre une fille à Rome ?

CRISPIN.

J’ai bien vu pis encor ; ce n’est rien que cela :

Pour la moindre fredaine, on vous les traite, là...

Pour elles, en ce lieu, point de miséricorde.

NICOLAS.

Oui, ce sont gens malins ; car, quand je me recorde,

On dit qu’il faut toujours être en garde avec eux ;

Que naturellement ils sont gens venimeux ;

Que... Mais si ce Monsieur, dont j’ons frotté l’échine,

Nous ramenait des gens, j’aurions, margué ! la mine

De tâter du bâton.

CRISPIN.

Il ne reviendra pas ;

Il fait trop bien comment...

NICOLAS.

N’importe, je m’en vas.

J’ai peur que, de sa part, on ne vienne à nos trousses ;

On pourrait, nous trouvant, nous sangler des escousses,

Qui nous... Mais écoutons, j’entends quelqu’un. Adieu.

CRISPIN.

Allons ; et ne faut pas demeurer en ce lieu.

 

 

ACTE II

 

 

Scène première

 

ANGÉLIQUE, FLORINE

 

ANGÉLIQUE.

Quoi ! riras-tu toujours ?

FLORINE.

Ma foi, les coups de gaules

Ont méthodiquement aplati ses épaules :

On eût dit qu’à frapper ils se donnaient leçon :

Ils l’ont évergeté et la bonne façon ;

Son justaucorps, sans doute, était net par derrière.

ANGÉLIQUE.

L’accident est fâcheux ; je plains de Loisonnière.

FLORINE.

Je ne saurais se plaindre ; et, puisque le hasard

A fait le quiproquo, c’est un bon Campagnard:

Son esprit malfaisant commence à me déplaire ;

Toujours contre Fondnid il aigrit votre père :

Ses conseils sont médians ; et je crois que, sans eux,

Tout serait terminé par Monsieur de Valcreux.

Son dos méritait bien une telle aventure.

ANGÉLIQUE.

Qu’il n’ait pas reconnu Crispin !

FLORINE.

Je vous l’assure ;

Tant de bras ont chargé sur lui tous à la fois,

Que, sans tourner visage, il s’est sauvé du bois.

L’un l’affublant d’un sac, et saisissant sa brette...

S’il n’eût eu le pied bon, sa fortune était faite ;

Ils l’allaient étriller tout du long.

ANGÉLIQUE.

Mais, enfin,

Tout Campagnard qu’il est, c’est toujours mon cousin.

FLORINE.

Que fait la parenté, quand on est ridicule ?

ANGÉLIQUE.

Tu parles franchement.

FLORINE.

Moi ! que je dissimule !

À quoi bon ? Qui voudrait vous faire, pour époux,

Prendre un de Loisonnière, y consentiriez-vous ?

ANGÉLIQUE.

Quoique née en Province, il faut que je confesse

Que j’aurais, sur ce choix, plus de délicatesse ;

Et qu’en mon cœur, le bien n’a pas assez de part,

Pour me faire épouser jamais un Campagnard.

Ne t’ai-je pas, cent fois, fait voir la différence

De ceux qui du beau monde ont quelque expérience ?

Ils ont je ne sais quoi de si noble, en parlant ;

Un certain air, en tout, aimable, doux, galant ;

Un esprit libre, aisé, qui plaît, qui s’insinue.

FLORINE.

Les six mois qu’à Lyon on vous a retenue,

Vous ont toute changée. Il est vrai que toujours

Vous avez des romans tiré de grands secours :

Moi-même, je m’en sens toute autre ; et je m’admire,

Depuis un an ou deux que vous m’en faites lire.

ANGÉLIQUE.

La lecture, sans doute, aide fort à l’esprit ;

C’est un mets savoureux, dont le suc le nourrit ;

La conversation, dont il prend l’habitude,

Lui sert, pour le polir, aune agréable étude :

Elle en ôte, à là fin, tout le matériel ;

Mais il faut, pour cela, beaucoup de naturel.

FLORINE.

Moi, j’ai du naturel, Madame.

ANGÉLIQUE.

Il n’en est guères

Qui fâchent, au besoin, se mieux tirer d’affaires ;

Aussi, Florine, aussi, tu sais tous mes secrets.

FLORINE.

Hé ! ce n’est pas tant pis. Mais Monsieur d’Isl-marets ?

Il est au rendez-vous, peut-être, à vous attendre.

ANGÉLIQUE.

Voici l’heure donnée, il est temps de s’y rendre ;

Mais, hélas ! que le crains !

FLORINE.

Vous doutez de sa foi ?

Il vous adore, allez ; fiez-vous-en à moi :

Il est aussi bien pris qu’un Amant puisse l’être.

ANGÉLIQUE.

Tous ses empressements me le font trop connaître :

Il n’aime, je le sais ; mais de si tendres feux

Ne servent qu’à nous rendre encor plus malheureux

De son père et du mien, par où forcer l’obstacle ?

FLORINE.

L’Amour, à point nommé, saura faire un miracle ;

Mettez-vous m repos. Combien, dans le Cyrus,

D’Amants infortunés tout-à-coup secourus !

Leurs malheurs, cependant, paraissaient sans remède.

Quand le destin s’en mêle, il faut que tout lui cède :

Ce qu’il a fait pour eux, il le fera pour vous.

ANGÉLIQUE.

L’espoir est, aux Amants, quelque chose de doux ;

On aime à se flatter : mais, Florine...

FLORINE.

Allez vite.

S’il allait survenir quelque sotte visite,

Qui ne vous laissât pas... Votre père survient :

Du régal de Crispin, sans doute, on l’entretient ;

Laissez-moi l’écouter.

 

 

Scène II

 

LOISONNIÈRE, FATENCOUR, FLORINE, les écoutant

 

LOISONNIÈRE, à Fatencour.

Oui, dans cette surprise,

J’ai cherché mon épée, et l’on me l’avait prise.

Ainsi, tout étourdi des coups que j’ai reçus,

J’ai vu des Paysans, et n’ai rien vu de plus :

Je n’ai d’aucun d’entre eux remarqué le visage.

FATENCOUR, à Loisonnière.

Affronter mon Cousin ! Je prends part à l’outrage,

Et ferai, là-dessus, pour vous, ce que je dois.

LOISONNIÈRE.

Peut-être que Florine en saura plus que moi ;

Elle a vu l’insolence ; et de quelle manière...

FLORINE, s’approchant, à Loisonnière.

N’êtes-vous point blessé, Monsieur ?

LOISONNIÈRE, à Florine.

Non ; par derrière,

Je me sens seulement...

FLORINE.

Ils avaient le bras bon ;

Jamais je ne vis mieux allonger un bâton.

Vous avez fort bien fait de gagner au pied.

LOISONNIÈRE.

Peste !

C’était à qui, sur moi, jouerait mieux de son reste :

Ils ne me laissaient pas le temps de respirer.

FATENCOUR.

Les marauds !

À Florine.

Qui sont-ils ? tu ne peux l’ignorer.

FLORINE, à Fatencour.

Je ne les connais point.

FATENCOUR.

Toi ?

FLORINE.

Ce sont, sans doute,

Quelques gens de Fondnid.

LOISONNIÈRE, à Fatencour.

Pour moi, je n’y vois goutte :

Mais, durant vos débats, je vous jure ma foi

De ne marcher jamais, qu’un fusil avec moi.

FLORINE, à Loisonnière.

Si vous l’eussiez eu là, je doute que ces drôles

Eussent si fièrement attaqué vos épaules.

FATENCOUR, à Florine.

Ne crois-tu pas qu’ils soient des environs ?

FLORINE, à Fatencour.

Eux ? non.

LOISONNIÈRE, à Florine.

Je pense d’un Robin avoir ouï le nom.

FLORINE, riant, à Loisonnière.

Il est tant de Robins, que c’est-là ne rien dire.

Ce sont Robins partout.

LOISONNIÈRE.

Voilà bien de quoi rire !

FLORINE.

Eh ! quand j’en pleurerais, auriez-vous de Robin

Senti moins le bâton ?

FATENCOUR, à Loisonnière.

Excusez, mon cousin ;

C’est une impertinente, à rire accoutumée :

Elle en est quelquefois, pour rien, toute pâmée.

Je la voyais hier se tenir les côtés,

De deux coqs qui s’étaient l’un sur l’autre jetés.

FLORINE.

J’ai l’âme gaie ; hé bien ! est-ce un crime de rire ?

FATENCOUR, à Florine.

Oui ; mais au nez des gens, qu’est-ce qu’on en peut dire ?

FLORINE, à Fatencour.

Par ma foi, ces frappeurs frappaient si rondement,

Que vous en auriez ri vous-même, assurément.

FATENCOUR.

J’en aurais ri !

FLORINE.

C’était un accord.

FATENCOUR.

La coquine !

 

 

Scène III

 

LOISONNIÈRE, FATENCOUR, CRISPIN, FLORINE

 

CRISPIN, à Fatencour.

Puisqu’ici, tout à point, je rencontre Florine,

Monsieur, c’est devant vous que je lui fais savoir

Que, n’étant point mon fait, elle peut se pourvoir :

Je devais l’épouser ; mais je ne veux plus d’elle.

FLORINE.

Plus de moi !

FATENCOUR.

Quoi, Crispin !

CRISPIN.

Elle fait la donzelle,

Monsieur ; et, s’il vous plaît, je ne suis point un sot ;

Je viens de Rome, et c’est tout dire en un seul mot.

FLORINE.

Il a le cerveau creux.

CRISPIN, à Florine.

Creux ou non, que t’importe ?

Laisse là mon cerveau.

FATENCOUR.

La colère t’emporte.

CRISPIN.

On se colère à moins. 

À Fatencour.

Je l’ai trouvé...

FLORINE, faisant signe à Crispin.

Hé bien ?

CRISPIN, à Florine.

Les signes que tu fais, ne serviront de rien.

FLORINE.

Je te fais signe, moi ? Voyez ce qu’il veut dire !

Je te crains bien !

CRISPIN.

Tu ris ; mais je ne veux point rire ;

Je suis fâché.

FLORINE.

Le grand dommage que voilà !

CRISPIN.

Je ne t’ai point, tantôt, trouvée... ?

FLORINE.

Achève, là ;

Monsieur t’écoute, parle ; allons donc.

CRISPIN.

Bonne bête !

Tu voudrais bien...

FATENCOUR.

Dis donc ce qui te tient en tête.

Qu’a-t-elle fait ? qu’as-tu ? quel est ton embarras ?

CRISPIN, à Fatencour.

Monsieur, elle m’entend.

FATENCOUR.

Mais je ne t’entends pas.

De quoi l’accuses-tu ?

FLORINE, à Fatencour.

Que peut-il vous répondre ?

C’est un garçon, Monsieur, qui devient hypocondre.

FATENCOUR, à Florine.

Hypocondre !

FLORINE.

Oui, Monsieur, hypocondre.

CRISPIN, à Florine.

Moi ?

FLORINE, à Crispin.

Toi.

À Fatencour.

Vous le pourrez savoir de Monsieur Chiros.

FATENCOUR.

Quoi !

Notre Chirurgien en assure ?

FLORINE.

Lui-même ;

Et tient que ce mal est d’une importance extrême.

CRISPIN, à Fatencour.

Quels mensonges, Monsieur !...

FATENCOUR.

Hé ! quelle marque a-t-on

Qu’il fait ce que tu dis ? Est-il furieux ?

FLORINE.

Non ;

Mais pour des visions, oh ! sa tête en est pleine.

L’autre jour, à l’entendre, il était un grand chêne ;

Et, dès qu’on l’approchait, il se laissait pâmer,

Croyant qu’avec la hache on l’allait entamer.

CRISPIN.

L’effrontée !

LOISONNIÈRE.

À ses yeux, sans en savoir la cause,

J’avais déjà bien vu qu’il avait quelque chose.

FATENCOUR.

Où diable a-t-il donc pris ce vilain mal ?

FLORINE.

On dit

Que tous les voyageurs se barbouillent l’esprit.

LOISONNIÈRE.

Il est vrai qu’on prétend que toujours la folie

Vient à ceux qui vont loin.

FLORINE.

Surtout en Italie :

Le pays étant chaud, on en est pris d’abord ;

Et ce mal, qui pis est, se communique fort.

FATENCOUR.

Il se gagne ?

FLORINE.

Oui, Monsieur ; à moins qu’un prompt remède

N’empêche...

CRISPIN, à Florine, avec colère.

Dis-moi donc quel diable te possède.

FLORINE.

Voyez.

FATENCOUR, à Crispin.

Si promptement tu ne te fais panser...

CRISPIN, à Fatencour.

De quoi ?

FATENCOUR.

Comment ! de quoi ?

LOISONNIÈRE, à Fatencour.

Vous devez le chasser ;

Il vous gâtera tous.

FATENCOUR, à Loisonnière.

C’est ce que j’appréhende.

CRISPIN.

Vous me croyez donc fou, Monsieur ?

FATENCOUR, à Crispin.

Belle demande !

J’en crois Monsieur Chiros, qui ne se trompe en rien :

Il faut que tu le sois, puisqu’il le dit.

CRISPIN.

Fort Bien.

Mais vous saurez...

FLORINE, à Crispin.

Tais-toi.

CRISPIN, à Florine.

Tu n’es pas où tu penses :

Quand j’aurai dit du fait toutes les circonstances ;

Il faudra que Crispin... Oh, oh ! tu m’avais pris

Pour souffre douleur ?

FLORINE, à Fatencour.

Toujours de mal en pis ;

Écoutez.

LOISONNIÈRE.

Il faudrait, sans tarder davantage,

Le bien faire purger ; car ce serait dommage

Que, faute d’y pourvoir, ou la cousine, ou vous...

Que fait-on ?

FLORINE.

J’ai toujours appréhendé les fous ;

C’est une maladie aussi contagieuse...

FATENCOUR.

Sors, coquin ; ou...

CRISPIN, à Fatencour.

Monsieur, Florine est une gueuse,

Que j’ai, tantôt, surprise avec un étourneau,

Qui la faisait siffler sur quelque ton nouveau ;

Car elle en paraissait toute ragaillardie.

Ils étaient dans les champs, où, d’une main hardie,

Le drôle s’efforçait...

FLORINE, à Crispin.

Quels contes il fait là !

Montrant Loisonnière.

Je n’ai vu, d’aujourd’hui, que Monsieur que voilà.

LOISONNIÈRE.

Oui, tantôt, dans les champs, j’ai rencontré Florine.

CRISPIN, à Loisonnière.

Oh ! ce n’était pas vous ! c’est bien une autre mine :

Peste ! il a le teint frais, vermeil :

À Florine.

hem ! qu’en dis-tu ?

Est-ce un conte ?

FLORINE, à Crispin.

Oui, sans doute.

CRISPIN.

Et quand il m’a battu ?

FLORINE.

Qui pourrait rien comprendre à ce que tu veux dire ?

CRISPIN.

Je dois m’en consoler, ce n’était que pour rire ;

Mais pourtant tu sais bien qu’il m’a, pour tes beaux yeux,

Fait présent d’un soufflet, on ne peut rien de mieux.

FATENCOUR.

D’un soufflet ?

CRISPIN, à Fatencour.

D’un soufflet ?

À Florine.

Réponds.

FLORINE.

Autre chimère.

CRISPIN.

Quoi ! tu m’ose encor soutenir le contraire !

FATENCOUR.

S’il est vrai, tu devais...

CRISPIN.

Oh ! nous n’y sommes pas.

J’ai vite été chercher Gratian, Nicolas,

Robin, avec Grand-Jobe : ils ont tous la main forte :

Aussi l’ont-ils gaulé d’une diable de sorte.

J’en garde son épée ; ils l’ont prise d’abord.

LOISONNIÈRE, voulant prendre Crispin à la gorge.

Ah ! coquin, c’est donc toi qui m’as fait... ?

CRISPIN, à genoux, à Fatencour.

Je suis mort !

Pardon, pardon, Monsieur.

FATENCOUR, à Loisonnière, le retenant.

Mon cousin, je vous prie,

Ne vous emportez point.

LOISONNIÈRE.

Avoir l’effronterie

De faire maltraiter... !

S’élançant sur lui.

Je lui veux...

FLORINE, à Loisonnière, le retenant.

Doucement :

Il faut avoir pitié de son égarement ;

C’est un fou qui ne sait ce qu’il fait.

CRISPIN, se relevant.

Comme diable !

Parce que je dis vrai, je suis fou ?

FLORINE, à Crispin.

Misérable !

J’ai voulu ne rien dire, et ne pas t’accuser,

Et, pour ton intérêt, t’empêcher de jaser :

C’est lui qu’à coups de gaule, il t’a plu...

CRISPIN, à Florine.

Lui ?

FLORINE.

Lui-même.

CRISPIN.

Lui ! cela ne se peut.

LOISONNIÈRE.

L’impudence est extrême :

Vouloir encor nier...

À Crispin.

Tu mourras de ma main.

CRISPIN.

Criez, menacez-moi d’ici jusqu’à demain,

Vous n’avez pas reçu les coups de bâton.

LOISONNIÈRE.

Traître !

FLORINE, à Loisonnière.

Quand la sottise est faite, on la veut méconnaître.

CRISPIN, à Florine.

Je l’aurais fait rosser, quand il ne m’a rien fait ?

FLORINE.

Hé ! tu soutiens qu’il t’a régalé d’un soufflet.

CRISPIN.

Lui ? non pas.

FATENCOUR, à Crispin.

Hé ! qui donc ?

CRISPIN.

Moi, le sais-je ? Florine

Le disait mieux que moi : mais, morbleu ! la coquine...

FLORINE.

Courage.

CRISPIN.

Si...

FATENCOUR.

Tais-toi. Mon cousin, j’ai regret

Qu’on vous ait donné lieu d’être mal satisfait :

Mais, comme enfin les fous ont toujours la main prompte,

Un pareil accident ne vous fait point de honte :

Tout autre y serait pris.

FLORINE, à Loisonnière.

À parler tout de bon,

Ayant à recevoir quelques coups de bâton,

Il vaut mieux que ce soit un fou qui nous les donne.

LOISONNIÈRE, à Florine.

Mais il faut châtier les fous : qu’on lui pardonne,

Ce sera pis encor.

FLORINE.

Quand vous l’assommeriez,

C’est son mal seulement que vous redoubleriez :

Je demande sa grâce.

LOISONNIÈRE.

Hé bien, je te l’accorde ;

Mais, pour les Paysans, point de miséricorde.

FATENCOUR.

Ils vous seront livrés, mon cousin, et dans peu.

Si c’eût été Fondnid, a aurait vu beau jeu ;

J’aurais tout hasardé, pour en tirer vengeance.

LOISONNIÈRE.

Lui ! Par la mort...

FATENCOUR.

Allons ; qui vous choque, m’offense.

 

 

Scène IV

 

CRISPIN, FLORINE

 

CRISPIN.

Parlons à cœur ouvert. Est-ce à lui, tout de bon,

Que Robin a donné tant de coups de bâton ?

FLORINE.

À lui, te dis-je.

CRISPIN.

Mais en es-tu bien certaine ?

FLORINE.

Comme d’être avec toi.

CRISPIN.

Cela me met en peine ?

Serait-ce qu’en effet j’aurais l’esprit... ?

FLORINE.

Comment !

Tu veux douter encor que tu sois fou ? Vraiment,

Ce n’est pas d’aujourd’hui que tu t’en sens.

CRISPIN.

J’enrage.

Mais tu m’as vu donner un soufflet.

FLORINE.

Es-tu sage,

Avecque ton soufflet ?

CRISPIN.

Quoi ! pour tout assuré,

Je ne l’ai point reçu ?

FLORINE.

Non.

CRISPIN.

J’en aurais juré.

Mais, pourtant, il faut bien qu’on m’ait fait quelque chose,

Pour les coups de bâton dont le soufflet est cause.

D’où vient m’être avisé de me fâcher ?

FLORINE.

D’où vient ?

C’est que l’on donne à tout, quand la vision tient.

CRISPIN.

Je ne me croyais pas la tête si malsaine.

Tu dis que, l’autre jour, je croyais être un chêne ?

FLORINE.

Oui, qu’on voulait couper : c’était ton embarras ;

Le feu te faisait peur. Tu ne t’en souviens pas ?

CRISPIN.

Point du tout, ou si peu que rien.

FLORINE.

Il est à croire

Que le trouble d’esprit emporte la mémoire.

CRISPIN.

Il faut que cela soit ; car, sans toi qui le dis,

Je ne croirais jamais que cela fût.

FLORINE.

Tant pis ;

On est deux fois encor plus fou, quand il ne reste

Aucune impression du passé.

CRISPIN.

Malepeste !

Il faut songer bien vite à me médeciner.

FLORINE.

Tu seras bien ; ton mal...

CRISPIN.

Je veux le détourner.

Mais j’en reviens toujours à ce soufflet : j ai peine

À ne le croire pas une chose certaine ;

Et même sur la joue encore, à tous moments,

Il me semble sentir certains frétillements.

FLORINE.

Fadaise. Je te dis...

CRISPIN.

Hé ! ce n’est point fadaise.

FLORINE.

Si tu veux être fou, sois-le tout à ton aise,

Ne te fais point guérir ; que m’importe ?

CRISPIN.

Hé bien ! non.

On ne m’a point battu ; mais les coups de bâton,

Si ce soufflet est faux, doivent l’être de même.

Pourquoi croirai- je l’un, sans l’autre ?

FLORINE.

Abus extrême !

Si les coups ont suivi le soufflet prétendu,

C’est...

CRISPIN.

J’avais tant d’esprit ! faut-il l’avoir perdu ?

FLORINE.

Ce n’est qu’en certains temps.

CRISPIN.

Hé ! ce n’est rien ?

 

 

Scène V

 

CHIROS, FLORINE, CRISPIN

 

FLORINE, continuant, à Crispin.

J’espère :

Voici Monsieur Chiros, qui fera ton affaire.

CHIROS, à Florine.

Comment, depuis trois jours, s’est-on ici conduit ?

Madame a-t-elle bien reposé cette nuit ?

A-t’elle de la joie ? est-elle sans tristesse ?

Prend-elle, tous les jours, encor du lait d’ânesse ?

Mon remède a-t-il fait son opération ?

N’a-t-il point adouci son inflammation ?

A-t-elle l’appétit meilleur qu’à l’ordinaire ?

A-t-elle un bon dormir, qu’aucun songe n’altère ?

Réponds donc, si tu veux : as-tu perdu la voix ?

FLORINE, à Chiros.

Hé ! vous ne demandez vingt choses à la fois :

Comment fournir à tout, en même temps ?

CHIROS.

Florine,

Tous les moments sont chers, en fait de Médecine ;

Surtout à moi, qui suis tellement accablé,

Que tout autre en aurait l’esprit un peu troublé.

FLORINE.

Vous avez donc beaucoup de malades ?

CHIROS.

Je pense

En avoir plus de cent, la plupart d’importance :

Tous les jours. Dieu merci, quelqu’un perd la santé.

FLORINE.

Cela vous accommode ?

CHIROS.

Oui ; mais, en vérité,

On se fatigue bien à courir. Sur mon âme,

Quelquefois...

FLORINE.

Écoutez. Avant de voir Madame ;

Pont vos raisonnements font tout le mal qu’elle a...

CHIROS.

Si je la vois souvent, c’est...

FLORINE.

Elle en veut, par-là,

Toujours drogue sur drogue ; il faut la satisfaire.

Quatre mots pour Crispin.

CHIROS.

Hé bien ! que faut-il faire ?

Qu’a-t-il ?

FLORINE.

Il a ce mal que vous nous avez dit.

CHIROS.

Quel mal ?

FLORINE.

Ces vertigos qui lui tournent l’esprit.

Vous nous disiez, tout bas, qu’il était hypocondre.

CHIROS.

Je ne m’en souviens pas ; mais je puis vous répondre

Que, si j’ai dit qu’il l’est, il doit l’être.

Il le regarde.

En effet,

Je vois, par ses regards, qu’il a l’esprit mal fait :

Il a les yeux roulants, effarés.

CRISPIN, à Chiros.

Je vous prie,

Croyez-vous que je sois en péril de ma vie ?

CHIROS, à Crispin.

Non, à moins qu’à ce mal quelque autre ne soit joint.

CRISPIN.

Hé ! quel est donc ce mal que je ne connais point ?

CHIROS.

C’est, sans en rien sentir, que le cerveau s’attaque ;

Mais on ne laisse pas d’être hypocondriaque :

L’esprit, quoiqu’agité, paraît être en repos.

Or Hypocondrion, id est, Lagonopos,

Vel præcordiorum inflammatio.

CRISPIN.

Peste !

C’est être bien malade.

CHIROS.

Écoute donc le reste.

De ce qu’une humeur noire a causé de chaleur

Aux viscères qui sont les plus voisins du cœur

Il se porte au cerveau des vapeurs, dont ensuite

L’imagination, échauffée et séduite,

Se forme des objets qui, pleins d’inanité,

Lui tiennent lieu d’espèce et de réalité :

Elle en est maitrisée ; et, se trouvant capable

D’une appréhension active, invariable,

Elle engage si bien le malade à rêver,

Qu’il va jusqu’au délire, et ne s’en peut sauver.

FLORINE.

Tu vois, Crispin.

CRISPIN.

J’entends à peu près.

FLORINE.

La folie

Vient comme il l’a conté.

CRISPIN.

Sans doute, en Italie,

J’ai bien vu de ces maux de trop de chaleur.

CHIROS.

Vas,

Je prétends te guérir, et dans peu.

CRISPIN.

Touchez là ;

Faites de votre mieux. S’il vous faut la pistole,

C’est comme si déjà vous l’aviez.

 

 

Scène VI

 

CRISPIN, FLORINE

 

FLORINE.

La parole

Te revient, sur le point de te voir secouru.

CRISPIN.

Je suis beaucoup plus mal que je ne l’avais cru,

Je le vois bien.

FLORINE.

Tu dois songer à tes affaires.

CRISPIN.

Les voyages m’ont trop échauffé les viscères ;

Et, depuis mon retour, ces inflammations

M’ont, par trop de repos, fait des obstructions.

FLORINE.

Qui t’en a tant appris ? Tu parles comme un homme.

CRISPIN.

Penses-tu que les gens aillent, pour rien, à Rome ?

À mon âge, être fou ! quelle pitié !

FLORINE.

Crispin,

Console-toi.

CRISPIN.

Trois fois, pour rebrousser chemin ;

J’eus la jambe tournée. Ô le maudit voyage,

Où l’hypocondrion m’a fait le tour !

FLORINE.

Courage :

Puisque Monsieur Chiros t’entreprend, tout va bien.

CRISPIN.

Mais puis-je être si mal, sans que j’en sente rien ?

Car, à te parler franc, Florine, je t’avoue

Que, si j’ai senti, c’est...

FLORINE.

Tu te frottes la joue ?

CRISPIN.

Il me semble toujours qu’on a la main dessus ;

Et je tâte si rien ne m’y frétille plus.

FLORINE.

Encor sur le soufflet ?

CRISPIN.

En bonne conscience,

Est-ce à tort que je crois... ?

FLORINE.

Marque d’extravagance.

Quand un fou dans l’esprit s’est mis certains objets,

Il s’attache, il s’obstine, et n’en démord jamais.

CRISPIN.

Je ne croirai plus rien, si je puis, vas.

 

 

Scène VII

 

D’ISL-MARETS, CRISPIN, FLORINE

 

D’ISL-MARETS, en entrant.

Florine !

FLORINE, bas, à d’Isl-marets.

Où venez-vous ?

À part.

S’il faut que Crispin l’examine...

D’ISL-MARETS.

Monsieur de Fatencour tout à l’heure est entré

Au jardin, où sans doute il m’aurait rencontré,

Si je n’avais gagné promptement cette porte.

CRISPIN.

C’est ici mon donneur de soufflets ! Oui ; main forte !

Accourez vite ! à moi !

D’ISL-MARETS, mettant l’épée à la main, à Crispin.

Maraud ; si tu...

FLORINE, à d’Isl-marets.

Sortez ;

Vous perdez Angélique.

CRISPIN.

Au voleur ! arrêtez !

D’Isl-marets se retire.

 

 

Scène VIII

 

CRISPIN, FLORINE

 

FLORINE.

Qu’as-tu donc à crier ?

CRISPIN.

Ce que j’ai ? Laisse faire.

FLORINE.

Adieu. Je hais les fous, mais je ne les crains guère.

 

 

Scène IX

 

CRISPIN, seul

 

Oh, oh ! c’est donc à moi que tu fais de ces tours !

On me donne un soufflet à rendre les gens sourds ;

Et, quand j’en viens porter la plainte à notre Maître,

On me garantit fou ! Mais ne faut-il pas l’être,

Pour avoir pu le croire, et m’être imaginé

Que ce fût un soufflet qu’on ne m’eût pas donné ?

Vas, tu me le paieras, et tout du long.

 

 

Scène X

 

CHIROS, CRISPIN

 

CHIROS.

Madame

Est, dit-on, occupée ; et moi, pour fuir le blâme

De négliger ton mal, je te viens...

CRISPIN.

Serviteur.

CHIROS.

Ton pouls assurément n’aura point de lenteur :

Voyons comme il te bat.

CRISPIN.

Hé ! oui-dà !

CHIROS, tirant son étui.

La saignée

Jamais, dans un tel mal, ne doit être épargnée :

Pour t’en guérir plutôt, nous ne ferons point mal

De te tirer d’abord du sang artérial ;

Comme il est fort subtil, c’est son intempérie

Qui cause les vapeurs...

CRISPIN.

Vapeurs ? soit. Je vous prie...

CHIROS.

Bois-tu souvent ?

CRISPIN.

Selon que j’ai soif.

CHIROS.

L’appétit,

L’as-tu bon, bien ouvert ?

CRISPIN.

J’en suis content, suffit.

CHIROS.

Dors-tu ?

CRISPIN.

Si je dors ? Non ; vous voyez que je veille.

CHIROS.

N’as-tu point quelquefois des tintoins dans l’oreille ?

Car, en fait d’hypocondre...

CRISPIN.

Ah ! plus de questions ;

Je pourrais envoyer vos hypocondrions...

CHIROS.

L’accès te prend ! Il faut, afin qu’il soit moins rude,

Te saigner promptement. Par ton inquiétude,

Je vois bien que tu vas...

CRISPIN.

Ma foi, Monsieur Chiros,

Vous ferez sagement de me tourner le dos ;

Dans l’humeur où je suis, il n’en faudrait plus guère,

Pour vous faire appliquer...

CHIROS.

Tu te mets en colère !

Çà, donne-moi la tempe, afin qu’un peu plus bas,

Je t’ouvre le vaisseau...

CRISPIN.

Ne vous y frottez pas.

CHIROS.

Écoute, on fait par où te rendre plus traitable ;

Il est des bistouris...

CRISPIN.

Des bistouris ! Au diable :

Cherche qui tu voudras, pour les bistouriser.

 

 

Scène XI

 

CHIROS, seul

 

Les fous, par la douceur, ne peuvent s’apaiser ;

On n’en vient point à bout, si l’on ne les gourmande,

Le mal de celui-ci ne veut pas qu’on attende ;

Et, cumule la saignée en peut rompre le cours,

Je dois user de force, et prendre du secours.

 

 

ACTE III

 

 

Scène première

 

ANGÉLIQUE, FLORINE

 

ANGÉLIQUE.

Crispin l’a vu sortir ?

FLORINE.

S’il n’avait que vu, passe ;

Il importerait peu, mais, ce qui m’embarrasse,

C’est qu’il l’a reconnu pour celui qu’avec moi

Il a trouvé tantôt. Que diantre, aussi, pourquoi

Ne s’être pas tiré par la porte ordinaire ?

ANGÉLIQUE.

Comment, l’aurait-il pu, sans rencontrer mon père ?

C’est du côté du bois qu’il est venu.

FLORINE.

Crispin

Se croyait déjà fou, c’était fait ; mais enfin,

Sur Monsieur d’Isl-marets avait jeté la vue,

Sa mémoire, au besoin, est soudain revenue ;

Il s’est remis d’abord le soufflet.

ANGÉLIQUE.

Il ira

Dire tout à ma mère.

FLORINE.

Et, quand il jasera,

Quel péril courez-vous ? ce n’est point votre affaire.

ANGÉLIQUE.

Elle est impétueuse ; et la moindre chimère

Qui lui vient dans l’esprit, lui fait imaginer...

FLORINE.

Justement vous voulez qu’elle aille deviner !

ANGÉLIQUE.

Il est vrai ; s’agissant d’un secret qui nous touche,

On croit que le front parle, au défaut de la bouche.

FLORINE.

Je vous réponds du vôtre ; allons, ne craignez rien.

ANGÉLIQUE.

Mais s’il faut que Crispin t’ait accusée ?

FLORINE.

Hé bien !

Je prétends tenir bon sur l’hypocondre, et faire

Que ce que j’en ai dit soit cru de votre mère.

ANGÉLIQUE.

On ne l’éblouit point par des contes en l’air.

 

 

Scène II

 

MADAME FATENCOUR, ANGÉLIQUE, FLORINE

 

FLORINE, bas, à Angélique.

La voici ; taisons-nous, et la laissons parler.

MADAME FATENCOUR.

Florine, dites-moi ; qu’est-ce qu’un certain homme

Que Crispin...

FLORINE, à Madame Fatencour.

Ah ! voilà mes gens qui vont à Rome !

Avec son beau voyage, il a bien opéré !

MADAME FATENCOUR.

Comment ?

FLORINE.

Le malheureux a l’esprit égaré :

Ne le saviez-vous pas ?

MADAME FATENCOUR.

Crispin ?

FLORINE.

Crispin, Madame !

Il a cent visions qui lui tourmentent l’âme ;

Mais, surtout, il s’est mis en tête qu’en ces lieux,

Un Galant, avec moi, se présente à ses yeux.

Si j’entre dans le bois, ou sors à la campagne,

Ce Galant suit mes pas, partout il m’accompagne ;

Et, s’il me rencontrait avec vous aujourd’hui,

Je pense qu’au besoin, il vous prendrait pour lui ;

Tant il a, sur ce point, la cervelle démise.

MADAME FATENCOUR.

Il est vrai qu’il s’est plaint de vous avoir surprise

Avec un inconnu ; mais il ne m’a rien dit

Qui fasse présumer qu’il ait perdu l’esprit.

FLORINE.

C’est un fou sérieux, qui, dans ce qu’il avance,

Ne fait rien soupçonner de son extravagance :

Mais ne m’en croyez pas ; Monsieur Chiros l’a vu,

Parlez-lui ; son rapport peut-être sera cru.

S’il ne doit pas...

MADAME FATENCOUR.

Comment ! Monsieur Chiros, Florine...

FLORINE.

Le maintient hypocondre ; et, pour couper racine

À ce mal, que le temps rendrait contagieux,

Il prétend le traiter au plus vite.

MADAME FATENCOUR.

Tant mieux.

Un mal si prompt m’étonne ; et je ne saurais taire

Que, sans Monsieur Chiros, j’y croirais du mystère.

FLORINE.

Quel mystère ? et pourquoi vouloir dissimuler ?

Si quelque homme en effet m’était venu parler,

Ce n’est pas, me semble, un crime si terrible.

Monsieur de Tronc-lourdaut, de Bois-sec, de Haut-crible,

Et d’autres dont j’ai peine à retenir le nom,

Me parlent tous les jours : s’en scandalise-t-on ?

MADAME FATENCOUR.

C’est hasard, si jamais vous manquez de défaites.

À Angélique.

Ma fille ne dit mot.

ANGÉLIQUE, à Madame Fatencour.

Moi, Madame ! Où vous êtes,

Est-ce à moi de parler ?

MADAME FATENCOUR.

C’est être sage. Mais,

À propos de parler, n’écrivez-vous jamais !

ANGÉLIQUE.

Oui ; j’écris quelquefois à des Religieuses.

MADAME FATENCOUR.

Les lettres du Couvent ne sont point dangereuses ;

Et, tant qu’on n’écrit point à des hommes...

ANGÉLIQUE.

Qui ? moi,

À des hommes ! Je sais qu’ils n’ont honneur, ni foi :

Vous m’avez dit cent fois qu’aucun d’eux n’est sincère.

MADAME FATENCOUR.

Une fille toujours n’en croit pas une mère.

ANGÉLIQUE.

À suivre vos leçons, je mets tout mon souci.

MADAME FATENCOUR.

Et que veut dire donc la lettre que voici ?

Elle est de votre main, et fort passionnée ;

Sans adresse, il est vrai. Vous êtes étonnée !

ANGÉLIQUE, bas, à Florine.

Il a laissé tomber cette lettre, en fuyant.

MADAME FATENCOUR.

Quoi ! pour toute réponse, un silence ennuyant !

FLORINE, à Madame Fatencour.

Montrez.

ANGÉLIQUE.

Madame...

MADAME FATENCOUR.

Hé bien ?

ANGÉLIQUE.

Je ne puis que vous dire ;

Et ne sais...

MADAME FATENCOUR.

Croyez-vous que cela doit suffire ?

FLORINE, à Angélique.

Bon ! Et c’est ce billet... Il ne vous souvient plus

De l’avoir copié d’un tome de Cyrus ?

MADAME FATENCOUR.

Vous l’avez copié ?

ANGÉLIQUE.

Je n’ai pas cru mal faire,

Pour m’apprendre à former, par-là, mon caractère.

MADAME FATENCOUR.

Non ; mais qu’en fîtes-vous, après l’avoir transcrit ?

ANGÉLIQUE.

Ma cousine Arpalis survint, qui me le prit.

MADAME FATENCOUR.

À quoi lui pouvait-il être si nécessaire ?

ANGÉLIQUE.

Je ne demandai pas ce qu’elle en voulait faire.

MADAME FATENCOUR.

Il est tendre, et n’a point de termes ambigus :

Mais, puisque vous l’avez copié de Cyrus,

Voyons un peu ce tome.

ANGÉLIQUE.

Apporte-le, Florine.

FLORINE, à Angélique.

Je l’avais, l’autre jour, laissé dans la cuisine,

Y croyant achever l’histoire d’Amestris ;

Je le demande, on veut que le diable l’ait pris ;

Il ne se trouve plus.

MADAME FATENCOUR.

Passons. Cette autre lettre,

Qu’exprès, avec la vôtre, on a pris soin de mettre,

Et qu’ensemble attachait ce tissu de cheveux,

Pourrait inquiéter un esprit soupçonneux.

Elle n’est pas de vous, mais l’adresse m’étonne ;

Et, si la vôtre était pour la même personne,

L’amour vous ferait bien trahir nos intérêts.

Lisez-en le dessus : « Pour Monsieur d’Isl-marets »

Ce nom vous fait rougir !

ANGÉLIQUE.

Moi ! c’est donc de colère :

Est-ce que j’aimerais l’ennemi de mon père ?

MADAME FATENCOUR.

Je vous crois trop de cœur, pour cela ; mais, enfin,

Je viens de les trouver l’une et l’autre au jardin.

ANGÉLIQUE.

Je m’y promenais hier avecque ma cousine.

MADAME FATENCOUR.

D’Isl-marets lui plaît-il ?

FLORINE, à Madame Fatencour.

Il en a bien la mine ;

Car elle dit souvent que de faibles raisons

Maintiennent la discorde entre vos deux Maisons ;

Et, de l’air dont, pour lui, je vois qu’elle s’exprime,

S’il n’a part dans son cœur, il l’a dans son estime.

MADAME FATENCOUR.

Elle fait pourtant bien, me touchant de si près,

Qu’en vain elle voudrait prétendre à d’Isl-marets ?

Et père, et mère, et fils, je hais toute la race ;

Ils m’ont trop...

FLORINE.

Vous pensez qu’elle s’en embarrasse ?

C’est une fille brusque, attachée à son sens,

Qui, pour toute raison, croit sa tête en tout temps,

Suit son caprice, et veut...

MADAME FATENCOUR.

Je la vois qui s’avance ;

Il faut adroitement savoir ce qu’elle pense.

FLORINE.

Quoi que vous lui disiez, elle vous niera tout ;

Et...

MADAME FATENCOUR.

Je sais qu’aisément on n’en vient pas à bout !

 

 

Scène III

 

MADEMOISELLE ARPALIS, MADAME FATENCOUR, ANGÉLIQUE, FLORINE

 

ANGÉLIQUE, bas, à Florine.

Elle va tout gâter, n’étant pas avertie.

FLORINE, bas à Angélique.

Il n’est pas temps encor de quitter la partie ;

Patience.

ARPALIS, à Madame Fatencour.

Bonjour, ma tante.

MADAME FATENCOUR, à Arpalis.

Ah ! vous voici,

Ma nièce.

ARPALIS.

Savez-vous ce qui m’amène ici ?

MADAME FATENCOUR.

Vous y venez chercher, peut-être, quelque chose

Que vous perdîtes hier ?

ARPALIS.

Moi ?

MADAME FATENCOUR.

Je le dis, pour cause.

ARPALIS.

Vous me l’apprendrez donc, quand vous voudrez.

MADAME FATENCOUR.

Comment !

Vous n’avez rien perdu ?

ARPALIS.

Non. Je viens seulement

Vous dire, en peu de mots, que, comme je m’apprête

À payer aujourd’hui le bouquet de ma fête,

Elle n’irait pas bien sans ma cousine ; ainsi,

Vous me la donnerez, s’il vous plaît.

MADAME FATENCOUR.

Ce souci

Est obligeant pour elle ; et quand...

ARPALIS.

Monsieur mon père

M’a fort recommandé de l’amener ; j’espère

Que vous m’en voudrez bien accorder le pouvoir.

Nous avons résolu de danser tout le soir ;

Et bientôt vous verrez les garçons du village,

Avec les violons, féconder mon message ;

Ils doivent tous venir ici, dans un moment.

MADAME FATENCOUR.

C’est, à votre ordinaire, en user galamment.

Mais, ma nièce, souffrez que je vous entretienne

De Monsieur d’Isl-marets.

ARPALIS.

Oh ! qu’à cela ne tienne ;

Parlons-en, volontiers.

MADAME FATENCOUR.

J’entends dire tout bas,

Qu’il vous trouve bien faite, et qu’il ne vous hait pas.

ARPALIS.

Cela se peut ; la chose est assez vraisemblable ;

Et je ne pense pas être fort haïssable.

MADAME FATENCOUR.

Et ne sentez-vous point, pour lui, je ne fais quoi ?

ARPALIS.

Rien du tout, ou mon cœur se cache bien de moi :

Mais, quand, pour ce qu’il vaut, j’aurais pris quelque estime,

Je ne prétendrais pas avoir fait un grand crime.

MADAME FATENCOUR.

Le voyez-vous souvent ?

ARPALIS.

Madame du Grossier,

Fort rarement, sans lui, passe un jour tout entier ;

Je l’y vois quelquefois.

MADAME FATENCOUR.

Fort bien. Et, dans l’absence,

Ne vous écrit-il point ?

ARPALIS.

Non.

MADAME FATENCOUR.

Non ?

ARPALIS.

Non, d’assurance.

Pourquoi, s’il m’écrivait, voudrais-je le celer ?

MADAME FATENCOUR.

Vous auriez vos raisons pour le dissimuler.

Le bruit court, néanmoins, qu’il vous écrit.

ARPALIS.

Ma tante,

Vous êtes, aujourd’hui, d’humeur questionnante.

MADAME FATENCOUR.

Quand on craint de répondre, on hait les questions.

ARPALIS.

Il suffit que l’honneur règle mes actions ;

Partout, après cela, je vais tête levée.

Moi, craindre ! moi ! vraiment, vous n’avez bien trouvée !

J’ignore l’art de feindre ; et, quand on m’écrira...

MADAME FATENCOUR.

On dit pourtant...

ARPALIS.

On dit tout ce qu’il vous plaira.

S’il fallait s’arrêter à ce que, d’ordinaire,

On dit de tout le monde, on aurait bien à faire ;

Personne n’en échappe ; et je connais des sots

Qui médiraient de vous, et de Monsieur Chiros.

MADAME FATENCOUR.

De mon Chirurgien ! Ah ! ma nièce !

ARPALIS.

Ma tante ;

Chacun, sur la satyre, à son gré se contente ;

Et les plus circonspects, avec tous leurs grands soins,

Sont ceux, le plus souvent, qu’on respecte le moins.

Vivons comme le veut certaine bienséance,

Qui, sans trop nous gêner, fuit tout ce qui l’offense :

Ne nous reprochons rien ; et le qu’en dira-t-on,

S’il est impertinent, traitons-le de chanson.

MADAME FATENCOUR.

Mais la seule vertu doit régler la méthode...

ARPALIS.

Mon dieu ! chacun se fait des vertus à sa mode ;

Et tel qui blâmerait ses défauts en autrui,

Trouve, à les excuser, quand il les voit en lui.

MADAME FATENCOUR.

Mais cela ne doit point, ce me semble, conclure

Qu’une lettre...

ARPALIS.

Il n’est point question d’écriture ;

Il s’agit seulement de me faire savoir

Si je puis emmener ma cousine, et bonsoir.

MADAME FATENCOUR.

Expliquez-vous un peu sur ces lettres.

Arpalis lit.

ANGÉLIQUE, bas à Florine.

Je tremble.

MADAME FATENCOUR.

Ce tissu de cheveux les attachait ensemble.

ARPALIS, après avoir lu.

Hé ! l’une est d’une Amante, et l’autre, d’un Ami.

MADAME FATENCOUR.

Oui ; mais il ne faut pas s’expliquer à demi.

on m’a dit qu’au jardin vous les aviez perdues.

ARPALIS.

Moi ! je ne pense pas les avoir jamais vues.

Madame Fatencour regarde sa fille.

FLORINE, bas à Arpalis.

Sortez.

Haut à la même.

Si vous aimez, dites-le sans façon ;

Car Madame a conçu je ne ne sais quel soupçon

De Monsieur d’Isl-marets, avec votre cousine.

Sur ces lettres.

ARPALIS, après avoir un peu rêvé, à Madame Fatencour.

Adieu.

MADAME FATENCOUR, l’arrêtant.

Quoi ! cela vous chagrine,

Ma nièce ?

ARPALIS.

Mais, aussi, pourquoi tant de propos ?

Voulez-vous, m’accorder ma cousine, en deux mots ?

MADAME FATENCOUR.

Vous êtes prompte.

ARPALIS.

Soit ; je suis comme on m’a faite.

Mais, sans vous expliquer sur ce que je souhaite,

Vous me seriez ici demeurer tout le jour ;

Ainsi, je vais chercher Monsieur de Fatencour :

Si, par hasard, il est d’humeur peu complaisante,

Du moins il répondra. Je suis votre servante.

 

 

Scène IV

 

FLORINE, ANGÉLIQUE, MADAME FATENCOUR

 

ANGÉLIQUE, à Madame Fatencour.

Madame, vous voyez, quand on la presse un peu,

Comme elle s’embarrasse, et comme elle prend feu.

MADAME FATENCOUR, à Angélique.

Il est vrai : cependant, ces lettres doivent être

Au pouvoir de celui qu’elles me font connaître ;

Et quand, d’ailleurs, Crispin assure qu’il a vu

Un homme avec Florine...

FLORINE, à Madame Fatencour.

Et Crispin sera cru ?

Un hypocondre, un fou ?

MADAME FATENCOUR, à Florine.

C’est me faire une histoire.

FLORINE.

Monsieur de Loisonnière a sujet de te croire ;

Il a, par devers lui, certains coups de bâton...

MADAME FATENCOUR.

Viendraient-ils de Crispin ?

FLORINE.

De lui.

MADAME FATENCOUR.

Quoi ! tout de bon ?

FLORINE.

De lui-même : d’abord, j’ai voulu vous le taire,

Sachant que ce rapport vous mettrait en colère ;

Mais, comme il a l’esprit de travers, il n’a pu

S’empêcher de parler de ce que j’avais tu.

Le voici.

 

 

Scène V

 

MADAME FATENCOUR, ANGÉLIQUE, FLORINE, CRISPIN

 

MADAME FATENCOUR, à Crispin.

Connais-tu Monsieur de Loisonnière ?

Dis, coquin.

CRISPIN, à Madame Fatencour.

Là-dessus, Florine fait la fière,

Madame, et vous a dit que je l’ai fait rosser ;

Lui-même il le soutient ; mais c’est pour se gausser :

Ils font d’intelligence à vous le faire croire ;

Et les coups de bâton, dont j’ai bonne mémoire,

Ne se sont, moi présent, appliqués qu’à celui

Que j’ai trouvé, deux fois, avec elle aujourd’hui :

C’est le remerciement de quelque courtoisie

Que j’en avais reçue.

FLORINE.

Hé bien ! sa fantaisie

Est la même toujours.

CRISPIN, à Florine.

Oh ! je suis ton valet.

À Madame Fatencour.

Elle m’avait quasi fait douer du soufflet ;

Mais j’ai revu mon drôle ; et je sais fort bien comme

C’est lui qu’on a frotté.

FLORINE, à Crispin.

Si bien qu’un Gentilhomme,

Le cousin de Madame, avouera, sans façon,

Pour me faire plaisir, de faux coups de bâton ?

Quand ils sont pour un autre, il les prend pour son compte ?

CRISPIN.

Ce qu’on n’a point reçu, ne peut faire de honte.

MADAME FATENCOUR, à Crispin.

Mais mon cousin se plaint ; et je ne pense pas

Qu’il voulût...

 

 

Scène VI

 

NICOLAS, MADAME FATENCOUR, ANGÉLIQUE, CRISPIN, FLORINE

 

CRISPIN.

Demandez, Madame, à Nicolas ;

Lui, Grand-Jobe et Robin, ont pu voir le visage

À Nicolas.

Du donneur de soufflets. Çà, viens.

NICOLAS, à Crispin.

La male-rage

Te puisse accueillir, vas.

MADAME FATENCOUR, à Nicolas.

Qu’as-tu donc ?

NICOLAS, à Madame Fatencour.

Ce que j’ai ?

J’en venons de tâter tout notre fou. Margué !

J’avons été pris là, comme dans un bled... Peste !

C’Monsieur a la main rude.

MADAME FATENCOUR.

Il t’a battu ?

NICOLAS.

De reste ;

J’espérons, parguoi, bien nous en sentir longtemps.

Crispin en est la cause ; il nous a mis dedans.

Comme je sommes bons, tantôt, à la prière,

J’avions un peu chargé Monsieur de Loisonnière.

FLORINE, à Crispin.

Hé bien ! ce n’est pas lui ?

CRISPIN, à Florine.

Non ; tu l’as suborné,

Pour venir...

FLORINE, à Madame Fatencour.

Vous voyez s’il a l’esprit tourné.

CRISPIN.

Je l’ai tourné !

MADAME FATENCOUR, à Crispin.

Tais-toi ; je ne veux plus t’entendre.

NICOLAS.

Je ne songions à rien ; il nous est venu prendre,

Et nous a dit, pleurant, qu’un certain inconnu

Venait de le frotter ; et, nous, je l’avons cru.

Aussitôt, nous avons écorné sa prière,

Et suivi son courroux, à cause de son père.

Voyant, avec Florine, un Monsieur à l’écart,

Il nous a dit : « Frappez, chacun pour votre part ».

Sans savoir qui c’était, (car la colère emporte)

J’avons, sur le Monsieur, flaubé de bonne sorte.

Mais je nous somm’, aussi, trouvés bien ébaubis,

Quand je l’ons reconnu, tout à l’heure, aux habits.

Il a pris un gourdin d’une taille... Ah ! l’épaule !

Il en fait plus que nous à manier la gaule :

Comme il la fait aller, et par haut, et par bas !

À Florine.

Tire, Florine ; il m’a, je crois, rompu le bras.

MADAME FATENCOUR, à Nicolas.

Mais d’où vient que Crispin lui faisait cet outrage ?

NICOLAS.

Que savons-je ? il est fou.

CRISPIN.

Me voilà bien ! J’enrage.

À Madame Fatencour.

Madame, si...

MADAME FATENCOUR, à Crispin.

Coquin !

NICOLAS.

Ah ! morgué ! faites-lian

Donner si bian et biau, qu’il s’en souvienne un an ;

Ou bien, si vous voulez, tout en votre présence,

Je vas, à coups de poing, lui signer sa quittance.

Tout franc, je le cherchais, pour me venger de lui.

MADAME FATENCOUR, à Nicolas.

Vas, tu seras content, même dès aujourd’hui.

NICOLAS.

Pourvu qu’il soit rossé comme nous. C’est folie...

Si j’en engendrions queuque mérancolie !

MADAME FATENCOUR.

Il verra ce que c’est qu’avoir affaire à moi.

NICOLAS.

Dans le mal que je sens, morgué ! si j’étais Roi,

Il en ferait pendu.

FLORINE.

Fort bien.

NICOLAS.

J’ai l’âme fière ;

Et... Je décampe.

Il sort, apercevant Loisonnière.

 

 

Scène VII

 

LOISONNIÈRE, MADAME FATENCOUR, ANGÉLIQUE, CRISPIN, FLORINE

 

FLORINE, à Madame Fatencour.

Il fuit Monsieur de Loisonnière.

MADAME FATENCOUR, à Florine.

Il n’a pas tout le tort.

À Loisonnière.

On m’apprend, mon cousin,

Que les coups de bâton viennent de ce coquin.

LOISONNIÈRE, à Madame Fatencour.

J’ai senti, par malheur, un trait de sa folie.

MADAME FATENCOUR.

Je ne dois pas laisser cette offense impunie ;

Bientôt le châtiment s’en fera devant vous.

À Florine.

Qu’on me cherche des gens, pour lui donner cent coups.

À Crispin.

C’est donc à mon cousin, maraud, que tu t’adresses ?

CRISPIN.

Je n’entends rien, Madame, à toutes leurs finesses ;

Mais je fais qu’on vous trompe, et que Florine a tort :

Monsieur de Loisonnière avec elle est d’accord ;

On ne l’a point battu, mais un Jean-de-Nivelle

Que j’ai trouvé, tantôt, cajolant avec elle ;

Il m’a donné d’abord sur la joue, et son dos

A payé le soufflet : c’est la chose en deux mots ;

Ce qu’on dit par-delà, fausseté.

FLORINE, à Crispin.

Bon ! achève.

MADAME FATENCOUR.

Sans doute on te croira !

CRISPIN.

Que la peste me crève !

Que le diable...

FLORINE, à Madame Fatencour.

Madame, il devient furieux.

MADAME FATENCOUR.

Ah ! ne m’approche pas.

FLORINE.

Comme il roule les yeux !

CRISPIN, à Florine.

Quoi ! l’homme qu’avec toi j’ai...

MADAME FATENCOUR.

Tu n’as vu personne.

CRISPIN, à Madame Fatencour.

Il vous plaît, contre moi, d’en croire une friponne.

Puisqu’en vous disant vrai, les gens vous semblent fous,

Je verrais, à présent, mettre lei feu chez vous,

Que je n’en dirais pas un seul mot.

MADAME FATENCOUR.

Quelle audace !

Un bâton.

LOISONNIÈRE.

Excusez-le ; il est fou.

MADAME FATENCOUR.

Non...

ANGÉLIQUE, à Madame Fatencour.

De grâce,

Madame, n’allez point vous fâcher à crédit ;

C’est un extravagant, qui ne fait ce qu’il dit.

CRISPIN, à Angélique.

Je ne le fais pas ?

ANGÉLIQUE.

Sors, mon ami ; j’appréhende

Qu’à la fin...

CRISPIN.

Si je sors, je veux que l’on me pende :

Disant ce que j’ai vu, rien ne doit m’alarmer ;

Je demeurerai là, me dût-on assommer.

Florine a bonne langue ; et me fait hypocondre,

Pour m’ôter les moyens de la pouvoir confondre :

Mais...

 

 

Scène VIII

 

MADAME FATENCOUR, LOISONNIÈRE, CHIROS, ANGÉLIQUE, FLORINE,  CRISPIN, PAYSANS dans le fond

 

CRISPIN, apercevant Chiros.

Ah ! voici bien pis.

MADAME FATENCOUR.

Bonjour, Monsieur Chiros.

CHIROS.

Madame...

MADAME FATENCOUR.

Vous venez ici fort à propos.

LOISONNIÈRE, à Madame Fatencour.

Ma cousine, souffrez qu’avec votre licence,

J’aille dire au cousin un mot de conséquence,

Sur un point délicat, touchant Fondnid et lui.

MADAME FATENCOUR.

Allez.

Loisonnière sort.

 

 

Scène IX

 

MADAME FATENCOUR, CHIROS, ANGÉLIQUE, CRISPIN, FLORINE, PAYSANS dans le fond

 

ANGÉLIQUE, à Florine.

Ah ! qu’un tel soin redouble mon ennui !

CHIROS, à Madame Fatencour.

Comment va la santé ?

MADAME FATENCOUR, à Chiros.

Pas trop bien ; j’ai, sans cesse ;

Des aigreurs...

CHIROS.

Cela vient de votre lait d’ânesse,

Qui, vous débilitant l’estomac, vous y peut

Laisser des crudités dont la bile s’émeut ;

De là nait les aigreurs...

MADAME FATENCOUR.

Cela pourrait bien être.

Apercevant les Paysans.

Mais pourquoi tous ces gens qu’ici je vois paraitre ?

CHIROS.

Je les amené exprès ; parce que, si Crispin

N’est au plutôt saigné, j’en désespère.

MADAME FATENCOUR.

Enfin,

Il est donc fou ?

CHIROS.

Très fou. Si la saignée opère...

Car, de force ou de gré, Madame, il la faut faire.

CRISPIN.

Au diable !

CHIROS.

Des tantôt, j’ai fait quelques efforts,

Pour l’obliger...

CRISPIN.

Le traître ! il a le diable au corps.

CHIROS.

D’un délire assez calme, en moins de rien, il passe

Jusques à la fureur, marque d’une humeur crasse,

Qui, songeusement lui montant au cerveau,

Lui cause, à tous moments, un désordre nouveau :

À cela, la saignée, au plus vite.

FLORINE, à Madame Fatencour.

Et le pire,

C’est que Monsieur Chiros connaît que son délire

Est un mal qui se peut fort aisément gagner.

CHIROS.

Oui, sans doute.

MADAME FATENCOUR.

Il faut donc promptement le saigner.

CRISPIN.

Quoi ! l’on me fera fou malgré moi !

CHIROS, à Crispin.

Laisse faire ;

Je te l’ai déjà dit, dès qu’en t’ouvrant l’artère...

CRISPIN.

M’ouvrir l’artère ! Allez au diable. Il y va doux !

Bonsoir.

Il se sauve.

 

 

Scène X

 

MADAME FATENCOUR, CHIROS, ANGÉLIQUE, FLORINE, PAYSANS

 

CHIROS.

Qu’on a de peine à gouverner les fous !

Aux Paysans.

Courez vite après lui, de peur qu’il ne s’échappe.

 

 

Scène XI

 

MADAME FATENCOUR, CHIROS, ANGÉLIQUE, FLORINE

 

CHIROS, à Madame Fatencour.

Il aura le pied bon, si quelqu’un ne l’attrape.

MADAME FATENCOUR, à Chiros.

Mais comment le réduire à nous donner son bras ?

CHIROS.

Il faudra le lier, s’il ne le donne pas.

MADAME FATENCOUR.

Allez, Monsieur Chiros, faites pour lui, de grâce,

Ce qu’en un pareil mal, votre art veut que l’on fasse...

Je vous attends ensuite, ayant à vous parler

Sur ma rate, qui veut, je crois, me désoler ;

Je ferai dans ma chambre.

CHIROS.

Après notre saignée ;

Je suis à vous.

 

 

Scène XII

 

ANGÉLIQUE, FLORINE

 

FLORINE.

Enfin, la victoire est gagnée.

Nous venons de sortir de pressants embarras.

ANGÉLIQUE.

Il faut voir ma cousine.

FLORINE.

On n y manquera pas.

ANGÉLIQUE.

Mais par où, plus longtemps, sans te laisser confondre,

Crois-tu faire passer Crispin pour hypocondre ?

Car je ne comprends point par où Monsieur Chiros

A pu le juger fou.

FLORINE.

Je le connais : deux mots

L’ont convaincu du mal qui nous tire d’affaires.

C’est un fou, jargonnant sur ce qu’il n’entend guères ;

Et si fort, amoureux de ses opinions,

Qu’il n’y souffre jamais de contradictions :

Ainsi, court de science, ainsi que de mémoire,

Il croit facilement tout ce qu’on lui fait croire ;

Et quand on lui soutient, « c’est vous qui l’ayez dit »,

La chose, en même temps, n’a plus de contredit ;

C’est un Arrêt donné.

ANGÉLIQUE.

Mais, quoi qu’il en publie,

Crispin, ne disant rien qui sente la folie...

FLORINE.

Voulez-vous pour Crispin agir en sûreté ?

Confions-nous, Madame, à sa fidélité.

Ce coup, pour votre amour, est un coup d’importance ;

Et, s’il est une fois de notre intelligence...

ANGÉLIQUE.

Lui découvrir que j’aime ?

FLORINE.

Et pourquoi non ? Par lui,

Vous vous épargnerez mille sujets d’ennui :

Il verra votre Amant en secret.

ANGÉLIQUE.

Mais, Florine,

Songes-tu... ?

FLORINE.

Fais-je rien, que je ne l’examine ?

Crispin m’aime, il suffit.

ANGÉLIQUE.

Je fais ce que tu veux :

Tâche à le rendre donc favorable à mes feux.

FLORINE.

Ne craignez rien pour lui ; j’ose tout vous promettre ;

Allez ; dans son esprit je vais me bien remettre ;

Et, pour y réussir, empêcher, au plutôt,

Qu’on ne le saigne.

ANGÉLIQUE, s’en allant.

Songe à faire ce qu’il faut.

 

 

Scène XIII

 

FLORINE, seule

 

Je vais joindre Crispin ; car, enfin, j’appréhende...

 

 

Scène XIV

 

LA TOUR, FLORINE

 

FLORINE, apercevant La Tour.

Quel est cet inconnu ? qu’est-ce qu’il nous demande ?

LA TOUR.

Monsieur de Fatencour est-il au logis ?

FLORINE.

Oui.

LA TOUR.

Pourrais-je lui parler ?

FLORINE.

Il ne tiendra qu’à lui :

Il faut savoir s’il peut vous donner audience.

LA TOUR.

Sachez-le, s’il vous plaît, et j’aurai patience.

FLORINE.

Pour avoir plutôt fait, suivez-moi là-dedans ;

Je vous ferai parler à quelqu’un de ses gens.

 

 

ACTE IV

 

 

Scène première

 

FATENCOUR, LATOUR

 

La Tour, le chapeau à la main, fait mine de prier Fatencour. Fatencour, aussi le chapeau à la main, montre, par ses gestes, qu’il le refuse.

LA TOUR.

C’est vous donner, Monsieur, une peine inutile :

Hé ! retournez chez vous.

FATENCOUR.

Moi, d’une âme incivile,

Je pourrais vous laisser sans vous accompagner !

Non, non.

LA TOUR.

Mais de chez vous pourquoi tant s’éloigner ?

Il suffisait, Monsieur, de venir en la rue.

FATENCOUR.

Votre commission ne m’est que trop connue ;

Et je dois...

 

 

Scène II

 

FONDNID, FATENCOUR, LA TOUR

 

LA TOUR.

Qu’avez-vous ? vous êtes interdit,

Vous changez de couleur.

FATENCOUR.

C’est que voilà Fondnid.

FONDNID.

C’est moi-même.

LA TOUR, à Fatencour.

Hé ! Monsieur, retirez-vous, de grâce.

FATENCOUR, à La Tour.

Quoi, Monsieur ! le premier je quitterais la place,

Moi ! Plutôt, tout ce jour, j’occupe le terrain.

FONDNID, à La Tour.

Et moi, j’y resterai plutôt jusqu’à demain,

Que partir avant lui.

FATENCOUR.

J’y passe la semaine.

FONDNID.

Moi, le mois tout entier.

LA TOUR, à Fondnid.

Souffrez qu’on vous emmène...

FONDNID.

Non, à moins qu’il ne parte.

FATENCOUR.

Oh ! j y demeure un an,

Un an.

FONDNID.

Et moi, jusqu’au premier arrière-ban,

N’en dût-il arriver de trente-cinq années.

LA TOUR, à tous deux.

À quoi bon, sur un rien, ces humeurs obstinées ?

Vous savez ce que veut Monsieur le Gouverneur.

FATENCOUR.

On sait ce qu’on se doit, en matière d’honneur ;

J’en fais le délicat, au moins il me le semble.

LA TOUR.

Pour finir vos débats, partez tous deux ensemble.

FATENCOUR et FONDNID.

D’accord.

LA TOUR.

En même temps, faites chacun un pas.

Çà, commencez. Fort bien.

FATENCOUR.

Mais il n’avance pas ;

Les trois pas que j’ai faits valent, pour le moins, quatre

Des siens.

LA TOUR, à Fatencour.

Mon Dieu ! sur quoi vous allez-vous débattre ?

Comme il est plus petit, tous ses pas sont moins grands.

FATENCOUR.

On ne peut, sur l’honneur, trop pénétrer les gens.

FONDNID.

Monsieur voudrait peser jusques à la pensée.

FATENCOUR.

Je prétends, en ce cas, qu’elle soit balancée.

LA TOUR, les séparant en même temps.

Oh ! c’est trop chicaner : vous vous séparerez.

FATENCOUR.

Vous le voulez ? je sais ce que vous désirez.

Se retournant.

Mais voyez, il ne bouge.

LA TOUR.

Hé ! c’est-là mon affaire.

Monsieur, partez.

FONDNID, regardant Fatencour.

Je pars ; mais c’est pour vous complaire.

 

 

Scène III

 

FATENCOUR, CRISPIN

 

FATENCOUR.

Qu’est-ce ?

CRISPIN, voulant se retirer.

Je me promène.

FATENCOUR, s’en allant.

Hé bien ! promène-toi.

 

 

Scène IV

 

CRISPIN, seul

 

 

Belle réponse ! oyez !

 

 

Scène V

 

FLORINE, CRISPIN

 

FLORINE, en entrant.

Crispin !

CRISPIN, faisant mine de s’en aller.

Vas, laisse-moi.

FLORINE.

Arrête : un mot, mon cher. Où donc, par cette plaine,

Adresses-tu tes pas ?

CRISPIN.

Ne t’en mets point en peine ;

Chacun, comme tu fais, a ses divers penchants.

Tu veux que je sois fou ; les fous courent les champs ;

Je m’en acquitte. Adieu.

FLORINE.

J’ai deux mots à te dire.

CRISPIN.

Bonsoir.

FLORINE.

Écoute-moi.

CRISPIN.

Non.

FLORINE.

Non ?

CRISPIN.

J’entre en délire ;

L’hypocondre me prend.

FLORINE.

Quoi ! ce que j’en ai dit

Te tiendrait au cœur ?

CRISPIN.

Bon ! le moyen ?

FLORINE.

Quand on rit,

Il me semble qu’on doit entendre raillerie.

CRISPIN.

En effet !

FLORINE.

Qu’est-ce à dire en effet ?

CRISPIN.

Je te prie ;

Combien vaut la saignée à ton Monsieur Chiros ?

Je l’y crois fort expert, quand il trouve des sots.

FLORINE.

Pour avoir demandé ton bras...

CRISPIN.

La grande affaire !

On veut lier les gens, pour leur ouvrir l’artère,

C’est une bagatelle ; et, qui s’en fâcherait...

FLORINE.

Se ficher de cela ?

CRISPIN.

Le grand tort qu’on aurait !

FLORINE.

Mais, quand on l’a voulu tout à bon entreprendre,

J’ai parlé fièrement, afin de te défendre ;

On ne t’a point saigné.

CRISPIN.

Tu devais le souffrir ;

Ma folie eût été plus facile à guérir.

FLORINE.

Vas, tu te portes bien ; ne sois plus en colère.

CRISPIN.

Oh ! j’y ferai longtemps.

FLORINE.

Tu voudrais me déplaire,

À moi, Crispin, à moi, que tu nommais toujours

Ton bec, ton petit bec, ton toutou, tes amours ?

CRISPIN.

Franchement, j’étais fou de ta peau.

FLORINE.

Qui t’empêche

De l’être encore autant ? Ai-je l’humeur revêche ?

CRISPIN.

Et non, de par le diable ! et c’est-là mon malheur.

FLORINE.

Quoi ! tu serais jaloux ?

CRISPIN.

Et ce beau cajoleur,

Avec qui je t’ai vue en douce confidence ;

Pour m’être fait de fête, il m’a... Mais patience.

FLORINE.

J’ai donc fait un grand crime à l’avoir écouté ?

CRISPIN.

Non ; ce n’est, aujourd’hui, que curiosité ;

Mais insensiblement les tendresses se glissent.

Avec le temps, la paille, hom ! les nèfles mûrissent,

Dit le proverbe à Rome.

FLORINE.

Il se peut que Crispin,

Après avoir vu Rome, ait l’esprit si peu fin ?

Il se peut...

CRISPIN.

Que veux-tu ? c’est peut-être bêtise,

De croire ce qu’on voit ; mais j’ai cette sottise.

FLORINE.

Un galant avec moi s’est tantôt arrêté,

Il est vrai, tu l’as vu.

CRISPIN.

Causa di niente.

FLORINE.

Si de notre entretien je te dis le mystère,

Crispin, m’assures-tu que tu te pourras taire ?

CRISPIN.

Oui, si tu me dis vrai ; mais tu me tromperas.

FLORINE.

Non. Tu n’en diras mot ?

CRISPIN.

Pas un mot.

FLORINE.

Tu sauras

Que le jeune blondin pour qui je m’intéresse...

Fais-moi donc un serment.

CRISPIN.

Suffit de ma promesse ;

Parle.

FLORINE.

Hem ! je crains trop...

CRISPIN.

Non, je n’en parlerai pas

Ou la peste m’étouffe.

FLORINE.

Hé bien donc ! tu sauras

Que le jeune blondin pour qui je m’intéresse,

Brûle pour les appas de ma jeune Maîtresse ;

Il adore Angélique.

CRISPIN.

Angélique ? et pourquoi

Faut-il que cet amour ne soit su que de toi ?

Quel besoin si pressant de me faire hypocondre,

Quand j’ai dit...

FLORINE.

À cela je m’en vais te répondre.

Il faut, pour quelque temps, tenir leurs feux secrets,

Parce que le blondin est Monsieur d’Isl-marets.

CRISPIN.

Quoi ! le fils de Monsieur de Fondnid ?

FLORINE.

Lui.

CRISPIN.

Sans doute,

L’hypocondre est venu fort à propos.

FLORINE.

Écoute.

Il fallait me tirer d’embarras ; et par où

M’en bien tirer, à moins que de te rendre fou ?

Plus je te faisais signe, et retenais ta langue,

Et plus tu t’égayais à pousser ta harangue ;

Il fallait bien trouver moyen de raccourcir.

CRISPIN.

Tout franc, on eût eu peine, alors, à m’adoucir ;

Les vapeurs du soufflet me montaient à la tête.

FLORINE.

Vas, Monsieur d’Isl-marets fait vivre ; il est honnête ;

Et, si tu l’obligeais, je fais que du soufflet

On te ferait raison.

CRISPIN.

Touche ; cela vaut fait,

Tu n’as qu’à dire.

FLORINE.

Il faut lui rendre cette lettre.

CRISPIN.

Hé bien ! entre ses mains je saurai la remettre :

Mais, après le soufflet, dis-moi, m’assure-t-on

Que la lettre n’a rien qui sente le bâton ?

C’est d’un pareil emploi le péril ordinaire.

Et si, cherchant le fils, je rencontre le père,

Il peut être d’humeur à me payer le port ;

Car on dit qu’il n’est pas un homme fort accort.

FLORINE.

Quoi ! Crispin, au besoin, craint de manquer d’adresse ?

Il s’alarme, devant...

CRISPIN.

Que ton scrupule cesse ;

J’ai de l’intelligence, et suis des raffinés

Qu’il n’est pas fort aisé de mener par le nez.

Quand on a, comme moi, passé six ans à Rome...

Enfin, s’il faut mentir, fourber, tu vois ton homme :

J’ai vu plus que le loup. Mais, Florine, dis-moi,

Je suis rapatrié, ce me semble, avec toi ?

M’aimes-tu ?

FLORINE.

Si je t’aime ? oh !...

CRISPIN.

Je t’ai fait connaitre,

Si je n’étais jaloux, que je pourrais bien l’être :

Il faut, en m’épousant, renoncer aux blondins.

FLORINE.

Là-dessus, quand on veut, on trompe les plus fins.

Vois-tu ! ton meilleur est, si nous vivons ensemble,

De t’en fier à moi ; songes-y : que t’en semble ?

CRISPIN.

Je pense qu’en effet, je ne serais pas mal ;

Aussi-bien, la femme est un terrible animal ;

Et ce qu’elle se met une fois à la tête,

S’il n’est exécuté, le diable est une bête.

FLORINE.

Tu vas moraliser ? Adieu.

CRISPIN.

Jusqu’à tantôt.

FLORINE, s’en allant.

Songe à donner la lettre, et réponse au plutôt !

Crispin retient Florine.

Que veux-tu ?

CRISPIN.

Te baiser. Quand on se raccommode,

Ne baise-t-on pas ?

FLORINE.

Mais...

CRISPIN.

Tu sais que c’est la mode.

Allons donc, sans façon ; çà, le baiser de paix

FLORINE.

Au retour.

Elle sort.

CRISPIN, la regardant aller.

Souviens-t’en.

 

 

Scène VI

 

CRISPIN, seul

 

Ah ! bouchon ! tes attraits ;

Sans cesse, avec plaisir, m’attirent... Chut, je pense

Voir venir mon blondin : c’est lui-même, il s’avance.

 

 

Scène VII

 

D’ISL-MARETS, FABRICE, CRISPIN

 

D’ISL-MARETS, à Fabrice.

Ces lettres me font peine, et je suis en souci.

FABRICE, à d’Isl-marets.

Est-ce que vous croyez les retrouver ici,

Que vous venez... ?

D’ISL-MARETS.

J’ignore où je les ai perdues.

Quels malheurs je prévois, s’il faut qu’elles soient vues !

De l’aimable Angélique on connaîtra la main.

FABRICE.

Peut-être...

Apercevant Crispin.

Mais voyez Crispin.

D’ISL-MARETS.

À quel dessein

Nous peut-il observer ? Passons, sans lui rien dire.

CRISPIN, à d’Isl-marets.

Monsieur, comme je sais que ce n’est que pour rire

Qu’il vous plaît quelquefois de souffleter les gens ;

Si vous vous en voulez donner le passe-temps,

Vous n’aurez qu’à...

D’ISL-MARETS, à Crispin.

Va-t’en, mon ami.

CRISPIN.

Moi ?

D’ISL-MARETS, à Fabrice.

Fabrice !

CRISPIN.

Hé ! Monsieur !

D’ISL-MARETS.

Il est fou.

CRISPIN.

Fort à votre service ;

Mais je ne laisse pas de savoir vos secrets.

D’ISL-MARETS, à Crispin.

Tu les fais ?

CRISPIN.

Oui ; je parle à Monsieur d’Isl-marets.

D’ISL-MARETS.

Tu te méprends, mon cher ; adieu.

CRISPIN.

Pour fille unique,

Monsieur de Fatencour a la belle Angélique ;

Vous l’aimez ; et Florine est d’accord avec vous,

Pour...

D’ISL-MARETS.

Passe ton chemin ; autrement, je...

CRISPIN.

Tout doux :

Si ce que je vous dis vous met en défiance ;

Examinez, voyez mes lettres de créance.

D’ISL-MARETS.

Que veux-tu dire ?

CRISPIN.

Ouvrez. Ah ! vous avez les yeux,

Voyant cette écriture, un peu plus gracieux.

D’ISL-MARETS lit.

« Je vous écris par Crispin, en qui vous pouvez  prendre une entière confiance, et me faire savoir, par lui, ce que vous jugerez à propos ».

Viens, mon cher Crispin, viens, que je t’embrasse.

CRISPIN.

Au diable !

Je me passerais bien d’une amitié semblable ;

J’ai les bras tout meurtris, tant vous me serrez fort.

D’ISL-MARETS.

Dans la joie où je suis, pardonne à ce transport.

« Vous avez laissé tomber, tantôt, des lettres dans le jardin, dont l’une a été reconnue pour être de moi : elles sont dans les mains de ma mère, qui en a formé des soupçons sur lesquels il est bon qu’on vous entretienne. Venez, vers le soir, au rendez-vous ordinaire ; Florine vous instruira de tout, si je ne puis vois aller trouver avec elle ».

À Fabrice.

J’avais craint ce malheur, Fabrice.

FABRICE.

Patience ;

Peut-être il n’est pas tel que votre amour le pense.

CRISPIN.

Ainsi, vous n’aimez point Angélique ?

D’ISL-MARETS.

Oui, Crispin,

Je l’adore ; et l’hymen sera tout mon destin :

Point de bonheur sans elle. Aide-moi, je te prie,

Dans un amour qui fait tout le bien de ma vie.

CRISPIN.

Vous êtes bien changé : tantôt, mal complaisant,

Vous parliez haut la main ; vous priez, à présent.

D’ISL-MARETS.

Je suis au désespoir, qu’une chaleur trop prompte

M’ait forcé...

CRISPIN.

Ce n’est rien.

D’ISL-MARETS.

Je t’en veux tenir compte.

Ma main s’est égarée ; et, pour t’en consoler...

CRISPIN.

Bon ! et cela vaut-il la peine d’en parler ?

D’ISL-MARETS, lui donnant de l’argent.

Je hais l’ingratitude ; et, pour peu qu’on m’oblige...

CRISPIN.

Oh !

D’ISL-MARETS.

Prends ces dix Louis.

CRISPIN.

Il n’est pas...

D’ISL-MARETS.

Prends, te dis-je ;

Je le veux.

CRISPIN.

Ah, Monsieur ! je suis votre valet.

J’avais bien cru, tantôt, me venger du soufflet ;

Mais, par bonheur pour vous, un autre a pris la place.

D’ISL-MARETS.

Quoi ?

CRISPIN.

Deux mots de douceur, ma colère se passe,

Surtout quand on en use un peu de bonne foi ;

Car vous ne pensiez pas directement à moi.

Ainsi, je crois, Monsieur, qu’un soufflet qui se donne

D’une main attachée à choisir la personne,

Offense beaucoup plus, que quand le souffletant

S’emporte à souffleter sans connaître ; et, partant,

Je me tiens obligé d’être, toute ma vie,

Très humble serviteur de votre seigneurie.

D’ISL-MARETS.

C’est fort bien raisonner.

CRISPIN.

Oh ! Monsieur, je reviens...

D’ISL-MARETS.

On me l’a dit, de Rome.

CRISPIN.

Ah ! quand je me souviens

De ce que j’ai vu là...

D’ISL-MARETS.

Ce souvenir doit plaire.

Mais j’ai, sur ce billet, une réponse à faire ;

Je cours m’en acquitter, et reviens sur mes pas.

Demeure ici, Fabrice, et ne le quitte pas.

 

 

Scène VIII

 

FABRICE, CRISPIN

 

FABRICE.

On gagne à le servir, c’est un homme qui donne.

CRISPIN.

J’ai connu, dès tantôt, qu’il avait la main bonne.

FABRICE.

S’il la laisse échapper, tu vois qu’argent comptant,

Il paye...

CRISPIN.

Autant encore, à la charge d’autant.

Je lui tendrai la joue, et n’en serai point chiche.

FABRICE.

Un soufflet tous les jours, tu serais bientôt riche.

CRISPIN.

Penses-tu que l’on soit accommodant partout ?

De tout le monde ainsi l’on ne vient pas à bout.

Il ne faut qu’aller voir comme on en use à Rome :

Le plus petit soufflet qu’ait reçu le moindre homme,

Fait que, s’il peut trouver le frappeur à l’écart,

Il ne marchande point ; zeste, un coup de poignard.

FABRICE.

Quel diable de pays !

CRISPIN.

Que veux-tu ? c’est la mode,

D’y jouer des couteaux.

FABRICE.

Elle n’est pas commode.

CRISPIN.

Pour des choses de rien, de l’acqua, du fuoco...

FABRICE.

Tu parles donc la langue ?

CRISPIN.

Un poco, un poco.

Je fais cent jolis mots, que j’ai pris soin d’écrire.

Tu sei un forfante, un mato.

FABRICE.

C’est-à-dire ?

CRISPIN.

C’est-à-dire, je suis votre serviteur.

FABRICE.

Bon !

Je retiendrai cela.

CRISPIN.

Mais prends bien garde au ton :

Tu sei un forfante, un mato. Dans la rue,

Si tu veux aborder quelqu’un qui te salue :

Vorria che fosti impicato.

FABRICE.

J’entends.

CRISPIN.

Pour dire, vivez sain jusqu’à plus de cent ans.

FABRICE.

Ce langage est fort beau : si je pouvais l’apprendre !

CRISPIN.

Il n’est peine, pour toi, que je ne veuille prendre :

Viens me voir quelquefois, je t’y rendrai savant.

FABRICE.

S’il ne tient qu’à cela, nous nous verrons souvent.

Mais dis-moi, puisqu’enfin tu veux servir mon Maître,

Il aime ; que crois-tu, Crispin, qu’il en doive être ?

Pourrons-nous adoucir Monsieur de Fatencour ?

CRISPIN.

Il est bien obstiné.

FABRICE.

Tant pis pour notre amour.

CRISPIN.

Ce qui le gâte encore, et lui rend l’âme fière,

C’est un Noble à la rose, un certain Loisonnière.

FABRICE.

Loisonnière ! et quel est ce Monsieur aux oisons ?

CRISPIN.

C’est un fait qui, toujours sur les comparaisons,

Parlant de tous les gens, ne peut tenir croyable

Qu’autre qu’un Gentilhomme ait l’âme raisonnable :

Il faut, pour raisonner, être de qualité,

Dit-il.

FABRICE.

Ah ! là-dessus, il a l’esprit gâté ;

Il en est d’aussi sots, avecque leur naissance,

Que dans la bourgeoisie.

CRISPIN.

Hé ! vraiment, je le pense ;

Leur noblesse, souvent, ne sert qu’à les...

 

 

Scène IX

 

FONDNID, FABRICE, CRISPIN

 

FABRICE, bas à Crispin.

Tais-toi !

Voici notre vieux Maître.

CRISPIN, bas à Fabrice.

Est-ce lui que je vois ?

Monsieur de Fondnid ?

FABRICE.

Oui.

CRISPIN.

Quel vilain Gentillâtre ?

FABRICE.

Tais-toi, te dis-je.

CRISPIN.

Il a la mine acariâtre.

FONDNID.

Où peut être mon fils, Fabrice ?

FABRICE.

Je ne sais ;

Monsieur.

FONDNID.

Cherche-le vite. Entends-tu ? dis.

FABRICE.

J’y vais.

FONDNID.

Il faut que je lui parle, et pour chose importante.

Entends-tu ?

FABRICE.

Bien, Monsieur.

FONDNID.

Toute affaire cessante,

Qu’il vienne me trouver chez Monsieur de Valcreux.

Entends-tu ?

FABRICE.

Oui, Monsieur.

FONDNID.

Il nous attend tous deux ;

J’y vais toujours : dis-lui qu’au plutôt il s’y rende.

Entends-tu ?

FABRICE.

Si j’entends ? Il faut bien que j’entende.

FONDNID.

En quelque lieu qu’il soit, quand tu le trouveras,

Fais qu’il vienne. Entends-tu ?

FABRICE.

Je n’y manquerai pas.

Fondnid sort.

 

 

Scène X

 

CRISPIN, FABRICE

 

CRISPIN.

Voilà des Entends-tu ? qui vont dru comme mouches.

FABRICE.

Tu t’en lasses ?

CRISPIN.

Je crois, s’il avait quatre bouches,

Qu’il ne les ouvrirait que pour dire : Entends-tu ?

FABRICE.

Tu fais le délicat, pour un mot rebattu ;

Chacun n’en a-t-il pas qu’à toute heure il répète ?

Des véritablement, des sur cette entrefaite ?

Il faut les réformer, s’ils te choquent l’esprit.

CRISPIN.

J’avais rarement vu ton Monsieur de Fondnid.

J’étais si jeune encor, lorsque je fus à Rome...

FABRICE.

Si l’on va là pécore, on revient habile homme ;

On s’y tourne l’esprit ; je le juge par toi.

Quel maître avais-tu là ?

CRISPIN.

Quel maître ?

FABRICE.

Oui.

CRISPIN.

Moi.

FABRICE.

Qui ?

CRISPIN.

    Moi.

Par ce ris scélérat que tu me fais paraître,

Tu veux dire, en Français, que j’avais un sot maître,

N’est-ce pas ?

FABRICE.

C’est à tort...

CRISPIN.

Ne crois point te moquer :

Jamais, quand on a vu, l’esprit ne peut manquer.

Les voyages font l’homme ; et, pour peu qu’on s’applique...

 

 

Scène XI

 

D’ISL-MARETS, CRISPIN, FABRICE

 

D’ISL-MARETS, à Crispin.

Donne cette réponse à l’aimable Angélique ;

Vas, cours, mon cher Crispin.

 

 

Scène XII

 

MADAME FATENCOUR et LOISONNIÈRE, qui paraissent et écoutent dans le fond,  D’ISL-MARETS, CRISPIN, FABRICE

 

D’ISL-MARETS, continuant, à Crispin.

Mais, surtout, fais si bien ;

Que ce soit en cachette, et qu’on n’en sache rien.

CRISPIN, à d’Isl-marets.

Mettez-vous en repos ; je ferai votre affaire.

Il faut se défier, entre autres, de la mère ;

Elle a l’humeur un peu colérique ; et, pour rien ;

Gronderait quatre jours, par forme d’entretien ;

Mais, sa complexion étant trop délicate,

Elle n’ose crier, à cause de sa rate :

Je ris comme un perdu, quand j’entends quelques mots

De ce qu’elle en jargonne avec Monsieur Chiros.

D’ISL-MARETS.

Et ce Monsieur Chiros, quel est-il ?

CRISPIN.

Du village

C’est le Chirurgien, très vilain personnage,

Qui, la voyant facile à se droguer souvent,

Lui fait craindre un grand mal, du moindre petit vent :

Elle est sa vache à lait.

D’ISL-MARETS.

Adieu ; sois-moi fidèle,

Crispin, et je saurai reconnaître ton zèle.

Madame Fatencour et Loisonnière se retirent.

 

 

Scène XIII

 

D’ISL-MARETS, FABRICE, CRISPIN

 

CRISPIN, à d’Isl-marets.

Serviteur.

FABRICE, à d’Isl-marets.

Votre père est venu vous chercher ;

Si vous suivez son ordre, il faut vous dépêcher.

D’ISL-MARETS, à Fabrice.

Que veut-il ?

FABRICE.

Je ne sais ; mais vous pourrez l’apprendre

Chez Monsieur de Valcreux ; il vous y doit attendre.

 

 

Scène XIV

 

CRISPIN, seul, comptant l’argent qu’on  lui a donné

 

Un, deux, trois... Ils sont dix, le nombre est bien complet.

Me voilà, dieu-merci, bien payé du soufflet.

Tandis qu’il y fait bon y par notre complaisance,

Tâchons d’en attraper encor quelque finance.

Quand on est amoureux, rien ne coûte à donner,

Il est libéral : mais s’en faut-il étonner ?

Puisque, si quelque Belle à m’aimer était prête,

Je me donnerais, moi, des pieds jusqu’à la tête.

Profitons du talent et de l’occasion.

 

 

Scène XV

 

MADAME FATENCOUR, LOISONNIÈRE, un fusil sur l’épaule, CRISPIN

 

CRISPIN, bas.

Mais que vois-je venir ? La laide vision !

Serrons vite la lettre et l’argent.

MADAME FATENCOUR, à Crispin.

Viens, approche.

Que fais-tu là ?

CRISPIN, à Madame Fatencour.

Moi ? rien.

MADAME FATENCOUR.

Qu’as-tu mis dans ta poche ?

CRISPIN.

Qu’y pourrais-je avoir mis ?

MADAME FATENCOUR.

Un papier ; montre.

CRISPIN.

Quoi,

Un papier ? Quel papier ?

MADAME FATENCOUR.

Montre, te dis-je.

CRISPIN.

Moi ?

Je ne puis rien montrer ; car je n’ai rien.

MADAME FATENCOUR.

Infâme !

Tu n’as rien ? Çà, voyons.

CRISPIN.

Oh ! s’il vous plaît, Madame !

MADAME FATENCOUR.

Je veux chercher.

CRISPIN.

Parbleu ! vous ne chercherez pas.

MADAME FATENCOUR.

Tu fuis ?

LOISONNIÈRE, présentant le fusil à Crispin.

Demeure là : si tu fais un seul pas,

Je m’en vais te sangler mon fusil dans la tête.

CRISPIN.

À l’aide ! je suis mort !

LOISONNIÈRE.

Ce coquin fait la bête.

CRISPIN, à Loisonnière, voulant lever le fusil.

Un ou deux pieds plus haut.

LOISONNIÈRE.

Encor ?

CRISPIN.

Quel passe-temps !

Est-ce qu’en dépit d’eux, on doit tuer les gens ?

LOISONNIÈRE.

Dépêche.

CRISPIN.

Quoi, dépêche ?

LOISONNIÈRE.

Ah ! tu m’oses répondre !

CRISPIN.

Appuyer le fusil contre un pauvre hypocondre,

Dont on a de l’esprit bouché tous les conduits !

MADAME FATENCOUR, à Crispin.

Tu veux être hypocondre à présent ?

CRISPIN, à Madame Fatencour.

Je le suis,

Ou je me donne au diable.

MADAME FATENCOUR.

Il ne m’importe guère.

Viens ici.

CRISPIN.

Me voilà.

MADAME FATENCOUR.

Prends garde à tes affaires :

Si tu me fais chercher, sans vouloir découvrir...

CRISPIN.

Ah ! ne me touchez pas, vous me feriez mourir ;

Je suis trop chatouilleux.

MADAME FATENCOUR.

Donne donc.

CRISPIN.

Que je donne ?

Je n’ai rien à donner.

LOISONNIÈRE, à Madame Fatencour.

Vous souffrez qu’il raisonne !

Tirerai-je ?

MADAME FATENCOUR, à Loisonnière.

Oui, tirez aux jambes, mon cousin.

LOISONNIÈRE.

Tout à l’heure ; aussi bien, j’en dois à ce coquin.

CRISPIN, à genoux, à Loisonnière.

Monsieur, n’en faites rien.

LOISONNIÈRE, à Crispin.

Il faut que dans le ventre,

Je...

CRISPIN.

N’allez pas lâcher : tête-bleu ! le plomb entre ;

Ce n’est pas jeu d’enfant.

LOISONNIÈRE.

C’est fait ; point de quartier.

La lettre.

CRISPIN.

Quelle lettre ?

LOISONNIÈRE.

Ah ! tu te fais prier.

CRISPIN.

Hé ! de grâce, un moment.

LOISONNIÈRE.

Si tu tardes, je tire.

CRISPIN.

Hé bien ! çà, je m’en vais vous la donner à lire.

MADAME FATENCOUR, à Crispin.

Oui, je me suis droguer, au moindre petit vent ;

Et si Monsieur Chiros me visite souvent,

Je suis sa vache à lait !

CRISPIN, à part.

Je suis perdu ! Le diable

M’a, bien mal à propos, rendu si charitable.

De quoi m’être avisé de servir le blondin !

Il donne la lettre.

MADAME FATENCOUR, à Loisonnière.

Tandis que je lirai, fouillez-le, mon cousin ;

Cherchez ce qui lui reste encor.

LOISONNIÈRE.

Vidons ses poches.

CRISPIN, se retirant, à Loisonnière.

Les vider !

LOISONNIÈRE, lui présentant le fusil.

Par la sang ! coquin, si tu n’approches...

CRISPIN.

Je suis tout approché : peste de l’instrument !

Là, fouillez à votre aise ; allons, sans compliment.

LOISONNIÈRE, tirant les Louis.

Cela n’est pas mauvais.

CRISPIN.

Pas mauvais ? je le pense.

LOISONNIÈRE.

Encor ! Bon.

CRISPIN.

C’est-là tout, s’il vous plaît.

LOISONNIÈRE.

Patience ;

Je veux voir l’autre poche.

À Madame Fatencour.

Il a plusieurs Louis.

MADAME FATENCOUR.

Prenez-les.

LOISONNIÈRE.

Çà, voyons.

CRISPIN.

Elle est vide.

LOISONNIÈRE.

Tant pis.

CRISPIN.

Mon argent !

LOISONNIÈRE, le lui montrant.

Le voilà.

CRISPIN.

Je le vois bien ; mais, diable !

Je ne l’ai pas.

LOISONNIÈRE.

Suffit que j’en sois responsable ;

Il est en bonne main.

CRISPIN.

Je me ris de cela ;

La mienne est aussi bonne.

LOISONNIÈRE.

Oh ! tu le prends par-là ?

Je te le veux garder, moi.

CRISPIN.

Combien, je vous prie ?

LOISONNIÈRE.

Autant qu’il me plaira.

CRISPIN.

Quoi ! garder...

LOISONNIÈRE.

Comme il crie !

MADAME FATENCOUR, prenant Crispin au collet.

Il faut que je t’étrangle.

CRISPIN.

Ah !

MADAME FATENCOUR.

Scélérat !

LOISONNIÈRE, à Madame Fatencour.

Faut-il,

Pour avoir plutôt fait, lui lâcher le fusil ?

MADAME FATENCOUR, à Loisonnière.

Il le mériterait, puisqu’il me déshonore :

Mais, n’est pas le seul ; ma fille en est encore ;

Elle aime d’Isl-marets ; et ce billet m’apprend

Qu’un rendez-vous, ce soir... Ah !

LOISONNIÈRE.

Cela me surprend.

Ma cousine Angélique aurait de la tendresse

Pour le fils...

MADAME FATENCOUR.

Comme moi, ce procédé vous blesse :

Mais j’en aurai raison. Il faut n’en dire mot,

Surtout à mon mari.

LOISONNIÈRE.

Suffit.

MADAME FATENCOU, à Crispin.

Chien de magot,

Coquin, tu me trahis !

CRISPIN.

Hé, Madame, Madame !...

MADAME FATENCOUR.

Dis-moi ; autrement...

 

 

Scène XVI

 

MADAME FATENCOUR, LOISONNIÈRE, CRISPIN, CHIROS

 

CHIROS, à Madame Fatencour.

Quel courroux vous enflamme ?

Rien n’est pire, pour vous, que de vous emporter,

Et votre mal de rate en pourrait augmenter.

Qu’est-ce donc ? dans vos yeux je vois un trouble extrême.

MADAME FATENCOUR.

Hélas ! Monsieur Chiros, je suis hors de moi-même.

CHIROS.

J’allais voir un fiévreux dont le mal est pressé ;

Et, vous apercevant, je me suis avancé.

MADAME FATENCOUR.

J’avais cru, comme vous, qui m’en vouliez répondre,

Que Crispin, tout de bon, devenait hypocondre.

CHIROS.

Il ne le devient pas, car il l’est tout-à-fait.

MADAME FATENCOUR.

Il l’est, Monsieur Chiros ?

CHIROS.

Hypocondre parfait ;

Il est fou : qui dira qu’il ne l’est pas, le flatte ;

Et, par l’autorité du savant Hypocrate,

Du fameux Avicene et du grand Galien ;

Je m’en vais vous prouver...

MADAME FATENCOUR.

Eh ! ne nous prouvez rien,

Qu’il soit ce qu’il voudra, j’ai, sur une autre affaire,

Quelques discussions plus prenantes à faire.

Adieu, jusqu’au revoir.

À Crispin.

Suis-moi, viens.

À Loisonnière.

Mon cousin,

Ne m’abandonnez pas.

LOISONNIÈRE, présentant le fusil à Crispin.

Marche devant, coquin.

 

 

Scène XVII

 

CHIROS, seul

 

Qu’une femme obstinée est un cruel martyre !

Sur elle la raison ne garde aucun empire.

Ne vouloir pas qu’il soit hypocondre ! J’ai dit,

Dès l’abord, qu’il l’était, il l’est, sans contredit ;

J’en suis sûr, et n’aurai jamais la complaisance

De parler lâchement contre ce que je pense.

Quand j’ai, sur quelque mal, connu la vérité,

Je tiens ferme, et je suis toujours de son côté.

Que d’autres, en flattant, amassent des richesses.

Si je n’amasse rien, du moins point de bassesses.

Ô que cet Ancien fut de l’honneur jaloux,

Par qui cet axiome est venu jusqu’à nous ;

« La pierre éprouve l’or, l’or éprouve les hommes » !

Belle moralité pour tous tant que nous sommes !

Quant à moi, l’on pourrait m’offrir mille trésors,

Quand j’ai dit mon avis, jamais je n’en démords :

On a beau me parler, rien ne me persuade.

Mais je m’arrête ; il faut aller voir mon malade,

Et leur faire sentir ce que c’est que les fous,

En leur laissant le temps d’avoir besoin de nous.

 

 

ACTE V

 

La scène est devant la maison de M. de Valcreux.

 

 

Scène première

 

LA TOUR, CRISPIN

 

Ils entrent de différents côtés.

LA TOUR.

Ah ! c’est Monsieur Crispin.

CRISPIN.

C’est ainsi qu’on me nomme.

LA TOUR.

Ne vous souvient-il plus de n’avoir vu dans Rome ?

Hem ?

CRISPIN, l’embrassant.

Monsieur de La Tour, par quel rare bonheur

Vous vois-je en ce pays ?

LA TOUR.

Monsieur le Gouverneur,

À qui l’on a mandé qu’en ces lieux la Noblesse,

Pour un sot démêlé, s’anime et s’intéresse,

M’envoie exprès ici, pour calmer ces transports.

CRISPIN.

Peut-être y ferez-vous d’inutiles efforts ;

Ce n’est pas, ce me semble, une chose facile :

Ces Messieurs, la plupart, sont fort chargés de bile ;

Le salpêtre, chez eux, se rencontre à foison,

Et d’abord ils ont peine à coûter la raison ;

Mais, leur fougue passée, ils sont bien raisonnables.

LA TOUR.

J’ai déjà reconnu ces choses véritables.

CRISPIN.

Entre autres, il en est qui sont très campagnards !

Gens aimant leurs foyers, et qu’on nomme cagnards,

Qui n’ont que rarement sorti de la Province ;

Qui, sur le point d’honneur, souffrent peu qu’on les pince ;

Braves à toute outrance, et qu’on voit, pour un rien,

Mettre la brette à l’air, et s’en escrimer bien.

D’ailleurs, grands discoureurs sur toutes les manières ;

Et des francs hobereaux conservant les manières :

Quand ils sont une fois à vanter leurs combats.

Leur Maison... là-dessus ils ne finissent pas ;

Ils en fatiguent ceux qui veulent les entendre ;

Mais, du reste, assez bons à qui fait bien les prendre.

Pour Monsieur de Fondnid et Monsieur Fatencour,

Sont à peu près tout comme, et faits au même tour.

Adieu ; nous nous verrons. J’ai quelque chose à dire

À Monsieur de Valcreux.

LA TOUR.

Le seul bien où j’aspire,

C’est de boire avec vous.

CRISPIN.

Je serai toujours prêt...

 

 

Scène II

 

ANGÉLIQUE, FLORINE, LA TOUR, CRISPIN

 

LA TOUR, apercevant Angélique.

Que vois-je ?

CRISPIN, à La Tour.

Suivez-moi, vous saurez ce que c’est.

 

 

Scène III

 

ANGÉLIQUE, FLORINE

 

FLORINE.

Sans doute il est fâcheux qu’on ait surpris la lettre

Que dans vos seules mains Crispin devait remettre ;

L’accident ne pouvait être plus malheureux ;

Mais enfin nous voilà chez Monsieur de Valcreux,

Qui, sur le rendez-vous, saura de votre mère,

Avant qu’elle nous voie, apaiser la colère.

C’est un homme estimé dans tout le Vivarais ;

Sa fille est votre amie ; et Monsieur d’Isl-marets,

Dès longtemps, comme vous, joint à lui d’alliance,

Lui fera de vos feux embrasser la défense.

ANGÉLIQUE.

Quand à les soutenir il prendrait intérêt,

C’est toujours de l’éclat, et l’éclat me déplaît ;

Que dira-t-on de moi, d’avoir, malgré nos pères,

Pris, pour un jeune Amant, des chaînes volontaires,

Et de m’être avec lui fait un engagement

Qui peut-être jamais n’aura leur agrément ?

FLORINE.

Cela peut arriver ; mais qu’y faire, Madame ?

Il faut ici montrer une fermeté d’âme,

Ne point se rebuter, et croire que le fort,

Par des chemins fâcheux, peut vous conduire au port.

En faveur dès Amants, souvent les Destinées,

Des jours infortunés, sont d’heureuses journées ;

Et, par elles, on voit, aux plus grands embarras,

Survenir des bonheurs qu’on ne prévoyait pas.

ANGÉLIQUE.

Tu veux trop espérer.

FLORINE.

J’ai toujours bon courage,

Surtout, quand je me trouve à couvert de l’orage ;

Car nous courions hasard d’un régal fort malsain,

Si sur nous votre mère eût pu mettre la main :

Elle a, dans certain temps, la bile dangereuse.

ANGÉLIQUE.

Il est vrai, sa colère est trop impétueuse ;

Et, si nous n’eussions fui, je crois que toutes deux...

 

 

Scène IV

 

CRISPIN, ANGÉLIQUE, FLORINE

 

ANGÉLIQUE, à Crispin.

Hé bien ! parlerons-nous à Monsieur de Valcreux ?

CRISPIN.

On l’est allé chercher, il viendra tout à l’heure.

FLORINE.

Crispin, tu dois mourir de regret.

CRISPIN.

Que j’en meure !

Que peut-il m’arriver de pis, que de mourir ?

FLORINE.

Mais, cependant, c’est toi qui nous fais tant courir.

ANGÉLIQUE.

N’avoir eu qu’une lettre, et ne pas...

CRISPIN, à Angélique.

Comment faire ?

Franchement, vous avez une diable de mère,

Qui se soucierait moins de mettre un homme à bas,

Que de tuer un lièvre. On ne m’y retient pas ;

Et, s’il me faut jamais paraître en sa présence,

Je n’en approche point, tout au moins, qu’à distance

Du coup de canon.

FLORINE.

Vas, vas, tu n’as point de cœur ;

Et tu devais plutôt endurer...

CRISPIN, à Florine.

Serviteur.

Tu parles à ton aise : et ce fusil d’une aune,

Toujours prêt à lâcher ? Peste ! on a le bec jaune,

Quand on en voit le bout près de son nez : pour moi,

J’ai tout abandonné, tant j’en avais d’effroi ;

FLORINE.

Quels Louis ?

CRISPIN.

Des Louis beaux, pimpants... C’est dommage !

On eût dit, à les voir, qu’ils venaient d’être faits.

 

 

Scène V

 

ANGÉLIQUE, VALCREUX, CRISPIN, FLORINE

 

ANGÉLIQUE.

Ah ! Monsieur de Valcreux, c’est en vous que je mets

Toute mon espérance.

VALCREUX.

À quoi, belle Angélique ;

Voulez-vous m’employer ?

ANGÉLIQUE.

Avant que je m’explique,

Entrons dans un lieu sûr, où je puisse, à loisir,

Vous dire, sans témoins, quel est mon déplaisir.

VALCREUX.

Ma fille est dans sa chambre ; et vous pouvez, sans crainte,

M’y découvrir l’ennui dont votre âme est atteinte.

ANGÉLIQUE.

Je veux bien, comme à vous, lui conter mon chagrin.

VALCREUX.

Allons donc la trouver.

ANGÉLIQUE, à Crispin.

Retourne-t’en, Crispin :

Tu m’as conduite ici, c’est assez.

CRISPIN.

Votre mère

Pourra vous demander ; quelle réponse faire ?

ANGÉLIQUE.

Quelle ? que tu ne sais où je suis.

 

 

Scène VI

 

FLORINE, CRISPIN

 

FLORINE.

Ne fais pas

Ainsi que de la lettre.

CRISPIN.

Oh ! c’est un autre cas.

FLORINE.

Visses-tu le poignard levé, mets tout au pire,

Et te laisse tuer, plutôt que de rien dire.

 

 

Scène VII

 

CRISPIN, seul

 

Beau conseil à donner, quand on aime les gens !

Laisser faire au poignard ! j’aurais perdu le sens ;

Et c’est bien à ce coup, si j’en soustrais l’attaque,

Que je me montrerais plus qu’hypocondriaque.

Elle m’aime pourtant ; aussi, sans vanité.

Je suis assez bien fait, droit, bien pris, bien planté ;

L’œil fin, quoique petit ; le nez de bonne forte ;

La bouche un peu trop grande, il est vrai, mais qu’importe ?

J’en mange mieux, d’ailleurs...

 

 

Scène VIII

 

FATENCOUR, LOISONNIÈRE, CRISPIN

 

CRISPIN, à soi-même.

Mais trêve de raisons !

Notre Maître, suivi du cousin aux Oisons,

Vient ici ; ce sera pour mes péchés, peut-être.

FATENCOUR, à Crispin.

Que fais-tu là, coquin ?

CRISPIN, à Fatencour.

Vous le pouvez connaitre,

Je n’y fais rien, voyez.

FATENCOUR.

Et qu’y viens-tu chercher ?

CRISPIN.

Personne.

FATENCOUR.

C’est en vain que tu le croîs cacher ;

Je veux savoir d’où vient qu’ici je te rencontre.

CRISPIN.

D’où vient ? c’est que j’y suis ; ma présence le montre.

LOISONNIÈRE.

Comment à ce maraud ne pas donner cent coups ?

Il est assez hardi...

FATENCOUR.

Redoute mon courroux,

Ou, quoique nous soyons en maison étrangère,

Je vais t’apprendre...

CRISPIN.

Hé bien ! puisqu’il faut ne rien taire,

J’étais venu parler à Monsieur de Valcreux.

FATENCOUR.

Que lui peux-tu vouloir ? dis.

CRISPIN.

Ce que je lui veux ?

Lui faire l’importante et très humble prière

De mettre à la raison Monsieur de Loisonnière :

Il m’a pris vingt Louis.

LOISONNIÈRE, à Crispin.

Vingt Louis ! par la mort !

Infâme... !

CRISPIN, à Loisonnière.

Combien donc ? pourquoi crier si fort ?

LOISONNIÈRE.

Vingt Louis !

CRISPIN.

Rendez-m’en la moitié, je vous quitte.

FATENCOUR, à Loisonnière.

Mon cousin, c’est un fou que son accès agite.

LOISONNIÈRE, à Fatencour.

Le pendard me ferait passer pour un voleur.

FATENCOUR.

Tout le monde vous fait Gentilhomme d’honneur.

LOISONNIÈRE.

Vingt Louis !

CRISPIN.

Hé bien ! dix ; rendez-les-moi, de grâce.

FATENCOUR, à Crispin.

Coquin, si tu ne sors...

CRISPIN, à Fatencour.

Mettez-vous en ma place ;

Dix Louis !

FATENCOUR.

Sors, te dis-je ; ou tu pourras sentir...

CRISPIN.

Je sors, puisqu’on le veut ; mais, avant que sortir,

Je veux dire trois mots. C’est Crispin qu’on me nomme,

Monsieur : je ne suis point, Dieu merci, Gentilhomme.

Je suis, tout simplement, fils de votre Fermier ;

Mais je ne voudrais pas, pour un bras tout entier,

En faire autant que fait, sans nulle conscience,,

Ce Noble à vingt carats.

Il sort.

LOISONNIÈRE, allant après lui.

Ah ! pour tant d’insolence,

Il faut...

 

 

Scène IX

 

FATENCOUR, LOISONNIÈRE

 

FATENCOUR.

Hé ! mon cousin, vous vous fâchez en vain ;

Laissez-le s’échapper ; il n’a pas l’esprit sain.

LOISONNIÈRE.

Il faut que vous sachiez, mon cousin...

FATENCOUR.

Qu’est-ce à dire ?

Ai-je rien à savoir ? Mon cousin, il faut rire

Des sottises d’un fou.

LOISONNIÈRE.

J’en prends peu de souci.

 

 

Scène X

 

FATENCOUR, LOISONNIÈRE, LA TOUR

 

FATENCOUR, apercevant La Tour.

Voici Monsieur l’Exempt, vous me voyez ici ;

Monsieur, fort ponctuel à tenir ma parole.

LA TOUR.

Un vrai Noble jamais n’en donne de frivole ;

Et, répondant de vous, je n’avais pas douté

Que vous n’eussiez beaucoup de ponctualité.

FATENCOUR.

C’est être connaisseur : je vous suis redevable !

D’un pareil jugement ; et, si j’étais capable

De vous marquer, Monsieur...

LA TOUR.

Laissons le compliment.

FATENCOUR.

Au reste, vous voyez Monsieur, qui sûrement

Est un de mes cousins, et brave Gentilhomme.

LA TOUR.

Il suffit de le voir, pour le croire.

FATENCOUR.

Il se nomme

Monsieur de Loisonnière, homme rempli de cœur.

LA TOUR.

Ah ! je n’en doute point.

FATENCOUR.

Délicat sur l’honneur.

LA TOUR.

Je le crois.

FATENCOUR.

Fort civil ; mais d’humeur un peu fière.

LA TOUR.

Je...

FATENCOUR.

Qui sert ses amis d’une rude manière ;

Et qui, quand une fois il s’est déterminé,

Verrait vingt mousquetons, sans en être étonné.

LA TOUR.

C’est par la fermeté qu’une grande âme éclate.

LOISONNIÈRE, à La Tour.

Monsieur, n’en croyez pas mon cousin ; il me flatte.

FATENCOUR.

Non, je ne vous dis pas tout ce que j’en connais ;

Et vous pouvez, Monsieur, vous en fier à moi.

LA TOUR.

Très volontiers.

FATENCOUR.

Je veux vous le faire connaître.

LA TOUR.

Ce me serait honneur.

LOISONNIÈRE.

Bon, à moi ; mais, petit être,

Si vous me connaissiez...

LA TOUR.

Je m’en tiendrais heureux.

Mais il est temps de dire à Monsieur de Valcreux

Que vous êtes ici ; je m’en vais...

FATENCOUR.

Quoi ! vous-même ?

Non ; ma confusion, Monsieur, serait extrême,

S’il me fallait permettre...

LA TOUR.

Hé ! Monsieur, laissez-moi ;

C’est un soin de ma charge.

FATENCOUR, voulant y aller.

Ah ! Monsieur, je vous dois

Trop d’honneur ; pour souffrir que vous preniez la peine...

LA TOUR, le retenant.

Demeurez ; tout à l’heure ici je vous l’amène.

FATENCOUR.

Non ; je l’irai chercher, Monsieur, plutôt que vous.

LA TOUR.

Mais...

FATENCOUR.

La civilité règne trop parmi nous ;

Et ses lois...

LA TOUR.

Mais ses lois...

FATENCOUR.

Si j’osais les enfreindre ;

Monsieur le Gouverneur aurait lieu de s’en plaindre :

Vous le représentez ; et nous savons trop bien...

LA TOUR, à part.

Quelles gens !

Haut.

Mais...

LOISONNIÈRE, à La Tour.

Monsieur, vous n’y gagnerez rien.

Mon cousin a de l’âge, et trop de connaissance

De ce que lui prescrit l’exacte bienséance,

Pour ne pas supposer...

FATENCOUR.

Il faut vous rendre, enfin :

Voyez ! nous voilà deux contre vous ; mon cousin

Se déclare ; et par-là, la dispute est finie.

LA TOUR.

Mais, Messieurs, à quoi bon cette cérémonie ?

Puisqu’on est convenu de Monsieur de Valcreux

Pour votre arbitre...

FATENCOUR.

Il est clairvoyant, vigoureux ;

Dans ce qu’il entreprend, homme de poids...

LA TOUR.

Sans doute.

FATENCOUR.

De bon sens.

LA TOUR.

Pour parler, il faut qu’il vous écoute ;

Tout ce que vous direz sans lui, ne sert de rien.

 

 

Scène XI

 

VALCREUX, FATENCOUR, LOISONNIÈRE, LA TOUR

 

LA TOUR.

Le voici qui paraît heureusement.

VALCREUX, à Fatencour.

Hé bien !

Vous avez su, Monsieur, que, de votre querelle

Monsieur le Gouverneur ayant eu la nouvelle,

A dépêché Monsieur, avec un ordre exprès

De rendre enfin le calme à tout le Vivarais.

FATENCOUR, à Valcreux.

Oui, j’ai su de Monsieur quel est cet ordre ; et, comme

Ce qu’à ses volontés doit un vrai Gentilhomme,

Lui fait toujours honneur dans l’exécution,

J’accepte le parti sans contestation ;

Et d’autant plus, Monsieur, que je vois, avec joie,

Qu’à finir nos débats c’est vous que l’on emploie,

Mais est-on assuré que Monsieur de Fondnid... ?

LA TOUR, à Fatencour.

Oui, Monsieur ; là-dessus, je fais ce qu’il m’a dit :

Il m’a, quand de mon ordre il a pris connaissance,

Marqué, pour cet accord, beaucoup d’impatience.

Il est dans le jardin, avec Monsieur son fils ;

Les ferai-je appeler ?

VALCREUX, à La Tour.

Faites, j’en suis d’avis ;

Car, dans peu, nous aurons les gens qui doivent être

Présents à cet accord.

La Tour sort.

 

 

Scène XII

 

VALCREUX, FATENCOUR, LOISONNIÈRE

 

FATENCOUR.

Ah ! c’est mal vous connaitre ;

Il suffisait de vous, pour raccommodement :

Vous êtes (et chacun le fait assurément)

Gentilhomme d’honneur, qui jamais ne recule...

VALCREUX.

Pour ne m’en pas trop croire, et m’ôter tout scrupule,

J’ai mandé des amis communs à tous les deux ;

Monsieur de Champ-courtaut, Monsieur de Moulin-preux,

Messieurs de Rond-chemin et de la Casanière.

LOISONNIÈRE.

Ces Messieurs sont...

VALCREUX.

Qu’en dit Monsieur de Loisonnière ?

LOISONNIÈRE, à Valcreux.

Je dis qu’ils savent tous, par cent événements,

Et le faible et le fort des accommodements ;

Que la raison, chez vous, est toujours pénétrante.

VALCREUX.

Hé ! Monsieur...

FATENCOUR.

Mon cousin ne dit rien qu’il ne sente.

VALCREUX.

Quoi ! vous vous unissez tous deux pour me flatter !

La partie est trop forte, on n’y peut résister.

LOISONNIÈRE.

La louange étant juste, on ne peut s’en défendre.

VALCREUX.

Je crois que, tout de bon, vous voulez m’entreprendre ?

LOISONNIÈRE.

Nous sommes sûrement trop bien persuadés

Que vous savez le fin de tous les procédés.

VALCREUX.

De grâce, épargnez-moi.

LOISONNIÈRE.

Je parle sans jactance ;

Dix combats faits par vous en sont l’expérience.

FATENCOUR.

On y peut ajouter seize éclaircissements.

LOISONNIÈRE.

Ce font de sa bravoure autant de truchements.

VALCREUX.

Hé, Messieurs !

LOISONNIÈRE.

Nous parlons de vous sans complaisance.

VALCREUX.

Monsieur de Loisonnière, un peu plus d’indulgence ;

Ces sentiments pour moi peuvent être douteux.

FATENCOUR.

On rencontre bien peu de Monsieur de Valcreux.

VALCREUX.

Laissons ces compliments, encore un coup ; de grâce,

Finissez ; autrement, je vous quitte la place.

 

 

Scène XIII

 

FATENCOUR, LOISONNIÈRE, VALCREUX, FONDNID, LA TOUR

 

VALCREUX.

Bon : Monsieur de Fondnid arrive...

LOISONNIÈRE, à Valcreux.

C’est à vous,

Monsieur, à prendra ici la parole pour tous.

VALCREUX, à Fatencour et à Fondnid.

Messieurs, chacun connait quelle est votre querelle ;

Et, sans qu’il soit besoin que j’explique et rappelle

Les divers incidents qu’elle a déjà causés,

Il nous faut réunir nos esprits divisés :

J’en ai trouvé, je pense, une voie assez sûre ;

Elle est dans ce papier ; et c’est par sa lecture,

Que vous me connaitrez dépouillé d’intérêt.

À La Tour.

En attendant les gens, lisez-le, s’il vous plaît.

LA TOUR, à Valcreux.

Vous n’avez qu’à donner vos ordres, j’y défère ;

C’est ce qu’expressément m’a commandé de faire

Monsieur le Gouverneur.

FATENCOUR, à La Tour.

Je suis son serviteur.

LA TOUR, à Fatencour.

Oh ! qu’il n’en doute pas...

FATENCOUR.

Et le vôtre, Monsieur.

LA TOUR, après avoir fait une révérence à Fatencour, lit.

« Projet pour l’accommodement à faire entre Messieurs de Fatencour et de Fondnid, ou Messieurs de  Fondnid et de Fatencour, qu’ils signeront, s’ils en sont satisfaits ».

LOISONNIÈRE, à Valcreux.

Il est aisé de voir que la judiciaire

Vous fait, à pas réglés, marcher dans cette affaire :

Tous deux nommés devant l’un l’autre, tour-à-tour,

Fatencour et Fondnid, Fondnid et Fatencour.

FONDNID.

Cela se doit ainsi.

FATENCOUR, à Fondnid.

Cela se doit ? peut-être.

FONDNID, à Fatencour.

Ce peut-être est sans doute, à qui sait nous connaître ;

Et Monsieur de Valcreux, qui connaît ma Maison,

Croit qu’en user ainsi, c’est suivre la raison.

Ma Maison vaut la vôtre.

FATENCOUR.

Oh ! c’est ce que se nie.

FONDNID, mettant la main sur son épée.

Comment ! me démentir !

VALCREUX, arrêtant Fatencour et Fondnid.

Hé ! Messieurs, je vous prie,

Un peu plus de douceur, et moins d’emportement,

Et ne traversez point votre accommodement.

FONDNID.

Il ne sera pas dit que je souffre une offense.

VALCREUX.

De grâce, l’un pour l’autre, un peu de tolérance.

 

 

Scène XIV

 

FATENCOUR, FONDNID, VALCREUX, LOISONNIÈRE, LA TOUR, CRISPIN

 

CRISPIN.

Monsieur...

FATENCOUR.

Qu’a ce fou ? Sors.

CRISPIN.

Monsieur, c’est fait de moi ;

Madame Fatencour... sa nièce... je les vois.

 

 

Scène XV

 

M. et MADAME FATENCOUR, FONDNID, CRISPIN, VALCREUX, D’ISL-MARETS,  ARPALIS, LA TOUR

 

FATENCOUR, à sa femme.

Pourquoi venir ici ? quel sujet vous y mène ?

MADAME FATENCOUR.

Votre fille, Monsieur, dont je suis fort en peine ;

On dit qu’elle est céans, et je viens le savoir.

FATENCOUR.

Ce n’est pas un grand mal.

MADAME FATENCOUR.

Non : mais je veux la voir ;

J’ai raison pour cela.

FATENCOUR.

Je ne la puis comprendre.

MADAME FATENCOUR.

Ce n’est pas en ce lieu que je dois vous l’apprendre ;

Car... Sortons, qu’au plutôt je vous parle en secret.

VALCREUX, arrêtant Fatencour.

Hé ! Madame, dans peu, leur accord sera fait ;

Après ; tout à loisir, vous le pourrez instruire...

MADAME FATENCOUR, à Valcreux.

Il faut qu’il sache, avant, ce que je lui veux dire.

FATENCOUR.

Mais qu’est-il arrivé qui vous mette en souci ?

MADAME FATENCOUR.

Vous le saurez ailleurs.

ARPALIS, à Madame Fatencour.

Hé ! sans sortir d’ici,

Ma tante, expliquez-vous. Pourquoi tant de mystère ?

Déchargez votre cœur ; songez que la colère

N’est utile, chez vous, que pour Monsieur Chiros.

MADAME FATENCOUR, à Arpalis.

Hé ! Ma nièce...

ARPALIS.

Je vais dire tout, en deux mots ;

La chose peut servir, il faut que je l’explique.

Montrant d’Isl-marets.

Monsieur aime ardemment ma confine Angélique ;

Je sais même, de plus, qu’elle ne le hait pas :

On peut, les unissant, terminer leurs débats ;

Et, si l’on m’en veut croire, un heureux mariage,

De la paix faite entre eux, dans peu, sera le gage,

Voilà le grand secret qu’on veut dissimuler.

VALCREUX.

J’aurais pris, là-dessus, mon temps, pour vous parler :

Mais, puisqu’elle a tout dit, c’est par leur hyménée,

Que la haine entre vous doit être terminée.

Tous deux également, l’un de l’autre charmés,

Malgré vos différents, se sont toujours aimés ;

Peut-on mieux réunir l’une et l’autre famille ?

ARPALIS.

Çà, mon oncle et ma tante, agréez...

FATENCOUR.

Quoi ! ma fille

Aurait pris de l’amour pour Monsieur d’Isl-marets ?

VALCREUX.

Oui, Monsieur, j’en suis sûr ; et ce sont des secrets

Que vous pouvez, sur l’heure, apprendre d’elle-même,

À Crispin.

Vas la faire venir.

Crispin sort.

 

 

Scène XVI

 

M. et MADAME FATENCOUR, FONDNID, VALCREUX, D’ISL-MARETS, ARPALIS,  LA TOUR

 

ARPALIS, à Fatencour.

Puisque ma cousine aime,

Ne vous opposez plus à l’heureuse union

Qui finit pour jamais votre division :

Votre gloire, par-là, ne fera point blessée.

FATENCOUR.

Non, non, ma nièce, non, ce n’est pas ma pensée.

ARPALIS.

Oh ! je n’en doute pas : mais il faut aujourd’hui.

Qu’en faveur de leurs feux, vous nous disiez un oui.

D’ISL-MARETS.

Daignez me pardonner un amour téméraire,

Qu’un malheur imprévu m’a forcé de vous taire.

Cent fois je vous aurais déclaré cet amour ;

Mais pour nous votre haine augmentait chaque jour.

Oubliez-la, Madame, et donner à ma flamme,

Pour finir vos discords, Angélique pour femme ;

Et n’aidez point au sort à m’être rigoureux,

Quand il ne tient qu’à vous que je ne sois heureux.

ARPALIS.

Qui ne dit mot, consent ; je réponds pour ma tante.

MADAME FATENCOUR.

Hé ! ma nièce...

ARPALIS, à Madame Fatencour.

Mon Dieu, vous en êtes contente ;

Je le vois dans vos yeux ; pourquoi tant résister ?

 

 

Scène XVII

 

M. et MADAME FATENCOUR, FONDNID, D’ISL-MARETS, ANGÉLIQUE, ARPALIS, VALCREUX, LOISONNIÈRE, CRISPIN, FLORINE, LA TOUR

 

ARPALIS.

Ah ! voici ma cousine ; il la faut écouter.

FATENCOUR, à Angélique.

Approchez. Est-il vrai ce qu’on me fait entendre ?

Aimez-vous Monsieur ?

ANGÉLIQUE.

Oui ; je n’ai pu m’en défendre ;

Mon cœur, malgré mes soins, m’a fait y consentir ;

Mais à vos volontés je sais l’assujettir :

Ordonnez, là-dessus, ce qu’il faut que je fasse ;

J’obéis et me tais.

ARPALIS, à Fatencour.

Hé ! mon oncle, de grâce,

Répondez en bon père à ces beaux sentiments ;

Et rendez, par deux mots, la joie à ces Amants.

FATENCOUR, à d’Isl-marets.

Venez, embrassez-nous ; je vous reçois pour gendre.

FONDNID, les embrassant après.

Quelle grâce, pour lui, ne dois-je point vous rendre ?

Vivons en vrais parents.

MADAME FATENCOUR, à Fondnid.

C’est mon plus fort désir.

D’ISL-MARETS.

De quel charmant transport mon cœur se sent saisir !

VALCREUX, à d’Isl-marets.

L’hymen, qui va vous joindre à l’aimable Angélique,

Va rendre, en même temps, l’allégresse publique ;

Nos plaisirs trop longtemps avaient été troublés.

CRISPIN.

Messieurs, tandis qu’ici vous êtes assemblés,

Je cite devant vous Monsieur de Loisonnière.

VALCREUX, à Crispin.

Fais ta plainte, et voyons quelle en est la matière.

CRISPIN.

C’est pour dix Louis.

VALCREUX.

Dix ? Que répond à cela

Monsieur de Loisonnière ?

LOISONNIÈRE, à Crispin.

Il répond : Les voilà ;

Tiens.

CRISPIN, à Loisonnière.

Fort bien : serviteur.

À Fatencour.

Il faut encor Florine ;

Je vous la redemande...

FATENCOUR, à Crispin.

Il est bon qu’elle opine

Là-dessus ; car ton mal...

CRISPIN.

Hé ! mon mal est guéri ;

Je suis sain comme il faut, pour être son mari.

FATENCOUR.

J’y consens.

À Florine.

Qu’en dis-tu ?

FLORINE, à Fatencour.

J’obéis avec joie.

VALCREUX, à Fatencour et à Fondnid.

Jouissez du bonheur que le Ciel vous envoie;

Et y conservant toujours la paix où vous voilà,

C’est le moyen...

 

 

Scène XVIII

 

M. et MADAME FATENCOUR, FONDNID, D’ISL-MARETS, ANGÉLIQUE, ARPALIS, VALCREUX, LOISONNIÈRE, CRISPIN, FLORINE, LA TOUR, UN LAQUAIS

 

UN LAQUAIS, à Valcreux.

Monsieur, tous ces Messieurs sont-là.

VALCREUX, au Laquais.

Nous allons les trouver ; vas, cours vite leur dire.

 

 

Scène XIX

 

 

M. et MADAME FATENCOUR, FONDNID, D’ISL-MARETS, ANGÉLIQUE, ARPALIS, VALCREUX, LOISONNIÈRE, CRISPIN, FLORINE, LA TOUR

 

VALCREUX.

Je vous régale tous ; allons songer à rire,

Et noyer dans le vin l’importun souvenir

Des fâcheux démêlés qui viennent de finir.

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