Pompéia (Jean-Galbert de CAMPISTRON)

Tragédie en cinq actes, en vers.

1697.

 

Personnages

 

MESSALA, Consul

QUINTUS-POMPÉIUS-RUFUS, Sénateur, Père de Pompéia

CLODIUS, Patricien

POMPÉIA, Femme de Jules-César, Fille de Q. Pompéius-Rufus

JULIE, Sœur de Jules-César

PHILLA, Gouvernante de Pompéia

PLOTINE, Confidente de Julie

FÉLIX, Confidente de Clodius

TULLUS, Suivant du Consul

ALBIN, Domestique de Jules-César

 

La scène est à Rome, dans le Palais de Jules-César.

 

 

PRÉFACE

 

L’aventure de Clodius et de Pompéia, est si connue qu’il paraît inutile d’en parler. Ceux qui en voudront apprendre les circonstances, n’ont qu’à lire diverses Lettres de Cicéron à Atticus. Plutarque dans la Vie de Jules César ; et Suetone ; nos Romanciers, et nos Compositeurs d’Anecdotes galantes, se sont aussi exercés sur le même sujet.

Rien n’est plus simple que le fonds de cette Fable. Clodius introduit chez César pendant la solennité des Fêtes de la bonne Déesse, Pompéia répudiée par César. Voilà en deux mots toute la Tragédie.

Lorsque feu M. de Campistron l’a composée, il sentit tout le comique dont un semblable sujet était susceptible. Mais il trouva dans son génie les ressources nécessaires pour faire de cet événement, une Tragédie intéressante, noble, remplie des plus grands mouvements ; et enfin, ce pathétique qui fait naître la terreur et la compassion. On lui a souvent oui dire en parlant de cet Ouvrage, Pompéia aura un grand succès, ou tombera à la première représentation. Point de milieu. Il jugeait de ses Ouvrages sans prévention. Qualité rare dans un Auteur.

M. de Campistron avait fait cette Pièce après avoir fait jouer Tiridate. Il l’avait mise en état d’être donnée au Public. On en a vît la copie au net en 1697 ; elle avait été lue aux grands Juges du temps. Feu M. le Prince de Conti se plaisait à en réciter certains morceaux dont il avait été touché ; il accusait souvent la paresse de l’Auteur : et Campistron promettait toujours de donner Pompéia. Enfin la guerre où il fallait suivre feu M. le Duc de Vendôme, ne laissa plus à Campistron le loisir de préparer et de faire jouer la Pièce. Il laissa en partant pour l’Italie, le manuscrit dans un coffre qu’il trouva perdu à son retour, il ne songea plus à sa Tragédie.

Quelque-temps après sa mort, on trouva dans un mauvais sac quelques papiers. Celui qui fit la découverte ayant lu avec peine ces feuilles dispersées, fut charmé d’avoir recouvré une Pièce qu’on croyait perdue depuis longtemps. Il fit déchiffrer du mieux qu’il put ces feuilles, et les envoya à une personne à Paris, qu’il savait avoir été intimement attachée à feu M, de Campistron, et à qui la mémoire de cet aimable Auteur était très précieuse. Celui-ci a mis dans un ordre convenable ces différents lambeaux ; un peu d’application a suffi pour remplir quelques lacunes, et pour substituer les liaisons qui pouvaient manquer à quelques Scènes. Il demanda ensuite la permission à la Veuve de l’Auteur, de la donner aux Comédiens. L’admirable feue Mademoiselle le Couvreur, à qui on avait lu la Pièce, vivait encore. Elle témoignait un empressement extraordinaire pour remplir le rôle de Pompéia : Peut-être aurait-on succombé à ses sollicitations. Mais la mort précipitée de cette grande Actrice dérangea tout, et fit rentrer Pompéia dans les ténèbres d’où le hasard l’avait fait sortir.

Elle aurait été à jamais oubliée, sans l’infidélité d’un Copiste, qui en ayant gardé une copie, lorsqu’on lui confia le manuscrit, a été assez imprudent pour la faire voir. Que sait-on, peut être a-t-il été assez hardi pour vendre la copie toute imparfaite qu’elle est à quelque Libraire. Voilà les rairons qui ont déterminé les personnes intéressées à la gloire de M. de Campistron, à faire imprimer cette Œuvre posthume.

Au reste, on prie le Lecteur de se souvenir que les Ouvrages publiés après la mort de leurs Auteurs, ont communément moins de perfection que ceux qui sont donnés sous leurs yeux. On le supplie aussi de mettre sur le compte de l’Éditeur toutes les fautes de quelle nature qu’elles soient, et tous les défauts que la lecture de cette Pièce lui découvrira. On espère qu’il ne sera pas fâché du présent inespéré qu’on lui fait. Le petit exposé qu’on fait ici des diverses fortunes de Pompéia, est une preuve du peu d’apparence qu’on vit jamais cette Tragédie imprimée.

Il est défendu par le Privilège, de la représenter en aucun temps sur aucun Théâtre Public, si l’on n’en a la permission des Héritiers de feu M. de Campistron.

 

 

ACTE I

 

 

Scène première

 

POMPÉIA, PHILLA

 

PHILLA.

Madame, de mes soins, votre amitié se lasse.

Je le vois : ma présence ici vous embarrasse.

Occupée à chercher les lieux les plus secrets.

Vous y renouveliez sans cesse vos regrets,

Écoutez-moi, Madame, et daignez me répondre ?

Rentrons ; à mes discours vous semblez vous confondre.

Interdite ; vos yeux se remplissent de pleurs.

POMPÉIA.

Pouvez-vous demander d’où partent mes douleurs ?

Un obstacle éternel à mon bonheur s’oppose.

Philla, de mes soupirs, ignorez-vous la cause ?

Vous, dont les mains cent fois ont pris soin d’essuyer

Les larmes que j’ai cru vous devoir confier.

Et cette indigne ardeur si souvent déclarée.

PHILLA.

Quoi ! des mêmes ennuis sans cette déchirée !

En voulez vous nourrir le charme dangereux ?

Ne sauriez-vous dompter un penchant malheureux ?

De vos engagements soutenez la noblesse ;

L’Épouse de César doit être sans faiblesse.

La gloire qui partout accompagne ses pas.

POMPÉIA.

Sa gloire me condamne, et ne m’enflamme pas.

Cruel devoir ! Faut-il qu’à moi même arrachée,

Au destin de César, le sort m’ait attachée ?

César par cent vertus digne de me charmer,

Et qu’avec ces vertus, je ne saurais aimer.

Va, celle de m’offrir la séduisante image.

Clodius.

PHILLA.

Est-il temps de tenir ce langage ?

Madame, de vos yeux, vous l’avez pu bannir,

Achevez. Il en faut perdre le souvenir.

POMPÉIA.

Loi bizarre ! Un amour en naissant légitime,

Ne change point d’objet, et devient un grand crime.

Avant de voir César, Clodius m’avait plu ;

Et bientôt notre hymen aurait été conclu.

Douce erreur ! Vains désirs ! Espérance trompée !

L’ambitieux César, et mon oncle Pompée,

S’adressent à mon Père, et veulent que ma main,

De leur réunion soit le gage certain.

Hélas ! vous le savez à l’Autel amenée ;

Sans me plaindre un moment, j’achevai l’hyménée.

PHILLA.

Libre dans votre choix, vous auriez dû parler ;

Madame, en cet état, pourquoi dissimuler ?

Ne pouviez-vous ?

POMPÉIA.

Liée à mon devoir sévère.

Devais-je résister aux volontés d’un père ?

Je vous dirai bien plus, sous un bandeau fatal,

La gloire me cachait la moitié de mon mal.

Je voulus étouffer une naissante flamme ;

Je crus que je crois maîtresse de mon âme.

Téméraires projets, vous êtes confondus.

Je cours après les biens que mon cœur a perdus,

Et j’ajoute aux ennuis dont je suis poursuivie,

L’inutile remords de m’être ainsi trahie.

PHILLA.

Ne vous souvient-il plus ?

POMPÉIA.

Sinistre événement,

Ai-je pu me résoudre à perdre mon Amant ?

Sainte loi du devoir si longtemps respectée.

J’en frémis. Mais à peine êtes-vous écoutée :

Ne pourrai-je calmer un feu séditieux ?

Sors de mon triste cœur, et suis loin de mes yeux

Tu vois, qu’à me haïr, moi-même je t’excite ;

Tu me cherches partout, et partout je t’évite.

Clodius, porte ailleurs une vaine amitié ;

J’aurais trop à rougir d’une indigne pitié.

Je t’ai trahi. Je dois chérir mon injustice.

Pardonne ; tu ne peux augmenter mon supplice.

Le destin irrité te suscite un vengeur ;

Dans l’amour sans espoir, qui dévore mon cœur.

PHILLA.

Juste Ciel ! quels discours me faites-vous entendre ?

D’une coupable ardeur, que pouvez-vous attendre ?

Ouvrez les yeux, Madame, et revenez à vous ?

César, le grand César, n’est-il plus votre Époux.

POMPÉIA.

Plus mon Époux est grand, plus je suis criminelle ;

Et ma confusion n’en est que plus cruelle.

En fuyant Clodius, je pourrai l’oublier.

Il faut rompre des nœuds qu’on ne peut délier.

Immolons des désirs si mortels à ma gloire.

Par de pénibles soins, effaçons la mémoire

De tout ce qui pourrait un jour me reprocher,

Qu’un autre que César aurait pu me toucher.

PHILLA.

Que ce dessein me plaît ! Quelle serait ma joie ?

De voir finir les maux dont vous des la proie.

J’espère que bientôt le destin adouci,

Fera régner la paix. Mais Rufus vient ici.

 

 

Scène II

 

RUFUS, POMPÉIA, PHILLA, ALBIN

 

RUFUS, à Albin.

Qu’on nous laisse. Pour vous Philla dont la sagesse,

Par mon choix de ma fille, a conduit la jeunesse.

Demeurez. Votre ardeur pour tous nos intérêts.

Vous allure le droit d’entrer dans nos secrets.

 

 

Scène III

 

RUFUS, POMPÉIA, PHILLA

 

RUFUS.

Épouse d’un Héros que l’Univers révère.

Ma fille votre cœur n’a plus de vœux à faire.

César chéri partout, et par tout redouté ;

De nos puissants États fait la félicité.

Les destins, ses exploits, sa sagesse profonde,

Le portent à grands pas vers l’Empire du Monde.

Le Sénat vient encor de montrer aujourd’hui,

Que son plus ferme espoir n’est fondé que sur lui ;

Puisque pour subjuguer ces Provinces sauvages,

Que la Loire et le Rhin bordent de leurs rivages,

Pour ranger sous nos lois des fières Nations,

Il l’a déclaré Chef de douze Légions.

Que déjà plein d’ardeur, de joie et d’espérance,

César près de ces murs assemble en diligence.

Il reviendra vainqueur, nous n’en saurions douter ;

Est-il quelqu’ennemi qu’il ne puisse dompter.

Le seul bruit de sa marche et de sa renommée,

Des Gaulois confirmés dissipera l’armée ;

Et déjà triomphant ; cette expédition

Ouvre une autre carrière à son ambition.

Mais pour mieux établir sa future puissance,

Votre Époux cherche à faire une illustre alliance.

À l’heureux Clodius il destine sa sœur, Julie.

Et par ce nœud...

POMPÉIA.

Clodius ; lui, Seigneur ?

RUFUS.

À ce projet d’hymen vous paraissez surprise.

La prudence, l’amour, la gloire l’autorise.

Que votre ardeur réponde à notre empressement.

Concourez à former un lien si charmant.

POMPÉIA.

Moi !

RUFUS.

Vous, de ces Amants, couronnons la tendresse,

Seule dans ce Palais, vous êtes la maîtresse.

César ainsi l’ordonne. Hé ! quelle autre que vous

Doit suivre les désirs d’un Père et d’un Époux ?

Nous comptons sur vos soins. Écoutez-moi ma fille,

Seul relie et doux espoir de toute ma Famille ;

Je vous ai fait passer dans celle d’un Romain,

Dont Albe renferma les Aïeux dans son sein.

Ils y régnaient. L’Albain les voyait à sa tête,

Quand la valeur d’Horace en fit notre conquête.

Des mains de la Victoire en cent lieux couronné.

César illustre encor le Sang dont il est né ;

Par l’éclat de son nom, son crédit, sa vaillance ;

Clodius de César balance la puissance.

Dangereux concurrent. Il gémit en secret,

Du nom de Citoyen qu’il porte avec regret.

De nos Patriciens l’égalité l’outrage :

Il ne respecte en eux, ni leur rang, ni leur âge.

Avide, impatient, prodigue, ambitieux ;

Voluptueux, superbe, ardent, audacieux ;

Constant dans ses projets, téméraire, intrépide,

Et prenant seulement ses passions pour guide.

Tel que je le dépeins, il eut avec ardeur,

Traversé de César la prochaine grandeur.

Il fallait les unir ; cet hymen va le faire.

Unis. Rome, à leurs lois, ne saurait se soustraire.

Il faut qu’elle obéisse. Enfin le temps n’est plus

Où ses Consuls dictaient ses ordres absolus,

Où chacun, ennemi du pouvoir tyrannique,

De ses biens, de son sang servait la République

Et ne craignait jamais que pour sa liberté ;

De nos premiers Héros la noble austérité ;

Du luxe et de l’orgueil est aujourd’hui suivie ?

Leur zèle et leur justice ont fait place à l’envie.

La stérile vertu n’a plus de sectateurs,

Et les Romains sont tous, ou tyrans ou flatteurs.

Puisqu’au mépris des lois de leurs fameux ancêtres,

Ils veulent commander, ou demandent des Maîtres.

Si Silla votre aïeul osa les enchaîner,

Clodius et César doivent les gouverner.

Ils ne sauraient trop loin porter leur espérance

Contre les Mécontents, jaloux de leur puissance.

L’hymen de Clodius est un nouveau rempart ;

Vous êtes la première à qui j’en ai fait part ;

Et je dois au Sénat en porter la nouvelle.

Il va se réparer, mon devoir m’y rappelle.

Ce n’est pas tout encor : avant que de sortir,

Je crois qu’il faut ma fille aussi vous avertir

Qu’on va faire le choix de l’auguste Prêtresse,

Qui doit offrir nos vœux à la bonne Déesse.

Clodius, Messala se déclarent pour nous ;

Et cet illustre emploi ne regarde que vous.

Adieu. Préparez tout pour l’une et l’autre fête.

 

 

Scène IV

 

POMPÉIA, PHILLA

 

POMPÉIA.

Enfin à m’accabler, je vois que tout s’apprête.

Quelle fête cruelle ? et quel ordre inhumain ?

Pour assortir ces nœuds on emprunte ma main.

Après ce coup Philla, que faut-il que j’espère ?

Sentez-vous tout le poids des discours de mon père ?

Connaissez-vous le trait dont il perce mon cœur ?

Pourquoi me traitez-vous avec tant de rigueur ?

Dieux ! à fuir Clodius mon âme est résolue.

Mais en vain ; chaque instant va l’offrir à ma vue.

Projet ; coup désolant que je n’ai pu parer !

À quel nouveaux combats faut-il me préparer ?

Père aveugle, tu veux agrandir ta Famille,

Et tu creuses l’abîme où doit tomber ta fille.

Quel assemblage affreux de tourments, de malheurs ?

Quel honteux désespoir se joint à mes douleurs ?

En fuyant Clodius, je lui donnais des larmes,

Quand mes yeux les versaient, j’y trouvais quelques charmes.

Je croyais qu’accablé d’un éternel ennui ;

Il méritait les maux que je souffrais pour lui.

Flatteuse erreur ! forcez de mon âme séduite !

Devrais-je encor songer à l’ingrat qui me quitte ?

Après tant de serments. Ah ! cruel souvenir !

À la sœur de César, il brûle de s’unir.

Aussitôt que Julie à ses yeux est offerte,

Son hymen lui suffit pour réparer ma perte.

Et moi, malgré l’effort de toute ma raison,

Je ne puis l’oublier après sa trahison.

Épouse de César ; ô Ciel ! l’osai-je dire ?

Clodius, sur mes vœux, garde le même empire ;

Tyrannise mon âme, et dérobe ma foi ;

Au plus grand des humains à qui seul je la doi.

PHILLA.

Madame, quand le Ciel veut finir votre peine ;

Prenez-vous ses faveurs pour des marques de haine ?

Le plus profond repos déformais vous attend ;

Et l’ingrat Clodius vous sert en vous quittant.

Son infidélité doit vous rendre à vous même,

Et tourner tous vos vœux vers l’Époux qui vous aime.

Autrefois mon devoir cédait à ma pitié.

De toutes vos douleurs je sentais la moitié ;

Et croyant Clodius malheureux et fidèle.

Je respectais vos maux et retenais mon zèle.

Aujourd’hui je vous parle avec autorité.

Montrez-lui le mépris qu’il a trop mérité,

Je ne vous permets plus de criminelles craintes,

Et ne veux plus souffrir ni vos pleurs, ni vos plaintes.

POMPÉIA.

Je le sais, je le dois, je les veux étouffer ;

Quelqu’effort qu’il m’en coûte, il en faut triompher ;

Et malgré les ennuis où je suis réservée,

Vous ne rougirez point de m’avoir élevée.

J’en mourrai : mais du moins avec votre amitié.

Digne de mon Époux, digne de la pitié.

Exemple mémorable, innocente victime,

Des funestes penchants que le Ciel nous imprime.

PHILLA.

Pourquoi vous condamner aux horreurs du trépas ?

Ma tendresse pour vous n’y consentira pas.

Que dis-je ? Ce projet offense votre gloire.

Il faut sur ce penchant remporter la victoire.

Qui peut voir ses malheurs avec des yeux sereins,

Brave le monde entier, et commande aux destins.

Qui se donne la mort, veut cacher sa faiblesse.

Ainsi, de vos transports, souveraine maîtresse ;

Vous devez à leur force opposer le devoir

Armer votre raison contre le désespoir ;

Et par tous les efforts que la vertu peut faire ;

Vivre pour surmonter un trouble involontaire.

POMPÉIA.

Hé bien ! à vos conseils j’abandonne mon sort.

Je réglerai par eux, et ma vie, et ma mort.

Rappelions les instants de ma paisible enfance.

Reprenez donc sur moi toute votre puissance.

Combattons j’y consens, un penchant malheureux ;

Contre sa violence, armons-nous toutes deux.

Mais ne me quittez plus, dans ce péril extrême,

Je n’ose un seul moment me fier à moi-même.

Je crains de succomber à de si rudes coups.

Je suis moins agitée et plus ferme avec vous.

Je crois en vous voyant que mon âme partage

Ce que j’admire en vous de force et de courage.

Allons. Venez me voir malgré mes déplaisirs,

Obéira mon père, accomplir ses désirs.

De mes sens mutines, étouffons le murmure.

Faisons ce que prescrit la vertu la plus pure.

Vivons, si je le puis, quoiqu’il faille souffrir ;

Ou d’un œil satisfait mourons, s’il faut mourir.

Mais Albin vient à nous.

 

 

Scène V

 

POMPÉIA, PHILLA, ALBIN

 

ALBIN.

Notre Consul s’avance ;

Madame ; et dans ces lieux cherche votre présence.

Des Licteurs assemblés, la troupe le conduit.

Il marche environné du Peuple qui le suit ;

Qui par des cris perçants fait éclater sa joie.

Si j’en crois un bruit sourd, le Sénat vous l’envoie ;

Et quelque grand dessein doit l’appeler ici.

Par lui-même bientôt vous serez... Le voici.

 

 

Scène VI

 

MESSALA, POMPÉIA, PHILLA, ALBIN, SUITE DU CONSUL

 

MESSALA.

Madame, dans ce jour de pompe et d’allégresse.

Rome offre son encens à la bonne Déesse.

Divinité nourrie, et Mère des Humains.

Cet encens est offert par les plus pures mains ;

Et pour le présenter entre toutes les autres,

Le Sénat assemblé vient de choisir les vôtres.

Votre sexe est chargé de cet auguste emploi ;

Le nôtre en est exclus par une expresse loi ;

Et Fauna qui transmit ce culte à nos ancêtres,

En bannit les devins, les augures, les Prêtres ;

Et voulut qu’une femme eut l’honneur immortel

De sacrifier seule au pied de cet Autel.

Je ne vous dirai point quel en est le mystère.

Quels soins à la Déesse ont le bonheur de plaire.

Des vœux qu’elle reçoit les secrets importants ;

À nos profanes yeux sont cachés de tout temps.

Madame, et vous allez sans peine les apprendre

Des femmes, qui bientôt doivent ici le rendre.

Qu’on élève l’Autel, quand il sera paré,

Les Vestales viendront porter le feu sacré,

Et la nuit ramenant la paix et le silence ;

C’est à vous d’ordonner que la fête commence.

Qu’il y règne surtout une sainte pudeur.

Que votre cœur tremblant, et de crainte, et d’horreur,

Soit semblable à celui de cette chaste Reine,

Qui des Peuples Latins autrefois souveraine ;

Ne regarda jamais que le Roi son Époux ;

Et voulut consacrer ces fêtes parmi nous.

Rome pour retracer ce noble caractère,

Fait le plus digne choix qu’elle ait jamais pu faire.

Elle espère par vous que propice à ses vœux,

La Déesse rendra tous les enfants heureux ;

Leur soumettra la Terre, et par de grands miracles,

Dégagera la foi de nos sacrés Oracles.

Enfin, souvenez-vous que le fort des Romains,

Madame, par ce choix est remis en vos mains.

Que dans ce sacrifice une faute légère,

Nous peut de la Déesse attirer la colère ;

Exciter sa vengeance, et nous accabler tous :

Mais puisque votre cœur doit lui parler pour nous.

Ses grâces dans nos champs vont s’épancher sans cesse ;

Que n’en obtiendra pas une telle Prêtresse.

Adieu.

 

 

Scène VII

 

POMPÉIA, PHILLA

 

PHILLA.

Quoi ! vous sortez ?

POMPÉIA.

Laissez-moi respirer.

Au fonds de ce Palais courons-nous retirer.

Les discours du Consul ont jette dans mon âme

De nouvelles terreurs. Et je veux fuir...

PHILLA.

Madame,

De grâce modérez...

POMPÉIA.

Je dois cacher mes pleurs ;

Et je vais renfermer ma honte et mes douleurs.

 

 

ACTE II

 

 

Scène première

 

RUFUS, JULIE, PLOTINE

 

RUFUS, à Julie.

Vous qui fûtes toujours à nos devoirs fidèle.

Vous que Rome naissante eut cité pour modèle.

Vous de qui les attraits égalent le grand cœur.

Vous enfin, de César l’illustre et chère sœur,

Madame, le Sénat permet votre hyménée :

Il nous charge du soin de votre destinée.

Au nom de Clodius d’une commune voix,

J’ai vu les Sénateurs applaudir à ce choix.

Je ne m’attendais pas que sans montrer d’ombrage, 

Ils nous dussent sitôt accorder leur suffrage.

Cependant c’en est fait ; et par mes soins heureux,

Nous touchons à l’instant qui va combler nos vœux.

Vous savez comme moi, combien cette alliance

Des premiers Citoyens augmente la puissance.

Clodius et César par votre hymen liés,

Verront dans peu de temps Rome entière à leurs pieds.

Mais avec Clodius par ces nœuds engagée ;

Songez de quel emploi vous vous trouvez chargée.

Songez que les desseins qui nous occupent tous,

Ne pourront déformais s’accomplir que par vous.

JULIE.

Pour ces vastes projets, Seigneur que puis-je faire ?

RUFUS.

Ménager les esprits d’un Époux et d’un frère ;

Et pour les réunir employer tour-à-tour

Les tendresses du sang et celle de l’amour.

Les cœurs ambitieux font pleins de défiance.

César et Clodius malgré leur alliance,

Exposés chaque jour à des soupçons secrets ;

Et peut-être oubliant leurs communs intérêts,

Pourront également se haïr et se craindre ;

Dans ce funeste état que nous ferions à plaindre.

Vous, seule en ces moments sinistres à tous deux,

Par de tendres discours, par des soins généreux ;

Rappelant l’amitié bannie ou chancelante,

Rendez leur union glorieuse et constante.

Voilà les seuls conseils qu’on doive vous donner,

Voilà par quelle vue il faut vous gouverner.

Mais ma fille paraît. Je vous laisse avec elle.

 

 

Scène II

 

POMPÉIA, JULIE, PHILLA PLOTINE

 

POMPÉIA.

Les soins de votre hymen sont commis à mon zèle.

Madame, vous pouvez vous reposer sur moi :

Mais du moins confiez vos secrets à ma foi.

Sentez-vous le bonheur que le Ciel vous envoie ?

JULIE.

Je ne veux point chercher à contraindre ma joie ;

Et j’ose sans rougir m’applaudir à vos yeux

Du destin qui m’attend et des faveurs des Dieux.

J’ai vu jusqu’à ce jour ma fortune incertaine.

J’en sentais, je l’avoue, une secrète peine.

Mon état quelquefois m’a coûté des soupirs :

Mais si jamais mon cœur a formé des désirs ;

Cet hymen a toujours borné mon espérance.

Mon orgueil, nos desseins, l’éclat de ma naissance,

Me demandent l’Époux que j’obtiens aujourd’hui ;

Et dans Rome mes yeux n’ont distingué que lui.

Madame, Clodius devenant ma conquête,

Mes désirs sont remplis ; et mon âme s’arrête

À ce choix... Albin vient... Vous pouvez avancer.

 

 

Scène III

 

POMPÉIA, JULIE, PHILLA, PLOTINE, ALBIN

 

ALBIN.

Madame, Clodius que j’ai su devancer,

Demande à voir Julie. Une nombreuse suite...

POMPÉIA.

Des devoirs importants veulent que je vous quitte.

Ma présence d’ailleurs contraindrait vos discours.

À vos nouveaux soupirs donnez un libre cours.

Adieu. Fasse le Ciel qu’une union si belle,

De gloire et de plaisirs soit la source éternelle

À mille soins livrée en ce jour solennel.

Je sors. Et vous rejoins pour aller à l’Autel.

 

 

Scène IV

 

JULIE, CLODIUS, PLOTINE, FÉLIX

 

CLODIUS, à Félix.

Quoi ! toujours m’éviter ?

FÉLIX.

Seigneur, c’est à Julie.

Que vous devez songer...

CLODIUS.

Funeste tyrannie.

Madame, pardonnez, si mon empressement... 

Qu’un bonheur imprévu cause d’étonnement.

Embarrassé, confus, rempli d’impatience ;

J’ai peine, je l’avoue, à rompre le silence.

De divers mouvements dans mon cœur confondus,

Rendent ma voix sans force et mes sens éperdus,

Que dis-je ? Un doux espoir vient dissiper ma crainte.

Je puis donc avec vous m’expliquer sans contrainte.

Est-il pour un mortel un sort plus éclatant ?

Quel bonheur est semblable à celui qui m’attend ?

On me promet un bien où je n’osais prétendre.

À peine j’ai parlé... Que de grâces à rendre !

Par quels soins ? Par quels vœux, sans cesse répétés ?

Clodius pourra-t-il mériter vos bontés ?

Mais, que fais-je ? Au moment que d’un doux hyménée,

Dans mon cœur satisfait je marque la journée.

J’ignore si César en formant ces liens,

A pris soin d’accorder vos vœux avec les miens.

Ma présence peut-être, et vous trouble, et vous gêne.

Madame, verriez-vous cet hymen avec peine ?

JULIE.

N’attendez pas de moi ces transports éclatants,

Que produisent des feux allumés dès longtemps.

Libre jusqu’à ce jour, puisqu’il faut vous le dire,

J’ai gardé sur mon âme un souverain empire.

De la main de César j’attendais un Époux.

Je vois avec plaisir son choix tomber sur vous ;

Et si pour obéir aux ordres de mon frère :

Il ne faut qu’approuver le choix qu’il vient de faire.

Je vous suivrai sans peine aux pieds de nos Autels.

Où les Dieux entendrons nos serments mutuels.

Ne me point opposer aux désirs de votre âme ;

Par mon consente ment répondre à votre flamme

Estimer vos vertus et vous donner ma foi ;

N’est-ce point satisfaire à ce que je vous doi.

Après cela, Seigneur, souffrez que je vous laisse.

 

 

Scène V

 

CLODIUS, FÉLIX

 

CLODIUS.

Je l’abuse, et mes soins surprennent sa tendresse.

Lorsque pour Pompéia, je soupire en secret.

Tandis que je la viens épouser à regret ;

Et que le cœur atteint de mortelles blessures.

Pour elle mes serments ne sont que des parjures.

FÉLIX.

Hé ! que prétendez-vous, Seigneur, en l’épousant ?

Serez-vous plus heureux en vous tyrannisant ?

Quel sort est plus affreux que d’avoir une épouse,

Qu’on voit avec dépit, et qui toujours jalouse,

Vous fera malgré vous partager ses ennuis ?

CLODIUS.

Qu’est-il de plus affreux que l’état où je suis ?

Je ne vois plus pour moi de malheurs redoutables ;

Et tous les changements me seront favorables.

FÉLIX.

Seigneur, détrompez-vous, je connais vos douleurs.

Vous pouvez être en butte à de plus grands malheurs.

Craignez encor du sort quelque retour funeste.

CLODIUS.

Après ce qu’il a fait, je brave tout le reste.

Pour tromper mon espoir, pour briser mon orgueil,

Avec quel soin les Dieux choisissent un écueil ?

J’aime, je sens des feux dont l’ardeur me dévore ;

Un rival à mes yeux obtient ce que j’adore.

Quel rival ? Un rival que je hais sans retour,

Funeste à ma grandeur, funeste à mon amour.

Car enfin, César seul m’a fait sentir dans Rome,

Qu’avec tout mon orgueil, j’y devais craindre un homme.

Dès nos plus jeunes ans mes yeux virent en lui,

Ces talents, ces vertus qui brillent aujourd’hui.

Égaux en dignités, en fortune, en naissance ;

Nos esprits s’offensaient de cette ressemblance ;

Et jaloux en secret, chacun de son côté,

Cherchait à se tirer de cette égalité.

César par les exploits depuis quelques années,

Semble plus haut que moi porter les destinées.

Son sort a plus d’éclat : cependant tous les jours,

Il vient dans le Sénat implorer mon secours ;

Et lorsqu’il en reçoit le plus faible avantage,

Il le doit à les faits bien moins qu’à mon suffrage.

Félix, le croira-t-on ? J’ai vu sans désespoir,

Affaiblir mon crédit, chanceler mon pouvoir.

Aimé de Pompéia, contant de ma victoire ;

César, mon tendre cœur, te pardonnait ta gloire.

Mais Dieux ! L’Amour a mis ce que j’aime en tes bras.

C’est un crime, Félix, qu’on ne pardonne pas ;

Et donc jusqu’à la mort, que mes maux précipitent ;

Je sens que ma douleur, et ma haine s’irritent.

FÉLIX.

Vous le haïssez donc ? Et cependant, Seigneur,

Vous vous liés à lui par l’hymen de sa sœur.

À louer ses exploits, votre bouche animée,

Suit toujours, et prévient souvent la Renommée.

Prend-t-on pour un ami des soins plus généreux ?

CLODIUS.

Félix, sans nous aimer, nous nous servons tous deux.

Telle est de nos pareils l’ordinaire maxime.

Le cœur sent rarement ce que la bouche exprime.

Par le seul intérêt unis, ou séparés.

Les droits de l’amitié, des Grands sont ignorés.

Je m’allie à César sans consulter ma haine,

Pour confondre l’envie et la fierté Romaine ;

Pour réunir en nous toute l’autorité,

Et monter à la place où Pompée est monté.

L’espoir de voir plier Rome sous ma puissance,

Me faisait de César rechercher l’alliance :

Mais les maux que je souffre, et l’amour que je sens,

M’en inspirent encor des motifs plus pressants.

En vain, je veux calmer une flamme indocile.

Clodius n’est point fait pour être Amant tranquille.

Tu me connais : conçois quel est mon désespoir.

L’injuste Pompéia refuse de me voir.

Ses yeux de notre ardeur autrefois interprètes.

Ses yeux qui m’ont causé tant de douceurs secrètes :

En tout temps, en tous lieux, constants à m’éviter,

Sur un Amant trahi craignent de s’arrêter,

Que sais-je ? En me voyant près d’épouser Julie,

Peut-être a-t-elle cru ma tendresse affaiblie.

Ah ! que cette pensée est mortelle à mon cœur !

Dans le temps qu’il s’immole à son premier Vainqueur.

Il faut la détromper et lui faire comprendre.

FÉLIX.

Voudra-t-elle, Seigneur, vous voir et vous entendre ?

CLODIUS.

Beau-frère de César, Félix, je la verrai,

Et peut-être qu’un jour je me justifierai.

Languissant, désolé, je déteste la vie.

Terminons les moments dont elle est poursuivie.

Projets, plaisirs, espoir, tout est fini pour moi.

Cet indomptable Amour qui me tient sous sa loi,

Apprivoise mon âme et la rend généreuse.

Oui, je suis satisfait, si vous êtes heureuse,

Pompéia ; par mes soins, par mes tendres secours,

Vous verrez vos honneurs s’accroître tous les jours.

Utile à sa grandeur mon amitié fidèle,

En servant son Époux travaillera pour elle.

De mon zèle pour lui ses yeux seront témoins.

À ce funeste prix, je la verrai du moins.

Je borne ma fortune au seul bien de sa vue.

Voilà dans mon hymen la fin que j’ai prévue.

Hélas ! c’en est assez pour un infortuné,

Qu’à d’éternels ennuis le Ciel a condamné.

Achevons cet hymen ; par ce triste remède,

Donnons quelque relâche au mal qui me possède.

FÉLIX.

Mais, Seigneur, songez-vous à quelle extrémité ?

CLODIUS.

Du parti que je prends je vois l’indignité.

Je me trahis ; j’offense et César, et Julie.

Pompéia me contraint à cette perfidie.

J’ai formé ce projet, et veux l’exécuter.

Barbare ! vos rigueurs loin de me rebuter,

Irritent une ardeur malheureuse et constante.

Pour la voir il n’est rien que mon amour ne tente.

Je vais donc à l’autel ; et viens avec transport

Chercher dans ses regards ou la vie, ou la mort.

Trop heureux, si je puis, bannissant la contrainte,

À cet aimable objet faire entendre ma plainte ;

Et si l’attendrissant par mes derniers adieux,

J’expire à ses genoux, ou du moins à ses yeux.

FÉLIX.

Seigneur, souffrez encor...

CLODIUS.

Non, il n’est pas possible.

Furieux, entraîné par un poids invincible.

Ma raison, tes conseils ne sauraient m’éclairer.

Tu le vois ; tout conspire à me désespérer.

Je ne puis supporter la douleur qui m’accable ;

Et jamais Clodius ne fut si redoutable.

Viens, Félix. Je n’ai plus de mesure à garder,

En l’état où je suis, je dois tout hasarder.

 

 

ACTE III

 

 

Scène première

 

JULIE, PLOTINE

 

JULIE, en entrant.

Clodius dévoré d’une ardeur insensée,

Adore Pompéia des mêmes traits blessée.

Non, je ne croirai point ce discours imposteur.

Je connais Pompéia, je réponds de ton cœur.

J’admire également ses vertus et ses charmes.

Elle voit mon hymen sans trouble et sans alarmes.

À nos yeux elle-même en presse le moment.

PLOTINE.

Madame, pardonnez ; on se trompe aisément... 

Cependant ce secret dont j’ai dû vous instruire,

Peut vous faire songer.

JULIE.

Que viens-tu me dire ?

Grâces à mon orgueil, libre jusqu’à ce jour,

J’ai vécu sans désirs, et j’ai bravé l’Amour.

Je n’ai jamais connu les fureurs, ses tendresses,

Ses craintes, ses plaisirs, ou plutôt ses faiblesses ;

Et sans plaindre les cœurs gémissants sous sa loi ;

J’ose le défier de passer jusqu’à moi.

Mon âme inébranlable en craint peu la surprise

Clodius et César forment une entreprise.

J’en suis le nœud, Plotine, et leurs efforts sont vains ;

Si pour les couronner je ne prête mes mains.

L’hymen de Clodius assure leur victoire.

D’un projet si brillant, je partage la gloire.

Ce n’est point pour l’amour que mon cœur fut formé.

Il fut d’un plus beau feu de tout temps enflammé.

C’est à l’ambition que ce cœur sacrifie ; 

Et je veux quelque jour que l’Univers publie.

Que César devait moins l’Empire à sa valeur,

Qu’aux nobles sentiments qu’il trouva dans sa sœur.

PLOTINE.

Ainsi, vous souffrirez sans trouble, et sans murmure.

JULIE.

Je saurai prévenir, ou venger cette injure.

Respectables devoirs, qu’êtes-vous devenus ?

Je vous cherche dans Rome, et ne vous trouve plus.

Temps heureux ! en naissant on dévouait sa vie,

L’Épouse à son Époux, l’Époux à sa Patrie.

Tandis qu’aux champs de Mars, l’un cueillait des lauriers,

L’autre dans sa maison élevait des Guerriers.

Nous faisions gloire alors de notre obéissance.

Notre honneur consistait dans notre dépendance.

Le luxe ni l’orgueil, n’avaient pas infecté,

De nos cœurs innocents, l’aimable pureté.

Contentes des beautés qu’on doit à la Nature ;

Modestes, nos vertus faisaient notre parure.

De l’austère pudeur, le joug est méprisé ;

Et nos femmes prenant un chemin opposé.

Au crime triomphant des vertus étouffées.

Dans leurs cœurs corrompus élèvent des trophées.

PLOTINE.

J’oserais soupçonner qu’un mouvement jaloux,

Contre les mœurs de Rome allume ce courroux.

JULIE.

Que tu me connais mal ? Moi, je serais jalouse ?

Je vais t’ouvrir mon cœur. Si Clodius m’épouse,

Qu’importe que l’Amour le range sous ma loi,

J’aurai part à sa gloire, et c’est assez pour moi.

PLOTINE.

Mais, si pour Pompéia.

JULIE.

Quelle terrible image ?

Plotine avec horreur mon esprit l’envisage.

Par de coupables feux notre honneur outragé,

Quoiqu’il en pût coûter serait bientôt vengé.

Cependant je ne puis la croire criminelle.

Sa vertu la défend et me parle pour elle.

Sur de légers soupçons, pourquoi la condamner ?

Pour convaincre un perfide, on doit l’examiner.

Il faut, Plotine, il faut, éclaircir ce mystère.

Mettre à couvert ma gloire, et celle de mon frère.

Pénétrer de leurs cœurs les sentiments secrets ;

Les perdre, et les punir des crimes qu’ils ont faits.

Je la vois. Mon courroux a peine à se contraindre.

Et je vais lui montrer tout ce qu’elle doit craindre.

 

 

Scène II

 

POMPÉIA, JULIE, PHILLA, PLOTINE

 

POMPÉIA.

Allons, Madame, allons. La nuit dans ce Palais

Fera bientôt régner les ombres et la paix.

On n’attend plus que nous. Ces femmes empressées,

De nos retardements pourraient être offensées.

Partagés les honneurs qu’on me fait aujourd’hui.

JULIE.

Rendez grâce à César, vous les tenez de lui.

Mon frère est grand Pontife, et cet auguste titre,

D’un mystère si saint, vous fait nommer l’arbitre.

Mais parmi tant d’honneur, Madame, sentez-vous ?

Tout ce que vous devez à ce fameux Époux.

Votre cœur pénètre d’estime et de tendresse

Tandis qu’il est absent, y pense-t-il sans cesse ?

Est-il toujours brûlé de l’ardeur de le voir ?

Il le doit maintenant par un double devoir.

Si votre main n’est pure, et votre cœur fidèle,

N’allez pas présenter l’encens à l’immortelle,

Je vous laisse en secret examiner ces lois.

Soutenez dignement la gloire d’un tel choix.

Tremblez ; et si votre âme, ou se trouble ou s’égare,

Gardez-vous d’approcher de l’Autel qu’on prépare.

 

 

Scène III

 

POMPÉIA, PHILLA

 

POMPÉIA.

Que veut-elle me dire ? Et quel est son dessein ?

Ses yeux auraient-ils lu ce secret dans mon sein ?

Tu m’accables des traits de ta fureur jalouse,

Cruelle ! Clodius m’abandonne et t’épouse.

Abusons son esprit de soupçons occupé.

Je le puis : mais le Ciel peut-il être trompé.

Hélas ! que ses conseils sont de sanglants reproches,

De ce terrible Autel évitons les approches.

Cachons-nous. Vous Romains, cherchez un autre cœur,

Le mien est occupé d’un indigne vainqueur.

N’en pouvant triompher, je me rendrai justice,

Et n’ose me charger du soin du sacrifice.

PHILLA.

Venez, venez sans crainte approcher de l’Autel.

Hé ! pourquoi votre cœur serait-il criminel ?

Ne s’oppose-t-il plus à ce penchant funeste ?

POMPÉIA.

Sans cesse il en gémit : toujours il le déteste.

Jamais contre soi-même on n’a tant combattu.

PHILLA.

Que peut tenter de plus la sublime vertu ?

Cet effort en plus beau que la pure innocence.

Marchez donc à l’Autel pleine de confiance.

Allons.

POMPÉIA.

Sur votre foi, je vais m’y présenter.

Mais que vois-je ?

 

 

Scène IV

 

POMPÉIA, CLODIUS, PHILLA, FÉLIX

 

CLODIUS, à Félix.

Elle sort. Il l’a faut arrêter.

Ménageons cet instant, Félix. Enfin, Madame ;

Connaissez mes projets et les soins de mon âme.

Apprenez que mon cœur...

POMPÉIA.

Je ne veux rien savoir.

CLODIUS.

Quoi ? lorsque pénétré d’un mortel désespoir,

Je viens vous déclarer...

POMPÉIA.

Votre dessein m’offense ;

Et je n’attends de vous qu’un éternel silence.

Ne perdez point le temps en discours superflus.

Allez trouver Julie, et ne me parlez plus.

 

 

Scène V

 

CLODIUS, FÉLIX

 

CLODIUS.

Elle fuit l’inhumaine, et je suis immobile.

Elle fait : mais en vain, sa suite est inutile :

À ses yeux irrités je veux encor m’offrir.

Je l’instruirai des maux qu’elle me fait souffrir.

Avant que je succombe à ma douleur mortelle,

Elle apprendra du moins que j’expire pour elle.

FÉLIX.

M’en croirez-vous, Seigneur ; fuyez-la sans retour ?

CLODIUS.

En me parlant ainsi connais-tu mon amour ?

Connais-tu ton pouvoir ? Songe qu’il est extrême ;

Qu’il a sur ma raison un empire suprême,

Et qu’il s’aigrit encor par la difficulté.

Je veux de Pompéia vaincre la cruauté.

Quelque soit son courroux, Félix, je le défie.

Elle plaindra mon fort si je me justifie.

À la sœur de César elle me croit fournis.

J’entrevois tes soupçons dans les yeux ennemis.

Tandis que cette erreur la séduit et m’accuse,

À la moindre pitié son âme se refuse.

Sans peine à son devoir je la vois obéir.

Que dis-je ? Sans effort elle croit me haïr.

Froideur, raison, vertu, contre moi tout s’assemble :

Et le dépit plus fort que tous les trois ensemble.

FÉLIX.

Vains désirs, vains projets, espoir encor plus vains.

Quel moyen de la voir ?

CLODIUS.

J’en découvre un certain.

Qu’à propos dans ces lieux le destin me l’apprête.

Dans cet appartement on célèbre la fête ;

Qu’à la bonne Déesse on offre tous les ans ;

Et Pompéia pour Rome y présente l’encens.

Je puis dans ce Palais m’enfermant avec elle ;

Lui parler, la tirer de son erreur cruelle.

Il faut tout hasarder pour calmer son courroux.

Je ne balance plus.

FÉLIX.

Ah ! que proposez-vous !

De ce mystère saint bravant le privilège ;

Irez-vous y mêler l’horreur d’un sacrilège ?

Je frémis du destin que vous osez former.

CLODIUS.

Dans l’état où je suis rien ne peut m’alarmer.

FÉLIX.

Ignorez-vous l’abîme où l’amour vous entraîne.

Si vous êtes surpris votre perte est certaine.

Le Peuple et le Sénat d’une commune voix,

Voudront qu’on vous immole à la rigueur des lois.

De la Religion la suprême puissance ;

De Rome contre vous armera la vengeance.

Seigneur, au nom des Dieux, ne précipitez rien ;

Vous jouirez en paix d’un si cher entretien.

Dans dix jours au plus tard vous épousez Julie.

Et vous pourrez alors...

CLODIUS.

Il y va de ma vie.

Le dessein en est pris : je ne puis t’écouter.

Je sens des mouvements que je ne puis dompter.

L’heureuse occasion que le sort me présente,

Ne m’échappera pas. Mon âme impatiente...

FÉLIX.

Hé ! comment pensez-vous demeurer en ces lieux ?

D’un sexe défiant tromperez-vous les yeux ?

Songez-y ? Ce projet vous serait inutile.

CLODIUS.

Plus il est incroyable, et plus il est facile.

La nuit me favorise et sans être connus,

Jusques dans ce salon nous sommes parvenus.

Qui pourrait m’arrêter ? Au mystère attentives,

Ce Palais n’est rempli que de femmes craintives.

Enfin, quelque danger que j’y doive courir,

Je l’ai juré ; je veux le tenter ou périr.

Je veux voir Pompéia, la forcer de m’entendre.

Le Sénat et les Lois ont beau me le défendre ;

J’abandonne ma tête à l’horreur de leurs coups.

FÉLIX.

Mais redoutez le Ciel irrité contre vous.

En entrant dans ces lieux, je n’ai pu voir sans crainte,

Le pompeux appareil d’une fête si sainte.

Seigneur, de cet Autel, les hommes écartés,

Sans crime ne sauraient voir ces solennités.

CLODIUS.

De ma témérité, penses-tu qu’il s’offense ?

Le Ciel connaît mon cœur, et voit mon innocence.

Déesse, ce n’est point pour braver tes Autels,

Pour faire triompher des désirs criminels :

Qu’aujourd’hui Clodius assiste à cette fête.

Un soin plus affligeant dans ce Palais m’arrête.

M’excuser et me plaindre est tout ce que je veux.

Pardonne au désespoir d’un Amant malheureux.

Ne perdons point de temps ; déjà la nuit s’avance.

Laisse-moi seul ici. Va, sors en diligence.

FÉLIX.

Seigneur, vous vous perdez...

CLODIUS.

Ne me réplique pas,

Tu parlerais en vain. Précipite tes pas.

 

 

Scène VI

 

CLODIUS, seul

 

Mais, hélas ! Quel transport ! Quel mouvement m’agite ?

Mes yeux ouvrent enfin, et ma fureur me quitte.

Que fais-je ? Dans quels lieux mon amour m’a conduit ?

Téméraire projet ! Triste et fatale nuit !

Faible raison ; je vois quelle est ton impuissance.

Lorsqu’il n’en est plus temps, je vois mon imprudence.

Le danger que je cours ne saurait m’ébranler.

Pompéia, c’est pour vous que j’apprends à trembler.

Si je suis découvert, vous ferez soupçonnée.

Que ma tête à tomber soit plutôt condamnée.

Votre péril tout seul. Quels terribles combats ?

Tout un sexe en secret jaloux de ses appas,

Et mourant de dépit de la trouver trop belle.

Sans rien examiner, la croira criminelle ;

Et d’un prétexte faux prenant l’occasion,

Animera le peuple à sa punition.

Julie. Ah ! ce nom seul redouble mes alarmes !

Qu’elle se vengerait du mépris de ses charmes.

Protégés Pompéia ; Dieux ! sauvez tant d’attraits.

À ce prix ; je consens de ne la voir jamais.

Quel effroi me saisit ? Quelle horreur m’épouvante ?

Jusqu’aux moindres objets que ce lieu me présente.

Tout aide à m’étonner : ces jours si révérés ;

Cet auguste silence, et ces flambeaux sacrés.

Je frémis du succès qu’aura mon entreprise.

J’entends du bruit. On vient. Évitons la surprise.

Je puis encor sortir. Appliquons tous nos soins

À tromper, s’il se peut, les regards des témoins.

 

 

Scène VII

 

POMPÉIA, CLODIUS caché

 

POMPÉIA.

Ne serai-je jamais dans un état tranquille ?

Contre un charme ennemi, n’est-il point quelque asile ?

Faut-il le détester, et pourtant le nourrir ?

Déesse par pitié, daigne me secourir.

Donne un heureux succès aux vœux que je t’adresse.

Il y va de ta gloire à vaincre ma faiblesse,

Elle m’a fait rougir au pied de ton autel ;

Et craignant d’allumer ton courroux immortel,

Du trouble de mon cœur en secret indignée ;

De tes mystères saints, je me suis éloignée.

Je m’agite ; et partout mon désespoir me suit.

Je cherche le repos, et le repos me fuit.

Perfide Clodius ! Seul Tyran de ma vie !

Hélas ! rends-moi la paix, c’est toi qui l’as bannie.

Que te servent mes pleurs répandus tous les jours.

Ah ! puisses-tu du moins les ignorer toujours !

Et que j’expire avant que de faire connaître,

Les indignes transports que je sens pour un Traître.

CLODIUS, à part.

Qu’entends-je ? Elle m’accuse ? Ah ! c’est trop balancer :

Montrons-nous, tout mon sang est prêt à se glacer.

POMPÉIA.

Retournons à l’Autel où mon devoir m’appelle.

CLODIUS.

Rassurons-nous, parlons ; courons au-devant d’elle,

Madame.

POMPÉIA.

Quelle voix me frappe et confond ?

CLODIUS.

Ma présence vous jette en un trouble profond.

Je n’en suis pas surpris. Et je crois...

POMPÉIA.

Quelle vue ?

Je me sens pénétrer d’une horreur imprévue.

La force et la raison me quittent à la fois.

CLODIUS.

Du Ciel et du Sénat, je viole les Lois.

Je l’ai prévu. J’affronte une mort inhumaine.

Jugez quel intérêt dans ce péril m’entraîne ?

Quel pouvoir souverain me conduit en ces lieux ?

Puisqu’il me fait braver les hommes et les Dieux.

POMPÉIA.

Je n’en puis revenir. Quelle fureur ? Quel crime ?

CLODIUS.

L’amour désespéré m’a conduit dans l’abîme.

De grâce, écoutez-moi. Je ne demande rien,

Que l’unique faveur d’un moment d’entretien.

Ne me répondez point : mais souffrez que j’expose,

Madame, de mes maux l’étendue et la cause.

Je suis brûlé d’un feu par vos yeux allumé.

Je le sens redoubler quand l’espoir m’enfermé.

Avec un soin cruel, vous fuyez ma présence.

De César pour vous voir, je brigue l’alliance.

Je l’obtiens. Je me donne à sa sœur malgré moi.

Qu’a produit cet effort ? Vous soupçonnez ma foi.

Vous suivez les conseils d’un aveugle caprice.

Aux règles du devoir, vous joignez l’injustice.

J’exige un entretien pour vous désabuser,

Vous êtes obstinée à me le refuser.

Le désespoir alors me fait tout entreprendre.

Je vous vois. Je ne sais si vous daignez m’entendre.

Voilà dans quel état je me trouve réduit.

Hâtez l’instant fatal de la mort qui me suit.

Votre austère vertu contre moi déclarée,

Doit se joindre aux Romains qui l’ont déjà jurée.

Je l’attends sans regret ; si par tant de malheurs,

Je puis en expirant, vous couter quelques pleurs.

Dans ces derniers moments rien ne doit vous contraindre.

Le plus sacré devoir vous permet de me plaindre,

Madame, et c’est trop loin pouffer la cruauté,

Que de voir mon trépas avec tranquillité.

POMPÉIA.

Ma raison et mes sens reprennent leur usage.

Ne prendras-tu jamais conseil que de ta rage ?

Jusques dans ce Palais se montrer devant moi.

Détournez, Dieux puissants ! les maux que je prévoi !

Et vengez vos Autels d’un mortel téméraire.

La foudre de son crime est le juste salaire.

Mais, que fais-je ? Les cris dont je frappe les Cieux,

Avant que d’y monter doivent remplir ces lieux.

On viendra me trouver, si je suis entendue.

Elle aperçoit Julie.

Retire-toi, te dis-je ? Hélas ! je suis perdue !

C’en est fait, Je ne prends que des soins superflus ;

Et je vois le témoin que je craignais le plus.

 

 

Scène VIII

 

POMPÉIA, JULIE, CLODIUS

 

CLODIUS.

Ciel ! défends l’innocence, et montre la justice.

JULIE.

Madame, qui vous fait quitter le sacrifice ?

Pourquoi ? Mais quel objet ? En croirai-je mes yeux ?

Un profane Mortel vous retient dans ces lieux.

D’un sacrilège amour la coupable insolence,

Va du Ciel contre nous exciter la vengeance.

Perfide ! aucun respect n’a pu vous retenir ?

Tremblez ! Rome et les Dieux s’arment pour vous punir.

Qu’à l’instant du Palais, les portes soient fermées.

Et vous d’un saint courroux par ma voix animées.

Mes compagnes, venez...

POMPÉIA.

Sauve-toi, malheureux.

CLODIUS.

Moi, je vous laisserai dans le temps...

POMPÉIA.

Je le veux.

CLODIUS.

Non.

POMPÉIA.

Obéis ? On crains de mériter ma haine.

Fuis. La porte du Tibre est la route certaine.

 

 

Scène IX

 

POMPÉIA, JULIE

 

JULIE.

Qu’on l’arrête ? Il m’échappe ; et je le vois partir.

Du chemin le plus sur vous l’osez avertir.

Et pour précipiter sa suite qu’il diffère ;

Votre bouche et vos yeux font armés de colère.

Clodius, dont tantôt vous me vantiez la foi,

Vous aimoir. Ce reproche est indigne de moi.

Non. Je ne puis douter de votre intelligence,

Quand je vois vos frayeurs et son obéissance.

Madame, après ce crime inconnu parmi nous,

Quel parti dois-je prendre entre mon frère et vous ?

Qu’attendez-vous de moi ?

POMPÉIA.

Que votre haine égale

Mon supplice à l’horreur que cause une rivale.

Madame, à vos soupçons vous pouvez m’immoler.

Contente de mon cœur, je ne dois point trembler.

 

 

Scène X

 

JULIE, seule

 

Tu n’en dois point douter. Je te rendrai justice.

De la fausse vertu, je connais l’artifice ;

Et sans que je m’abaisse à des soupçons jaloux ;

Je vois en toi l’objet de mon juste courroux.

L’intérêt de César, celui de la Patrie ;

La gloire de mon nom par tes crimes flétrie.

Tous les droits les plus saints que tu viens de trahir,

Imposent à mon cœur la loi de te haïr.

Je la suis. Et sachant le sort que tu dois craindre ;

Je n’en suis point touchée ; et je ne puis te plaindre.

Me préserve le Ciel, de jamais épargner...

 

 

Scène XI

 

JULIE, ALBIN

 

ALBIN.

La tristesse et l’horreur dans Rome vont régner.

Ces femmes qu’en ces lieux on avait assemblées,

Courent de toutes parts confuses et troublées ;

Et semblent par leurs cris jusqu’aux Cieux élevés ;

Sentir déjà les maux qui nous sont réservés.

Les Dieux sont irrités, et nos Citoyens tremblent.

Les plus séditieux en tumulte s’assemblent.

Le Peuple et le Sénat n’ont ici qu’une voix,

Pour livrer à la mort deux traitres à la fois.

Deux perfides Amants dont la flamme funeste,

Lance sur nous les traits de la haine céleste,

On cherche Clodius, et sa suite, et la nuit

Ne sauraient le cacher au peuple qui le suit :

Mais vous de Pompéia seule dépositaire,

Madame, quel destin lui prétendez-vous faire ?

Allez-vous la livrer au Consul, au Tribun ?

Et voir couler son sang pour le salut commun.

JULIE.

Est-ce à moi de prescrire une telle vengeance ?

Que son sort soit réglé par César qu’elle offense.

Seul il doit prononcer : il ne part que demain,

Et son armée est prête à marcher vers le Rhin.

Allez. Ses pavillons sont tendus à nos Portes.

Il assemble, il instruit nos vaillantes cohortes.

Lié par son serment sans des ordres nouveaux,

Il ne quittera plus sort Camp, ni ses Drapeaux.

Portez-lui de ma part cette triste nouvelle,

Et par un prompt retour montrez-lui votre zèle.

C’est par les ordres seuls qu’un frère aura dictés,

Que je veux me conduire en ces extrémités.

 

 

ACTE IV

 

 

Scène première

 

POMPÉIA, PHILLA

 

PHILLA.

Madame, au nom des Dieux...

POMPÉIA.

Votre soin m’importune,

Philla, vous connaissez toute mon infortune.

Vous voyez que les Dieux, les hommes et le sort,

Me poursuivent sans celle avec le même effort.

Quand le Ciel qui devait s’armer pour ma défense,

Sous l’ombre des forfaits cache mon innocence.

Ce Ciel qui seul témoin... Ne suivez plus mes pas,

Si vous ne me montrez le chemin du trépas.

PHILLA.

Vos malheurs sont si grands, que je n’ose les croire.

J’en rappelle en tremblant la déplorable histoire.

Chaque trait m’en étonne, et présente à mes yeux

Un exemple effrayant de la haine des Dieux.

La mère de César, Rome entière, Julie,

Flétrissent votre honneur, menacent votre vie.

Que dira votre Époux ? qui tant de fois vainqueur,

Devait seul pour toujours posséder votre cœur.

À quel excès César portera sa colère ?

POMPÉIA.

J’en prévois le courroux : mais que dira mon père ?

De tous les ennemis que je crains aujourd’hui,

Philla, je n’en vois point de si cruel que lui.

Comment à son aspect oserai-je paraître ?

Voudra-t-il pour sa fille encor me reconnaître ?

Quelle entrevue, hélas ! Et quels trilles discours ?

Ce n’est plus que de vous que j’attends du secours.

Songez...

PHILLA.

N’en doutez point. Je tiendrai ma promesse.

Votre père paraît, Madame ; et je vous laisse.

 

 

Scène II

 

RUFUS, POMPÉIA

 

RUFUS.

Quel tumulte insolent ? Quelle audace ? Quels cris ?

Ma fille, au nom des Dieux, rassure mes esprits.

Ai-je bien entendu ? Rome en fureur publie,

Que tu viens de flétrir la gloire de ta vie ;

Qu’oubliant en ce jour tout ce que tu te dois.

Qu’au mépris d’un Époux, et d’un père, et des Lois.

Seule avec Clodius, que ton cœur favorise,

Par Julie en ce lieu, tu viens d’être surprise.

Vous ne répondez point. Ah ! père infortuné !

Ton désordre, tes pleurs, ce silence obstiné.

Les secrètes terreurs dont mon âme est atteinte ;

Confirment à la fois, et ta honte et ma crainte.

Opprobre de mon sang, suis mon juste courroux.

POMPÉIA.

Votre fille est toujours, Seigneur, digne de vous ;

Et digne du Héros à qui l’hymen l’engage.

Elle vous voit, vous parle, en faut-il davantage.

RUFUS.

Ainsi, par un faux bruit, notre honneur offensé...

Courons ; et confondons un discours insensé.

Le peuple me faisait un rapport peu sincère ;

Et jamais Clodius...

POMPÉIA.

Apprenez ce mystère.

Il est vrai, Clodius, malgré moi m’a donné

Un amour que mon cœur a toujours condamné.

Que ce feu malheureux cause de tant d’alarmes,

M’a couté de soupirs, m’a fait verser de larmes.

Je pourrais vous celer ce secret odieux,

Qui caché dans mon sein, n’est connu que des Dieux.

Mais, Seigneur, je vous fais l’aveu de ma faiblesse.

Vous croirez cependant que jamais ma tendresse

Ne m’a fait oublier les lois de mon devoir ;

En aimant Clodius, j’ai cesse de le voir,

À l’hymen de César vous m’avez destinée,

Quand vers un autre objet mon âme était tournée.

RUFUS.

Que ne le disiez-vous ?

POMPÉIA.

Je le voulus cent fois ;

Et la crainte toujours vint étouffer ma voix.

De vos ordres pressants l’autorité suprême.

La honte d’une fille à déclarer qu’elle aime.

Mon orgueil, ces leçons de devoir et d’honneur,

Qu’au sortir du berceau l’on grava dans mon cœur.

La gloire d’obéir même sans résistance ;

Tout m’imposa, Seigneur, un pénible silence.

RUFUS.

Ah ! qu’est-ce que j’apprends ? Mais ce charme indompté,

Enchaînant ta raison avec ta liberté ;

Sans craindre le courroux d’un Époux et d’un père,

A donc pu...

POMPÉIA.

Je n’ai fait que ce que j’ai dû faire.

Je pardonne aux Romains leurs injustes soupçons.

Pour les fortifier, Julie a ses raisons.

Ils ne m’outragent point en me croyant coupable.

Mais vous de tels forfaits me croyez-vous capable ?

Quoi ! Seigneur, votre cœur ne parle pas pour moi ?

N’êtes-vous pas contre eux le garant de ma foi ?

RUFUS.

Que leur dirai-je ? hélas !

POMPÉIA.

Hé ! puis-je vous l’apprendre ?

Si la nature manque à vous le faire entendre.

Vous le savez, Seigneur ; et malgré mon amour,

Mon honneur n’a souffert d’atteinte qu’en ce jour.

Daignez en ce moment jeter sur moi la vue ;

Vous verrez sur mon front mon âme toute nue :

Et si vous m’écoutez, la simple vérité,

Suffit pour attendrir votre cœur irrité :

Seigneur, de Clodius je ne suis point complice ;

Il a sans mon aveu troublé le sacrifice.

À son impie aspect, j’ai tremblé, j’ai frémi.

Il m’a causé l’horreur qu’inspire un ennemi.

De tous les Dieux vengeurs implorant l’assistance ;

J’attendais que sa mort signalât leur puissance,

Dans le temps que Julie a paru devant nous.

Surprise, elle a suivi les mouvements jaloux.

Par son ordre on allait punir ce téméraire.

Seigneur, dans ce moment, je ne veux point les taire.

Un reste de pitié malgré moi le plus sort,

Me l’a fait dérober à ce funeste sort.

Je l’ai pressé de fuir ; j’ai ménagé sa suite.

Voilà mes attentats : vous en voyez la suite.

Je ne vous trompe point. Quel en serait le fruit ?

Tromperai-je avec vous, Rome qui me poursuit ?

Désarmerai-je un peuple ardent à ma ruine ?

Qui me punit des maux que le Ciel lui destine.

Je n’en serai pas moins l’objet de son courroux,

Quand vous prendrez pour moi des sentiments plus doux.

Écoutez donc, Seigneur, la voix de la Nature ;

Elle démêlera cette étrange aventure.

Croyez que votre sang et celui de Silla,

Ne saurait dans mon cœur se trahir jusques-là.

Rendez-moi le seul bien que le destin me laisse.

Heureuse si je meurs avec votre tendresse.

RUFUS.

Oui ; je cède, ma fille, et te rends mon amour,

Je n’impute qu’au sort le malheur de ce jour.

Désabusé, content ; quel bonheur pour ton père ?

Dieux ! de qui je la tiens, cette fille si chère !

Soyez ses défenseurs contre tant d’ennemis ;

C’est à vous déformais que ses jours sont commis :

Dévoilez l’imposture, et confondez l’envie.

Que si votre courroux veut trancher une vie ;

Contentez-vous du sang d’un père infortuné ;

Et révoquez l’arrêt que vous avez donné.

Adieu. Je cours, ma fille, embrasser ta défense.

 

 

Scène III

 

POMPÉIA, seule

 

Que cet heureux retour flatte mon espérance !

L’innocence à la fin retrouve un protecteur,

Qui confondra la voix d’un peuple accusateur.

Qui peut à mon Époux expliquer ma disgrâce ;

Et de mes ennemis humilier l’audace.

Peut-être... Mais quel bruit arrivé jusqu’à moi ?

Où fuir... Quoi ! Clodius ? Est-ce lui que je voi ?

 

 

Scène IV

 

POMPÉIA, CLODIUS, FÉLIX

 

CLODIUS.

Madame, pardonnez à ma terreur mortelle.

Ne craignez rien ; l’amour n’anime plus mon zèle.

Un soin plus généreux m’arme et me fait agir.

Vous pouvez accepter mes secours sans rougir.

Sortez de ce Palais, que Julie outragée,

Ne voulait vous ouvrir qu’après s’être vengée.

Je viens vous délivrer de ses barbares mains.

Hâtez-vous ? Prévenons les malheurs que je crains.

Cherchez auprès d’un père un glorieux asile.

Qu’une fois Clodius puisse vous être utile.

POMPÉIA.

Dieux !

CLODIUS.

Ne balancez plus ; honteux de me cacher,

À vos persécuteurs je yeux vous arracher,

Rufus n’ose montrer qu’une pitié frivole.

Les Romains mutinés autour du Capitole,

L’étonnent ; à des pleurs il borne son secours.

Pour moi qui ne sais rien de si cher que vos jours.

Aveugle en mes périls, je ne vois que les vôtres ;

De si grands intérêts écartent tous les autres.

Avec quelques amis par Félix rassemblés,

J’ai couru, j’ai volé vers ces lieux désolés.

Tout un peuple m’attend armé contre ma vie ;

Que je la perde au moins pour vous avoir servie.

Allons.

POMPÉIA.

Présomptueux de quoi te charge-tu ?

Ne sauras-tu jamais respecter ma vertu ?

Pourquoi prends-tu pour moi des soins illégitimes ?

Ton amour ne peut-il briller que par des crimes ?

Et par les lois du sort devins-tu mon Amant ?

Pour être de mes maux l’éternel instrument.

CLODIUS.

Ô Ciel !

POMPÉIA.

Quelle fureur dans ce Palais t’attire ?

Quel espoir t’y conduit ? Quel démon te l’inspire ?

Tu veux que je te suive, et qu’en quittant ces lieux,

Je mérite les maux dont m’accablent les Dieux.

Non, ce n’est point assez que tes yeux téméraires,

De leur culte sacré profanent les mystères.

Si tes emportements ne me font partager,

D’un horrible forfait la honte et le danger.

Hélas ! de ma pitié, c’est la suite fatale.

Je l’ai sauvé des mains d’une fière Rivale.

J’ai conservé sa vie ; et ce soin malheureux ;

Me livre à la rigueur du sort le plus affreux.

Tu me viens outrager sans craindre ma colère.

Tu crois que tes transports ne sauraient me déplaire ;

Et tu comptes pour rien mon honneur soupçonné,

Pourvu qu’à tes désirs sans crainte abandonné.

Tu sois l’heureux objet des crimes qu’on m’impute.

Ah ! que de tes pareils la fureur persécute !

Triste présent des Cieux, qu’un Amant tel que toi,

Dont l’orgueil indiscret fait la suprême loi !

Victime de ses feux la vertu la plus pure ;

Tôt ou tard est en proie aux traits de l’imposture.

CLODIUS.

Quels reproches ? Hélas ! que je suis confondu ;

À tout ce que j’entends me serais-je attendu ?

Faut-il qu’en vous servant je vous livre à l’envie,

Tandis que votre honneur m’est plus cher que ma vie ?

Pour vous voir, j’ai tenté des efforts criminels :

Pour vous voir, j’ai bravé les Dieux et les Autels.

Vous me le reprochez. N’est-ce pas votre ouvrage ?

Aveuglé par l’amour, dévoré par ma rage,

Jusqu’aux plus noirs excès j’ai porté mes fureurs.

Vos refus, vos mépris ont causé ces horreurs.

POMPÉIA.

Que prétend ?...

CLODIUS.

Par mes soins ma gloire confirmée.

Mes travaux, mes exploits, mon sang, ma renommée.

Mon crédit au Sénat dont César est jaloux.

L’amitié des Romains, j’ai tout perdu pour vous :

La honte désormais, la mort me sont offertes.

Mais, Madame, du moins profitez de mes pertes :

Acceptez le secours que je viens vous offrir.

POMPÉIA.

Va, laisse un vain projet que je ne puis souffrir,

À t’écouter encor, dois-je être condamnée ?

Je saurai bien sans toi régler ma dessinée.

Sors, et songe à la tienne.

CLODIUS.

Oui, je vais y songer.

Vous êtes offensée, et je dois vous venger.

Des plus affreux transports je sens la violence.

Contre tant de malheurs, je manque de constance.

Mourons. C’est aux destins résister trop longtemps.

Rome, vous, et les Dieux, vous serez tous contents.

Mais non. Ce n’est qu’à vous que je veux satisfaire :

Trop heureux une fois de ne vous pas déplaire.

Coupable envers le Ciel, criminel envers vous,

Je ne crains point sa haine, et crains votre courroux.

Des mystères sacrés j’ai troublé l’innocence ;

La Déesse à son gré vengera son offense :

La vôtre est impunie, il l’a faut effacer.

Par les flots de mon sang que ma main va verser.

Recevez-le, Madame, et que ce sacrifice

Prouve à tout l’Univers que je me rends justice.

Il se veut tuer.

C’en est fait.

FÉLIX.

Modérez ce transport furieux,

Seigneur.

POMPÉIA.

Qui te permet d’ensanglanter ces lieux ?

CLODIUS.

Laissez-moi me punir. Quoi ! ma mort vous alarme ?

Vous refusez mon sang, et Félix me désarme.

Madame, expliquez-vous, est-ce haine ou pitié ?

À Félix.

Toi, cruel ! Que prétend ta funeste amitié ?

Parle ?

 

 

Scène V

 

MESSALA, POMPÉIA, CLODIUS, FÉLIX, TULLUS

 

MESSALA.

Quoi ! dans ces murs oser encor paraître ?

Lorsque Rome en fureur ne voit en vous qu’un Traître.

Vous causez ses malheurs, et venez la braver.

Votre coupable amour ; rien ne vous peut sauver.

Qu’on le garde avec soin, disposez les cohortes.

Entourez ce Palais, occupez-en les portes.

Tullus, et de ma part annoncez aux Romains ;

Qu’enfin ce Criminel est tombé dans leurs mains.

Que sa propre fureur le livre à leur vengeance. 

TULLUS.

J’y cours.

 

 

Scène VI

 

MESSALA, POMPÉIA, CLODIUS, FÉLIX

 

CLODIUS.

Avec justice exerce ta puissance,

Messala, sans songer que tu la tiens de moi.

Rempli tous les devoirs que Rome attend de toi.

Ne rue ménage plus comme un ami fidèle,

Dont les soins t’on marqué la tendresse et le zèle.

Tu commence d’agir en Consul, en Romain.

Marche d’un pas égal dans le même chemin.

Sois attentif. Connais l’innocence, et le crime.

N’offre au Ciel irrité qu’une seule Victime.

En me punissant seul tu satisfais aux Lois ;

Et tu me rends ainsi plus que tu ne me dois.

Voilà ce que j’attends de ta reconnaissance ;

Je mourrai satisfait avec cette assurance.

Je ne crains point de toi de lâche trahison ;

Et puisque grâce aux Dieux, ton Collègue Pison

Qui du rang qu’il occupe indignement abuse,

Est encor pour longtemps retenu dans Brunduze.

Seul maître de mon sort tu feras ton devoir.

MESSALA.

Je ne tiens que de vous ma place et mon pouvoir.

Mon amitié vous doit encore davantage.

Seigneur, vous savez trop à quoi Rome m’engage,

Pour penser... Oui, mon cœur sentira vos malheurs.

Sans doute votre sort me coutera des pleurs.

Mais malgré les consuls d’une pitié sincère,

Vous ne sauriez trouver de Juge plus sévère.

Tels sont mes sentiments. Pour vous, Madame, hélas !

Quel funeste sujet conduit ici mes pas ?

Quel affreux changement souffre votre fortune ?

Tantôt fameux objet de l’estime commune.

Rome vous honorait du plus illustre emploi.

Son Peuple, son Sénat s’expliquèrent par moi.

Je viens, et vous prier, et vous chercher moi-même ;

J’abaissai jusques-là ma dignité suprême.

Dans ces heureux moments, aurais-je du prévoir,

Que vous alliez trahir le plus sacré devoir ?

Que Rome à vous punir serait intéressée.

Que je vous reverrais... affligeante pensée !

Étrange égarement !

POMPÉIA.

Clodius, écoutez ?

Concevez, s’il se peut, ce que vous me coutez ?

Le discours du Consul vous le sera comprendre ?

CLODIUS.

Je devais expirer avant que de l’entendre.

Confus désespéré, digne de mille morts ;

Où pourrai-je cacher ma honte et mes remords ?

Madame ? pour jamais, je fuis votre présence.

 

 

Scène VII

 

MESSALA, POMPÉIA

 

MESSALA.

Je vais avec chaleur prendre votre défense.

Madame, heureux encor de pouvoir aujourd’hui,

Vous servir, vous sauver, et ne perdre que lui.

POMPÉIA.

Arrête, Messala ? Quand Rome me menace ;

Je demande justice, et ne veux point de grâce.

D’une vaine pitié ton cœur est combattu.

Je ne prétends devoir mes jours qu’à ma vertu.

Adieu.

 

 

Scène VIII

 

MESSALA, seul

 

Quelle fierté ! Je la plains et l’admire.

Elle a ce noble orgueil que l’innocence inspire.

Allons. Et des Romains ménageons le courroux.

Sur le seul Clodius, faisons tomber leurs coups.

 

 

ACTE V

 

 

Scène première

 

JULIE, seule

 

Albin ne revient point. Qu’aura-t-il à me dire ?

Quels ordres ? Quels devoirs viendra-t-il me prescrire ?

Qu’aura pensé mon frère après un tel malheur ?

Quels transports ? Quels effets produira sa douleur ?

Pourra-t-il balancer à punir cette offense ?

Pourquoi ? Mais quelqu’un vient. C’est Albin qui s’avance.

 

 

Scène II

 

JULIE, ALBIN

 

JULIE.

Avez-vous vu César ? Et qu’a-t-il résolu ?

ALBIN.

De ses ressentiments toujours maître absolu.

Madame, il n’a point cru son Épouse coupable ;

Et de ses attentats le récit véritable,

N’a pu déconcerter cette noble froideur.

Qui du cœur de César annonce la grandeur.

Je l’aimais, a-t-il dit, cette Épouse accusée ;

Ses charmes seuls régnaient dans mon âme abusée.

Elle aurait pu... Couvrons au plus épais rideau

Tout ce qu’a d’affligeant un si triste tableau :

Qu’elle ne craigne point que César la poursuive.

Si Rome le permet je consens qu’elle vive :

Mais comme elle n’est point exempte de soupçon,

Que dans Rome l’envie ose attaquer son nom.

Je brise les liens d’un funeste hyménée.

Je ne veux plus la voir puisqu’elle est soupçonnée.

Je ne puis dans les miens souffrir rien d’imparfait ;

Et chez moi le soupçon est égal au forfait.

Retournez. Que par vous, ou plutôt par Julie ;

La loi que je prescris fait bientôt accomplie.

JULIE.

Oui, je vais l’accomplir, un Juge est-il cruel ?

Qui fournis à la loi, proscrit un criminel.

J’admire ta douceur, cher frère, et ta justice.

Écoute, Pompéia, l’arrêt de ton supplice.

Quelle sera ta honte en sortant de ces lieux ?

César, elle est encor innocente à tes yeux :

Mais eut-elle plus loin porté ses perfidies.

Tu la punis assez quand tu la répudies.

Elle vient. Il est temps qu’elle apprenne son sort.

 

 

Scène III

 

POMPÉIA, JULIE, ALBIN

 

JULIE.

Albin revient du Camp, et m’a fait le rapport,

De la punition que César vous impose.

POMPÉIA.

Hé bien ? Est-ce à la mort que mon Époux m’expose ?

J’irai sans murmurer...

JULIE.

Quittez un nom si doux ;

Ne le profanez point ; vous n’avez plus d’Époux.

César vous répudie.

POMPÉIA.

Ah ! que viens-je d’entendre ?

JULIE.

Au dernier des tourments vous deviez vous attendre.

Mais, mon frère vainqueur de ses premiers transports,

A remis sa vengeance à vos propres remords.

À ce honteux divorce il borne sa justice.

Allez. Vous pouvez suivre un infâme complice.

Apaisez les Romains, et n’appréhendez pas,

Que mon frère ni moi, pressions votre trépas.

Je frémis de l’état où vous êtes réduite :

Mais c’est le digne fruit d’une indigne conduite,

Rentrons Albin. Et vous, sortez de ce Palais,

Et songez en sortant qu’on n’y rentre jamais.

POMPÉIA, tandis que Julie sort.

Injuste Époux ! Et toi Rivale impitoyable ;

Soûlez-vous du plaisir de me voir misérable.

 

 

Scène IV

 

POMPÉIA, seule

 

César me répudie ! Ai-je bien entendu ?

Cet arrêt formidable a donc été rendu ?

Un opprobre éternel va suivre ma mémoire.

Je traînerai des jours sans estime et sans gloire.

Et Rome pour jamais nourrissant son erreur,

Ne peut penser à moi, qu’en frémissant d’horreur.

Dans cet honteux état l’Univers me contemple :

À mon sexe indigné je vais servir d’exemple.

César me répudie ! Et voilà de quels coups,

Il me frappe en quittant le nom de mon Époux.

À d’injustes soupçons César me sacrifie ;

Et croit me faire grâce en me laissant la vie.

Peut-être qu’on m’envie un trépas si soudain.

Non. Ma mort est un coup qu’on réserve à ma main.

Quoi ! de mes attentats on veut tirer vengeance ?

Qu’on consulte le Ciel qui voit mon innocence.

Je vous atteste Dieux ! Pourquoi permettez-vous,

Que de tout l’Univers j’éprouve le courroux ?

Qu’à Rome, qu’à César, je serve de victime :

La honte qui me suit, est-elle légitime ?

Vous le savez, grands Dieux ! J’ai senti malgré moi,

Un odieux amour dont j’ai bravé la loi.

À repousser ses traits constamment attachée :

Toujours à mes désirs je me suis arrachée.

Mon cœur fut déchiré ; mais non pas abattu.

Du moindre égarement j’ai sauvé ma vertu.

Les moments de ma vie ont tous été pénibles.

Hélas ! quel est le fruit de ces combats terribles ?

Efforts que le succès a toujours couronnés :

Par les décrets du Ciel vous étiez condamnez.

Je vois qu’on me prépare un infâme supplice.

Dieux puissants ! est-ce ainsi qu’agit votre justice ?

 

 

Scène V

 

POMPÉIA, PHILLA

 

POMPÉIA.

Ah ! Philla, savez-vous ?

PHILLA.

Je sais que pour jamais

César vous interdit sa vue et son Palais.

Je sais que votre Époux vous a permis de vivre.

Je sais que les Romains n’oseraient vous poursuivre.

Le Peuple, le Sénat, le Consul, et Rufus,

Travaillent de concert à perdre Clodius ;

Il ne peut échapper ; et sa mort assurée...

POMPÉIA.

Il mourra ; cependant, je suis déshonorée ; 

Et je verrais le jour. Par cette lâcheté...

Mettons, chère Philla, ma gloire en sûreté.

Maîtresse de mon sort, je renonce à la vie.

Je veux par mon trépas faire taire l’envie,

Et confondre à la fois les destins ennemis.

Donnez-moi le secours que vous m’avez promis.

PHILLA.

D’une sainte amitié l’effort le plus sublime

Va payer, s’il se peut, cette marque d’estime,

Formé par les vertus, je sais que votre cœur,

N’a point de Clodius flatté la folle ardeur.

Que vous importe, hélas ! Que seule j’en réponde :

Vous n’en serez pas moins coupable aux yeux du monde.

Du mépris général serez-vous moins l’objet ?

César formera-t-il un plus trille projet ?

De son cœur, de son lit, serez-vous moins bannie ?

Mourez, dérobez-vous à tant d’ignominie.

Madame, dans des maux sans ressource et sans fin,

On doit même expier les crimes du destin.

POMPÉIA.

Pourquoi différez-vous à remplir mon attente ?

Croyez-vous qu’en ce jour ma vertu se démente ?

Que craignez-vous ?

PHILLA.

Hélas ! je ne crains que pour moi.

Ai-je pu-me charger de ce terrible emploi ?

Quand Rufus à mes soins commit votre jeunesse.

Que je vous dévouai mon zèle et ma tendresse.

Aurais-je dû prévoir que la rigueur du sort,

Me contraindrait un jour à presser votre mort ?

Il le faut toutefois. Avec ce mime zèle,

Cette même tendresse attentive et fidèle,

Qui me faisait veiller au salut de vos jours.

Je vous ouvre un chemin pour en trancher le cours.

J’en frémis. Que ne puis-je en prenant votre place,

Faire tomber sur moi tout ce qui vous menace.

Mon cœur impatient de s’immoler pour vous,

Volerait avec joie au-devant de mes coups.

Mais telle est la rigueur du sort qui vous opprime,

Qu’on ne peut l’apaiser par une autre victime.

Le temps presse. Achevons. Recevez de ma main

Un poison qui toujours porte un trépas certain.

Cet anneau le renferme.

POMPÉIA.

Ah ! quel heureux service ?

Elle prend le poison.

Donnez... que je me plais à ce grand sacrifice.

Que ne puis-je exprimer mes secrets sentiments ?

Connaitrez-les du moins par mes embrassements.

PHILLA.

Hélas !

POMPÉIA.

Ne versez point de larmes inutiles ;

On peut pleurer des jours glorieux et tranquilles :

Mais les miens désormais agités et honteux,

Ne valent pas les pleurs qui couleraient pour eux.

César, c’est à toi seul que je me sacrifie.

Que dans ton cœur au moins ma mort me justifie.

Je vais malgré les lois mourir dans ton Palais.

Tu gémiras un jour des maux que tu me fais ?

Qu’ils sont cruels ! Mais quoi ? Je t’adresse des plaintes ?

Ces soupirs échappés marquent-ils quelques craintes ?

Non, non ; jamais mon cœur ne fut moins combattu,

Cet autre devoir que soutient ma vertu,

Ne me paraît jamais moins difficile à suivre.

Qui se plaint en mourant demande encor à vivre ;

Et moi, pour qui la vie est le plus grand des maux.

Qui trouve dans la mort la fin de mes travaux.

Bien loin d’en soupirer, je m’y livre avec joie,

Et baise avec transport la main qui me l’envoie.

PHILLA.

Me refuserez-vous après un tel malheur,

Le plaisir de mourir de ma seule douleur.

Dieux puissants !

POMPÉIA.

Mon destin ne dépend plus de Rome

Les peines l’ont suivi, le poison le consomme.

Je respire ; et je sens quelque tranquillité.

Grâces au prompt secours que vous m’avez prêté.

PHILLA.

Je ne m’en repends pas, j’ai senti par avance,

Ce que me préparait cette trille assistance.

Mais on vient.

 

 

Scène VI

 

MESSALA, RUFUS, POMPÉIA, PHILLA

 

MESSALA.

Les Romains se déclarent pour vous.

Sur le seul Clodius éclaté leur courroux.

Madame, à tous les yeux votre innocence brille ?

RUFUS.

Grâce aux Dieux, je n’ai plus à craindre pour ma fille,

Vos malheurs vont finir... vivez...

POMPÉIA.

Il n’est plus temps.

Rien ne peut éloigner le trépas que j’attends.

Le poison va trancher ma déplorable vie.

RUFUS.

Qu’entends-je ? Quelle main peut vous avoir servie ?

PHILLA.

C’est la mienne ; Seigneur, j’ai fait ce que j’ai du.

À ses empressements mes soins ont répondu.

J’en mourrai. Mais mon cœur amoureux de sa gloire.

MESSALA.

Ô soin digne en effet d’éternelle mémoire ?

Rome retrouve encor des cœurs si généreux.

Noble effort...

RUFUS.

Il console un père malheureux.

Je pleure, et te regarde avec des yeux d’envie.

Heureux qui comme toi sait mépriser la vie.

Meurs ; et fais que César au récit de ta mort,

Déteste son erreur, et déplore ton sort,

Ma fille, et qu’à jamais ta cendre respectée...

POMPÉIA.

Au milieu de mes maux cet espoir m’a flattée.

Libre, j’ai pu donner l’essor à mes désirs.

J’ai pu vers Clodius envoyer mes soupirs ;

Et nourrir mes transports de la douce espérance,

Que l’hymen quelque jour serait ma récompense.

Mais depuis que César en me rendant ma foi,

A confirmé ma honte et son mépris pour moi.

Des feux que j’ai senti les ardeurs sont cessées,

Et la gloire et l’objet de toutes mes pensées.

RUFUS.

À quels pleurs désormais mes yeux seront ouverts ?

Cache-moi tes vertus, et tout ce que je perds,

Ma fille par pitié, paraît moins estimable.

POMPÉIA.

Soutenez-moi. Voici le moment favorable.

Le venin dans mon cœur achève ses efforts.

Un froid mortel me glace, et saisit tout mon corps.

Adieu. Seigneur ; je meurs, et je meurs satisfaite. 

J’emporte chez les morts votre estime parfaite,

Racontez à César mes peines, mes combats.

Jurez-lui que sa perte a cause mon trépas.

Qu’en ce moment mon cœur... Mais un épais nuage,

De mes yeux obscurcis me dérobent l’usage.

J’expire. S’il se peut, ôtez-moi de ces lieux,

Philla.

PHILLA.

Ciel !

POMPÉIA.

C’est à vous de me fermer les yeux.

RUFUS.

Ma constance succombe, et cet objet l’accable.

J’étais moins malheureux en la croyant coupable.

MESSALA.

Je pleure comme vous quand je la vois périr.

Mais est-ce à des regrets que je dois recourir ?

Son ombre nous demande un autre sacrifice.

Allons, de Clodius, ordonner le supplice.

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