Phocion (Jean-Galbert de CAMPISTRON)

Tragédie en cinq actes et en vers.

Représentée pour la première fois, à Paris, par la Comédie française, sur le Théâtre Guénégaud, le 16 décembre 1688.

 

Personnages

 

PHOCION, général des Athéniens

AGNONIDE, autre général d’Athènes

CHRISIS, fille de Phocion

ALCINOUS, fils d’Agnonide, amant de Chrisis

CLÉON, confident de Phocion

DIONE, confidente de Chrisis

LICAS, gouverneur d’Alcinous

CLITUS, capitaine d’Alcinous

ARCAS, autre capitaine athénien

GARDES

 

La scène est à Athènes, dans le Palais à la République.

 

 

PRÉFACE

 

Le sujet est aussi pris des vis de Plutarque. Je l’ai autant et plus travaillé qu’aucun de ceux que j’ai traités. La versification est noble et châtiée. Les intérêts sont de ceux qui doivent produire les mouvements les plus pathétiques. Il y a plusieurs situations heureuses et théâtrales. Cependant le succès fut très médiocre. Cette Tragédie ne parut sur la Scène qu’onze fois de suite ; et le public la reçu avec tant d’indifférence qu’il ne lui fit pas même l’honneur d’en dire du mal. J’ai toujours imputé son mauvais sort à la pitoyable manière dont le personnage le plus important fut représenté. Chacun aime à se flatter, je puis avoir tort ; mais peut-être ai-je raison. Le Lecteur en jugera.

 

 

ACTE I

 

 

Scène  première

 

CHRISIS, DIONE, LICAS

 

CHRISIS.

Hé bien, Licas, hé bien, puis-je voir Agnonide !

L’avez-vous informé du dessein qui me guide ?

Sait-il que pour mon père une juste terreur

Accable mes esprits, et déchire mon cœur ?

Et qu’un ordre cruel m’empêchant de le suivre,

Au comble des horreurs son absence me livre.

LICAS.

Madame, par mes soins, Agnonide est instruit

De l’état déplorable où le sort vous réduit.

Votre douleur le touche, et prêt à vous entendre,

Il viendra dans ces lieux où vous pouvez l’attendre.

 

 

Scène II

 

CHRISIS, DIONE

 

CHRISIS.

Quel accueil ? Quel discours ? Quel changement ? Grands Dieux ?

Puis-je me méconnaître ? Et suis-je dans ces lieux,

Où mon père en ses mains tenant le sort d’Athènes,

Signala l’équité de ses lois souveraines ?

Sont-ce ces mêmes murs et ce même Palais,

Où l’heureux Phocion méditait ses projets ;

Qui marquant chaque jour son zèle et sa sagesse,

Firent l’étonnement et l’honneur de la Grèce ?

DIONE.

Madame...

CHRISIS.

Tu le vois, mille objets menaçants,

Confirment à l’envi les chagrins que je sens.

Ces indignes enfants de notre République,

Que mon père toujours éloigna de l’Attique ;

Amas presque infini d’esclaves, d’étrangers,

Ne s’exposent-ils pas à de nouveaux dangers ?

Ces gardes qui jadis s’ouvrant à mon passage,

Me rendaient en tremblant un légitime hommage :

Aujourd’hui ne m’offrant que des yeux ennemis,

Après de longs efforts m’ont à peine permis

De venir jusqu’ici faire parler mes larmes :

Pour fléchir un Tyran, trop impuissantes armes.        

DIONE.

C’est ce Tyran lui seul dont les lâches projets

Ont troublé de vos jours le bonheur et la paix,

Jaloux de Phocion, sa parricide envie,

Attaque également et sa gloire et sa vie :

Il poursuit un Héros jusqu’ici tant vanté,

Un Héros que la guerre a toujours respecté.

Un Héros...

CHRISIS.

Ah ! finis cet éloge inutile ;

Réserve ces discours pour un temps plus tranquille ;

Et loin de retracer sa gloire et ses vertus,

Songe que ce Héros peut-être ne vit plus,

Que Cassander aigri par les Tyrans d’Athènes,

Ou le livre à la mort, ou le charge de chaînes.

Ingrats Athéniens, pourrez-vous le souffrir ?

Ah ! marchez sur ses pas, hâtez-vous de répandre

Votre sang, que son bras sut tant de fois défendre.

Et toi barbare auteur de nos communs malheurs ;

Toi, dont l’ambition fait couler tous nos pleurs,

Agnonide, préviens les maux de ta Patrie,

En sa faveur enfin calme ta barbarie.

Souviens-toi que ce Chef dont tu proscris les jours,

Contre tout l’Univers nous défendit toujours,

Qu’Athènes va tomber, si ta haine l’opprime,

Et venger en tombant cette grande victime.

DIONE.

Et qui peut se flatter que ce Tyran plus doux,

Reconnaîtra son crime, et suspendra ses coups ?

Madame, à ce retour je vois peu d’apparence :

Esclave de son sang, et fier de sa puissance.

Nous le verrons plutôt par de nouveaux forfaits

Achever chaque jour ses infâmes projets.

Mais tandis que sa haine injuste et sanguinaire,

Détruit la République, et poursuit votre père :

Son fils, du moins, son fils le jeune Alcinous,

Vous force en même temps d’admirer ses vertus.

Je ne puis oublier avec quelle assurance,

Du fidèle Licas trompant la vigilance ;

Il suivit Phocion, et courut partager,

De son sort incertain la gloire et le danger.

Pouvez-vous ?...

CHRISIS.

Sa vertu digne d’être estimée,

Par ce noble dessein me fut trop confirmée.

Il vint dans le moment que mes premiers malheurs,

Livraient mon âme en proie aux plus vives douleurs.

Madame, me dit-il, la fortune contraire,

Au plus grand des périls expose votre Père ;

C’est le mien qui le livre aux mains de Cassander,

Dont la haine barbare ose le demander.

Je ne viens point ici par un lâche artifice,

De cet ordre funeste excuser l’injustice.

Non, je viens en mêlant mes pleurs à vos soupirs

Du moins par quelque espoir flatter vos déplaisirs.

Je pars malgré la loi du peuple, et de mon père ;

Je me dérobe aux soins d’un Gouverneur sévère.

On poursuit Phocion ; je vole à son secours ;

Au destin qui l’attend j’exposerai mes jours.

Trop heureux si mon sang versé pour sa querelle,

Le rend à votre amour, et vous prouve mon zèle !

Tels furent ses discours, et ses derniers adieux ;

Et dans le même instant s’éloignant de mes yeux :

Il me fit concevoir une faible espérance,

Et partit assuré de ma reconnaissance.

DIONE.

Mais, Madame, est-ce assez ? Et ne croyez-vous pas

Qu’adorateur secret de vos divins appas ?

Quand pour vos intérêts il court tout entreprendre,

Il se propose un prix qu’il a doit de prétendre.

CHRISIS.

Dione, que dis-tu ?

DIONE.

Que son amour pour vous

Mérite en sa faveur des sentiments plus doux.

CHRISIS.

Hélas ! crois-tu qu’il m’aime ?

DIONE.

En doutez-vous encore ?

Ses yeux n’ont-ils pas dit que son cœur vous adore ?

Ses regards, ses soupirs au défaut de sa voix,

Du feu qui le consume ont parlé mille fois.

Vous l’avez vu vous-même, avouez-le Madame.

CHRISIS.

Faut-il te faire voir jusqu’au fond de mon âme ?

J’ai cru m’apercevoir dans tous nos entretiens,

Que ses timides yeux tremblaient devant les miens :

Que son esprit confus et sa bouche incertaine.

Tandis qu’il me parlait ne s’exprimaient qu’à peine :

J’ai même, le voyant interdit, inquiet,

Senti, je l’avouerai, quelque trouble secret.

Dione, je ne puis t’en dire davantage ;

J’ignore des Amants les soins et le langage :

Sur ce que j’ai cru voir je n’ose m’arrêter.

Quoiqu’il en soit, enfin, j’en veux toujours douter :

Éloignons ces objets de ma triste pensée.

Grands Dieux ! préservez-moi d’une ardeur insensée :

Mon cœur d’assez de maux est troublé chaque jour,

Sans qu’il éprouve encore les tourments de l’amour.

DIONE.

Pourquoi formez-vous de si tristes alarmes ?

CHRISIS.

Non, ces plaisirs parfaits, ces doux transports, ces charmes,

Que l’amour fait sentir aux cœurs qu’il a choisis,

Ne sont point destinés à celui de Chrisis.

Le sort me persécute avec trop de constance,

Pour permettre... Mais Dieux ! notre ennemi s’avance.

 

 

Scène III

 

CHRISIS, AGNONIDE, DIONE, CLITUS

 

CHRISIS.

Enfin pour vous parler j’obtiens quelques moments.

Vos Gardes sont touchés de mes gémissements :

Ils ne m’opposent plus de funeste barrière :

Mais aucun ne m’apprend le destin de mon père.

Que fait-il, ou plutôt par quelle injuste loi

Soumettez-vous sa vie aux caprices d’un Roi,

Dont le sang odieux et l’orgueil tyrannique

N’eurent jamais de droit sur cette République ?

Quel crime a donc commis ce Chef infortuné ?

A-t-il sacrifié par de secrètes haines,

Aux faveurs des Tyrans la liberté d’Athènes ?

Comptez, examinez les jours de ce Héros,

Vous n’y découvrirez que de nobles travaux ;

Qu’une vertu sans cesse à nos yeux confirmée,

Et dont la pureté passe la renommée.

AGNONIDE.

Madame, je le vois, votre aveugle douleur,

Du sort de Phocion m’impute le malheur.

J’oublierai toutefois cette cruelle injure

En faveur des transports qu’inspire la Nature.

Il ne faut qu’un moment pour vous désabuser,

Et détruire l’erreur qui vous fait m’accuser.

Madame, ai-je trahi la sévère justice ?

Ai-je seul ordonné que Phocion périsse ?

Tout le Peuple en fureur a conspiré sa mort,

Et nommé Cassander arbitre de son sort.

Vous savez que ce Roi successeur d’Alexandre,

Contre la République allait tout entreprendre.

Deux fois loin de ces murs Nicanor repoussé,

Et du Port de Pirée avec honte chassé :

De ce Roi contre nous allume la colère :

Il impute sa fuite aux soins de votre père.

Athènes toutefois l’accuse hautement

D’avoir pour sa défense agi trop lentement :

Ainsi livré tout seul à la haine commune,

Ai-je pu l’arracher à sa triste infortune ?

Ai-je dû le sauver et prévenir vos pleurs,

Pour faire sur l’État tomber tous ses malheurs ?

Non, Madame, et mon fils Alcinous lui-même,

Ce fils qui m’est si cher par sa vertu suprême,

Par mon ordre à mes yeux périrait aujourd’hui,

S’il fallait prononcer entre Athènes et lui.

CHRISIS.

Puissent les Dieux vengeurs me prendre pour victime,

Si j’ose condamner cette noble maxime !

J’en connais la justice, et Phocion cent fois

M’en fit dans ses leçons la plus sainte des Lois.

Si sa mort à l’État eut été nécessaire,

Vous deviez quelque temps la laisser volontaire,

Et voir si son grand cœur lâchement démenti

Aurait pu balancer à prendre son parti.

Ah ! que dans cet état sa victoire dernière

Eut dignement fini son illustre carrière !

Dans les murs de Pellé nous l’eussions vu voler,

Heureux pour son pays de pouvoir s’immoler :

Et moi de sa vertu chérissant sa mémoire,

Consolant ma douleur par l’excès de sa gloire ;

Voyant son nom partout à jamais révéré,

En pleurant son trépas je l’aurais admiré.

Mais quand sans l’avertir du coup qu’on lui prépare.

On le livre avec joie aux mains d’un Roi barbare ;

Car je ne compte plus parmi nos Nations

Tous ces Chefs séparés par leurs divisions :

Ces Grecs qui trop longtemps éloigné de la Grèce,

Ont succé des Persans la haine et la mollesse.

Ces Grecs qui sous un Roi le plus grand des Héros,

Jusqu’au bout de la terre ont porté leurs travaux.

Mais qui l’ayant perdu, nous ont trop fait connaître

Que toute leur grandeur était due à leur maître :

Indignes du haut rang où sa main les a mis,

Et de donner des lois à ceux qu’il a soumis :

Surtout ce Cassander, ce monstre dans l’envie

De ce Vainqueur du monde a terminé la vie ;

Et qui par le poison...

AGNONIDE.

Ah ! Madame, arrêtez !

N’outragez plus ce Prince ; et du moins respectez,

De ce nom, de son rang, l’auguste caractère.

CHRISIS.

Eh quoi ! s’il le profane, est-ce à moi de m’en taire ?

AGNONIDE.

Oui, l’on doit ces égards au sacré nom de Roi.

CHRISIS.

Ce nom dans un Tyran n’est plus sacré pour moi.

AGNONIDE.

Appelez-vous Tyran un Prince légitime ?

CHRISIS.

J’appelle un Roi tyran quand il aime le crime.

AGNONIDE.

Et quel crime, Madame, a commis Cassander ?

CHRISIS.

Celui qui les soutient peut-il les demander ?

AGNONIDE.

Si nous sommes tous deux tels que vous l’osez dire,

Vous flattez-vous encore que Phocion respire ?

CHRISIS.

De vos fureurs les Dieux ont pu le préserver.

AGNONIDE.

Si les Dieux l’ont voulu, leur bras l’a pu sauver :

Mais rarement les Dieux prodiguent leurs miracles.

CHRISIS.

Leur moindre volonté ne trouve point d’obstacles.

AGNONIDE.

Nous apprendrons bientôt qui de nous s’est trompé.

CHRISIS.

Hélas ! je cède au coup dont mon cœur est frappé.

Ma fierté ne peut plus soutenir la pensée

Du parricide affreux dont je suis menacée.

Poursuis, Tyran, poursuis tes barbares désirs ;

De l’excès de nos maux fais tes plus beaux plaisirs.

Je vois quelle raison t’intéresse à défendre

Contre tout l’Univers, l’assassin d’Alexandre ;

Les jours de Phocion détruisaient tes projets ;

Ils vont être le prix de ta servile paix.

Peut-être à mes soupirs le ciel encore propice,

Malgré tes soins cruels confondra l’injustice ;

S’il me refuse enfin le secours de son bras,

Le secours des mortels ne me manquera pas.

Je ne m’explique point, mais si mon père expire,

Il ne mourra pas seul, et j’ose te prédire

Qu’après l’avoir conduit aux horreurs de son sort,

Peut-être autant que moi tu pleureras sa mort,

Adieu.

 

 

Scène IV

 

AGNONIDE, CLITUS

 

AGNONIDE.

Que me dit-elle ? Et quelle est ton attente ?

Mais non, je ne crains point sa menace impuissante,

Et la foudre aujourd’hui dut-elle m’accabler,

Dans un si beau chemin je ne puis recule.

Il est temps de cueillir l’heureux fruit de mes peines ;

Accablons, cher Clitus la liberté d’Athènes.

Hâtons-nous d’accomplir mes glorieux projets :

Faisons-nous dans ces murs un Trône et des Sujets ;

Et renversant les lois de cette République,

Rappelons sa splendeur des premiers Rois d’Attique.

CLITUS.

Mais, Seigneur, songez-vous...

AGNONIDE.

J’ai tout examiné,

Je sais que mon projet peut être condamné ;

Que ces timides cœurs dont la prudente adresse,

Sous le nom de vertu déguise sa faiblesse,

Qui n’osant s’occuper des soins ambitieux,

Redoutent les périls cent fois plus que les Dieux.

Ces cœurs, dis-je, ennemis de mes desseins sublimes,

Leur donneront les noms qu’on donne aux plus grands crimes :

Mais aussi que diront ceux dont la noble ardeur,

Entraîne tous les vœux vers la seule grandeur,

Qui loin de contracter de basse servitude,

Du soin de commander font toute leur étude,

Et ne pouvant souffrir de maître ni d’égal,

Gardent l’ambition jusqu’au terme fatal.

Ces superbes Mortels me prenant pour exemple,

Dans le fond de leur cœur m’élèveront un temple ;

Et soit que le destin me favorise ou non,

Parmi les noms fameux ils compteront mon nom ;

Je t’avouerai pourtant, quelque espoir qui m’anime,

Que j’eus quelque terreur en commençant le crime ;

D’un violent remords mon cœur fut combattu,

Lorsque de Phocion j’attaquai la vertu,

Mais voulant sur mon front placer le diadème,

Il fallait ou le perdre, ou me perdre moi-même,

Pour m’éloigner du rang que je me suis promis,

Je le crains plus lui seul que tous mes ennemis.

CLITUS.

Chargé d’ans et de soins, dont le nombre l’accable,

Un seul homme, Seigneur, est-il si redoutable ?

Et se peut-il enfin ?...

AGNONIDE.

Eh ! ne conçois-tu pas,

Qu’un homme tel que lui fait le sort des États ?

Quoique mille raisons à sa perte m’attachent ;

Je lui dois un aveu que ses vertus m’arrachent :

C’est un de ces mortels que le Ciel quelquefois

Fait naître pour défendre ou rétablir les Lois ;

Un de ces cœurs choisis, de ces heureux génies,

Où les Dieux font briller leurs faveurs infinies,

Que de leur feu divin ils ont soin d’éclairer,

Et qu’un ennemi même est contraint d’admirer.         

CLITUS.

Eh ! faut-il donc, Seigneur, attenter à sa vie ?

AGNONIDE.

Triste effet, cher Clitus, des fureurs de l’envie ?

Avec moins de vertus Phocion sans secours,

Tranquille dans ces murs eut vu couler ses jours,

Et passé sans péril les plus longues années,

Qu’à son obscur destin la parque aurait données.

Mais loin de rappeler les pressantes raisons

Qui le font immoler à mes justes soupçons.

Étouffons les remords que me cause sa perte,

En songeant quelle gloire à mon fils est offerte :

Car, Clitus, c’est pour lui cent fois plus que pour moi,

Que j’aspire à ranger ce peuple sous ma loi :

C’est l’amour de ce fils digne d’une couronne,

Qui rassure mon cœur quand le crime l’étonne ;

Qui sur tous mes périls me fait fermer les yeux,

Et braver le courroux des hommes et des Dieux.

CLITUS.

Mais, Seigneur, votre fils par sa fuite imprévue...

AGNONIDE.

Ah ! ne m’en parle plus, ce souvenir me tue :

Finissons un discours qui me glace d’effroi.

J’ignore quel dessein peut l’ignorer de moi :

Il a surpris Licas, il m’a surpris moi-même ;

Et le sort secondant son fatal stratagème,

Je n’ai pu découvrir le chemin qu’il a pris.

En vain jusqu’à ce jour mes soins l’ont entrepris :

Mais mon cœur affligé reprend quelque espérance ;

L’ingrat ne peut longtemps tromper la diligence

Des fidèles amis qui vont de cour en cour

Le chercher, l’avertir et presser son retour.

Allons donc, pour lui seul, consommer mon ouvrage,

Des cœurs que j’ai gagnés ranimer le courage,

Sur les plus obstinés faire un dernier effort,

Par l’espoir du salaire ou la peur de la mort,

Et m’instruire surtout si selon mon envie,

Dans Pellé Phocion a vu trancher sa vie.

 

 

ACTE II

 

 

Scène première

 

AGNONIDE, CLITUS

 

AGNONIDE.

Approche ; viens Clitus, mes chagrins sont passés ;

Je vois mes vœux secrets par le Ciel exaucés.

Dieux ! Avec quels transports mon cœur s’ouvre à la joie ?

CLITUS

Hé ! quel est le bonheur que le Ciel nous envoie ?

AGNONIDE.

Je viens de recevoir un billet de mon fils.

CLITUS.

Ah ! se peut-il ?...

AGNONIDE.

Licas en mes mains l’a remis.

CLITUS.

Savez-vous sous quel Ciel Alcinous respire ?

AGNONIDE.

Nous l’ignorons encore, on n’a pu m’en instruire.

Ce n’est que par les soins d’un esclave inconnu,

Que cet heureux écrit jusqu’à nous est venu.

Mais mon fils vit enfin ; et bientôt sa présence

Doit remplir en ces lieux ma plus chère espérance ;

Vous me l’avez sauvé, grands Dieux ! c’en est assez.

Écoute cependant ces mots qu’il m’a tracés.

Il lit.

Ne me regardez point comme un enfant rebelle,

Seigneur un soin pressant loin d’Athènes m’appelle ;

La gloire l’autorise ; excusez un dessein

Que l’Univers entier voudrait combattre en vain ;

Si contre moi ma fuite arme votre colère :

Bientôt par mon retour j’irai vous satisfaire ;

Et chercher sans vouloir forcer vos sentiments,

La peine de mon crime, ou vous embrassements.

Il continue.

Tu vois par son respect, tu vois par sa promesse,

Que son empressement répond à ma tendresse :

Cependant croiras-tu qu’en ce même moment

Je rends grâces aux Dieux de son éloignement ?

Autant que son départ m’a fait sentir d’alarmes,

Autant son prompt retour peut me coûter de larmes.

N’en doute point, je crains qu’un destin malheureux,

Ne le ramène ici plutôt que je ne veux.

CLITUS.

D’un pareil sentiment, je cherche en vain la cause.

AGNONIDE.

Clitus, dans le dessein que mon cœur propose,

Prêt d’opprimer l’Attique, et de donner des lois,

À des peuples nourris dans la haine des Rois,

Avant que d’exercer un pouvoir légitime,

Il faudra s’assurer par plus d’une victime,

Et porter la rigueur jusqu’à la cruauté,

Contre les ennemis de mon autorité :

Proscrire, sans égard ni de vertu ni d’âge,

Ces Citoyens trop fiers pour souffrir l’esclavage,

Dont le bras à tout lieu armé pour me punir,

Si je ne les perdais pourrait me prévenir.

Dans ce tumulte affreux qu’existeront mes armes,

Dans ces proscriptions, ces combats, ces alarmes,

Mon fils pourrait tomber ; et je perdrais en lui

Le bonheur de mes jours, mon espoir, mon appui.

Je ne veux point enfin que le Sceptre d’Athènes

Le rende comme moi l’objet de tant de haines :

Chargé seul des forfaits qu’il me coûte à gagner,

À ce fils innocent je les dois épargner,

Et le faire passer dans ses mains vertueuses,

Tel que jadis sortant de ses courses fameuses,

L’invincible Thésée arrive dans ces lieux,

Le reçut de son père à la face des Dieux.

CLITUS.

J’admire pour ce fils vos soins et vos tendresses,

Mais Cassander, Seigneur, tiendra-t-il ses promesses ?

Êtes-vous assuré d’obtenir son secours ?

Enfin de Phocion tranchera-t-il les jours ?

Je crains que la pitié malgré vous ne l’arrête.

AGNONIDE.

Non, son appui m’est sûr et ma victime est prête :

Mais quand il manquerait à ce qu’il m’a promis,        

À d’autres défenseurs mon destin est remis.

Démétrius, Craterre, Antigonus, Eumène,

Hasarderont pour moi leur grandeur souveraine ;

Constant à soutenir me droits et mon dessein,

Ils paraîtront bientôt les armes à la main,         

Et porteront ici cette sanglante guerre,

Dont leur bras fait rougir la moitié de la terre.

Pour Phocion, ses jours ne sauraient m’échapper,

Si Cassander l’épargne et craint de le frapper,

J’espère que le peuple armé contre sa vie,

Viendra me demander qu’elle lui soit ravie.

J’excite contre lui ses fureurs chaque jour ;

Je lui rendrai fatal l’instant de son retour.

Pour aigrir contre lui ce peuple impitoyable,

Je le fais souvenir de ce jour déplorable,

Où Nicanor fut prêt de nous assujettir,

Tandis que Phocion, loin de nous avertir,

Condamnant nos soupçons contre ce téméraire,

De ses trompeurs serments vantait la foi sincère ;

Et lui donnant le temps d’avancer ses projets,

Craignait en l’attaquant de violer la paix.

Voilà par quels chemins je prépare sa perte ;

Et si j’en puis saisir l’occasion offerte,

Quel comble à mon honneur de le voir expirer

Dans cette même place, où prompt à l’honorer,

Nos Citoyens jadis par des cris de victoire,

Célébraient à l’envi ses vertus et sa gloire.

Mais sa fille paraît. Je crains de lui parler ;

De nouveaux déplaisirs je n’ose l’accabler.

Laissons-la de ses maux accuser la fortune,

Sortons, et prévenons une plainte importune.

 

 

Scène II

 

CHRISIS, DIONE

 

CHRISIS.

Arrêtez. Il me fuit, et ne m’écoute pas.

Je ne sais quel dessein précipite ses pas.

Quel trouble me saisit ? Que faut-il que je pense

De ce soin qu’il a pris d’éviter ma présence ?

Juste Ciel ! de mon père a-t-il appris le sort,

Et ne s’éloigne-t-il que pour cacher sa mort ?

Dione, c’en est fait leur rage est assouvie.

DIONE.

Non, Madame, l’amour vous répond de sa vie,

Fiez-vous à ses soins ; ne vous souvient-il plus

Du départ, des serments du jeune Alcinous ?

Sa valeur vous promet un succès moins contraire.

CHRISIS.

Ah ! Dieux ! sur quelle foi me dis-tu que j’espère

Alcinous peut-il en de barbares lieux

S’opposer aux desseins d’un Roi victorieux,

Et renverser les lois de son pouvoir suprême,

Qu’en hasardant ses jours, et se perdant lui-même ?

Hélas ! il a péri, sans sauver Phocion ;

Et pour redoublement à mon affliction,

Athènes par leur mort est à jamais privée        

De toute la vertu qu’elle avait conservée.

DIONE.

Mais songez...

CHRISIS.

Mon destin ne peut être adouci.

DIONE.

Alcinous...

CHRISIS.

Hé bien ?

DIONE.

Madame le voici.

 

 

Scène III

 

ALCINOUS, CHRISIS, DIONE

 

CHRISIS.

De quel étonnement, grands Dieux ! suis-je frappée ?

Est-ce vous que je vois ? Ne suis-je point trompée ?

Ah ! Seigneur, dissipez le trouble de mon cœur :

Venez-vous augmenter où finir mon malheur ?

Découvrez-moi mon sort, reverrai-je mon père ?

A-t-il d’un Roi barbare évité la colère ?

Puis-je enfin me flatter de son heureux retour ?

ALCINOUS.

Madame, en doutez-vous, puisque je vois le jour ?

Croyez-vous que soigneux de garantir ma tête.

J’aurai vu sur lui seul éclater la tempête,

Et son sang à mes yeux lâchement répandu.

Sans que parmi ses flots le mien fut confondu.

Non, Madame, jaloux de défendre sa vie,

Sa perte de la mienne aurait été suivie ;

Et du moins vous contant son déplorable sort,

On vous aurait conté l’histoire de ma mort.

Mais grâce à sa vertu, grâce aux Dieux tutélaires,

Mes soins pour le sauver n’étaient pas nécessaires ;

Et la fin de ce jour va l’offrir à vos yeux,

Vengé de noirs desseins de tous ses envieux.

CHRISIS.

Ce changement soudain, cette joie imprévue,

Jette un trouble nouveau dans mon âme éperdue ;

Et ma faible raison, mes esprits languissants

Ne sauraient résister au plaisir que je sens.

Quoi vos soins généreux n’ont point trouvé d’obstacle ?

Mais ne me cachez plus par quel heureux miracle

Mon père m’est rendu ? Qui me l’a conservé ?

ALCINOUS.

Je vous l’ai déjà dit. Sa vertu l’a sauvé.

Sa fierté, sa sagesse et l’éclat de sa vie

Ont désarmé le bras qu’avait armé l’envie ;

Vous devez en lui-même un si parfait Héros,

Et lui seul s’est donné la vie et le repos.

Ô Ciel ! que ne peut point sur le cœur le moins juste,

L’intrépide regard, et la présence auguste,

D’un mortel dont les jours ménagés par les Dieux,

Sont pleins de nobles soins et de faits glorieux.

Madame ; Cassander enflammé de colère,

Au milieu de sa Cour fit traîner votre père.

Le supplice était prêt. De barbares soldats

Attendaient le signal, marqué pour son trépas.

Devant ce tribunal Phocion se présente ;

Et loin de faire entendre une voix suppliante ;

Tel que dans les périls se montrent les Héros,

À ce Prince superbe il adresse ces mots :

Cassander, je ne sais quelle fureur t’anime ?

Par quel droit prétends-tu me choisir pour victime ?

Mon pays par mes soins s’est longtemps défendu.

J’ai reculé sa chute autant que je l’ai dû :

Loin de me repentir de ce fameux ouvrage,

Que n’ai-je pour sa gloire encore fait davantage ?

Que n’ai-je pu ranger la Grèce sous ses lois,

Et détruire l’orgueil et l’empire des Rois ?

Voilà mes sentiments, je ne veux point les taire,

Et ne m’attache point à calmer ta colère ;

Verse pour me punir, si je t’ose offenser,

Ce reste de mon sang que l’âge allait glacer :

Mais songe pour le moins quand tu vas le répandre,

Qu’il fut jadis sacré pour le grand Alexandre ;

Que ce Roi, qui du monde a conquis la moitié,

Après m’avoir connu m’offrit son amitié,

Et m’en fit confirmer les premiers témoignages

Par d’honorables soins et de précieux gages.

Je ne te dis plus rien. Frappe, perce ce cœur

Rempli pour ses devoirs de la plus vive ardeur ;

Et donne à l’Univers, par ce noir sacrifice,

Un exemple éclatant d’horreur et d’injustice ;

Tandis que par les miens trahi, persécuté,

J’en donne un de constance et de fidélité.

CHRISIS.

Ô force plus qu’humaine ! ô merveilleux courage !

ALCINOUS.

Cassander étonné d’entendre ce langage,

De mouvements divers en secret combattu,

Est forcé malgré lui d’admirer sa vertu :

Va, lui dit-il, reçois le jour que je te laisse,

Sois toujours l’ornement et l’honneur de la Grèce :

Plus pénétré d’estime encore que de pitié,

Je me fais un bonheur d’avoir ton amitié,

Ne la refuse pas, c’est un Roi qui te prie ;

Et libre, va revoir et servir ta Patrie.

CHRISIS.

Ainsi de mes ennuis le cours est terminé.

ALCINOUS.

Et moi plus que jamais à souffrir condamné.

Je frémis des malheurs que le sort me présente ;

Votre infortune cesse et la mienne s’augmente,

Trop digne d’exciter votre compassion,

Je suis plus malheureux que n’était Phocion.

CHRISIS.

Vous, Seigneur ! quel malheur peut troubler votre vie ?

ALCINOUS.

Hélas ! Madame, hélas ! faut-il que je le die ?

Cet aveu dangereux loin de me soulager,        

Dans un gouffre nouveau peut encore me plonger.

Toutefois dut ma peine en devenir plus rude,

Elle me plaira mieux que mon incertitude.

Mais quoi, près d’expliquer le malheur de mon sort ;

Mon courage abattu succombe à cet effort :

Je commence un discours qu’après je désavoue,

Et ma langue interdite à regret se dénoue.

C’est vous en dire assez : mes esprits éperdus,

Mes regards incertains, mes soupirs confondus,

Se long saisissement, ma surprise soudaine,

Cette source de pleurs que je retiens à peine,

Et la crainte surtout d’aigrir votre courroux,

Tout ne vous dit-il pas que j’expire pour vous ?

CHRISIS.

Ah ! Seigneur.

ALCINOUS.

Cet aveu ne doit point vous surprendre,

Madame, et longtemps vous devez vous attendre

À voir un jour enfin éclater cette ardeur,

Que jusqu’à ce moment j’ai caché dans mon cœur :

Mais que déjà cent fois vous auriez dû connaître,

Si vous songiez aux feux que vos beaux yeux font naître.

J’ai vu le premier jour sans vouloir me flatter,

Quelles difficultés j’avais à surmonter :

Mais mon ardeur s’irrite encore par ces obstacles ;

L’amour en ma faveur me promet des miracles ;

Si je ne trouve pas un dernier malheur,

L’obstacle le plus grand au fond de votre cœur.

Surtout, je ne veux point que la reconnaissance

Vous force, malgré vous à quelque complaisance ;

Si ma flamme vous gêne ou ne vous touche pas,

Prononcez sans remords l’arrêt de mon trépas ;

J’ai servi Phocion par égard pour lui-même,

Et ne l’ai point servi parce que je vous aime :

Ce serait me traiter avec indignité,

Qu’imputer à l’amour ma générosité,

J’aimai de Phocion la vertu consommé ;

Dans un autre que lui je l’aurais estimée,         

Et pour un inconnu lâchement opprimé,

Avec la même ardeur mon bras se fut armé.

Vous ne me devez rien ; n’écoutez donc, Madame,

Que les seuls mouvements que vous dicte votre âme :

Parlez, parlez sans crainte, et ne voyez en moi

Que mon cœur, mon respect, mon amour et ma foi.

CHRISIS.

Hélas !

ALCINOUS.

Achevez.

CHRISIS.

Ciel !

ALCINOUS.

Ah ! c’est trop vous contraindre ;

Quel serait mon bonheur, si vous pouviez me plaindre ?

Montrez-moi par pitié vos sentiments secrets.

CHRISIS.

Pour chercher Phocion je sors de ce Palais.

Je fuis les mouvements que le devoir m’inspire.

ALCINOUS.

Hé quoi ! vous me laissez sans me vouloir rien dire ?

Vous refusez un mot à mon empressement !

CHRISIS.

Devez-vous demander d’autre éclaircissement ?

Voyez dans mes yeux ni mépris ni colère ?

Faut-il de ma pitié de marque plus sincère,

Que ce triste soupir qui vient de m’échapper,

Et le cœur d’un Amant s’y devait-il tromper ?

 

 

Scène IV

 

ALCINOUS, CHRISIS, LICAS, DIONE

 

LICAS.

Madame, Phocion arrive dans Athènes.

CHRISIS.

Ô moment fortuné qui termine mes peines !

Raisons, devoir, amour précipitez mes pas.

Adieu, Seigneur.

ALCINOUS.

Je vais...

CHRISIS.

Non, ne me suivez pas.

Demeurez.

ALCINOUS.

J’obéis après votre défense :

Mais que je vais souffrir de mon obéissance !

 

 

Scène V

 

ALCINOUS, LICAS

 

LICAS.

Que vois-je ? Quel adieu ? Quel discours ? Ah, Seigneur,

Vos regards, vos transports ont trahi votre cœur.

Vous aimez, juste Ciel ! Que dira votre père ?

ALCINOUS.

Ah ! Dieux ! lui voudras-tu révéler ce mystère ?

Qu’il l’ignore à jamais. Hé quoi ! mon cher Licas,

Pourrais-tu me trahir ?

LICAS.

Non, ne le craignez pas.

Dans les soins que de moi demandait votre enfance,

Vous avez trop souvent senti ma complaisance,

Et c’est encore l’effet de la même amitié

Qui m’inspire pour vous une juste pitié ;

Mais prévoyez, Seigneur, quelle suite funeste

Votre amour...

ALCINOUS.

C’est assez, épargnez-moi le reste ;

Dans cet heureux instant je ne veux rien prévoir

Qui puisse traverser ma joie et mon espoir.

 

 

ACTE III

 

 

Scène première

 

PHOCION, CHRISIS, DIONE

 

PHOCION.

Enfin nous sommes seuls. Embrassez-moi, ma fille,

Le Ciel me fait revoir ces murs et ma Famille,

Seuls objets où mon cœur porta toujours ses vœux,

Et que malgré mes soins le sort rend malheureux.

Je ne vous cèle point ; à cette chère vue,

D’un transport si charmant mon âme s’est émue,

Qu’il a pu balancer pendant quelques moments,

De mes profonds ennuis les cruels mouvements.

Pour vous, ce tendre amour et ce respect sincère

Que vous avez toujours senti pour votre père,

Vous ont fait, je le sais, partager mes malheurs ;

Nos barbares Tyrans ont joui de vos pleurs,

Contr’eux, votre douleur n’avait point d’autres armes.

CHRISIS.

Pourquoi rappelez-vous ces mortelles alarmes !

N’y songeons plus, Seigneur, mais vivez, je vous voi.

Quelle gloire pour vous, et quel plaisir pour moi,

De pouvoir embrasser un père que j’adore !

Juste Ciel ! qu’il m’est doux de vous revoir encore,

Tranquille et respecté chez les Athéniens !

PHOCION.

Ah ! que tu connais mal quels sont nos Citoyens.

Des Peuples inconstants, l’âme basse et commune,

Règle leurs sentiments au gré de la fortune ;

Et tel qu’ils adoraient dans la prospérité,

Devient leur ennemi par son adversité :

Ils avancent sa perte injuste ou légitime,

Et joignent leur secours au destin qui l’opprime.

Je viens de l’éprouver. Tout le peuple autrefois

Volait pour applaudir à mes moindres exploits,

Quand suivi des captifs gémissants sous nos chaînes ;

Triomphant j’approchais des sacrés murs d’Athènes ;

Et je vois qu’aujourd’hui ce Peuple furieux,

Ne souffre qu’à regret mon retour en ces lieux.

Et d’un Tyran barbare aimant les injustices,

La haine est le seul prix qu’il donne à mes services.

CHRISIS.

Hé ! laissez-le, Seigneur, ce Peuple criminel,

Il mérite de vous un mépris éternel :

Ne vous permettez plus la moindre inquiétude

Pour des cœurs sans justice et pleins d’ingratitude ;

À leur propre conduite abandonnez leur sort,

Et bientôt l’infortune, ou les fers, ou la mort

Vengerons vos bontés trop mal récompensées.

Portez, portez ailleurs vos vœux et vos pensées,

À l’heureuse Chrisis donnez tous vos moments,

Inspirez à son cœur vos nobles sentiments,

Que vos soins désormais soient pour votre Famille ;

Que vivant avec vous...

PHOCION.

Que dites-vous, ma fille ?

Nos soins les plus pressants, notre premier amour,

Sont dus aux lieux sacrés où nous venons au jour.

Athènes plus que tout m’est précieuse et chère,

J’en étais Citoyen avant que d’être père ;

Son salut me tient lieu de tous les autres biens,

Et vos droits sur mon cœur sont moins forts que les siens :

Mais puisque de ma foi l’ingrate se défie,

Et méprise ces soins que je lui sacrifie,

Sans trahir mon devoir je puis les donner tous

Au penchant naturel qui m’entraîne vers vous.

Oui, ma fille, mes vœux et mon bonheur suprême,

Se bornent à jouir de vous et de moi-même :

Votre vertu me charme, approchez. Justes Dieux !

Conservez chèrement ce trésor précieux,

Et jusques à l’instant qui doit finir ma vie,

Sauvez notre amitié des fureurs de l’envie.

CHRISIS.

Ah ! quel bonheur ! grands Dieux que mon sort est charmant !

Mais, Ciel ! Cléon vous cherche avec empressement.

 

 

Scène II

 

PHOCION, CHRISIS, CLÉON, DIONE

 

CLÉON.

Je n’ai pu découvrir les desseins d’Agnonide :

Mais, Seigneur, je crains tout de cette âme perfide :

Il assemble avec soin les Chefs et les Soldats,

Tout le peuple en tumulte accompagne ses pas.

Il triomphe, et j’ai vu briller sur son visage

Du plaisir de son cœur l’assuré témoignage :

Ses funestes apprêts peuvent nous menacer.

PHOCION.

Ce serait trop, Cléon, je ne le puis penser :

Mais quand mes ennemis en voudraient à ma vie,

Est-ce un malheur pour moi qu’elle me soit ravie ?

Et dois-je par la suite en prolonger le cours ?

Non, grands Dieux ! pour le peu qu’il me reste de jours,

Je ne veux point survivre à la chute d’Athènes,

Et voir loin du péril ses misères prochaines.

CHRISIS.

Quel étrange dessein ! Seigneur, quittez ces lieux ;

Éloignez-vous.

PHOCION.

Cachez cette crainte à mes yeux,

Ma fille, cet avis devrait moins vous surprendre :

Quelque soit mon destin je dois ici l’attendre.

CHRISIS.

Rendez-vous à mes soins, songez à vous, Seigneur,

Quoi ! mes pleurs ne sauraient émouvoir votre cœur ?

PHOCION.

Non, et ces lâches pleurs font honte à ma Famille ;

Mes yeux n’osent en vous reconnaître ma fille ;

J’en rougis. Si j’avais formé quelque attentat

Contraire à mon devoir ou funeste à l’État,

Voyant mon nom chargé d’une indigne mémoire,

Vous devriez pleurer la perte de ma gloire,

Et voir avec douleur votre père privé,

D’un honneur si longtemps par son sang conservé.

Mais puisque, grâce au Ciel, la plus juste envie

Ne peut donner d’atteinte à l’éclat de ma vie :

Ne pleurez point pour moi, pleurez d’autres malheurs

Plus cruels que mon sort, plus dignes de vos pleurs.

Pleurez la liberté, surtout pleurez le crime

Des lâches ennemis dont je suis la victime.

CHRISIS.

Malgré mes déplaisirs, je l’avouerai Seigneur

Vos généreux discours flattent encore mon cœur.

J’admire la vertu que vous faites paraître,

Et je rends grâces aux Dieux de ce qu’ils m’ont fait naître

D’un Héros dont la gloire est égale à la leur,

Et dont la fermeté passe encore la valeur.

 

 

Scène III

 

PHOCION, ALCINOUS, CHRISIS, CLÉON, DIONE

 

ALCINOUS.

Seigneur, ma raison cède au coup qu’on vous prépare.

Je frémis au seul bruit d’un projet si barbare,

Le Peuple à haute voix demande votre mort.

CHRISIS.

Juste Ciel !

ALCINOUS.

Prévenez leur criminel effort ;

À leurs perfides coups dérobez votre tête.

Fuyez, Seigneur, fuyez, évitez la tempête :

Vous me voyez ici prêt à guider vos pas ;

Je viens pour vous offrir le secours de mon bras.

Au nom de tous les Dieux, Seigneur, je vous convie

De vous rendre à mes vœux, d’assurer votre vie :

Mais ne différez point. Secondez mes transports,

Seigneur, si vous joignez vos soins à mes efforts,

J’ose attester des Dieux la majesté suprême,

Qu’Athènes, que la Grèce et Cassander lui-même,

Contre vos jours sacrés conspireraient en vain.

Je jure...

PHOCION.

Je conçois quel est votre dessein.

Je sais pour dérober ma tête à cet orage,

À combien de périls l’amitié vous engage :

Je le juge aisément pour tous vos soins passés :

Mais il n’est plus temps, Seigneur, c’en est assez.

ALCINOUS.

Ah ! que me dites-vous ? Quelle funeste envie

Vous fait abandonner le soin de votre vie ?

Suivez-moi...

PHOCION.

Modérez cette bouillante ardeur ;

Et du moins un moment, écoutez-moi, Seigneur,

Ne vous opposez point au peuple qui m’opprime ;

Laissez-le sans obstacle immoler sa victime :

Abandonnez ma vie, il veut me la ravir,

Et conserver la vôtre encore pour le servir,

Vous êtes dans un âge, où, par d’heureuses peines,

Vous pouvez rétablir la puissance d’Athènes ;

C’est là l’unique gloire où vous devez penser ;

C’est là que vos vertus se doivent exercer.

Pour moi, qui gémissant sous le poids des années,

Ne doit plus espérer de belles destinées,

Qui cédant aux efforts que je voudrais tenter,

Ne me sens plus de bras pour les exécuter ;

Loin d’aller à genoux mendier des asiles,

Je méprise mes jours, puisqu’ils sont inutiles.

ALCINOUS.

Ô Ciel !

PHOCION.

Je vois Clitus, et je n’ignore pas

Quel funeste dessein conduit ici ses pas.

 

 

Scène IV

 

PHOCION, ALCINOUS, CHRISIS, CLITUS, DIONE, GARDES

 

CLITUS.

Seigneur, je suis chargé d’un ordre...

ALCINOUS.

Téméraire...

PHOCION.

Arrêtez. Où vous porte une aveugle colère ?

ALCINOUS.

Laissez-moi...

PHOCION.

L’immoler ce serait me trahir,

Aux décrets de l’État j’ai juré d’obéir ;

Je me suis fait toujours de cette obéissance

Un austère devoir dont rien ne me dispense ;

J’en ai prescrit au Peuple une sévère loi :

Pourrais-je, sans rougir, la violer pour moi ?

Je n’examine point au moment qu’on m’accable,

Si je suis en effet innocent ou coupable ;

Si celui qui m’opprime observe l’équité,

Je songe seulement à son autorité ;

Puisqu’il la tient du Peuple, elle est juste et suprême,

Je la respecte en lui comme dans Solon même ;

J’obéis sans murmure, et s’il faut me venger,

Je ne vois que les Dieux qui s’en doivent charger.

CHRISIS.

Ah ! Ciel !

PHOCION.

Ne craignez-rien, je vous suivrai sans peine,

Clitus, j’assouvirai la fureur inhumaine

De ces Peuples ingrats qui demandent ma mort.

Seigneur, ne tentez plus de criminel effort,

Pour prolonger des jours dont le cours m’importune :

D’Athènes, s’il se peut relevez la fortune :

Versez tout votre sang pour maintenir ses droits,

Et pour la garantir de l’empire des Rois.

Vous, ma fille, armez-vous d’un généreux courage ;

Lassez par vos vertus le sort qui nous outrage.

Si je meurs aujourd’hui, n’accusez point les Dieux ;

Cachez-vous aux regards d’un Peuple furieux,

De vos tristes foyers faites votre retraite :

Ne montrez de ma mort qu’une douleur discrète ;

Rappelez les conseils que je vous ai donnés ;

Et voyez les malheurs qui vous sont destinés

Du même œil dont je vois ceux où le Ciel me livre.

Surtout, si vous m’aimez, gardez-vous de me suivre.

Adieu.

 

 

Scène V

 

CHRISIS, ALCINOUS, DIONE

 

ALCINOUS.

Quel cœur, grands Dieux ! dans cette extrémité,

Porta jamais si loin son intrépidité ?

Je l’envie et le plains ; je le pleure et l’admire.

CHRISIS.

Et moi, Seigneur, et moi, je ne puis vous rien dire ;

Vous savez mes malheurs, vous les connaissez tous,

Et je dois seulement embrasser vos genoux.

ALCINOUS.

Ah ! Madame !

CHRISIS.

Seigneur, soulagez ma misère :

Je meurs ; j’ai tout perdu quand j’ai perdu mon père ;

Rendez-le moi, vous seul pouvez nous secourir.

ALCINOUS.

Pour vous le rendre, hélas ! ne faut-il que mourir ?

J’y volerai, Madame, et vous serez servie.

J’exige seulement pour le prix de ma vie,

Que votre cœur sépare en ces moments affreux,

D’un père criminel, un fils trop malheureux ;

Et qu’au moins, si je meurs où mon amour m’entraîne ;

Mourant, je ne sois point l’objet de votre haine.

CHRISIS.

Que me demandez-vous ? Allez, Seigneur, allez.

Mes yeux par mes malheurs ne sont point aveuglés ;

Ils ne confondent point l’innocence et le crime,

L’un a toute ma haine, et l’autre mon estime.

ALCINOUS.

Après un tel aveu trop content de mon sort,

Je cours pour Phocion faire un dernier effort ;

Je vais trouver mon père, et pour toucher son âme,

Lui peindre avec transport tout l’excès de ma flamme.

Madame, j’aime trop pour ne pas triompher

De l’injuste courroux que je veux étouffer.

Je suis cher à mon père ; et mon respect, mes larmes,

De ces cruelles mains feront tomber les armes :

Ou contre la fureur, par l’amour affermi,

Ne le regardant plus qu’en mortel ennemi,

Mon cœur désespéré trouvera tout facile ;

Phocion par mes soins sera libre et tranquille,

Mon bras le sauvera du peuple et de ses lois,

Ou je vous dis adieu pour la dernière fois.

 

 

ACTE IV

 

 

Scène première

 

AGNONIDE, CLITUS

 

AGNONIDE.

J’ai peine, je l’avoue, à te croire sincère ;

Mes vœux sont traversés par un fils téméraire.

CLITUS.

N’en doutez point, Seigneur, enflammé de courroux ;

Ce fils impétueux s’est armé contre nous.

AGNONIDE.

De cet emportement qui peut être la cause ?

Quel est donc le dessein que l’ingrat se propose ?

Mais pourquoi l’accuser. Un penchant généreux

Le pressait de servir Phocion malheureux :

Il ignore le prix que sa mort lui destine,

Et ne soupçonne point que c’est sur la ruine

De ce Chef redouté qu’il a voulu sauver,

Que je fonde le Trône où je dois l’élever.

Ah ! quand je l’instruirai de la gloire immortelle,

Des suprêmes honneurs où sa perte l’appelle ;

Je le verrai superbe, et plus ardent que moi,

Dévorer la couronne, et l’heureux sort d’un Roi ;

Renoncer au vain nom d’une vertu stérile,

Pour jouir avec moi d’un crime plus utile :

Quoiqu’il en soit enfin, je réponds de mon fils.

CLITUS.

C’en est donc fait, vos soins vont recevoir leur prix.

AGNONIDE.

Je n’en saurais douter, mon triomphe s’avance ;

Le succès de mes vœux passe mon espérance.

Tout le Peuple assemblé condamnant Phocion,

Vient d’ouvrir la barrière à mon ambition.

Voici le jour fatal de ce grand sacrifice,

Je dois lui prononcer l’arrêt de son supplice.

Va, ma garde t’attend pour le conduire ici.

 

 

Scène II

 

AGNONIDE, seul

 

Jusques à ce moment mes soins ont réussi.

Fortune à mes desseins sois encore favorable.

Ton retour ordinaire, et presque inévitable,

Par moi-même, à mon tour doit-il être éprouvé ?

Et si près du succès l’aurais-tu réservé ?

Ah ! si tu dois tromper mes soins et ma prudence,

Attends, à me montrer ta fatale inconstance,

Que ce Peuple superbe ayant reçu mes lois,

Puisse placer mon nom parmi ceux de ses Rois ;

Et qu’au moins un seul jour jouissant de ma gloire,

Par ce titre éclatant j’assure ma mémoire.

Mais Phocion paraît, déclarons-lui son sort.

Commençons, il est temps, mon bonheur par sa mort.

Sortez de mon cœur devoir, pitié, tendresse ;

Je ne vous connais plus que pour une faiblesse :

Je renonce aux conseils que vous pouvez donner,

Et je me livre à ceux qui vont me couronner.

 

 

Scène III

 

AGNONIDE, PHOCION, CLITUS, GARDES

 

PHOCION.

Arbitres de mon sort ; Dieux ! que votre puissance

Avec facilité confond notre prudence !

Qui l’eût cru qu’on verrait par un fatal retour,

Phocion dans ces lieux accusé quelque jour ;

Traîné honteusement par un Peuple perfide,

Et pour comble d’horreur, jugé par Agnonide ?

AGNONIDE.

Ce mépris offensant, ces transports de courroux,

Démentent le grand nom d’un homme tel que vous :

Mais loin de prolonger un discours inutile,

Songez que désormais vous n’avez plus d’asile ;

Que je viens en ces lieux maître de votre sort...

PHOCION.

C’en est donc fait ; ce jour est celui de ma mort ;

Car ne présume pas qu’une telle menace,

Que ta fureur me porte à te demander grâce ;

Ma vertu rougirait de ces indignes soins,

Et ne veut que mon cœur et les Dieux pour témoins.

Ce n’est pas que je cherche à voir finir ma vie ;

Et de quelque malheur qu’elle soit poursuivie,

J’attends, ferme et constant à remplir mon destin,

Le moment que le Ciel a marqué de sa fin :

Mais pour me dérober au péril qui me presse,

Je ne saurais descendre à la moindre faiblesse ;

Un homme tel que moi loin, de s’humilier,

Contre ce qu’il a fait pour se justifier.

Ose toi-même ici rappeler mon histoire,

Elle ne t’offrira que des jours pleins de gloire :

Chaque instant est marqué par un exploit fameux.

Mais que dis-je ? Où m’emporte un mouvement honteux ?

Est-ce à moi de conter la gloire de ma vie,

D’en retracer le cours quand Athènes l’oublie ?

J’en rougis : je suis prêt à me désavouer ;

Prononce, j’aime mieux mourir que me louer.

AGNONIDE.

Et ne comptez-vous point parmi vos faits augustes,

Pour un traître ennemi vos faiblesse injustes ?

Pouvez-vous excuser vos soins pour Nicanor ?

Dans le Port de Pirée on le verrait encor :

Que dis-je ? sous le joug d’Athènes opprimée

Servirait de retraite à sa barbare Armée ;

Si malgré vos avis le Peuple furieux

Ne l’eut surpris, défait et chassé de ces lieux.

PHOCION.

Il est vrai ; prévenu de la plus forte estime,

Je n’ai pu soupçonner Nicanor d’un tel crime.

Mais punit-on jamais avec sévérité

L’excès de confiance et de fidélité ?

Cet ennemi funeste a senti ma colère.

Quand je l’ai défendu je le croyais sincère :

Trompé par ses serments, et garant de sa foi,

Je voulais que le peuple en jugeât comme moi.

Et j’aimais mieux tomber sous ses perfides armes,

Que d’immoler sa vie à de vaines alarmes.

AGNONIDE.

On vous eut applaudi si son noir attentat        

N’eut menacé que vous et non pas tout l’État :

Mais puisque vos conseils et votre négligence

Laissaient nos murs, nos biens, et nos jours sans défense,

Le Peuple justement irrité contre vous,

Aux plus sanglants effets a porté son courroux.

Ses Tributs ont réglé ce que je vous annonce ;

Décret trop rigoureux qu’à regret je prononce :

On veut que de vos jours le cours soit terminé

Par le honteux supplice aux traîtres destinés.

Allez attendre.

PHOCION.

Ô Ciel !

AGNONIDE.

Mais la haine publique

Refuse à votre cendre un tombeau dans l’Attique ;

Cette terre ne peut le garder dans son sein.

PHOCION.

Dieux ! avez-vous permis cet horrible dessein ?

Que dira l’Univers instruit de ma fortune ?

Livré, quoiqu’innocent, à la haine commune,

Je meurs, et mon pays sauvé par mes exploits,

Pour qui l’on vit mon sang répandu tant de fois,

Refuse après ma mort de recevoir ma cendre !

Enfin, par une loi qu’on ne pourra comprendre,

Il faut loin des honneurs que je m’étais promis,

Que je cherche un tombeau parmi mes ennemis.

 

 

Scène IV

 

AGNONIDE, seul

 

Je ne le cèle point ; quand ma haine l’accable,

J’admire malgré moi ce cœur inébranlable,

Qui toujours préparé contre les coups du sort,

Me fait presque envier la gloire de sa mort :

Mais loin que sa vertu m’inspire la clémence,

Ce qu’elle a de plus noble et m’irrite et m’offense ;

Et c’est enfin pour lui le plus grand des forfaits,

D’avoir pu me contraindre à l’aveu que je fais.

 

 

Scène V

 

AGNONIDE, ALCINOUS

 

ALCINOUS.

Ah ! Seigneur, qu’a-t-on fait ? Qu’ose-t-on entreprendre ?

Phocion dans ses fers ! Quel sort doit-il attendre !

Quoi ! Cassander en vain a respecté ses jours,

Puisqu’un peuple barbare en veut trancher le cours ?

Et vous-même, Seigneur, précipitez sa chute ?

AGNONIDE.

J’accable un malheureux que le Ciel persécute.

ALCINOUS.

Ah ! loin de l’accabler protégez sa vertu.

AGNONIDE.

Aveugle Alcinous que me demandes-tu ?

Apprends que c’est moi seul qui l’entraîne au supplice :

Que je joins contre lui l’audace et l’artifice :

Mais que c’est pour toi seul, fils ingrat, qu’il périt.

ALCINOUS.

Pour moi, grands Dieux ! quel trouble agite mon esprit ?

AGNONIDE.

Oui, pour toi, fils ingrat, je le répète encore :

Tu ne peux ignorer que ton père t’adore ;

Ce Tyrannique amour étouffant mon devoir,

Jusqu’au Trône a porté mes vœux et mon espoir :

Appliqué sans relâche à te soumettre Athènes,

J’immole le seul Chef qui peut tromper mes peines :

Tu recueilleras seul tout le fruit de sa mort.

Malheureux ! est-ce toi qui dois plaindre son sort ?

ALCINOUS.

Quoi ! vous avez conduit cette injuste entreprise ?

Chaque mot, chaque instant ajoute à ma surprise.

Hélas ! que n’avez-vous, grands Dieux ! dans mon berceau,

De mes funestes jours consumé le flambeau,

Quand vous avez prévu qu’une plus longue vie,

D’un semblable attentat devait être suivie ?

AGNONIDE.

Ciel ! de quels sentiments ton cœur est prévenu ?

ALCINOUS.

Je le vois bien, ce cœur ne vous est pas connu.

Hélas ! y pensez-vous ? Quel funeste héritage

Prétendez-vous, Seigneur, me laisser en partage ?

Tyran de ma Patrie ? Est-il quelque grandeur

Dont ce titre odieux n’efface la splendeur ?

Du Trône et de ses soins mon cœur se sent capable ;

Mais l’ardeur d’y monter ne me rend point coupable.

Sans violer des droits dans Athènes sacrés,

Je voudrais par mon sang m’en tracer les degrés,

Du Peuple en ma faveur réunir les suffrages,

Et mériter de lui les plus justes hommages ;

Ou plutôt sans changer les lois de nos aïeux ;

Je voudrais imiter leurs exploits glorieux,

Posséder leurs vertus si dignes de nos Temples ;

Et sans aller plus loin chercher d’autres exemples,

Jaloux de ce Héros que l’on veut immoler,

Pour mourir comme lui je voudrais l’égaler.

AGNONIDE.

Quel discours ?

ALCINOUS.

Dans un fils peut-être il vous offense :

Mais c’est le fruit des soins donnés à mon enfance.

J’ose vous rappeler ce respect pour les lois,

Que vos sages conseils m’ont prescrits autrefois ;

Et je dois reconnaître, en sauvant votre gloire,

L’amour qui de votre âme en bannit la mémoire.

Triomphez donc, Seigneur, de votre ambition,

Accordez à mes vœux les jours de Phocion.

Permettez...

AGNONIDE.

Laissez-moi poursuivre mon ouvrage ;

Vainement voudrais-tu me presser davantage,

Tu n’auras point de part à ces coups inhumains,

Qui mettront aujourd’hui le sceptre dans tes mains.

Du Trône à mes périls je vais t’ouvrir la route ;

Suis-la sans t’informer des crimes qu’il me coûte.

ALCINOUS.

Seigneur, abandonnez cet horrible dessein,

Où vous m’allez plonger un poignard dans le sein.

Si votre cœur pour moi devenu moins sévère,

Peut encore s’ouvrir aux tendresses d’un père,

Du triste Alcinous sachez tous les secrets,

Et concevez par là, Seigneur, à quels regrets

L’amour de Phocion...

AGNONIDE.

Que pourras-tu m’apprendre ?

Quel aveu, quels secrets...

ALCINOUS.

Que je vais vous surprendre !

Je n’ose qu’en tremblant lever les yeux sur vous :

Vous m’allez accabler de tout votre courroux :

Mais dussai-je à jamais mériter votre haine...

AGNONIDE.

Parle ; c’est trop tenir mon esprit à la gêne.

ALCINOUS.

Vous voyez à vos pieds dans ce malheureux fils,

Un Amant enchanté des beautés de Chrisis.

AGNONIDE.

Ô Ciel !

ALCINOUS.

Je ne veux point, Seigneur, pour ma défense,

Des astres sur les cœurs rappeler la puissance ;

D’un ascendant secret l’effort impérieux,

A tiré son pouvoir de l’éclat de ses yeux :        

Dès longtemps je l’adore, et je sens que mon âme

Ne peut jusqu’au tombeau brûler d’une autre flamme ;

C’est de ce tendre amour le généreux transport,

Qui m’a de Phocion fait partager le sort,

Et qui chez Cassander m’a pressé de le suivre,

Résolu s’il mourait de ne le point survivre.

Les Dieux ont relevé ce Héros abattu ;

Son malheur m’a fait voir jusqu’où va sa vertu.

Je brûlais du désir d’entrer dans sa Famille ;

J’ai peint en arrivant ma tendresse à la fille ;

J’ai cru voir dans ses yeux quelque retour pour moi ;

Quand vos ordres cruels les ont rempli d’effroi.

Pour son père enchaîné de nouvelles alarmes,

Avec plus d’abondance ont fait couler ses larmes ;

À l’excès de ces maux prête de succomber,

J’ai vu presque à mes pieds cette beauté tomber.

Jugez en ce moment de ma tristesse extrême.

Cet affligeant objet vous eut touché vous-même.

Si dans ce jour fatal Phocion doit périr,

D’un si sensible coup on le verra mourir.

Je ne vous dirai point qu’une douleur mortelle

Me fera dans l’instant expirer avec elle.

On pourrait imputer à de vains mouvements,

Un discours si commun aux vulgaires Amants :

N’en faites point d’épreuve à votre fils funeste ;

Seigneur, si pour ce fils, quelque bonté vous reste ;

Ce n’est point à régner que je mets mon bonheur,

Chrisis et ma vertu suffisent à mon cœur.

AGNONIDE.

Levez-vous.

ALCINOUS.

Se peut-il, Seigneur, que ma prière

Ait enfin obtenu la grâce de son père ?

AGNONIDE.

Que j’expire plutôt. Tes soins et ton amour,

M’animent encore plus à lui ravir le jour.

Sa mort me va venger de ta perfide flamme :

Un fils qui me trahit ne peut rien sur mon âme.

Cesse donc de tenter des efforts superflus.

Va.

ALCINOUS.

Mon père...

AGNONIDE.

Obéis, je ne t’écoute plus.

ALCINOUS.

Et moi j’oserai tout, puisqu’on me désespère.

Mais non, je garde encore du respect pour mon père ;

Il cesse de m’aimer, et je vois que son cœur,

Sans trouble et sans combat achève mon malheur.

Mais ce jour finira mon sort et mon supplice,

Et puisque Phocion meurt par votre injustice,

Dans mon sang innocent vous me verrez laver

La honte que je souffre à ne la point sauver.

AGNONIDE.

Meurs. Tes jours ne sont plus précieux à ton père :

Mais tu caches en vain ta fureur téméraire,

Au travers du respect que tu veux affecter.

Je vois ta perfidie et ta haine éclater.

Mais de tes vains projets je préviendrai la suite,

Et je sais le moyen de régler ta conduite.

Holà ! Gardes à moi. Répondez m’en, Licas ;

Dans cet appartement ne l’abandonnez pas.

 

 

Scène VI

 

ALCINOUS, LICAS, GARDES

 

ALCINOUS.

Ciel ! que vois-je ? Ah ! rends-moi la liberté ravie !

Père injuste et cruel, on m’arrache la vie !

L’espoir seul de la mort m’est offert aujourd’hui.

Si mes Gardes ne sont moins barbares que lui.

 

 

ACTE V

 

 

Scène première

 

ALCINOUS, seul

 

Arcas ne revient point. Ciel ! quelle impatience ?

De mes maux chaque instant aigrit la violence.

Il vient.

 

 

Scène II

 

ARCAS, ALCINOUS

 

ALCINOUS.

Licas tient-il tout ce qu’il a promis ?

A-t-il à me servir proposé mes amis ?

Pour sauver Phocion sont-ils prêts à me suivre ?

Dans le trouble où je suis je ne saurais plus vivre.

ARCAS.

Oui, Seigneur, ils sont prêts à seconder vos vœux ;

Ils brûlent comme vous d’un courroux généreux.

Licas a tout conduit ; sa prudence et son zèle

Ont bientôt assemblé cette troupe fidèle ;

Dès le premier signal ils sont prêts à partir,

Je vous laisse, et dans peu je viens vous avertir.

 

 

Scène III

 

ALCINOUS, seul

 

Hélas ! quelle infortune à la mienne est égale ?

Ordre injuste et cruel, contrainte trop fatale !

Déplorable Chrisis, peut-être en ces moments

Ton cœur soupçonne-t-il la foi de mes serments !

Ô Ciel ! de mon dessein seconde la justice,

Empêche par mes soins que Phocion périsse ;

Diffère de sa mort les apprêts inhumains,

Et fais que je l’arrache à tes barbares mains.

Sa vertu t’intéresse à prendre sa défense ;

À soutenir un bras armé pour l’innocence.

Que mon sort serait doux, si je pouvais, grands Dieux !

Rendre un père à Chrisis, et mourant à ses yeux ;

Imprimer dans son cœur la mémoire éternelle ;

D’un amant immolé pour la gloire et pour elle.

 

 

Scène IV

 

ALCINOUS, ARCAS

 

ARCAS.

Venez, Seigneur, venez, voici l’heureux moment

Où vous pourrez sortir de cet appartement.

Ne perdons point de temps, le poison se prépare.

ALCINOUS.

Mourons, ou prévenons cet attentat barbare.

ARCAS.

Fuyez, Seigneur, fuyez ; votre père paraît.

 

 

Scène V

 

AGNONIDE, CLITUS, ARCAS

 

AGNONIDE, à Arcas.

Faites venir mon fils.

 

 

Scène VI

 

AGNONIDE, CLITUS

 

AGNONIDE.

Clitus c’en est donc fait.

CLITUS.

Oui, Seigneur ; Phocion sans changer de visage,

Vient de prendre à mes yeux le funeste breuvage.

Mais avant que l’effet de ce mortel poison

Ait glacé ses esprits et troublé sa raison,

Il demande à vous voir.

AGNONIDE.

 Ah ! qu’a-t-il à me dire ?

CLITUS.

Je l’ignore, lui seul pourra vous en instruire :

Puis-je voir, a-t-il dit, Agnonide un moment ?

Qu’il n’appréhende rien de mon ressentiment.

AGNONIDE.

Qu’il vienne : accordons-lui cette dernière grâce.

Je l’attendrai.

 

 

Scène VII

 

AGNONIDE, seul

 

L’effet répond à mon audace.

Achevons. Assurons le Sceptre dans mes mains.

Fermons, fermons mon cœur à des scrupules vains :

Quelque soit le projet où mon cœur s’abandonne ;

Je le crois innocent quand le Ciel le couronne.

Je ne crains point pour moi la honte des Tyrans ;

Je me place au contraire au rang des Conquérants,

Qui font dans les États ces changements célèbres,

Qui de la nuit des temps perceront les ténèbres.

Je couronne mon front pour couronner le tien,

Mon fils : mais qu’avec toi mon dernier entretien,

D’un chagrin dévorant empoisonne ma joie.

L’amitié, l’intérêt veut que je le revois.

Ce fils qui me trahit ; on va me l’amener :

À seconder mes vœux puissai-je l’entraîner !

Vainement contre lui j’excite ma colère ;

Je me sens pour l’ingrat les entrailles d’un père,

Peut-être que flattant son amoureuse ardeur,

Par le don de Chrisis je gagnerai son cœur.

Après la mort du père il peut aimer la fille ;

Je consens que l’hymen l’unisse à ma Famille :

Qu’il épouse, qu’il règne, et que le même jour

Satisfasse à la fois et la gloire et l’amour.

Aussi bien quels honneurs pourraient m’offrir des charmes,

Si je voyais mon fils les payer de ses larmes ?

Mais Clitus revient seul ; que dois-je soupçonner ?

 

 

Scène VIII

 

AGNONIDE, CLITUS

 

CLITUS.

Seigneur, qu’en ce moment je vais vous étonner ?

AGNONIDE.

Comment ?

CLITUS.

D’Alcinous je vous apprends la fuite :

Tous les gardes gagnés marchent sous sa conduite.

Le perfide Licas cédant à la pitié,

Ou vaincu par les soins d’une tendre amitié,

Seconde ses desseins et soutient son audace :

Je viens de les trouver dans la prochaine place,

Les armes à la main, la fureur dans les yeux ;

Ils faisaient éclater des cris séditieux.

Par l’exemple du Chef cette troupe animée,

Plaignait de Phocion l’innocence opprimée ;

Et jurait à l’envi de courir à la mort,

Ou de changer bientôt son déplorable sort.

AGNONIDE.

Dieux qu’est-ce que j’entends ? Quel étrange nouvelle ?

Ô téméraire fils ! Ô Licas infidèle !

Mais je vais te punir. Cher Clitus, suis mes pas :

Allons leur opposer mes fidèles Soldats ;

Et répandons le sang dans ma fureur extrême,

Des mutins, de Licas, et de mon fils lui-même.

 

 

Scène IX

 

PHOCION, CLÉON

 

PHOCION.

Agnonide me fuit, et n’ose m’accorder

Le dernier entretien que j’ai fait demander.

Que le sort d’un Tyran, justes Dieux ! est à plaindre !

Sans armes, et mourant, je le force à me craindre.

Que le poison est lent, qui doit finir mon sort !

Dieu ! que n’avancez-vous le moment de ma mort ?

Quoi ! tu ne mes dis rien ?

CLÉON.

Et que puis-je vous dire ?

Mes yeux versent des pleurs, Seigneur, mon cœur soupire ;

Tous mes sens sont saisis du plus mortel effroi.

Ah ! Seigneur, quel discours attendez-vous de moi ?

Hélas !

PHOCION.

Ma destinée est celle de Socrate,

Immolé comme lui par ma Patrie ingrate.

Que dis-je ? c’est le sort des généraux fameux,

Que les Athéniens ont vu naître chez eux.

Mais, Dieux ! je vois ma fille.

 

 

Scène X

 

PHOCION, CHRISIS, CLÉON, DIONE

 

CHRISIS.

Ah ! que votre présence,

De mes vives douleurs suspend la violence !

À l’aspect de mes pleurs les plus cruels Soldats

N’ont osé m’outrager, ni retenir mes pas.         

PHOCION.

Ô Ciel !

CHRISIS.

Votre ennemi n’ose achever son crime,

Il n’ose encore porter la main sur sa victime ;

Vous ne répondez point ; et je vois dans vos yeux...

PHOCION.

Préparez-vous, ma fille à nos derniers adieux.

CHRISIS.

Je vous perds donc, Seigneur ? Au désespoir livrée,

D’avec vous pour jamais je serai séparée.

Non, de mes jours mes mains éteindrons le flambeau,

Et Chrisis vous suivra jusques dans le tombeau.

PHOCION.

Gardez-vous d’accomplir ce dessein téméraire :

Songez qu’après ma mort vous m’êtes nécessaire ?

L’implacable fureur de nos cruels Tyrans

Refuse le repos à mes mannes errants.

Je n’ai point en ces lieux de bûcher à prétendre ;

Ma fille, c’est à vous de recueillir ma cendre.

Sans pompe, sans éclat, portez loin de ces lieux

Les restes condamnés d’un père glorieux.

Mon urne entre vos mains, gémissante, éplorée ;

Célébrez mes malheurs de contrée en contrée ;

Et ne vous arrêtez que sur les bords heureux,

Où la terre plus douce et propice à vos vœux,

Vous pressant d’achever mes tristes funérailles,

À ma cendre proscrite ouvrira les entrailles.

CHRISIS.

Quoi ! vous me destinez à ce funeste emploi !

Hélas !

PHOCION.

Je vous prescris encore une autre loi.

N’entreprenez jamais de me venger d’Athènes ;

Que mon tombeau finisse et renferme vos haines.

Puisse le Ciel pour elle apaiser son courroux !

Il me reste ma fille à disposer de vous.

Alcinous vous aime, et sa vertu m’est chère ;

Tous ses vœux, tous ses soins ne tendent qu’à vous plaire :

Si son cœur est pour vous fidèle après ma mort,

Joignez par un saint nœud tous vos jours à son sort.

Je n’avais souhaité de voir ici son père,

Que pour en obtenir un aveu nécessaire.

Peut-être à mes désirs se serait-il rendu :

Mais le perfide, hélas ! ne m’a point attendu.

Ne vous souvenez plus que sa fureur m’opprime :

S’il est traître et cruel, le fils est magnanime ;

Et voulant en mourant vous choisir un époux,

Je ne trouve que lui qui soit digne de vous.

CHRISIS.

Lui, Seigneur ? Ah ! plutôt que la foudre m’accable !

Je ne vous cèle point qu’il me parut aimable ;

Qu’avec plaisir tantôt mon cœur eut obéi :

Mais il m’est odieux, puisqu’il vous a trahi.

De mille faux serments sa tendresse est suivie ;

Il devait ou périr, ou vous sauver la vie :

Il me l’avait promis ; et cependant, hélas !

Le perfide se cache, et ne vous défend pas ;

Il perd toute sa gloire, et monte sa faiblesse.

 

 

Scène XI

 

PHOCION, CHRISIS, ALCINOUS, DIONE, CLÉON, LICAS

 

ALCINOUS.

Aux dépens de ses jours il vous tient sa promesse ;

Cet Amant malheureux accusé sans raison.

Venez, Seigneur, sortez d’une indigne prison ;

Que votre liberté soit mon dernier ouvrage.

Mais Dieux ! je vois la mort peinte sur son visage.

Ne serait-il plus temps, Madame ?

PHOCION.

Non, Seigneur.

ALCINOUS.

Ah ! C’en est trop. Ce coup accable enfin mon cœur.

En vain par tout mon sang je vous ouvre un asile :

Je meurs ; et mon trépas vous devient inutile.

PHOCION.

Hélas ! que votre sort est terrible pour moi !

Qu’avez-vous entrepris ? Pourquoi, Seigneur, pourquoi

Immoler votre vie au salut de la mienne ?

Nos Tyrans n’auront plus de frein qui les retiennent :

Vous seul pouviez encore résister à leurs coups ;

Mais la foi, la vertu, tout expire avec vous.

CHRISIS.

Destin cruel, prends-moi pour dernière victime.

Un Père que j’adore, un Amant que j’estime...

Dieux ! qui voyez mon cœur dans cet ordre affreux !

Vous savez qui de nous est le plus malheureux !

PHOCION.

C’en est fait ; tout mon sang se glace dans mes veines.

Grande divinité protectrice d’Athènes ;

Minerve daigne encore soutenir sa grandeur :

Écoute, et pénétrant jusqu’au fond de mon cœur,

Sois témoin que malgré sa poursuite cruelle,

Le dernier de mes vœux t’est adressé pour elle.

ALCINOUS.

Digne effort d’un Héros qu’Athènes a proscrit ;

Un soin bien différent occupe mon esprit.

Ô toi ! qui fus toujours l’arbitre de ma vie,

Je n’implore que toi, seconde mon envie.

Amour, offre à l’objet pour qui je vais mourir,

Ma dernière pensée, et mon dernier soupir.

PHOCION.

Adieu ma fille.

ALCINOUS.

Hélas !

CHRISIS.

Ô fortune contraire !

J’ose, après de tels coups, défier ta colère.

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