Éloi l’innocent (Thomas SAUVAGE)

Drame en deux actes, mêlé de chant.

Représenté pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre des Folies-Dramatiques, le 12 janvier 1843.

 

Personnages

 

DE KÉRANDAL, armateur

KERKABECK, son neveu

LEGROS, ancien fournisseur

PERRIN, son neveu, avocat

ÉLOI, fils de mère Jean

ALINE, fille de Kérandal

MÈRE JEAN, sa nourrice

MÉRIC, paysan

UN RECORS

DEUX DOMESTIQUES

 

1805. En Basse-Bretagne, près de Concarneau (Finistère).

 

 

ACTE I

 

Une terrasse. Au fond, mur à hauteur d’appui. La mer au-delà. À droite, un château ; à gauche, un petit pavillon.

 

 

Scène première

 

MÉRIC, KERKABECK

 

Au lever du rideau, Méric est assis, s’essuyant le front ; Kerkabeck sort du château.

KERKABECK, tenant une lettre, à Méric.

C’est vous qui apportez cette lettre ?...

MÉRIC.

Oui, Monsieur... Je m’ai joliment dépêché, parce qu’on m’avait dit que c’était pressé.

KERKABECK, avec humeur.

Oui... pressé... Joli réveille-matin !... Attendez...

MÉRIC.

Bon !... Il va me payer le port, le Parisien.

KERKABECK.

Je vais vous donner...

MÉRIC, tendant la main.

Pour boire ?...

KERKABECK.

Une réponse.

MÉRIC.

Merci, tout de même.

KERKABECK.

Vous connaissez la personne...

MÉRIC.

De qui que vient la lettre ?... Pardine ! c’est M. Corentin, le plus madré, le plus retors des procureurs de la Basse-Bretagne.

KERKABECK.

Procureur ! procureur !... En 1805, on dit, avoué ! mon cher, avoué !...

Méric se retire à l’écart et mange.

Air de la Robe et des Bottes.

Je conçois que ce rustre ignore
Ce mot nouveau dont on vient d’accoucher...
Pour le mouton que l’on dévore,
Qu’importe le nom du boucher ?
Tous les deux font même grimoire,
Pour la chicane ils ont même fureur :
Si l’avoué signe enfin un mémoire,
C’est la griffe du procureur !

Il va écrire dans le pavillon.

Je quitte Paris, pour éviter ces damnés créanciers... je me réfugie chez mon oncle, en Basse-Bretagne, à Concarneau... À peine arrivé, je me vois pour suivi, harcelé, traqué !... Ce n’est pas la vie humaine, ça... c’est une existence de lièvre !... Et mon oncle qui ne paraît pas disposé à me subventionner !... Il est vrai qu’il a déjà deux fois payé mes dettes... Enfin, lâchons de leur faire perdre patience avec cette lettre...

Il ferme la lettre. À Méric.

Tiens, à M. Corentin... et qu’on se dépêche...

MÉRIC, tendant la main.

V’là tout ?... Merci toujours !...

Il sort.

 

 

Scène II

 

KERKABECK, seul, agité

 

C’est égal, M. de Kérandal manquerait à son devoir d’oncle, en ne payant pas cette misère... 15 000 francs !... Ce ne serait d’ailleurs qu’une restitution... Un oncle à héritage, se marier à 58 ans... Voilà-t-il une infamie !... Et avoir une fille !... Quelle injustice !... Ma grand’tante, la douairière de Kerkabeck, ne parlait jamais de cette enfant-là sans fermer les yeux, pincer les lèvres et hausser les épaules... Je ne sais pas pourquoi... Encore, s’il me l’avait donnée en mariage, comme j’y comptais, comme il le devait... Mais non, il prend pour gendre un petit avocat de Paris.

 

 

Scène III

 

KERKABECK, MÈRE JEAN, inquiète et cherchant

 

MÈRE JEAN.

Je ne découvrirai pas où il est ?

KERKABECK.

Eh ! mais, je ne me trompe pas, c’est la mère Jean... Bonjour, mère Jean !

MÈRE JEAN, d’un ton sec.

Bonjour, M. Kerkabeck... Vous n’avez pas vu Éloi ?

KERKABECK.

Ton innocent ?... Je ne l’ai pas encore aperçu... Est-ce qu’il ne demeure plus avec toi ?

MÈRE JEAN.

Si fait... Et même, quand je suis venue hier au soir au château pour embrasser Mlle Aline, je l’avais enfermé dans notre chaumière...

KERKABECK.

Enfermé !... Il est donc furieux, maintenant ?

MÈRE JEAN, le regardant.

Quelquefois... Quand il voit des gens qui lui déplaisent.

KERKABECK.

Diable ! je ne suis pas curieux de le rencontrer... Allons rejoindre mon oncle qui se promène dans le parc, et tâchons de l’amener à des dispositions plus favorables.

Il sort.

 

 

Scène IV

 

MÈRE JEAN, seule

 

Ah ! oui, furieux !... S’il entendait parler du mariage qui se prépare... qui, pourtant, va la rendre heureuse cette chère Aline... Mais il verrait encore là un enlèvement de sa sœur... Sa sœur... pauvre garçon... Quelle étonnante obstination !... Ni le temps... douze années !... ni l’absence rien n’a pu lui faire oublier cette enfant... S’échapper la nuit... où est-il ?... S’il a su le retour de Mlle de Kérandal, il aura voulu venir au château... et je tremble de tout ce qui pourrait arriver s’il parlait... Oh ! la v’là avec son fiancé... Qu’elle est gentille !... Maintenant, je ne peux plus m’en aller sans l’avoir embrassée...

 

 

Scène V

 

MÈRE JEAN, un peu à l’écart, ALINE, PERRIN, sortant du château

 

PERRIN.

Chère Aline, laissons mon oncle et votre père causer affaires, et permettez-moi de vous exprimer tout mon bonheur !...

ALINE.

Je vous répondrai en parlant du mien.

MÈRE JEAN, s’avançant.

Pardon, excuse, mademoiselle, M. Perrin, si je vous dérange...

ALINE.

Ah ! ma nourrice !

MÈRE JEAN.

Oh ! que j’suis contente !... Eh ben ! mes enfants, le v’là donc enfin venu, le grand jour de ce mariage !...

ALINE.

Oui, mère Jean, nous y voilà !

PERRIN.

Vous m’avez vu bien triste lorsque, du vivant de Mme de Kérandal, amie de ma mère, je venais passer ici mes vacances... Déjà, j’aimais Aline !...

MÈRE JEAN.

Et Aline vous aimait !...

PERRIN.

Mais, sans autre fortune que ma profession d’avocat, je n’osais aspirer à sa main ; lorsqu’un frère de ma mère, célibataire et sans enfants, revint des armées. Millionnaire et jaloux de donner de l’éclat à sa famille, il m’offrit une dot et son héritage, à la condition que j’épouserais une demoiselle riche et noble.

MÈRE JEAN.

V’là un brave homme !...

ALINE.

Heureusement, je réunissais ces deux qualités.

MÈRE JEAN, un peu troublée.

Oui, oui, c’est fort heureux !...

PERRIN.

Sans contredit ; car, quel que soit mon amour, sans écouter mes larmes, ni mes prières, si elle n’eût été qu’une riche bourgeoise ou une pauvre fille noble, jamais mon oncle n’eût consenti à mon mariage avec Aline.

ALINE.

Et quel chagrin, alors !

MÈRE JEAN.

Ah ! il tient comme ça à la fortune et à la noblesse ?

PERRIN.

Absolument !...

MÈRE JEAN.

Cependant il est roturier ?

PERRIN.

Comme Adam !... Il s’est enrichi dans les fournitures... Mais, à ses yeux, il n’existe pas de bonheur sans richesse, ni de considération sans noblesse.

ALINE.

Cet homme-là ne sait pas ce que c’est qu’aimer !...

MÈRE JEAN, à part.

Ah ! mon Dieu !... Et dire qu’un mot...

Haut.

J’ vas chercher Éloi...

ALINE.

Pour nous l’amener ?... tu feras bien... Je ne l’ai pas encore revu, mon frère de lait.

MÈRE JEAN.

Eh bien ! vous le verrez plus, tard... il sera toujours temps.

ALINE, la caressant.

Tu ne veux pas qu’il vienne près de moi, et t’y voici !...

MÈRE JEAN.

Oh ! moi, n’est-ce pas naturel ?... Tu es aussi ma fille.

ALINE.

Sans doute... et j’aime ma nourrice comme une mère !...

MÈRE JEAN.

Dame ! je l’espère... et tu fais bien !...

ALINE.

Tu amèneras Éloi ?

MÈRE JEAN, vivement.

Éloi ! non, non... Je suis sûre qu’il a senti votre retour, comme la mouette sent l’orage... et ça lui donne des idées... il dit des choses...

PERRIN.

Comment ?...

MÈRE JEAN.

Avec ça, nous sommes dans la pleine lune... et sa tête déménage...

PERRIN.

Quel dommage qu’il ait si peu d’intelligence !... c’est un si bon cœur et un sens si droit !... Dans toutes les difficultés où notre raison se perd, sa conscience le guide, et il ne se trompe jamais... Je comprends maintenant le respect qu’on a dans les campagnes pour les idiots : ils n’ont dans l’âme qu’un rayon de lumière, mais ce rayon vient du ciel.

MÈRE JEAN.

Vous avez toujours été bon pour mon Éloi, vous, et le bon Dieu vous en récompensera... Ah ! voici M. de Kérandal et votre gros oncle... Terminez voire mariage promptement... on ne sait pas ce qui peut arriver !...

PERRIN.

Que voulez-vous dire ?

MÈRE JEAN.

Rien... rien... je bavarde !... Le désir de vous voir contents... Adieu, mes enfants... adieu !...

À part.

Je vais courir après mon Éloi...

Elle sort en le cherchant des yeux.

 

 

Scène VI

 

ALINE, PERRIN, KÉRANDAL, LEGROS, KERKABECK, VALETS, qui dressent une table sur la terrasse à droite et servent le déjeuner

 

KÉRANDAL, entrant.

Ainsi, maintenant, mon cher Legros, vous avez vu mes domaines et mon château.

LEGROS.

Oh ! oh ! j’aime ça, ça me plaît... ça m’enchante !... Donjons, tourelles, colombiers, pont-levis, machi...

PERRIN.

Mâchicoulis !

LEGROS.

Machi... n’importe !... Marque de noblesse, n’est-ce pas ?

KÉRANDAL.

Autrefois.

LEGROS.

Fort laid, fort incommode... C’est égal, superbe, magnifique !... Eh ! eh ! fille, garçon... eh ! eh ! eh ! tout ça pour vous, avec ma fortune...

KERKABECK, à part.

Vertueux célibataire, que ne m’appartiens-tu ?... je te mettrais sous verre !

LEGROS.

Vous serez bien riches, bien heureux !...

ALINE.

Oh ! oui, nous serons heureux !... Surtout si mon bon père tient la promesse qu’il nous a faite, de ne jamais nous quitter.

KÉRANDAL.

Moi, vous quitter, mes enfants !...

Air d’Aristippe.

Riches et fiers d’une longue espérance,
Quand vous parlez : « Au revoir ! dites-vous ;
Brayons gaiement le temps et la distance,
Nous, jeunes gens, l’avenir est à nous ! »
Et le retour rend le bonheur plus doux...
Mais à mon âge il n’en est pas de même...
Mettre à profit le temps est un devoir ;
Il ne faut plus quitter ceux que l’on aime :
Pour le vieillard, l’absence est sans espoir !
Pour lui l’absence, hélas ! n’a plus d’espoir !

Et que deviendrais-je sans loi, mon Aline ?... Depuis que j’ai perdu ta mère, je n’ai pas passé un seul jour sans bénir le ciel pour tout le bien qu’il m’envoyait per toi... À qui pourrais-je encore tenir, si je ne t’avais plus ?...

LEGROS.

Bon père !... Vrai, bon père tout-à-fait... j’en suis tout ému !... Mais on ne pense pas à tout cela, quand on a comme vous 50 mille livres de rente !... et un rang, un litre, de la noblesse !... La noblesse ! les honneurs ! je ne connais que ça !... J’ai de l’argent, mais j’ai besoin d’honneur !... Je manque d’honneur... Je ferais des bassesses pour être noble !...

KÉRANDAL.

Voilà comme on n’est jamais satisfait... Noble, mais ruiné, j’ai dû, moi, me livrer au commerce pour soutenir mon rang.

LEGROS.

Eux, ils auront tout... eh ! eh !... Aussi, quand il m’a dit qu’il adorait Mlle de Kérandal... C’est comme ça que tu m’as dit, n’est-ce pas, garçon ?...

PERRIN.

Oui, mon oncle.

LEGROS.

Adore, adore, lui ai-je répondu... Elle est noble et riche !... Nous nous connaissions... je vous avais souvent rencontré chez les ministres.

KÉRANDAL.

Oui, oui... vous attendiez toujours dans l’antichambre.

LEGROS.

Eh ! eh ! l’on y fait de bonnes connaissances... Et puis, nous servions à la même époque...

KÉRANDAL, avec hauteur.

Comment ?...

LEGROS.

Vous, dans la marine ; moi, dans les fourrages.

KÉRANDAL, souriant.

Ah ! c’est juste... Au reste, vous avez bien fait de nous donner votre neveu ; car, si vous l’aviez refusé, je l’aurais, je crois, enlevé de force !...

LEGROS.

Ah bah !...

KÉRANDAL.

C’est que, voyez-vous, j’ai des droits sur lui... Est-ce qu’il ne vous a pas conté ses exploits ?

LEGROS.

Des exploits ?... Non.

KÉRANDAL.

Quoiqu’avocat, il est brave. Il y a deux ans, pendant les vacances, il était ici... Des contrebandiers anglais avaient entrepris de débarquer leurs marchandises sur nos côtes... J’y fus avec mes gens pour les repousser : mais les Goddem se battirent en désespérés ; déjà nous faiblissions ; moi-même ; blessé, entouré, je voyais levé sur moi le sabre d’un forban, quand un homme se jette devant moi, et tue mon adversaire... C’était Perrin, et voilà le coup qui m’était destiné.

LEGROS.

Diable ! diable ! diable !... c’est très joli !...

KERKABECK.

C’est fort laid, une balafre !...

KÉRANDAL.

Ah ça ! voici le déjeuner... À table !...

LEGROS.

À table !... Viens près de moi, fille... tu verras les beaux diamants que je t’ai apporte.

KERKABECK, pendant qu’on se place.

Cet homme-là doit ressembler au Pérou !... Est-il heureux, ce petit M. Perrin !...

KÉRANDAL.

À propos de corsaires... vous avez reçu ce matin des avis menaçants, mon cher neveu... Gare à l’abordage !... Ne vous laissez pas mettre à fond de cale, car je ne vous en tirerais pas, cette fois.

KERKABECK, à part.

Diable !

LEGROS.

Corsaires ! abordages !... Quoi donc ? quoi donc ?...

KÉRANDAL.

Rassurez-vous, mon cher, les corsaires dont il s’agit capturent en terre ferme.

LEGROS.

Bon ! bon ! j’y suis... Créanciers, huissiers... des dettes, jeune homme ?... Mauvais, mauvais !... Payez comptant... toujours... moins cher... crédit ruine !...

KERKABECK, à part.

Gros lingot !... ça t’est bien facile à dire... Faisons bonne contenance.

Haut.

La correspondance, avec un avoué, à laquelle mon oncle fait allusion, n’est pas pour ce que vous croyez.

KÉRANDAL.

Ah ! tant mieux !... Et quelles affaires si pressantes ?...

KERKABECK.

Des instructions à donner... de la part du ministre, à cause du nouveau code.

LEGROS.

Ah ! ah !

KERKABECK.

Quel bel ouvrage. Messieurs, que ce code !... C’est que l’Empereur y a travaillé !... Tenez, un jour, on discutait le titre de l’adoption... Comme auditeur, je tenais la plume... M. Tronchet était opposé à cette loi... L’Empereur s’écrie, avec cette chaleur et cette prise de tabac qui le caractérisent : « L’adoption a des avantages réels... elle intéresse la vieillesse à élever la jeunesse... qu’en même temps elle encourage. » Et l’adoption fut adoptée, avec des réserves. Par exemple, il faut que l’on ait donné des soins à l’adopté, au moins pendant six ans, ou qu’il ait sauvé la vie à l’adoptant, et quelqu’autres minuties semblables...

On entend chanter au dehors.

ALINE.

Ah ! c’est Éloi !...

LEGROS.

Qu’est-ce que c’est que ça ?...

KÉRANDAL.

Un idiot.

LEGROS.

Ah ! comme qui dirait... Connais pas.

On quitte la table.

 

 

Scène VII

 

LES MÊMES, ÉLOI, sur le mur d’appui

 

ÉLOI.

Air breton.

Là-bas, sur la mer,
La brise est fraiche !
Là-bas, sur la mer,
Le ciel est clair.
Prends ta barque, Éloi,
Viens à la pêche ;
Prends la barque. Éloi,
On part sans toi.
Pour Yvonne,
Bon !...
Pour Yvonne,
La pêche sera bonne ;
Sans Yvonne,
Non !...
Sans Yvonne,
Éloi reste à la maison.

Il saute sur la terrasse.

Même air.

Que de bigorneaux,
Que de sardines !
Que de bigorneaux,
Comme ils sont beaux !...
Courons à Quimper
Avant matines,
Courons à Quimper,
Nous vendrons cher !...
Pour Yvonne,
Bon !...
Pour Yvonne,
La vente sera bonne ;
Sans Yvonne,
Non !...
Sans Yvonne,
Éloi reste à la maison.

Il vient à Aline.

Bonjour, Yvonne !... Te voilà-donc, ma petite sœur ?... tu reviens près d’Éloi, c’est bien !... tu ne me quitteras plus !...

ALINE.

Pauvre garçon !...

ÉLOI.

Ils m’ont enfermé, les loups de mer !... J’ai ôté une planche du toit, et j’ m’ai caché dans les rochers... et puis, me v’là !... C’est que je voulais te voir...

KÉRANDAL.

Quel chagrin pour celle brave mère Jean !...

ÉLOI.

Mais, comme t’es belle ! comme t’es grandie !... Faudra ôter ces habits-là pour venir à la pêche aux crevettes...

À Kérandal.

Pardon, excuse, M. le Curé, je ne vous voyais pas... Vous allez me rendre ma sœur, n’est-il pas vrai ?...

LEGROS.

Sa sœur !... Toi, nièce ?...

ALINE.

Ses idées ordinaires... Il avait une petite sœur de mon âge, il l’a perdue, et sa pauvre tête nous confond... Éloi !...

ÉLOI.

Hein ?...

ALINE.

Tu ne sais donc plus où tu es ?...

ÉLOI.

Au château de Concarneau... et je ne veux pas qu’on me prenne ma sœur !...

PERRIN.

Tu rêves, mon pauvre garçon... Regarde donc bien, voici M. de Kérandal.

ÉLOI.

Ah ! oui, que j’étais bête !...

PERRIN.

Et Mlle Aline.

ÉLOI.

Aline... Ouiche ! c’est bon !...

KERKABECK, à part.

C’est singulier...

ÉLOI, l’apercevant.

Ah ! Kabeck !... Sorcier... sorcier... Kabeck !...

KERKABECK.

Tiens, encore cette idée !...

PERRIN.

Pourquoi appelles-tu M. Kerkabeck sorcier ?...

ÉLOI.

Air : [] bien naturel.

Dam ! c’est qu’il l’est, prenez garde !...
Si d’ travers il vous regarde,
Tout d’ suit’, vous êt’s un homm’ mort !
Ça vous paraît fort !
C’est qu’il jette un sort !...
L’ jour de Saint-Éloi, ma fête,
Il m’a frappé sur la tête...
Pourtant je n’avais pas tort.
Depuis c’ temps-là, si j’suis bête,
C’est un mauvais sort !...

KERKABECK.

Eh ! mon Dieu, oui... en jouant, nous étions enfants... je l’ai touché un peu fort. Allons, faisons la paix !... Tiens, voilà des gâteaux... Aimes-tu encore les gâteaux ?...

ÉLOI.

C’te bêtise... Comme si on n’aimait pas toujours les gâteaux !...

Là-bas, sur la mer,
La brise est fraiche !
Là-bas, sur la mer...

Mais, vous ne me prendrez pas ma sœur, au moins... N’est-ce pas, M. Kérandal... il ne me prendra pas ma sœur ?...

KÉRANDAL.

Non, mon garçon... déjeune tranquillement... Aline, fais avertir sa mère...

ALINE.

Oui, mon père.

KÉRANDAL.

Perrin, venez voir la minute du contrat que j’ai reçue, ce matin... Gare les corsaires, mon neveu !...

TOUS, en chœur.

Air breton.

Sans craindre aucun nuage,
Allons, le cœur joyeux,
Former ces nœuds...
Amis, ce mariage
Nous rendra tous heureux !...

Kérandal, Perrin et Aline rentrent au château ; Le gros les suit d’abord, puis, revient sur ses pas, et s’assied en face d’Éloi.

 

 

Scène VIII

 

LEGROS, KERKABECK, ÉLOI, assis sur la table, mangeant et fredonnant

 

KERKABECK.

Décidément, il refuse de venir à mon secours... Et je suis aussi capable de payer les quinze mille francs qui me poursuivent, que de danser la gavotte sur les mains !... Infâme procureur !... bu avoué... ça m’est égal, J’appelle sur toi toutes sortes de désagréments !

ÉLOI.

Me la prendre !... Je ne veux pas, moi ! Je suis majeur, je suis le chef de la famille !...

KERKABECK.

Pauvre fou !... Je deviendrai comme lui, c’est sûr !...

À Legros.

Eh bien ! qu’est-ce que vous faites là ?...

LEGROS.

Paix donc ! paix donc !... j’écoute... c’est drôle !... Je n’avais jamais vu d’imbécile.

KERKABECK.

Vous ne vous rasez donc pas ?

LEGROS.

Non.

ÉLOI.

Il n’y a qu’elle que j’aime dans le monde... Il n’y a qu’elle qui m’écoute, qui m’entende, qui me console... quand j’ai du chagrin. Ils me l’avaient emmenée... mais cela n’arrivera plus... ou je parlerai, à mon tour... et puis, eux, ils seront des imbéciles, les autres !

LEGROS.

Hein ? qu’est-ce qu’il veut dire ?...

KERKABECK.

Au fait, ça devient intéressant.

ÉLOI, courant.

Oh ! le beau papillon !... il a des ailes couleur de feu...

Il s’arrête.

Oui, je le dirai ! et je montrerai le papier... le papier du curé, et ils verront !...

KERKABECK, à Legros.

Air de l’Écu de six francs.

À ma mémoire se, présente,
En voyant l’air de ce benêt,
La grimace de ma grand’tante,
Lorsque d’Aline on lui parlait.

LEGROS.

Voyez vraiment le beau secret !...
Des femmes, dont la beauté passe,
Mais c’est là le muet discours :
Louez les jeunes, et toujours
Les vieilles feront la grimace !

KERKABECK, à part.

C’est égal... ces idées et ce papier...

Haut.

Qu’est-ce que c’est que ce papier, Éloi ?...

ÉLOI.

Quand ma sœur était toute petite, toute petite, je lui faisais des armées de coquillages. Dieu ! que ça la faisait rire !...

KERKABECK.

Tu venais donc au château, dans ce temps-là ?

ÉLOI.

Comme si nous n’étions pas chez nous, là-bas, dans la cabane ?... Mme Kérandal y venait aussi, et puis l’enfant est venu.

KERKABECK, à Legros.

Ah ! l’enfant !...

LEGROS.

Ah ! l’enfant !... eh bien ?...

ÉLOI.

Chut !... faut pas dire, faut pas dire !...

KERKABECK.

Non, sans doute...

À Legros.

Ah ! ah ! faut pas dire...

LEGROS.

Ensuite...

KERKABECK.

C’est clair !...

LEGROS.

Oui, oui... Du diable, si je devine !...

KERKABECK, à part.

C’est qu’avec des preuves, j’arrêterais le mariage, j’aurais l’héritage ! Poursuivons, morbleu !...

ÉLOI.

Savez-vous lire ?...

KERKABECK.

Certainement !...

ÉLOI.

Bon ! vous me lirez ça.

KERKABECK.

Quoi ?...

ÉLOI.

Un grand papier dans la boîte... la boîte à Yvonne... Je la gardais pour lui rendre, mais on ne prend tout !...

KERKABECK.

Et sais-tu où elle est, cette boîte ?...

ÉLOI.

Oui, je l’ai rattrapée... Mère Jean a beau avoir des cachettes, je trouve tout, moi, parce que d’abord je cherche toujours...

À Legros.

Oh ! un lézard, dans votre boîte !...

KERKABECK.

Écoute donc, Éloi, tu disais...

ÉLOI.

Oui, oui... Vous rappelez-vous quand nous avons mangé les confitures du curé ?

KERKABECK.

Oui, oui...

À Legros.

Allons, le voilà qui divague !...

LEGROS.

Je crois qu’il n’a pas cessé... je n’ai vu que des brouillards.

ÉLOI.

Était-il en colère !... Et quand il nous a enfermés daris le clocher... Et quand nous avons sonné la cloche... dinn, donn, dinn, donn !... C’est ce curé-là qui a fait le papier.

KERKABECK.

Alors il sait tout, n’est-ce pas ?

LEGROS.

Ah ! voilà un renseignement !

ÉLOI.

Oh ! il est allé conter ça au bon Dieu... Il n’y a plus que mère Jean qui sache ça, et puis moi.

KERKABECK.

Et M. de Kérandal ?

ÉLOI, riant.

M. de Kérandal !... Ah ! ah ! ah !... en voilà une fameuse bêtise !... ah ! ah !...

Sa mère entre et lui donne un soufflet.

Aie ! aïe !...

LEGROS.

Ah ! ah ! ah !... il est amusant au possible... hein ? 

 

 

Scène IX

 

LEGROS, KERKABECK, ÉLOI, MÈRE JEAN

 

MÈRE JEAN.

Qu’est-ce que tu fais là ?...

ÉLOI, pleurant.

Vous voyez bien, je ris.

MÈRE JEAN.

Qui l’a permis de quitter la maison ?...

ÉLOI.

Vous n’étiez pas là... je ne pouvais pas demander la permission.

LEGROS.

Exact !...

MÈRE JEAN.

Puisque j’avais fermé la porte, il devais bien comprendre...

ÉLOI.

Qu’il ne fallait pas sortir par là... Je suis sorti par le toit.

LEGROS.

Charmant !

MÈRE JEAN.

Nigaud !...

LEGROS.

Hein ?... Ah ! c’est à lui.

KERKABECK.

Allons, mère Jean, ne le fâche pas... il ne faisait pas de mal.

MÈRE JEAN.

C’est ça, plaignez-le... Un grand fainéant qui n’est bon à rien, qu’à écouter... Au reste, on dit que c’est votre état à vous.

KERKABECK.

Eh ! mais, c’est quelquefois très amusant d’écouter... et puis, très utile !... On apprend des choses intéressantes, n’est-ce pas, M. Legros ?...

LEGROS.

Oui, oui, oui... très intéressantes !

MÈRE JEAN, à part.

Ah mon Dieu ! il a parlé !

KERKABECK, à Legros.

Elle se trouble...

Éloi fait des bouquets, court après des papillons.

LEGROS.

Et puis, ils sont naïfs, les imbéciles.

MÈRE JEAN.

Allez, Monsieur, ce n’est pas beau de se moquer de ses semblables !

LEGROS.

Hein ? hein ?...

KERKABECK.

Ne répondez pas à cela, c’est pour détourner la conversation.

LEGROS, à Kerkabeck.

Oui, c’est juste...

À mère Jean.

Dis donc, mère Jean, il a vu de belles choses, ton fils !...

MÈRE JEAN.

Il n’a jamais vu rien de laid chez sa mère, tout de même.

KERKABECK.

Ah ! oui ; mais ailleurs.

MÈRE JEAN, à part.

Ils sont bien informés.

KERKABECK.

Ah ! mon pauvre oncle a eu bien tort d’être absent à la naissance de son enfant.

MÈRE JEAN, à part.

Oh ! ils savent tout !...

LEGROS.

Il me semble qu’il a eu bien plus grand tort d’être absent auparavant.

Il rit.

MÈRE JEAN, à part.

Hein ?... Mais non, je m’y perds !...

Haut.

Fi ! Monsieur... Apprenez que votre tante était la plus honnête femme du monde !... Pauvre chère dame !... elle n’a jamais rien eu à se reprocher, que son excessive faiblesse.

LEGROS.

Une faiblesse !... c’est ça.

MÈRE JEAN.

Comment l’entendez-vous donc ?

KERKABECK.

Parbleu ! comme je l’entends aussi, comme tout le monde l’entend... L’ennui de la solitude... une rencontre... un hasard.

MÈRE JEAN, à part.

Je m’étais trompée.

KERKABECK, à part.

Je joue à colin-maillard... Voyons si j’attraperai...

Haut.

Et puis une cabane de pêcheur, sur le bord de la mer, c’est commode... pour les rendez-vous.

MÈRE JEAN.

Qu’appelez vous, Monsieur, des rendez-vous ?

KERKABECK.

Là, là, ne te fâche pas...

À part.

Allons, casse-cou !... j’ai fait fausse route...

LEGROS.

Je n’y comprends plus rien du tout.

MÈRE JEAN.

Et attaquer la mère Jean encore !... La mère Jean, qui n’a jamais bronché !... Prenez-y garde ! je ne suis qu’une femme, mais je suis capable de faire rentrer ces propos là si avant, qu’on ne serait plus tenter de les faire sortir !

LEGROS.

Oh ! oh ! mère Jean, je ne dis rien... Quelle luronne !...

 

 

Scène X

 

LEGROS, KERKABECK, ÉLOI, MÈRE JEAN, KÉRANDAL, PERRIN

 

KÉRANDAL.

Eh bien ! qu’est-ce donc ?... on se querelle ici... Mère Jean en colère et mon neveu tout déconcerté !... Que s’est-il donc passé ?...

KERKABECK.

Rien, mon oncle, rien en vérité... quelques plaisanteries...

MÈRE JEAN.

Ah ! Monsieur trouve cela plaisant !... Insulter l’honneur d’une femme ! de sa tante, dont la mémoire nous est si chère !...

KÉRANDAL.

Ma femme !...

KERKABECK.

Mon oncle, je vous jure que mon intention...

MÈRE JEAN.

Mais, je voudrais bien savoir, M. l’écouteur, où vous avez pris ces mensonges ?

KERKABECK.

Vous sentez bien que je n’ai pas été inventer ces rêveries... D’abord, moi, je n’invente rien... J’ai entendu dire...

MÈRE JEAN, montrant Legros.

Par qui ?... Par Monsieur ?

LEGROS.

Moi !... J’invente encore bien moins.

KERKABECK.

Eh parbleu !! par Éloi...

KÉRANDAL.

Par Éloi !...

KERKABECK.

Il est là... qu’il répète ce qu’il m’a dit...

À Éloi.

Voyons, laisse-là ton lézard, et approche, nous avons à te parler.

MÈRE JEAN.

Eh ! mon Dieu ! que voulez-vous tirer de ce pauvre innocent.

KERKABECK, à Legros.

Tiens, comme elle s’a doucit... Certainement, il y a quelque chose.

MÈRE JEAN, à Éloi.

Va vite à la maison.

KERKABECK.

Oh bien ! alors, si vous ne voulez pas l’interroger, ne m’accusez pas.

KÉRANDAL.

Si fait, je le veux... Reste, Éloi ; approche.

ÉLOI.

Voilà, M. Kérandal, voilà Éloi. Voulez-vous des crevettes ?... il va vous en chercher.

KERKABECK.

Non, reste là... Voyons, réponds...

MÈRE JEAN.

Oui, réponds, imbécile !... et avise-toi de dire des sottises... tu sentiras si mère Jean a le bras fort.

ÉLOI.

Oh oui ! elle a le bras fort, mère Jean.

LEGROS.

C’est ça, fais-lui peur.

MÈRE JEAN, le poussant.

Peur !... Est-ce qu’il a peur... Tu n’as pas peur, n’est-ce pas ?

ÉLOI, tremblant.

Non, Éloi n’a pas peur.

KÉRANDAL.

Dis-moi ce que tu as dit à ces Messieurs.

ÉLOI.

Ah ! ah ! ce que je leur ai dit... ici, tout à l’heure ?

KERKABECK.

Oui, précisément... tu te rappelles ?

ÉLOI.

Oui...

À Kérandal.

Vous voulez l’entendre aussi ?

KÉRANDAL.

Oui.

ÉLOI, chantant.

Là-bas, sur la mer,
La brise est fraîche !
Là-bas, sur la mer...

KERKABECK, l’interrompant.

Au diable l’idiot !

ÉLOI.

Eh ben ! c’est ma chanson... C’est pas ça que vous voulez ?

KÉRANDAL.

Je veux que tu répètes ce que tu as dit à mon neveu et à Monsieur.

ÉLOI.

Répéter ?...

PERRIN.

Oui...

ÉLOI.

Je veux bien.

KERKABECK.

À la bonne heure !

Éloi se tait.

Allons donc ?...

ÉLOI.

Dites, je répèterai.

KERKABECK.

Hein ?...

JEAN.

Ce que vous voulez que je dise... comme quand le curé demande le catéchisme... Éloi sait le catéchisme... Qu’est-ce qui a fait le ciel et la terre ?

KERKABECK.

Mais, ce que tu nous as dit ?... Un enfant, chez ta mère.

ÉLOI.

Ah ! oui, un enfant... chez mère Jean... Oui, oui.

TOUS.

Eh bien ?...

ÉLOI.

C’est Éloi... Ils appellent Éloi grand enfant.

KERKABECK.

Eh ! non !

ÉLOI.

Non, c’est pas ça... vous avez raison, Kabeck... Éloi n’est plus un enfant, c’est le chef de la famille après mère Jean.

PERRIN, à Legros.

Vous voyez, mon oncle.

LEGROS.

Oui, je vois que ce Kerkabeck se moquait de moi.

KERKABECK, à Éloi.

Mais, sur Me de Kerkabeck, ne sais-tu rien ?

ÉLOI.

Ah ! qu’elle était bonne !... les beaux habits qu’elle me donnait toujours, à Pâques... Elle ne m’en donnera plus, à présent... elle est là-haut !...

Il pleure.

MÈRE JEAN, l’embrassant.

Console-toi, mon garçon... va mettre tes beaux habits pour la noce, et prie toujours pour elle... Ils ont beau t’appeler imbécile, va, tu vaux mieux que ceux qui ont plus d’esprit.

KÉRANDAL, à Kerkabeck.

Après un pareil scandale, j’espère que vous nous éviterez le désagrément de votre présence... Éloi, va dire à la poste qu’on envoie des chevaux pour Monsieur... tu entends ?...

ÉLOI.

Oui, M. Kérandal...

À part.

Ouiche ! après la boîte.

KERKABECK.

Mais, mon oncle...

KÉRANDAL.

Restez, Monsieur, je vous défends de nous suivre... Vous pouvez préparer votre départ... Allons, Messieurs, allons signer le contrat... Mère Jean, viens près d’Aline.

Ils sortent. Éloi s’éloigne d’un autre côté, en faisant des signes à Kerkabeck.

 

 

Scène XI

 

KERKABECK, seul

 

Oh ! par exemple, c’est trop fort !... Me voici dans une position charmante !!... Mon oncle  me renvoie, et un huissier est sans doute là, qui m’attend... L’un me défend d’entrer, l’autre m’empêche de sortir... Entre le dedans et le dehors, il n’y a pourtant pas de milieu... Misérable idiot !... tu avais bien besoin de me faire toutes ces histoires, pour m’abandonner au milieu des explications... Il faut pourtant que je le revoie ! il faut qu’il s’explique... et cette boîte et ces papiers...

 

 

Scène XII

 

KERKABECK, ÉLOI

 

ÉLOI, se glissant sous la table.

Ils sont tous partis ?...

KERKABECK.

Oui, n’aie pas peur... personne ne peut nous voir.

ÉLOI.

Personne, personne... Si...

KERKABECK.

Hein ?... Qui donc ?

ÉLOI.

Le bon Dieu, comme dit le curé.

KERKABECK.

Bah !

ÉLOI.

Puisqu’il est partout... Je ne sais pas où, mais il y est... Par exemple, il ne me fait pas tant peur que mère Jean, il ne m’a jamais battu.

KERKABECK.

Le voilà encore qui divague... Eh bien ! cette boîte, où est-elle ?

ÉLOI, ricanant.

Eh ! eh ! la voilà... Je l’avais cachée dans la roche qui pleure.

KERKABECK.

Comment, il serait possible !...

ÉLOI.

La v’là, la boîte à Yvonne, qui l’amusait tant, quand elle était petite... La voilà, la boîte aux coquillages... il yen a plus ! il y a un à tas de papiers.

KERKABECK.

Des papiers !... Donne, je vais les ôter, tu y mettras des coquillages.

ÉLOI.

Oui, tout plein, pour Yvonne... Elle reviendra chez nous, Yvonne ?

KERKABECK.

Oui, oui, elle reviendra, quand j’aurai les papiers.

ÉLOI.

Ah ben ! oui, mais elle est fermée, la boîte.

KERKABECK.

Ouvre-la !

ÉLOI.

Mère Jean a la clé... faut pas lui demander.

KERKABECK.

Je crois bien !... Brise le coffre !...

ÉLOI.

Non, je ne pourrais pas y mettre les coquillages pour Yvonne.

KERKABECK, à part.

Oh ! quelle patience il faut avoir !... Je ne veux pas pourtant forcer moi-même cette serrure, il faut que ce soit lui...

À Éloi.

Oh ! mon Dieu ! tiens, ce serait bien aisé... avec ce couteau, on ne casserait rien, la serrure cèderait... Mais il faudrait être fort, et ma foi ! je ne puis pas.

ÉLOI.

Oh ! il ne peut pas !...

Il prend la boîte.

Tenez, avec le doigt seulement... crac !

La boîte s’ouvre.

KERKABECK, avec joie.

Ah !

ÉLOI.

Oh ! il est fort, Éloi, voyez-vous, Kabeck.

Il lui donne un coup de poing.

KERKABECK.

Merci... voilà mon affaire...

Éloi secoue la boîte, des papiers tombent.

Qu’est-ce que c’est que ça ?

ÉLOI, les ramassant.

Faut les brûler !... Si mère Jean voyait...

KERKABECK.

Non, non,, malheureux !...

Il prend les papiers et lit.

« Acte de naissance d’Yvonne Gaëric, fille de Jean-Claude Gaëric... » C’est ta sœur !

ÉLOI.

Ma sœur ?... Elle était là-dedans !

KERKABECK, lisant un autre papier.

Ah ! mais voilà bien mieux !... Mais, j’aperçois Mlle Aline...

ÉLOI.

Yvonne !

KERKABECK.

Oui, Yvonne... Montre-lui ces deux papiers.

ÉLOI.

Oui, après ?

KERKABECK.

Après, tu verras.

ÉLOI.

Elle sera ma sœur, elle me suivra ?

KERKABECK.

Tu verras...

À part.

Ah ! quelle découverte !... Me voilà riche, puissant ! baron de l’Empire, et je paie mes dettes !... C’est un miracle !... j’y crois à peine...

À Éloi.

Et surtout, conserve bien ces papiers... Je suis là, je le vois... Veillons sur lui...

Il entre dans le pavillon.

 

 

Scène XIII

 

ÉLOI, seul

 

Ces papiers... ma sœur... Comment donc cela ?... Ah ! oui, je devine... Oui, oui, oui, oui, c’est un sort ! un sort !... Mais, un sort, c’est mauvais... et ma sœur... Dame, si ça allait lui faire du mal ?... Je ne veux pas, je vas déchirer tout ça.

KERKABECK, à la fenêtre du pavillon.

Éloi !

ÉLOI.

Non, Kabeck, non !... la v’là.

 

 

Scène XIV

 

ÉLOI, ALINE, parée

 

ÉLOI, doucement.

Yvonne ! Yvonne !

ALINE.

Ah ! Éloi, que veux-tu ?

ÉLOI.

Ce que je veux ?... Toi !...

ALINE.

Moi !... Comment ?...

ÉLOI.

Oui, veux-tu venir avec Éloi, à notre chaumière, sur la plage, cueillir du wareck... ramasser des coquilles ?

ALINE.

Mon pauvre garçon, regarde-moi donc... Vois-tu ma toilette, mes garnitures, mes bijoux ?... Tout cela ne va guère avec promenade que tu me proposes.

ÉLOI.

Ah oui ! vous êtes trop belle pour Éloi. Vous vous trouvez donc contente, comme cela ?

ALINE.

Sans doute.

Air : Oui, près de toi, Ninette.

Que rien ne t’inquiète,
Ma joie est complète ;
À mes vœux,
Tout cède en ces lieux.
J’ai, depuis mon enfance,
Trouvé l’indulgence,
Et des amis
Presque soumis.
Sitôt qu’on le connaît,
Mon seul souhait
Soudain est satisfait ;
Bijoux, soie et velours,
C’est tous les jours
Pour moi nouveaux atours.
Enfin, tout ce que je désire
Est à moi.
À l’attachement qui t’inspire,
Cher Éloi,
Cette assurance doit suffire,
Calme-toi !
Et quel sort plus flatteur
Peut demander ton cœur,
Quand rien ne manque à mon bonheur ?

ÉLOI.

Adieu ! Yvonne, adieu !

ALINE.

Eh bien ! tu me quittes ?... Il me semble que tu avais quelque chose à me dire.

ÉLOI.

Oui... Non, je ne dirai rien... Si je voulais pourtant... Non, Éloi travaillera tout seul, recevra les coups de mère Jean, mangera le pain d’avoine... Vous êtes contente, vous ne verrez pas les papiers.

ALINE.

Des papiers ! qu’on t’a chargé de me remettre, sans doute ?... Donne, donne,

ÉLOI.

Oh non ! c’est un sort !...

ALINE, riant.

Ah ! c’est un sort !... C’est effrayant !...

ÉLOI.

Oui, un sort qui vous attirerait avec moi... Je ne veux pas, puisque vous êtes contente comme ça.

ALINE.

Mon bon Éloi, on s’est moqué de toi.

ÉLOI.

Non, c’est Kabeck qui l’a dit.

ALINE.

M. Kerkabeck !... Ah ! je veux voir ces papiers, alors... N’aie pas peur, ils ne peuvent pas me faire de mal.

ÉLOI, avec joie et crainte.

Bien sûr... vous voulez ?... Mais si... Ah ! c’est égal... Yvonne, ma sœur...

Il donne les papiers.

prenez garde !

ALINE.

Des actes de naissance, de mort !... Ah ! mon Dieu ! que vois-je ?... Mon nom !...

ÉLOI.

Yvonne, tu pâlis !... Ne lis pas, c’est un mauvais sort !

ALINE.

Mon acte de décès, à moi, grand Dieu !... Qui suis-je donc ?... Ah ! malheureuse !...

ÉLOI, courant.

Ah ! Kabeck ! Kabeck, retire le sort, c’est un mauvais sort, Kabeck !

ALINE.

Tais-toi ! tais toi !... Si mon pauvre père... Oh ! mon Dieu ! il faut qu’il l’apprenne... mais comment ?

ÉLOS.

Yvonne !

ALINE.

Éloi ! mon frère !...

ÉLOI.

Elle a dit mon frère... à moi ! à Éloi !... C’est Yvonne ! et tu viendras avec moi à la chaumière ?

ALINE.

Oui, à la chaumière.

ÉLOI.

Et je pourrai t’embrasser ?

ALINE, se jetant dans ses bras.

Oui.

ÉLOI.

Ah ! Kabeck ! mon bon Kabeck ! où es tu ?... Je veux le dire à mère Jean, je veux le dire à tout le monde... aux nuages, aux rochers, à la mer, à notre barque... Je vas préparer ta chambre, tes habits, tout !... Tu verras qu’on est bien... Tu seras heureuse aussi avec Éloi. Yvonne ! Yvonne ! à moi Yvonne !

Il sort en courant.

 

 

Scène XV

 

ALINE, KÉRANDAL, LEGROS, PERRIN, KERKABECK, au fond

 

KÉRANDAL, un portefeuille à la main.

Enfin, nous voilà d’accord, et ce n’est pas sans peine. Savez-vous, père Legros, que vous n’êtes guère raisonnable... Aline, viens signer le contrat... Ah ! mon Dieu ! comme elle est pâle !... Mon enfant, mon Aline, reprends tes esprits... Vois donc, tous ceux que tu aimes sont là... ton père...

ALINE.

Ne prononcez plus ce nom.

PERRIN.

Quelle idée !... Est-ce que ce misérable Kerkabeck !...

ALINE.

Taisez-vous, Perrin, il a fait son de voir.

PERRIN.

Lui !...

KÉRANDAL.

Son devoir !... en outrageant ta mère !...

ALINE.

Air : Nanna m’appelle.

Ma mère, hélas ! que dites-vous ?
Il ne faut plus d’un nom si doux
Que je l’appelle ;
L’honneur ici me le défend...
Elle est au ciel, et votre enfant
Est avec elle.
Anges fidèles,
De leurs ailes
Toutes les deux vont vous couvrir...
Moi, sur la terre,
Près de ma mère,
Je vais pleurer, je vais souffrir !...

Musique jusqu’à la fin de l’acte.

 

 

Scène XVI

 

ALINE, KÉRANDAL, LEGROS, PERRIN, KERKABECK, ÉLOI

 

KÉRANDAL, lisant les papiers.

Aline ! ma fille, morte !... Mais toi, qui es-tu donc ?

KERKABECK, s’avançant.

Yvonne Gaëric, la fille de mère Jean, un enfant substitué.

KÉRANDAL.

Dieu ! mon Dieu ; je n’y survivrai pas !...

ALINE, baisant ses mains.

Adieu ! mon bienfaiteur... adieu !...

À Éloi.

Partons !...

ÉLOI, à Kerkabeck.

Yvonne !... Merci, Kabeck !...

Éloi entraine Yvonne ; Legros retient Perrin. On donne des soins à M. de Kérandal.

 

 

ACTE II

 

L’intérieur de la cabane de mère Jean. Porte au fond, porte à droite ; à gauche, une fenêtre. Une cheminée ; au-dessus, un fusil. Quelques chaises, une table. Sur la cheminée et sur la table sont des cruches, des marmites, etc. pleines de grandes fleurs.

 

 

Scène première

 

ÉLOI, seul

 

Il apporte des coquillages dans sa boîte, et les fait sonner.

Air breton.

Quel bonheur !
Elle est revenue !
Quel bonheur !
J’ai repris ma sœur.
Merci, toi.
Qui l’as reconnue ;
Merci, toi,
Cabane d’Éloi.
Fleurs du jardin, il vous faut vile éclore !
Et vous, montez, montez jusqu’à moi,
Flots de la mer, venez bercer encore
Yvonne ! Yvonn’, la p’tit’ sœur d’Éloi.

 

Quel bonheur ! etc,

En v’là, en v’là, et des beaux !... J’avais dit à la mer de m’en apporter beaucoup pour Yvonne, et la mer s’est souvenue... Et puis des fleurs, des fleurs, en ai-je cueillies... Ah ! c’est que c’est la fête de la cabane aujourd’hui, et la vieille maison est bien contente... N’est-ce pas que t’es bien contente, vieille maison ?... Hier, elle est venue avec ses beaux habits ; mais aujourd’hui elle va en changer... elle l’a dit... Ah ! je l’ai toujours là, sa robe d’autrefois...

Il la prend dans l’armoire.

La voici... Ah ! ça ne sera peut-être plus assez grand... non, c’est un peu court. Comme elle était gentille là-dedans...

Couchant la robe dans ses bras.

ma p’tit’ sœur !... Dors, mon Yvonne, dors... j’ vas te chanter ma chanson.

Il la berce.

 

 

Scène II

 

ÉLOI, ALINE, en costume de paysanne

 

ALINE.

Eh bien ! Éloi, que fais-tu donc ?

ÉLOI, sans se retourner.

Je berce ma petite sœur.

ALINE.

Ta sœur, mon ami... mais la voilà.

ÉLOI, étonné.

Tiens !... Ah ! oui... Yvonne, c’est elle !...

Il jette la petite robe.

C’est toi... Oh ! que t’es belle comme ça !... Mais, c’est le casaquin de mère Jean, quand elle était jeune ! c’est sa robe de noce... Comme ça te va bien !... Qu’est-ce que la regardes ? ces bouquets, n’est-ce pas ?... C’est pour toi... Je les ai été chercher ce matin, bien loin, va !...

ALINE.

Bon Éloi !

ÉLOI.

Et puis, écoute...

Il fait sonner sa boîte.

ALINE.

Qu’est-ce que c’est ?

ÉLOI.

sais bien, quand tu étais petite... les belles armées que je le faisais sur cette table... avec des coquillages... Te rappelles-tu le grand bernique qui faisait le général, avec ses cornes ?... Veux-tu jouer à ça ?

ALINE.

Non.

ÉLOI.

Veux-tu que je t’en fasse un collier ?

ALINE.

Merci, mon ami.

ÉLOI.

Qu’est-ce que l’as donc ? tes yeux sont rouges... Tu as pleuré... tu pleures encore... Ah ! mon Dieu ! tu as du chagrin !... Qu’est-ce que j’ vas imaginer pour le consoler... Veux-tu jouer aux quilles ?

ALINE.

Pauvre garçon !

ÉLOI.

Ça me désole de te voir comme ça... Tiens, mets ta main dans la mienne...

Aline lui donne la main.

moi, l’autre, et puis toi aussi... Une !...

Aline le regarde.

Dis, deux !... Tu ne veux pas ?... C’est pourtant bien amusant, le pied de bœuf... V’lan !... Eh bien ! voyons, veux-tu que je pleure avec toi ?

ALINE.

Tu ne peux pas comprendre ma douleur !

ÉLOI.

Au fait, je suis si content, tu devrais avoir de la joie aussi ; car si je t’ai, eh bien ! tu m’as... T’as aussi la mère Jean... Elle tape, c’est vrai ; mais, toi, tu n’auras jamais que le vent de ses taloches, il y aura ma joue pour les recevoir... Tu regrettes peut-être tes beaux habits ?... Ah ! oui, c’est ça...

Aline secoue la tête.

 Non, non, hein ?... Si tu veux, tu n’as qu’à dire. Mère Jean n’en sait rien, vois-tu, j’ai un magot ! Quand je vends le poisson à Concarneau, il y a des profits... J’ai beaucoup de pièces : tu me diras combien ça fait, et je t’achèterai un casaquin rouge... et des pendants d’oreilles en cerceau, grands comme ça !... Tu seras belle, va... Mais, mère Jean ne pleureras plus... C’est que va revenir, et elle croira que je t’ai battue.

ALINE.

Ah ! par exemple !...

ÉLOI.

Non, c’est qu’elle est comme ça, mère Jean... Chaque fois qu’elle a une idée, j’ai des coups... Ce matin encore, en déjeunant, elle s’est fourrée dans la cervelle que j’avais eu tort de lui ramener sa fille, et elle m’a jeté à la tête une cuillerée de soupe, que j’en ai une bosse au front.

ALINE.

Ah ! oui, mon pauvre garçon, tu auras fait bien des malheureux !...

ÉLOI.

Quoi ! des malheureux ! c’est-il possible !... des malheureux ! moi qui voulais voir rire tout le monde !... Des malheureux !... est-ce qu’il y en a, maintenant que j’ai Yvonne ?... S’il y en a, c’est Kabeck qui les a faits. Oui, c’est lui qui m’a donné un mauvais sort !... Oh ! si je le tenais !... je le clouerais comme une buse à la porte de la cabane !...

 

 

Scène III

 

ÉLOI, ALINE, MÈRE JEAN

 

ALINE.

Ah ! ma mère !...

Elle l’embrasse.

ÉLOI, à part.

V’là la grêle !

MÈRE JEAN.

Que fais-tu là ?

ÉLOI.

J’amuse ma sœur.

MÈRE JEAN.

Qu’est-ce que c’est que tous ces coquillages... Voilà à quoi tu perds ton temps ! Et cette boîte, encore cette boîte !

ÉLOI.

Eh bien ! c’est à Éloi, il l’a reprise.

MÈRE JEAN.

Je ne veux plus la revoir...

Elle la jette au feu.

ÉLOI, criant et pleurant.

Ah ! là, c’est à moi ça. Quand ma sœur était petite, elle a tant joué avec... Oh ! là, là, là, là !...

MÈRE JEAN.

Tu ne penses qu’à jouer... va à la pêche.

ÉLOI.

J’y ai été, là... Il y a des crevettes pour Yvonne,

MÈRE JEAN.

Arrose le jardin.

ÉLOI.

Il vient de pleuvoir.

MÈRE JEAN.

Mets du bois au four.

ÉLOI.

La miche est cuite.

MÈRE JEAN.

Va te promener !

ÉLOI.

Fallait donc le dire tout de suite !... Viens, Yvonne.

MÈRE JEAN.

Non, j’ai besoin d’elle.

ÉLOI.

Ce n’est pas pour la donner encore, au moins ?

MÈRE JEAN.

T’en iras-tu ?...

Il se sauve.

 

 

Scène IV

 

ALINE, MÈRE JEAN

 

MÈRE JEAN.

Te donner encore, ma pauvre enfant !... Oh ! non !... le bon Dieu m’a trop punie !...

ALINE.

Il est donc vrai, ma mère, c’est par un échange coupable ?...

MÈRE JEAN.

Eh bien ! oui : Aline de Kérandal m’avait été confiée... je la nourrissais avec toi... la pauvre petite mourut pendant une absence de son père, et Mme de Kérandal... Mais, non, la chère dame... paix à sa mémoire !... On abusa de sa faiblesse, elle n’eût osé jamais se prêter à une pareille ruse... Mais sa famille était sans fortune... les biens de M. de Kérandal, déjà fort vieux, leur échappaient s’il mourait sans enfants... On la força de consentir à cette substitution ; et puis, plus tard, M.de Kérandal était si heureux de sa fille, le détromper, semblait cruel... elle n’en eût pas la force.

ALINE.

Mais, vous, ma mère, comment avez vous pu vous séparer de votre enfant ?

MÈRE JEAN.

M’en séparer !... pas du tout.

Air : Je sais attacher des rubans.

Mais j’étais veuve et sans soutien...
Si tu restais dans ma chaumière,
Quel triste sort était le tien ?
Et le travail et la misère !...
J’ai bien lutte contre mon cœur !
Mais, dans cette noble famille,
Tu trouvais tout : et fortune et bonheur !...
Moi, je ne quittais pas ma fille.

Et puis, je m’étais réservé un droit à l’insu de tout le monde... Au moyen de ces papiers, que cet imbécile a livrés, je pouvais te reprendre quand je voulais... Et je l’aurais fait, sois en sûre, si par hasard on l’eût rendue malheureuse... Mais, que pouvais-je dire ?... Tu étais si contente, si joyeuse !... tu allais épouser un brave jeune homme, que tu aimais !...

ALINE, pleurant.

Que j’aime, ma mère... et qu’il faut oublier !...

MÈRE JEAN.

Pauvre enfant ! c’est moi qui cause ton chagrin.

ALINE.

Mais pourquoi ne vient-il pas ?... Oh !  lui... non, je ne dois plus le revoir... Mais pourquoi ne m’envoie-t-il pas quelqu’un pour me rassurer sur l’état de M. de Kérandal ?... Ô ma mère ! l’image de mon bienfaiteur mourant me poursuit sans cesse... Je ne puis me présenter au château, mais allez-y, je vous en prie !... tâchez de le voir !...

MÈRE JEAN.

Oui, j’y vais... quoi qu’il m’en coûte, vois-tu !... parce qu’il est en droit de me faire des reproches... Et puis, ce Kerkabeck...

 

 

Scène V

 

ALINE, MÈRE JEAN, ÉLOI, puis PERRIN

 

ÉLOI, accourant.

Le voilà ! le voilà !

MÈRE JEAN.

Qui ?... Kerkabeck ?...

ÉLOI.

Non ! M. Perrin, M. Perrin... Il sera content, lui.

ALINE.

Mon Dieu ! donnez-moi la force de lui ôter tout espoir.

PERRIN, entrant.

Pardon, Mademoiselle, d’avoir tardé si longtemps à venir, après cette séparation terrible.

ALINE.

M. de Kérandal, de grâce, parlez-moi de lui Monsieur.

PERRIN.

Je m’étais promis de ne pas le quitter, car qu’il paraîtrait en danger... La soirée été cruelle ! mais enfin, cette nuit, M. de Kérandal a repris ses sens... Il a d’abord beaucoup pleuré.

MÈRE JEAN.

Pauvre vieillard !... des pleurs à cet âge.

ALINE.

Ah ! que ces pleurs me font mal !...

PERRIN.

Puis, il est devenu calme, et maintenant son sommeil m’a permis de m’éloigner un instant pour vous rassurer... L’affreuse découverte de M. de Kerkabeck le rendra bien malheureux !...

ÉLOI.

Là, lui aussi !... et Kabeck, où est-il ?...

PERRIN.

Au château.

ÉLOI.

Bon ! je vas aller l’étrangler !...

MÈRE JEAN.

Veux-tu bien rester !... Faire une scène pour tourmenter M. de Kérandal.

ÉLOI.

Ah ! oui, c’est juste... il ne faut pas l’éveiller... Quand il ne dormira plus, j’étranglerai Kabeck.

PERRIN.

Mademoiselle, mère Jean, et toi, mon brave Éloi, vous voilà tous rassemblés maintenant en famille, permettez-moi de croire qu’il manque quelqu’un à cette réunion. Permettez-moi de croire que vous aimez Perrin comme votre fils.

MÈRE JEAN.

Oh ! certes, M. Perrin, quant à moi...

PERRIN.

Mais vous, Mademoiselle, vous qui hier vouliez bien consentir à devenir ma femme, pourquoi vous taire en ce moment ?... pourquoi détourner de moi vos regards ?... Car vous me le disiez encore hier, Aline, vous m’aimez !... De grâce ! répétez-moi cet aveu en présence de votre mère... Par pitié ! un mot qui me rassure !...

ALINE.

Je ne puis vous le dire, je ne le dois pas.

ÉLOI.

Un mot, c’est pas difficile... Lequel que c’est ? j’vas vous le dire, moi.

MÈRE JEAN.

Tais-toi !...

PERRIN.

Expliquez-vous, vous me désespérez !...

ALINE.

Hier, riche et noble, je pouvais hautement, et du fond de mon cœur, dire : « Perrin, je vous aime ! c’est avec joie que je serai votre épouse, » car, alors, je contribuais à vos succès dans le monde, j’assurais votre avenir... j’en étais heureuse et fière... Mais à présent, Monsieur, à présent, je ne suis plus que la fille d’un pêcheur, sans nom, sans richesses... Dites, n’y aurait-il pas de l’égoïsme à moi, à profiter de votre générosité, pour vous entrainer dans mon infortune ?...

PERRIN.

Non, c’est impossible !... je ne contenterai pas à vous abandonner, vous êtes toujours mon Aline !...

ALINE.

Air de Plantade.

Vers un autre avenir
Portez votre pensée ;
Car votre fiancée
À vous ne peut s’unir.
Que votre âme domine
Des regrets superflus !
Oubliez votre Aline,
Elle n’est plus !...

PERRIN.

Non, jamais ! jamais !...

Il tombe à ses genoux.

ÉLOI.

Ah ça ! tout le monde a donc du chagrin ?... Il faut que ça finisse... J’ai un moyen... Ah ! il croyait... Bon ! suffit... comment donc ?

Il monte sur une chaise.

Moi...

Il prend le fusil.

Plus souvent !... non, non... Tiens ! oui-da ! peste !... Ah ! ouitche !...

Il sort.

 

 

Scène VI

 

MÈRE JEAN, LEGROS, ALINE, PERRIN

 

LEGROS, heurté par Éloi.

Ouff ! au diable l’idiot !... 

PERRIN, se levant.

Mon oncle !...

LEGROS.

Ne vous dérangez pas... Très bien ! j’en étais sûr !... mon gaillard fait des siennes... N’as-tu pas de honte ?... À genoux devant de la tiretaine !...

PERRIN.

Mon oncle, je vous en prie !...

ALINE, à part.

Voilà ce que je craignais...

LEGROS.

Eh bien ! femme, eh bien ! fille... vous ne m’attendiez pas ?... Mais je connais ça... On attire les enfants de famille pour les plumer comme des... Ça n’est arrivé... Fi ! pas beau ! pas beau du tout !...

MÈRE JEAN.

Ah ça ! qu’est-ce que vous voulez dire, vous ?...

ALINE, à Perrin.

Vous voyez quelles humiliations m’attendraient, si j’étais assez faible pour vous écouter.

LEGROS.

Écouter... qui ?... Fille, n’écoute pas va.

PERRIN.

Mon oncle !...

LEGROS.

Tiens ! pourquoi donc tant de façons avec ces Basses-Bretonnes ?...

PERRIN.

Si vous saviez !... vous rougiriez !...

LEGROS.

D’abord, on ne rougit pas dans les fournitures.

PERRIN.

Apprenez que je la suppliais de devenir ma femme !...

LEGROS.

Ta femme, malheureux !... Tu prendrais ta femme dans un pareil mobilier ?...

Air de l’Apothicaire.

J’allais pourtant me dépouiller,
Voyez un peu, quelle sottise !
Pour un fou qui va s’allier
Avec des gens que je méprise !
Non, je ne veux plus partager.
À moi tout seul mes pâturages !
Parbleu ! je saurai bien manger
Mes prés, mes foins et mes fourrages !

MÈRE JEAN.

Eh ! mon Dieu, Monsieur, mangez ou ne mangez pas, que nous importe ?... Ma fille refuse votre neveu.

LEGROS.

Pas possible !... Bien, fille !... beau trait !... Tu ne t’en repentiras pas... Vois-tu, elle n’est pas bête : elle a compris que si elle devenait ta femme malgré moi, je ne te pardonnerais jamais... Ainsi, comme tu n’as rien, elle, pas davantage... addition : zéro... Joli commencement de ménage !

PERRIN.

Mais oui, vous avez raison, mon oncle... Vous l’entendez, Mademoiselle... comme vous, je n’ai rien, notre position est égale... Oh ! consentez, maintenant...

LEGROS

Il est fou ! il est fou !... Ne consens pas, c’est la misère qu’il te propose... Et moi, pour te récompenser, je te donne mon estime, et 50 écus de rente... Hein ? c’est gentil, n’est-ce pas, femme ?

ALINE.

Monsieur, rassurez-vous !

 

 

Scène VII

 

MÈRE JEAN, LEGROS, ALINE, PERRIN, KÉRANDAL, conduit par deux domestiques

 

KÉRANDAL.

Où est-elle ? où est-elle, mon Aline ?. rendez-moi ma fille !...

ALINE.

Mon père !...

KÉRANDAL.

Oh ! oui, ton père, toujours ton père !... Te voir sous ces habits, toi... ah ! cette vue me fait mal !... Quitte ces vêtements, je t’en prie, je le veux !... Que je retrouve mon Aline, mon enfant !... Reviens au château, reste auprès de moi.

LEGROS, à part.

Ah ! diable !...

ALINE.

Non, Monsieur, non, c’est impossible !... Je ne le dois pas, je ne le ferai pas !...

LEGROS, à part.

Ah ! oui, elle cèdera.

KÉRANDAL.

Et qui s’opposerait à ce devoir ? car c’en est un pour toi.

ALINE.

Un devoir plus impérieux encore, Monsieur : l’honneur, qui me défend de prendre la place d’un autre, d’usurper son héritage !...

KÉRANDAL.

Mes biens sont à moi, c’est le fruit de mon travail ; j’en disposerai comme je l’entendrai... Et si je veux donner tout à mon Aline !...

LEGROS.

Au fait, vous êtes le maître.

ALINE.

Je refuse, Monsieur... Songez que je ne suis pour vous qu’une étrangère.

LEGROS.

Folie !... fille, accepte.

KÉRANDAL.

Tu es ma fille, car je t’adopte !...

LEGROS.

Bien, ça... j’y tope !

 

 

Scène VIII

 

MÈRE JEAN, LEGROS, ALINE, PERRIN, KÉRANDAL, KERKABECK, qui est entré doucement, peu après Kérandal

 

KERKABECK.

Vous ne le pouvez pas, mon oncle.

KÉRANDAL.

Ah ! vous ici, Monsieur...

KERKABECK.

Oui, inquiet... je vous ai suivi pour veiller sur votre santé...

À part.

et sur mon héritage.

KÉRANDAL.

Et vous dites que je ne peux pas adopter qui bon me semble ?...

KERKABECK.

C’est bon dans une comédie, cela, mais le Code, qui est moins romanesque...

KÉRANDAL.

Eh bien ! le Code ?...

KERKABECK.

Il dit positivement, article 346, que l’adoption ne pourra, en aucun cas, avoir lieu avant la majorité de l’adopté... Elle a seize ans.

KÉRANDAL.

Nous attendrons.

LEGROS.

Bien long ! bien long !... Nous n’attendrons pas, Perrin...

KERKABECK.

Puis... article 348, que l’adopté restera dans sa famille naturelle, s’il en a une.

LEGROS.

Elle en a une, la paysanne.

KÉRANDAL.

Le Code, le Code !... Eh ! mais, oui, c’est ça... Parbleu ! le Code ne sera pas seulement un arsenal pour la mauvaise foi... Après avoir fourni des armes à Monsieur pour nous frapper, nous y trouverons peut-être aussi un bouclier pour nous défendre !... Je vous remercie de vos citations... Viens, mère Jean, vous aussi, Perrin, M. Legros, suivez-moi tous... nous allons voir !...

Ils entrent à gauche.

 

 

Scène IX

 

KERKABECK, seul

 

Eh bien ! que va-t-il donc faire, avec son air goguenard ?... Ce qui me rassure, c’est que la petite Bretonne a du caractère... elle ne cédera pas !... Pourtant... Il s’agit de trente mille livres de rente !... et quand on a avec ça des recors sur les talons... Il me semble à chaque instant qu’on va me mettre la main au collet.

 

 

Scène X

 

KERKABECK, ÉLOI, son fusil à la main

 

Éloi s’est approché doucement ; il lui donne un grand coup sur l’épaule.

KERKABECK.

Aïe !... Dieu ! que c’est bête de faire des peurs comme ça !...

ÉLOI.

Il y a long-temps que je te cherche... ! Un mot, Kabeck.

KERKABECK.

Ah ! tu appelles cela un mot.

ÉLOI.

Quand je dis un mot, il y en aura peut être plus...

KERKABECK.

Adieu, je m’en vais.

ÉLOI, le retenant.

Ouitche !... À c’ matin, il y avait dans mon filet une sardine qui disait comme toi, je m’en vais... J’ai serré fort...

Il lui serre le cou.

elle ne s’est pas en allée...

KERKABECK.

Aïe !... Veux-tu bien finir !...

ÉLOI.

Dis donc, tu sais bien, ma boîte ?

KERKABECK.

Laisse-moi donc tranquille !

ÉLOI.

Mère Jean l’a brûlée... C’et toi qui es cause de ça... Écoute donc, tu sais bien, Perrin ?

KERKABECK.

Oui.

ÉLOI.

Yvonne ne veut pas lui dire le mot qu’il demande... C’est toi qui es cause de ça...

Kerkabeck veut se dégager.

Oh ! tu es bien pressé !... Attends donc... Tu sais bien, Yvonne ?...

KERKABECK.

Allons, finiras-tu ?

ÉLOI.

Ça n’est plus Aline.

KERKABECK.

Après ?

ÉLOI.

Et ça n’est plus Yvonne.

KERKABECK.

 Qu’est-ce que tu me chantes ?...

ÉLOI.

Il n’y a que des pleurs ici... C’est toi qui es cause de ça.

KERKABECK.

Est-ce que je ne t’ai pas rendu ta sœur ?...

ÉLOI.

Non !...

Air breton.

La sœur qu’il faut que l’on me donne,
Ce n’est pas cell’-là que je vois ;
Je veux ma gentille Bretonne
Avec son sourire d’autrefois,
Avec ses yeux
Toujours joyeux,
Aussi brillants, aussi bleus
Que les cieux !
Voilà ma sœur Yvonne,
Voilà cell’ que je veux !

KERKABECK.

Ah ! dame ! je ne puis pas faire l’impossible !...

ÉLOI.

Si ! si !...

Même air.

La sœur qu’il faut que l’on me donne,
C’est cell’-là que toujours je vois :
Vive, alerte, et franche Bretonne,
Sur la plag’ courir avec moi ;
Enfant heureux
Suivre mes jeux,
Et quand j’ pleurais v’nir essuyer mes yeux.

« Tu as du chagrin, Éloi ? – Oui. – Eh bien ! j’ vas pleurer. – Pleurer, toi !... Je ris, je ris... Oh ! ah ! ah !... » Et elle riait aussi...

Voilà ma sœur Yvonne,
Voilà cell’ que je veux !

Ous’ qu’elle est celle-là ?...

KERKABECK.

Est-ce ma faute, à moi, si elle n’est pas ainsi ?

ÉLOI.

Oui, c’est ta faute ; c’est ce vilain papier... C’est un sort, j’en étais sûr !... Faut pas ricaner, parce que je ne suis pas sorcier, moi, mais j’ai des poings qui assomment, des mains qui étranglent !...

KERKABECK.

Ah ça ! pas de mauvaises plaisanteries... Il devient furieux !... Ces êtres-là sont très dangereux !

ÉLOI.

Je veux ma sœur, entends-tu ?... Il faut que tu me la rendes, comme j’ai dit... ou je te tue !...

KERKABECK.

Mais, mon pauvre Éloi...

ÉLOI.

Hein ?...

KERKABECK.

Comment ne renferme-t-on pas des individus aussi désagréables ?... Je te dis, mon pauvre Éloi...

ÉLOI.

Il n’y a pas de pauvre Éloi... Je veux que tout le monde soit content, heureux, et tout de suite !... Il faut que je voie rire Yvonne, rire Perrin, rire M. Kérandal, rire mère Jean !... C’est là le plus difficile !...

KERKABECK.

Comment pourrais-je ?

ÉLOI.

Fais un papier, fais une drogue, fais une grimace, fais tout ce que tu voudras, appelle le diable, si tu veux ; mais tu ne sortiras pas d’ici qu’il n’y ait du bonheur partout... allons !...

Il arme le fusil.

KERKABECK.

Ah ça ! mais, est-ce qu’il es ! chargé ?

ÉLOI, le couchant en joue.

Tu vas voir !...

KERKABECK.

Diable !

ÉLOI.

Bon !... tu appelles le diable... continue...

KERKABECK.

Mais...

ÉLOI, le couchant en joue.

Veux-tu bien le dépêcher !... si le diable est là... C’est que j’ai une peur !...

KERKABECK.

Que veux-tu que je dise ?... je tremble qu’une maladresse...

ÉLOI.

Répète après moi.

KERKABECK.

Il faut céder... Après tout, il n’en résultera rien.

ÉLOI.

Allons, vite !... Je veux que le mauvais sort finisse.

KERKABECK, répétant.

Que le mauvais sort finisse.

ÉLOI.

Qu’Aline soit tout-à-fait Yvonne.

KERKABECK.

Qu’Aline soit tout-à-fait Yvonne.

ÉLOI.

Qu’elle épouse Perrin.

KERKABECK.

Qu’elle épouse Perrin.

ÉLOI.

Qu’elle reprenne ses beaux habits.

KERKABECK.

Ses beaux habits.

ÉLOI.

Sa gaieté.

KERKABECK.

Sa gaieté.

ÉLOI.

Que tout le monde soit content.

KERKABECK.

Bien content.

ÉLOI, à part.

Profitons de la circonstance...

Haut.

Que mère Jean ne batte plus Éloi.

KERKABECK.

Que mère Jean ne batte plus Éloi.

ÉLOI.

Et que le diable emporte Kabeck !...

KERKABECK.

Que le diable...

Un homme habillé de noir paraît à la porte ; Kerkabeck, qui allait se sauver, pousse un cri.

Un recors... Je suis pris !...

ÉLOI, se retourne, aperçoit l’homme, et tombe la face contre terre, en criant.

Le diable !... oh ! là, là !...

 

 

Scène XI

 

KERKABECK, ÉLOI, KÉRANDAL, MÈRE JEAN, ALINE, en toilette, PERRIN, tous, accourant au bruit

 

KÉKANDAL.

Qu’est-ce donc ?... que signifient ces cris ?...

PERRIN.

Éloi à terre !... un fusil !...

MÈRE JEAN.

Mon Dieu ! qu’est-il arrivé ?...

ÉLOI, sans lever la tête, montrant la porte.

Là, là... il est là !... laissez-lui prendre Kabeck, et qu’il s’en aille vite.

ALINE.

Mais mon pauvre Éloi, regarde donc. C’est nous, c’est la sœur.

ÉLOI, regardant.

Ah ! oui... Yvonne... Aline... belle, contente... Perrin content ; M. Kérandal content ; mère Jean contente... Que s’est-il donc passé ?...

KÉRANDAL.

M. Kerkabeck, pour obéir au Code, j’adopte Perrin ; Perrin, qui m’a sauvé la vie !...

LEGROS.

Perrin de Kérandal... Le beau nom !

KÉRANDAL.

Perrin épouse mon Aline, elle reste avec moi.

ALINE.

Oh ! toujours !...

LEGROS.

Bien joué ! n’est-ce pas, garçon ?

KERKABECK, à part.

Je suis perdu !...

ÉLOI, montrant le recors.

Mais lui... là... lui.

PERRIN.

Ah ! je comprends...

Aux recors.

Je me porte caution de Monsieur.

Le recors disparaît.

KERKABECK.

Ah ! cousin, c’est généreux !...

À part.

J’en ferais bien autant, au même prix.

PERRIN, à Éloi.

Il n’y est plus.

ÉLOI.

Ah !... et tout le monde est heureux !... À la bonne heure !... Je savais bien que j’arrangerais tout... et de la bonne manière !... Mais, tout de même...

Montrant Kerkabeck.

voilà un fameux sorcier !...

CHŒUR.

Air breton.

Quel bonheur !
Elle est revenue !
Quel bonheur !
J’ai repris ma                       } sœur !
Il revoit sa                 }

ALINE, au public.

De voir sa sœur et riante et joyeuse,
Éloi, ce soir,
A conçu l’espoir ;
Quelques bravos pour qu’elle soit heureuse, Voilà content
Le pauvre innocent !...

REPRISE.

Quel bonheur ! etc.

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