Une Aventure de Faublas (Thomas SAUVAGE - N. LE COUTURIER)
Comédie-vaudeville en un acte.
Représentée pour la première fois, à Paris, sur la Théâtre du Vaudeville, le 19 février 1818.
Personnages
LE MARQUIS DE SENNEVILLE
LA MARQUISE DE SENNEVILLE
LE BARON DE FAUBLAS
LE CHEVALIER DE FAUBLAS, son neveu, officier de Dragons
LE COMTE DE RUSAMBERT, son neveu, officier de Dragons
MARIE, femme de chambre de la Marquise
VICTOR, valet
UN COMMISSAIRE
LE CLERC DU COMMISSAIRE
VALETS
SOLDATS
La Scène se passe dans l’Hôtel du Marquis, à Paris.
Le Théâtre représente un salon ; des portes de chaque côté et au fond ; à droite, une table couverte d’un tapis, des fauteuils, etc.
Scène première
LE MARQUIS DE SENNEVILLE, MADAME DE SENNEVILLE, LE BARON DE FAUBLAS
Ils entrent par le fond.
LE BARON.
Non, non, madame ; mon neveu ne doit pas encore aller dans le monde.
MADAME DE SENNEVILLE.
Un officier de dragons, le faire vivre comme une demoiselle ! Quelle rigidité... n’avoir pas même voulu qu’il vînt à ma dernière soirée !
LE MARQUIS.
Il y aurait trouvé de ses camarades... Un d’eux, M. de Rosambert, avait amené une de ses parentes, jeune personne adorable... mademoiselle Duportail, vous savez bien, madame ?
MADAME DE SENNEVILLE, riant.
Vous en parlez souvent de cette demoiselle Duportail, Monsieur ; il est vrai qu’elle est charmante...
Au Baron.
Nous avons eu un bal masqué.
LE BARON.
C’est justement tous ces plaisirs qu’il faut qu’il évite.
Air : Vaudeville du Jaloux malade.
Je n’aime pas qu’on se déguise :
L’habitude d’être trompeur,
Bientôt altère la franchise
Et l’innocence d’un bon cœur.
Loin de lui ces plaisirs fantasques !
Grâce à mes soins, jusqu’à ce jour,
Mon neveu n’a point vu de masques...
MADAME DE SENNEVILLE.
Mais il ya pourtant à la cour ?
LE MARQUIS.
Eh ! ne faut-il pas que la jeunesse s’amuse ? Nous avons eu notre temps, qu’ils aient le leur !... Eh ! mon vieil ami, si vous n’allez plus au bal, c’est que vous ne pouvez plus danser...
LE BARON.
Danser !... qu’il étudie d’abord... Je veux que le chevalier de Faublas ne paraisse dans le monde que quand il sera colonel.
Air : Vaudeville du Piège.
Qu’il lise Folard e Vauban ;
Qu’il apprenne à forcer les places ;
Le travail devient un tourment
Quand des plaisirs on suit les traces,
Qu’il sache vaincre l’ennemi,
Sans s’occuper de bagatelles.
LE MARQUIS.
Mais un Français n’est instruit qu’à demi,
S’il ne sait pas vaincre les belles.
MADAME DE SENNEVILLE.
Malgré votre sévérité, je ne renonce pas encore à mes espérances ; je désire tant revoir le chevalier ! et je vous avouerai que Clara, ma pupille, ne le désire, pas moins ; elle fut élevée avec lui. Depuis six ans que nous ne l’avons vu, il doit être bien changé !...
LE BARON.
Vous ne le reconnaîtriez pas.
LE MARQUIS.
Par exemple, oui, je le reconnaîtrais : j’ai encore sa figure dans la tête : c’est que je suis physionomiste, afin que vous le sachiez.
MADAME DE SENNEVILLE.
Ah ! vous voilà encore avec vos idées.
LE MARQUIS.
Moquez-vous, Madame, moquez vous ; vous ne savez pas combien il est utile de se connaître en physionomie, à présent surtout qu’il y en à tant de fausses. C’est comme les charades, vous me plaisantez parce que j’en fais... Toujours est-il que personne n’a pu deviner ma dernière.
MADAME DE SENNEVILLE.
Enfin, monsieur de Faublas, serez-vous donc inflexible ? renoncez-vous au projet que nous avions de resserrer encore notre amitié par l’union de nos enfants ?
LE BARON.
Non, non, Madame... Dans dix ans, quinze ans, nous verrons ; car maintenant il est trop jeune : c’est une tête légère...
LE MARQUIS.
Air : J’aime la force dans le vin.
Mais est-ce donc une raison
Pour empêcher ce mariage ?
On est léger étant garçon ;
Après la noce on devient sage.
Il se rangera, c’est certain,
Grâce à l’union qu’on souhaite...
Eh ! ne sait-on pas que l’hymen,
D’un homme change bien la tête ?
MADAME DE SENNEVILLE.
Prenez garde qu’en tenant votre neveu si étroitement, il ne vous échappe... Déjà peut-être il vous a fait quelque folie : les neveux ne disent pas tout aux oncles...
LE BARON.
Ah ! de ce côté là, je suis sans crainte ; je vous réponds qu’il n’aura le plaisir de vous voir que quand je vous l’amènerai ; et si jamais il y venait sans moi, je consens à tout...
MADAME DE SENNEVILLE.
Air : Ma présence l’embarrasse (de Mademoiselle Hamilton.)
La folie est de son âge ;
Sans doute il vous trompera ;
Un officier jeune et sage !
Personne ne le croira.
LE BARON, saluant Madame de Senneville.
Daignez accepter mon hommage.
MADAME DE SENNEVILLE.
Contre vous j’ai de l’humeur.
LE MARQUIS.
Je vais terminer l’ouvrage
Qui doit me couvrir d’honneur,
Qui doit me faire faut d’honneur !
Ensemble.
LE BARON.
Quoique Dragon, il est sage.
Toujours il m’obéira ;
Jamais mon neveu, je gage,
Ne me jouera ce tour-là !
MADAME DE SENNEVILLE.
La folie est de son âge.
Bientôt il le trompera ;
Un officier jeune et sage !
Personne ne le croira.
LE MARQUIS.
Je suis sûr que cet ouvrage
À jamais m’illustrera.
Aux beaux esprits de cet âge,
Ma charade me joindra.
Le Baron sort par la porte du fond ; le Marquis entre dans le cabinet à droite.
Scène II
MADAME DE SENNEVILLE, seule
Je crois que ce cher Baron est un peu prévenu contre moi... Il m’accuse de légèreté, d’étourderie... On m’a même dit que dans le monde il me traite sans façon de coquette. Coquette, moi, quelle calomnie !
Premier couplet.
Air des limites.
Soit par caprice ou par raison,
Ma toilette est toujours nouvelle ;
À Paris, je donne le ton ;
Sur mes modes l’on prend modèle.
Ma parure fait le tourment,
Le désespoir de mainte amie...
Eh ! mais, tout cela, franchement,
Est-ce de la coquetterie ?
Deuxième couplet.
Une foule d’adorateurs
M’offre sans cesse son hommage.
Partout je règne sur les cœurs ;
Monsieur quelquefois en enrage.
Charmer est-ce un crime si grand ?
Puis-je empêcher qu’on me trouve jolie ?
Eh ! mais, tout cela, franchement,
Est-ce de la coquetterie ?
Scène III
MADAME DE SENNEVILLE, MARIE
MARIE, annonçant.
M. de Rosambert.
MADAME DE SENNEVILLE.
Faites entrer.
MARIE.
Votre marchande de modes est là.
MADAME DE SENNEVILLE.
Ma marchande de modes ! je lui dois la préférence ; priez M. de Rosambert d’attendre quelques minutes : la toilette doit passer avant tout.
Elle sort.
MARIE, au fond.
Messieurs, Madame vous prie de l’attendre un instant.
Elle sort.
Scène IV
LE CHEVALIER DE FAUBLAS, LE COMTE DE ROSAMBERT
ROSAMBERT.
Eh bien ! mon cher Faublas, nous voici chez la Marquise de Senneville ; il en est temps encore ; renoncez-vous à votre gageure ?
FAUBLAS.
Non, sans doute ; j’y tiens plus que jamais.
ROSAMBERT.
Quoi ! vous espérez...
FAUBLAS.
M’établir chez madame de Senneville, voir sa pupille et lui plaire, malgré mon oncle, malgré tout le monde.
ROSAMBERT.
Quelle présomption !
FAUBLAS.
Je n’ai pas si mal commencé ! hier, au bal masqué de madame de Senneville, sous l’habit et le nom de votre cousine mademoiselle Hortense Duportail, je m’en suis assez bien tiré. Madame.de Senneville m’appelait sa fille, Clara son amie, et le Marquis me faisait sérieusement la cour ! Ah ! messieurs, vous croyez, parce qu’on arrive au régi ment, parce qu’on s’a que dix-huit ans, qu’on ne sait pas conduire une intrigue !
ROSAMBERT.
Et peut-on savoir quels moyens vous emploierez !
FAUBLAS.
Je ferai parler mon cœur : il ne faut que cela.
ROSAMBERT.
Air : Où s’en vont ces guis bergers ?
Laissez-là le sentiment,
Les airs de bergerie...
Nous y faisons maintenant
Moins le cérémonie !
Ces dames, lasses des Tircis
Et de l’amour champêtre,
Avec les moutons, leurs amis,
Les ont envoyé paître !
Ah ! il ne faut que le cœur ! phrase banale, qui n’est plus bonne que pour les compliments de nouvelle année, les couplets de fête, ou les pièces de circonstance ; voici plutôt comme il faut s’y prendre.
Air : Hermite, bon hermite.
Près de beauté sévère,
Exaltez ses appas ;
À sa feinte colère,
Succède l’embarras.
Puis, par la flatterie,
Excitez son orgueil ;
De la coquetterie,
La louange est l’écueil ;
Dans vos tendres alarmes,
Empruntez le secours
Des soupirs et des larmes ;
Avec leurs armes
Ou les vaincra toujours.
Allez, mon cher, le cœur n’est rien sans certaine expérience.
FAUBLAS.
On l’acquiert.
ROSAMBERT.
À ses dépens, et puis il faut un peu d’adresse...
FAUBLAS.
L’amour en suggère.
ROSAMBERT.
Songez que je ne vous épargnerai pas.
FAUBLAS.
Je n’en aurai que plus de gloire.
ROSAMBERT.
Mais je vous ferai la guerre avec franchise ; déjà, en ennemi loyal, je vous ai introduit dans la place, car c’est moi qui vous ai conduit à ce bal masqué, où votre habit de femme a fait tant de dupes. J’agirai toujours de même ; et si je cherche à vous créer des obstacles, je n’emploierai que des moyens généreux : ainsi notre gageure tient toujours.
Scène V
FAUBLAS, MADAME DE SENNEVILLE, ROSAMBERT
MADAME DE SENNEVILLE porte une robe et un chapeau ; elle appelle en entrant.
Marie ! Marie !
Victor paraît au fond.
Ah ! Victor, dites à Marie de venir prendre tout cela et d’aller habiller Clara.
Elle pose la robe et le chapeau sur un fauteuil à gauche.
Que j’ai d’excuses à vous faire, Messieurs... Eh mais ? me trompé je ?... Non, c’est mademoiselle Duportail, sous ce déguisement ? On voit bien que nous sommes en carnaval... Embrassons-nous donc, ma chère amie !...
FAUBLAS, à part.
Allons, profitons de l’erreur.
Haut.
Madame...
ROSAMBERT, à part.
Cela ne commence pas mal.
MADAME DE SENNEVILLE.
Mais en vérité, ma chère amie, plus je vous regarde, plus je trouve que ce costume vous sied à ravir...
ROSOMBERT.
Oui, on dirait qu’elle n’en a jamais porté d’autre.
MADAME DE SENNEVILLE.
Cette chère enfant, je suis sûre qu’elle aime mieux le bal que le couvent. Vous paraissiez vous amuser beaucoup hier.
FAUBLAS.
N’est-ce pas bien naturel ? Cette réunion était si brillante ! jugez, madame, Je l’effet qu’a du produire sur mon esprit œ spectacle tout à fait nouveau pour moi !
Air d’une nouvelle Anglaise.
Combien de métamorphoses
Nous offre le carnaval !
Et qu’il se passe de choses
Pendant une nuit de bal !
En Mars, on voit un guerrier ;
En Midas, un financier ;
Nos politiques si fins,
S’y montrent en Arlequins.
Le commerçant, d’une affaire
Vient y parler gravement :
Mais sa femme, moins sévère.
Sait s’occuper plus gaiement.
L’une est mosquée à regrets,
Car c’est voiler ses attraits ;
Une autre s’en trouve bien,
Elle n’y peut perdre rien.
Gilles suit une Bergère ;
Elle pourrait s’échapper...
Mais elle fuit de manière
À se laisser attraper.
On s’aborde sans raison,
On se quitte sans façon ;
On se donne un rendez-vous,
On se glisse un billet doux.
On se parle avec mystère,
Pour ne rien dire du tout ;
Et l’on voit à ne rien faire,
Chacun s’occuper beaucoup.
Que de gens on voit bâiller
Et dans un coin s’ennuyer,
Pour dire le lendemain,
Que le bal était divin !
Voilà l’esquisse légère
Des plaisirs du carnaval,
Et ce qu’on peut voir et faire
Pendant une nuit de bal.
MADAME DE SENNEVILLE.
Le tableau est assez vrai... Comme elle est aimable ! Je serais très flattée qu’elle devînt l’amie de Clara.
FAUBLAS.
Ah ! madame, c’est aussi le plus cher de mes vœux.
MADAME DE SENNEVILLE.
Elles s’accorderaient très bien, je gage.
ROSAMBERT, riant.
Je le crois.
MADAME DE SENNEVILLE.
Mais, monsieur de Rosambert, que veut dire ce ton d’ironie ?...
ROSAMBERT.
Cette belle demoiselle pourra vous l’expliquer ; je vous la laisse avec confiance, elle a des secrets à vous révéler.
Bas à Faublas.
Je vous laisse le champ libre... Mais ce n’est pas pour longtemps.
Il sort.
Scène VI
MADAME DE SENNEVILE, FAUBLAS
MADAME DE SENNEVILLE.
Que veut-il dire avec ses secrets ?
FAUBLAS.
Ah ! madame, si vous saviez quels aveux je viens vous faire ?
MADAME DE SENNEVILLE.
Des aveux, ma chère amie... parlez... Cette marque de confiance de votre part me fait le plus grand plaisir...
FAUBLAS.
Je n’ose...
MADAME DE SENNEVILLE.
Me craindriez-vous ?...
FAUBLAS.
Ce n’est pas là le sentiment que vous inspirez...
MADAME DE SENNEVILLE.
L’habit devrait pourtant vous rendre plus hardie, car la timidité n’est pas le défaut de ces messieurs.
FAUBLAS.
Eh bien ! madame, daignez donc m’écouter.
Polonaise del signor Palma.
Vous devez, je pense, ici bas
Connaitre bien des demoiselles ;
Mais, certes, je gage qu’entr’elles,
Comme moi l’on n’en trouve pas.
Vous connaissez beaucoup de belles ;
Mais, certes ; je gage qu’entr’elles, (bis.)
Comme moi l’on n’en trouve pas.
Des Messieurs, on sait que les dames
Cherchent à captiver le cœur :
Et moi, c’est près des femmes
Ce n’est qu’auprès des femmes,
Que je puis trouve, le bonheur...
Je ne me plais qu’auprès des femmes.
Vous devez, je pense, ici bas
Connaître bien des demoiselles ;
Mais, certes, je gage qu’entr’elles,
Comme moi l’on n’en trouve pas.
La guerre plaît à mon courage ;
J’aime les chevaux à la rage ;
Il fait beau me voir sur l’arçon. (bis.)
J’aime tant le bruit, le tapage,
Qu’on me prendrait pour un garçon...
Vous devez, je pense, ici bas
Connaître bien des demoiselles ;
Mais, certes, je gage qu’entr’elles,
Comme moi l’on n’en trouve pas.
MADAME DE SENNEVILLE.
Je commence à vous comprendre maintenant ; comment, mademoiselle... ou plutôt monsieur !... vous avez eu la témérité de m’abuser ainsi !...
FAUBLAS.
Madame, pardonnez une inconséquence.
MADAME DE SENNEVILLE.
C’est qu’aussi en voyant cet air de candeur, de modestie, aurait-on dit que c’était un jeune homme ? Au moins, monsieur, vous voudrez bien m’apprendre qui vous êtes.
FAUBLAS.
Madame, vous voyez devant vous...
MADAME DE SENNEVILLE.
Un étourdi, monsieur !
FAUBLAS.
Le chevalier de Faublas.
MADAME DE SENNEVILLE, riant.
Ah ! ah ! le chevalier de Faublas, c’est charmant ! votre oncle, qui à l’instant même refusait de vous amener ici...
FAUBLAS.
C’est justement pour cela que j’y suis venu. J’avais conservé un si tendre souvenir des bontés que vous aviez eues pour moi dans mon enfance, on m’avait tant parlé des charmes de votre aimable pupille !... Je n’ai pu résister à l’envie d’en juger par moi-même, et déguisé en femme, j’ai osé...
MADAME DE SENNEVILLE.
C’est que vous étiez vraiment très bien.
FAUBLAS.
Vous croyez qu’on ne m’a pas reconnu.
MADAME DE SENNEVILLE.
Certainement non !
Air : Chacun avec moi l’avouera.
À votre entrée, on entendit
S’élever un jaloux murmure ;
Sur votre mise l’on médit,
On critique votre tournure,
Votre robe et votre coiffure ;
Après vous avoir contrôlé,
À l’oreille l’on s’est parlé ;
Bref ! en vous voyant, chaque dame
Blâma votre air, votre maintien ;
Vous voyez bien (bis.)
Qu’on vous a pris pour une femme.
FAUBLAS.
J’ai retrouvé l’aimable Clara, sa vue a réveillé dans mon cœur l’impression qu’elle y avait laissée, et je viens ici solliciter votre protection pour obtenir sa main.
MADAME DE SENNEVILLE.
Voyez donc comme il est d’accord avec son oncle ! nous lui parlions à l’instant de ce mariage...
FAUBLAS.
Et...
MADAME DE SENNEVILLE.
Il a refusé... il dit que vous êtes trop jeune.
FAUBLAS.
Il voudrait bien qu’on l’accusât de ce défaut.
MADAME DE SENNEVILLE.
Ne l’avais-je pas dit au Baron ce matin ? voilà les suites de son injuste sévérité ; mais je suis si bonne que je veux vous aider a l’en punir.
FAUBLAS.
Air : Ah ! qu’il est doux de vendanger !
L’oncle puni par le neveu ;
Quel bon tour ! Plût à Dieu
Que l’on établit en tout lieu
Cette mode !
MADAME DE SENNEVILLE.
Silence !
Trop d’oncles, à ce jeu,
Seraient en pénitence !
ENSEMBLE.
Trop d’oncles, etc.
Scène VII
LE MARQUIS, dans le cabinet, MADAME DE SENNEVILLE, FAUBLAS
LE MARQUIS.
Madame, madame, j’ai fini ma charade !
MADAME DE SENNEVILLE, à Faublas.
Ah ! voici monsieur de Senneville.
FAUBLAS.
Oh ciel !... quel embarras !... me retrouvant ainsi, il me reconnaîtra, il faudra lui dire que je suis...
MADAME DE SENNEVILLE.
Sans doute, et il ne manquera pas d’en parler à votre oncle, il est si indiscret !
FAUBLAS.
Tout serait perdu !
LE MARQUIS.
J’écris le dernier vers !...
MADAME DE SENNEVILLE.
Profitez de cet instant, sortez.
FAUBLAS.
Sortir sans voir Clara ?... non, non !... Que vois-je ! une robe, un chapeau !... Non, Madame, je reste (à part), et je gagne ma gageure.
MADAME DE SENNEVILLE.
Air : La Signora.
Eh bien ! qu’allez-vous faire ?
FAUBLAS.
Reprendre cet habit.
MADAME DE SENNEVILLE.
Pourquoi tout ce mystère ?
Sortez plutôt sans bruit.
LE MARQUIS.
Avec qui parlez-vous ainsi ?
Vous n’êtes donc pas seule ici ?
MADAME DE SENNEVILLE.
Non, c’est l’aimable Hortense
Dont ici la présence...
Doit charmer votre cœur... (bis.)
Ensemble.
FAUBLAS et MADAME DE SENNEVILLE, à part.
Oh ! la plaisante erreur !
J’en rirai de bon cœur.
LE MARQUIS.
Que son retour flatteur
À pour moi de douceur.
MADAME DE SENNEVILLE.
Si je me prêtais à cette folie, ce ne serait que pour mettre à l’épreuve son talent de physionomiste. Mais vous n’aurez jamais le temps de changer...
FAUBLAS.
Bah ! il ne faut qu’une minute.
Air : Ma commère.
De nos jours, par circonstance,
On a, depuis quelque temps,
Poussé très loin la science
De changer en peu d’instants.
Certaines gens nous ont appris
Comme maintenant en France
On change vite d’habits.
LE MARQUIS.
Mesdames, je suis à vous.
FAUBLAS, courant à la porte et la fermant, à double tour.
Un moment ! nous sommes occupées.
LE MARQUIS.
À quoi donc ?
FAUBLAS.
Mais... connaissant votre goût pour les charades, nous en faisons une.
MADAME DE SENNEVILLE, à part.
Quelle idée !
LE MARQUIS.
Une charade, bah !
FAUBLAS.
Oui, et nous ne vous ouvrirons que quand vous l’aurez devinée.
LE MARQUIS.
Parbleu, vous ne me tiendrez pas longtemps enfermé.
Trio.
Musique de M. Doche.
Faublas défait son habit militaire.
MADAME DE SENNEVILLE.
Mon premier, tel qu’un militaire,
Aimable (bas.) mais mauvais sujet,
Aux dames désire de plaire...
FAUBLAS, bas à Madame de Senneville.
Ah ! quel bonheur, s’il leur plaisait.
Madame Senneville porte l’habit, le chapeau et l’épée de Faublas dans le cabinet à gauche, le ferme et en prend la clef.
LE MARQUIS.
Votre premier veut plaire aux femmes.
On connaît ce qui plaît aux dames ;
Je vois d’ici le premier...
FAUBLAS.
Non.
Passons maintenant au second.
Il met la robe.
MADAME DE SENNEVILLE.
Sous le masque de l’innocence...
FAUBLAS.
Sous l’habit d’un sexe enchanteur...
MADAME DE SENNEVILLE.
Mon second a sous sa puissance
Peut-être réduit votre cœur.
Voyez, consultez votre cœur,
Il vous dira le mot, je pense.
LE MARQUIS.
Non, ma foi, mon cœur ne dit rien.
Voyons le tout...
MADAME DE SENNEVILLE.
Faublas met le chapeau.
Écoutez bien,
Mon tout, quoiqu’en cette aventure,
Composé de deux, ne fait qu’un.
LE MARQUIS.
Comment, comment deux ne font qu’un !
MADAME DE SENNEVILLE, nouant les cordons de la robe de Faublas qui, jusque là, est restée entr’ouverte.
Ceci vous paraît peu commun,
Mais c’est très vrai, je vous assure.
TOUS TROIS ENSEMBLE.
Mon tout, quoiqu’en cette aventure,
Composé de deux, ne fait qu’un !
MADAME DE SENNEVILLE.
Devinez-vous ?
LE MARQUIS.
Non, je vous jure !
FAUBLAS.
Puisque vous ne devinez pas...
Bas à Madame de Senneville.
Ensemble.
Ouvrons, ouvrons, plus d’embarras.
LE MARQUIS.
Ouvrez, n’arrêtez plus mes pas.
MADAME DE SENNEVILLE.
Ouvrons, ouvrons, plus d’embarras.
Scène VIII
LE MARQUIS, FAUBLAS, en femme, MADAME DE SENNEVILLE
Le Marquis, en sortant du cabinet, le ferme et en ôte la clef.
LE MARQUIS.
Enfin, je vous revois, Mademoiselle, toujours belle, tous jours adorable !...
FAUBLAS.
Et vous, toujours galant.
MADAME DE SENNEVILLE.
Eh bien ! Monsieur, vous renoncez donc ?
Air : Vaudeville du petit Monstre.
De chercher notre charade
Quoi ! vous seriez déjà las ?
LE MARQUIS.
Qui, moi ? battre la chamade ?
Ainsi, je ne me rends pas. (bis.)
Oui, j’entrevois quelque chose.
Il s’approche de Faublas.
Au mot, je crois que je viens ;
C’est quelque métamorphose...
FAUBLAS.
Vous approchez, j’en conviens.
LE MARQUIS, lui prenant la main.
Je le tiens. (bis.)
FAUBLAS, lui faisant lâcher prise.
Vous ne le tenez pas bien., (bis.)
Scène IX
LE MARQUIS, FAUBLAS, MADAME DE SENNEVILLE, ROSAMBERT, VICTOR
VICTOR, annonçant au fond.
Monsieur de Rosambert.
Il sort.
FAUBLAS, à part.
Il arrive bien vite.
LE MARQUIS.
Eh ! c’est ce cher Rosambert ! sais-tu que la parente est charmante ? c’est on ne peut pas plus aimable à Mademoiselle d’être venue nous faire une visite.
ROSAMBERT, étonné.
Ma parente ?...
Apercevant Faublas.
Ah !
LE MARQUIS.
Elle a beaucoup d’esprit ! comment donc ? elle fait des charades.
MADAME DE SENNEVILLE.
Eh ! monsieur ; qu’importe à monsieur de Rosambert ?...
ROSAMBERT.
Pardonnez moi, madame, je m’intéresse beaucoup à tout ce qui regarde ma parente.
Au Marquis.
Et avez-vous deviné la charade ?
LE MARQUIS.
Mon Dieu, non... ce qui, par parenthèse, est fort étonnant... C’est qu’aussi elle est très difficile, il y a deux qui ne font qu’un, il y a un militaire...
ROSAMBERT.
Eh bien ! moi, je suis sûr que je la devinerais.
FAUBLAS.
Vous vous croyez donc plus de pénétration que monsieur le Marquis ?
ROSAMBERT.
Oui... dans cette occasion du moins, ma charmante parente.
LE MARQUIS.
Mais donc le mot ?
ROSAMBERT.
Peut-être ; et, si vous voulez, je vais vous le dire.
MADAME DE SENNVILLE.
Oh ! non ; monsieur de Senneville ne souffrira pas qu’on lui ôte la gloire de deviner lui-même.
LE MARQUIS.
Non sans doute, je prétends deviner la charade de mademoiselle.
Il s’éloigne de Faublas et paraît s’occuper de la charade.
FAUBLAS, bas à Rosambert.
Eh bien ! j’ai gagne ma gageure.
ROSAMBERT, à Faublas.
Pas encore, et s’il devine !
FAUBLAS, à Rosambert.
Il ne devinera pas.
ROSAMBERT, à Faublas.
C’est ce que nous allons voir !
Haut.
Puisque vous ne voulez pas que je vienne à votre secours, il faut, Marquis, que je vous raconte une aventure assez plaisante qui vient d’arriver à l’un de mes amis.
MADAME DE SENNEVILLE, à part.
Il va faire quelqu’étourderie.
LE MARQUIS.
Ah ! oui, conte-nous ça.
MADAME DE SENNEVILLE.
Sans doute quelqu’aventure amoureuse, cela est bien commun !
ROSAMBERT.
Non, madame, une aventure avec des circonstances nouvelles qui vous amuseront.
MADAME DE SENNEVILLE.
Point du tout, monsieur, je vous assure.
LE MARQUIS.
Bon, les femmes disent toujours qu’une histoire... gaie les ennuie : Rosambert, conte toujours.
ROSAMBERT.
M’y voilà donc !
Air : Des Gardes marines.
Un officier téméraire
Comme on l’est à dix-huit ans,
Aimait d’un amour sincère
Jeune objet en son printemps.
Pour lui parler, d’une fille
Naïve, aimable et gentille,
Et chez qui la pudeur brille,
Empruntant l’habit, le ton,
Et bravant verrous et grille,
Il entre dans la maison.
Ensemble.
LE MARQUIS.
Ah ! quel tour ! qu’il est bon !
Oh ! l’excellente folie !
On ne m’eût pas, je parie,
Trompé de cette façon.
ROSAMDERT, à part.
J’admire sa bonhommie ;
On ne l’eût pas, il parie,
Trompé de cette façon.
FAUBLAS et MADAME DE SENNEVILLE, à Rosambert.
Mais, Monsieur, je vous en prie ;
Cessez la plaisanterie.
De grâce, finissez donc !
ROSAMBERT.
La jeune personne et la tante... ou la tutrice, trompées sans doute par l’apparence, accueillirent très bien mon jeune ami... mais...
Air : Une fille est un oiseau.
Ce qui fut le plus plaisant
De toute cette aventure,
C’est que, voyant sa tournure,
Et son minois agaçant,
Voyant que, d’un air sévère,
Toujours la belle étrangère,
Feignant de craindre de plaire,
Devant lui baissait les yeux ;
Le bon époux de la dame,
Croyant que c’est une femme,
Soudain en fut amoureux.
Ensemble.
LE MARQUIS.
Ah ! quel tour ! qu’il est bon !
Oh ! l’excellente folie ! etc.
ROSAMBERT.
J’admire sa bonhommie, etc.
FAUBLAS, MADAME DE SENNEVILLE.
Mais, Monsieur, je vous en prie, etc.
FAUBLAS.
Mais cela est incroyable.
MADAME DE SENNEVILLE.
Impossible !... monsieur de Rosambert nous fait des contes.
LE MARQUIS.
Non, cela se peut très bien. Il y a des gens si simples moi j’en connais d’abord.
ROSAMBERT.
Vous figurez-vous cette scène ? je la vois encore d’ici.
Air : Une fille, etc.
D’un côte, c’est mon ami
Restituant à la femme
Les regards remplis de flamme
Qu’il recevait du mari.
De l’autre, l’époux volage
Présentant un humble hommage
À cette belle si sage,
Et d’un air tendre, pressant
La main de notre innocente,
Au Marquis, qui presse la main de Faublas.
De même qu’à ma parente,
Vous la pressez maintenant.
Ensemble.
LE MARQUIS, de mauvaise humeur.
Ah ! quel tour ! qu’il est bon !
Oh ! l’excellente folie ! etc.
ROSAMBERT.
J’admire sa bonhommie, etc.
FAUBLIS, MADAME DE SENNEVILLE.
Mais, Monsieur, je vous en prie, etc.
LE MARQUIS, avec dépit.
Tout cela est fort bon ; mais ne me fait pas trouver ma charade... eh !... à propos,
Regardant à sa montre.
l’heure me presse, voici le moment de porter mon dernier ouvrage à la Gazette ; de espéré de vous quitter.
FAUBLAS.
Ne pas faire paraître cette charade, ce serait un vol que vous feriez au public.
Air : du Renégat.
Ne demeurez pas plus longtemps ;
Volez au temple de mémoire ;
Faites céder en tous les temps
La galanterie à la gloire.
LE MARQUIS.
Auprès de vous, j’allais tout oublier ;
Mais de ce pas je vais la publier.
Ensemble.
ROSAMBERT, FAUBLAS et MADAME DE SENNEVILLE, à part.
Par ce moyen, de sa présence
Nous voilà quittes, Dieu merci ;
Un sujet de cette importance
Pouvait seul l’éloigner d’ici.
LE MARQUIS.
Je vous quitte, mais mon absence
Doit être courte, Dieu merci :
Pour jouir de voire présence,
Dans l’instant je reviens ici.
Il sort.
Scène X
ROSAMBERT, FAUBLAS, MADAME DE SENNEVILLE
MADAME DE SENNEVILLE.
Vous voyez, Monsieur, à quoi m’expose cette plaisanterie. Vous avez entendu les malins propos de monsieur de Rosambert ; je ne dois pas m’y prêter plus longtemps.
FAUBLAS.
Au moins, madame, n’oubliez pas que j’adore votre papille ; que sans elle...
MADAME DE SENNEVILLE.
Ah ! nous parlerons de cela, quand vous aurez repris les habits de votre sexe.
ROSAMBERT.
Daignez-vous accepter ma main.
MADAME DE SENNEVILLE.
Vous ne le méritez guères.
ROSAMBERT, bas à Faublas.
Ma gageure n’est pas encore perdue.
Il sort avec madame de Senneville.
Scène XI
FAUBLAS, seul
Mon cher Rosambert, vous vous flattez ; car madame de Senneville a paru touchée de mon amour pour sa pupille, elle est indulgente et je suis sûre qu’elle consentira à notre union. Quel bonheur !
Scène XII
FAUBLAS, MARIE
MARIE, au fond.
Madame m’a fait appeler, je vais être grondée...
Apercevant Faublas
Mais c’est Mademoiselle ! elle s’est habillée seule...
FAUBLAS.
Ah ! c’est toi, Marie, tiens, aide-moi à me débarrasser de ces habits.
MARIE.
Ah ! mon dieu, que vois-je ? un d’homme !
FAUBLAS.
Te ferais-je peur ? tu ne m’en fais pas à moi !
MARIE.
Comme il est familier !
FAUBLAS.
Aide-moi donc, je suis d’une impatience... Ah ! charmante Clara, serai-je assez heureux pour vous plaire ?... et ce maudit cordon !
MARIE.
Il déchire tout... prenez donc garde, monsieur ; on voit bien que vous n’avez pas l’habitude de ces habits-là.
FAUBLAS.
Eh ! non sans doute... la jolie petite main... le charmant bras !
MARIE.
Monsieur, vous me faites mal.
FAUBLAS.
Ce n’est pas mon intention, je t’assure. Enfin m’en voilà quitte...
Lui donnant une bague et un baiser.
tiens, je le remercie.
MARIE, le regardant.
Ah ! que vous êtes bien ainsi !
FAUBLAS.
Air : Ma belle est la belle des belles.
J’ai donc le bonheur de te plaire ?
MARIE.
Comment pourrait-on vous haïr ?
Jeune, généreux, téméraire...
Vous êtes sur de réussir.
Que l’on m’approuve ou qu’on me blâme,
Je ne sais... Mais, quoiqu’à mes yeux
Vous paraissiez fort bien en femme,
En homme je vous aime mieux.
FAUBLAS.
Vraiment ! eh bien pour achever la métamorphose, donne moi mon habit.
MARIE.
Votre habit ! où est-il ?
FAUBLAS.
Madame de Senneville l’a mis dans ce cabinet.
MARIE.
Mais la clef n’y est pas.
FAUBLAS.
Elle l’aura emportée, va la chercher, mais... attends donc... On vient, je crois.
MARIE.
Oui, Monsieur.
FAUBLAS, à part.
Diable ! si c’était M. de Senneville !
MARIE.
Oh ! ciel ! si l’on nous trouvait ensemble.
FAUBLAS, à part.
Me voyant dans ce costume, il pourrait deviner la charade de tantôt...
MARIE.
Notre honneur, à nous autres soubrettes, ça tient à si peu de chose !
FAUBLAS.
Par où sortir ? les deux portes sont fermées... Si je pouvais me cacher...
MARIE.
Quoi... vous auriez cette complaisance !
FAUBLAS, à part.
Elle croit que c’est pour elle.
Haut.
mais où me mettre ?
MARIE.
Sous cette table.
FAUBLAS, se cachant.
Air : Un moment de peine. (des Rendez-vous Bourgeois.)
Allons, par prudence,
Prenons patience ;
Du fripon d’amour,
C’est un mauvais tour ;
Vraiment, je t’assure,
Cet instant fâcheux
Est de l’aventure
Le moins glorieux.
Scène XIII
FAUBLAS, sous la table, MARIE, VICTOR
Fin de l’air.
Ensemble.
VICTOR, au fond.
Entrons en silence,
Marchons doucement ;
Pour causer, je pense,
Voici le moment.
FAUBLAS.
Prenons patience ;
Pareil accident
Arrive, je pense,
À plus d’un amant.
MARIE.
Prenez patience ;
Pareil accident, etc.
VICTOR.
Marie ! Marie !
MARIE
Ah ! c’est toi...
FAUBLAS.
Ce n’est qu’un valet.
VICTOR, mystérieusement.
Je suis bien aise de le trouver toute seule.
FAUBLAS.
Ah ! ah ! du mystère, je me suis caché par crainte, je reste par curiosité.
MARIE.
Eh bien ! es-tu toujours aussi effrayé que l’autre jour ! poltron !
VICTOR.
Le jour du voleur ? oui, poltron, c’est que je l’ai vu ; on n’a pas pu le prendre ; mais il était...
MARIE.
Dans ton imagination.
VICTOR.
C’est bon ! qu’il revienne, monsieur le Commissaire est prévenu toujours ; mais dis-moi, ma petite Marie...
MARIE, à part.
Il va me compromettre !...
FAUBLAS.
Voilà qui devient intéressant.
VICTOR.
Nous sommes seuls, il faut que tu me laisses prendre un baiser.
MARIE.
Je ne veux pas.
FAUBLAS.
Comment... ce maraud-là !... et sous mes yeux !
VICTOR.
Oh ! je t’embrasserai.
FAUBLAS.
Oh ! parbleu non !
Il se relève, renverse la table, donne un soufflet à Victor.
Faquin !
VICTOR.
Ah ! mon dieu ! c’est le diable !
Faublas se sauve, Victor court après lui en criant.
au voleur ! au voleur !
MARIE.
Qu’est-ce que tout cela va devenir ?
Elle tombe sur une chaise.
Scène XIV
ROSAMBERT, MADAME DE SENNEVILLE, MARIE, DOMESTIQUES
Morceau d’ensemble.
Musique de M. Doche.
CHŒUR.
D’où partent ces clameurs ?
Où sont donc les voleurs ?
MADAME DE SENNEVILLE.
Parlez, parlez, Marie ?
MARIE.
Hélas ! j’étais évanouie.
CHŒUR.
Où sont donc les voleurs ?
MADAME DE SENNEVILLE.
Voyez un peu l’impertinente !
Doit-on s’évanouir, lorsque l’on est servante ?
Scène XV
ROSAMBERT, MADAME DE SENNEVILLE, MARIE, DOMESTIQUES, FAUBLAS, VICTOR, LE COMMISSAIRE, LE GREFFIER, SOLDATS
Faublas est tenu au collet par Victor, en entrant il le pousse et lui fait lâcher prise.
Le morceau continue.
CHŒUR.
Voici le voleur
LE COMMISSAIRE.
Son audace sera punie.
MADAME DE SENNEVILLE.
Eh ! quoi ! c’est vous, Monsieur ?
Encor quelque trait de folie.
FAUBLAS.
Ils me prennent pour un voleur ;
C’est passer la plaisanterie.
CHŒUR.
Punissez le voleur.
MADAME DE SENNEVILLE, bas à Faublas.
Ah vraiment voilà une folie qui couronne toutes les autres... j’espère que vous allez m’apprendre ?...
MARIE, bas à Madame de Senneville.
Madame... la clef...
MADAME DE SENNEVILLE.
Oh ciel ! quelle étourderie !
Elle donne la clef à Marie qui va prendre l’habit et le chapeau de Faublas, dans le cabinet à gauche.
LE COMMISSAIRE.
Silence ! nous allons procéder à l’interrogatoire.
MADAME DE SENNEVILLE.
C’est inutile ; Monsieur n’a ni l’air ni la tournure...
ROSAMBERT.
Bah ! est-ce qu’on s’y reconnait maintenant ?
LE COMMISSAIRE.
Sans doute ! d’ailleurs, ce désordre.
VICTOR.
Monsieur le commissaire, je le reconnais pour le voleur de la dernière fois.
FAUBLAS.
Voilà, par exemple, qui est plaisant !
MARIE, à part.
Ah ! l’imbécile !
LE COMMISSAIRE.
Vous l’entendez, Madame ?
FAUBLAS, en mettant.son habit.
Heureusement que M. de Senneville est sorti... j’espère que tout sera terminé avant son retour.
LE COMMISSAIRE.
Ça, Monsieur le greffier, verbalisez... Il s’agit d’un vol, et le voleur le voilà.
À Faublas, sans le regarder.
Qui es-tu, mauvais sujet ?
FAUBLAS.
Le Chevalier de Faublas, officier de dragons.
LE COMMISSAIRE, étonné, regarde Faublas, qui a remis son uniforme.
Où logez-vous, Monsieur ?
FAUBLAS.
Chez mon oncle, le Baron de Faublas.
ROSAMBERT.
Eh, Monsieur le commissaire, que n’envoyez-vous chers cher M. de Faublas ? Si Monsieur est son neveu, ce que je me plais à croire, c’est un véritable service que vous lui rendrez.
LE COMMISSAIRE.
C’est juste.
Il parle bas à un valet.
Allez.
MADAME DE SENNEVILLE, à Rosambert.
Que faites-vous ?
ROSAMBERT.
Il faut que la justice ait son cours.
FAUBLAS, à part.
Maudit Rosambert, tu me le paieras.
LE COMMISSAIRE.
D’où sortez-vous ?
FAUBLAS.
De dessous une table.
LE COMMISSAIRE.
Monsieur, voilà de mauvaises plaisanteries, que vous pourriez payer cher ; que veniez-vous chercher ici ?
FAUBLAS.
Le bonheur !
LE COMMISSAIRE.
Le bonheur ! est-ce une réponse cela ? Où est le plaignant ?
VICTOR.
C’est moi, Monsieur le Commissaire, qui me plains d’un soufflet.
LE COMMISSAIRE.
De qui le tiens-tu ?
VICTOR.
De qui je tiens ce soufflet ? de Monsieur !
Montrant Faublas.
LE COMMISSAIRE.
Comment te nommes-tu ?
Au moment où Victor va pour répondre, Faublas lui coupe la parole et répond pour lui.
FAUBLAS.
Victor.
LE COMMISSAIRE.
Monsieur, je parle à ce garçon.
À Victor.
Où loges-tu ?
FAUBLAS.
Dans le cœur de mademoiselle Marie.
LE COMMISSAIRE.
Monsieur, encore une fois, ce n’est pas vous que j’interroge.
À Victor.
Que fais-tu ?
FAUBLAS.
Il embrasse mademoiselle Marie.
LE COMMISSAIRE.
Monsieur, vous allez me forcer à prendre des moyens violons.
MADAME DE SENNEVILLE, à Marie.
C’est bien, Mademoiselle, j’apprends de belles choses.
MARIE.
Madame, je vous assure que c’est malgré moi.
LE COMMISSAIRE.
Qu’est-ce que c’est ? que dit Mademoiselle ?
Air : J’ai vu le Parnasse des Dames.
Ma chère, parlez-moi sans crainte ;
Contre ce Monsieur, avez-vous
À me faire aussi quelque plainte ?
Je le croirais presqu’entre nous ;
Mais je vous vengerai, j’espère ;
Je punirai ses attentats :
Que vous a fait le téméraire ?
MARIE.
Moi, Monsieur, je ne m’en plains pas.
Scène XVI
ROSAMBERT, MADAME DE SENNEVILLE, MARIE, DOMESTIQUES, FAUBLAS, VICTOR, LE COMMISSAIRE, LE GREFFIER, SOLDATS, LE MARQUIS DE SENNEVILLE
LE MARQUIS.
Eh bien, eh bien ! qu’est-ce que c’est donc ? un voleur chez moi ! qu’est-ce que c’est que toutes ces physionomies-là ? m’expliquera-t-on ?...
LE COMMISSAIRE.
C’est Monsieur que l’on vient d’arrêter dans votre hôtel.
LE MARQUIS, regardant Faublas.
Monsieur, dites-vous ? Eh mais ! madame, voyez donc... c’est incroyable !... ne jurerait-on pas que c’est mademoiselle Duportail ?
MADAME DE SENNEVILLE, riant.
En effet... cette ressemblance...
LE MARQUIS.
C’est qu’il ne faut pas rire, Madame ; elle est frappante.
ROSAMBERT, à part.
Il prend fort bien la chose.
LE MARQUIS, à Faublas.
Est-ce que vous seriez le frère ?...
FAUBLAS.
De ma sœur ? oui, Monsieur.
LE MARQUIS.
Je l’avais deviné, moi !
MADAME DE SENNEVILLE, jouant l’étonnement.
Le frère de mademoiselle Duportail !
LE MARQUIS.
Sans doute ! cela saule aux yeux ! ce que c’est que d’être physionomiste ! je ne l’avais jamais vu, et je l’ai reconnu tout de suite.
À Faublas.
Air : De Jadis et Aujourd’hui.
Je vois certaine différence ;
Vous êtes bien ; mais, entre nous,
Votre sœur est bien mieux, je pense ;
Même elle est plus grande que vous.
Dans votre air, moins ce grâce brille ;
Vous fâcher serait sans raison :
Car il ne faut pas qu’une fille
Soit tout-à-fait comme un garçon.
LE COMMISSAIRE.
Ah ! ça ! Messieurs, tout ceci n’éclaircit pas l’affaire ; vous parlez de M. Duportail, ce n’est pas là le nom que Mon sieur m’a fait écrire.
LE MARQUIS.
C’est pourtant bien monsieur Duportail.
LE COMMISSAIRE.
Vous vous trompez, Monsieur.
LE MARQUIS, riant.
Je me trompe, c est délicieux ! entends-tu, Rosambert ? il prétend que je me trompe ! comme si, en voyant cette physionomie, on pouvait douter que ce fût là le frère de mademoiselle Duportail ? je le soutiendrais devant Lavater.
LE COMMISSAIRE.
Tant que vous voudrez ; mais Monsieur nous a déclaré se nommer le chevalier de Faublas.
LE MARQUIS.
En voilà une bonne, par exemple ! c’est que je connais beaucoup le chevalier de Faublas : je l’ai vu tout petit, pas plus haut que ça, et je vous déciare, moi...
FAUBLAS, bas au Marquis.
Chut ! chut ! j’ai donné ce nom-là par nécessité, vous voyez bien que Rosambert feint de ne pas me connaître... Oh ! il m’est arrivé l’aventure la plus drôle... je vous la conterai...
LE MARQUIS.
Que ne disiez-vous donc ? c’est très bien, s’il eût écrit votre véritable nom, il aurait envoyé chercher votre véritable père, et cela aurait fait une scène.
LE COMMISSAIRE.
Monsieur a donc fait une fausse déclaration ?
LE MARQUIS.
Non, non, laissez ce nom de Faublas, c’est celui qu’il faut.
Scène XVII
ROSAMBERT, MADAME DE SENNEVILLE, MARIE, DOMESTIQUES, FAUBLAS, VICTOR, LE COMMISSAIRE, LE GREFFIER, SOLDATS, LE MARQUIS DE SENNEVILLE, LE BARON DE FAUBLAS
LE BARON.
On m’a fait prier de me rendre ici.
FAUBLAS, à part.
Mon oncle !
Il se détourne de manière que son oncle ne voit pas sa figure.
LE COMMISSAIRE.
Oui, Monsieur, c’est moi qui ai pris la liberté de vous faire appeler.
ROSAMBERT, au Marquis.
Eh ! parbleu ! priez le Baron de dire que c’est son neveu.
LE MARQUIS.
Tu as raison.
Au Baron.
Mon cher Baron, vous êtes mon ami, rendez-moi un grand service.
LE BARON.
Volontiers.
LE MARQUIS.
Dites que c’est votre neveu.
LE BARON.
Qui donc ?
LE MARQUIS, montrant Faublas.
Ce jeune homme.
LE BARON.
Ce jeune homme.
Il prend Faublas par le bras, et le faisant tourner de son côté, le reconnaît.
Ciel ! mon neveu !
LE MARQUIS.
Bien, très bien !
LE COMMISSAIRE, au Baron.
Si Monsieur est votre neveu, c’est à vous que je dois m’adresser ; il y a plainte contre lui.
LE MARQUIS.
On s’en désiste.
LE COMMISSAIRE.
Il s’agit d’un vol.
LE BARON, avec colère.
Cela n’est pas possible : Mon neveu est incapable de manquer à l’honneur.
FAUBLAS.
Il n’y a pas d’autre vol qu’un baiser volé à Marie, par ce maraud de Victor.
MADAME DE SENNEVILLE.
Voilà tout.
MARIE.
Oui, Messieurs, je vous assure que voilà tout.
LE BARON, au commissaire.
J’espère, Monsieur, que vous allez faire cesser tout ceci ; vous connaissez mon nom, ma demeure, et je réponds de mon neveu.
LE MARQUIS.
Et moi aussi, j’en réponds.
LE COMMISSAIRE.
Air : Courons aux près Saint-Gervais.
La loi veut avec rigueur,
Que la justice
S’accomplisse ;
On m’a promis un voleur,
On doit me trouver un voleur.
LE MARQUIS.
Il en est tant dans ce monde !
Cherche-en ailleurs
LE COMMISSAIRE.
Je sors ;
Mais il faut qu’on m’en réponde,
Même par corps.
Ensemble.
La loi veut avec rigueur,
Que la justice
S’accomplisse ;
Songez que sur votre honneur,
Vous me répondez du voleur.
TOUS LES AUTRES.
On veut bien, avec rigueur
Que la justice
S’accomplisse ;
Mais nous étions dans l’erreur,
Il n’est point ici de voleur.
Le commissaire sort avec le greffier, Victor, les soldats et les domestiques.
Scène XVIII
ROSAMBERT, FAUBLAS, LE BARON, MADAME DE SENNEVILLE, LE MARQUIS, MARIE
LE MARQUIS.
Ah ! mon ami, comme vous jouez la comédie ! Oh ! mais surtout l’avez-vous entendu quand il s’est écrié : Non neveu est incapable de manquer à l’honneur !... Son neveu... Ah ! vous donneriez des leçons à ceux qui s’en mêlent.
LE BARON.
Eh ! morbleu ! vous m’impatientez !
À Faublas.
C’est donc ainsi qu’au mépris de mes ordres ?...
MADAME DE SENNEVILLE.
Eh bien, Monsieur le baron, vos efforts ont été inutiles ! il nous a tous trompés !... Puisqu’il est ici, songez à votre promesse.
LE BARON.
Comment, chevalier, vous que je croyais si sage !
MARIE, à part.
Comme ces jeunes gens sont trompeurs !
FAUBLAS.
Mon oncle...
LE MARQUIS.
Ah ça ! permettez, jouez-vous encore la comédie ?
LE BARON.
Eh corbleu, non !
LE MARQUIS.
Mais, je n’y suis plus alors : j’ai vu M. Duportail, Mademoiselle Duportail, M. de Faublas, et moi qui suis physionomiste, je ne sais pas si je me trompe, mais tout cela m’a l’air de se ressembler.
FAUBLAS.
Tout cela est le chevalier de Faublas.
LE MARQUIS.
Eh ! comment c’est toi ?... Et moi qui ne l’ai pas reconnu ! C’est incroyable, j’ai été sa dupe... Le tour est délicieux : ah ! Baron, ce petit gaillard en sait plus long que vous le croyez ; une matinée comme celle-là forme bien un jeune homme : mariez-le ! mariez-le !
LE BARON.
Songez donc à son âge, c’est un enfant.
FAUBLAS.
Air : Du pas redoublé.
Ce Dieu dont l’empire s’étend
Sur toute la nature,
L’Amour lui-même, d’un enfant
N’a-t-il pas la figure ?
Vous me reprochez chaque jour
Ma jeunesse... J’enrage...
Puisque j’ai l’âge de l’Amour,
L’amour est de mon âge.
MADAME DE SENNEVILLE.
Il a raison.
ROSAMBERT.
Si Madame s’en mêle, adieu ma gageure.
LE BARON.
Vous le voulez tous ?... Marie toi donc, j’y consens ; mais je ne réponds pas de lui.
MARIE, à part.
Moi, j’en répondrais.
LE MARQUIS.
Eh ! mais, j’y songe maintenant, la charade de tantôt... Un militaire, une femme, deux qui ne font qu’un... J’y suis ; mon ami, le mot... c’est toi ! Hein ? Au moins, l’on porte quelqu’atteinte à mon talent de physionomiste, on ne saurait contester mon génie pour deviner la charade.
Air : Sons légers, parvenez en France. (Vaisseau amiral.)
Ce talent, quoique l’on en rie,
N’est pourtant pas à dédaigner,
Que d’Enigmes en cette vie !
Heureux qui sait les deviner !
TOUS EN CHŒUR.
Heureux qui sait les deviner !
Vaudeville.
Air de l’ancien vaudeville de Gaspard l’avisé.
FAUBLAS.
Depuis quelque temps dans mon âme,
Je sentais un vague désir ;
Mon cœur, à l’aspect d’une femme,
Soudain palpitait de plaisir ;
Pour moi, cette ardeur inconnue
Fut une Enigme jusqu’au jour
Où, Clara s’offrant à ma vue,
Tout fut expliqué par l’Amour.
MARIE.
Fière d’un brillant équipage,
Plus d’une belle, que je vois,
Vint autrefois de son village
Pauvre et simplette comme moi.
Sa fortune doit me surprendre,
C’est une Enigme que cela :
Que je désire la comprendre !
Ah ! qui donc me l’expliquera !
ROSAMBERT.
Certain Hibou, de Philomèle,
Quoique vieux, veut toucher le cœur ;
Il croit chanter seul avec elle,
Tandis qu’il ne chante qu’en chœur...
Cette Enigme étant proposée
À ces dames de l’Opéra,
L’une dit : La chose est aisée,
Et Milord vous l’expliquera.
LE MARQUIS.
Pénélope, d’un air austère,
Feignant de repousser l’amour
S’amusait, dit-on, à défaire
La nuit tout l’ouvrage du jour.
L’Enigme que le bon Homère
Dans ce récit nous proposa,
Mainte prude, le jour sévère,
Quelque soir vous l’expliquera.
MADAME DE SENNEVILLE, au Public.
Comment obtenir du parterre
Le suffrage toujours flatteur ?
C’est l’Enigme que d’ordinaire
Ici se propose un auteur.
À la chercher tout notre zèle,
Messieurs, ce soir s’est éprouvé...
Le mot est si souvent rebelle !
Aujourd’hui l’aurions-nous trouvé ?