L’amour platonique (Eugène SCRIBE - MÉLESVILLE)
Comédie mêlée de Vaudeville.
Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Gymnase, le 26 décembre 1820.
Personnages
SUDMER
ADOLPHE DE REINSBERG, neveu de Sudmer
CRICK, domestique d’Adolphe
ÉLISE
LA COMTESSE
PAYSANS
LAQUAIS
OUVRIERS
Dans le Holstein.
Un salon élégant ; deux portes latérales. On aperçoit un jardin dans le fond.
Scène première
CRICK, étendu dans un fauteuil
Allons, déjà une voiture !... Il n’y a pas de maison où les domestiques soient plus dérangés... on a beau être à la campagne, dans le fond du Holstein... c’est égal... et dire que je n’ai personne pour me rendre compte de ce qui se passe dans le château !
Air : Un homme pour faire un tableau. (Les Hasards de la guerre.)
Depuis le temps que j’obéis,
C’est bien l’ moins qu’à mon tour j’ordonne ;
Chacun me commande au logis.
Et je ne commande à personne ;
Oui, si j’étais roi, je rendrais
Un bon arrêté sans réplique,
Où j’ordonn’rais qu’ tous les valets
Eussent chacun leur domestique.
Scène II
LA COMTESSE, CRICK, dans la même position
LA COMTESSE, s’arrêtant et le regardant.
Eh bien ! monsieur Crick, à votre aise ! ne vous dérangez pas.
CRICK, se levant, à part.
Ah ! mon Dieu ! c’est cette jeune veuve, la meilleure amie de madame.
Haut.
Mille pardons, madame la comtesse ! si j’avais pu deviner que c’était une personne comme il faut...
LA COMTESSE.
Fais remiser ma voiture et dételer mes chevaux.
CRICK.
Oui, madame la comtesse... Il paraît que c’est une affaire pressée qui vous aminé ?
LA COMTESSE.
Apparemment.
CRICK.
Ça concerne sans doute... M. Adolphe, notre maître ?... C’est peut-être des nouvelles de M. Sudmer, son oncle, qu’il aime tant, et qui est perdu ?...
LA COMTESSE, le regardant froidement.
Il y a une chose que je n’ai jamais pu concevoir : c’est la patience de ton maître à garder chez lui un domestique aussi impertinent et aussi curieux.
CRICK.
Ce n’est pas de la patience... c’est une obligation pour lui. Vous ne savez donc pas que je suis le filleul de ce pauvre M. Sudmer, pour lequel il a une telle vénération qu’il n’en parle que les larmes aux yeux... Aussi, il voudrait me renvoyer, qu’il ne pourrait jamais s’y résoudre, et il faut qu’il me supporte par respect pour la mémoire de son oncle.
LA COMTESSE.
Je ne suis plus étonnée de ton assurance.
CRICK.
Dame ! voyez-vous, je peux m’en donner !... faut qu’il me passe tout. Je ne ferais que des sottises, je briserais tout chez lui, qu’il ne pourrait pas se dispenser, sur mes vieux jours, de me faire encore une grosse pension pour reconnaître mes bons services.
LA COMTESSE.
Tu as connu sans doute le capitaine Sudmer ?
CRICK.
Je l’ai vu probablement une fois ; c’est le jour où il m’a servi de parrain, et je n’ai jamais rien reçu de lui que le nom que je porte... et le cadeau n’est pas beau... certainement... Crick, ça n’est pas un fameux nom... mais c’est égal, si mon parrain revient un jour, quoique depuis six ans on le dise mort, je peux bien compter que j’aurai un carrosse et des laquais... alors...
LA COMTESSE.
À la bonne heure !... mais comme tu n’as pas encore tes gens, et que tu fais tes commissions toi-même... si tu voulais bien m’annoncer !
CRICK.
Vous annoncer ?
Sans se déranger.
Air : Voulant par ses œuvres complètes. (Voltaire chez Ninon.)
Holà ! quelqu’un... Dubois, Lapierre !
LA COMTESSE.
Pourquoi donc ne pas t’en charger ?
CRICK.
Si ça vous est égal, j’ préfère,
Madam’, ne pas me déranger.
J’ laiss’ les autres, c’est mon système,
Fair’ toujours les choses pour moi ;
N’y a guèr’ qu’ mes quatr’ repas, je croi,
Que j’aime à faire par moi-même.
LA COMTESSE.
Je me doute bien qu’il ne fait pas encore jour... ce n’est pas étonnant... de nouveaux mariés !... mais n’importe... préviens-les que c’est une amie.
CRICK.
Je crois bien que madame est encore dans son appartement... mais il y a longtemps que monsieur est sorti du sien... il court les champs.
LA COMTESSE, étonnée.
Comment... son appartement ?
CRICK.
Oui,
Montrant le cabinet à gauche.
ici, c’est madame...
Montrant l’autre côté.
et là, c’est monsieur.
LA COMTESSE.
Eh ! mais ! voilà la province qui se forme ; c’est déjà comme à la ville... au bout de deux jours de mariage.
CRICK.
Oh ! il faut leur rendre justice, ça toujours été comme ça.
LA COMTESSE.
Comment ! est-ce que par hasard ils ne seraient pas mariés ?
CRICK, secouant la tête.
Dame !... c’est selon... il va du pour et du contre. D’abord ils sont venus s’établir dans ce château, que M. Adolphe a acheté tout exprès... ensuite nous avons eu des signatures, des contrats et même une belle cérémonie dans la chapelle ; et, depuis ce moment-là, notre jeune demoiselle s’est appelée madame : voilà ce qu’il va de plus certain ; mais, d’un autre côté, vu qu’ils habitent les deux extrémités du château, que monsieur ne tutoie jamais madame, et qu’en se quittant ils se font la révérence... il faut qu’il y ait quelque chose d’extraordinaire...
LA COMTESSE.
Si je conçois un mot à tout ce que me débite cet imbécile !
CRICK.
Imbécile !... c’est ça... la force du préjugé... Mais tenez... regardez plutôt si je vous ai menti... n’ vous montrez pas.
Scène III
LA COMTESSE, CRICK, ADOLPHE
Il sort de son appartement sur la pointe du pied, et court regarder par le trou de la serrure de la porte en face.
ADOLPHE, avec impatience.
Allons, elle repose encore !
CRICK, bas à la comtesse.
Hein !... vous le voyez !
LA COMTESSE.
Me serait-il permis de complimenter M. de Reinsberg ?
ADOLPHE, se retournant.
Que vois-je ? c’est vous, madame la comtesse, ici, dans ce château... J’étais loin de m’attendre... Crick, laissez-nous.
Crick sort.
LA COMTESSE.
Qu’avez-vous donc, mon cher Adolphe ? vous voilà tout troublé, tout déconcerté.
Air de Julie.
Quoi ! mon aspect vous importune ?
Vous avez tort assurément ;
Un époux en bonne fortune,
Rien n’est plus neuf, et rien n’est plus piquant ;
Mais quel air gauche, et quelle étude !
Un rendez-vous vaut-il tant d’examen ?
On voit bien que le pauvre hymen,
Hélas ! n’en a pas l’habitude.
ADOLPHE, avec embarras.
C’est bien aimable à vous de nous surprendre ainsi !
LA COMTESSE.
N’est-ce pas ? Voilà comme je suis pour les personnes que j’aime. J’apprends votre mariage, aussitôt je quitte tout, les bals, les plaisirs de la cour, pour voir ma meilleure amie, cette chère Élise, et jouir du spectacle de votre bonheur... mais quelle singulière figure vous me faites quand je vous parle de votre femme... N’êtes-vous pas heureux ?...
ADOLPHE, soupirant.
Heureux !... peut-être moins que vous le croyez.
LA COMTESSE, vivement.
Quoi !... vous auriez des peines, des chagrins !...
Avec sentiment.
Quel bonheur !... parlez, confiez-vous à moi... je serais si contente de pouvoir vous être utile !
ADOLPHE.
Vous daigneriez partager ?...
LA COMTESSE.
Mais, c’est notre seul mérite, à nous autres femmes.
Air : Muses des jeux et des accords champêtres.
Dans le danger prêts à saisir les armes,
Vous nous servez d’égide et de soutien ;
Mais du malheur s’il faut sécher les larmes,
Auprès de nous les hommes ne sont rien.
Oui, leur vertu rigoureuse, hautaine,
Ne vaut jamais noire douce amitié :
Ils vous diront comme on brave la peine ;
Nous, sans rien dire, en prenons la moitié !
ADOLPHE.
Oui, je veux tout confier à votre amitié, et vous verrez dans quelle situation... Vous avez sans doute connu mon oncle Sudmer, le plus brave de nos marins ?
LA COMTESSE.
Non, mais j’ai entendu raconter que vous lui deviez tout... votre éducation, votre fortune ! que jamais aussi reconnaissance n’égala la vôtre... À propos de cela, permettez-moi de vous dire qu’il a disparu depuis six ans, qu’il est probable qu’on n’aura plus de ses nouvelles, et qu’il faut en tout finir par se faire une raison... je m’en suis bien fait une, moi, par rapport à mon mari !
ADOLPHE.
Ah ! permettez-moi d’espérer que mon oncle ne nous est point encore ravi... et, pour vous le faire connaître, laissez-moi vous lire seulement la dernière lettre que j’ai reçue de lui lors de son départ.
Lisant.
« À bord de la Néréide, le 12 juillet 1810. – Mon ami, mon neveu, mon cher fils, nous sommes en présence des Anglais, qui s’opposent à notre sortie... mais demain le convoi que je commande sera en pleine mer, ou le commodore que j’ai à combattre aura sauté avec moi... »
LA COMTESSE.
Aura sauté avec moi... En vérité, j’aime déjà ce capitaine Sudmer à la folie, et je voudrais pour beaucoup qu’il eût fait sauter le commodore... Continuez, je vous prie.
ADOLPHE, continuant de lire.
« Mon lieutenant, blessé à mort à mes côtés, m’a légué une fille charmante, une enfant de douze ans, qu’il laisse sans fortune et sans autres parents qu’un frère perdu de dettes et déshonoré. Si je reviens dans quelques années, je l’épouse et partage ma fortune entre vous deux... mais, jusqu’à mon retour, c’est à toi que je la confie : sois son tuteur, son guide, son appui ; dérobe-la surtout aux entreprises de son frère, et ne néglige rien pour conserver à ton oncle, à ton vieil ami, ce qui doit faire la joie et le bonheur de ses derniers jours. »
LA COMTESSE.
Je comprends enfin... l’enfant de douze ans en a maintenant dix-huit ; son vilain frère voulait la marier malgré elle à ce vieux baron de Blackstein...
ADOLPHE.
Hélas ! oui.
LA COMTESSE.
Et vous l’avez épousée, c’est charmant ! ça ne sort pas de la famille.
ADOLPHE, vivement.
Que dites-vous, comtesse ? j’aurais trahi à ce point la confiance de mon oncle, de mon bienfaiteur !... Vous ne m’entendez pas... J’ai fait courir le bruit que j’épousais Élise ; nous avons été fiancés dans la chapelle du château, cette cérémonie a trompé tout le monde. J’ai écrit à son frère que le mariage était fait... Élise, elle-même, en signant une donation qui lui assurait la moitié des biens de mon oncle, a cru signer l’acte qui l’enchaînait à moi ! Depuis ce moment, rien n’a été changé dans nos habitudes, dans notre conduite, et tout a repris au château sa forme ordinaire... J’ai conservé à mon oncle celle qu’il avait choisie, et j’attendrai son retour sans m’écarter du plan que je me suis tracé.
LA COMTESSE, riant.
Ah ! ah ! ah ! voilà bien l’idée la plus bizarre, la plus extravagante... Il fallait une tête aussi romanesque que la vôtre pour concevoir un pareil projet !... Mais, mon cher Adolphe, ce mariage ne durera pas.
ADOLPHE.
Et qui pourrait s’y opposer ?
LA COMTESSE.
Vous, d’abord... vous êtes amoureux... Oui, monsieur, amoureux de votre femme !
ADOLPHE.
Moi, je pourrais manquer à mes serments, à la reconnaissance !...
LA COMTESSE.
Voilà les grands mots... Eh ! mon cher ami, les serments, la reconnaissance... c’est très bien assurément ; mais ce n’est pas à moi que vous persuaderez que vous n’êtes pas amoureux : je m’y connais, mon ami ; et je trouve en vous tous les symptômes...
Air du vaudeville du Piège.
Tous les jours je vois à mes pieds
D’amants une nombreuse escorte ;
Et si près de moi vous étiez
Pendant une heure de la sorte,
Avec cet air qui fait pitié,
Ce regard langoureux et triste,
Il n’en faudrait pas la moitié
Pour que vous fussiez sur ma liste.
ADOLPHE.
Comtesse, vous me désespérez... vous prenez pour de l’amour un attachement, une tendresse bien naturelle pour une enfant dont le sort me fut confié, et dont les heureuses qualités se sont développées sous mes yeux... je l’aime, oui, mais comme un frère.
LA COMTESSE, avec malice.
Elle est donc vraiment bien embellie ?
ADOLPHE, avec amour.
Ah ! vous n’en avez pas d’idée !... c’est un mélange heureux de grâce, de douceur, d’esprit, d’ingénuité... une bonté touchante qui attire, qui subjugue... un charme inconcevable dans tous ses traits, dans toute sa personne... on ne peut la voir une seule fois sans l’adorer, sans désirer passer ses jours auprès d’elle.
LA COMTESSE, souriant.
Et vous l’aimez comme un frère ?
ADOLPHE.
Oh ! pour cela, je vous le jure...
LA COMTESSE.
Oui, nous appelons cela de l’amour platonique ; mais depuis longtemps on était convenu de le bannir des bons ménages et des États bien organisés... Mais, je ne me trompe pas, c’est votre femme que j’aperçois.
ADOLPHE.
C’est elle !
LA COMTESSE, ironiquement.
Eh ! bon Dieu ! comme vous voilà ému !
ADOLPHE.
Comtesse, je vous en conjure... songez qu’Élise ignore...
LA COMTESSE.
Soyez tranquille ; je me tairai, si je peux.
Scène IV
LA COMTESSE, ADOLPHE, ÉLISE
ÉLISE.
Mathilde !
LA COMTESSE.
Eh ! bonjour, ma chère, qu’il me tardait de te voir et de te féliciter ! Je viens pour huit grands jours m’établir avec vous ! et je me fais d’avance un tableau du bonheur conjugal...
À Adolphe.
Mais regardez donc, Adolphe, comme votre femme est jolie ! on a bien raison de dire que rien n’embellit comme le mariage.
ÉLISE.
Quoi ! c’est vous, ma chère Matilde ! je n’aurais jamais osé compter sur tant de bonheur.
À Adolphe.
Bonjour, mon ami, comment vous portez-vous ?
ADOLPHE.
Je vous remercie infiniment.
ÉLISE, à Adolphe.
Est-ce que vous êtes déjà sorti ? et d’aussi bonne heure !
LA COMTESSE.
Oh ! les amoureux ne dorment pas... Mais dites-moi donc ? vous... vous... il parait que chez vous on a conservé le style de l’ancienne cour.
ADOLPHE.
Oui, nous tenons beaucoup à l’étiquette...
Bas à la comtesse.
Comtesse, je vous en prie !
LA COMTESSE.
À cela près, ma chère Élise, que dis-tu du mariage ? c’est original, n’est-ce pas ?... À propos, vous êtes-vous déjà disputés ? Non... oh ! ça viendra, je l’espère ; sans cela, l’on ne se raccommoderait jamais. Je vous donnerai des conseils ; Dieu merci, je me connais en querelles et en raccommodements, et ce n’est pas au bout d’un an de veuvage qu’on peut perdre une expérience aussi longuement acquise... Mais avant déjeuner, je vais défaire mes coffres, mes cartons, et sortir mes garnitures et mes plumes qui doivent être dans un état affreux.
ADOLPHE.
Je vais avoir l’honneur de vous conduire à votre appartement.
LA COMTESSE.
Eh ! mon Dieu, non, point de façons... je vous dispense d’être galant. Un nouveau marié ne doit jamais quitter sa femme.
Air du vaudeville de Gilles en deuil.
Vit-on jamais pareil ménage ?
Je n’y tiens plus... il me faudra,
Pour l’honneur seul du mariage,
Brouiller ces arrangements-là.
Regardant Adolphe.
À l’éviter comme il s’applique !
Quittez donc cet air glacial ;
Ah ! comme l’amour platonique
Ressemble à l’amour conjugal !
Ensemble.
ÉLISE, à part, regardant Adolphe.
Ah ! vraiment je perdrai courage ;
Mais voyez s’il me parlera !
Après deux jours de mariage,
Je ne comprends rien à cela.
ADOLPHE, à part.
Je sens que je perdrai courage
En rencontrant ce regard-là :
Pour garder la foi qui m’engage,
Il faut éviter tout cela.
LA COMTESSE.
Vit-on jamais pareil ménage, etc.
Elle sort.
Scène V
ADOLPHE, ÉLISE
ADOLPHE, à part.
Ah ! mon Dieu, nous voilà seuls !... et je crois qu’elle est ce matin mille fois plus jolie qu’à l’ordinaire... allons-nous-en.
Il fait quelques pas.
ÉLISE.
Eh bien ! Adolphe, vous me quittez déjà ?
ADOLPHE.
Pardon... l’arrivée de la comtesse... les ordres nécessaires à donner...
ÉLISE.
Ce soin-là me regarde... En vérité, depuis deux jours, je ne vous conçois pas, mon ami... j’ai bien vu tout à l’heure que la comtesse était surprise de vos manières avec moi... j’ai bien entendu qu’elle disait qu’un mari ne devait jamais s’éloigner de sa femme... eh bien ! monsieur, que pensera-t-elle de nous ? Elle ne manquera pas de remarquer votre empressement à me fuir, votre air contraint, embarrassé, quand je vous force de rester près de moi... elle dira à tous nos amis que vous n’êtes pas heureux... que vous ne m’aimez pas...
ADOLPHE, vivement.
Que je ne vous aime pas !... que faut-il donc pour vous convaincre de l’attachement le plus tendre ?...
ÉLISE.
Je ne sais ; mais je suis enchantée que la comtesse soit ici... elle saura bien me dire si vous m’aimez réellement...
ADOLPHE, à part.
Eh ! mais ceci devient fort embarrassant.
ÉLISE.
D’abord je me rappelle avoir vu ma chère Mathilde avec son mari... et son mari n’avait jamais d’humeur, d’ennui... comme vous... hier au soir...
ADOLPHE, embarrassé.
Hier au soir...
ÉLISE.
Vous l’avez déjà oublié... il était à peine neuf heures... nous causions... jamais je n’avais été aussi heureuse... j’ai parlé de vous, de notre tendresse, de votre oncle Sudmer... et tout à coup vous vous êtes éloigné... comme dans ce moment-ci.
ADOLPHE, revenant près d’elle, à part.
Mon oncle !... ah ! quelle épreuve !
ÉLISE.
Vous avez repoussé ma main que vous veniez de serrer, et vous vous êtes enfui brusquement dans votre appartement... je veux que la comtesse me dise pourquoi !
ADOLPHE, à part.
Je suis perdu.
ÉLISE, timidement.
Et puis, si vous m’aimiez... vous me le diriez...
Duo de Lulli et Quinault.
ADOLPHE, à part.
Moment charmant, trop douce ivresse !
Je ne saurais lui résister.
ÉLISE.
Mon ami, de votre tendresse
Pouvez-vous me laisser douter ?
ADOLPHE, avec amour.
Non, non, ma tendresse est extrême.
Et mon Élise est tout pour moi ;
Ah ! c’est toi que j’aime,
Je n’aime que toi.
ÉLISE, enchantée.
Quel mot d’une douceur extrême !
Répétez-le-moi, mon ami...
ADOLPHE, hésitant.
Oui... je vous aime.
ÉLISE, tristement.
Je vous aime...
Hélas ! ce n’était point ainsi.
Ensemble.
ADOLPHE.
T’adorer est le bien suprême,
Et mon Élise est tout pour moi.
Oui, c’est toi que j’aime,
Je n’aime que toi ;
Toujours, oui, toujours à toi !
ÉLISE.
Vous aimer est le bien suprême,
Et mon Adolphe est tout pour moi.
Oui, c’est toi que j’aime,
Je n’aime que toi ;
Toujours, oui, toujours à toi !
Adolphe embrasse Élise.
Scène VI
ADOLPHE, ÉLISE, CRICK, les surprenant
CRICK.
Pardon, je vois que monsieur est en affaire... comme monsieur n’est pas ordinairement occupé... j’avais cru qu’on pouvait sans le déranger...
ADOLPHE.
Eh bien, imbécile ?
CRICK.
C’est une lettre qui arrive à l’instant.
ADOLPHE.
Donne donc...
Après avoir lu.
Ah ! mon Dieu !
ÉLISE.
Qu’est-ce, mon ami ? que vous annonce cette lettre ?
ADOLPHE.
Vous le saurez... je vais vous rejoindre, mais dans ce moment...
ÉLISE.
Soit, je me retire ; mais ne soyez pas trop longtemps.
En sortant.
Là, voyez donc... il était si aimable ! cette vilaine lettre avait bien besoin d’arriver.
Elle sort.
CRICK, à part.
Je ne sais pas ce que ça veut dire, mais je peux me vanter que voilà une fameuse lettre... c’est pourtant moi qui l’ai apportée !
Scène VII
ADOLPHE, CRICK, LA COMTESSE
ADOLPHE.
Ah ! ma chère comtesse !
À Crick.
Eh bien, que fais-tu là ?... te plaira-t-il de nous laisser ?
CRICK, à part.
C’est ennuyeux ; on ne peut rien savoir.
Il sort.
LA COMTESSE.
Eh bien, mon cher, quel est donc ce grand événement ? quelle est cette lettre ? serait-ce une déclaration que l’on fait à votre femme ? Mon ami, il faut vous y habituer ; ce n’est rien, vous le verrez, et avec votre système, cela doit vous coûter moins qu’à un autre.
ADOLPHE, très agité.
Il s’agit bien de cela ! j’ignore qui peut avoir découvert mon secret ; mais le frère d’Élise sait que je n’ai point épousé sa sœur, que le mariage est simulé... Un de mes amis intimes m’écrit qu’il est furieux, qu’il doit arriver ce soir à l’improviste pour me surprendre, m’enlever Élise, et la donner à son vieux baron de Blackstein !... Que vais-je devenir ? quel parti prendre ?... que ne dira-t-on pas ? quel éclat ! quel scandale !... Mais répondez-moi ! mais conseillez-moi donc !
LA COMTESSE.
Mon ami, nous avons adopté dans la conversation l’usage du dialogue, et si vous parlez toujours... il ne me sera pas possible...
ADOLPHE.
Au contraire, je n’ai d’espoir qu’en vous !
LA COMTESSE.
Allons, mon cher Adolphe... c’est du sang-froid qu’il faut ici... Raisonnons un peu... le frère et son baron vont arriver ; ils veulent un mariage, une noce ; ils y tiennent, et c’est une satisfaction qu’on ne peut leur refuser. Présenter un faux contrat, nous en sommes incapables !... ma foi, pendant que nous y sommes, je leur en donnerais, moi... un véritable et réel... Il faut jouer au fin avec eux.
ADOLPHE.
Comment ?
LA COMTESSE, vivement.
Laissez donc faire ; dans une heure la noce, sans faste, sans bruit, sans étalage ; d’ici là, tout peut être prêt... le suisse, le bedeau, les marguilliers... je vous réponds de tout... promptitude et silence... Avec de l’argent on rendrait discret jusqu’au sonneur de la paroisse.
ADOLPHE.
Oui, mais avec tout cela je serai marié.
LA COMTESSE.
Laissez donc faire !
ADOLPHE.
Laissez donc faire... et mon oncle Sudmer ?
LA COMTESSE.
Eh ! croyez-vous que je n’y songe pas ! c’est pour lui ce que j’en fais, et vous allez voir. Aussitôt la célébration, vous montez en chaise de poste... seul... oui, monsieur, seul, sans compagnie, et vous laisserez votre femme au château ; elle dans le Holstein, vous dans le Danemark... vous ferez d’abord un excellent ménage ; et ensuite il n’y aura certainement rien à dire contre l’innocence de votre liaison ; et si votre oncle Sudmer revient jamais, ce qui n’est pas probable (mais enfin tout peut arriver : on dit bien qu’il y a des maris qui ressuscitent, et moi qui vous parle, je suis naturellement peureuse) ; enfin donc, s’il revient, vous lui déclarez ce que vous avez fait pour lai et comment vous vous êtes immolé, et vous obtenez facilement du prince la dissolution d’un mariage ainsi contracté. Mon projet peut être extravagant, romanesque, mais à coup sûr il l’est moins que ne l’était le vôtre ; et, quitte à la fois envers votre oncle, envers vous-même, personne n’a rien à vous dire, puisqu’au fait vous n’avez contracté qu’un hymen provisoire, et qu’enfin vous n’êtes marié que par obligeance et par... intérim.
ADOLPHE.
Vous avez une manière d’arranger tout cela !... Mais enfin si mon oncle ne revenait pas ?...
LA COMTESSE.
Ah ! alors, ce serait terrible ! vous seriez marié et bien marié... Alors, mon cher ami, la patience... je ne connais que cela en ménage ! la patience ! vous viendrez me trouver et je vous donnerai des leçons... Mais on ne peut pas non plus prévoir les malheurs d’aussi loin... occupons-nous d’abord de ceux qui vous menacent... de votre mariage... Allez donner vos instructions à Crick, prévenir Élise (car encore faut-il tout lui apprendre et la déterminer) ; l’habit de mariée, le bouquet blanc ; vous, l’habit de voyage...
ADOLPHE.
Comment ! l’habit de voyage !... il faudra partir ?
LA COMTESSE.
Sur-le-champ, mon ami... je me charge de tous les préparatifs essentiels.
ADOLPHE.
Des préparatifs...
LA COMTESSE.
La chaise de poste sera à la porte de l’église ; et aussitôt le oui fatal prononcé... fouette, postillon !
ADOLPHE.
Mais au moins que j’aie le temps de réfléchir !
LA COMTESSE.
Eh ! monsieur, si on réfléchissait, on ne se marierait jamais !... J’ai ordonné ; qu’on obéisse, ou je ne me mêle plus de vos affaires... allez...
Adolphe salue la comtesse, et sort.
Scène VIII
LA COMTESSE, seule
Ces pauvres enfants ! si on ne les forçait pas à être heureux !... s’aimer... sans oser se l’avouer, et s’immoler pour un oncle mort aux Grandes-Indes !... mais, grâce à moi, rien ne peut plus maintenant s’opposer à leur union.
Scène IX
LA COMTESSE, CRICK, en dehors, disputant avec un étranger, SUDMER
CRICK entre, se tenant la joue avec la main.
Je vous dis que j’ai ordre de ne pas répondre, et surtout quand on a, comme vous, une manière d’interroger à tour de bras.
SUDMER.
Morbleu ! je t’apprendrai à être honnête.
LA COMTESSE.
Quel est ce bruit ?
SUDMER.
Je vous prie, madame, de ne pas faire attention ; c’est ce maraud-là qui me disait qu’il n’y avait personne... Suis-je loin de la terre de Reinsberg ?
LA COMTESSE.
Vous y êtes, monsieur.
SUDMER.
Corbleu ! mon postillon est un garçon d’esprit, d’avoir versé ma chaise précisément à la porte du château !... C’est ici que je venais, mais je ne lui avais pas dit de me descendre dans un fossé.
LA COMTESSE.
Je suis désolée de l’accident...
SUDMER.
Moi, j’en suis enchanté ! je pouvais me casser le cou, et je n’ai qu’un tour d’épaule, une douzaine de contusions... j’ai toujours eu du bonheur, moi.
Air : Traitant l’amour sans pitié. (Voltaire chez Ninon.)
J’arrive, et d’abord je voi
Femme belle autant qu’aimable.
Il fait un geste de douleur.
LA COMTESSE.
Mais vous souffrez...
SUDMER.
Comme un diable !
LA COMTESSE, à Crick.
Vite, quelqu’un !
CRICK, sans se déranger.
Sur ma foi,
Des deux méd’cins du village
L’un n’est plus... l’autr’ déménage,
D’ sorte qu’à présent, je gage,
Y gn’ia pas un seul docteur.
SUDMER.
Pas un seul ! ah ! sur mon âme,
Je vous l’ai bien dit, madame,
J’ai toujours eu du bonheur.
Montrant sa jambe.
Ce n’est rien... j’y suis fait, et quand vous me connaîtrez...
LA COMTESSE.
J’attends que vous daigniez me dire...
SUDMER.
Au contraire, c’est vous qui allez avoir la bonté de m’apprendre si M. Adolphe est au château.
LA COMTESSE.
Oui, monsieur ; mais...
SUDMER.
Ah ! mille bombardes ! il est ici.
À Crick.
Viens, mon garçon, aide-moi à marcher, mène-moi vers lui.
LA COMTESSE.
Mais il est impossible de lui parler.
SUDMER.
Impossible ? à son meilleur ami !
LA COMTESSE, à part.
Que peut-être il ne connaît pas.
CRICK.
Il n’y a pas d’ami qui tienne, puisqu’on vous dit qu’il est en affaire, qu’il se marie... Est-il entêté !
SUDMER.
Comment ! il se marie ! Ce cher Adolphe ! il va se marier, et j’arrive juste au moment ! mon étoile est toujours là... C’est que je ne peux pas manquer à la cérémonie, j’y suis essentiel.
À Crick.
Et tu es bien sûr... n’est-il pas vrai ?...
CRICK.
Pardi ! vrai comme je m’appelle Crick.
SUDMER, vivement.
Comment, tu t’appelles Crick ! et lu es au service d’Adolphe... Vous m’avouerez, madame, que voilà qui est bien particulier... il s’appelle Crick !
Lui prenant la tête entre les mains.
Ah ! tu t’appelles... tiens... mon pauvre garçon... prends ceci...
Lui donnant de l’argent.
Ça encore !
CRICK.
Eh ben ! voilà la première fois que mon nom m’en vaut autant.
SUDMER.
Je suis fâché de ce soufflet... mais vois-tu... il était parti... moi, le premier mouvement est toujours bon.
CRICK.
J’aime autant votre second.
SUDMER.
Quant à vous, madame, je vous supplie de ne rien dire à Adolphe.
LA COMTESSE.
Eh ! monsieur, que voulez-vous que je lui dise ?...
SUDMER.
Comment, je ne vous ai pis confié...
LA COMTESSE.
Rien, monsieur ; il y a une heure que vous me faites des questions, et je ne sais pas même votre nom.
SUDMER.
C’est délicieux... Je ne me serais jamais cru tant de discrétion ! Eh bien, madame, je ne vous en dirai pas davantage... mais bientôt...
Donnant un petit soufflet à Crick.
Ce pauvre Crick... ne lui trouvez-vous pas un air bête ?... Mais rappelez-vous bien que la noce ne peut pas avoir lieu sans moi, que vous m’y verrez, et que je retiens d’avance la première contredanse avec la mariée... Oui, madame, je danserai... je ne dis pas la gavotte... mais enfin je figurerai.
Air : De sommeiller encor, ma chère. (Arlequin Joseph.)
Jadis j’aurais fait davantage,
Car j’ai dansé dans mon printemps,
Peut-être trop... mais avec l’âge
On perd ses jambes de quinze ans.
Du moins la douce souvenance
Et le goût n’ont pu m’en passer ;
Et je chéris encor la danse,
Même en ne pouvant plus danser.
Il fait un pas, et revient.
Et moi qui oublie de vous demander si la future d’Adolphe est jolie, spirituelle.
LA COMTESSE, impatientée.
Eh ! monsieur...
SUDMER.
Eh ! mais, j’y pense... si c’était vous ? Vous riez... allons, c’est clair... j’ai deviné ; j’en suis enchanté... vous me convenez à merveille, et c’est une affaire faite ; je ne vous demande que dix minutes de secret.
Air : Non, non, point de façon.
Bien, bien,
Ne dites rien,
Soyez discrète,
Enfin soyez muette ;
Bien, bien,
Ne dites rien,
Je pars, je vole, et dons peu je revien.
Restez donc... et toi,
Viens vite avec moi.
CRICK.
Il est sans façon.
SUDMER.
Viens donc, mon garçon ;
Brusque, mais humain,
J’ai toujours enfin
Le cœur sur la main.
CRICK, se tenant la joue.
J’ l’ai ben vu soudain.
Ensemble.
LA COMTESSE, riant.
Bien, bien,
Je ne dis rien,
Je suis discrète
Et je serai muette ;
Bien, bien,
Ne craignez rien,
À vos discours nous ne comprenons rien.
SUDMER.
Bien, bien,
Ne dites rien,
Soyez discrète,
Enfin soyez muette ;
Bien, bien,
Ne dites rien,
Je pars, je vole, et dans peu je revien.
CRICK.
Bien, bien,
Je n’ dis plus rien,
Montrant l’argent.
Cette recette
Rend ma bouche muette ;
Bien, bien,
Ne craignez rien,
Ça s’ra très bien, car je n’y comprends rien.
Sudmer et Crick sortent.
Scène X
LA COMTESSE, seule
Vit-on jamais un pareil original !... et, en conscience, il n’y a pas moyen de se fâcher avec lui... Je crois qu’Adolphe se passera bien d’une semblable visite, et je ne lui parlerai pas de son ami intime... Mais voici nos jeunes mariés... quels regards passionnés !... ce serait vraiment dommage de les séparer.
Scène XI
LA COMTESSE, ÉLISE, en mariée, ADOLPHE, en frac de voyage
Air : Goûtons sans bruit.
ADOLPHE.
Sur cet hymen, ah ! gardons le silence...
Que chacun de nous soit discret ;
Du mystère, de la prudence,
Notre sort dépend du secret.
LA COMTESSE.
Bien, tout est prêt.
ÉLISE, à la comtesse.
Bon Dieu, quelle aventure !
Il n’était donc pas mon époux ?
LA COMTESSE.
Il faut bien le croire, entre nous,
Puisque ton mari le l’assure.
Ensemble.
ADOLPHE.
Sur cet hymen, ah ! gardons le silence, etc.
LA COMTESSE.
Je vous promets de garder le silence ;
Tout seconde notre projet :
Du succès je réponds d’avance,
Je suis seule dans le secret.
ÉLISE.
Puisqu’il le veut, gardons bien le silence,
Que chacun de nous soit discret ;
Du mystère, de la prudence,
Le bonheur est dans le secret.
On entend des coups de fusil.
Scène XII
LA COMTESSE, ÉLISE, ADOLPHE, PAYSANS et PAYSANNES, avec des bouquets qu’ils viennent offrir à Adolphe et à Élise
LES PAYSANS et LES PAYSANNES.
Air du vaudeville de La Nouvelle télégraphique.
Ah ! quel bonheur !
Not’ bon seigneur
Aujourd’hui se marie ;
Chantons, dansons,
Que nos chansons
L’apprenn’t aux environs.
UN PAYSAN.
Quand d’un grand seigneur sans défaut
La rac’ se multiplie,
On n’ peut se réjouir assez tôt,
On n’ peut crier trop haut.
LES PAYSANS et LES PAYSANNES.
Ah ! quel bonheur, etc.
ADOLPHE.
Parbleu ! si c’est là du mystère... il me semble que tout le village est du secret.
LA COMTESSE.
Je vous jure que j’ignore moi-même...
Au paysan.
Qui vous envoie ici ?
LE PAYSAN.
C’est un monsieur en habit galonné, qui nous a dit que M. Adolphe se mariait, et qu’il fallait et vite, et vite, lui porter des bouquets... et vous allez entendre tout à l’heure les cloches, le tambour... car il a payé tout cela.
LA COMTESSE.
Ah ! mon Dieu ! c’est mon inconnu.
Scène XIII
LA COMTESSE, ÉLISE, ADOLPHE, PAYSANS, PAYSANNES, CRICK, à la tête de PLUSIEURS OUVRIERS, et précédant PLUSIEURS LAQUAIS qui portent des corbeilles
Même air.
CRICK et LES VALETS.
Ah ! quel bonheur !
Not’ bon seigneur
Aujourd’hui se marie :
Chantons, dansons,
Que nos chansons
L’apprenn’t aux environs.
CRICK.
Du bon maît’ que nous chérissons
Que l’ bonheur se publie,
Faut qu’au grand jour je le voyons ;
En avant les lampions.
Parlant, aux ouvriers.
Allons, de ce côté les pétards, les soleils...
ADOLPHE.
Mais dis-moi donc...
CRICK et LES VALETS.
Ah ! quel bonheur ! etc.
ADOLPHE, à Crick.
Comment ! et toi aussi ?
CRICK.
Ne vous en mêlez pas, not’ maître, laissez-moi faire, j’ai mes instructions.
ADOLPHE.
As-tu déjà oublié les miennes ?
CRICK.
Il y en a de supérieures, et tout est commandé ; je suis le factotum ; avant une heure, le château, les allées, tout sera en feu... voilà un mariage qui fera du bruit, je m’en vante.
ADOLPHE.
Je ne sais qui me retient...
CRICK.
Ah ! maintenant ne vous gênez plus ! il n’y a plus de risque...
ADOLPHE.
Mais, bourreau, dis-moi donc d’où vient tout ce fracas, et quel est cet inconnu dont parle madame ?
CRICK, se frottant les mains.
Quoi ! vous ne devinez pas !... il n’y a que moi qui étais dans la confidence... c’est mon parrain... c’est M. Sudmer.
TOUS.
Sudmer !
ÉLISE.
Sudmer ! ô mon Dieu !
ADOLPHE.
Ma chère comtesse... emmenez-la, je vous en conjure...
CRICK.
V’là mon parrain, le v’là !
ADOLPHE.
Mon oncle !
Élise sort dans les bras de la comtesse qui l’entraîne.
Scène XIV
ADOLPHE, CRICK, SUDMER, en grand uniforme, et le bouquet au côté, PAYSANS
SUDMER.
Oui, c’est moi-même ! c’est Sudmer ; je me doutais bien que ma présence causerait ici de la surprise.
ADOLPHE, courant dans ses bras.
Mon cher oncle !... au moment où je déplorais votre perte...
SUDMER.
Que je t’embrasse encore, mon Adolphe, mon cher fils... Tu ne croyais plus me revoir... mais rassure-toi... tous les braves ne sont pas morts... six ans d’absence, de fatigues, de combats... j’ai tout oublié, puisque je revois mes amis et mon pays.
Air : À soixante ans, on ne doit pas remettre. (Le Dîner de Madelon.)
Oui, tous mes vœux tendaient vers ma patrie,
Je l’invoquais sous un ciel étranger.
Foyer natal, terre auguste et chérie,
Comment peut-on jamais vous outrager ?
Vous qui vivez sur le sol de vos pères,
Du bonheur qui vous est permis
Souvent vous ignorez le prix ;
Et c’est, hélas ! aux rives étrangères
Que l’on apprend à chérir son pays.
ADOLPHE.
Mon cher oncle !...
SUDMER.
Eh bien, morbleu ! te voilà pâle, défait... et tout tremblant... Allons, remets-toi, du courage... il en faut pour supporter la joie... car, moi qui te parle, j’ai manqué d’en être étouffé... mais je t’ai déjà embrassé une demi-douzaine de fois... et je sens que ça va mieux.
CRICK.
Oui, c’est comme ça, le premier moment...
Se tâtant la joue.
Moi, ma première entrevue avec mon parrain a été diablement chaude.
SUDMER, à Adolphe.
Oui, tu sauras combien d’événements, combien d’aventures... À propos de cela, mon garçon, je reviens tout cousu d’or.
CRICK.
V’là-t’y un parrain !... tout cousu d’or... comme nous allons en découdre !
SUDMER.
Mais parlons de toi, de ton mariage... je vous ai un peu dérangés ; mais tu ne m’en veux pas... n’est-ce pas, mon garçon ? je savais bien que je vous ferais plaisir... Ah çà ! présente-moi à ta future... je suis un peu brusque, sans façon, mais c’est égal, il faut qu’elle s’habitue à aimer ton oncle... Moi, pour commencer, je l’aime déjà, et elle doit danser avec moi la première contredanse... Tu me vois sous les armes... mais toi... tu ne m’as pas trop l’air d’un marié, en frac et en bottes...
ADOLPHE, à part.
Grands dieux ! comment lui avouer ?... et quelle situation !
Aux paysans et à Crick.
Laissez-nous, mes amis.
SUDMER.
C’est vrai, laissez-nous... voilà de quoi boire à ma santé... mais voyez-vous, on est bien aise de parler d’affaires de famille.
LES PAYSANS.
Air du vaudeville de La Nouvelle télégraphique.
Ah ! quel bonheur !
Not’ bon seigneur
Aujourd’hui se marie :
Chantons, dansons,
Que nos chansons
L’apprenn’t aux environs.
Ils sortent tous.
Scène XV
ADOLPHE, SUDMER
SUDMER.
Eh bien, morbleu ! tu dis donc que ma petite nièce...
ADOLPHE.
Vous allez la voir dans l’instant...
Hésitant.
Mais vous ne m’avez pas encore demandé des nouvelles d’Élise... l’auriez-vous oubliée ?
SUDMER.
L’oublier... non, parbleu ! elle est pour beaucoup dans mes plans de bonheur... je venais ici dans le dessein d’assurer son sort... mais tu ne peux pas m’en vouloir d’avoir d’abord pensé à toi... D’ailleurs... j’étais bien tranquille ! ne te l’avais-je pas confiée ? n’étais-je pas sûr que tu me rendrais fidèlement ce dépôt ?
ADOLPHE.
Oui, mon oncle, Élise vous aime toujours ; elle vous a conservé sa foi... et elle vous attend...
SUDMER, froidement.
Ah ! elle m’a conservé sa foi ?... et elle m’attend ?... c’est très bien... c’est, parbleu ! très bien... beaucoup mieux que je ne croyais...
Le regardant en face.
Et tu es bien sûr ?...
ADOLPHE.
Quoi ! vous en douteriez ?
SUDMER.
Non... c’est que je pensais à certaine chose...
ADOLPHE, vivement.
Ô ciel ! je vois qu’on vous a prévenu, que vous savez tout... mais ne me jugez point sans m’entendre ! je vous jure, mon oncle, que c’était pour vous, pour vous seul, pour la soustraire au pouvoir de son frère, et que si je consentais à épouser Élise, ce n’était que pour vous la conserver.
SUDMER, étonné.
Comment ?... qu’est-ce que tu me dis donc là ?
ADOLPHE.
J’ai cru que vous saviez...
SUDMER.
Eh ! non, morbleu !... Comment ! tu épousais ma femme, pour empêcher qu’on ne me la ravît !...
ADOLPHE.
Vous pourriez me soupçonner !... Apprenez qu’en sortant de la chapelle, je devais monter en chaise de poste... cet habit de voyage vous l’atteste... et jusqu’à votre retour, sur lequel nous comptions pour rompre ce mariage, j’aurais vécu éloigné d’Élise.
SUDMER.
Comment ! il serait possible que ton attachement pour moi...
ADOLPHE.
Je vous répète que depuis longtemps Élise sait qu’elle vous est destinée, qu’elle est prête à vous obéir, à vous suivre à l’autel, et maintenant, mon oncle, c’est mon honneur qui exige que vous l’épousiez.
SUDMER.
Ton honneur ! ton honneur... un instant...
ADOLPHE.
Si vous hésitez... c’est me dire que j’ai perdu votre estime, votre confiance... je n’y survivrai pas... et je sais désormais le seul parti qui me reste à prendre.
SUDMER.
Eh ! que diable !... une minute !... restez ici, monsieur... restez et écoutez-moi... Je n’ai jamais douté de votre bonne foi... et je ne devrais pas avoir besoin de vous le prouver ; mais vous avez en moi un bon oncle, et puisque ça vous fait plaisir... j’accepte... et j’épouse...
Lui donnant une poignée de main.
Voilà comme je suis.
Scène XVI
ADOLPHE, SUDMER, CRICK
CRICK.
Je viens, avec votre permission, vous avenir que la noce s’impatiente.
ADOLPHE.
C’est bien, que rien ne soit changé...
À part.
Allons, j’aurai fait mon devoir.
Haut.
Mon oncle, je vais vous chercher moi-même... et vous présenter ma femme... je veux dire la vôtre...
Il aperçoit Élise. À part.
La voilà !... Ah ! mon Dieu ! mon Dieu ! comment la prévenir ?
Scène XVII
ADOLPHE, SUDMER, CRICK, LA COMTESSE, amenant ÉLISE par la main
Adolphe va au-devant d’Élise, et lui parle bas, en ayant l’air de l’encourager.
SUDMER, la regardant de loin.
Elle est fort bien... certainement ! Voilà un brave garçon qui me force de me marier le pistolet sur la gorge !... je n’oublierai jamais cette marque d’affection.
ADOLPHE, bas à Élise.
Élise... il le faut... il y va de ma vie et de mon honneur.
LA COMTESSE, bas à Adolphe.
Mais je vous répète, monsieur, que c’est vous qu’elle aime.
ADOLPHE, bas.
N’importe... j’ai donné ma parole...
Amenant Élise près de son oncle.
Mon oncle, voici celle qui, comme moi, doit tout à vos bontés, et dont la reconnaissance égale la mienne.
SUDMER.
Ma chère Élise !... Ah çà ! vous allez nous laisser seuls un moment.
ADOLPHE, à part.
Il me fait trembler.
Haut.
Seuls, mon oncle ?
SUDMER.
Oui, mon cher ami.
ADOLPHE.
Avec Élise ?
SUDMER.
Avec Élise.
ADOLPHE.
Mon oncle... c’est que tout est prêt pour la cérémonie...
SUDMER.
Mais quelle diable de rage de vouloir me marier sans me donner le temps de me reconnaître !... Corbleu ! que je puisse causer un moment avec ma femme !
ADOLPHE, bas à la comtesse.
Sa femme... je ne pourrai jamais m’accoutumer à ce mot-là.
LA COMTESSE, de même.
Eh bien ! voulez-vous que je déclare...
ADOLPHE, bas.
Non, non, j’en mourrais de honte.
LA COMTESSE, de même.
Eh ! mais que voulez-vous donc enfin ? car vous êtes un homme insupportable.
ADOLPHE.
Je ne sais... j’en perdrai la tête...
Revenant à Élise et lui parlant bas.
Élise, c’est mon oncle que vous aimez... n’allez pas l’oublier... je vous en prie.
CRICK, revenant.
Comment, mon parrain ! vous avez dit : votre femme.
SUDMER, se retournant.
Et toi aussi... que fais-tu là ?
CRICK.
Vous dites : votre femme... vous vous trompez.
SUDMER.
Non, mon garçon.
CRICK.
Ma foi, alors, mon parrain, si vous étiez mon filleul, je vous demanderais la permission de vous dire que c’est une bêtise.
SUDMER.
Je suis désolé que lu n’approuves pas... j’espère cependant que ça ne me privera pas de ta présence à ma noce.
CRICK, saluant.
Non, certainement : c’ n’est pas une bêtise qui m’arrêterait.
Adolphe, la comtesse et Crick sortent.
Scène XVIII
SUDMER, ÉLISE
ÉLISE, à part.
L’épouser... et c’est Adolphe qui l’exige !... je ne me serais jamais attendue à cela de sa part.
SUDMER.
Ainsi, Élise, il est donc vrai que vous m’aimez ?
ÉLISE.
Comment ne vous aimerais-je pas ?... Adolphe vous aime tant !
SUDMER.
Tous ses goûts sont donc la règle des vôtres ?
ÉLISE.
Mais, oui.
SUDMER.
Puis-je croire alors que vous me donnerez avec plaisir le titre d’époux ?
ÉLISE, hésitant.
Monsieur...
SUDMER.
Vous hésitez...
ÉLISE, vivement.
Mon, monsieur, non, certainement, ne le croyez pas !
Air : Ah ! vous avez des droits superbes. (Le Nouveau Seigneur.)
Sans peine j’y saurai souscrire
Et me faire à ce nom d’époux...
Mais souvent, s’il faut vous le dire,
Adolphe me parlait de vous :
L’imiter était mon étude,
Il disait : mon oncle chéri.
SUDMER, parlant.
Eh bien ?
ÉLISE, finissant l’air.
J’avais déjà pris l’habitude
De vous appeler comme lui :
Oui, j’avais déjà l’habitude
De vous appeler comme lui.
SUDMER.
Heureusement, c’est bien peu de chose qu’un changement de nom... Mais dites-moi, Élise, vous n’avez jamais quitté ce château ?
ÉLISE.
Non, monsieur.
SUDMER.
Et Adolphe était sans doute toujours auprès de vous ?
ÉLISE.
Hélas ! non, c’était là notre grande querelle ; il s’enfermait des heures entières dans son appartement, ou bien courait dans les environs... Il avait l’air de m’éviter, et je voyais bien qu’il ne m’aurait épousée que par générosité.
SUDMER, à part.
Cher Adolphe !
ÉLISE.
Quand par hasard il restait quelques instants près de moi... ah ! alors, j’étais heureuse... il me parlait de son excellent oncle, m’apprenait à le chérir, à le respecter... il me retraçait tous ses bienfaits... Je l’écoutais avec un plaisir... et je sentais que chaque jour je l’aimais davantage.
SUDMER, finement.
Lui, ou moi ?
ÉLISE.
Oh ! mon Dieu, monsieur, est-ce que j’ai dit que c’était lui ?
SUDMER.
Non, non, mon enfant, j’ai parfaitement compris que c’était moi.
ÉLISE.
Ah ! tant mieux.
SUDMER.
Allons, allons, ma chère Élise, je vois que nous sommes faits l’un pour l’autre, que tu chériras ton mari, et je ne veux plus retarder notre bonheur.
Scène XIX
SUDMER, ÉLISE, ADOLPHE, LA COMTESSE, CRICK
ADOLPHE, retenu par la comtesse.
Je n’y puis plus tenir... il faut absolument... Eh bien, mon oncle ?
SUDMER.
Mon ami, tu me vois au comble de la félicité... elle m’aime, mon cher Adolphe, elle m’aime, et c’est à toi que j’en ai l’obligation.
ADOLPHE.
Elle vous aime !... Ah ! mon oncle, vous me voyez dans une joie !...
SUDMER.
C’est singulier... comme la joie te renverse la physionomie !
ADOLPHE, bas à la comtesse.
Elle m’a déjà oublié, la perfide !... ces choses-là sont faites pour moi... j’en mourrai.
LA COMTESSE, bas.
Allons, vous trembliez qu’il ne l’épousât pas... à présent, vous allez mourir s’il l’épouse... Vous êtes le fou le mieux conditionné que je connaisse.
SUDMER.
Crick, tout est-il prêt ?
CRICK.
Oui, on a éclairé la chapelle, et je viens d’envoyer un pain bénit long de ça... c’est le principal de la cérémonie.
SUDMER prend son neveu et Élise sous le bras.
Partons, mes bons amis... Fut-il jamais un homme plus fortuné que moi ?... revoir sa patrie, ses amis, retrouver un neveu qui vous chérit, une femme qui vous est fidèle... je n’ai jamais, je crois, éprouvé dans ma vie de moment plus heureux !... Il n’en est qu’un peut-être que je puisse lui comparer... c’est celui où je sauvai l’honneur et la vie à cette jeune créole de la Louisiane, que je ramenai à son père qui la croyait perdue.
LA COMTESSE, étonnée.
Comment ?
SUDMER.
C’était un honnête colon, riche comme un prince, le plus brave homme du monde, et sa fille !... je n’ai jamais vu une plus belle femme ! des yeux superbes !
À la comtesse.
à peu près comme les vôtres ; une taille élancée... celle d’Élise me la rappelle tout à fait, et ce qui va vous étonner bien plus, une femme qui m’aimait... Vous entendez bien que ce n’est pas en Europe que j’aurais trouvé cela !
ADOLPHE, inquiet.
Elle vous aimait, mon oncle ?
ÉLISE, de même.
Elle vous aimait, monsieur ?
SUDMER.
Oui, vraiment... Aussi, d’un côté, une femme charmante qui pleurait, un père respectable qui embrassait mes genoux, une fortune immense qui me tendait les bras... vous m’avouerez que c’était bien tentant... Peut-être auriez-vous cédé ?
ADOLPHE.
Ah ! mon oncle !
SUDMER.
Oh ! rassure-toi, mon ami, je tenais trop à ma parole, à mes serments ; j’avais promis à Élise de l’épouser, je l’avais promis à mon neveu ; tous les deux m’attendaient et ça devenait une affaire de procédés... Cependant je n’avais pu donner de mes nouvelles ; je devais passer pour mort, et je ne pouvais pas compter non plus sur une constance surnaturelle. Toutes ces raisons, jointes aux sollicitations du père... aux regards de la fille, aux prières de toute la famille qui me criait : « Épousez-la, monsieur, épousez-la... vous ferez notre bonheur... le sien... toute notre fortune et sa main acquitteront notre dette. »... Ma foi, je vous le demande, qu’auriez-vous fait à ma place ?
ADOLPHE et ÉLISE, vivement et avec joie.
Vous l’avez épousée !
SUDMER, s’arrêtant et les regardant froidement l’un après l’autre.
Vous croyez ?
Adolphe et Élise baissent les yeux d’un air déconcerté.
Et si tout ce que je viens de vous raconter était un songe que j’eusse fait en venant dans ma chaise de poste... si même j’avais voulu vous éprouver, vous forcer tous les deux à dévoiler vos véritables sentiments ?
ÉLISE, à part.
Je suis perdue !
ADOLPHE.
Quoi ! mon oncle, c’était pour nous tromper...
SUDMER, vivement.
Nous tromper !... non, mes enfants, non mes amis, j’en suis incapable, je suis marié.
TOUS.
Il est marié !
SUDMER.
Tout ce que je vous ai raconté n’était point une fable, c’est la vérité même, et dès ce soir je vous présente à votre tante.
LA COMTESSE.
Ah ! monsieur, quel honnête homme vous êtes !
ADOLPHE, l’embrassant.
Mon cher oncle !
ÉLISE, de même.
Oh ! comme je vais vous aimer !
CRICK, laissant tomber ses bras.
Ah ! ma foi, mon parrain... c’est bien, ça !...
SUDMER.
À la satisfaction générale qui brille ici, je ne puis douter de la part que vous prenez tous à mon bonheur, et je vous en remercie. Oui, mon ami, loin de ma patrie, sous un autre ciel, et lorsque je ne pouvais l’espérer, le bonheur s’est offert à moi : j’ai pensé qu’à mon âge il ne fallait ni le repousser, ni le faire attendre.
CRICK.
Nous allons donc avoir au château deux maris pour de vrai !
SUDMER, à Adolphe.
Oui, mon ami, de vrais maris... et nous verrons qui de nous deux rendra sa femme la plus heureuse... J’ai rapporté de là-bas des principes... et je me suis fait un plan de conduite : jamais d’humeur ni de jalousie... confiance absolue... faire la volonté de sa femme !
LA COMTESSE, allant à lui vivement.
Ah ! monsieur... et vous êtes marié ?
SUDMER.
Oui, madame.
LA COMTESSE.
C’est dommage !
CHŒUR.
Air : Allons, plus de tristesse. (Les Rendez-vous bourgeois.)
Un heureux mariage
Tous les deux
Vous engage ;
Un heureux mariage.
Va combler tous vos vœux.
LA COMTESSE, au public.
Air de Paris et le Village.
Bravant les mers et les combats,
Il a, du couchant à l’aurore,
Vu bien des naufrages... hélas !
Doit-il en éprouver encore ?
Il craint ce soir plus d’un écueil nouveau :
Ah ! pour qu’il fasse un long voyage,
Daignez, messieurs, garantir son vaisseau,
Et l’assurer contre l’orage.
CHŒUR.
Un heureux mariage, etc.