Frontin, mari-garçon (Eugène SCRIBE - MÉLESVILLE)
Comédie-vaudeville en un acte.
Représentée, pour la première fois, sur le théâtre du Vaudeville, le 18 janvier 1821.
Personnages
LE COMTE ÉDOUARD
LA COMTESSE, sa femme
FRONTIN, domestique du comte
DENISE, sa femme
LABRANCHE, domestique du comte
UN MAÎTRE-D’HÔTEL
UN COCHER
La scène se passe en province, au château du comte Édouard.
Scène première
FRONTIN, parlant dans le fond à la cantonade
Le théâtre représente un parc élégant. À droite, un mur, une petite porte ; un berceau sur le devant de la scène. À gauche, un pavillon orné de deux colonnes et de deux vases de fleurs indiquant l’entrée d’un appartement au rez-de-chaussée.
Oui, madame la comtesse.
S’inclinant respectueusement.
Je souhaite un bon voyage à madame la comtesse, Eh bien ! eh bien ! Lafleur, prenez donc garde à vos chevaux ! C’est ça... Fouette cocher... Les voilà en route !
Scène II
FRONTIN, ÉDOUARD
ÉDOUARD.
Frontin, ma femme est-elle partie ?
FRONTIN.
Oui, monsieur. Elle sera bientôt arrivée, car il n’y a qu’une lieue d’ici au château de madame votre tante.
ÉDOUARD.
Oui, elle a voulu aller voir cette bonne tante ; il y avait longtemps... Et puis, dès que cela lui était agréable... Certainement, moi j’ai été le premier... Elle ne revient que dans trois jours , n’est-ce pas ?
FRONTIN.
Oui, monsieur ; elle l’a dit en partant.
ÉDOUARD.
Elle est charmante ma femme ! bonne, aimable, spirituelle et jolie ! Sais-tu , Frontin, que j’en suis toujours amoureux ?
FRONTIN.
Vous, monsieur !
ÉDOUARD, froidement.
Comme un fou ! Et depuis six mois que nous sommes enfermés tête à tête dans cette campagne...
FRONTIN.
Trois mois, monsieur.
ÉDOUARD.
Tu crois ? Qu’importe ? le temps n’y fait rien. Depuis trois mois, jamais, je crois, je ne l’ai trouvée plus aimable ! Tout à l’heure, quand elle est venue me dire adieu !... Si tu savais, quelle inquiétude elle avait pour ma santé ! Pauvre petite femme !
Air : Je loge au quatrième étage.
Ma femme a vraiment du mérite.
FRONTIN.
C’est ce qu’on répète en tous lieux.
ÉDOUARD.
Tous les jours je me félicite
D’avoir formé de pareils nœuds.
FRONTIN.
Ah ! vous ne pouviez faire mieux.
Chacun bénit ce mariage
Qui doit, dit-on, fixer enfin
Le bonheur dans votre ménage
Et le repos chez le voisin.
ÉDOUARD.
Ah ! pour ça, je puis bien jurer qu’à présent... Dis-moi, Frontin, qu’est-ce que nous allons faire pendant son absence ? Moi, je ne sais que devenir.
FRONTIN.
Il me semble que monsieur est habillé, et prêt à sortir.
ÉDOUARD.
Oui ; mais faut-il que je sorte ?
FRONTIN.
Comment donc, monsieur, ça vous distraira.
ÉDOUARD.
Eh bien ! à la bonne heure ; je vais me promener quelques instants.
FRONTIN.
Ah !
ÉDOUARD.
Frontin , je rentrerai peut-être un peu tard ; il serait même possible que... Dans tous les cas, qu’on ne m’attende pas.
FRONTIN.
Ah ! ah !
En confidence.
Suivrai-je monsieur ?
ÉDOUARD.
Non ;
Gaîment.
non, non : j’aime autant que tu restes. Tu profiteras de ces deux jours pour faire décorer le salon de ma femme ; tu sais comme elle le désirait : des vases de fleurs, des candélabres. Ah ! tu auras soin aussi de lui avoir une femme de chambre, dont elle a besoin, afin qu’à son retour elle ait le plaisir de la surprise, et voie que nous n’avons pas cessé de penser à elle.
FRONTIN.
Ah, monsieur ! vous êtes le chef-d’œuvre des maris !
ÉDOUARD.
Adieu, Frontin. J’aurai peut-être besoin de tes services. Tu es garçon, toi ; tu es célibataire : on peut se fier à toi. Allons, allons, nous verrons.
Air du vaudeville des Deux Matinées.
Ici, de ma confiance
Reçois un gage nouveau
Je permets qu’en mon absence
Tu commandes au château.
FRONTIN.
Je suis donc propriétaire...
ÉDOUARD.
Te voilà maître aujourd’hui
De la maison tout entière.
FRONTIN.
La cave en est-elle aussi ?
ÉDOUARD, souriant.
Allons, ta cave en est aussi.
Ensemble.
ÉDOUARD.
Je pars, etc.
FRONTIN.
Ici, de sa confiance
J’obtiens un gage nouveau :
Il permet qu’en son absence
Je sois maître du château.
Édouard sort.
Scène III
FRONTIN, seul
Maître du château ! ma foi, une belle propriété ! Madame est absente ; monsieur est parti ;
Se frottant les mains.
je me doute, à peu près, pour quel motif ; en conscience, il était temps. Ma place de valet de chambre ne me rapportait presque plus rien, et j’avais déjà demandé celle d’intendant ; mais, heureusement, cela s’annonce bien. Et cette petite Denise qui n’arrive pas ! À ce battement de cœur précipité, on ne se douterait guère que c’est ma femme que j’attends.
Regardant autour de lui.
Ma femme ! Ah, mon dieu ! si mon maître savait que je suis marié malgré ses ordres, ce serait fait de ma fortune ! Est-ce étonnant, moi qui, dans ma vie, n’avais jamais eu de goût pour le mariage ? Depuis le jour où mon maître me l’a défendu, impossible de résister.
Air de Julie.
Malgré son ordre et mes justes alarmes,
Je n’ai pu vaincre un fatal ascendant ;
Ce qu’on défend a toujours tant de charmes !
Nous sommes tous enfants d’Adam !
Moi je le suis, et Dieu sait comme,
Au point que si l’on m’ordonnait
D’être fripon... cela seul suffirait
Pour que je devinsse honnête homme.
Par bonheur, je suis seul aujourd’hui ; j’ai mon château et mes gens. Je peux recevoir Denise chez moi, et lui donner une certaine idée de la considération dont jouit son mari. Cette petite fille, qui n’est jamais sortie de son village, ne se doute pas de ce que c’est qu’un valet de chambre !
On frappe au dehors.
Voilà le signal ! C’est Denise !
Il va ouvrir la porte.
Scène IV
FRONTIN, DENISE
DENISE.
Ah ! c’est bien heureux !
Air : Del senor Baroco.
Depuis une heure entière
Je suis au rendez-vous.
J’ viens toujours la première
D’ puis qu’il est mon époux.
Avant le conjugo,
Oh !
Vous n’étiez pas comm’ ça.
Ah !
Mais changez au plutôt ,
Oh !
Ou sans ça l’on verra,
Ah !
FRONTIN.
Qu’est-ce que c’est donc, on verra ?
DENISE.
Dam’ ! si vous croyez que c’est agréable d’arriver comme ça en catimini, quand on est mariée pour de vrai...
FRONTIN.
Allons, embrasse-moi, et faisons la paix.
DENISE.
Non, monsieur.
FRONTIN.
Tu ne veux pas m’embrasser ?
DENISE.
Du tout ; je suis fâchée contre vous. Tenez, je viens de chez le petit notaire bossu, qui est au bout du village, il m’a délivré ce papier, qui prouve comme quoi je suis votre femme.
FRONTIN.
Ah ! notre contrat.
Le mettant dans sa poche.
DENISE.
Ah çà ! n’allez pas le perdre, au moins : ce serait à recommencer.
FRONTIN.
C’est bon.
DENISE.
Il dit aussi que l’usage est de le faire signer à tous nos parents et connaissances.
FRONTIN.
Oui, excellent moyen quand on veut qu’un mariage soit secret.
DENISE.
Mais ce secret-là, ça ne peut pas tenir. Ma tante et moi nous avions d’abord promis de nous taire, parce que nous ne savions pas à quoi nous nous engagions ; mais v’là tout à l’heure huit jours que ça dure : j’en tomberai malade. La langue me démange, et j’allons mettre tout le village dans la confidence.
FRONTIN.
Je te le demande, de quoi te plains-tu ? Je t’aime à la fureur !
DENISE.
Bel amour, ma foi, qui me force à m’ennuyer d’un côté, tandis que monsieur s’amuse de l’autre. Enfin, depuis not’ mariage, j’ sommes, tout juste, comme la lune et le soleil, je n’ pouvons plus marcher de compagnie. Arrangez-vous ; je n’ai pas épousé un homme en place pour rien. J’ veux loger au château, moi, et jouir, comme vous disiez, des prérogatives de mon rang !
FRONTIN.
Voyez-vous l’ambition ?
DENISE.
Air du lendemain.
Je n’ veux plus d’ ce mystère
Qui m’tient toujours loin d’ici.
J’ vous épousai pas, j’espère,
Pour me trouver sans mari !
Puis, ça fait rougir un’ belle,
Lorsqu’elle a quelques vertus,
De s’entendre app’ler mamzelle,
Quand ail’ n’ l’est plus.
FRONTIN.
Ah ! voilà le grand mot lâché ! Songe donc qu’il y va de notre fortune. Monsieur le comte Édouard, mon maître, qui, pour reconnaître certains services que je lui avais rendus quand il était garçon, m’a fait douze cents livres de rentes, à la seule condition de rester à son service, et de ne jamais me marier.
DENISE.
C’est drôle, il déteste donc les femmes ?
FRONTIN.
Lui ? pas du tout ; il les adore ! c’est le mariage qu’il ne peut souffrir.
DENISE.
Comment se fait-il donc que lui-même soit marié ?
FRONTIN.
Il l’a bien fallu : une femme charmante ! soixante mille livres de rentes : il y a bien des honnêtes gens qui oublient leurs principes à meilleur marché. Mais il prétend qu’un valet marié n’est plus bon à rien ; qu’il devient négligent, paresseux.
DENISE.
Ah çà ! monsieur Frontin, il n’a pas tort : il est sûr que depuis notre mariage vous êtes bien plus...
FRONTIN.
Enfin, vois ce qu’une seule indiscrétion peut nous enlever : j’ai la promesse d’être son intendant, et tu sens bien qu’alors...
DENISE.
Oui, oui. Mais combien qu’il vous faudra de temps pour faire fortune ?
FRONTIN.
Comme j’ai de la probité, il me faudra bien dix-huit ou vingt mois.
DENISE.
Tant que ça ?
FRONTIN.
Je sais bien qu’il y a des intendants qui font fortune en moins d’un an, mais ce sont des fripons que l’on méprise ; il vaut mieux y mettre le temps.
DENISE.
Et aurons-nous un carrosse ?
FRONTIN.
Sans doute.
DENISE.
Moi, d’abord, je veux aller en carrosse avant d’ mourir.
FRONTIN.
Eh bien ! tu iras dès aujourd’hui.
DENISE.
Vrai ?
FRONTIN.
Nous dînerons ici, au château, en tête-à-tête, et je te mène ensuite à la fête du hameau voisin, dans la calèche de mon maître, que je vais commander sur-le-champ.
DENISE, sautant de joie.
Dans la calèche ! c’est-i possible ! Queu plaisir !
FRONTIN.
Mais j’espère que tu feras un peu de toilette pour donner le bras à un intendant !
DENISE.
J’ crois bien.’ J’ vas me requinquer.
FRONTIN.
Tiens, pour que tu ne sois plus obligée d’attendre, prends la clef de cette porte, et surtout dépêche-toi.
Il lui donne une clef.
DENISE.
Air : Courons aux Prés Saint-Gervais.
J’ vas mettr’ mes plus beaux habits ;
J’ veux éclipser tout le village...
Dans peu vous verrez qu’ j’ai pris
Les airs de vos dam’s de Paris
Les jeun’s fill’s du voisinage
Autour d’ moi vont s’empresser...
Ah ! j’ voudrais dans c’t équipage
Me voir passer !
ENSEMBLE.
Oui, mets tes plus beaux habits ;
Mais ne va pas, suivant l’usage,
Prendre les airs qu’à Paris
On prend avec certains maris.
DENISE.
J’ vas mettr’ mes plus beaux habits, etc.
Denise sort par la petite porte.
Scène V
FRONTIN, LABRANCHE, LE MAÎTRE-D’HÔTEL, LE COCHER
FRONTIN, appelant.
Holà ! quelqu’un ! Viendra-t-on, quand j’appelle ? Qu’ils se permettent de faire attendre mon maître, à la bonne heure ; mais moi... Ah ! vous voilà, c’est bien heureux ! Approchez, j’ai des ordres à vous donner.
LABRANCHE.
Mais, monsieur Frontin, puisque monsieur le comte est parti...
FRONTIN.
Eh bien ! ne suis-je pas là, chargé de ses pleins pouvoirs ? Ainsi, point de murmure, point de révolte d’antichambre, ou morbleu !...
Air : Qu’il est flatteur d’épouser celle.
Moi je suis au fait du service ;
Je sais ce que c’est qu’ordonner.
J’entends ici qu’on m’obéisse ;
Qu’on commence par mon dîner.
LABRANCHE.
Puisqu’à vos ordres on doit être,
Nous ferons, sans rien oublier,
C’ que vous faites pour notre maître.
FRONTIN.
Je serai servi le dernier.
Du tout, messieurs ; j’entends qu’on me serve bien. Oh ! c’est que je suis ferme sur la discipline domestique. Vous, monsieur le chef... Eh mais ! c’est le nouveau cuisinier ?
LE MAITRE-D’HÔTEL.
Oui, monsieur, je suis entré d’hier.
FRONTIN.
C’est bon. Eh bien, mon cher, il me faut pour aujourd’hui un petit dîner délicat ; deux couverts, vous entendez ? Il est essentiel que je m’assure de votre capacité : je vous ferai subir un examen très détaillé.
Au cocher.
Pour vous, maître Lapierre...
LE COCHER.
Je suis en train de nettoyer la grande berline.
FRONTIN.
La berline ? Non, je ne m’en servirai pas aujourd’hui : je vais faire un tour à la fête de l’endroit ; ainsi...
Air du vaudeville de l’Écu de six francs.
Allons vite, qu’on se dépêche...
Au fait... tout bien considéré,
Je préfère ici la calèche ;
Pour aujourd’hui j’y monterai.
LABRANCHE.
Quoi, dedans ?
FRONTIN.
Oui, monsieur Labranche...
Lorsque l’on est contre son goût,
Toute la semaine debout,
On peut bien s’asseoir le dimanche.
TOUS.
Mais, monsieur Frontin...
FRONTIN.
Pas de réflexions ! Le dîner dans deux heures ; la calèche au bas du perron : ce sont les ordres de monseigneur, et si l’on réplique je le lui dirai.
ÉDOUARD, en dehors.
C’est bon, attache mon cheval.
LABRANCHE.
Justement, je l’entends. À notre poste.
Ils sortent.
FRONTIN, déconcerté et regardant à droite.
Eh bien, qu’est-ce que ça veut dire ? Oui, ma foi ; c’est bien lui ! Il faut que je fasse donner contrordre à Denise. Qui diable peut le ramener sur ses pas ? Allons, de l’aplomb, et faisons bonne contenance.
Scène VI
ÉDOUARD, FRONTIN
FRONTIN.
Comment ! monsieur, déjà de retour ?
ÉDOUARD, d’un air agité.
Oui, je l’avoue, jamais on ne piqua plus vivement ma curiosité ; et tu ne te douterais pas...
FRONTIN.
Si fait, monsieur ; je connais déjà votre secret : quelque nouvelle passion qui vous met en campagne.
ÉDOUARD.
Une passion ? non ; mais c’est très singulier : un minois charmant, que j’ai entrevu il y a quelques jours, et que depuis je n’ai pu découvrir.
FRONTIN, à part.
Une intrigue à conduire, bonne affaire pour moi !
Haut.
Voyons, monsieur, que voulez-vous ?
ÉDOUARD.
Air : Depuis longtemps j’aimais Adèle.
Je veux m’informer, en bon maître,
Si tous ses vœux sont satisfaits ;
Par moi-même je veux connaître
Si ses vertus méritent mes bienfaits ;
Je veux savoir si son cœur est fidèle
Je veux surtout, mais je saurai bien mieux,
Quand je me trouverai près d’elle,
Expliquer tout ce que je veux.
Mais, avant tout, il faudrait la joindre, et comment ? Je viens d’entrer, je crois, dans toutes les maisons du village ; je n’étais pas fâché de visiter mes vassaux, de connaître par moi-même leur situation : eh bien, mon cher ! je n’ai trouvé personne ! et j’avais presque envie d’envoyer Labranche dans les environs.
FRONTIN.
Comment, monsieur ! employer Labranche dans une affaire aussi délicate ? Je n’ai rien fait, pourtant, pour démériter de monsieur...
ÉDOUARD.
Sois tranquille : tu vois que j’ai recours à toi. Te doutes-tu de ce que ce peut être ? Une brune, jolie taille, un air de candeur....
FRONTIN.
J’y suis.
À part.
C’est la femme du receveur : depuis trois jours elle est chez sa belle-sœur, et revient aujourd’hui même.
Haut.
Eh bien ! monsieur, je vous en réponds !
ÉDOUARD.
Comment ! mon cher Frontin, tu pourrais...
FRONTIN.
Mon plan est là.
À part.
Ce brave receveur, je ne serais pas fâché...
Haut.
Vous me croirez si vous voulez, j’y avais déjà pensé, sans vous en rien dire.
La petite porte s’ouvre, Denise entre, la referme et parait interdite en voyant le comte.
ÉDOUARD.
Tu sais, Frontin, comment je reconnais un service : vingt-cinq louis si tu me l’amènes ici !
FRONTIN.
C’est comme si je les avais !
Scène VII
ÉDOUARD, FRONTIN, DENISE
ÉDOUARD, voyant Denise.
Qu’ai-je vu ? Frontin ! mon cher Frontin !
Tirant une bourse, et la lui donnant.
Tiens , ils sont à toi.
FRONTIN.
Eh bien, monsieur ! qu’est-ce que vous avez donc ?
ÉDOUARD.
Ne le vois-tu pas ? C’est elle, mon ami, c’est elle !
FRONTIN, voyant Denise.
Dieu ! qu’est-ce que j’ai fait là ?
DENISE, interdite.
Air du Renégat.
M’ sieur Frontin, j’ v’nons vous avertir,
À Édouard.
Excusez la liberté grande...
ÉDOUARD.
Oui, Frontin vous a fait venir,
Mais c’est moi seul qui vous demande.
À part.
Quel doux minois ! quel air simple et discret.
FRONTIN, bas à Denise.
C’est monseigneur, songe à notre secret.
Ensemble.
ÉDOUARD, à part.
Je sens déjà que je l’adore,
Et je pourrai bientôt, je croi,
De l’amour que son cœur ignore
Lui révéler la douce loi. (bis)
FRONTIN, à part.
On dirait déjà qu’il l’adore.
Pour un époux le bel emploi !
Ça commence mal, et j’ignore,
Comment ça finira pour moi...
Pour un époux le bel emploi !
DENISE, à part.
Hélas ! j’en suis tremblante encore,
Je n’ reviens pas de mon effroi ;
Comme il me regarde... J’ignore
Comment ça finira pour moi...
Je n’ reviens pas de mon effroi.
ÉDOUARD.
Comment vous appelle-t-on ?
DENISE.
Denise, monseigneur, nièce de ma tante, la veuve Gervais, qui demeure au bout du village, pour vous servir, en face du marchand de vin.
ÉDOUARD.
Ah ! la veuve Gervais ? je la connais beaucoup : une pauvre femme ?
DENISE.
Non, monseigneur : elle est riche.
ÉDOUARD.
C’est qu’il me semblait que dans le temps elle avait demandé une place au château.
DENISE.
C’est égal, monseigneur : on est riche, et on demande.
ÉDOUARD.
C’est trop juste. Eh bien ! mon enfant, cette place, il faut la lui donner. Je ne veux cependant pas la séparer de sa nièce, et nous vous garderons au château. Voyons, Frontin, où la placerons-nous ? Ah ! pour inspecter la lingerie ; cette place vous conviendra parfaitement.
Frontin lui fait signe de dire non.
DENISE, imitant le signe de Frontin.
Non, non, monseigneur ; j’y entends rien.
ÉDOUARD.
Ah ! et l’office ?
Même signe.
DENISE, de même.
Ah ! encore moins.
ÉDOUARD.
C’est malheureux. Et que savez-vous donc faire, charmante Denise ?
DENISE, suivant toujours les signes de Frontin.
Rien, monseigneur, absolument rien.
ÉDOUARD.
À quoi passez-vous donc votre temps ?
DENISE.
Dam’, monseigneur, je bats le beurre, et je fais des petits fromages à la crème.
ÉDOUARD, vivement.
Justement, c’est pour cela que je vous ai fait appeler.
À Frontin.
Comme c’est heureux qu’elle sache faire des petits fromages ! Tu les aimes, Frontin, n’est-ce pas ?
FRONTIN.
Du tout, monsieur ; je ne peux pas les souffrir.
ÉDOUARD.
Moi, j’en suis fou. C’est décidé, je vous mets à la tête de la laiterie.
DENISE.
Mais, monseigneur...
ÉDOUARD.
Nous allons arranger tout cela. N’est-ce pas, belle Denise, vous consentez à rester avec nous ?
DENISE, toujours embarrassée.
Dam’, monseigneur, faut que je consulte ma tante : v’là justement l’heure de son dîner,
Voulant sortir.
et j’ vous demanderai la permission...
ÉDOUARD, la retenant.
Eh, mon Dieu, quel dommage ! si j’avais eu à dîner au château, je vous aurais retenue.
FRONTIN.
Y pensez-vous, monseigneur ? une paysanne à votre table !
ÉDOUARD.
Oui, c’est d’un bon exemple : cela encourage la vertu, la sagesse ; mais on ne m’attendait pas, et rien n’est disposé.
Scène VIII
ÉDOUARD, FRONTIN, DENISE, LABRANCHE
LABRANCHE.
Monsieur Frontin, le dîner est prêt.
ÉDOUARD.
Comment le dîner ?
FRONTIN, à part.
Ah, le butor !
LABRANCHE.
Oui : un dîner que monsieur Frontin a commandé par ordre de monseigneur ; tout ce qu’il y a de plus délicat et deux couverts.
ÉDOUARD, à Frontin.
Deux couverts ! Toi qui tout à l’heure blâmais... Par exemple, mon ami, voilà une surprise, une attention !...
À part.
Il n’y a que ce coquin-là pour penser à tout.
Haut.
C’est bien, nous dînerons sous ce feuillage. Denise, vous ne me refuserez pas ?
DENISE.
Mais, monseigneur, et ma tante ?
ÉDOUARD.
Je vous reconduirai chez elle.
À Labranche.
Que l’on tienne la calèche prête, aussitôt après le dîner.
LABRANCHE.
Elle l’est, monseigneur.
ÉDOUARD.
Comment ?
LABRANCHE.
Monsieur Frontin avait fait atteler par ordre de monseigneur.
ÉDOUARD, stupéfait d’admiration.
Ah çà ! Frontin, c’est trop fort ; je ne pourrai jamais payer un domestique comme celui-là.
Lui donnant une autre bourse.
Tiens , mon garçon.
FRONTIN, à part.
Dieu ! quelle Situation !
Il met la bourse dans sa poche, d’un air de désespoir.
Mais, monsieur, que va penser la tante de cette petite fille ? Elle la croira perdue, enlevée, ou quelque chose comme cela. Moi, je me figure son inquiétude.
ÉDOUARD.
Tu as parbleu raison, mon ami ; tu vas sur-le-champ aller la prévenir qu’elle peut être tranquille ; que sa nièce...
FRONTIN, troublé.
Moi, monsieur, pourquoi pas plutôt...
Regardant un autre domestique.
ÉDOUARD.
Oh ! tu t’expliqueras mieux ; toi, tu sais donner une- couleur, une tournure aux choses.
FRONTIN.
Comment ! monsieur...
ÉDOUARD.
Air du vaudeville de la Belle Fermière.
Oui, pour sortir d’embarras,
Je sais que ton adresse est grande.
Eh bien !... ne m’entends-tu pas ?...
Obéis, quand je le commande.
FRONTIN, à part.
Par quelque nouvel assaut,
Mettons mon maître en défaut...
Le péril presse... Allons, il faut
Détourner la tempête
Qui déjà gronde sur ma tête.
Il sort en faisant des signes à Denise.
Scène IX
ÉDOUARD, DENISE
ÉDOUARD.
C’est un usage que je veux adopter : tous les ans je recevrai à ma table les jeunes villageoises de ce canton.
Lui prenant la main.
Je doute, par exemple, que j’en trouve jamais d’aussi aimables et d’aussi gentilles.
DENISE, à part.
Est-ce que par hasard monseigneur voudrait m’en conter ? ça s’rait bien fait : ça apprendrait à c’ glorieux d’ Frontin, qui ne veut pas m’avouer pour sa femme...
ÉDOUARD.
Dites-moi, Denise, est-ce que votre tante veut continuellement vous laisser dans ce village ?
DENISE.
Dam’, faudra bien.
ÉDOUARD.
Je prétends, moi, qu’à la fin de la saison, ma femme vous emmène avec elle.
DENISE.
Comment ! monseigneur, vous croyez que je pourrai aller à Paris ?
ÉDOUARD.
Une jolie femme ne peut pas vivre ailleurs.
Air de Saphira.
Séjour
D’amour
Et de folie,
Ce charmant pays
Aux yeux éblouis,
Offre un nouveau paradis.
Des jours
Trop courts,
L’éclat varie ;
Car pour embellir
Le temps qui va fuir,
Chaque instant est un plaisir.
Chez vous l’aurore,
Qui vient d’éclore
Déjà colore
Vos légers rideaux ;
Une soubrette,
Jeune et discrète,
Soudain apprête
Négligés nouveaux.
Il fait beau,
Et dans son landau,
Pour déjeuner on vole à Bagatelle.
Vos forêts
Ne sont rien auprès ;
C’est à Paris que la campagne est belle.
Au retour,
Voyez tour à tour,
Ce séjour
Où votre œil admire...
De Golconde ou de Cachemire
Les tributs,
Ou les fins tissus.
Partout,
Le goût,
Vous accompagne...
Mais j’entends sonner
L’heure du dîner,
Que vos attraits vont orner.
Festin
Divin,
Dont le champagne,
Double les douceurs,
Quand l’amour d’ailleurs,
Avec vous fait les honneurs.
Dans nos spectacles,
Que de miracles,
Là... sans obstacles,
Vous entrez !... déjà...
Chacun s’écrie,
Qu’elle est jolie !...
Et l’on oublie
Martin ou Talma.
Le jour fuit,
L’amour vous conduit.
C’est à minuit
Que le plaisir commence.
Oui du bal
J’entends le signal,
Le galoubet nous invite à la danse ;
Dans ces lieux,
De ce couple heureux,
Que vos yeux
Admirent la grâce...
En valsant,
Il passe et repasse,
Oubliant
Le jour renaissant.
À ces
Portraits
Rendez les armes... ?
Déjà vous verriez
Chacun à vos pieds ;
Et si vous y paraissiez...
Paris
Surpris,
Malgré les charmes
Qui s’y trouvent tous,
N’aurait, entre nous,
Rien de plus joli que vous.
DENISE.
Ah, monseigneur ! je ne croirai jamais à tant de belles choses.
ÉDOUARD.
Si je mens, je veux que ce baiser soit le dernier que je prenne de ma vie.
Il lui baise la main.
Scène X
ÉDOUARD, DENISE, FRONTIN, entrant, le voit et laisse tomber une pile d’assiettes qu’il tenait
FRONTIN, une serviette sous le bras, aux domestiques.
Aïe ! prenez donc garde. Les maladroits !
On place la table sous le berceau.
ÉDOUARD.
Qu’est-ce que c’est ?
FRONTIN, tout troublé.
Le... le dîner que je vous annonce.
ÉDOUARD.
Comment ! te voilà déjà de retour ?
FRONTIN.
J’ai réfléchi que vous auriez besoin de moi pour servir à table : dans ce cas-là, il faut un homme de confiance.
ÉDOUARD.
Oui, il vaut mieux que tu sois là qu’un autre.
FRONTIN.
C’est ce que je me suis dit, et j’ai envoyé quelqu’un avec des instructions détaillées.
À part.
Le cheval de monseigneur était encore sellé, et fouette postillon ; mon messager doit être déjà arrivé.
Pendant cet aparté, Denise et le Comte se sont mis à table, Frontin s’approche la serviette sous le bras.
DENISE.
Ah, mon Dieu ! à table avec monseigneur ! Si ça se savait dans le village, ça ferait de fières jalousies !
ÉDOUARD, découpant et servant Denise.
Eh ! bien, Denise ! vous ne mangez pas ?
DENISE.
Oh, monseigneur ! j’ose pas : la joie me coupe l’appétit.
FRONTIN, à part.
Quelle humiliation ! Me voir là, la serviette sous le bras, quand je devrais l’avoir à la boutonnière.
ÉDOUARD.
Frontin, à boire.
FRONTIN.
Voilà, monsieur.
À part.
Ô soif insatiable des richesses !
Il verse.
DENISE.
À vot’ santé, monsieur Frontin, sans vous oublier, monseigneur.
ÉDOUARD, à Frontin.
Eh bien ! Frontin, comment la trouves-tu ?
FRONTIN, à demi-voix.
Hum ! au premier coup d’œil, elle a assez d’éclat, mais après...
ÉDOUARD, bas.
Qu’est-ce que tu dis donc ? Le minois le plus piquant, un sourire...
FRONTIN.
Un peu niais.
ÉDOUARD.
Des yeux...
FRONTIN.
Qui ne disent rien.
ÉDOUARD.
Pour toi, c’est possible, mais pour nous autres...
LABRANCHE, à Frontin.
Monseigneur a raison ; elle est charmante !
FRONTIN, à part.
Détestable flatteur !
Haut.
Monsieur Labranche, ce n’est pas ici votre place ; sortez, et songez, au service.
Labranche sort.
ÉDOUARD.
Belle Denise, je bois à votre fortune future.
DENISE.
Monseigneur veut se gausser de moi ; mais, tout d’ même, j’ons des bouffées d’ambition. On sait ce qu’on vaut, et quelquefois....
Regardant Frontin en dessous.
je pense que je méritais peut-être mieux que ce que j’ai.
FRONTIN, à part.
Merci.
ÉDOUARD.
Voyons, parlez franchement : combien avez-vous d’amoureux ?
DENISE.
Vous me croirez si vous voulez : je n’en ai qu’un.
ÉDOUARD.
Aimable ?
DENISE, imitant le ton de Frontin.
Au premier coup d’oeil, mais après...
ÉDOUARD.
Allons, c’est quelque sot...
FRONTIN, à part.
J’en ai peur.
ÉDOUARD.
Jaloux peut-être ?
DENISE.
Comme un Turc ! Je suis sûre qu’il m’espionne, et je n’ai qu’à bien me tenir. Quand nous serons seuls, il me fera une scène...
FRONTIN, à part.
Ah ! sans les douze cents livres de rentes, morbleu !
Frappant du pied.
ÉDOUARD.
Qu’est-ce que c’est ?
FRONTIN.
Une crampe... qui m’a pris.
DENISE.
Monsieur Frontin, je vous demanderai une assiette.
ÉDOUARD.
Air de Marianne.
Vraiment on n’est pas plus jolie ;
J’en perdrai la tête...
FRONTIN, à part.
Grand Dieu !
ÉDOUARD, à Frontin.
Mon cher, je l’aime à la folie...
FRONTIN, à part.
Pour un pauvre époux, quel aveu !
Ah ! je me meurs...
Au comte.
Songez d’ailleurs
Au décorum ainsi qu’aux bonnes mœurs,
À la vertu...
ÉDOUARD.
Hein... que dis-tu ?
FRONTIN.
Oui, la vertu,
Car j’en ai toujours eu...
Et cette innocence première,
Qui d’un rien se ternit souvent,
Vous n’y songez pas...
ÉDOUARD.
Si vraiment,
Nous la ferons rosière.
FRONTIN, à part.
Rosière ! je suis perdu !
Hors de lui.
Eh bien, monseigneur, puisqu’il faut tout vous dire...
Scène XI
ÉDOUARD, DENISE, FRONTIN, LABRANCHE, DEUX VALETS
LABRANCHE.
Monseigneur, la voiture de madame vient d’entrer dans la cour.
ÉDOUARD, troublé.
Comment ! ma femme ? qui peut la ramener ?
FRONTIN, s’essuyant le front.
Je suis sauvé ! il était temps.
LABRANCHE.
Madame la comtesse monte l’escalier de la terrasse.
ÉDOUARD.
Il serait vrai ! Déjà de retour ! j’en suis enchanté ! Eh bien ! Labranche, vous restez là ? Allez donc au devant de votre maîtresse.
Aux deux valets.
Vous, cachez vite cette table.
Labranche sort ; les deux valets cachent la table dans le bosquet et sortent.
À Denise.
Quant à vous, ma belle enfant, je ne pourrai pas vous reconduire chez votre tante ; mais l’on va vous accompagner.
S’approchant de la petite porte, à Frontin.
Eh bien ! comment s’ouvre cette porte ?
DENISE.
Ah, mon Dieu ! la clef sera restée en dehors.
ÉDOUARD, à Frontin.
Et la tienne, bourreau ?
FRONTIN, troublé.
Moi, la mienne ? je ne l’ai pas.
ÉDOUARD, vivement.
Et comment veux-tu que je fasse ? Quoique certainement je n’aie que les intentions les plus innocentes, comment justifier aux yeux de la comtesse la présence de cette petite fille ? On vient de ce côté. Il n’y a pas d’autre moyen : entrez dans cet appartement.
Denise entre dans l’appartement à gauche.
Scène XII
ÉDOUARD, DENISE, FRONTIN, LA COMTESSE
LA COMTESSE, avec empressement.
Ah, mon ami ! que je suis contente de vous voir ! J’avais beau presser les postillons, je craignais toujours d’arriver trop tard.
Avec intérêt.
Eh bien ! comment vous trouvez-vous ?
ÉDOUARD, étonné.
Comment je me trouve ?
LA COMTESSE.
Oui. Il paraît que cela va mieux, et que c’est passé.
ÉDOUARD.
En vérité, je ne vous comprends pas !
LA COMTESSE.
Pourquoi me regardez-vous d’un air étonné ? Vous voyez bien que je suis instruite ; on m’a tout dit : on a eu la bonté de me prévenir.
ÉDOUARD.
Par exemple !
LA COMTESSE.
Voyez plutôt ce billet, écrit à la hâte et au crayon. Vous m’avez fait une peur...
ÉDOUARD, lisant.
« Ne perdez pas de temps, madame : votre mari est en ce moment dans le plus grand danger. »
Pendant ce temps Frontin donne des signes d’intelligence ou étouffe des éclats de rire.
Qui diable s’intéresse donc aussi vivement à ma santé ? et d’où vous vient cet avis charitable ?
LA COMTESSE.
Il a été apporté par un jeune villageois, monté sur un cheval de votre écurie ; et il est reparti au galop, sans qu’on ait pu lui demander aucun détail.
ÉDOUARD, déconcerté.
Frontin, y comprends-tu quelque chose ?
FRONTIN, bas.
Moi, monsieur ? je m’y perds.
LA COMTESSE, avec intérêt.
J’en étais sûre.
Air de Caroline.
Lorsque je vous quitte un seul jour,
Four vous, hélas ! je crains sans cesse
Quelque malheur que votre amour
Voudrait cacher à ma tendresse.
À mon repos, daignez songer,
Car vous seul pourriez le détruire...
Si vous étiez dans le même danger,
Promettez-moi de me le dire.
FRONTIN.
Ah ! pour cela, madame la comtesse, je m’en charge.
LA COMTESSE.
Heureusement ce n’était qu’un léger accès.
ÉDOUARD.
De migraine, ah, mon Dieu ! pas autre chose ; et cela ne valait pas la peine qu’on vous avertît.
FRONTIN.
Si fait, si fait : ça serait devenu peut-être plus sérieux que vous ne croyez. Vous rappelez-vous, monsieur, il y a eu un moment où vous n’étiez pas à votre aise, ni moi non plus ? J’ai eu peur.
ÉDOUARD, impatienté.
Allons, brisons là.
À la comtesse.
Voulez-vous faire un tour de promenade ?
LA COMTESSE.
Non ; je ne suis pas encore remise de l’émotion que j’ai éprouvée, et j’aime mieux rentrer dans mon appartement.
ÉDOUARD, à part.
Ah, mon Dieu !
Haut.
Ma bonne amie, je voudrais vous dire...
LA COMTESSE.
Eh bien ! qu’avez-vous donc ?
ÉDOUARD, bas à Frontin.
Frontin , tire-moi de là.
FRONTIN, se mettant devant la porte.
Je suis sûre que madame la comtesse ne s’attend pas à ce qu’elle va trouver dans son appartement ? La plus jolie petite femme...
LA COMTESSE, à Édouard.
Une femme chez moi, en mon absence !
FRONTIN.
C’est moi qui ai pris la liberté de l’amener au château.
ÉDOUARD, bas à Frontin.
C’est bien.
Haut.
Comment ! vous vous êtes permis... Qu’est-ce que cela signifie ? Quelle est cette femme ?
FRONTIN.
La mienne, monsieur.
ÉDOUARD, à part.
Que veut-il dire ?
FRONTIN.
Oui, monsieur, ma propre femme, que j’ai épousée, il est vrai, sans vous en prévenir. Je savais que, quoique payé pour aimer le mariage, monsieur le comte ne voulait à son service que dès célibataires.
ÉDOUARD.
Eh bien ?
FRONTIN.
J’avais rencontré une petite fille charmante, aimable, ingénue et fort riche ; un bon parti : la nièce de madame Gervais, une fermière de ce village. Je l’avais amenée ici en l’absence de madame ; je comptais la lui présenter à son retour, en qualité de femme de chambre, puisque madame en a besoin d’une ; et que monsieur, qui prévient tous les désirs de madame, m’avait chargé d’y pourvoir. Voilà l’exacte vérité, et j’ose espérer que ce que je viens de faire m’obtiendra l’agrément de madame, et surtout l’approbation de monsieur.
ÉDOUARD, à part.
Ce drôle-là ment avec une facilité vraiment effrayante.
LA COMTESSE.
Quoi, mon ami ! vous vous étiez occupé de me procurer une femme de chambre ? Vous pensez à tout.
Air du vaudeville d’une Visite à Bedlam.
Mon ami... quel soin touchant ;
Quelle tendresse constante ;
Que Frontin me la présente,
Je veux la voir à l’instant.
FRONTIN, à part.
Malgré tous mes droits acquis,
Et ma légitime flamme,
C’est en fraude que je puis
Être l’époux de ma femme.
LA COMTESSE.
Mon ami, quel soin, etc.
La comtesse entre dans son appartement ; Frontin la suit en faisant des signes d’intelligence à son maître.
Scène XIII
ÉDOUARD, seul
En vérité, je ne reviens pas de l’audace de ce maraud-là ! on est heureux d’avoir à son service des coquins aussi intrépides. Il nous a improvisé là une histoire fort à propos : car je ne sais pas sans elle comment je m’en serais tiré. Voyez cependant à quoi tient une réputation de bon mari ! Il y a comme cela une foule d’occasions dans la vie, où, sans avoir rien à se reprocher, on se trouverait compromis par la maladresse des circonstances. Réellement, nous en sommes toujours les victimes.
Air du vaudeville des Maris ont tort.
Par des serments que l’on s’engage,
La circonstance les rompra ;
On veut rester fidèle et sage,
La circonstance est encor là....
Pauvres époux, combien de chances,
Contre nous conspirent, hélas !
Sans compter d’autres circonstances
Dont nos femmes ne parlent pas.
Scène XIV
ÉDOUARD, LA COMTESSE
LA COMTESSE.
Ah, mon ami ! je suis enchantée ! vous m’avez fait là un véritable cadeau.
ÉDOUARD.
Vraiment ? Vous croyez qu’elle pourra vous convenir ?
LA COMTESSE.
Sans doute. Un air de douceur, de naïveté...
ÉDOUARD.
Oui : je crois l’avoir vue, il n’y a pas longtemps : elle m’a paru fort bien.
LA COMTESSE.
Charmante ! Et puis ce ménage a l’air si uni...
ÉDOUARD.
Hein !
LA COMTESSE.
J’aime à voir des ménages heureux, cela me rappelle le nôtre.
ÉDOUARD.
Comment ! madame ?
LA COMTESSE.
Air du vaudeville du petit Courrier.
Oh ! Frontin est vraiment galant,
Il vous charmerait, sur mon âme.
Comme il a l’air d’aimer sa femme,
Comme il est tendre et complaisant !
À ses regards pour mieux paraître,
Il veut vous imiter en tout...
Mon ami, tel valet, tel maître,
Le bon exemple fait beaucoup.
ÉDOUARD, à part.
Le compliment vient à propos.
LA COMTESSE, mystérieusement.
Enfin, dans un moment où ils étaient derrière moi, j’ai vu très distinctement dans la glace...
ÉDOUARD, surpris.
Quoi, madame ! vous avez vu...
LA COMTESSE.
Qu’il l’embrassait. Où est le mal ?
ÉDOUARD.
Et vous avez souffert...
LA COMTESSE.
Vouliez-vous que j’interposasse mon autorité ? J’ai fait semblant de ne pas m’en apercevoir.
ÉDOUARD.
Voilà ce que je ne permettrai pas.
LA COMTESSE.
Comment, à son mari !
ÉDOUARD.
Son mari, son mari... tant que vous voudrez ; ce n’est pas une raison. Je trouve bien extraordinaire...
Il appelle.
Frontin !
LA COMTESSE.
Je ne vous ai jamais vu si scrupuleux.
ÉDOUARD.
Mais c’est que vous ne savez pas que ce maraud serait capable de profiter... et avec moi, d’abord, les mœurs avant tout. Frontin !... Laissez-moi, ma chère amie ; j’ai à le gronder.
LA COMTESSE.
Pour cela ?
ÉDOUARD.
Non : pour des occasions où il s’est oublié d’une manière...
LA COMTESSE.
Eh bien ! à la bonne heure ! mais de l’indulgence. Je vais donner des ordres pour qu’on place Denise à côté de mon appartement.
ÉDOUARD.
À côté de votre appartement, vous avez raison.
La comtesse sort.
Scène XV
FRONTIN, ÉDOUARD, se retournant et apercevant Frontin
ÉDOUARD.
Ah ! vous voilà, monsieur. Y a-t-il assez longtemps que je vous appelle ?
FRONTIN, à haute voix.
Pardon, monsieur, j’étais avec ma femme,
Avec sa voix ordinaire.
avec Denise.
ÉDOUARD, se contenant.
Ah ! vous étiez avec Denise, et vous lui disiez...
FRONTIN.
Je lui disais ce qu’elle avait à faire auprès de madame. Il fallait bien que quelqu’un l’instruisît de ses devoirs, et certainement ce n’aurait pas été monsieur qui aurait pu...
ÉDOUARD, avec une colère concentrée.
Frontin, j’ai idée que je te ferai mourir sous le bâton.
FRONTIN.
Comment, monsieur ! Qu’est-ce que c’est que ces idées-là ?
ÉDOUARD.
J’ai deviné vos desseins. Vous voulez séduire cette petite fille, abuser de son inexpérience, de sa timidité. Moi, dont les intentions sont pures et désintéressées, je ne permettrai pas que chez moi...
FRONTIN.
Monseigneur, je peux vous jurer...
ÉDOUARD.
Et ce baiser de tout à l’heure ?
FRONTIN.
Comment, ce baiser !
À part.
Qui diable a pu lui dire ?
ÉDOUARD.
Oh ! tu vas encore mentir : j’ai déjà vu que ça ne te coûtait rien, mais je sais que dans l’instant même...
FRONTIN.
Eh bien ! oui, monsieur, c’est la vérité : je l’ai embrassée, mais dans votre intérêt : j’ai vu que madame la comtesse avait des doutes sur la réalité de l’histoire que j’ai été obligé de composer pour vous rendre service. Il fallait confirmer son erreur, dissiper tous les soupçons ; j’ai pris alors un parti désespéré : je l’ai embrassée en dissimulant ; c’était la meilleure manière de cacher notre jeu ; et ce baiser que j’ai donné à Denise est peut-être ce que j’ai fait aujourd’hui de plus utile pour vous. Mais on aurait beau s’exposer, se dévouer pour les maîtres, ils trouveraient encore qu’on n’a pas assez fait, pour eux.
ÉDOUARD.
Si fait, si fait ; je trouve au contraire que ton zèle t’emporte trop loin, et j’ai quelque arrière-pensée que tu dissimulais pour ton compte.
FRONTIN.
Moi, monsieur ?
ÉDOUARD.
Je vais du reste m’en assurer. Denise vient de ce côté ; je serai là,
Montrant le bosquet.
à portée de te voir et de t’entendre, et je saurai au juste, fidèle serviteur, où vous en êtes avec elle.
FRONTIN.
Quoi, monsieur ! vous vous défiez... Je suis bien sûr de mon innocence ; mais enfin, si le hasard voulait qu’elle me fît des avances... Moi, je ne suis pas responsable...
ÉDOUARD.
Sois tranquille ; ce n’est pas cela que je redoute. Mais prends garde à toi, s’il t’arrive encore de dissimuler avec elle, je t’assomme et je te chasse.
Il entre dans le bosquet et paraît de temps en temps.
Scène XVI
FRONTIN, DENISE
FRONTIN.
Dieux ! quelle pénible alternative : d’un côté, ma place, de l’autre, ma femme ! Ma femme et ma place !
DENISE.
Ah, vous voilà ! Que madame la comtesse est donc bonne et avenante, et que je suis contente d’être à son service ! et puis ce qui me fait encore plus de plaisir, c’est que v’là tout qui est déclaré, et que par ainsi il n’y a plus besoin de frime.
ÉDOUARD, à part.
Hein ! qu’est-ce qu’elle dit donc là ?
Pendant tout ce temps, Frontin cherche à lui faire des signes.
DENISE.
Hé bien ! monsieur Frontin, qu’est-ce que vous avez donc, vous ne répondez pas ? Vous êtes fâché de ce qu’on vous a forcé d’être mon mari ?
FRONTIN.
Votre mari, votre mari... Vous savez bien, mademoiselle Denise, que ce n’est que jusqu’à un certain point.
DENISE.
Comment ! jusqu’à un certain point ? Puisque c’est devant monsieur le comte et madame la comtesse, et qu’ils y consentent tous deux.
FRONTIN.
C’est égal, Denise, si l’on vous entendait, on s’étonnerait de votre naïveté. Ce n’est là qu’un hymen provisoire, enfin, ce qu’on appelle un mariage pour rire.
DENISE.
Eh bien ! par exemple, qu’est-ce qui y manque donc ?
Air : Tenez, moi, je suis bon homme.
De nous qu’ dira-t-on à la ronde !
V’là c’ que c’est que de se cacher,
Quand on n’ fait pas comme tout l’ monde,
Ça finit toujours par clocher !
Ce que j’ croyais avoir m’échappe...
J’ m’embrouille avec tout’s ces frim’s-là...
Et j’ veux mourir si l’on m’ rattrape,
À me marier encor comm’ ça.
FRONTIN.
Mais, Denise...
DENISE, pleurant.
Qu’est-ce que va dire ma tante ? C’est pour elle, car pour moi ne croyez pas que je vous regrette. Ah bien ! oui, un mari pour rire, on n’est pas en peine d’en trouver.
Elle fait un pas pour sortir.
FRONTIN.
Eh bien ! il ne manquait plus que cela. Denise, écoutez-moi !
Haut, de façon que son maître l’entende.
Il faut dire comme elle, car elle serait capable de tout découvrir.
Haut, à Denise.
Certainement, Denise, je ne refuse pas d’être votre mari, et l’honneur que vous me faites, d’autant plus que monseigneur, qui doit me connaître... et s’il ne tenait qu’à moi... Mais mon devoir, la probité, qui fait que... Enfin, vous devez me comprendre.
DENISE.
Pas tout à fait, mais je crois que ça veut dire que vous êtes fâché de m’avoir fait du chagrin, aussi j’oublie tout, car je suis trop bonne. Allons, monsieur, embrassez-moi, et que ça finisse.
FRONTIN, à part.
Dieu ! Dieu ! quel parti prendre ?
ÉDOUARD, à part.
Ah çà, je ne la reconnais plus !
DENISE.
Comment ! monsieur, vous refusez de vous raccommoder, quand c’est moi qui ai fait les premiers pas !
Pleurant.
Allez, c’est affreux, et je vais aller me plaindre à monseigneur.
ÉDOUARD.
Par exemple, c’est trop fort !
DENISE.
Et il me fera rendre justice, car il me le disait encore tout à l’heure, en me baisant la main.
FRONTIN, à part.
Hein ! comment ?
DENISE.
Mais c’est que lui, il est galant, il est aimable.
Scène XVII
FRONTIN, DENISE, LA COMTESSE
LA COMTESSE.
Eh bien, mes enfants ! qu’est-ce que c’est donc : on se querelle ici ?
DENISE.
Oui, madame, c’est lui qui a tort.
FRONTIN.
Mais non, madame, c’est que je veux...
DENISE.
Au contraire, c’est qu’il ne veut pas.
LA COMTESSE.
Comment ?
DENISE.
Oui, madame, il ne veut pas m’embrasser. Je vous demande si ce n’est pas une abomination ?
LA COMTESSE.
Qu’est-ce que c’est que cela, Frontin, faire pleurer votre femme, c’est très mal ? Je ne veux pas qu’on se querelle, et j’entends qu’on fasse toujours bon ménage, ou sinon... Allons, embrassez-la.
FRONTIN.
Certainement, vous voyez...
Du côté du bosquet.
Eh bien ! Denise, je te demande pardon,
Il l’embrasse.
et je te prie à deux genoux de tout oublier.
DENISE, sautant de joie.
Ah, madame ! que je suis contente !
Scène XVIII
FRONTIN, DENISE, LA COMTESSE, ÉDOUARD
ÉDOUARD, sévèrement.
Vous voilà encore ici, monsieur Frontin ! vous savez cependant ce que je vous ai dit tout à l’heure. Vous n’êtes plus à mon service.
FRONTIN, à part.
C’est fait de moi !
DENISE.
Comment ! monseigneur, vous renvoyez mon mari ?
ÉDOUARD, à part.
Son mari... Elle y tient.
LA COMTESSE.
Et pour quelle raison, mon ami, renvoyez-vous ce pauvre garçon ?
ÉDOUARD.
Pour des raisons... des raisons très graves, que je ne puis pas vous dire ; mais Frontin me comprend très bien.
FRONTIN.
Moi, monsieur, je puis vous assurer que j’ignore... Et je vous atteste, madame la comtesse...
LA COMTESSE, bas à Frontin et à Denise.
C’est bon. Vous savez que jamais il ne se met en colère, et demain sans doute il sera calmé. Retirez-vous tous deux.
Au comte.
Vous leur permettrez bien au moins de passer cette nuit au château ?
ÉDOUARD.
Quoi ! vous voulez...
LA COMTESSE.
Vous ne me refuserez pas cela. Allons, mes enfants, à demain. Vous savez quelle est la chambre qu’on vous destine ?
DENISE, pleurant.
Oui, madame ; nous y allons. Viens, Frontin.
ÉDOUARD.
Comment, madame, vous souffrirez... Vous les laissez partir ?
LA COMTESSE.
Ce n’est pas moi, c’est vous qui en êtes cause.
DENISE.
Oui, c’est vous qui serez la cause de tout ce qui va arriver.
ÉDOUARD.
Ah, c’en est trop ! Eh bien ! puisqu’il faut vous le dire, apprenez donc qu’ils ne sont pas mariés.
LA COMTESSE.
Ils ne sont pas mariés ?
ÉDOUARD.
Non, madame. Laissez-les s’en aller maintenant.
DENISE.
Eh bien ! qu’est-ce qu’il dit donc ? Il ne sait donc pas...
Frontin lui fait signe de se taire.
LA COMTESSE.
Comment ! cette petite fille qui avait un air si doux, si ingénu... Que m’apprenez-vous là ?
ÉDOUARD.
L’exacte vérité. Je venais de découvrir que ce maraud-là nous avait trompés ; voilà les griefs que j’avais contre lui, et dont je ne voulais pas vous parler ; sans cela, vous sentez bien que je ne l’aurais jamais renvoyé. Cette petite fille était charmante et vous convenait beaucoup ; moi je tenais à Frontin, mais d’après ce qui s’est passé, nous ne pouvons tolérer...
FRONTIN.
Comment ! monsieur, il n’y a pas d’autres raisons ? Eh bien ! rassurez-vous, la morale est satisfaite : car je puis heureusement vous prouver que Denise est ma femme.
ÉDOUARD.
Oui, encore une histoire.
FRONTIN.
Oh, monsieur ! celle-là est authentique,
Tirant le contrat de sa poche.
car elle est pardevant notaires ;
Le lui donnant.
lisez plutôt.
ÉDOUARD.
Que vois-je ! « Pardevant Martin et son confrère sont comparus Marie-Fidèle-Amand-Constant Frontin. »
FRONTIN.
Mes noms et qualités !
ÉDOUARD, lisant toujours.
« Intendant de monsieur le comte de Granville. »
Le regardant.
Intendant. « Et Angélique-Denise Gervais. »
Regardant à la fin de l’acte.
Suivent les signatures et celles des témoins. Ah çà, est-ce que par hasard tu aurais dit une fois la vérité ?
FRONTIN.
Il y a commencement à tout, monseigneur.
Bas.
Vous voyez donc bien que je n’allais pas sur vos brisées, et que c’est vous au contraire qui alliez sur les miennes.
ÉDOUARD, bas.
Au fait, ce pauvre Frontin devait faire une triste figure tantôt, la serviette sous le bras. Ah ! ah !
FRONTIN, haut.
Oui, monseigneur, je n’attendais qu’un moment favorable ; je n’avais pris sur moi cet acte que pour prier monsieur le comte et madame la comtesse de me faire l’honneur de signer au contrat.
ÉDOUARD.
J’entends, afin de ratifier ta nomination à la place d’intendant que tu t’es donnée.
LA COMTESSE.
Vous la lui aviez promise.
ÉDOUARD.
En effet, c’est une place qui convient à un homme marié.
Regardant Denise.
Et puisque sa femme et lui vont habiter le château... Qu’est-ce que je demandais, moi ? que les convenances fussent respectées. Allons, que Frontin reste près de moi, Denise auprès de... vous, et qu’il y ait dans le monde un bon ménage de plus.
DENISE.
Ah çà, cette fois-ci, est-ce pour tout de bon ?
FRONTIN.
Oui, madame Frontin !
Vaudeville.
Air du vaudeville de Turenne.
De père en fils tous mes ancêtres
Furent heureux, quoique laquais ;
Quelquefois le destin des maîtres
Ne vaut pas celui des valets :
Oui, de ce corps j’ai l’honneur d’être membre,
Et bien souvent, n’en déplaise au bon ton,
J’ai vu l’ennui qui siégeait au salon,
Et le plaisir à l’antichambre.
DENISE.
Plus d’un Frontin, à sa femme fidèle,
Dans son ménag’ vivrait en bon accord,
S’il n’avait pris son maître pour modèle...
Car v’là toujours ce qui nous fait du tort.
Sans y penser, si le valet de chambre
En conte à maint et maint tendron...
C’ n’est pas sa faut’
Regardant Édouard.
mais celle du salon,
Qui s’ trouv’ trop près de l’antichambre.
ÉDOUARD.
De l’amour redoutons les armes,
Au hasard il lance ses traits...
Telle duchesse est brillante de charmes,
Mais sa soubrette a bien quelques attraits ;
Maint grand seigneur parfumé d’ambre,
En conte souvent à Marton...
Avant d’arriver au salon
Il faut passer par l’antichambre.
LA COMTESSE, au public.
Des grands tableaux esquissant la copie,
Le vaudeville, en ses légers essais,
Est l’antichambre de Thalie,
Dont le salon est aux Français :
Depuis janvier jusqu’en décembre,
Vous, messieurs, qui donnez le ton,
Daignez parfois, en allant au salon,
Vous arrêter dans l’antichambre.