L'Homme de paille (Eugène LABICHE - Auguste LEFRANC)

Comédie-Vaudeville en un acte.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Palais-Royal, le 12 mai 1843.

 

Personnages

 

DE CAMBIAC

DE CHAMVILLERS

BILLAUDIN

MADAME DE LANJOIE

ADELINE

DARESSY, notaire

JULIEN, domestique de Chamvillers

 

Un salon élégamment meublé. Porte principale au fond, seconde porte. À droite, au second plan, porte latérale conduisant à la bibliothèque. À gauche, au second plan, porte latérale conduisant à la chambre de Madame de Lanjoie. À droite, premier plan, une table garnie. À gauche, premier plan, une fenêtre garnie de rideaux.

 

 

Scène première

 

DARESSY, MADAME DE LANJOIE, ADELINE

 

MADAME DE LANJOIE, à Daressy.

Ainsi, monsieur le notaire, voilà qui est convenu... Vous rédigerez le contrat d’après ce que nous venons de dire.

DARESSY.

Votre mariage avec M. de Chamvillers est donc une chose bien décidée ?

MADAME DE LANJOIE.

Tout à fait... Oh ! je sais bien que certaines gens pourront considérer cette alliance comme une folie...

DARESSY.

Ah ! c’est qu’on reproche à M. de Chamvillers une jeunesse un peu dissipée.

MADAME DE LANJOIE.

Qu’importe ? n’est-ce pas un homme dévoué, généreux, plein de franchise et de loyauté... Eh bien ! voilà ce que j’aime en lui... Et pour m’allier à sa famille, je n’ai même pas besoin de me rappeler qu’elle est une des plus considérées de la noblesse de France.

ADELINE.

Et puis, on se lasse de rester veuve ; quand on a eu tant de reproches à adresser à son premier mari, on a hâte de trouver une compensation.

MADAME DE LANJOIE.

Adeline !

ADELINE.

Ah ! Madame, voyez-vous, quand je pense à M. de Lanjoie, ça me crispe !... Un homme qui d’abord vous débarrasse subitement de sa personne, pour faire croire qu’il a du bon... et qui ensuite vous condamne par son testament à un veuvage forcé de deux ans, si vous voulez recueillir sa succession, et quelle succession encore !... En voilà une qui a donné du mal à M. Daressy !

DARESSY.

C’est vrai.

ADELINE.

Des dettes à payer, des créances en recouvrement, des procès à soutenir... en un mot, une liquidation si embrouillée que, dernièrement encore, sans l’assistance d’un étranger qui, sur votre simple signature, consentit à vous avancer cette somme de cent mille livres...

DARESSY.

Tous les biens de Madame allaient être vendus ; son héritage passait aux mains des procureurs, des huissiers.

MADAME DE LANJOIE.

Oui... et c’est ainsi qu’une partie de ma fortune fut sauvée par la générosité d’un inconnu.

À Daressy.

Vous ne me direz donc jamais son nom ?

DARESSY.

Je ne le puis... je le lui ai promis... et je suis discret.

MADAME DE LANJOIE.

Vous êtes un notaire modèle... À ce soir donc. Soyez exact, à quatre heures la signature.

DARESSY, se retirant.

Vous pouvez y compter, Madame.

ADELINE, le reconduisant.

Au revoir, monsieur le notaire.

Daressy sort.

 

 

Scène II

 

MADAME DE LANJOIE, ADELINE

 

MADAME DE LANJOIE.

Déjà onze heures ! et M. de Chamvillers qui ne vient pas !...

ADELINE.

Vous savez bien, Madame, que M. de Chamvillers n’est jamais d’une exactitude... surtout quand son ami de Cambiac est à Paris. C’est un terrible rival que vous avez là, Madame. M. de Cambiac !

MADAME DE LANJOIE.

Faites-moi grâce de vos observations...

À elle-même.

Être en retard un jour comme celui-ci... un jour que nous attendons depuis deux ans avec tant d’impatience !...

On entend sonner.

Ah ! courez, Adeline.

ADELINE.

Si c’était M. Billaudin, votre amoureux surnuméraire ?

MADAME DE LANJOIE.

Ce vieux fat si insupportable !... Ah ! je n’y suis pas pour lui.

On entend une voix.

Oh ! mais non, ce n’est pas lui... Elle m’a fait une peur !

ADELINE, introduisant Chamvillers.

Entrez, monsieur, entrez... Depuis une heure on soupire après vous.

Elle sort.

 

 

Scène III

 

MADAME DE LANJOIE, CHAMVILLERS

 

CHAMVILLERS.

Serait-il possible !... et tant de bonheur !

MADAME DE LANJOIE, avec humeur.

N’en croyez rien... cette fille est une sotte !...

CHAMVILLERS, à part.

De l’humeur !... En avant, mon ami Cambiac !

Haut.

Accablez-moi de votre froideur, de votre indifférence, je me sens trop coupable pour chercher seulement à me défendre... mais au moins vous ne m’empêcherez pas de punir mon complice, et je cours de ce pas...

MADAME DE LANJOIE.

Où allez-vous ?

CHAMVILLERS.

Je vais couper la gorge à mon ami Cambiac.

MADAME DE LANJOIE, avec douceur.

Comment ! c’est encore lui ?

CHAMVILLERS.

Ne m’en parlez pas... mon cœur est d’une lâcheté pour ce garnement-là !...

MADAME DE LANJOIE.

Qu’a-t-il donc fait ?

CHAMVILLERS, à part.

Et moi qui n’ai pas préparé mon histoire !...

Haut.

Ce qu’il a fait ? Ah ! ne m’interrogez pas. Il est si cruel d’avoir à blâmer un ami absent !

MADAME DE LANJOIE.

Mais encore ?

CHAMVILLERS.

Non, vous dis-je, non... Sachez seulement que grâce à mon assistance, il vient d’échapper à la plus mauvaise affaire... Sans moi, il passait la nuit au petit Châtelet... Plus tard, vous saurez...

MADAME DE LANJOIE.

Je vous crois... et loin de vous en vouloir maintenant de votre retard, je suis prête à vous remercier. Une bonne action, un jour comme celui-ci, nous portera bonheur.

CHAMVILLERS.

Mathilde, vous êtes la meilleure et la plus indulgente des femmes ; il n’en est pas une après vous...

MADAME DE LANJOIE, négligemment.

À propos, on vous a vu hier au soir en loge à l’Opéra avec une dame... Qui était-ce ?

CHAMVILLERS, à part.

Encore !...

Haut, ayant l’air de chercher.

Une dame !... Ah ! oui, j’oubliais, c’était sa sœur.

MADAME DE LANJOIE.

La sœur de qui ?

CHAMVILLERS.

De mon ami Cambiac... Il lui avait promis de la mener hier à l’Opéra entendre Sophie Arnould, mais, préférant de beaucoup aller souper avec une vingtaine de vauriens, il m’a tant prié, tant supplié de le remplacer près de sa parente, que moi qui ne sais pas refuser un service...

MADAME DE LANJOIE.

Aussi, mon ami, vous êtes trop bon !

CHAMVILLERS.

Que voulez-vous ? je suis comme ça... Il me connaît, et abuse de ma faiblesse.

MADAME DE LANJOIE.

Mais au moins ne me présenterez-vous jamais ce maudit homme ?

CHAMVILLERS.

Ah ! Madame, vous ne le connaissez pas !... C’est un ours, un nouveau paysan du Danube. Il ne va nulle part, il est toujours débraillé comme un matelot, il boit, il joue, et il brise... cristaux, assiettes, glaces, porcelaines, tout y passe dans leurs soupers.

MADAME DE LANJOIE.

Ah ! mon Dieu !... Et vous pouvez rester attaché à un pareil mauvais sujet ?

CHAMVILLERS.

Ce sont de ces sentiments dont on ne peut se rendre compte... on en rougit, et on est leur esclave... Je l’ai vu si jeune, ce pauvre enfant...

Feignant l’attendrissement.

J’ai vu mourir son père dans mes bras... et sa mère... ailleurs. J’ai été son camarade d’étude, son frère d’armes, son mentor... Ah ! ce sont là des titres.

MADAME DE LANJOIE.

Vous avez toujours raison... Allons, je tâcherai d’aimer à mon tour votre ami, de lui pardonner tout le temps de bonheur qu’il me vole. Pourtant, prenez garde à cette connaissance-là. Tant que je ne l’aurai pas vu, que je ne pourrai juger de lui que par les récits que vous m’en faites, j’en aurai peur.

CHAMVILLERS.

Soyez tranquille... un de ces jours, il faudra bien que je l’amène à vos pieds, mort ou vif !

MADAME DE LANJOIE.

À la bonne heure !... Ah ! dites-moi, j’ai prévenu le notaire qui doit dresser notre contrat... Il sera ici à quatre heures.

CHAMVILLERS.

Que vous êtes bonne !

MADAME DE LANJOIE.

Et maintenant, je vais achever ma toilette.

Air de La Méduse.

Je voudrais être assez jolie
Pour que chacun pût m’admirer.

CHAMVILLERS.

Pour cela, sans coquetterie,
Il suffira de vous montrer.

Ensemble.

CHAMVILLERS.

Moi je vous trouve si jolie,
Que chacun doit vous admirer ;
Pour plaire sans coquetterie,
Vous n’avez donc qu’à vous montrer.

MADAME DE LANJOIE.

Il prétend que je suis jolie,
Et que chacun doit m’admirer ;
Pour plaire sans coquetterie,
N’aurai-je donc qu’à me montrer ?

Elle sort.

 

 

Scène IV

 

CHAMVILLERS, seul

 

Ah ! respirons un peu... C’est qu’en vérité je n’ai plus un moment à moi... tant de choses à prévoir, tant de mensonges à colorer, et de plus, une rupture à ménager avec une danseuse de l’Opéra, le corps de ballet à mettre à la raison... Ah ! ma foi ! l’entreprise était au-dessus de mes forces, et cent fois j’aurais renoncé à la main de Madame de Lanjoie, si le hasard, ou plutôt ce livre précieux

Il tire un livre de sa poche.

ne fût venu procréer à mon bénéfice mon ami Cambiac, ce personnage imaginaire qui, jusqu’à ce jour, a endossé mes iniquités avec tant de bonne grâce. Le voilà, ce cher conseiller qui ne me quitte plus... Tout mon ami Cambiac est là... en quelques lignes.

Lisant.

« Cliton est un ami précieux, son dévouement est sans bornes, son manteau vous couvre en tout temps. Avez-vous mérité quelque blâme ? Cliton le détourne sur lui ; vous faut-il une excuse, un faux-fuyant ? il est toujours là pour vous en servir... Un jour vous manquez le rendez-vous de votre maîtresse, c’est Cliton qui vous a retenu ; le lendemain, vous avez un duel, c’est pour Cliton que vous vous battiez. Ainsi de suite. Cliton est un homme de paille qui absorbe vos fautes et fait votre réputation en défaisant la sienne. » Quel trait de lumière !... Depuis deux ans, prétendu en titre de Madame de Lanjoie, je me voyais condamné près d’elle à toutes les assiduités d’un époux... sans en avoir les bénéfices. La chaîne était lourde, il fallait l’alléger. Un Cliton me devenait indispensable, j’inventai mon ami Cambiac, excellent camarade, qui, dès lors, assuma sur sa tête toutes les menues peccadilles de ma vie de garçon... J’espère que c’est ingénieux !...

Montrant le volume.

Décidément, La Bruyère est un grand homme !...

Il remet le livre dans sa poche.

Hein ! qu’est-ce que ce papier ?... « Signification de prise de corps. » Diable ! « À la requête de... »

Il le déchire.

A-t-on vu cet animal de Billaudin, qui, sous prétexte que je lui dois quelques milliers d’écus, perdus au pharaon, me menace de la prison !... Au reste, quand il saura que j’épouse Madame de Lanjoie... car tout le monde l’ignore encore, elle a voulu que notre mariage restât secret jusqu’à la signature du contrat...

 

 

Scène V

 

ADELINE, JULIEN, CHAMVILLERS

 

ADELINE, introduisant Julien.

Entrez donc, M. Julien, voici votre maître.

JULIEN.

Une lettre très pressée pour...

CHAMVILLERS, lisant la suscription.

Pour mon ami Cambiac, c’est bien...

Julien et Adeline sortent après avoir ouvert.

L’écriture d’Olympia !... Comme j’ai bien fait de donner l’ordre à mon domestique de ne m’apporter ici mes lettres qu’après les avoir soigneusement revêtues d’une enveloppe avec suscription : « À M. de Cambiac. »

Lisant.

« Monstre ! » C’est bien d’elle. « La vérité m’est enfin connue... c’est pour en épouser une autre que vous avez voulu me planter là... Si, dans une heure, vous n’êtes pas venu vous justifier de cette infamie, je vais vous relancer jusque chez ma rivale... » Ah ! mon Dieu ! tout serait perdu !... « Votre amie pour la vie, Olympia. » Mais comment a-t-elle pu savoir ?... Eh ! mon Dieu ! est-ce que les femmes ne savent pas tout !... C’est qu’elle est capable de venir... je la connais... une tête... Allons, il n’y a pas d’autre moyen, il faut absolument que je la voie, que je lui fasse entendre raison... Mais comment m’éloigner d’ici maintenant ?... où trouver un prétexte honnête ?... car Madame de Lanjoie va venir tout à l’heure, tout de suite...

Cherchant.

Eh mais, pourquoi pas ?...

Il se met à la table placée à droite, et écrit.

« Ma chère amie, une lettre que je reçois de mon ami Cambiac m’oblige à vous quitter pour un instant... Victime d’un accident affreux... »

Parlé.

Quel accident ?... Ah ! je le trouverai plus tard.

Écrivant.

« Victime d’un accident affreux il m’écrit peut-être à son lit de mort !... J’y cours, et reviens en toute hâte... Plaignez-moi ! » Là, voilà ce que c’est...

Appelant.

Adeline !

 

 

Scène VI

 

CHAMVILLERS, BILLAUDIN

 

BILLAUDIN, entrant, à part.

Chamvillers ! ah ! diable !

CHAMVILLERS.

Ah ! ah ! c’est vous, Billaudin... À propos, j’ai eu de vos nouvelles.

Appelant.

Adeline !

BILLAUDIN.

Ah ! oui... vous avez reçu. ..Que voulez-vous ? il faut bien se mettre en règle... mais, quant à l’exécution...

CHAMVILLERS.

C’est bien, nous recauserons de ça... Tenez, vous qui allez voir Madame de Lanjoie, chargez-vous de ce billet pour elle... je suis pressé, et...

BILLAUDIN.

Avec plaisir, comment donc !

CHAMVILLERS.

Au revoir, Billaudin.

Il sort.

BILLAUDIN, à part.

Il s’en va !...

Haut.

Sans rancune, Chamvillers.

 

 

Scène VII

 

BILLAUDIN, puis MADAME DE LANJOIE

 

BILLAUDIN, seul.

Allons, allons, il prend bien la chose. Le fait est que ce n’est qu’une simple précaution... Je me suis dit : Chamvillers est un gaillard qui ne se laisse pas marcher sur le pied, s’il s’aperçoit que je courtise Madame de Lanjoie, la veuve de céans, que je suis en train de compromettre, il voudra se battre avec moi... Il me tuera ! je suis sûr de mon affaire... Alors, voilà ma ruse... j’avais sa signature, il ne pouvait pas me payer, j’ai pris jugement contre lui, et maintenant...

Air de Partie et Revanche.

   S’il apprend que pour sa maîtresse
   J’éprouve un tendre sentiment ;
   Si, dans sa fureur vengeresse,
   Il poursuivait mon châtiment,
   Je lui procure un logement ;
   Sa rage ainsi sera trompée.
   Je me moque de son courroux.
   Contre moi, s’il tire l’épée,
   Sur lui, je tire les verrous.

Parlé.

Et voilà ma ruse.

MADAME DE LANJOIE, entrant.

Eh bien ! où est-il donc ?...

Apercevant Billaudin et saluant.

M. Billaudin...

BILLAUDIN.

Salut à la plus belle des marquises !

MADAME DE LANJOIE, vivement.

Merci, merci... Vous n’avez pas vu M. de Chamvillers ?

BILLAUDIN.

Je l’ai trouvé ici ; il m’a même chargé de vous remettre ce billet, en sortant.

MADAME DE LANJOIE, prenant le billet.

Il est sorti ?...

Lisant, à part.

Cambiac ! toujours son ami Cambiac !...

Avec impatience.

C’est insupportable !

BILLAUDIN.

Ce billet paraît vous contrarier ?

MADAME DE LANJOIE.

Ça ?... Oh ! ce n’est rien... une personne sur laquelle je comptais, et qui me manque.

BILLAUDIN.

Ah !... Eh bien ! en revanche, vous avez été sur le point de recevoir une visite à laquelle vous ne vous attendiez guère.

MADAME DE LANJOIE.

Comment ?

BILLAUDIN.

Une aventure assez originale qui vient de m’arriver, un assez bon tour que j’ai joué à un importun.

MADAME DE LANJOIE, avec intention.

Ah ! vous n’aimez pas les importuns ?

BILLAUDIN.

Moi ! sitôt que j’en vois un, je me sauve.

MADAME DE LANJOIE.

Mais, vous avez beau faire, il arrive toujours en même temps que vous, n’est-ce pas ?

BILLAUDIN, sans comprendre.

Ah ! ah ! ah ! c’est un mot charmant !... Figurez-vous, marquise, que je viens d’écraser un petit jeune homme.

MADAME DE LANJOIE.

Ah ! mon Dieu !

BILLAUDIN.

Quand je dis moi, mes chevaux... Je sortais de chez mon procureur... pour une petite contrainte par corps... oui, un ami qui me doit... mais il ne s’agit pas de cela... Je venais vous voir, c’est assez vous dire que j’avais recommandé à mon cocher d’aller ventre à terre...

Après une pause, appuyant.

Je venais vous voir, c’est assez vous dire que j’avais recommandé à mon cocher...

MADAME DE LANJOIE, l’interrompant.

D’aller ventre à terre... Après ?

BILLAUDIN.

Voilà qu’au détour de la place Royale, j’entends un cri ; je mets la tête à la portière, et je vois un homme renversé. Je lui crie : « Ah çà ! monsieur prenez donc garde, vous gênez la circulation... » Il était sans connaissance... Alors je descends, et j’aperçois un jeune homme de très bonne mine, ma foi ! l’air gentilhomme... Je le fais transporter dans mon carrosse, et là, je lui prodigue tous les soins d’une mère. Je lui tape dans les mains, je lui fourre des clés dans le dos... bref, il revient à lui, et me demande : Où suis-je ? Je lui réponds : Billaudin. Il paraît sensible à ma courtoisie, et bientôt la connaissance s’établit. Il venait dans ce quartier, je lui offre une place dans mon carrosse. En route, il me demande chez qui je vais : Chez Madame de Lanjoie, lui dis-je. – Chez Madame de Lanjoie ! s’écrie-t-il, vous connaissez Madame de Lanjoie ? Oh ! que je vous remercie de m’avoir écrasé... vous allez m’y présenter.

MADAME DE LANJOIE.

C’est extraordinaire !

BILLAUDIN.

Naturellement, je refuse... S’il fallait présenter tous ceux qu’on écrase... Il insiste, il s’entête, et je voyais le moment où j’allais être forcé de l’amener ici malgré moi. Alors il me vint une idée, une idée que vous trouverez fort jolie... Je feins de consentir, puis, comme il ne connaissait pas votre adresse, je lui persuade qu’avant de me présenter chez vous, j’allais m’arrêter un moment pour faire relever ma coiffure... Je tire le cordon, mon cocher s’arrête, je descends, et me voici. Comment trouvez-vous mon idée ?

MADAME DE LANJOIE.

Fort spirituelle !

BILLAUDIN.

N’est-ce pas ? Pour les plaisanteries, je suis unique !

MADAME DE LANJOIE.

Mais pourquoi n’avoir pas consenti ?

BILLAUDIN.

Oh ! c’eût été d’une inconvenance... Et puis, servir de patron à un jeune homme que je connais à peine... Il est vrai qu’il est d’une très bonne famille... C’est un Cambiac.

MADAME DE LANJOIE.

Il se nomme Cambiac ?

BILLAUDIN.

Vous le connaissez ?

MADAME DE LANJOIE.

Non... j’ai beaucoup entendu parler d’un jeune homme de ce nom, mais il est probable que ce n’est pas le même.

BILLAUDIN.

Oh ! il n’y en a pas deux... il est le dernier de sa famille, le seul de son nom.

MADAME DE LANJOIE.

Un mauvais sujet, n’est-ce pas ? un cerveau brûlé ?

BILLAUDIN.

Et un obstiné... Il a bien l’air de tout cela.

MADAME DE LANJOIE, à part.

Cette coïncidence avec l’accident que m’annonce M. de Chamvillers... Plus de doute. C’est lui... Quelle occasion... Ah ! monsieur de Cambiac, je vous tiens !...

BILLAUDIN.

Mais, c’est assez nous occuper de ce gentilhomme.

MADAME DE LANJOIE, l’interrompant.

Pardon...

Elle sonne.

Un ordre à donner... Vous permettez ?

BILLAUDIN.

Faites, Madame...

À part.

Elle est d’une humeur charmante, j’ai bien envie de risquer la déclaration.

Adeline est entrée ; Madame de Lanjoie lui a parlé à l’oreille pendant l’aparté de Billaudin. Adeline sort.

MADAME DE LANJOIE, à part.

Il faut absolument que j’éloigne Billaudin.

BILLAUDIN, avec expansion.

Madame... depuis longtemps...

MADAME DE LANJOIE, à part.

Comment faire ?

BILLAUDIN, de même.

Madame... depuis fort longtemps...

MADAME DE LANJOIE, de même.

Ah !...

Haut.

Depuis fort longtemps, vous m’avez promis des vers pour mes tablettes, monsieur Billaudin ; je les attends toujours.

BILLAUDIN, à part.

Quel à-propos !...

Haut.

Vous ne les attendrez plus, belle dame, car les voici.

Il lui présente un papier.

MADAME DE LANJOIE, à part.

Et moi qui espérais...

Haut.

Voyons...

Elle prend le papier.

BILLAUDIN.

Vous y trouverez l’expression bien timide d’un sentiment qui, pour être concentré, n’en est pas moins... au contraire.

MADAME DE LANJOIE, après avoir lu.

Charmants, en vérité, charmants !... Nous les enverrons au Mercure... Boufflers en séchera de dépit.

BILLAUDIN.

Qu’il sèche !... laissons-le sécher.

MADAME DE LANJOIE.

Je me permettrai pourtant une petite critique... Voyez donc ce vers...

BILLAUDIN.

Un alexandrin, un vers de douze pieds.

MADAME DE LANJOIE.

Je crains bien qu’il n’en ait treize.

BILLAUDIN.

C’est possible.

Air de Voltaire chez Ninon.

Au moins, rendez grâce à l’effort
Tenté par mon pauvre génie ;
Rarement on a mis d’accord
L’amour avec la prosodie.
Le poète, en chantant vos vertus,
Votre esprit et votre figure,
A bien pu mettre un pied de plus...
Puisqu’il vous aime outre mesure.

MADAME DE LANJOIE.

Vous êtes galant... mais il faudra retoucher ce vers-là.

BILLAUDIN.

Tout de suite, si vous voulez.

MADAME DE LANJOIE.

Eh bien ! c’est cela... Je vais vous installer dans ma bibliothèque, et vous pourrez y rêver à loisir.

BILLAUDIN.

Tant de bonté...

À part.

Ça va bien, ça va très bien !... Ce que c’est que la poésie...

Il va pour entrer, et revient.

À propos, et mon jeune homme qui m’attend.

MADAME DE LANJOIE.

Bah ! il se lassera d’attendre, et s’en ira.

BILLAUDIN.

C’est parfaitement juste.

Billaudin s’approche de la porte de droite. Près d’entrer, il se retourne.

Trouverai-je un Dictionnaire de rimes ?

MADAME DE LANJOIE.

Vous en trouverez deux.

BILLAUDIN.

Oh ! alors...

À part.

Voilà ma déclaration lancée... le reste doit aller comme sur des roulettes.

Il sort.

MADAME DE LANJOIE.

Un vers à composer, cela me laisse une heure de libre.

Elle sort à gauche.

 

 

Scène VIII

 

ADELINE, CAMBIAC

 

ADELINE, l’introduisant.

Par ici, monsieur, par ici.

CAMBIAC.

Mais pourquoi ce mystère ? Et puis-je savoir au moins...

ADELINE.

Je ne puis rien vous dire.

CAMBIAC.

Mais encore...

ADELINE.

Ma maîtresse répondra à toutes vos questions.

Elle sort à gauche.

 

 

Scène IX

 

CAMBIAC, seul

 

Ah çà ! mais, c’est du roman espagnol tout pur... j’étais là à me morfondre dans la voiture de ce gros financier, lorsqu’une gracieuse soubrette vient me tirer par la manche et me dire : Monsieur, ma maîtresse vous demande un moment d’entretien. – Son nom ? – Elle vous le dira. – Sa demeure ? – Suivez-moi. Et la voilà qui me conduit par un escalier mystérieux jusqu’à cet appartement... Ma foi ! voyons l’aventure jusqu’au bout et puisque décidément ce monsieur au carrosse s’est joué de moi en me faisant espérer de me conduire chez Madame de Lanjoie, cherchons ici une distraction à ce souvenir qui me poursuit partout... Oh ! Madame de Lanjoie ! Madame de Lanjoie ! ange qui m’êtes apparue une seule fois pour laisser au fond de mon cœur une trace ineffaçable, si jamais j’ai le bonheur de mettre un pied chez vous... Mais, je crois entendre... oui, on vient... je vais savoir enfin...

Il aperçoit Madame de Lanjoie.

Que vois-je ? Madame de Lanjoie !... Oh ! mon étoile !

 

 

Scène X

 

MADAME DE LANJOIE, CAMBIAC

 

MADAME DE LANJOIE, entrant.

Ah ! enfin, monsieur, je me trouve donc en face de vous... Il y a bien longtemps que je le désirais.

CAMBIAC, à part.

Un tel début...

Haut.

Croyez, Madame...

MADAME DE LANJOIE.

Prenez, je vous prie, place sur cette bergère ; vous devez vous ressentir un peu de votre chute.

CAMBIAC.

Comment, vous savez ?... Oh ! ce n’est rien, absolument rien.

MADAME DE LANJOIE.

Voulez-vous prendre quelque chose ?... un verre d’alicante, cela vous remettra tout à fait.

Elle va pour sonner.

CAMBIAC, l’arrêtant.

Non, Madame, non... je me sens parfaitement bien.

MADAME DE LANJOIE.

Je n’insiste pas... Et d’abord, monsieur, j’ai un pardon à vous demander. Veuillez ne pas m’en vouloir du mystère dont je me suis entourée pour vous amener jusqu’à moi... Je savais être pour vous l’objet d’une sorte de prévention, et pour être sûre de votre empressement, je me suis adressée à votre curiosité.

CAMBIAC, à part.

Que veut-elle dire ?...

Haut.

Mon Dieu ! Madame, je suis si peu préparé contre un pareil reproche, que vous me voyez confondu, anéanti du bonheur...

MADAME DE LANJOIE, riant aux éclats.

Ah ! ah ! ah ! mille pardons !... C’est que vous êtes si singulier quand vous faites des phrases... ah ! ah ! ah ! Avec votre air cérémonieux... si je ne vous connaissais pas... Voyons, point de façons, reprenez vos man

ières habituelles... c’est le premier article du traité de paix que je viens vous proposer.

CAMBIAC.

Je ne sache pas, Madame, que nous ayons déjà été en guerre, et je vous répète au contraire que mon vœu le plus ardent fut toujours d’être au nombre de vos amis.

MADAME DE LANJOIE.

Je vous prends au mot... C’est aujourd’hui, vous le savez, que je signe mon contrat de mariage avec M. de Chamvillers.

CAMBIAC, à part.

Elle se marie !

MADAME DE LANJOIE.

J’avais espéré qu’aujourd’hui au moins je pourrais disposer de lui sans concurrence, eh bien ! non, son amitié pour vous l’emporte encore sur les préoccupations d’un pareil jour ; et ce matin, à la seule nouvelle de l’accident qui vous est arrivé, il a tout quitté, tout oublié.

CAMBIAC, à part.

Décidément il y a méprise.

MADAME DE LANJOIE.

Je n’ai donc plus qu’un moyen de le retenir près de moi, c’est d’enchaîner à mes côtés celui qui cause ses distractions.

Air des Frères de lait.

L’hymen, dit-on, est un rude esclavage,
Pour votre ami, je voudrais l’embellir ;
Mais, seule, hélas ! faible et sans patronage,
Je ne pourrais jamais y parvenir ;
À mon secours, monsieur, daignez venir.
Et lorsque enfin d’une liberté vaine
Il n’aura plus le brillant horizon,
Nous serons deux pour alléger sa chaîne
Et lui faire aimer sa prison.

CAMBIAC.

Je le voudrais, Madame... cependant...

À part.

Il y a des gens qui profiteraient de la circonstance.

MADAME DE LANJOIE.

Allons, un dernier effort. Promettez-moi de ne pas songer à sortir d’ici avant que M. de Chamvillers n’ait signé le contrat.

CAMBIAC.

Mais, Madame...

MADAME DE LANJOIE.

C’est dit ? vous consentez à être mon prisonnier sur parole ?

CAMBIAC.

Votre prisonnier !... Que ne puis-je, Madame, profiter du bonheur que vous m’offrez !... Mais, avant tout, est-ce bien à moi, est-ce bien à M. de Cambiac que vous faites cette proposition ?

MADAME DE LANJOIE, familièrement.

Mais, oui, mon cher M. de Cambiac, c’est bien à vous... vous êtes ici, et vous y resterez bon gré, mal gré.

CAMBIAC, à part.

Au fait, je ne sais pas pourquoi je m’obstinerais.

Haut.

Vous le voulez ?... il est bien entendu que c’est vous qui m’en priez... qui m’en suppliez ?... Eh bien ! oui, je reste... je m’installe... je ne sors plus d’ici !

MADAME DE LANJOIE.

Vous m’en donnez votre parole ?

CAMBIAC.

Ma parole de gentilhomme.

MADAME DE LANJOIE.

À la bonne heure ! je vous retrouve.

Montrant la porte du fond, à droite.

Voici votre chambre.

CAMBIAC.

Ah !... j’aurai ma chambre ?

MADAME DE LANJOIE.

Celle qu’habite mon frère le colonel lorsqu’il vient à Paris... Vous y trouverez des livres... ce n’est guère votre affaire... Mais, ce qui vaut mieux que tout cela, de vieux flacons, du tabac d’Espagne... et un balcon à dévisager toutes les jolies promeneuses de la place Royale.

CAMBIAC.

Mais, Madame...

À part.

Ah ! çà, pour qui me prend-elle ?

MADAME DE LANJOIE.

Je vais aussi vous faire servir à déjeuner... un très bon déjeuner... je sais que vous n’y êtes pas indifférent.

CAMBIAC.

Ah ! vous savez...

MADAME DE LANJOIE.

Il faut bien que je rende votre captivité aussi douce que possible... Et, maintenant, allez, venez, faites comme chez vous... je ne vous retiens pas.

CAMBIAC.

Allons, soit, je vais me retirer... chez moi...

À part.

Comment tout cela finira-t-il ?

MADAME DE LANJOIE.

Air : Valse de Giselle.

À mon désir que votre humeur se prête,
Soyez ici sans gêne et sans façon ;
Car je prétends, monsieur, que l’on vous traite
Comme un ancien ami de la maison.

CAMBIAC.

   Moi, votre ami ! Combien vous êtes bonne,
   Et qu’à mon cœur ce titre est précieux !
   Lorsque surtout votre bouche le donne :
   Oui, c’est beaucoup.

À part.

                                                   Mais on peut avoir mieux.

Ensemble.

CAMBIAC.

À son désir aisément je me prête ;
Oui, je serai sans gêne et sans façon ;
Laissons-nous faire, et qu’ici l’on me traite
Comme un ancien ami de la maison.

Il sort au fond, à droite.

MADAME DE LANJOIE.

À mon désir que votre humeur se prête, etc.

 

 

Scène XI

 

MADAME DE LANJOIE, seule, puis CHAMVILLERS

 

MADAME DE LANJOIE.

Dirait-on jamais que ce M. de Cambiac est un homme affreux !... Eh bien ! moi je ne m’y serais pas laissé prendre, j’aurais deviné tout de suite à son air...

CHAMVILLERS, à part, en entrant.

Olympia n’était pas chez elle... Je suis dans des transes !...

MADAME DE LANJOIE.

Ah ! enfin !... vous voici... je vous attendais avec une impatience... Eh bien ! votre ami Cambiac, vous ne l’avez pas rencontré ?

CHAMVILLERS.

Comment savez-vous ?...

À part.

Au fait, j’aime mieux ne l’avoir pas rencontré.

MADAME DE LANJOIE.

Tenez, comme vous avez couru ! vous êtes encore tout essoufflé... Si cela est raisonnable !... Ah ! vous ne feriez pas pour moi le quart de ce que vous faites pour cet ami-là.

CHAMVILLERS.

Que voulez-vous, chère amie, je n’ai pas été maître d’un premier mouvement... Savoir que la vie de Cambiac était en danger, et ne pas courir à son secours... Ah !...

MADAME DE LANJOIE.

Rassurez-vous... ce n’était rien... Il se porte maintenant à merveille !

CHAMVILLERS.

Hein ?

MADAME DE LANJOIE.

Une chute sans gravité... depuis une heure il n’y pense plus.

CHAMVILLERS.

Comment !

À part.

Que signifie...

MADAME DE LANJOIE.

Cela vous étonne que je sois si bien instruite ?

CHAMVILLERS.

Mais... oui... j’avoue que je ne m’attendais pas...

MADAME DE LANJOIE.

Je vais vous étonner bien davantage... mon ami, je vous ai ménagé une surprise.

CHAMVILLERS.

Ah !... vous m’avez ménagé...

MADAME DE LANJOIE, confidentiellement.

Il est ici.

CHAMVILLERS.

Qui ?

MADAME DE LANJOIE.

Votre ami Cambiac.

CHAMVILLERS.

Ah ! bah !

MADAME DE LANJOIE.

Lui, qui semblait avoir juré de n’y jamais mettre les pieds.

CHAMVILLERS, à part.

Est-ce qu’elle se moquerait de moi ?

MADAME DE LANJOIE.

Dans cette chambre... il vous attend... Je vous conterai cela... un hasard, une rencontre... c’est très original. Oh ! nous sommes maintenant les meilleurs amis du monde. À propos, je l’ai invité à déjeuner, et je vais donner les ordres nécessaires... Cela vous fait plaisir, n’est-ce pas ?

CHAMVILLERS, étourdi.

Certainement, certainement.

MADAME DE LANJOIE.

Eh bien ! vous restez là ?... Mais vous devriez déjà vous être précipité dans ses bras... Allons... allons donc... que je vous retrouve ensemble... Moi, je vais achever sa conquête... à l’office.

Elle sort par le fond.

 

 

Scène XII

 

CHAMVILLERS, puis CAMBIAC

 

CHAMVILLERS, seul.

Ah çà, ah çà, voyons donc !... Est-ce que je rêve ?... Cambiac, mon ami Cambiac, cet être imaginaire que j’ai créé dans un jour de folie pour endosser, au besoin, mes escapades... Est-ce qu’il prendrait aujourd’hui une forme, une couleur ?... Oh ! non, c’est impossible ! Elle aura découvert le mensonge et veut se jouer de moi.

On entend du bruit.

Du bruit dans cette chambre !... Quelque intrigant peut-être, qui profitant de mon stratagème...

CAMBIAC, entrant, en robe de chambre.

Ma foi, puisque la jolie veuve m’a recommandé le sans-gêne, je veux lui montrer du moins que j’ai suivi ses ordres à la lettre.

Apercevant Chamvillers.

Ah ! ah ! c’est sans doute le prétendu.

CHAMVILLERS, à part.

Une pareille tenue... Par exemple, c’est trop fort !

Ils échangent un salut.

CAMBIAC.

Est-ce à M. de Chamvillers que j’ai l’avantage de parler ?

CHAMVILLERS, sèchement.

À lui-même, monsieur.

CAMBIAC.

Enchanté, monsieur, de faire votre connaissance... Je vous demande bien pardon de me présenter à vous sous ce costume... mais les circonstances...

CHAMVILLERS.

Il est vrai, monsieur, que si quelqu’un doit s’en formaliser ici...

CAMBIAC.

C’est vous... Je l’accorde... mais, quand vous saurez par quelle bizarre aventure...

CHAMVILLERS.

D’abord, monsieur, en vous disant mon nom...

CAMBIAC.

Pardon, monsieur, vous ne me l’avez pas dit ; je l’ai deviné.

CHAMVILLERS.

N’importe. Vous connaissez mon nom ; cela doit vous engager à décliner le vôtre.

CAMBIAC.

Comment ! Madame de Lanjoie ne vous a pas dit... Elle le sait très bien, elle, mon nom, parfaitement.

CHAMVILLERS.

Elle m’a dit, monsieur, que vous vous étiez présenté ici...

CAMBIAC.

Je vous demande bien pardon encore, monsieur, je ne me suis pas présenté... on est venu me chercher... C’est bien là ce qui m’étonne le plus.

CHAMVILLERS.

Trêve de plaisanterie, monsieur... vous vous êtes fait passer ici pour un M. de Cambiac...

CAMBIAC.

C’est vrai, monsieur, mais j’avais mes raisons pour cela.

CHAMVILLERS.

Vos raisons !

CAMBIAC.

Une entre autres, qui, j’espère, vous semblera bonne : c’est que je me nomme, en effet, de Cambiac.

CHAMVILLERS.

C’est impossible !

CAMBIAC.

Et pourquoi donc ?... Il me semble n’avoir émis aucun doute sur l’existence des Chamvillers.

CHAMVILLERS.

De Cambiac, de Cambiac... c’est un nom d’invention, un nom fait à plaisir.

CAMBIAC, ironiquement.

Vous croyez ?...

Air : Connaissez mieux le grand Eugène.

Cependant, bien avant mon père,
Mon bisaïeul l’avait porté ;
Je crois même qu’en mainte affaire
Avec honneur il fut cité.
Voilà ma généalogie :
Si j’avais cru, sur les chemins,
Rencontrer votre seigneurie,
J’aurais pris tous mes parchemins.

CHAMVILLERS, avec vivacité.

Eh ! monsieur !...

CAMBIAC, l’interrompant.

Pardon... Je n’ajouterai plus qu’un mot.

Sévèrement.

C’est qu’à l’exemple de mes ancêtres, je n’eus jamais l’habitude de laisser élever deux fois un doute sur la véracité de mes paroles.

CHAMVILLERS, à part.

Serait-il vrai ?

 

 

Scène XIII

 

CAMBIAC, CHAMVILLERS, BILLAUDIN

 

BILLAUDIN, lisant un papier.

Là !... dix, onze et douze... Cette fois, le compte y est ; je me suis élagué.

CHAMVILLERS.

Que faites-vous donc là, Billaudin ?

BILLAUDIN.

J’achevais un petit impromptu, une boutade...

CAMBIAC.

Tiens ! l’homme au carrosse !

BILLAUDIN.

Tiens !... comment ! c’est vous ?

CHAMVILLERS.

Vous connaissez Monsieur ?

BILLAUDIN.

Certainement... beaucoup... le dernier des Cambiac.

Bas.

J’ai manqué de le tuer.

CHAMVILLERS.

Comment ! vous ?

BILLAUDIN.

Oui, une rencontre...

À part.

en carrosse.

CHAMVILLERS, à part.

Plus de doute !... Il faut le ménager, car si Madame de Lanjoie venait à savoir...

Haut.

Mais c’est aussi un des mes meilleurs amis... un peu étourdi... un peu jeune... mais toujours prêt à rendre service quand l’occasion s’en présente.

Bas à Cambiac.

Ne me démentez pas.

CAMBIAC, à part.

Quel changement !

BILLAUDIN.

Oh ! je ne m’étonne plus alors...

À part.

C’est Chamvillers qui l’aura présenté.

À Cambiac.

Ah çà ! vous ne m’en voulez pas pour la petite espièglerie...

CAMBIAC.

Par exemple !

CHAMVILLERS, à part.

C’est Billaudin qui l’a introduit ici.

CAMBIAC.

Eh bien ! mes chers amis,

À part.

que je ne connais pas...

Haut.

puisque nous voici tous trois réunis, permettez-moi de vous inviter à prendre votre part d’un excellent déjeuner que j’attends.

CHAMVILLERS, à part.

On dirait qu’il fait les honneurs de la maison.

BILLAUDIN, à part.

Il a l’air d’être ici comme chez lui. Et cette robe de chambre... ça me chiffonne.

CAMBIAC.

Vous acceptez ?

CHAMVILLERS, à part.

Il faut jouer mon rôle.

Haut.

Parbleu ! ce n’est pas avec toi, Cambiac, que je ferai des façons.

Il lui serre la main.

BILLAUDIN, même jeu.

Parbleu ! ce n’est pas avec toi, Cambiac que je... Mais je suis obligé de vous quitter... on m’attend chez la petite comtesse de la Vrillière, une enfant que je suis en train de compromettre... Nous devons ce matin répéter le duo de Castor et Pollux sur la harpe... C’est moi qui fais Castor... sur la harpe.

CAMBIAC.

À votre aise. Il ne faut pas se gêner avec ses intimes.

BILLAUDIN, à part.

Je suis très ennuyé de partir sans avoir remis mon impromptu avec la variante ; mais je reviendrai.

Haut.

Au revoir donc, mes chers petits roués.

Regardant Cambiac en sortant.

Je ne peux pas digérer cette robe de chambre.

Il sort.

 

 

Scène XIV

 

CHAMVILLERS, CAMBIAC

 

CAMBIAC.

Maintenant que nous sommes seuls, me direz-vous, monsieur, le secret de cette comédie ?...

CHAMVILLERS.

Je vous dirai tout, monsieur, car je suis convaincu de votre loyauté... Et, d’abord, permettez-moi de rétracter ce qui, dans mes paroles de tout à l’heure, aurait pu vous paraître offensant.

CAMBIAC.

À la bonne heure, et, puisque nous voilà sur le pied d’une mutuelle bienveillance, apprenez-moi donc pourquoi Madame de Lanjoie m’a salué, en entrant ici, du titre de votre ami... Je voulais la désabuser...

CHAMVILLERS, vivement.

Vous ne l’avez pas fait, au moins ?

CAMBIAC.

Impossible !... Ma foi, quand j’ai vu que cela lui faisait tant plaisir...

CHAMVILLERS.

Ah ! c’est bien, cela... c’est très bien !... Touchez là, monsieur, vous êtes mon bon ange, mon sauveur.

CAMBIAC.

En vérité ?

CHAMVILLERS.

Ah ! c’est que vous ne savez pas tout ce que je vous dois et... tout ce que vous me devez.

Air.

Sans me connaître, en mainte circonstance,
Pour m’assister vous vîntes à ma voix :
Moi, j’ignorais jusqu’à votre existence ;
Sans moi, pourtant, vous seriez mort vingt fois !
Bien mieux encore, ma tendresse éprouvée
Vous ménagerait l’accueil le plus flatteur :
Je vous servais ici d’introducteur
Longtemps avant votre arrivée.

CAMBIAC.

Ah çà ! quel amphigouri me faites-vous là ?

CHAMVILLERS.

C’est que la chose est assez difficile à expliquer... Figurez-vous... Au fait, tenez, vous comprendrez mieux en lisant ceci vous-même.

Il tire le livre de sa poche et le donne à Cambiac.

Page 35... Là... Cliton...

Cambiac lit.

Ça va le mettre au courant.

CAMBIAC, après avoir lu.

Ah bien !... très bien... c’est moi qui suis Cliton.

CHAMVILLERS.

Précisément.

CAMBIAC.

Mais pourquoi moi plutôt qu’un autre ?

CHAMVILLERS.

Eh ! mon Dieu ! le hasard... votre nom, un joli nom, ma foi, me vint sur la langue un jour qu’il me fallait expliquer à Madame de Lanjoie une chose inexplicable... et dès lors...

CAMBIAC.

Je vois cela d’ici, vous fîtes du dernier des Cambiac votre éditeur responsable.

CHAMVILLERS.

Je vous en demande mille pardons... mais pouvais-je deviner aussi...

CAMBIAC.

Non cela ne se pouvait pas...

Il dépose le livre ouvert sur la table.

Ah çà ! mais, comme cela, Madame de Lanjoie a de moi une opinion...

CHAMVILLERS, riant.

Détestable.

CAMBIAC, sérieusement.

C’est charmant !

CHAMVILLERS.

Et puisque j’ai le bonheur de trouver en vous un homme qui comprend les folies de jeunesse... j’espère que vous voudrez bien...

CAMBIAC.

Continuer mon rôle... Comment donc !mais avec grand plaisir.

À part.

Ah ! mes chers ancêtres, je vous dois une réparation !

CHAMVILLERS.

Ainsi, mon ami Cambiac, voilà qui est convenu... Notre affection, pour avoir été pressentie par moi deux ans trop tôt, n’en sera ni moins vive, ni moins franche.

Il lui tend la main.

CAMBIAC, mettant sa main dans la sienne.

Ni moins franche.

Deux domestiques apportent une table servie qu’ils posent à gauche.

CHAMVILLERS, à part.

Je saurai bien me débarrasser de lui quand je serai marié.

CAMBIAC, à part.

S’il croit que je suis sa dupe, il se trompe.

CHAMVILLERS.

Mais il faut que je vous mette un peu au courant de votre personnage ; sans cela, vous pourriez vous couper et...

 

 

Scène XV

 

CHAMVILLERS, MADAME DE LANJOIE, CAMBIAC

 

MADAME DE LANJOIE.

Allons, à table, messieurs...

Apercevant Cambiac en robe de chambre.

Ah ! je savais bien que M. de Cambiac ne tarderait pas à se mettre à son aise.

CAMBIAC.

Excusez-moi... c’est mon ami qui m’a autorisé...

CHAMVILLERS, à part.

Comment, moi !

MADAME DE LANJOIE.

Eh mais ! j’oubliais... et M. Billaudin que j’ai laissé...

Elle montre la bibliothèque.

CAMBIAC, familièrement.

Billaudin ! il vient de partir.

MADAME DE LANJOIE.

Ah !...

À part.

Il se sera impatienté.

Haut.

Allons, messieurs... prenons place.

CAMBIAC, donnant la main à Madame de Lanjoie.

Madame... Oh ! voilà une main qui ferait tourner la tête au roi de France.

Il lui baise la main.

Tu permets, Chamvillers, tu permets...

CHAMVILLERS, à part.

Eh bien ! il ne se gêne pas.

On se met à table.

Je tremble qu’il ne s’embrouille.

Madame de Lanjoie sert, Chamvillers verse à boire.

MADAME DE LANJOIE.

Vous devez avoir de l’appétit monsieur, après une journée si pleine d’émotion.

CHAMVILLERS, vivement.

À ta santé, Cambiac.

CAMBIAC.

À la tienne, Chamvillers... excellent vin ! c’est du bordeaux.

CHAMVILLERS, à Madame de Lanjoie.

Il s’y connaît.

MADAME DE LANJOIE.

Vous aimez le vin de Bordeaux ?

CAMBIAC.

Mais... ce n’est pas que j’aie positivement une préférence bien marquée...

CHAMVILLERS, à Madame de Lanjoie.

Il les aime tous.

À Cambiac.

Mauvais sujet !

CAMBIAC.

Hein ?

CHAMVILLERS.

Oui, oui, on sait que tu aimes le cabaret... la joyeuse compagnie.

MADAME DE LANJOIE, avec intention.

On le sait.

CAMBIAC.

Comment, vous savez... moi ?...

Se rappelant.

Ah ! oui, oui... très bien !

Il renverse une assiette avec son coude que Chamvillers pousse.

Ah ! Madame !... je suis désolé.

CHAMVILLERS, bas à Madame de Lanjoie.

Voilà que ça commence.

MADAME DE LANJOIE.

Faites, mais faites donc !... Est-ce que je ne sais pas bien que toute la douzaine est condamnée ?

CAMBIAC.

La douzaine... vous me croyez donc bien maladroit ?

MADAME DE LANJOIE.

Non, mais... M. de Chamvillers m’a tout dit.

CHAMVILLERS.

Absolument tout.

MADAME DE LANJOIE.

Ainsi, ne vous gênez pas.

CHAMVILLERS.

Ne te gêne pas... Allons, casse, mon ami, casse...

CAMBIAC.

Comment, vous voulez...

MADAME DE LANJOIE.

Cassez, mais cassez donc, puisque je vous en prie...

CHAMVILLERS.

Puisque Madame t’en prie.

CAMBIAC.

Ma foi ! si ça peut vous être agréable...

Il jette plusieurs assiettes par la fenêtre qui se trouve près de lui. Chamvillers et Madame de Lanjoie rient.

MADAME DE LANJOIE.

Vous trouvez donc ça bien amusant ?

CAMBIAC.

Moi ? pas le moins du monde... Et vous ?

CHAMVILLERS.

À ton âge, pourtant, tu devrais bien songer à devenir raisonnable... Fais comme moi, mon ami, marie-toi.

CAMBIAC, regardant Madame de Lanjoie.

J’y ai bien songé... j’ai même en vue certaine personne...

MADAME DE LANJOIE.

Ah ! sans doute, une amie de Mlle votre sœur ?

CAMBIAC.

Ma sœur !...

Signe de Chamvillers.

Oh ! non... Ma sœur ne connaît personne, et personne ne la connaît... enfin, c’est absolument comme si je n’en avais pas.

À part.

C’est très fatigant de déjeuner comme ça.

ADELINE, entrant.

Madame, le notaire vient d’arriver.

CAMBIAC, à part.

Le notaire, déjà !

ADELINE.

Je l’ai fait entrer dans la bibliothèque.

MADAME DE LANJOIE, à Chamvillers.

Voyez-le donc, mon ami, il doit s’entendre avec vous pour les clauses du contrat.

CHAMVILLERS, hésitant.

Mais...

MADAME DE LANJOIE.

Arrangez cela pour le mieux, que nous n’ayons plus qu’à signer.

CHAMVILLERS, à part.

Le laisser seul... il n’a qu’à se trahir.

CAMBIAC.

Va, mon cher, puisque Madame s’en rapporte à toi.

CHAMVILLERS, bas à Cambiac.

Soyez prudent.

CAMBIAC, de même.

Je sais mon rôle.

CHAMVILLERS.

Dans un instant j’ai terminé.

À part, en sortant.

Maudit homme !... je voudrais le voir à cent lieues d’ici !

 

 

Scène XVI

 

CAMBIAC, MADAME DE LANJOIE, puis BILLAUDIN

 

MADAME DE LANJOIE.

Eh bien ! M. de Cambiac, commencez-vous à vous habituer un peu à votre captivité ?

CAMBIAC.

Ah ! Madame, votre présence me la rend si douce, que j’aurais donné volontiers ma liberté de toute la vie, pour un jour, pour une heure seulement de cette prison-là.

MADAME DE LANJOIE.

Vous le dites... mais je parierais qu’au fond vous voudriez déjà que mon contrat fût signé.

CAMBIAC, vivement.

Moi, Madame... Oh ! n’en croyez rien... je me sens si heureux ici... heureux de vous voir, de vous parler, de respirer le même air que vous... que c’est avec une sorte d’effroi que je vois arriver le moment où tout ce bonheur doit s’évanouir.

MADAME DE LANJOIE.

Mais il me semble que ce bonheur, vous pourrez toujours le faire renaître à volonté... Quand votre ami sera devenu mon époux... ne le verrez-vous donc plus ?

CAMBIAC.

Non, Madame. Oh ! non... une séparation éternelle.

MADAME DE LANJOIE.

Comment... et pourquoi ?

CAMBIAC.

Pourquoi ?... parce qu’alors je le détesterai, parce qu’alors, ma vie sera sans but, sans espoir.

MADAME DE LANJOIE.

Je ne vous comprends pas.

CAMBIAC.

Vous ne comprenez pas ?... vous ne comprenez pas que lui une fois marié, marié avec vous, il ne me restera plus que l’isolement et l’ennui.

MADAME DE LANJOIE.

Votre amitié est donc bien exclusive... Comment ! vous seriez à ce point jaloux, et jaloux de moi ?

CAMBIAC.

Non, Madame... de lui...

MADAME DE LANJOIE, à part.

Que dit-il ?

CAMBIAC.

De lui, vous dis-je... de lui qui possédera un trésor de vertu et de beauté qu’un autre peut-être eût mieux mérité, si un dévouement sans bornes et un amour à toute épreuve...

MADAME DE LANJOIE.

De l’amour... vous ! allons, allons, c’est une plaisanterie... M. de Cambiac amoureux !...

CAMBIAC.

Pardonnez cet aveu fait si brusquement... mais les minutes sont précieuses pour celui qui n’a plus qu’un jour, qu’une heure à espérer.

MADAME DE LANJOIE.

Comment, vous parlez sérieusement ?

CAMBIAC.

Vous n’en douteriez pas, Madame, si, depuis le jour où je vous ai aperçue si belle, si gracieuse à la fête donnée par Madame de Sérigny ; si, depuis ce jour, où rapprochés par une contredanse, j’ai senti votre main effleurer la mienne, vous aviez pu juger des mouvements de mon cœur, et savoir quel fut, pendant tout ce temps, sa seule pensée, son unique ambition.

BILLAUDIN, qui a entendu ces derniers mots.

Qu’entends-je ?...

Il se cache derrière les rideaux de la croisée, à gauche, au premier plan.

MADAME DE LANJOIE.

Assez, monsieur, assez... Un pareil langage dans votre bouche... Ah ! c’est affreux ! vous, l’ami de M. de Chamvillers, le trahir à ce point !

CAMBIAC.

Écoutez-moi, Madame, au nom du ciel !... Si vous saviez tout !...

MADAME DE LANJOIE.

Je sais, monsieur, je sais maintenant que vous êtes un homme sans foi et sans loyauté, qui m’avez estimée assez peu pour croire que j’accueillerais des hommages aussi perfides !... Allez, monsieur, allez, c’est une injure pour moi et une honte pour vous !

Elle sort par la gauche.

CAMBIAC, la suivant.

Madame !... Madame !... au nom du ciel !...

 

 

Scène XVII

 

CAMBIAC, BILLAUDIN, toujours caché

 

CAMBIAC.

Impossible de la désabuser, de lui dire... Et puis, après tout, ce Chamvillers qui la trompe si indignement, elle l’aime peut-être... Et pourquoi irais-je lui ôter une illusion qui la rend heureuse ?

BILLAUDIN, à part.

Qu’est-ce qu’il dit ?

CAMBIAC.

Allons, il n’y faut plus penser... quittons cette maison dans laquelle je ne suis entré qu’à l’aide d’un mensonge, et tâchons de tout oublier.

Il rentre dans sa chambre.

BILLAUDIN, seul.

Eh bien ! j’en apprends de belles !... En voilà un petit serpent... ! Et moi qui l’ai réchauffé sur mon sein... en lui fourrant des clés dans le dos... À peine a-t-il ouvert les yeux, que... Et c’est qu’il n’y a pas à dire... c’est un rival dangereux !... jeune, aimable, bien taillé... Eh bien ! et Chamvillers donc !... quand il va savoir... lui, qui l’a introduit... car, moi, je m’en étais défié... Justement, le voici.

 

 

Scène XVIII

 

BILLAUDIN, CHAMVILLERS

 

CHAMVILLERS.

Ah ! c’est vous, Billaudin... Eh bien ! et Madame de Lanjoie, et mon ami Cambiac ?...

BILLAUDIN, à part.

Il l’appelle son ami !

Haut.

Vous le croyez votre ami ?...

CHAMVILLERS.

Comment ?...

À part.

Est-ce qu’il se douterait...

BILLAUDIN.

Je viens de le surprendre à l’instant aux pieds de Madame de Lanjoie...

CHAMVILLERS.

Hein !... aux pieds de...

BILLAUDIN.

Et lui disant de ces choses que je n’ai jamais dites à aucune des femmes... que je suis en train de compromettre.

CHAMVILLERS.

Vous l’avez vu ?

BILLAUDIN.

De mes propres yeux !

CHAMVILLERS.

Oh ! je me vengerai !

BILLAUDIN.

Oh ! oui, nous nous vengerons !

CHAMVILLERS.

Vous ? Mais que vous importe ?

BILLAUDIN.

Ce qu’il m’importe !... Vous voulez m’empêcher d’être sensible à la douleur d’un ami... d’épouser ses chagrins, d’épouser ses querelles, d’épouser... Allons donc ! ça ne se peut pas !

CHAMVILLERS.

Cette affaire ne regarde que moi seul !

BILLAUDIN.

C’est convenu.

CHAMVILLERS.

Eh mais, j’y pense... ces vers, ces mauvais vers que je viens de trouver dans la bibliothèque...

BILLAUDIN, à part.

Mon brouillon ! Aïe ! Aïe !

CHAMVILLERS.

C’était de lui !... Plus de doute, il les lui adressait... Ah ! Monsieur le faquin ! vous avez voulu vous jouer de moi !... Prenez garde !... je vais prendre une revanche éclatante.

BILLAUDIN, à part.

Ah ! mon Dieu ! mais, s’il vient à découvrir...

Haut.

Voyons, voyons... du calme... Il faut voir, ses intentions sont peut-être pures... un poète.

CHAMVILLERS.

Comment ! ses intentions !... mais ne me disiez-vous pas vous-même, tout à l’heure...

BILLAUDIN.

Oui, certainement, sa conduite a été légère... mais ce n’est peut-être qu’un moment d’erreur, un éclair d’imagination... Je connais ça ; c’est terrible, l’imagination... à nos âges !

CHAMVILLERS.

Je vois ce que c’est : vous le défendez, parce que c’est vous qui l’avez introduit ici !

BILLAUDIN.

Hein ! vous dites ?... Comment ! c’est moi... C’est bien vous !

CHAMVILLERS.

Mais, puisque je l’ai trouvé ici... c’est vous !

BILLAUDIN.

Au contraire, puisque je l’avais laissé dans mon carrosse... c’est vous !

CHAMVILLERS.

Mais, je ne le connais pas, moi !

BILLAUDIN.

Ni moi non plus.

CHAMVILLERS.

Comment !... cette rencontre dont vous me parliez...

BILLAUDIN.

Eh ! c’est mon carrosse qui l’a rencontré. Mais, vous-même, cette amitié de vingt ans...

CHAMVILLERS.

Erreur... je l’avais pris pour un autre.

BILLAUDIN.

Mais, alors, c’est un vagabond !

CHAMVILLERS.

Un intrigant sans aveu !

BILLAUDIN.

Ou un bohémien sans guitare !

CHAMVILLERS.

Et je vais, armé de ce griffonnage, lui demander raison.

BILLAUDIN.

Chamvillers !

CHAMVILLERS.

Eh bien !

BILLAUDIN.

Qu’allez-vous faire, mon ami !...

À part.

Cambiac va lui dire que l’impromptu n’est pas de lui, et, alors...

CHAMVILLERS, dramatiquement.

Billaudin !... l’auteur de ces vers ne périra que de ma main !

BILLAUDIN, à part.

Ah ! mon Dieu ! je sens une sueur froide !... Heureusement que j’ai un moyen...

CHAMVILLERS.

Vous serez mon second !

BILLAUDIN.

Soit, je suis votre second, et je vais chercher des armes !

CHAMVILLERS.

Nos épées suffisent !

BILLAUDIN.

Une peut casser... Comprenez bien... Une peut casser... et comme c’est un combat à outrance, il nous faut un arsenal... Je vais m’enquérir d’un arsenal !

À part.

Se battre, oh ! mais, non !... Attendez-moi... dix minutes, et je reviens bardé de fer !... bardé de fer !

Il sort.

 

 

Scène XIX

 

CHAMVILLERS, CAMBIAC

 

CHAMVILLERS.

Quelle affreuse position !... Etre obligé de traiter en ennemi un homme qu’on a le plus grand intérêt à ménager... Et au milieu de tous ces débats... Si Madame de Lanjoie venait à savoir la vérité... Pourvu qu’il ne lui ait pas déjà dit... car, enfin, contre un rival, tous les moyens sont bons !... C’est lui !... Ah ! j’ai peine à me contenir !

CAMBIAC, avec son premier costume.

C’est bien décidé, je pars !... Entré ici par contrebande, je puis bien en sortir sans adieu.

Il va pour sortir.

CHAMVILLERS, l’arrêtant.

Monsieur !...

CAMBIAC.

Monsieur...

CHAMVILLERS.

Après ce qui vient d’arriver...

CAMBIAC, à part.

Ah ! il paraît qu’il sait déjà...

CHAMVILLERS.

J’espère, monsieur, que vous ne m’obligerez pas à vous tolérer plus longtemps dans cette maison.

CAMBIAC, à part.

Allons, il tombe bien !... moi qui m’en allais.

Haut.

Mais êtes-vous mon hôte, monsieur, pour que j’aie un congé à recevoir de vous ?

CHAMVILLERS.

Votre hôte ou non, votre présence ici me déplaît ; et si je ne puis vous convaincre par de bonnes paroles...

CAMBIAC.

Comment ! des menaces !

CHAMVILLERS.

Mieux que cela, monsieur, une injure si directe...

CAMBIAC.

Oh ! assez.

Air du Prix.

À qui croyez-vous donc parler,
Pour tant monter votre langage ?
À quoi sert de tant batailler ?
Un mot doit suffire au courage.
Avez-vous oublié, mon cher,
Qu’entre gens de notre figure,
On doit croiser vingt fois le fer
Avant d’échanger une injure !

CHAMVILLERS.

Eh bien ! alors, tout de suite, dans le jardin !

CAMBIAC.

Soit !

À part.

Je ne suis pas fâché de me mesurer avec lui !

CHAMVILLERS.

C’est un combat à mort, monsieur !

CAMBIAC.

À mort ? Ça m’arrange !

MADAME DE LANJOIE, entrant.

On n’attend plus que vous !

TOUS DEUX, apercevant Madame de Lanjoie.

Ah !...

CHAMVILLERS, serrant la main à Cambiac.

Ah ! l’excellent ami !

CAMBIAC, haut, l’imitant.

Ce bon Chamvillers !

MADAME DE LANJOIE, à part.

L’hypocrite !

CHAMVILLERS, bas, à Cambiac.

Je suis obligé à cette comédie, mais je vous déteste !

CAMBIAC, de même.

Et moi, donc !

 

 

Scène XX

 

MADAME DE LANJOIE, CHAMVILLERS, CAMBIAC

 

MADAME DE LANJOIE, à Chamvillers.

Venez-vous, mon ami ?... les témoins sont là.

CHAMVILLERS.

Charmante...

ADELINE, entrant, à Chamvillers.

Une dame demande à parler à Monsieur, je l’ai fait entrer.

CHAMVILLERS.

Son nom ?

ADELINE.

Olympia.

CHAMVILLERS, troublé.

Olympia !...

À Madame de Lanjoie.

J’ignore qui ce peut être... pourtant... je vais... Vous permettez ?...

À part, en sortant.

Olympia !...

MADAME DE LANJOIE, à part.

Quel empressement !

 

 

Scène XXI

 

MADAME DE LANJOIE, CAMBIAC

 

CAMBIAC.

Vous vous étonnez, sans doute, Madame, de me retrouver encore ici... croyez que si M. de Chamvillers ne m’avait pas retenu...

MADAME DE LANJOIE.

Oui, monsieur, je sais qu’il est encore aveuglé sur votre compte, et que son amitié pour vous...

CAMBIAC.

Son amitié... Oh ! ne m’accablez pas ainsi, Madame, car si vous saviez la vérité, peut-être ne me trouveriez-vous pas si coupable ; mais ma position est telle que vos reproches, fussent-ils encore plus cruels, je dois les subir sans me justifier, sans me plaindre... Un jour, peut-être, vous saurez tout, et alors vous regretterez, j’en suis sûr, de m’avoir si mal jugé.

MADAME DE LANJOIE, à part.

Que veut-il dire ?

CAMBIAC.

Adieu, Madame, soyez heureuse avec votre nouvel époux, c’est mon dernier vœu, c’est un dernier regret.

 

 

Scène XXII

 

MADAME DE LANJOIE, CAMBIAC, BILLAUDIN

 

BILLAUDIN, entrant vivement, à part.

Encore ensemble !

Haut.

Ne l’écoutez pas, Madame, pour l’amour de Dieu, ne l’écoutez pas !... il vous trompe !

CAMBIAC.

Monsieur !...

BILLAUDIN.

J’arrive à temps pour vous sauver... tout ce qu’il fait, tout ce qu’il dit, tout est faux !... c’est au point que je ne suis plus sûr maintenant de l’avoir écrasé...

À Cambiac.

Voyons... vous ai-je écrasé ?...

CAMBIAC.

Cette plaisanterie...

BILLAUDIN.

Enfin, qui êtes-vous ?... Depuis ce matin vous vous familiarisez en prétendant que mes chevaux vous ont endolori... mais je ne vous connais pas, moi... ni Madame, ni personne... Voyons, qui êtes-vous ? d’où sortez-vous ?... Faites-vous réclamer !... Qui est-ce qui réclame Monsieur ?

MADAME DE LANJOIE.

Mais, M. de Chamvillers...

BILLAUDIN.

Il l’a vu ce matin pour la première fois !

MADAME DE LANJOIE.

Est-il possible !

BILLAUDIN.

C’est lui-même qui me l’a dit !

CAMBIAC.

Ah merci, mon cher, merci !... vous avez de l’esprit... comme un financier !

BILLAUDIN.

Hein ?

CAMBIAC, à Madame de Lanjoie.

Monsieur vous a dit la vérité... Voilà le secret que je voulais vous cacher.

MADAME DE LANJOIE.

Mais ces protestations échangées... cette familiarité si cordiale...

CAMBIAC.

Je m’y prêtais, Madame... il m’en avait prié.

MADAME DE LANJOIE, à part.

Oh ! j’entrevois une indigne trahison !

BILLAUDIN.

Oh ! mais, ce n’est rien encore !... j’en suis bien fâché, mais je dirai tout !... Cet homme, qui osait vous adresser des paroles d’amour, recevait en même temps d’une danseuse de l’Opéra... des poulets dans le genre de celui-ci... J’ai mis le pied là-dessus en traversant votre antichambre.

À Cambiac.

Que voulez-vous, marquis... j’ai du malheur aujourd’hui, j’écrase un peu de tout !

CAMBIAC.

Une danseuse... je m’y perds !

BILLAUDIN, présentant la lettre à Cambiac.

« À monsieur de Cambiac... » Quand une adresse est bien mise, ça parvient toujours,  

Cambiac va pour prendre la lettre.

en faisant un détour.

Il la remet à Madame de Lanjoie.

MADAME DE LANJOIE, après avoir lu.

Olympia ! ce nom que tout à l’heure...

À Cambiac.

Connaissez-vous cette lettre ?

CAMBIAC.

Non Madame... elle n’a jamais été pour moi, je vous le jure sur l’honneur.

BILLAUDIN, à part.

Jure sur l’honneur, va !... ton affaire est bonne !

MADAME DE LANJOIE, à part.

Oh ! mon Dieu ! je n’ose comprendre... Ces lettres qui étaient adressées à M. de Chamvillers, sous le couvert d’un M. de Cambiac... Que veut dire tout ceci ?...

À Cambiac.

Aidez-moi, monsieur...

CAMBIAC.

Mais, Madame...

MADAME DE LANJOIE.

Le motif ? le motif ?

CAMBIAC.

Je ne puis... je ne dois...

MADAME DE LANJOIE.

Mais, monsieur...

CAMBIAC, apercevant le livre sur la table à droite.

Ah !... tenez, Madame, vous le trouverez peut-être dans ce volume, oublié par M. de Chamvillers.

MADAME DE LANJOIE, parcourant le livre.

« Vous manquez le rendez-vous de votre maîtresse, c’est Cliton qui vous a retenu... »

Elle continue de lire bas.

BILLAUDIN, à part.

Eh bien ! elle se met à lire à présent !

MADAME DE LANJOIE, à part.

Comme il m’a trompée !

 

 

Scène XXIII

 

BILLAUDIN, CAMBIAC, MADAME DE LANJOIE, DARESSY

 

DARESSY, sortant de la bibliothèque.

Madame, tout est prêt.

MADAME DE LANJOIE.

Monsieur le notaire... veuillez laisser les noms du futur en blanc, je vous prie.

DARESSY, se plaçant près de la table à droite.

C’est très facile.

BILLAUDIN, à part.

Un mariage, et moi qui ignorais...

Daressy aperçoit Cambiac et s’approche.

DARESSY, à Cambiac.

Ah ! vous ici, monsieur de Cambiac, vous venez signer le contrat de ma cliente, à la bonne heure.

À Madame de Lanjoie.

Il s’est donc enfin décidé à quitter l’anonyme ?

MADAME DE LANJOIE.

Comment ?

CAMBIAC, à Daressy.

Silence !

DARESSY.

Ah ! pardon !... je croyais que vous vous étiez avoué l’auteur de ce prêt généreux...

MADAME DE LANJOIE, vivement.

Que dites-vous ?... M. de Cambiac, c’est à lui que je devrais ?...

BILLAUDIN.

Quoi ?

MADAME DE LANJOIE, à part.

Tant de noblesse, tant de générosité... tandis que l’autre...

À Cambiac.

Ah ! vous aviez raison tout à l’heure, je vous avais bien mal jugé !

CAMBIAC.

Ah ! Madame...

BILLAUDIN, à part.

Eh bien ! moi qui croyais le faire...

Geste de congé.

J’ai joliment réussi !

 

 

Scène XXIV

 

BILLAUDIN, CAMBIAC, MADAME DE LANJOIE, DARESSY, CHAMVILLERS

 

CHAMVILLERS, à part, en entrant.

Elle est partie... pauvre Olympia !

Haut.

Pardon de vous avoir fait attendre.

MADAME DE LANJOIE.

Eh bien ! cette... cette dame qui vous a fait demander ?

CHAMVILLERS.

Oh ! c’était...

À Cambiac.

C’était votre sœur, Cambiac.

CAMBIAC.

Ma sœur !

CHAMVILLERS.

Elle venait pour... ce que vous savez... elle est partie pour aller... Vous êtes au fait ?

MADAME DE LANJOIE, à part.

Quelle impertinence !

Elle se place à droite de Daressy.

CHAMVILLERS.

Et, maintenant, je suis tout à vous.

DARESSY, écrivant.

Les nom et prénoms du futur ?

CHAMVILLERS, s’avançant.

Charles-Augustin Chamvillers.

BILLAUDIN, à part.

Chamvillers !

MADAME DE LANJOIE, à Chamvillers.

Mais, ce n’est pas à vous que Monsieur s’adresse.

CHAMVILLERS.

Comment !

BILLAUDIN, à part.

Oh ! bonheur !

S’avançant.

Écrivez : Achille-Fortuné Billaudin.

MADAME DE LANJOIE, à Billaudin.

Ni à vous.

BILLAUDIN.

Ah !... Mais à qui donc ?

MADAME DE LANJOIE, regardant Cambiac.

Il n’y a donc que vous qui ne voulez pas parler ?

CAMBIAC, s’élançant pour signer.

Ah !...

CHAMVILLERS, à part.

Lui !...

BILLAUDIN.

Ah bah !...

CHAMVILLERS.

Mais que veut dire...

MADAME DE LANJOIE.

Cela veut dire que mieux éclairée sur les véritables sentiments de celui que j’avais d’abord distingué, je porte ailleurs un choix dont il s’est montré si peu digne.

BILLAUDIN, à part, prenant ces paroles pour lui.

Qu’est-ce que je lui ai donc fait ?

CHAMVILLERS, à part.

Elle sait tout !

MADAME DE LANJOIE.

 Et ce choix, vous l’approuverez, car il tombe sur un de vos amis les plus chers, votre ami Cambiac.

CHAMVILLERS, à part.

Le traître !

Cambiac donne, de la main gauche, la plume à Madame de Lanjoie, et lui offre la main droite pour la conduire près du notaire. Elle signe.

BILLAUDIN, à part.

Je tombe de mon haut !... L’épouser ! après ce que je viens de lui dire !... Elle aime les mauvais sujets, c’est une femme qui aime les mauvais sujets !

CHAMVILLERS, bas à Cambiac.

Vos armes, monsieur ?

CAMBIAC.

L’épée.

BILLAUDIN.

Un duel !

MADAME DE LANJOIE.

Un duel ! Ah ! mon Dieu ! je n’y avais pas songé !

BILLAUDIN.

Ça ne se peut pas ! J’ai un billet de Chamvillers...

Il le montre à Cambiac.

Il ne peut pas se battre !... Vous n’avez pas le droit d’abîmer ma caution !

CAMBIAC, qui a regardé le billet.

C’est trop juste !... Monsieur Daressy, vous paierez à l’ordre de Monsieur,

Il montre Billaudin.

une somme de dix mille écus. Vous m’entendez ?

CHAMVILLERS.

Je refuse !

BILLAUDIN.

Et moi, j’accepte.

CAMBIAC.

Maintenant, monsieur, vous êtes libre, et quand vous voudrez...

MADAME DE LANJOIE.

Oh ! mais, c’est impossible !

CHAMVILLERS.

J’aurais pu pardonner son triomphe à un adversaire franc et loyal... mais abuser d’une confidence...

CAMBIAC, vivement.

Vous vous trompez, monsieur !

CHAMVILLERS.

Comment ! n’est-ce pas vous ?...

MADAME DE LANJOIE.

Du tout ! C’est M. Billaudin...

CAMBIAC.

C’est Billaudin !

CHAMVILLERS.

C’est Billaudin ? Mais ces vers, ces mauvais vers que j’ai trouvés dans la bibliothèque ?

MADAME DE LANJOIE.

C’est Billaudin !

CAMBIAC.

C’est Billaudin !

CHAMVILLERS.

C’est Billaudin !

BILLAUDIN.

Billaudin ! Billaudin ! Le Diable m’emporte, je n’y comprends plus rien !

CHAMVILLERS.

Imbécile !...

À Cambiac.

S’il en est ainsi, je ne puis plus me battre avec vous... c’est fort désagréable, mais je ne puis plus vous tuer !

MADAME DE LANJOIE.

Voilà qui rachète bien des torts !

BILLAUDIN, à part.

Est-elle gentille !... Je deviendrai mauvais sujet... et nous verrons !

CHAMVILLERS, à part.

Bah ! Olympia me reste, je m’étourdirai...

Haut.

Allons, sans rancune... ou plutôt, mieux que cela...

Tendant la main à Cambiac.

Restons comme devant, moi, votre ami Chamvillers...

CAMBIAC, mettant sa main dans la sienne.

Et moi, votre ami Cambiac.

CHOEUR FINAL

Air : Et si j’ai gagné la bataille.

Toute haine doit disparaître,
Soyons tous d’accord en ce jour ;
L’amitié saura reconnaître
Les sacrifices de l’amour.

PDF