Madame veuve Larifla (Eugène LABICHE - Adolphe CHOLER)
Vaudeville en un acte.
Représenté pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre des Variétés, le 23 janvier 1849.
Personnages
GRATTEPAIN
MARCEL, peintre
MADAME LARIFLA, maîtresse d’hôtel
JEANNETTE
UN PETIT NÈGRE, personnage muet
La scène se passe, à Paris, chez madame Larifla.
Le théâtre représente une chambre de garçon. Portes à droite, à gauche, et au fond. À droite, sur le devant, une table et tout ce qu’il faut pour écrire. Commode et secrétaire au fond, un de chaque côté. Quatre fauteuils.
Scène première
JEANNETTE, seule, un plumeau à la main
Allons, voilà la chambre de M. Marcel qui avance... et dire que j’en fais dix-sept comme ça tous les jours !... Ah ! c’est que l’hôtel de madame veuve Larifla est le mieux achalandé de toute la rue de la Harpe : dix-sept locataires ! tous garçons et tous amoureux de Madame !... C’est ennuyeux, parce qu’il ne reste plus rien pour la bonne. Après ça, elle est gentille. Madame Larifla, ou plutôt Madame Duchemin, du nom de feu son mari... Un créole qui me pinçait toujours la taille.
Air d’Aristippe.
Dieu ! quel vivant I je m’en souviens encore !
Aimant les coups, les cartes, et le vin,
À tout’, les femm’s il disait : je t’adore !
À tout’s... sauf madam’ Duchemin !
Elle en pleurait, hélas ! soir et matin.
Si les colons sont tous des créatures
Cherchant sans cesse à séduire, à tromper,
Comment s’ fait-il qu’avec de tell’s natures
On vienn’ de les émanciper !
Scène II
MARCEL, JEANNETTE
MARCEL, entrant par la droite avec mélancolie.
Bonjour, Jeannette.
Il pose son chapeau sur la table.
JEANNETTE.
Bonjour, Monsieur Marcel.
Elle va pour sortir.
MARCEL.
Reste, j’ai besoin de te parler.
JEANNETTE.
Dépêchez-vous, j’ai de l’ouvrage, et la journée n’a que douze heures.
MARCEL.
Vingt-quatre, Jeannette.
JEANNETTE.
Douze, Monsieur Marcel. C’est pour les femmes équivoques qu’elle en a vingt-quatre. Voyons, que voulez-vous ?
MARCEL, soupirant.
Ah ! Jeannette, j’aime Madame Larifla !
JEANNETTE.
Et vous n’êtes pas le seul dans la maison... C’est un amour... à trois étages.
MARCEL.
Quand je dis que je l’aime, ce sont ses yeux, son nez, sa bouche...
JEANNETTE.
Ça revient au même. Mais, depuis trois mois que ça vous tient, déclarez-vous.
MARCEL.
Le moyen ? une femme sans passion, sans tendresse, qui rit de tout ! Quand on tombe à ses genoux, elle répond...
JEANNETTE, chantant.
Larifla, fla, fla !
MARCEL.
C’est démontant ! Et si l’on insiste, elle vous donne congé pour le terme.
JEANNETTE.
Alors, adressez-vous à une autre ;
Se posant.
car enfin il y a d’autres femmes dans Paris.
MARCEL.
Non, Jeannette, il n’y en a pas.
JEANNETTE, à part.
Eh bien ! et moi ! j’habite donc la lune !
MARCEL.
Dis-moi... tu continues à exécuter mes recommandations ?
JEANNETTE.
Oui, Monsieur ; tous les jours on dépose chez le portier deux gros bouquets de cent sous.
MARCEL.
Bien. Et Madame Larifla ne se doute pas ?...
JEANNETTE.
Oh ! de rien. Mais, Monsieur, vous vous ruinerez, à ce jeu-là.
MARCEL, à part.
Tant mieux ! j’arriverai peut-être à la détester.
Soupirant.
Ah !...
JEANNETTE.
Dame ! moi je vous dis ça, parce qu’un peintre d’histoire, ça ne gagne pas épais... et à force de donner des bouquets, des billets de concert, des loges... ça use la bourse.
MARCEL, à part.
Je ne le sais que trop.
JEANNETTE.
Hier encore, ce perroquet...
MARCEL.
Qu’est-ce que tu veux ?... Elle en désirait un... je l’ai acheté à la vente d’un représentant qui s’en allait... il doit joliment parler.
JEANNETTE.
Il ne sait dire que : Sacrebleu !
MARCEL.
Il jure ! Après ça, c’est peut-être un représentant du Jura.
MADAME LARIFLA, en dehors.
Jeannette ! Jeannette !
JEANNETTE.
C’est Madame.
MARCEL.
Silence ! Et si elle te parle des bouquets, du perroquet, tu ne sais pas... tu ne connais pas...
Scène III
MARCEL, JEANNETTE, MADAME LARIFLA
MADAME LARIFLA, entrant par le fond, avec deux gros bouquets à la main.
Encore deux ! ça fait soixante depuis un mois ! Il n’est pas possible j’ai inspiré une passion à un jardinier-fleuriste !
JEANNETTE.
Un jardinier ou un autre.
MADAME LARIFLA.
En voilà un que je voudrais connaître !
MARCEL.
Ah !... et pourquoi ?
MADAME LARIFLA.
Pour lui chanter une petite chanson...
Fredonnant.
Larifla, fla, fla...
MARCEL, furieux.
On la connaît, votre chanson !
Il va s’asseoir contre la table à droite.
JEANNETTE.
Comme Madame traite l’amour !
MADAME LARIFLA.
Oh ! l’amour !
Air.
Plus d’une fois, heurtant ma porte,
Il vint me d’mander à loger ;
Je sus défendre à sa cohorte
Dans mon cœur de s’emménager.
J’en conviens, il est fait pour plaire,
Et c’est peut-être un préjugé,
Mais je n’ veux pas d’un locataire...
Qui peut refuser son congé.
Chacun son état. Moi, je loge à pied et à cheval... Pour ce qui est de l’amour, on peut voir chez la voisine ; son mari est employé...
Baissant la voix.
et sa femme demande à l’être...
Remettant les bouquets à Jeannette.
Tiens, débarrasse-moi de ça.
JEANNETTE.
Qu’est-ce qu’il faut en faire ?
MADAME LARIFLA.
Ce que tu voudras... Je te les donne.
JEANNETTE.
Comment !
Elle va les poser sur la commode.
MADAME LARIFLA, à part, regardant Marcel.
Ça ne lui fait rien... me serais-je trompée ?...
Haut.
Ah ça ! maintenant, occupons-nous de mes pensionnaires. Qu’est-ce que tu as pour déjeuner ?
JEANNETTE.
Des z’haricots !
MARCEL.
Ah ! ils étaient bien bons hier.
JEANNETTE.
Et avant-hier aussi.
MADAME LARIFLA.
Ils seront encore meilleurs demain. Et pour rôti ?
JEANNETTE.
Il n’y a rien... Il nous faudrait une belle volaille.
MADAME LARIFLA.
Une belle volaille !... Tiens, mon perroquet !
JEANNETTE.
Oh !
MARCEL, à part.
Elle n’a pas pins de cœur qu’une chandelle des huit !
MADAME LARIFLA.
J’ai mon affaire ! Pour rôti, je leur chanterai une gaudriole !
MARCEL.
Ah ! ça n’usera pas le tournebroche.
À part.
Harpagons, va ? Et dire que je l’aime !
MADAME LARIFLA.
Tu verseras du vin de Collioure... c’est un petit vin qui a du corps.
MARCEL.
Je crois bien qu’il a du corps. On ne verse pas le Collioure, on le coupe.
MADAME LARIFLA.
Mêlez-vous donc de ce qui vous regarde. Ah ! j’oubliais... tu prépareras la plus belle chambre de l’hôtel ; j’attends un nouveau pensionnaire, Monsieur Grattepain, qui arrive de Saint-Flour, pour étudier la médecine.
JEANNETTE.
Grattepain... vous avez déjà eu un locataire de ce nom-là.
MADAME LARIFLA.
Son frère aîné.
JEANNETTE.
Je me rappelle... un fameux vivant... et qui faisait rouler les écus !... toujours de l’extra !...
MADAME LARIFLA.
Ah ! il me tarde de voir arriver son frère !
MARCEL, à part.
Oui, pour le gruger, sangsue !
Il soupire.
Ah !
MADAME LARIFLA.
Allons, dépêche-toi, Jeannette.
Air de don Parquale.
Vite, va mettre la table.
Et dresse bien le couvert :
Que l’ coup d’œil soit agréable ;
Ça remplac’ra le dessert.
Ensemble.
MADAME LARIFLA et MARCEL.
Vite, va mettre la table, etc.
JEANNETTE.
Vite, allons mettre la table.
Et dressons bien le couvert :
Que l’ coup d’œil soit agréable,
Ça remplac’ra le dessert.
Jeannette sort par le fond, en emportant les deux bouquets et son plumeau.
Scène IV
MADAME LAIUFLA, MARCEL
MARCEL, se promenant avec agitation, à part.
Non ! non ! non ! ma position n’est pas tenable ! On ne sait pas ce que c’est d’adorer une femme qu’on exècre !... une femme qui...
MADAME LARIFLA, se plantant devant lui.
Bonjour, Marcel.
MARCEL.
Ah ! vous êtes là ?... bonjour, Madame.
Il lui tourne le dos et se promène dans l’autre sens. À part, avec colère.
Elle est encore plus jolie qu’hier... je crois qu’elle le fait exprès.
MADAME LARIFLA.
Si vous continuez à user le parquet, je vous augmenterai, mon bonhomme.
MARCEL.
Je vous augmenterai ! Propriétaire !
MADAME LARIFLA.
Marcel, je ne suis pas contente de vous... vous devenez un très mauvais pensionnaire.
MARCEL.
Ah ! parce que je ne fais pas assez d’extra ! parce que je ne bois pas de votre champagne ! mais je le trouve mauvais, votre champagne ! mais vous le fabriquez avec des prunes de Monsieur, Madame, votre champagne !...
Soupirant.
Ah !
MADAME LARIFLA.
Ne faites donc pas le méchant ; vous êtes, si gentil quand vous voulez.
MARCEL, radouci.
Ah ! vous trouvez ?
MADAME LARIFLA.
Autrefois, surtout... vous étiez plein de soins, d’attentions...
Air de Téniers.
À mes eûtes vous passiez la soirée ;
Moi sur un’ chaise...
MARCEL.
Et moi sur le divan !
MADAME LARIFLA.
J’ prenais mon fil...
MARCEL.
Moi, ma pipe bourrée,
MADAME LARIFLA.
Je travaillais...
MARCEL.
J’ vous lisais un roman.
MADAME LARIFLA, vivement.
Du Paul de Kock.
MARCEL, tendrement.
Oui, l’Homme aux trois culottes.
Pendant ce temps, souvenirs trop parfaits !
Je m’ souviens mêm’ que d’ vos petit’s menottes
Vous racc’modiez ce que je vous lisais.
Et plus tard... quand je tombai malade, vous montiez dix fois par jours m’apporter de la tisane... C’était bien mauvais... mais c’était bien bon !
MADAME LARIFLA.
Dame ! c’est si naturel !... un pauvre garçon... qui est tout seul... sans famille... et qui loge chez moi... j’en réponds.
MARCEL.
Vous êtes si bonne !
À part.
Car elle est bonne, cette femme-là ; elle est très bonne.
Soupirant.
Ah !...
MADAME LARIFLA.
Oui, mais maintenant ce n est plus ça ! Vous me fuyez... plus de soins, plus de lecture ! Pourquoi ça ?
MARCEL.
Parce que... parce que j’ai des affaires.
MADAME LARIFLA.
Ah ! vous ne faites rien ! Et, à ce propos, il faut que je vous gronde. Comment, Monsieur, depuis deux mois, vous n’avez pas mis le pied à votre atelier, vous ne travaillez pas... Voyons, qu’est-ce qui vous gêne ?
MARCEL.
Est-ce que je sais ?
MADAME LARIFLA.
Parbleu ! si vous aviez de la fortune, je vous dirais : Promenez-vous, fumez ; mais vous n’avez rien...et il faut vivre... payer sa pension.
MARCEL, à part.
Oh ! elle a peur que je ne la paie pas ! Et moi qui croyais... oh ! la bourgeoisie ! la bourgeoisie !
MADAME LARIFLA.
Car enfin ce n’est pas en allant courir les clubs comme vous le faites tous les soirs... C’est donc bien amusant... Voyons, qu’est-ce qu’on y dit, dans vos clubs ?...
MARCEL.
On y dit du mal des propriétaires... et ça me fait plaisir.
MADAME LARIFLA.
Il en faut, puisqu’il y a des maisons !
MARCEL.
Il n’y aura plus de maisons !
MADAME LARIFLA.
Ah ! bah ! et où couchera-t-on ?
MARCEL.
Sur les arbres, comme les oiseaux... Ils ne paient pas de termes, ceux-là.
MADAME LARIFLA.
En attendant, comme c’est aujourd’hui le huit, je vais faire mes quittances.
MARCEL.
On vous la paiera, votre quittance.
MADAME LARIFLA.
Tiens ! je l’espère bien. Cent cinquante francs !
MARCEL.
Et tout de suite !
À part, fouillant dans sa poche.
Oh ! la bourgeoisie ! la bourgeoisie !... Bigre ! il me reste neuf sous !
MADAME LARIFLA.
Qu’avez-vous donc ?
MARCEL.
Je n’ai rien... absolument rien !
À part.
Quelle panne démocratique et sociale !
Haut.
Je sors, je vais chez mon banquier, rue des Francs-Bourgeois.
À part.
Au Mont-de-Piété.
Haut, passant à droite et prenant son chapeau sur la table.
Et dans une heure, vous serez soldée.
Avec dignité.
Adieu, propriétaire !
MADAME LARIFLA, de même.
Adieu... locataire !
Marcel sort brusquement par le fond.
Scène V
MADAME LARIFLA, seule
Ah ! ah ! quel brave garçon ! C’est bien dommage qu’il soit toqué !... Eh bien ! il a beau être grognon, maussade ; il y a des moments où je crois qu’il m’aime... qu’il va me le dire... Allons, pas de ça, madame Larifla !... vous êtes veuve, et vous n’avez pas le droit de vous remarier... En mourant, M. Duchemin, votre mari, a pris ses précautions... Je suis condamnée au célibat à perpétuité... C’est drôle pour une femme qui tient une pension de garçons !
Scène VI
MADAME LARIFLA, GRATTEPAIN, JEANNETTE
GRATTEPAIN, entrant par le fond et se débattant avec Jeannette, qui veut lui prendre un petit paquet qu’il a sous le bras.
Ne touchez pas à mon paquet, vous !
MADAME LARIFLA.
Qu’est-ce que c’est ?
GRATTEPAIN.
Madame veuve Larifla, s’il vous plaît ?
MADAME LARIFLA.
C’est moi. Que voulez-vous ?
GRATTEPAIN.
Pour lors, mon frère m’a dit que vous étiez une bonne pâte de femme, la more des étudiants...
MADAME LARIFLA.
Comment ! vous êtes ?
GRATTEPAIN.
Narcisse Grattepain, de Saint-Flour, Cantal. Merci, tout le monde va bien là-bas.
MADAME LARIFLA, à part.
Quelle bonne tête !
Haut.
Mais, débarrassez-vous donc... Jeannette !
GRATTEPAIN, à Jeannette qui veut lui prendre son paquet.
Ne touchez donc pas à mon paquet, vous !
Il passe à droite ; à Madame Larifla.
C’est mon linge, et quand on ne connaît pas...
Il pose son paquet sur un fauteuil à côté de lui.
MADAME LARIFLA.
Je vous ai réservé une chambre.
GRATTEPAIN.
Ah ! est-ce un peu gentil ?
MADAME LARIFLA.
Je crois bien, deux fenêtres sur la rue.
GRATTEPAIN.
Ça me va, je me mettrai à l’une pour regarder l’autre.
MADAME LARIFLA.
Farceur !
GRATTEPAIN, à part.
Elle est bonne enfant la bourgeoise !...je marchanderai.
Haut.
Et combien que vous louez ça ?
MADAME LARIFLA.
Cent francs !
GRATTEPAIN.
Par an ?
MADAME LARIFLA.
Par mois.
GRATTEPAIN.
Sous la République, merci !
MADAME LARIFLA.
Eh bien ! qu’est-ce que ça fait, la République ?
GRATTEPAIN.
Tiens, ça fait que tout baisse, et puis qu’on amasse, et puis qu’on entasse... Eh ! donc !... Mais à Saint-Flour, depuis la Constitution, on se met à quatre pour manger un œuf... Eh ! donc !
MADAME LARIFLA.
Et je parie qu’il en reste.
GRATTEPAIN.
Des fois...
MADAME LARIFLA, à part.
Ah ça ! est-ce qu’il serait avare ?
GRATTEPAIN.
C’est pas tout ça... vous êtes une bonne pâte de femme, vous êtes la mère des étudiants... donnez-moi un trou, une niche... quelque chose pour dormir à bon marché.
MADAME LARIFLA.
Je n’ai pas ça.
GRATTEPAIN.
D’abord je vous suis recommandé par mon frère... un ami... voilà sa lettre.
Il remet à Madame Larifla une lettre qu’il tire d’un vieux portefeuille.
MADAME LARIFLA.
Ah ! c’était un joyeux garçon, lui ! gai, généreux, prodigue !
GRATTEPAIN.
Dites donc, vous avez dû joliment faire votre beurre, avec lui !
Lui portant une botte.
Eh ! maline.
MADAME LARIFLA.
Mais, oui, assez.
GRATTEPAIN.
Eh bien ! faut m’accommoder, mais, là, gentiment.
MADAME LARIFLA.
Puisque vous ne voulez pas prendre la chambre, je n’ai plus qu’un cabinet à côté, mais c’est si petit...
GRATTEPAIN.
Y tient-on debout ?...
MADAME LARIFLA.
Sans doute.
GRATTEPAIN.
Ça suffit pour se coucher.
MADAME LARIFLA.
Jeannette, conduisez Monsieur.
Jeannette passe à droite et va pour prendre le paquet de Grattepain qui s’en empare vivement.
Air : Ne raillez pas la garde citoyenne.
Vous allez voir si cela vous arrange,
Et quant au prix, nous en reparlerons.
À part.
Si j’attendais un animal étrange,
Ce n’était pas celui que nous voyons.
GRATTEPAIN, à part.
En reparler ! la chos’ n’est pas pressante :
J’aimerais mieux n’en reparler jamais.
JEANNETTE, voulant lui prendre son paquet.
Donnez, Monsieur.
GRATTEPAIN.
Mais est-elle sciante !
Je ne veux pas qu’on touche à mes effets.
Jeannette passe à gauche et va ouvrir la porte du cabinet.
Ensemble.
MADAME LARIFLA.
Vous allez voir si cela vous arrange, etc.
JEANNETTE, à part.
Je crois, ma foi, si ce monsieur s’arrange,
Que mes profits ne seront pas très bons.
Si j’attendais un animal étrange, etc.
GRATTEPAIN, à part.
Allons donc voir si ce réduit m’arrange,
Et quant au prix, si nous eu reparlons.
Il faudra donc, hélas ! que je vous change.
Vous que faim’ tant, mes pauvres picaillons !
Grattepain sort avec Jeannette par la porte à gauche.
Scène VII
MADAME LARIFLA, seule
Eh bien ! il m’est débarqué un joli pensionnaire... Voyons la lettre d’envoi.
Elle ouvre la lettre et lit.
« Chère Madame Larifla, je vous expédie mon frère, c’est l’animal le plus cancre, le plus ladre, le plus malpropre de tout le département du Cantal. Je l’ai orné de six billets de mille francs ; soyez assez bonne pour lui apprendre la manière de s’en servir. Montrez-lui comment on jette l’argent par les fenêtres... Enfin je vous adresse un Auvergnat, tâchez de me renvoyer... un homme. »
Serrant la lettre.
Eh bien ! la mission est originale... décrasser M. Grattepain... Je ne peux pas refuser, le frère d’un ami... Et moi, qui leur prêche toujours l’ordre et l’économie... Bah ! ça me changera.
GRATTEPAIN, au dehors.
Mais laissez donc ! mais laissez donc !
MADAME LARIFLA.
Le voici... attention !
Scène VIII
MADAME LARIFLA, GRATTEPAIN, JEANNETTE
GRATTEPAIN, avec Jeannette.
Ne touchez donc pas à mon paquet, vous !
JEANNETTE.
Parbleu t on ne veut pas le manger, votre paquet
Elle sort par le fond.
GRATTEPAIN, à madame Larifla.
Dites donc, êtes-vous bien sûre de cette fille-là ?...
MADAME LARIFLA.
Oui, pourquoi ?
GRATTEPAIN.
C’est qu’elle est toujours à farfouiller mon paquet... je ne l’accuse pas... mais je crois que c’est une petite voleuse.
MADAME LARIFLA.
Ah ça ! vous avez vu ce cabinet ?
GRATTEPAIN.
Oui, c’est petit, c’est laid, c’est noir, ça peut m’aller.
MADAME LARIFLA.
Alors, c’est convenu.
GRATTEPAIN.
Un instant. Combien que vous louez ça ?
MADAME LARIFLA.
Vingt francs.
GRATTEPAIN.
Par an ?
MADAME LARIFLA.
Par mois... sans compter l’éclairage !
GRATTEPAIN.
Je ne m’éclaire pas.
MADAME LARIFLA.
Comment ?
GRATTEPAIN.
J’ai remarqué que la fenêtre donnait sur un bec de gaz.
MADAME LARIFLA.
C’est juste... vous allez être empesté.
GRATTEPAIN.
C’est vrai, ça, je serai empesté... mais je serai éclairé... Eh ! donc !
MADAME LARIFLA, à part.
Décidément, il est de première force !
GRATTEPAIN.
Ah ça ! et la nourriture ?
MADAME LARIFLA.
Il y a une table d’hôte... c’est un prix fait, soixante francs.
GRATTEPAIN.
Par an ?
MADAME LARIFLA.
Par mois.
GRATTEPAIN.
Et on vient de diminuer le sel ! A-t-on le café ?
MADAME LARIFLA.
En le payant.
GRATTEPAIN.
Diable !... voyons... vous êtes une bonne pâte de femme... la mère des étudiants ?... Tout pour quarante francs... ça vous va-t-il ?
MADAME LARIFLA.
Chez moi, c’est oui ou non... on ne marchande pas.
GRATTEPAIN.
Allons !... mais vous êtes coriace, vous !
MADAME LARIFLA.
Maintenant, il ne vous reste plus qu’à emménager.
GRATTEPAIN.
Ça me va... emménageons.
MADAME LARIFLA.
Où sont vos meubles ?
GRATTEPAIN.
Plaît-il ?
MADAME LARIFLA.
Vos meubles ?
GRATTEPAIN.
Je n’ai apporté que trois chemises, un caleçon, et un vieux carrick...
MADAME LARIFLA.
Très bien. Je connais un tapissier qui vous donnera du bon et du neuf.
GRATTEPAIN.
Non, non, je n’achète jamais de neuf.
MADAME LARIFLA.
Pourquoi ça ?
GRATTEPAIN.
Parce que le neuf, quand on le revend, ça se vend comme du vieux ; tandis qu’en achetant du vieux, on a quelquefois la chance de le revendre comme du neuf... voilà !
MADAME LARIFLA.
C’est parfaitement raisonné...
À part.
Dire qu’il faut que je fasse manger six mille francs à ce gaillard-là... il y en a pour douze ans !
On entend un bruit de cloche.
GRATTEPAIN.
Qu’est-ce que c’est que ça ?
MADAME LARIFLA.
La cloche du déjeuner... c’est le premier coup... on viendra vous avertir... J’ai quelques ordres à donner... vous permettez ?...
GRATTEPAIN.
Faites, faites.
Ensemble.
Air : Talisman, guide not pas. (Biche au Bois.)
MADAME LARIFLA, à part.
Vraiment, je n’en reviens pas.
Mais comment m’y prendre, hélas !
Pour le mettre dans le cas
De faire de la dépense.
Pour un pareil résultat,
L’amour, qui vient sans éclat,
Pourrait seul vaincre, je pense,
Sa nature d’Auvergnat.
GRATTEPAIN, à part.
Vraiment, je n en reviens pas,
Comment se fait-il, hélas !
Que je m’ sois mis dans le cas
De faire de la dépense !
Un ordinair’ délicat.
Va logement d’apparat :
C’en est bien assez, je pense...
Il faut mettre le holà !
Madame Larifla sort par le fond.
Scène IX
GRATTEPAIN, seul
Elle est assez agréable, la bourgeoise !... coriace, mais agréable !...
Tirant son portefeuille de ta poche.
Ah ça ! je n’ai pas écrit ma dépense depuis Moulins... je suis en retard... voyons...
Écrivant avec son crayon.
Moulins... un petit verre... non, on me l’a payé... c’est le conducteur...
c’est un bon enfant... je le reprendrai, en m’en allant... zéro... zéro... Nevers... j’ai bu un verre d’eau... ça ne se paie pas... zéro... zéro... La Charité... j’ai dormi... zéro., zéro... Fontainebleau... voyons donc... je suis encore descendu à Fontainebleau... Ah ! j’y suis : ce n’était pas pour boire... ça ne se paie pas non plus... zéro... zéro... Allons ! voilà à peu près tout ce que j’ai dépensé... je ne vois pas autre chose...
Faisant l’addition.
Zéro... zéro... total : zéro !...
Serrant son portefeuille.
Ah ! que les voyages coûtent cher !... et il faut encore que j’achète des meubles !... moi qui ne voulais pas toucher à mes six mille francs...
Au public, après avoir regardé autour de lui avec méfiance.
Car j’ai six mille francs !... Chut !... et je compte les placer... dans un trou... et quand l’occasion viendra de faire un coup, je ferai un coup !... j’achèterai des vieux cuivres... oui, mais en attendant, il faut que j’achète des meubles.
Regardant autour de lui.
Tiens ! mais en voilà des meubles !... c’est au voisin... c’est au voisin... quatre fauteuils... qu’est-ce qu’il peut faire de tout cela ?... si je pouvais lui en emprunter ?...
Scène X
GRATTEPAIN, MARCEL
MARCEL, entrant par le fond, sans voir Grattepain.
Que le diable emporte le Mont-de-Piété ! fermé ! c’est aujourd’hui fête.
GRATTEPAIN, à part.
Ça doit être le voisin... flagornons-le...
MARCEL, à part.
Et moi qui ai promis à madame Larifla !... de me procurer cent cinquante francs ?
GRATTEPAIN, tendant la main à Marcel.
Mon cher voisin, permettez-moi...
MARCEL, lui donnant une poignée de main.
Avec plaisir... Qui êtes-vous ?
GRATTEPAIN.
Narcisse Grattepain.
MARCEL, vivement.
Vous arrivez de Saint-Flour ?...
À part.
il doit avoir le gousset garni... si j’osais...
GRATTEPAIN.
Voisin, je vais vous demander un service.
MARCEL.
Comme ça se trouve... moi aussi.
GRATTEPAIN.
Parlez...
MARCEL.
Je suis amoureux... j’ai fait des folies... vous comprenez, les cadeaux, les bouquets, les perroquets...
GRATTEPAIN.
Je connais ça, moi... à Saint-Flour, j’avais une petite... et en partant, comme elle pleurait... ma foi ! je lai ai donné un chapeau...
MARCEL.
C’est bien...
GRATTEPAIN.
Un chapeau de feutre... pour son père.
MARCEL.
Ah !... c’est toujours ça... Enfin, moi, je dois deux mille francs... je n’ai pas le sou, et il faut que je paie ma pension...
GRATTEPAIN, à part.
Je te vois venir... tu veux me pincer ma petite monnaie.
MARCEL.
Et j’ai compté que vous pourriez m’avancer...
GRATTEPAIN.
Ah ! je le voudrais, mais... je suis parti de Saint-Flour avec cinq cents francs dans un bas de laine... mais, à Moulins, j’ai rencontré une actrice...
MARCEL.
Ah ! je comprends...
GRATTEPAIN.
Tant mieux... Pauvre garçon !... Ah ça ! vous n’avez donc pas de famille ?
MARCEL.
Si... j’avais un oncle à la Guadeloupe... il est mort sans rien me laisser.
GRATTEPAIN.
Quel ours !
MARCEL.
Mais vous aviez un service à me demander ?
GRATTEPAIN.
Voilà... je n’ai pas de meubles.
MARCEL.
Qu’à cela ne tienne... nous partagerons... jusqu’à demain.
GRATTEPAIN.
Jusqu’à demain ?... pas plus ?...
MARCEL.
Je le voudrais... mais il faut que je les vende... j’ai besoin d’argent, à tout prix.
GRATTEPAIN, passant à droite, en examinant les meubles.
Vous vendez ça cher ?
MARCEL.
Oh ! presque rien.
GRATTEPAIN.
Je les achète.
MARCEL.
Je croyais que vous n’aviez pas le sou.
GRATTEPAIN.
Oh ! il me reste encore quelques picaillons... au fond des poches... dans les coins...
MARCEL, à part.
C’était un prétexte pour me refuser...
Haut.
Allons, choisissez...
Prenant un fauteuil à gauche et le plaçant au milieu du théâtre.
Voyons... qu’est-ce que vous donnez de ce fauteuil-là ?
GRATTEPAIN.
Ce fauteuil-là !... ah ! qu’il est petit !... voilà un petit fauteuil !
S’asseyant dessus.
et puis il y a des élastiques...
Se levant.
et dans les fauteuils je préféré le crin.
MARCEL.
Enfin... combien eu donnez-vous ?
GRATTEPAIN.
Qu’est-ce que vous en voulez ?
MARCEL.
Dame ! je l’ai payé cent francs...
GRATTEPAIN.
Sons le tyran... mais en république... j’en donne dix francs...
MARCEL.
Allons, prenez-le...
GRATTEPAIN, à part.
Je me suis trop pressé... je l’aurais eu pour cinq...
Il replace le fauteuil à gauche.
MARCEL, prenant un autre fauteuil, à droite, et le mettant au milieu.
Et celui-ci ?
GRATTEPAIN.
Ah ! ce fauteuil ! Quel méchant fauteuil !... il lui manque un pied.
MARCEL.
Du tout... il en a quatre.
GRATTEPAIN.
Il en a quatre ?... on croirait qu’il n’en a que trois. Ah ! ce fauteuil.
Le tâtant.
Et puis, dites donc, il est en crin.
MARCEL.
Eh bien ?
GRATTEPAIN.
Moi, dans les fauteuils, je préfère les élastiques... Enfin, j’en donne sept francs.
MARCEL.
Enlevé !
Grattepain met le fauteuil à gauche, à côté de l’autre.
Maintenant la commode, le secrétaire...
GRATTEPAIN.
Non, non, je suis assez meublé comme ça...
Tirant de sa poche un bas dans lequel est de l’argent.
Dix et sept font dix-sept. Je vas vous donner votre affaire.
MARCEL, à part.
Diable ! ça ne fait pas mon compte.
Haut, et tirant sa montre de son gousset.
Dites donc, comment trouvez-vous cette montre-là ?
GRATTEPAIN.
Ah ! elle est jolie !... voilà une jolie montre !
MARCEL.
Je vous la vends.
GRATTEPAIN.
Cet ognon-là... Je n’en veux pas.
MARCEL.
Elle est on or, et la chaîne aussi.
GRATTEPAIN.
Je vois bien... mais l’or, ça n’a pas de valeur... Ah ! si c’était du vieux cuivre.
MARCEL, à part.
Ce n’est pas un étudiant... c’est un chaudronnier.
GRATTEPAIN.
Tenez, vous m’intéressez, vous... vous avez besoin de cent cinquante francs... eh bien ! je vous les donne.
MARCEL.
Comment ?
GRATTEPAIN.
Mais je prends la montre, je prends la chaîne, la commode, le secrétaire, enfin tout !
MARCEL.
Eh bien ! soit ; pourvu que je paie Madame Larifla.
Il lui donne sa montre.
GRATTEPAIN, lui remettant deux rouleaux.
Voilà ! et maintenant, je vais faire mon déménagement. Donnez-moi un coup de main.
MARCEL.
Volontiers.
GRATTEPAIN.
Par quoi allons-nous commencer ?... par le secrétaire ou par la commode ?
MARCEL.
Non... portons d’abord les fauteuils.
GRATTEPAIN.
C’est ça.
Ils prennent chacun un fauteuil et se présentent ensemble à la porte de gauche, et ils ne peuvent pas passer.
Eh bien ! ça n’entre pas.
MARCEL.
Si, poussez...
GRATTEPAIN, poussant.
Eh ben ! me v’là propre !
MARCEL.
Courage donc... hue-là !
GRATTEPAIN.
Hue donc !...
Ils poussent tous les deux ; Marcel finit par entrer avec son fauteuil ; Grattepain va pour le suivre, lorsque Madame Larifla paraît.
Scène XI
GRATTEPAIN, MADAME LARIFLA, puis MARCEL
MADAME LARIFLA, à la cantonade.
Jeannette, les quittances !
Apercevant Grattepain, qui tient toujours son fauteuil.
Eh bien ! qu’est-ce que vous faites donc là ?
GRATTEPAIN.
Ne faites pas attention... j’emménage.
MADAME LARIFLA.
Avec les meubles de M. Marcel ?
GRATTEPAIN.
Tiens ! ils sont à moi... je les ai payés.
MADAME LARIFLA.
Comment ! M. Marcel a vendu ses meubles ?...
GRATTEPAIN.
Oui... il n’a plus le sou... mais il doit deux mille francs.
MADAME LARIFLA.
Ah ! mon Dieu ! c’est impossible !
GRATTEPAIN.
Faut vous dire qu’il a une... relation...
MADAME LARIFLA.
Qu’est-ce que c’est que ça ?
GRATTEPAIN.
Une bonne amie... et à force de lui donner des billets, des bouquets et des perroquets... il est pané...
Marcel rentre en scène et passe à droite.
MADAME LARIFLA, à part.
C’était lui !...se ruiner... pour moi !... Oh ! le pauvre jeune homme !...
Scène XII
GRATTEPAIN, MADAME LARIFLA, MARCEL, JEANNETTE
JEANNETTE, entrant par le fond, des papiers à la main, et venant à la droite de madame Larifla.
Madame, voici les quittances.
GRATTEPAIN, à part, déposant enfin son fauteuil.
Voilà une petite qui m’agace.
JEANNETTE.
D’abord, celle de M. Marcel.
Elle la donne à madame Larifla.
MARCEL.
Volontiers, je suis prêt.
MADAME LARIFLA.
C’est bien... je suis payée.
Elle la déchire, et prend ensuite les autres quittances des mains de Jeannette.
MARCEL et GRATTEPAIN.
Hein !...
MADAME LARIFLA, bas à Marcel.
Je sais tout... c’est mal... c’est bien mal... il faut que je vous parle.
MARCEL, à part.
Que va-t-elle me dire ?
GRATTEPAIN, bas à Jeannette.
Dis donc... elle a déchiré sa quittance... est-ce que ça lui prend souvent ?
JEANNETTE, bas.
Dame ! quand on lui donne des bouquets.
GRATTEPAIN, bas.
Ah ! quand on lui donne...
Il arrache un bouquet de violettes que Jeannette porte à sa ceinture, et passe près de madame Larifla.
JEANNETTE, bas.
Qu’est-ce que vous faites donc ?
GRATTEPAIN, bas.
Je t’en rendrai un... au jour de l’an.
MADAME LARIFLA, présentant une quittance à Grattepain.
Monsieur Grattepain, voici la vôtre.
GRATTEPAIN, lui offrant son bouquet.
Madame... permettez-moi...
MADAME LARIFLA, prenant le bouquet.
Ah ! c’est fort aimable... Jeannette...
JEANNETTE, tenant près de madame Larifla.
Madame...
MADAME LARIFLA.
As-tu deux sous ?
JEANNETTE, les lui donnant.
Oui, Madame.
Elle retourne à l’extrême gauche.
MADAME LARIFLA, à Grattepain, en lui remettant les deux sous.
Voici pour le bouquet... Maintenant voilà votre quittance.
GRATTEPAIN, à part.
Ça ne se prend pas.
Haut.
Il n’est pas midi... on a jusqu’à midi.
MADAME LARIFLA.
Soit.
JEANNETTE qui était remontée, redescendant entre Grattepain et madame Larifla.
Le déjeuner est servi !
GRATTEPAIN.
Présent !...
Air de Daranda.
L’heure est sonnée ! allons nous mettre à table :
Ma pension commence d’aujourd’hui.
Mon appétit est incommensurable,
Car c’est un mois qu’on me nourrit ici.
Ensemble.
JEANNETTE et MADAME LARIFLA.
L’heure est sonnée ! allez vous mettre à table :
Le déjeuner va vous être servi.
Votre faim peut se montrer intraitable,
Car c’est au mois qu’on vous nourrit ici.
MARCEL.
L’heure est sonnée ! on va se mettre à table :
Le déjeuner va nous être servi.
J’aimais jadis ce moment agréable.
Mais je n’ai plus d’appétit aujourd’hui.
GRATTEPAIN, à part.
Décidément la bourgeoise est bell’ femme :
Si j’ lui plaisais. – Oui, grâce à son nectar,
Je vais m’ fourrer de l’esprit et de l’âme...
Pourvu qu’ le vin ne se pai’ pas à part.
Reprise.
Grattepain et Jeannette sortent par le fond.
Scène XIII
MARCEL, MADAME LARIFLA
MADAME LARIFLA, au fond.
À nous deux, maintenant !
MARCEL, à part.
Elle va me flanquer à la porte.
MADAME LARIFLA.
Marcel, je devrais vous en vouloir... mais je n’en ai pas le courage.
MARCEL.
Qu’est-ce que j’ai fait ?
MADAME LARIFLA.
Tant d’argent dépensé en futilités, en fleurs, en bouquets... et pour un amour !...
MARCEL.
Comment ! vous savez...
MADAME LARIFLA.
Tout.
MARCEL, à part.
Elle va me chanter sa chanson...
MADAME LARIFLA.
Heureusement que la ri...
MARCEL.
Fla ! j’en étais sûr.
MADAME LARIFLA.
Non, la rigueur n’est pas dans mon caractère, et je consens à vous pardonner.
MARCEL.
Est-il possible !... sans rien chanter ?
MADAME LARIFLA.
À une condition. Vous avez des dettes, il faut les payer...
MARCEL.
Mais avec quoi ?
MADAME LARIFLA.
En travaillant.
MARCEL.
Qui est-ce qui achète des tableaux maintenant ?
MADAME LARIFLA.
Il est certain que si vous n’en faites pas...
MARCEL.
J’en ai de faits... j’en ai un... une sainte Cécile... J’en étais content... mais l’autre jour, en passant devant l’atelier, je suis entré... et je me suis aperçu que ma sainte Cécile louchait.
MADAME LARIFLA.
Eh bien ! qu’est-ce que ça fait ?... en y retouchant.
MARCEL.
Ce ne sera jamais qu’une croûte.
MADAME LARIFLA.
Qui est-ce qui vous demande des chefs-d’œuvre ?... Faites des portraits de représentants... voilà une branche !
MARCEL.
Non, je suis découragé, fatigué...
MADAME LARIFLA.
Tenez, vous êtes fou, Marcel. Écoutez-moi ! Sans m’en rendre compte, j’éprouve pour vous un sentiment...
MARCEL.
Achevez...
MADAME LARIFLA.
Je vous aime... comme un ami.
MARCEL.
Ah ! c’est bien peu.
MADAME LARIFLA.
Eh bien, comme un frère.
MARCEL.
Si ça se pouvait, j’aimerais mieux comme un cousin.
MADAME LARIFLA.
Non ! c’est trop.
MARCEL.
Au troisième degré ! un tout petit cousin !
MADAME LARIFLA.
Nous discuterons ça plus tard. Mais, pour le moment, ce que je veux... c’est faire de vous un homme... un homme d’ordre, de courage, de travail, un honnête homme, enfin.
MARCEL, ému.
Continuez...
MADAME LARIFLA.
Air.
Je veux enflammer votre âme.
Et qu’on dise en vous voyant :
« La volonté d’une femme
« Vit un homme d’un enfant ! »
Puis, un jour viendra peut-être,
Où je pourrai reconnaître
Les efforts de votre cœur.
Ce beau jour, que je souhaite,
Pour vous sera jour de fête,
Et pour moi jour de bonheur ! (bis.)
MARCEL.
Sapristi ! je pleure. Voyez-vous, Madame Larifla... à partir d’aujourd’hui, je deviens un bœuf... pour le travail... parce qu’il y a de ces mots... que les femmes savent dire... qui vous entrent là...
MADAME LARIFLA, lui tendant la main.
Merci, Marcel.
MARCEL.
Je retourne à mon atelier ! je rabiboche l’œil de ma sainte Cécile... j’attaque une autre toile, j’attaque dix autres toiles. Personne ne les achètera... ça m’est égal !... Je me sens un courage à badigeonner le Champ-de-Mars !
Air : la petite Fanchette m’a dit bonjour.
Ah ! que j’ suis content ! avec un mot parti du cœur,
Ah ! que j’suis content ! vous m’avez rendu le bonheur !
Ah ! que j’ suis content ! de paresser je n’ai plus peur !
Ah ! que j’ suis content ! (bis.)
Je veux mériter tous les lauriers académiques !
J’aurai d’ la couleur, car tout paraît rose à mes yeux.
J’ sens là bouillonner les projets les pins magnifiques :
J’ crois que j’ deviens bruss’ depuis les pieds jusqu’aux cheveux.
Grâce à vos conseils, ma vocation se dévoile ;
Qu’on me donne à peindr’ douz’ légions de gard’s nationaux,
L’hippodrom’ pour toil’, pour chevalet, l’arc-de-l’étoile !...
J’ demande un quart-d’heure, une palette et des pinceaux !
Ah ! que j’ suis content ! etc.
Il sort par le fond.
Scène XIV
MADAME LARIFLA, puis GRATTEPAIN
MADAME LARIFLA, seule.
Pauvre garçon !... Moi, aussi, je pleure... Dieu ! que c’est bête !... D’abord, ça fait perdre du temps... Le plus pressé est de payer ces deux mille francs, qu’il soit tranquille, qu’on ne le tourmente pas... Car enfin, cet argent... c’est pour moi qu’il l’a dépensé... Ah ! c’est bien mal !... mais c’est bien gentil !... Voyons, comment me procurer cette somme ?... Les prêteurs sont rares par le temps qui court. Tiens ! mon argenterie !... Mes pensionnaires mangeront dans du Ruolz... Vite un mot au marchand qui me l’a vendue...
Elle va s’asseoir à la table de droite et écrit.
GRATTEPAIN, entrant par le fond, à moitié ivre.
Je ne sais pas coque j’ai... j’ai bu du Collioure... ça me fait ran plan plan ! ran plan plan ! au travers de la tête !...
Apercevant Madame Larifla.
Tiens, voilà la bourgeoise !... j’y ai repensé à la bourgeoise... faut que Je la subjugue... non... sub... sub... subjugue... voilà un mot difficile...
S’avançant vers Madame Larifla.
Ran plan plan ! ran plan plan !... bonjour, la bourgeoise !
MADAME LARIFLA, se levant, sa lettre à la main.
Monsieur Grattepain !
GRATTEPAIN.
De Saint-Flour (Cantal) !... Dites donc, faut que je vous dise quelque chose... je suis... il est bon, votre Collioure.
MADAME LARIFLA, à part.
Je m’en aperçois.
GRATTEPAIN.
C’est chaud... c’est nourrissant... c’est comme si on buvait de la semoule... ran plan plan !...
MADAME LARIFLA.
Vous aviez quelque chose à me dire ?
GRATTEPAIN.
Oui... quoi donc ?... ah ! je suis amoureux de vous... voilà !
MADAME LARIFLA.
Comment ?
GRATTEPAIN.
Pour vous, femme superbe, je suis capable des plus grands sacri... sacri... sacri... sacrifices... voilà encore un mot difficile.
MADAME LARIFLA.
Des sacrifices ! vous !
GRATTEPAIN.
Oui, tout !... tout !...
À part.
Excepté l’argent.
MADAME LARIFLA, à part.
Et son frère qui m’a recommandé... Ah ! Monsieur Grattepain, vous êtes amoureux !...
GRATTEPAIN.
Elle chuchote... mais c’est une belle femme.
MADAME LARIFLA, à part.
J’ai idée que je ne vendrai pas mon argenterie.
GRATTEPAIN.
Réponse, s’il vous plaît.
MADAME LARIFLA.
Plaît-il ?
GRATTEPAIN.
J’ai de l’amour... réponse, s’il vous plaît.
MADAME LARIFLA.
Mais c’est une plaisanterie, Monsieur Grattepain. Je me connais... et je n’ai pas la prétention d’inspirer une passion aussi soudaine...
GRATTEPAIN.
Oh ! si ! si !... Vous avez une si jolie peau !...
Il se rapproche de Madame Larifla et trébuche : elle passe vivement à gauche.
et puis vous êtes une femme d ordre... une femme rangée... Vous n’aimez pas les plaisirs, les spectacles...
MADAME LARIFLA.
Permettez...
GRATTEPAIN.
Air de Jenny l’ouvrière.
J’ vous offrirai de brillantes toilettes...
Vous m’ répondrez : j’ai bien assez d’appas.
J’ voudrai vous m’ner au théâtr’, dans les fêtes,
Vous me direz... que vous n’ les aimez pas.
Enfin, l’ dimanch’... c’est le jour des goguettes !
Pour vous prom’ner... j’ vous offrirai... mon bras !
Quand on est seul, l’argent que l’on rassemble.
C’est déjà l’ bonheur... (bis.)
Quand ou est deux, pour se priver ensemble.
C’est encor bien meilleur ! (bis.)
MADAME LARIFLA.
Ah ! ce sera bien agréable !
GRATTEPAIN.
Oh ! oui ! Et vous, en échange de tant de soins, vous me mijoterez, vous me ferez des petits travaux d’aiguille... avec vos jolies mains... Tenez, vous me ferez un tricot.
MADAME LARIFLA.
Comment ?
GRATTEPAIN.
À Saint-Flour, quand on aime quelqu’un, on lui fait un tricot.
MADAME LARIFLA.
Ah ça ! me prenez-vous pour une tricoteuse ?
GRATTEPAIN.
Oh ! voilà un mot piquant ! vous êtes piquante ! elle est piquante ! ran plan plan !...
MADAME LARIFLA, à part.
Attends, attends, je vas fan donner, du piquant.
Haut.
Vous me disiez tout à l’heure que vous étiez capable des plus grands sacrifices...
GRATTEPAIN.
Ah ! vous le dites bien, vous... c’est difficile...
MADAME LARIFLA.
Eh bien ! je vais vous en demander une preuve.
GRATTEPAIN.
Parlez ! faut-il fendre du bois, monter de l’eau, faire des commissions ?
MADAME LARIFLA.
Vous allez trouver cela bien étrange, pour une maîtresse d’hôtel... mais j’ai la passion des tableaux.
GRATTEPAIN.
Dimanche prochain je vous mènerai au Muséum...
Riant.
Je parle latin !...
MADAME LARIFLA.
Hier, j’ai vu dans l’atelier de M. Marcel une sainte Cécile... c’est quelque chose de ravissant... les yeux surtout... Vous devriez acheter ça, vous qui aimez les arts !
GRATTEPAIN.
Moi !...j’aime les arts ?...
MADAME LARIFLA.
Oh ! mon petit monsieur Grattepain... je vous en prie...
GRATTEPAIN.
Ah ! câline !...
À part.
J’ai envie de l’embrasser !
MADAME LARIFLA.
Après ça, vous trouverez peut-être que c’est un peu cher... on parle de deux mille francs...
GRATTEPAIN.
Il n’en faut pas !
MADAME LARIFLA.
Dame ! une sainte Cécile.
GRATTEPAIN.
Vous ne pourriez pas aimer une autre sainte... une sainte Aglaé...de cinquante à cinquante-cinq sous ?... avec le cadre.
MADAME LARIFLA.
Comment ! vous me refusez ?
GRATTEPAIN.
Très parfaitement bien !... Crrrr !...
MADAME LARIFLA, à part.
Allons, je n’ai plus qu’à faire partir ma lettre.
GRATTEPAIN.
Dites donc, j’aime mieux vous embrasser... Oh ! laissez-moi vous embrasser !
Il s’approche.
MADAME LARIFLA.
Par exemple ! ne m’approchez pas... je vous déteste... Tenez, vous ne serez jamais qu’un ladre et un avare !
Elle sort par le fond.
Scène XV
GRATTEPAIN, puis JEANNETTE
GRATTEPAIN, seul.
Un ladre et un avare !...un pareil reproche !... À moi !... C’est la première fois qu’on me l’adresse... il me touche... il me blesse... il me... enfin... j’ai extrêmement soif...
Appelant.
Jeannette !
JEANNETTE, paraissant au fond.
Monsieur !
GRATTEPAIN.
Apporte-moi une bouteille de Collioure, à quinze !
JEANNETTE.
Tout de suite, Monsieur.
Elle sort.
GRATTEPAIN.
Je vous demande un peu si c’est un ladre et un avare qui s’offrirait une bouteille de Collioure à quinze !
JEANNETTE, apportant une bouteille et un verre quelle pose sur la table à droite.
Voilà, Monsieur !
GRATTEPAIN.
Jeannette, viens ici...
Avec magnificence, et lui donnant une pièce de monnaie.
Voilà dix sous pour toi !... dix sous !
JEANNETTE.
Merci, Monsieur.
GRATTEPAIN.
Et maintenant, parle-moi franchement... suis-je un ladre, un avare ?
JEANNETTE.
Oh ! non, Monsieur.
GRATTEPAIN.
Là... je ne lui fais pas dire !... Jeannette, reste-là... je puis avoir besoin de te parler.
Il boit coup sur coup deux verres de vin ; il est debout d’un côté de la table. Jeannette de l’autre.
JEANNETTE, à part.
Il veut que je reste là... et moi qui ai des beignets sur le feu.
GRATTEPAIN, à part.
C’est drôle !... V’là le ranplanplan qui me reprend.
Haut.
Jeannette, j’aime la maîtresse !
JEANNETTE.
Oui, Monsieur.
À part.
Et mes beignets ?
GRATTEPAIN.
Ah ! c’est une aimable femme !... Mais elle aime trop la peinture à l’huile... Petite carotteuse !
JEANNETTE.
Par exemple ! une femme qui a dix mille livres de rentes !
GRATTEPAIN.
Qui ça ?...
JEANNETTE.
Madame Larifla... Sa maison rapporte ça pour le moins.
GRATTEPAIN, quittant la table.
Dix mille francs !... Je l’épouse !
JEANNETTE, venant près de lui.
Qui ça ?
GRATTEPAIN.
La maison !
À part.
Mais, j’y pense... Quelle boulette ! Moi, qui viens de lui refuser... et dire que pour deux mille francs !
Haut.
Jeannette, va chez M. Marcel... tu demanderas une nommée sainte Cécile, tu la marchanderas, tu l’achèteras, tu reviendras... Va, cours... crève un cheval, S’il le faut... prends l’omnibus.
JEANNETTE.
Mais, de l’argent ?
GRATTEPAIN.
Tu as dix sous... tu m’en redevras quatre.
JEANNETTE
Ah ! merci !
À part.
Je vas envoyer quelqu’un.
Elle sort par le fond.
Scène XVI
GRATTEPAIN, puis MADAME LARIFLA
GRATTEPAIN, seul.
Dix mille francs de rentes !...et moi qui voulais faire un coup !...voilà mon coup !
Il boit.
MADAME LARIFLA, entrant par le fond.
Ma lettre est partie.
GRATTEPAIN.
Arrivez donc, sirène, ange, démon !
MADAME LARIFLA.
Qu’y a-t-il ?
GRATTEPAIN, venant à elle.
Je cède, j’obéis, je suis entraîné, vacciné... non, fasciné par vos dix nulle qualités...
MADAME LARIFLA, à part.
Ah ça ! il est complètement gris !
GRATTEPAIN.
Quant à votre sainte... machine... vous l’aurez... on est allé la chercher...
MADAME LARIFLA.
Est-il possible ?
GRATTEPAIN.
Tout est possible quand on aime... et maintenant que je sais ce que vous valez, rien ne me coûtera !
MADAME LARIFLA, à part.
Quel changement !
GRATTEPAIN.
À partir d’aujourd’hui, vous aurez des diamants, des rubis, des palatines, des boas, des cascades de boas... et, pour prix de mon dévouement, accordez-moi une faveur !
MADAME LARIFLA.
Laquelle ?
GRATTEPAIN.
Laissez-moi vous embrasser... il y a longtemps que ça me tient.
MADAME LARIFLA.
Ma foi ! avec plaisir ! je suis trop heureuse pour vous refuser.
Grattepain l’embrasse.
Scène XVII
GRATTEPAIN, MADAME LARIFLA, MARCEL
MARCEL,
entrant par le fond et voyant Grattepain embrasser Madame Larifla.
Eh bien ! ne vous gênez pas !
MADAME LARIFLA.
Marcel !
GRATTEPAIN.
Le petit !... bonjour, petit !...
MARCEL, à Madame Larifla.
Ah ! fi ! ah ! fi ! moi qui accourais pour vous apprendre...
MADAME LARIFLA.
Quoi donc ?
MARCEL.
Je viens de vendre ma sainte Cécile.
À Grattepain.
Une croûte, Monsieur.
GRATTEPAIN.
Hein ?
MARCEL.
Deux mille francs !... c’est dix fois plus qu’elle ne valait.
GRATTEPAIN.
Ah bah !
MADAME LARIFLA, bas à Marcel.
Mais taisez-vous donc !
GRATTEPAIN, à part.
Une croûte !... deux mille francs !... mais il n’y a qu’en temps de famine qu’on paie les croûtes ce prix-là !... je sois volé !
MADAME LARIFLA, bas à Marcel.
C’est lui qui l’a fait acheter.
MARCEL.
Comment !...lui !...que je viens de surprendre... et vous avez cru que j’accepterais cet Auvergnat pour Mécène... Lui ! un rival !
GRATTEPAIN.
Au fait, ça ne se peut pas... rendez l’argent.
MARCEL.
Mais je ne l’ai pas reçu.
GRATTEPAIN.
Alors nous sommes quittes.
MADAME LARIFLA, à part.
Oh ! le maladroit !
MARCEL, à Grattepain.
Et à l’avenir, Monsieur, je vous défends d’acheter mes tableaux.
GRATTEPAIN.
Oh ! soyez tranquille.
À part, voyant madame Larifla qui parle bas à Marcel.
La veuve fait des agaceries au petit... il faut que je porte un grand coup.
Il remonte.
MADAME LARIFLA, passant près de Grattepain.
Vous partez ?
GRATTEPAIN.
Pas pour longtemps, vous me reverrez... je ne vous dis que ça... vous me reverrez.
À part.
ENSEMBLE.
Air de Clarisse Harlowe. (Acte II, scène 1re.)
Je m’éloigne ; mais dans l’instant
Je veux, grâce à mon argent.
Près d’elle, rev’nir à l’assaut...
À bientôt !
MARCEL, à Grattepain.
D’acheter les tableaux que j’ vends,
À l’av’nir je vous défends...
Peut-il savoir ce qu’il vaut !
Un lourdaud !
MADAME LARIFLA, à part.
Il gâte tout en un instant !
Où donc trouver de l’argent ?
Quel sort ram’na ce lourdaud
Aussitôt ?
Grattepain sort par le fond.
Scène XVIII
MARCEL, MADAME LARIFLA
MADAME LARIFLA.
Ah ! mon compliment, vous avez fait de jolies choses !...
MARCEL.
Je n’ai pas besoin de me laisser enrichir par cet homme qui vous embrasse.
MADAME LARIFLA.
Il m’embrasse !... Qu’est-ce que ça prouve ?
MARCEL.
Ça prouve que vous êtes une coquette !... Aussi je ne veux plus vous revoir... je pars... je vous donne congé...
MADAME LARIFLA.
Et où allez-vous ?...
MARCEL.
Je vais... je vais en Afrique me faire colon... chez les Béni-zoug-zoug !...
MADAME LARIFLA.
Voilà une autre idée, à présent.
MARCEL.
Et quand je serai là-bas... je me marierai... avec une colonne... avec une béni-zoug-zoug !
Pleurant.
Et nous serons très heureux... Nous ferons de l’agriculture... Nous planterons du cacao... avec quoi on fait le chocolat... Ah ! madame
Larifla, je n’aurais jamais cru ça de vous !
MADAME LARIFLA, tirant son mouchoir.
Ah ! monsieur Marcel !... Ce que vous me dites-là est bien pénible... planter du cacao... avec une autre... c’est d’un mauvais cœur !
MARCEL.
Dame ! il faut bien que]’ plante du cacao avec quelqu’un, puisque vous ne m’aimez pas !
MADAME LARIFLA, pleurant.
Mais si, je vous aime... et je vous aurais déjà épousé... sans le testament...
MARCEL.
Quel testament ?
MADAME LARIFLA, pleurant.
Celui de mon mari... un homme affreux... qui rentrait tard, et sentait toujours l’anisette. Aussi, quand il est mort je me suis dit : Ah ! tant mieux ! je vais pouvoir en épouser un autre !
MARCEL, ému.
Excellente petite femme !
MADAME LARIFLA, de même.
Ah ! ben, oui !... je ne le connaissais pas, le brigand ! le gueux !
MARCEL.
Qui ça ?
MADAME LARIFLA.
Mon mari... il a fait un testament... par lequel il me laisse cette maison... toute sa fortune...
MARCEL.
Eh bien ?
MADAME LARIFLA.
À la condition que je ne me remarierai pas... Et si je me remarie, la maison retournera à son neveu... un inconnu... et moi, je serai ruinée...
MARCEL.
Par exemple !... c’est-à-dire que, pour vous épouser, faudrait... ne pas avoir de cœur.
MADAME LARIFLA, pleurant.
Et maintenant, me voilà veuve pour toute la vie !
MARCEL.
Et moi aussi !... Ah ! si mon oncle ne m’avait pas déshérité.
MADAME LARIFLA.
Parce qu’il a plu à ce vilain homme...
MARCEL.
Ne rien me laisser... gredin ! va...
MADAME LARIFLA.
De qui parlez-vous ?
MARCEL.
De mon oncle Duchemin, parbleu !
MADAME LARIFLA.
Tiens, il s’appelait Duchemin, votre oncle ? C’est comme mon mari...
MARCEL.
Ça ne m’étonne pas... tous les Duchemin, c’est un tas de canailles !
MADAME LARIFLA.
Les créoles surtout !
MARCEL.
Tiens, il était créole, votre mari ? C’est comme mon oncle...
MADAME LARIFLA.
De la Guadeloupe...
MARCEL.
De la Guadeloupe ?... Duchemin ?... un grêlé ?... qui avait le nez rouge ?...
MADAME LARIFLA.
Juste !
MARCEL.
Ah !
Il trébuche, comme un homme qui se trouve mal.
MADAME LARIFLA.
Qu’est-ce qu’il a donc ?
MARCEL.
Mais alors... vous êtes ma tante !...
MADAME LARIFLA.
Ah !
Même jeu que Marcel.
MARCEL.
Ma tante !
Il l’embrasse à plusieurs reprises.
MADAME LARIFLA.
Allez toujours ! allez toujours !
MARCEL, après l’avoir bien embrassée.
Ma tante... voulez-vous me permettre de vous embrasser ?
MADAME LARIFLA.
Il est bien temps !
MARCEL, poussant un cri.
Oh !
MADAME LARIFLA.
Quoi donc ?...
MARCEL.
Je peux vous épouser !
MADAME LARIFLA.
Et ma maison ?
MARCEL.
Elle vous tombe des mains... mais moi je la ramasse... comme héritier... et je vous la repasse comme époux...
MADAME LARIFLA.
C’est clair !
MARCEL.
Comme le jour !
TOUX DEUX, chantant et dansant.
Larifla, fla, fla !
Scène XIX
MARCEL, MADAME LARIFLA, GRATTEPAIN, UN PETIT NÈGRE
Grattepain paraît au fond, dans un costume ébouriffant ; il porte un paletot blanc, des breloques, des chaînes, etc.
GRATTEPAIN, chantant et dansant aussi au fond.
Larifla, fla, fla.
Madame Larifla et Marcel se séparent vivement.
MADAME LARIFLA.
Tiens, un ours blanc !
GRATTEPAIN, se posant.
Je vous avais promis une surprise... qu’est-ce que vous dites de ça ?
Il se dandine.
MARCEL, à part.
Il a déshabillé un marchand de vulnéraire !
GRATTEPAIN.
Mais ce n’est pas tout... j’ai un nègre... je me suis fendu d’un nègre.
Il remonte au fond. Madame Larifla passe près de Marcel.
Ici, moricaud
Un petit nègre, en costume de groom entre par le fond et descend à droite. Jetant son mouchoir par terre.
Ramassez mouchoir à bon maître !...
Le nègre le ramasse et le lui rend. Grattepain recommence.
Encore !
Le nègre ramasse de nouveau le mouchoir et se mouche dedans. Grattepain le lui reprend.
Drôle !...
À Marcel et à Madame Larifla.
Hein ! comme ça rapporte !... vous n’avez rien à lui jeter ?... Dites donc, je me suis fendu aussi d’une calèche avec deux chevaux.
Se dandinant.
Venez-vous au bois, chère ?
MADAME LARIFLA.
Dame ! demandez à mon mari.
GRATTEPAIN.
Votre mari ?
MARCEL.
J’ai l’honneur de vous en faire part.
GRATTEPAIN.
Ah ça ! et moi qui ai fait les frais d’un nègre !...
Au petit nègre.
Qu’est-ce que tu fais là, toi ?... va-t’en ! je t’ai pris à l’heure.
Lui donnant de l’argent.
Voilà quarante sous, filou !
Le petit nègre se sauve par le fond. À Marcel.
Ah ça ! c’est une plaisanterie ?
MARCEL.
Pendant votre absence, je suis devenu propriétaire.
MADAME LARIFLA, à Marcel.
Voulez-vous toujours supprimer les maisons ?
MARCEL.
Par exemple ! respect à la propriété... et à la famille !
Bas à Madame Larifla.
Nous en aurons.
GRATTEPAIN.
Comme ça, je me trouve le dos par terre, entre un nègre et une calèche.
MARCEL.
Retournez à Saint-Flour.
GRATTEPAIN.
Allons donc !... Saint-Flour !... je l’abolis !... je reste à Paris !... je veux devenir un aimable sacripant, je veux boire du Collioure, fonder un journal, souper avec des danseuses !... Et, dans un mois, toutes les femmes me diront : finissez donc ! Ah ! finissez donc !... Et je ne finirai pas !... Voilà mon plan !
ENSEMBLE.
Larifla, fla, fla ! etc.
Air.
Je me sens vraiment,
En ce moment,
Le cœur tremblant !
Allez-vous, ce soir,
Tromper l’espoir
Qu’on peut avoir ?
En seul coup de main
Pour notre refrain,
Afin que demain,
Si votre douceur
Nous donne du cœur,
Bravant la rigueur,
Noos puissions, sans peur,
Chanter en chœur :
Larifla, fla, fla ! etc.