La Mémoire d’Hortense (Eugène LABICHE - Alfred DELACOUR)
Comédie en un acte.
Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre des Variétés, le 15 novembre 1872.
Personnages
PIGEONNEAU
ÉMILE GOMER
TURBA
DOMINIQUE
MADAME BERNARD
FLEURETTE
La scène se passe à Paris, chez Pigeonneau.
Un salon à pans coupés. Porte au fond. Porte dans chaque pan coupé. Autre porte à droite, deuxième plan. Fenêtre à gauche, deuxième plan. Du même côté, au premier plan, une cheminée. Un guéridon devant la fenêtre. À droite, premier plan, un secrétaire. Du même côté, sur le devant, un bureau. De chaque côté de la porte du fond, une console-armoire. Fauteuils, chaises. Un bon feu dans la cheminée. Tableaux, etc.
Scène première
PIGEONNEAU, puis MADAME BERNARD
PIGEONNEAU, seul ; il est assis devant le bureau, il écrit.
« Je soussigné reconnais avoir reçu de madame Gabaille la somme de sept cent vingt-huit francs pour trois mois de loyer, sans préjudice du terme courant et sous la réserve de tous mes droits. »
Parlé.
Enfin, on les touche !... J’aime à faire mes quittances de loyer... ça me délasse... Malheureusement ça ne revient que tous les trois mois.
Écrivant.
« Je soussigné reconnais... »
Il fait un mouvement pour secouer sa plume, et renverse un saladier qui est sur le bureau.
Allons, bon ! Qu’est-ce qu’on m’a fourré là ?...
Appelant.
Madame Bernard ! Madame Bernard !
MADAME BERNARD, entrant de gauche, pan coupé.
Me voilà ! Qu’y a-t-il ?
PIGEONNEAU, lui montrant les morceaux du saladier à terre.
Qu’est-ce que c’est que ça ?
MADAME BERNARD.
Tiens ! vous avez cassé le saladier !...
PIGEONNEAU.
Quelle rage avez-vous de placer sur mon bureau des ustensiles de cuisine ?... Un bureau doit être un sanctuaire.
MADAME BERNARD.
On m’a appelée... J’étais pressée...
Elle ramasse les morceaux et les place sur la console du fond, à gauche.
PIGEONNEAU.
Que fait mon gendre ?
MADAME BERNARD.
M. Émile ?... Il est dans sa chambre... il dort encore.
PIGEONNEAU.
Oui... il est rentré tard hier soir... Au moment de me mettre à table... il m’a écrit un petit mot.
Il prend une lettre sur son bureau et lit.
« Mon cher beau-père... ne comptez pas sur moi ce soir, j’ai mieux que vous. » Et j’ai dîné seul... c’est ennuyeux.
MADAME BERNARD.
Bah ! vous avez pris votre journal...
PIGEONNEAU.
Oui, mais alors on ne sait plus ce qu’on mange... ni ce qu’on lit.
MADAME BERNARD.
Je trouve que M. Émile se dérange bien souvent depuis quelque temps.
PIGEONNEAU.
Il a beaucoup de relations.
MADAME BERNARD.
Est-ce qu’il songerait à se remarier ?
PIGEONNEAU, se levant.
Lui !... Oh ! je suis bien tranquille !
MADAME BERNARD.
Dame ! Veuf à trente-deux ans !
PIGEONNEAU.
Non... le jour où il a perdu sa femme, il m’a promis solennellement de ne jamais se remarier... et comme c’est un honnête homme... D’ailleurs j’ai besoin de lui... il me fait toutes mes affaires.
MADAME BERNARD.
Il faut avouer que vous avez eu de la chance de tomber sur un gendre pareil... car, entre nous, votre fille avait un caractère...
PIGEONNEAU.
Insupportable !... Mais Hortense n’était pas ma fille... Je l’avais adoptée, voilà tout !
MADAME BERNARD.
Quelle drôle d’idée d’adopter des enfants, quand il est si facile d’en avoir à soi !
PIGEONNEAU.
Moi, je n’ai jamais voulu me marier... je trouve ça contraire à la nature... Mais, à quarante-quatre ans, j’eus un lumbago... Obligé de garder la chambre... Tout seul, je fis des réflexions et je me dis qu’un petit bébé ne ferait pas mal dans mon paysage... Alors, j’adoptai la fille d’un de mes concierges... une petite créature rose et blonde... mais, au bout de six mois, elle était devenue rouge... Ma parole d’honneur, je crois qu’ils l’avaient fait teindre pour m’amorcer... et puis, elle se mit à allonger... à allonger... cinq pieds sept pouces !... je n’osais pas la sortir.
MADAME BERNARD.
Je me rappelle qu’une fois au carnaval, on l’a prise pour un homme...
PIGEONNEAU.
Oui... on nous suivait sur le boulevard, j’avais l’air de promener un masque... Il y a même un monsieur décoré qui m’a dit : Très réussi ! très réussi !... Je lui aurais encore pardonné sa croissance, mais plus elle grandissait plus elle devenait maussade, exigeante, malhonnête.
MADAME BERNARD.
J’en sais quelque chose.
PIGEONNEAU.
Aussi, dès qu’elle eut dix-huit ans... je me dis : Toi, je vais te flanquer cinquante mille francs et un mari.
MADAME BERNARD.
Cinquante mille francs... c’est une somme...
PIGEONNEAU.
Je n’aurais pas pu m’en débarrasser à moins... Émile se présenta... La première fois qu’il la vit...
MADAME BERNARD.
Il recula ?
PIGEONNEAU.
Je vous en réponds !... Il recula jusqu’à Bayonne ! Mais comme il n’avait pas de passeport pour l’Espagne... il revint... Hortense s’agrafa des sourires plein la figure, sa couturière fit des prodiges, et comme le jeune homme avait un besoin urgent de payer sa charge de commissaire-priseur, l’affaire se fit... Je me disposais à leur louer un petit appartement sur la rive gauche... lorsque je m’aperçus que mon gendre était tout simplement un ange... un ange de douceur, de bonté, de complaisance !
MADAME BERNARD.
Oh ! c’est bien vrai !
PIGEONNEAU.
Il n’avait qu’un défaut...
MADAME BERNARD.
Lequel ?
PIGEONNEAU.
Sa femme !...
Madame Bernard remonte, il passe à gauche. S’attendrissant.
Hélas !... la pauvre enfant nous a quittés !... moissonnée à la fleur de l’âge !... Alors, j’ai dit à Émile : Soyons hommes ! secouons-nous ! étourdissons-nous ! et nous nous sommes traînés dans les théâtres... dans les concerts... à Mabille... Le temps a fait le reste...
MADAME BERNARD.
Oh ! je le crois à peu près consolé !...
PIGEONNEAU.
Je ne lui demande qu’une chose, c’est de rester fidèle à la mémoire d’Hortense.
Il s’assied, près de la cheminée.
MADAME BERNARD.
Qu’entendez-vous par là ?...
PIGEONNEAU.
J’entends par là... de ne jamais me quitter, de faire mon domino tous les soirs et de me tenir compagnie à table... parce que je n’aime pas à manger seul.
Scène II
PIGEONNEAU, MADAME BERNARD, DOMINIQUE, puis FLEURETTE
DOMINIQUE, entrant par le fond.
Monsieur ?
PIGEONNEAU.
Qu’est-ce que vous voulez ?...
DOMINIQUE.
C’est une ouvrière qui demande madame Bernard.
MADAME BERNARD.
Ah ! je sais ce que c’est... Faites entrer...
Dominique sort par le fond.
PIGEONNEAU.
Une ouvrière !...
MADAME BERNARD.
Une fille très sage, très honnête, qui m’a été recommandée... elle travaille en journée... et je veux lui faire faire une bonne robe de chambre pour votre hiver.
PIGEONNEAU.
Ah ! madame Bernard, si nous avions chacun trente ans de moins... je vous adopterais.
MADAME BERNARD, riant.
Taisez-vous donc !
FLEURETTE, paraissant au fond.
Madame !
MADAME BERNARD.
Entrez, mademoiselle.
PIGEONNEAU, à part.
Tiens ! elle est gentille !
MADAME BERNARD.
Sauriez-vous faire une robe de chambre pour Monsieur... avec un patron ?
FLEURETTE, regardant Pigeonneau.
Ah ! très facilement.
PIGEONNEAU.
Et si le patron ne suffit pas, on pourra prendre mesure sur l’original.
FLEURETTE, à part.
On dirait que le vieux me regarde.
MADAME BERNARD.
Attendez-moi là... je vais chercher l’étoffe...
Elle entre à droite, pan coupé.
Scène III
PIGEONNEAU, FLEURETTE, puis DOMINIQUE
Fleurette se tient debout au milieu de la scène, les yeux baissés.
PIGEONNEAU, à part.
Quel air modeste et candide !... Il faut pourtant que je lui dise quelque chose...
Se levant, haut et saluant.
Mademoiselle ?
FLEURETTE, les yeux baissés.
Monsieur !...
PIGEONNEAU.
Mademoiselle ?
FLEURETTE.
Fleurette.
PIGEONNEAU.
Mademoiselle est orpheline ?
FLEURETTE.
Non... j’ai papa et maman... mais j’ai perdu un oncle...
PIGEONNEAU.
Ah !... je comprends... Orpheline d’oncle seulement.
FLEURETTE.
Et de tante...
PIGEONNEAU.
Ah !... vous avez aussi perdu une tante ?
FLEURETTE.
Ma tante Brustache !
PIGEONNEAU, feignant l’intérêt.
Oh ! pauvre enfant !
FLEURETTE.
Ça m’est égal, parce que je ne la voyais jamais.
PIGEONNEAU.
Alors n’en parlons plus.
À part.
Très gentille !
Fleurette continue à se tenir au milieu du théâtre et baisse les yeux.
Mademoiselle Fleurette ?
FLEURETTE.
Monsieur !
PIGEONNEAU.
Et pensez-vous pouvoir réussir ma robe de chambre ?
FLEURETTE.
Avec l’aide du ciel, je l’espère...
PIGEONNEAU, à part.
Elle a des principes !
Haut.
Je ne tiens pas à l’élégance... pourvu que ce soit ample... étoffé... Ce n’est pas pour aller au bal de l’Opéra, ainsi...
FLEURETTE, s’oubliant.
Il y en a... j’en ai vu une samedi dernier.
PIGEONNEAU.
Comment ! vous allez au bal de l’Opéra ?...
FLEURETTE.
Avec ma mère, monsieur !
PIGEONNEAU.
Naturellement !
À part.
C’est une petite cascadeuse !
Haut.
Moi, de mon temps, j’ai fait les beaux jours de... cette réunion de famille...
FLEURETTE.
Vraiment ?
PIGEONNEAU.
Oui, en 1838, j’avais trouvé un petit cavalier seul...
Remontant à droite.
Madame Bernard n’est pas là ?... Je commençais par une culbute... je vous demande la permission de m’en dispenser... je me relevais avec grâce... et je partais...
Il fredonne et danse un pas de caractère. Fleurette le regarde et rit.
FLEURETTE.
Ah ! c’est le vieux jeu, ça !... aujourd’hui, voilà ce qu’on fait...
Elle fredonne et exécute un pas de danse moderne. Dominique paraît au fond à la fin du pas.
DOMINIQUE, poussant un cri.
Ah !...
PIGEONNEAU.
Qu’est-ce que tu veux ? Je n’aime pas qu’on entre chez moi quand je travaille...
DOMINIQUE.
Madame Bernard attend Mademoiselle dans la lingerie.
Il montre le pan coupé de droite.
FLEURETTE.
J’y vais.
Elle sort par la droite, pan coupé.
DOMINIQUE, montrant le pan de gauche.
Et puis, il y a dans le petit salon un locataire de Monsieur qui apporte son terme.
PIGEONNEAU.
C’est bien... la prospérité renaît...
Dominique sort par le fond.
Scène IV
PIGEONNEAU, ÉMILE
ÉMILE, entrant par la droite.
Bonjour, beau-père.
PIGEONNEAU.
Ah ! c’est toi, mon gendre !... mon bon gendre !... mon excellent gendre !...
Allant à son bureau.
Où sont mes quittances ?
ÉMILE.
Ce brave papa Pigeonneau !
PIGEONNEAU.
Vois-tu, quand tu n’es pas là... il me manque quelque chose... je ne suis pas complet.
Il prend ses quittances.
ÉMILE.
Je vous remercie, mais...
PIGEONNEAU.
Oh ! c’est que ton souvenir est doublé de celui d’Hortense... de notre pauvre Hortense !...
ÉMILE, très froidement.
Certainement, cette pauvre Hortense !
PIGEONNEAU.
Mais quand nous pleurerions... nous n’y pouvons rien...
ÉMILE.
Absolument rien.
PIGEONNEAU.
Alors, secouons-nous, morbleu !... secouons-nous ! Qu’est-ce que nous faisons ce soir ?
ÉMILE.
Oh ! ce soir... je ne suis pas libre... Monsieur Pigeonneau, j’aurais une communication à vous faire.
PIGEONNEAU, passant à gauche.
Plus tard... on m’attend... Tiens ! pour te distraire, voilà une petite liste de commissions.
Il montre un papier.
ÉMILE.
Ah ! oui !
PIGEONNEAU, lisant sur le papier.
« Passer dans ma maison rue de Verneuil... voir la pompe qui est cassée... examiner au troisième une cheminée qui fume... ne rien accorder... »
ÉMILE.
Naturellement.
PIGEONNEAU, continuant.
« Passer rue de Trévise... Le compteur ne marche pas... » Et cætera ! et cætera !... « Ne rien accorder. »
Il lui donne la liste.
ÉMILE.
Alors, ce n’est pas la peine d’y aller.
PIGEONNEAU.
Si... Acte de présence.
ÉMILE.
Monsieur Pigeonneau... j’aurais une communication...
PIGEONNEAU.
Je reviens... Il y a un locataire qui m’attend pour payer son terme... c’est sacré !... À tout à l’heure !
Il sort par la gauche, pan coupé, en faisant de grandes salutations adressées à la personne qui l’attend.
Scène V
ÉMILE, puis MADAME BERNARD
ÉMILE, seul.
Très brave homme, le papa Pigeonneau !... mais il me rase un peu avec ses commissions... Au bout du compte, voilà cinq ans que je ne suis plus son gendre... J’ai rendu la dot... Quant à sa fille, je ne veux pas en dire du mal, mais je l’avais épousée... nonchalamment. S’il croit que je vais continuer à faire réparer ses pompes, nettoyer ses compteurs... et à m’enivrer de sa partie de dominos... il se trompe ! J’ai d’autres projets... c’est même à cette occasion que j’avais une communication à lui faire... Je suis sur le point de me remarier... j’épouse mademoiselle Cécile Macassin... une blonde... une vraie... je suis admis depuis un mois à faire ma cour... j’envoie des bouquets... et nous signons le contrat ce soir... À midi j’offre un déjeuner d’adieu à mes amis... tous commissaires-priseurs... ce sera très gai... Voilà quinze jours que je veux avertir le papa Pigeonneau... mais le courage me manque... Pauvre homme ! ça va lui porter un coup... il aimait tant sa pauvre Hortense ! Chaque fois que je veux aborder la question, les paroles me rentrent dans le gosier... Alors j’ai pris le parti de lui écrire...
Montrant une lettre.
Voilà ma lettre... elle est très digne, très convenable...
MADAME BERNARD.
Monsieur n’est pas là ?
ÉMILE.
Non...
MADAME BERNARD.
On taille sa robe de chambre... c’est pour prendre la longueur des manches...
ÉMILE.
Il va revenir... Madame Bernard, voulez-vous avoir l’obligeance de lui remettre cette lettre ?
MADAME BERNARD.
Ah ! le facteur est venu ?
Elle prend la lettre.
ÉMILE.
Oui...
PIGEONNEAU, en dehors.
Monsieur, à l’honneur de vous revoir...
ÉMILE, à part.
C’est lui ! je me sauve !
Il entre dans sa chambre, à droite.
PIGEONNEAU, en dehors.
Au prochain trimestre.
Scène VI
PIGEONNEAU, MADAME BERNARD
PIGEONNEAU, entrant, comptant des billets de banque.
Quinze cents francs... Ça rentre...
Il les met dans sa poche.
MADAME BERNARD.
Monsieur, c’est une lettre pour vous.
Elle remonte.
PIGEONNEAU, la prenant et passant à droite.
Tiens ! c’est Émile... Je le quitte à l’instant... Que diable peut-il me vouloir ?
Lisant à haute voix.
« Mon cher beau-père... vous êtes homme, vous comprendrez les passions humaines... Je vis depuis cinq ans dans un célibat fâcheux qui me constitue à l’état de non-valeur dans la société... Vous ne trouverez donc pas mauvais, j’en ai l’espoir, que j’obéisse aux lois imprescriptibles de la nature et des nations civilisées. »
Parlé.
Eh bien, qu’est-ce que cela veut dire ?
MADAME BERNARD.
C’est bien clair... il veut prendre une maîtresse !
PIGEONNEAU.
Mais il n’a pas besoin de mon autorisation pour ça !
MADAME BERNARD.
Enfin, c’est un témoignage de déférence.
PIGEONNEAU.
Ce brave garçon !... À son âge... Je trouve ça tout naturel... À sa place, j’en ferais autant.
MADAME BERNARD.
Ah ! monsieur !
PIGEONNEAU.
Madame Bernard, vous ne connaissez pas l’homme.
MADAME BERNARD.
J’ai été mariée trois fois.
PIGEONNEAU.
Je vais lui répondre...
MADAME BERNARD.
Voulez-vous que j’aille le chercher ?... Il est dans sa chambre.
PIGEONNEAU, allant se mettre à son bureau.
Non... ces questions délicates demandent à être traitées avec la plume.
Écrivant.
« Mon cher gendre... je suis homme, je comprends les passions humaines... et, tout en me voilant les yeux, je ne puis m’empêcher de reconnaître les nécessités impérieuses auxquelles vous obéissez... Je ne vous demande qu’une chose, c’est de me réserver vos soirées... »
MADAME BERNARD.
La petite partie de dominos...
PIGEONNEAU.
« Votre affectionné beau-père, Pigeonneau. » Portez-lui ce billet.
Il lui donne la lettre.
MADAME BERNARD.
Tout de suite !
Elle entre à droite.
Scène VII
PIGEONNEAU, puis ÉMILE et MADAME BERNARD
PIGEONNEAU.
Après tout, je ne peux pas le cloîtrer... Un peu de désordre est nécessaire dans la vie d’un homme.
ÉMILE, entrant de droite, la lettre de Pigeonneau à la main. Il est suivi de Madame Bernard.
Ah ! cher beau-père !... je viens de lire votre lettre... Laissez-moi vous remercier... Moi qui craignais...
PIGEONNEAU.
Je suis homme, je comprends les passions humaines... et pourvu que les apparences soient sauvées...
ÉMILE.
Tenez... promettez-moi une chose.
PIGEONNEAU.
Laquelle ?
ÉMILE.
C’est d’assister à la cérémonie.
MADAME BERNARD, étonnée.
Hein ?
PIGEONNEAU, de même.
Quelle cérémonie ?
ÉMILE.
Eh bien... celle de mon mariage...
PIGEONNEAU.
De ton...
Avec éclat.
Tu veux te remarier ?
ÉMILE.
Sans doute...
MADAME BERNARD.
Ah bah !
ÉMILE.
Qu’aviez-vous donc compris ?
PIGEONNEAU.
Dame !... j’avais compris... Rien !... C’est madame Bernard !...
MADAME BERNARD.
Quoi !... je m’étais trompée ?
PIGEONNEAU.
Il est donc vrai, tu veux prendre une seconde femme ? tu veux devenir bigame ?
ÉMILE.
Puisque je suis veuf.
PIGEONNEAU.
Tu veux profaner l’autel où tu adoras Hortense !
ÉMILE.
J’ai adoré Hortense...
À part.
Pas tant que ça.
PIGEONNEAU, s’’attendrissant.
Pauvre enfant ! Cinq ans ont suffi pour balayer son souvenir !
MADAME BERNARD, à part.
Il va la pleurer à présent !
PIGEONNEAU.
Je la vois encore avec sa longue chevelure...
ÉMILE.
Rouge !
PIGEONNEAU.
Audacieuse !... et sa taille... au-dessus de la moyenne.
Il se rassied près de la cheminée.
ÉMILE.
Oui... un peu trop grande.
PIGEONNEAU.
Tu ne t’en plaignais pas autrefois... je me le rappelle... lorsqu’il s’agissait de prendre dans l’armoire un compotier ou quelque autre ustensile de ménage, sur la troisième planche, tout en haut... Tu étais obligé de monter sur une chaise, toi !
Se levant.
Hortense passait, et de sa main légère elle cueillait le compotier !...
MADAME BERNARD.
C’était charmant !...
ÉMILE.
Sans doute, mais...
PIGEONNEAU.
Et voilà la femme que tu songes à remplacer !
ÉMILE.
Que diable ! le mariage n’est pas une question de compotier !... Moi, je suis las de vivre seul... En me mariant, je ne fais de tort à personne... je n’ai pas d’enfant.
PIGEONNEAU.
Pas d’enfant !... À qui la faute ?
ÉMILE.
Mais... je crois...
PIGEONNEAU, vivement.
Respectez la mémoire d’Hortense !
ÉMILE, à part.
Ah ! il m’ennuie !
PIGEONNEAU.
D’ailleurs, j’ai ta parole... tu m’as juré de ne jamais te remarier.
ÉMILE.
Oh ! on dit ça !... vous savez...
Il remonte.
MADAME BERNARD.
Moi, je l’ai juré trois fois !
PIGEONNEAU, allant à Madame Bernard.
Taisez-vous, madame Bernard... Ne parlons plus d’Hortense... mais de moi... Tu veux me quitter... Qu’est-ce que je t’ai fait ?
ÉMILE.
Rien ! mais j’ai besoin d’un intérieur...
PIGEONNEAU.
Tu as le mien...
ÉMILE.
Ce n’est pas la même chose...
PIGEONNEAU.
Voyons ! veux-tu que je t’adopte ?... Ça ne m’a pas réussi une première fois.
ÉMILE.
Oh ! merci !... Je suis trop grand...
PIGEONNEAU.
Alors, que veux-tu ?
ÉMILE.
Je veux me marier !
PIGEONNEAU.
Oh ! ça, ne l’espère pas !... Je me dois à moi-même... et à la mémoire d’Hortense... de m’y opposer par tous les moyens possibles.
MADAME BERNARD, à part.
Pauvre garçon !
ÉMILE.
Alors, confisquez-moi, mettez-moi dans votre poche !
PIGEONNEAU.
Je ne sais pas ce que je ferai, mais je te jure, foi de Pigeonneau... que tu ne te remarieras pas...
Il passe à gauche.
ÉMILE.
Ah ! prenez garde !... je suis bon garçon... mais il ne faut pas me pousser à bout.
PIGEONNEAU.
Ça m’est égal...
Il s’assied près de la cheminée.
ÉMILE.
Eh bien, je vous jure, moi, que je me marierai sans votre consentement, à votre nez et à votre barbe ! Bonsoir !
PIGEONNEAU.
Bonjour !
ÉMILE, à part, regardant sa montre.
Midi moins un quart... je cours à mon déjeuner.
Haut.
À votre nez, à votre barbe !... Bonjour !
PIGEONNEAU.
Bonsoir !...
Émile sort par le fond.
Scène VIII
PIGEONNEAU, MADAME BERNARD, puis DOMINIQUE
PIGEONNEAU.
C’est la guerre !
Il tisonne fiévreusement.
MADAME BERNARD, s’approchant de lui.
Mais ce n’est pas sérieux !... Vous n’avez pas la prétention d’empêcher ce jeune homme de se marier si cela lui convient.
PIGEONNEAU.
Parfaitement !
MADAME BERNARD.
Et de quel droit ?
PIGEONNEAU.
Du droit d’un père qui ne veut pas laisser profaner la mémoire...
MADAME BERNARD.
Laissez-moi donc tranquille !... C’est pour vous que vous voulez le garder !
PIGEONNEAU.
Et quand cela serait ?... Je l’aime, ce garçon !... Voilà sept ans qu’il fait partie de mon existence... il m’est commode et utile... sous tous les rapports... D’abord, comme commissaire-priseur, il me fait avoir des occasions magnifiques... Ainsi, voilà un secrétaire... qui est de l’époque...
MADAME BERNARD.
De quelle époque ?
PIGEONNEAU.
Je n’en sais rien... C’est un marchand qui m’a dit : Il est de l’époque... Eh ! bien, tout le monde l’estime cent soixante francs... je l’ai eu pour quarante-deux, frais compris.
MADAME BERNARD.
Mais ce n’est pas une raison.
PIGEONNEAU.
Dans ma chambre, j’ai un Rubens... trois grosses femmes sur un char... trente francs... Vous voyez qu’il ne peut pas se remarier !
MADAME BERNARD.
Mais encore une fois...
PIGEONNEAU.
Non !... voyez-vous ! c’est un lâcheur !
DOMINIQUE, entrant par le fond.
Monsieur... il y a là un monsieur qui demande à vous parler.
PIGEONNEAU.
Un locataire ?
DOMINIQUE, lui donnant une carte.
Voici sa carte.
PIGEONNEAU, tirant la carte.
« Turba, pharmacien honoraire. »
Parlé.
Je ne connais pas... Fais-le entrer.
Scène IX
PIGEONNEAU, MADAME BERNARD, TURBA
TURBA, paraissant au fond et parlant à Dominique qui sort.
Merci, mon ami !...
Il tient à la main un parapluie et un paletot.
Est-ce à M. Pigeonneau que j’ai l’honneur de parler ?
PIGEONNEAU.
Oui, monsieur.
TURBA, mettant son paletot sur une chaise au fond et descendant.
Monsieur, je suis chargé près de vous d’une mission confidentielle.
MADAME BERNARD.
Suis-je de trop ?
TURBA, se récriant.
Oh ! madame...
Changeant de ton.
Hélas ! oui !
MADAME BERNARD.
Je me retire...
TURBA.
Pardon, madame... je vous prierai de bien fermer toutes les portes... je sors d’une grippe... et je crains les courants d’air...
MADAME BERNARD.
Je vais faire mettre des bourrelets...
À part.
C’est un maniaque...
Madame Bernard sort à droite, pan coupé.
PIGEONNEAU, avançant une chaise.
Prenez la peine de vous asseoir, monsieur...
Turba s’assied, tenant son chapeau d’une main et son parapluie de l’autre.
Si vous êtes enrhumé... veuillez vous recouvrir...
TURBA.
Puisque vous le permettez... ce n’est pas de refus.
Il pose son chapeau à terre à sa droite, tire une calotte de velours de sa poche, et la met sur sa tête.
PIGEONNEAU, à part.
Tiens ! il fait ses visites en calotte.
Il s’assied près de Turba.
TURBA.
Monsieur, c’est une terrible chose que la grippe... on a mal à la tête... mal aux reins... et on tousse...
PIGEONNEAU.
Et on expectore... Pardon, monsieur...
TURBA.
J’ai pourtant inventé une pâte contre le rhume... mais ça ne fait rien... Ça se vend beaucoup... mais ça ne fait rien...
PIGEONNEAU.
Ça ne m’étonne pas. Vous me disiez que vous étiez chargé d’une mission...
TURBA.
Ah ! oui !
Cherchant à se rappeler.
Qu’est-ce que c’est donc ?... Attendez... ça va me revenir...
PIGEONNEAU.
Attendons...
TURBA.
J’ai une mémoire qui déménage... je ne me rappelle bien que les choses de ma jeunesse. Ainsi, quand j’ai tiré à la conscription, j’ai amené le numéro 229... Jamais je n’oublierai cela !
PIGEONNEAU.
Certainement... c’est là un événement... Eh bien, est-ce venu ?
TURBA.
Non... voyons donc !... Ah ! j’y suis !
PIGEONNEAU.
Je vous écoute...
TURBA.
Monsieur, je suis chargé par une famille honorable de prendre des renseignements sur un jeune homme appelé...
Tirant son carnet.
permettez...
Lisant.
appelé Émile Gomer.
PIGEONNEAU, à part.
Mon gendre !
TURBA.
Il s’agit d’un mariage.
PIGEONNEAU.
Ah ! c’est pour...
À part.
Attends !... Je vais t’en donner, des renseignements.
TURBA.
Je devais venir il y a quinze jours, mais ma grippe...
PIGEONNEAU.
Monsieur, je connais parfaitement le jeune homme auquel vous faites allusion.
TURBA.
Pardon !... j’ai couché sur mon carnet une série de questions.
PIGEONNEAU.
Parlez...
TURBA, consultant son carnet.
D’abord la santé... c’est très important.
PIGEONNEAU.
Mon Dieu ! je ne vous dirai pas que ce jeune homme est malade... mais il a des saignements de nez... ses digestions sont lentes... il s’endort après ses repas.
TURBA.
Très bien !
Écrivant sur son carnet.
« Nature étiolée. »
Parlé.
J’écris la réponse en regard...
PIGEONNEAU.
Très ingénieux !
TURBA.
Maintenant : moralité ?
PIGEONNEAU.
Mon Dieu !... Il a rendu ma fille à peu près heureuse... à peu près...
TURBA.
Oui... pas tout à fait.
PIGEONNEAU.
Je n’ai pas à lui reprocher... de conflagration... dans le domicile conjugal... mais au-dehors, je ne réponds de rien...
TURBA.
Je comprends.
Écrivant.
« Fait la noce extra muros. »
PIGEONNEAU, se relevant et remettant sa chaise près du bureau.
Je suis vraiment désolé d’avoir à vous donner des renseignements aussi peu favorables.
TURBA, se levant.
Moi... ça m’est égal... je suis un ami de la famille.
Consultant son carnet.
Autre question... caractère ?
PIGEONNEAU.
Oh ! déplorable... il est emporté, violent... Attendez !
Il va prendre les morceaux du saladier qui sont restés sur la console.
Je ne l’invente pas. monsieur, voici ce qu’il a encore brisé ce matin !
TURBA, s’asseyant près du bureau.
Très bien.
Écrivant.
« Casse les saladiers. »
Parlé.
Maintenant, j’arrive à un point délicat.
Mystérieusement.
Quelles sont ses opinions politiques ?
PIGEONNEAU.
Lui ?... Mais... il n’en a pas...
TURBA.
Ah ! le malheureux !
Écrivant.
« Patriote indolent. »
PIGEONNEAU.
Voilà sa nuance.
TURBA, se levant.
Monsieur, je suis heureux des renseignements que vous avez bien voulu me donner.
PIGEONNEAU.
Tout à votre service, monsieur...
TURBA.
Je vais les transmettre à la famille... Entre nous, je crois que c’est un mariage flambé.
PIGEONNEAU.
Moi aussi...
TURBA, saluant.
Monsieur...
Il sort par le fond avec son parapluie à la main et sa calotte sur la tête.
PIGEONNEAU, redescendant en scène.
Franchement, il ne pouvait pas mieux tomber.
Il range la chaise de Turba et aperçoit le chapeau qui est resté à terre et le ramasse.
Tiens ! il a oublié son chapeau...
Courant à la porte du fond et appelant.
Eh ! monsieur !... Monsieur !...
TURBA, reparaissant.
Vous m’appelez ?...
PIGEONNEAU.
Votre chapeau...
Il le lui donne.
TURBA.
Ah ! ma pauvre tête !
Montrant son chapeau.
Et comme ce n’est pas une chose de ma jeunesse...
Saluant.
Monsieur...
PIGEONNEAU.
Monsieur...
Ils se font des politesses. Turba sort par le fond sans prendre son paletot qui est resté sur une chaise.
Scène X
PIGEONNEAU, puis FLEURETTE
PIGEONNEAU, seul.
Crac ! cassé ! brisé !... Il ne se remariera pas !... cette fois du moins !... mais demain, après-demain !... il peut renouer d’autres projets... et l’on ne viendra pas toujours me demander des renseignements... Il faudrait trouver un moyen de l’attacher au célibat... Je ne parle pas de la mémoire d’Hortense... C’est usé ! Il doit avoir du vide, ce garçon... il lui faudrait une liaison, une petite chaîne... qui ne lui prît pas ses soirées... mais je ne peux pas lui chercher ça, moi... En fait de femme, je ne vois ici que madame Bernard.
FLEURETTE, entrant par la droite, pan coupé.
Je ne vous dérange pas ?
PIGEONNEAU, à part.
Tiens ! la petite cascadeuse...
Haut.
Du tout... Approchez, mon enfant.
FLEURETTE, une manche à la main.
C’est pour la robe de chambre... je viens régler la longueur des manches ; vous permettez ?
PIGEONNEAU, à part.
Elle est tout à fait gentille !...
FLEURETTE.
Allongez le bras.
PIGEONNEAU.
Lequel ?
FLEURETTE.
Oh ! n’importe...
Pigeonneau allonge le bras et Fleurette lui met la manche.
PIGEONNEAU, à part.
Comment diable lui demander ça ?... c’est très difficile...
FLEURETTE.
Le parement, vingt centimètres...
Retirant la manche.
Merci, monsieur.
Elle fait mine de se retirer.
PIGEONNEAU, la rappelant.
Pardon, mademoiselle Fleurette, j’ai quelque chose à vous dire.
FLEURETTE, revenant.
À moi ?
Elle pose la manche sur la chaise près du bureau.
PIGEONNEAU.
Oui, je suis triste... Mon gendre m’inquiète... Le connaissez-vous, mon gendre ?
FLEURETTE.
Non.
PIGEONNEAU.
C’est un charmant garçon... et généreux !... Il ne regarde pas à l’argent.
FLEURETTE.
C’est une qualité bien rare aujourd’hui.
PIGEONNEAU.
Je vous en réponds !... Eh bien, depuis qu’il a perdu sa femme, ce pauvre Émile... – il s’appelle Émile... joli nom, n’est-ce pas ?
FLEURETTE.
Pas mal.
PIGEONNEAU.
Ce pauvre Émile est sombre, morose... Enfin, je crains qu’il n’ait des idées de suicide.
FLEURETTE.
Pauvre garçon ! Il faut le remarier.
PIGEONNEAU, vivement.
Ah ! non !
FLEURETTE.
Alors, je ne comprends pas... Qu’est-ce que vous voulez ?
PIGEONNEAU.
Voilà, je voudrais qu’une personne jeune, jolie, gaie... comme vous, voulût bien se charger d’entreprendre sa guérison.
FLEURETTE.
Ah !
PIGEONNEAU.
En tout bien, tout honneur !... Je suis incapable de vous donner un mauvais conseil !
FLEURETTE.
Eh bien, papa Pigeonneau, je vais vous parler franchement.
PIGEONNEAU, à part.
Elle m’appelle papa Pigeonneau... Déjà !...
FLEURETTE.
Ce que vous demandez est tout bonnement impossible !
PIGEONNEAU.
Pourquoi ?
FLEURETTE.
Il y a un monsieur qui demande à m’épouser...
PIGEONNEAU, vivement.
Oh ! ne faites pas cela !
FLEURETTE.
C’est un Suisse.
PIGEONNEAU.
Qu’est-ce qu’il fait, votre Suisse ?
FLEURETTE.
Il fait des bottes.
PIGEONNEAU.
Écoutez... vous ne me connaissez pas, mais je suis incapable de vous donner un mauvais conseil. Eh bien, le mariage, c’est une position fausse. Voyons, qu’est-ce que vous gagnerez à épouser votre bottier ? Beaucoup d’enfants... À vingt-cinq ans vous serez laide.
FLEURETTE, passant à gauche.
Par exemple !...
PIGEONNEAU.
Parole d’honneur !... Vous vivrez de privations, vous porterez des robes à dix-huit sous le mètre ; tandis qu’en restant garçon,
Se reprenant.
c’est-à-dire demoiselle, vous êtes libre, recherchée, brillante ! Vous devenez à la mode... on met votre nom dans les journaux, votre photographie dans les boutiques !
FLEURETTE.
Ah ! taisez-vous ! vous finirez par me tourner la tête. Il y a du bon dans ce que vous dites... Alors, c’est comme dame de compagnie que vous voulez m’enrôler ?...
PIGEONNEAU.
Je ne vous conseillerais pas de chercher à prendre un autre emploi.
FLEURETTE.
Vraiment ?
PIGEONNEAU.
Vous perdriez votre temps... Émile a des principes, il ne jette pas son cœur à la figure de tout le monde...
FLEURETTE, souriant.
Oh ! si je voulais m’en donner la peine...
PIGEONNEAU.
Vous !... Non... vous n’êtes pas dans ses cordes.
FLEURETTE.
Il est donc bien difficile ?
PIGEONNEAU.
Très difficile. Tenez, je vous parie cinq cents francs que...
FLEURETTE.
Quoi ?
PIGEONNEAU.
Que vous ne le faites pas aller au bal de l’Opéra avec vous ce soir... En tout bien, tout honneur !...
La voix d’ÉMILE, en dehors.
Faites-moi du thé, tout de suite !
PIGEONNEAU, remontant à gauche.
C’est lui ! Est-ce convenu ?
FLEURETTE.
Attendez !... Il faut que je voie d’abord s’il est dans mes cordes, comme vous dites.
PIGEONNEAU.
Naturellement.
À part.
Elle y viendra !
Haut.
Je vous gêne ?
FLEURETTE.
Non... mais allez-vous-en.
PIGEONNEAU.
Vous avez perdu, vous n’êtes pas dans ses cordes !...
Il sort à gauche, pan coupé. Émile entre par le fond.
Scène XI
FLEURETTE, ÉMILE, puis PIGEONNEAU
ÉMILE, un peu gris, à part.
Nous étions quatorze commissaires-priseurs ; ils m’ont fait boire du champagne... et puis on a rebu... J’ai porté un toast à l’hôtel des ventes... mais j’ai bien mal à la tête.
Il s’assoit près du bureau et met la tête dans ses mains.
FLEURETTE, à part.
Tiens ! il est châtain... il doit aimer les blondes !
Haut, timidement.
Monsieur...
Émile ne répond pas.
Monsieur...
À part.
Il ne m’entend pas, il est plongé dans sa douleur...
Haut.
Pardon, monsieur, je crois que vous êtes assis sur mon ouvrage.
ÉMILE, se levant et allant s’asseoir de l’autre côté, sans la regarder.
Faites, mademoiselle... faites...
FLEURETTE, à part, reprenant la manche.
Ah ! mais s’il ne me regarde pas !
S’approchant d’Émile qui est assis.
Pardon... Monsieur...
ÉMILE, se levant et retournant s’asseoir où il était.
Faites, mademoiselle, faites.
FLEURETTE.
Si ça continue, nous allons faire du chemin.
Elle prend une chaise qu’elle pose tout à côté d’Émile ; elle s’y assoit, étale la manche et se met à travailler. Émile ne la regarde pas.
ÉMILE, à part, rêveur.
Il n’y a que Brébant pour l’écrevisse bordelaise !
FLEURETTE.
Vous êtes triste, monsieur Émile ?...
ÉMILE, la regardant.
Tiens ! vous êtes là !... Je ne suis pas triste... je suis très gai au contraire... je viens de déjeuner avec des commissaires-priseurs... J’ai porté un toast à l’hôtel des ventes.
FLEURETTE.
Ah ! c’est bien ! Il faut s’étourdir.
ÉMILE.
Il faut vous dire que je suis sur le point de me marier.
FLEURETTE.
Comment ! Vous !
Elle se lève, fourre la manche dans sa poche et remet la chaise près de la cheminée.
ÉMILE.
Êtes-vous mariée, mademoiselle ?
FLEURETTE, sèchement.
Non, monsieur.
ÉMILE, se levant et allant à elle.
Eh bien ! mariez-vous !... parce que le mariage, il n’y a que ça de vrai.
FLEURETTE, à part.
Tiens ! c’est le jeune qui me donne de bons conseils.
ÉMILE.
Vous devez avoir un amoureux... jolie comme vous êtes... peut-être plusieurs.
FLEURETTE.
C’est possible.
ÉMILE.
Eh bien, ne les écoutez pas.
FLEURETTE.
Vraiment ?
ÉMILE.
Si je n’avais pas bu du Champagne... avec des commissaires-priseurs... je vous expliquerais ça.
FLEURETTE, à part.
Il est gris.
ÉMILE.
Voyez-vous, les petits messieurs... c’est très gentil... quand on commence... ça vous donne des mobiliers... ça vous loge au premier étage... sur la rue... et ça vous mène dîner au restaurant... mais, un beau matin, ça vous lâche.
FLEURETTE.
Pas tous...
ÉMILE.
Tous !... Vous me direz : On en prend un autre... Celui-là vous loge au second, sur la cour... Le troisième vous fait encore monter d’un étage... Et ainsi de suite... jusqu’à l’ardoise ; plus on monte, plus on dégringole.
Il passe à gauche.
FLEURETTE, à part.
Il y a du bon dans le vin de cet homme-là !
ÉMILE.
Moi, je vous dis ça... je m’en fiche... vous n’êtes pas ma sœur...
FLEURETTE.
Alors, vous me conseillez de me marier ?
ÉMILE.
Toujours !... parce qu’un mari ça ne vous lâche pas... c’est bien à vous... et puis on a des enfants... des vrais !... Si je n’avais pas bu du Champagne, je vous expliquerais comment.
FLEURETTE.
C’est possible, mais on mange du pain sec.
ÉMILE.
On embrasse ses petits... alors, ce n’est plus du pain sec... Dieu ! que j’ai mal à la tête.
FLEURETTE, avec élan.
Ma foi ! tenez... vous êtes un bon garçon, vous... vous m’avez remuée... Embrassez-moi !
Elle lui saute au cou et l’embrasse.
PIGEONNEAU, paraissant à gauche, pan coupé, les voyant s’embrasser, à part.
Vlan !... ça y est !...
ÉMILE, passant à droite.
Pensez à ce que je vous ai dit... Je vais m’habiller.
PIGEONNEAU, à part.
Pour le bal de l’Opéra.
ÉMILE, à part, entrant dans sa chambre à droite, en trébuchant.
Je ne sais pas ce que Brébant a mis dans ses écrevisses... mais ça tourne...
Il disparaît.
Scène XII
PIGEONNEAU, FLEURETTE, puis MADAME BERNARD
PIGEONNEAU, s’avançant.
Eh bien ! j’ai perdu...
FLEURETTE.
Quoi ?
PIGEONNEAU.
Voilà cinq cents francs.
Il les lui remet.
FLEURETTE.
Non, vous n’y êtes pas.
PIGEONNEAU.
J’ai vu... ça me suffit !... Seulement, dites-lui de mettre un faux nez... pour le monde...
MADAME BERNARD, entrant de droite, pan coupé.
Eh bien ! mademoiselle... et cette robe de chambre que vous avez laissée là ?
FLEURETTE.
Ce n’est pas ma faute, M. Pigeonneau m’avait chargée d’un travail particulier.
PIGEONNEAU.
Oui...
À part.
Petit serpent !... elle ira loin.
Fleurette sort à droite, pan coupé.
Scène XIII
PIGEONNEAU, MADAME BERNARD, TURBA
TURBA, paraissant au fond, son parapluie à la main.
C’est encore moi... J’ai oublié mon paletot.
L’apercevant sur la chaise.
Tenez... le voilà.
Il le prend.
Je vous demanderai la permission de le mettre... je me suis un peu refroidi.
Il donne son parapluie à Madame Bernard, qui le dépose sur la console de droite.
PIGEONNEAU, à Turba, tout en l’aidant à mettre son paletot.
Eh bien ! et les renseignements ?... Les avez-vous portés ?
TURBA.
Oui... je sors de chez le beau-père...
MADAME BERNARD, à part.
Ah ! le mariage d’Émile !
TURBA.
Ça lui va...
PIGEONNEAU, étonné.
Comment ! ça lui va ?...
TURBA.
Il est enchanté !... Je ne comprends rien à cette famille-là.
PIGEONNEAU.
Vous ne lui avez donc pas lu ?...
TURBA.
Tout ! Nature étiolée... Fait la noce extra muros... Casse les saladiers...
MADAME BERNARD, à part.
Ils sont jolis... les renseignements !...
PIGEONNEAU.
Eh ! bien ?
TURBA.
Eh ! bien... il a ri comme un bossu... il disait : « C’est charmant ! c’est charmant ! » Je le crois un peu ramolli...
PIGEONNEAU.
C’est impossible.
TURBA.
Il dit qu’il vous connaît ; vous êtes du même cercle.
PIGEONNEAU.
Son nom ?
TURBA.
Macassin.
PIGEONNEAU.
Un ami de quinze ans !
TURBA.
Il paraît qu’en jouant aux dominos, vous lui faisiez tous les jours l’éloge de votre gendre. Et quand je lui ai apporté vos renseignements... il m’a dit : « C’est une craque. »
PIGEONNEAU.
Alors le mariage se fera ?
TURBA.
Certainement !... On signe le contrat ce soir...
PIGEONNEAU, à part.
Ce soir !... Patatras !...
TURBA, saluant.
Monsieur, à l’avantage.
À Madame Bernard.
Ah ! madame, je vous signale dans l’antichambre une fenêtre ouverte...
Relevant le collet de son paletot.
C’est très imprudent...
MADAME BERNARD.
Bien, monsieur... On la fera murer pour le jour de l’An.
Turba sort par le fond, en oubliant son parapluie.
Scène XIV
PIGEONNEAU, MADAME BERNARD, puis DOMINIQUE, puis FLEURETTE
PIGEONNEAU, à Madame Bernard.
Ce soir, entendez-vous ! ce soir !
MADAME BERNARD.
Quoi ?
PIGEONNEAU.
Il signe son contrat.
MADAME BERNARD.
Que voulez-vous y faire ?
PIGEONNEAU.
Il n’ira pas ! je ne veux pas qu’il y aille !
Il va fermer à clé la porte de la chambre d’Émile.
MADAME BERNARD.
Vous l’enfermez ?...
PIGEONNEAU.
Mieux que cela.
Appelant.
Dominique ! Dominique !
DOMINIQUE, entrant du fond.
Monsieur ?...
PIGEONNEAU.
Aide-moi à porter ce secrétaire... Là… devant cette porte...
DOMINIQUE.
Mais M. Émile ne pourra plus sortir...
PIGEONNEAU.
Fais ce que je te dis...
Il place, aidé de Dominique, le secrétaire devant la porte de droite.
MADAME BERNARD, à part.
Il devient fou !
PIGEONNEAU.
Barricadé !
On entend frapper à la porte dans la chambre d’Émile.
Chut ! c’est lui !
La voix d’ÉMILE, au-dehors.
Monsieur Pigeonneau... ouvrez-moi... je suis enfermé.
PIGEONNEAU, bas aux autres et prenant le milieu.
Ne répondons pas !
ÉMILE, au-dehors.
Monsieur Pigeonneau !
On l’entend donner des coups de pied dans la porte. Le bruit cesse.
PIGEONNEAU, bas.
Il se calme... Maintenant il faudrait agir sur Macassin.
Poussant un cri.
Ah !...
MADAME BERNARD.
Quoi ? Vous m’avez fait peur !
PIGEONNEAU, allant s’asseoir au bureau.
J’ai trouvé ! Ce billet qu’il m’a écrit hier.
Il le prend sur le bureau et lit.
« Mon cher beau-père, ne comptez pas sur moi ce soir, j’ai mieux que vous... »
Parlé.
Je vais l’envoyer à Macassin.
MADAME BERNARD.
Vous n’y pensez pas.
PIGEONNEAU.
Un jour de contrat... ça fera très bien.
Il met le billet sous enveloppe.
On en donnera lecture devant la famille assemblée... Je voudrais voir la tête du notaire.
MADAME BERNARD.
C’est de la férocité !
PIGEONNEAU.
Taisez-vous !
MADAME BERNARD.
Non !
PIGEONNEAU.
Je vous donne votre compte !
MADAME BERNARD.
Je ne l’accepte pas !
PIGEONNEAU.
À la bonne heure !
Remettant la lettre à Dominique.
Dominique... cette lettre à M. Macassin, 29, rue Bleue... Pas de réponse.
DOMINIQUE.
Tout de suite !
Il sort par le fond.
FLEURETTE, entrant de droite, pan coupé.
Madame, je n’ai plus de doublure...
PIGEONNEAU.
Fleurette !... Elle va me servir...
Lui indiquant le bureau.
Mettez-vous là, et écrivez...
FLEURETTE.
Moi... écrire ?
PIGEONNEAU.
Puisque je vous paie votre journée... que vous fassiez ça ou autre chose...
FLEURETTE.
C’est que... l’orthographe...
Elle s’assied devant le bureau.
PIGEONNEAU.
Tant mieux ! ce sera plus nature. Écrivez...
Dictant.
« Monsieur Macassin... » Mettez deux s parce que ça ferait magasin...
Continuant.
« Puisque mon amant épouse votre fille... »
FLEURETTE, refusant d’écrire.
Ah ! non !
PIGEONNEAU.
Écrivez !... Cinq cents francs !
Il les montre.
Cinq cents francs pour vous !
FLEURETTE.
Donnez...
PIGEONNEAU.
Après.
FLEURETTE, écrivant.
« Puisque mon amant épouse votre fille... »
PIGEONNEAU, regardant ce qu’elle écrit.
Elle a mis fil... Ah ! une couturière !
Haut et dictant.
« Je vous renvoie les cheveux qu’il m’a donnés dans un jour d’abandon... »
MADAME BERNARD.
Tenez ! je trouve ça hideux !
PIGEONNEAU.
Silence, madame Bernard !
MADAME BERNARD.
Je vous donne votre compte !
PIGEONNEAU.
Je ne l’accepte pas !
MADAME BERNARD.
À la bonne heure !
PIGEONNEAU, dictant.
« Quant à notre enfant, il pourra venir le voir tous les jeudis, de quatre à six. »
FLEURETTE, se récriant.
Ah ! notre enfant !... jamais !
PIGEONNEAU.
Cinq cents francs !
Les lui donnant.
Les voilà.
FLEURETTE, à part, écrivant.
Ça m’est égal... je ne signerai pas de mon nom... voilà.
Elle se lève.
PIGEONNEAU.
Maintenant, il nous faut des cheveux... Madame Bernard, des ciseaux.
MADAME BERNARD, remontant.
Non ! je ne vous prêterai pas les miens !
PIGEONNEAU, allant à la cheminée.
J’en ai vu sur la cheminée !...
Il les prend.
Les voici !
Il se coupe une mèche de cheveux et la regarde.
Ah ! diable !... ce n’est pas sa nuance, il est châtain.
FLEURETTE, riant.
Et vous êtes poivre et sel.
MADAME BERNARD.
C’est bien fait !
PIGEONNEAU.
Comment faire ?
DOMINIQUE, entrant par le fond.
Je viens de porter la lettre...
PIGEONNEAU, allant à lui.
Dominique !... approche... Il est châtain !... Ne bouge pas !
Il veut lui couper une mèche de cheveux.
DOMINIQUE, résistant.
Non, monsieur !... je ne veux pas !
PIGEONNEAU.
Cinq cents francs...
Se reprenant.
Cinq francs pour toi.
Fleurette va à Madame Bernard.
DOMINIQUE.
Ah ! à ce prix-là...
PIGEONNEAU, après avoir coupé la mèche, allant s’asseoir au bureau.
Je te les donnerai le jour de ma fête.
Il met les cheveux et la lettre écrite par Fleurette sous enveloppe, et écrit l’adresse. Se levant, à Dominique.
Cette lettre à M. Macassin, 29, rue Bleue.
DOMINIQUE.
Encore !... mais il faut que je serve le dîner.
PIGEONNEAU.
Alors, envoie le concierge... C’est pressé.
Madame Bernard remonte.
DOMINIQUE.
Tout de suite !...
À part.
Mais pourquoi envoie-t-il de mes cheveux à M. Macassin ?...
Il sort par le fond.
PIGEONNEAU.
Ah ! j’ai chaud !... mais je gagnerai la partie.
Scène XV
PIGEONNEAU, MADAME BERNARD, FLEURETTE, TURBA, puis DOMINIQUE, puis ÉMILE
TURBA, entrant par le fond.
C’est encore moi... j’ai oublié mon parapluie.
MADAME BERNARD.
C’est celui-ci sans doute...
Elle le lui remet.
PIGEONNEAU.
Chez moi... rien ne se perd.
Dominique rentre, place le guéridon près de la cheminée et met dessus deux couverts, qu’il prend dans la console de gauche.
TURBA.
Oh ! je suis bien tranquille !... on ne peut pas me le prendre ce parapluie-là... j’ai pris mes précautions.
FLEURETTE.
Tiens ! moi qui en perds deux par semaine.
TURBA.
C’est bien simple.
Il ouvre son parapluie. Tous les personnages se mettent dessous.
Lisez... là-en haut du manche...
PIGEONNEAU, lisant.
« Ce parapluie a été volé à M. Turba, pharmacien honoraire, 9, rue de Provence. »
TURBA.
Vous comprenez... personne ne peut le garder... On me l’a déjà rapporté vingt-deux fois.
Madame Bernard sort par le fond.
FLEURETTE.
Très malin !
PIGEONNEAU.
Très fort !
TURBA.
Je vous demanderai la permission de me chauffer les pieds.
Il va s’asseoir devant la cheminée. Madame Bernard rentre, apportant une soupière qu’elle met sur le guéridon.
MADAME BERNARD.
Monsieur est servi...
PIGEONNEAU, allant au guéridon.
Allons ! à table !... Ce pauvre Émile... il doit avoir faim... Si je lui faisais passer une assiette de potage ?...
Il remplit une assiette.
MADAME BERNARD, s’approchant.
La voici... Je vais la lui porter.
PIGEONNEAU, prenant l’assiette et se levant.
Non... moi...
À Dominique.
Ôtez le secrétaire... C’est trop chaud !
Dominique débarrasse la porte tandis que Pigeonneau souffle sur l’assiette.
PIGEONNEAU, entrant dans la chambre à droite.
Émmile... mon ami...
Fleurette a pris le soufflet et souffle dans le cou de Turba. Elle cache vivement son soufflet. Ce jeu se répète plusieurs fois.
TURBA.
Sapristi ! fermez donc les portes.
PIGEONNEAU, rentrant un rideau à la main.
Personne... Il est parti.
MADAME BERNARD.
Par où ?
PIGEONNEAU.
Par la fenêtre, à l’aide de ses rideaux.
Il jette le rideau à Dominique.
FLEURETTE.
Oh ! un entresol !
PIGEONNEAU.
Et moi qui croyais le retenir !...
ÉMILE, paraissant au fond.
Beau-père... j’ai l’honneur de vous faire part de mon mariage avec mademoiselle Macassin... Je viens de signer mon contrat...
PIGEONNEAU.
Comment ! Malgré mes lettres !...
ÉMILE.
Je suis arrivé avant elles... c’est moi qui les ai reçues.
Lui remettant un petit papier.
Je vous rapporte les cheveux de Dominique.
PIGEONNEAU, à Dominique, lui donnant le paquet.
Tiens ! tu peux les reprendre...
Fleurette passe à droite.
ÉMILE.
Ah ! monsieur Pigeonneau, ce n’est pas gentil, ce que vous avez fait là...
PIGEONNEAU.
Mon ami... je t’aimais tant !... Tu viendras me voir quelquefois ?
Madame Bernard va derrière le guéridon.
ÉMILE.
Certainement... au jour de l’An.
PIGEONNEAU.
Et s’il te passe par les mains quelque Rubens... dans mes prix... pense à moi.
ÉMILE.
Soyez tranquille !
FLEURETTE, à part.
Décidément, le petit se marie... C’est dommage.
MADAME BERNARD.
Monsieur, le potage refroidit.
PIGEONNEAU, allant se mettre à table.
Me voilà ! Mon Dieu ! que c’est ennuyeux de dîner seul.
Apercevant Turba qui se chauffe.
Monsieur !...
Turba ne répond pas. Lui frappant sur l’épaule.
Monsieur... voulez-vous me faire le plaisir de dîner avec moi ?
TURBA, se retournant.
Ça dépend... Qu’est-ce que vous avez ?
PIGEONNEAU, à Madame Bernard.
Qu’est-ce que nous avons ?
MADAME BERNARD.
Potage au gruau.
Pigeonneau répète les mots après elle.
Merlan frit... poulet gommé au blanc... et crème à la guimauve...
TURBA, mettant sa calotte de velours.
Un dîner pectoral... J’accepte.
Il se met à table.