Délie (Jean DONNEAU DE VISÉ - CHAMPMESLÉ)
Pastorale en cinq actes et en vers.
Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Palais Royal en 1668.
Personnages
DÉLIE, Bergère
LICIDAS, Berger, Amoureux de Délie
CÉLIANTE, Berger, Amoureux de Délie
ORPHISE, Bergère, Amante de Céliante
PHILÈNE, Berger, Amant de Délie
FLORICE, Bergère, Amante de Philène
CÉLIDAN, Berger de l’Île de Smyrne
PÉRIANDRE, Envoyé du Roi de Thrace, pour le Tribut qu’il tirait tous les ans de l’Île de Scire
GARDES DE PÉRIANDRE
La Scène est en l’Île de Scire.
AU ROI
Sire,
Je ne présente à VOTRE MAJESTÉ que des Bergers, ne trouvant point de Grands Hommes dans l’Antiquité, qui approche d’un Monarque qui nous fait voir en sa seule Personne, tout ce qui a rendu leurs Noms Illustres. En vain, je tâcherais d’ébaucher votre Tableau sur le leur, vous n’avez de Modèle que Vous-même. Je sais que si je considère séparément les Fondateurs de l’Empire Romain, je verrai un courage en Romulus, digne d’éterniser son Nom ; une Politique en Numa, qui a fait, par la force des Lois et de la Raison, ce que son Prédécesseur avait commencé par sa Valeur ; et je verrai, enfin, Tullus, mettre par la magnificence de ses Bâtiments, la dernière main à cette Monarchie. VOTRE MAJESTÉ n’a pas fondé celle des Français ; mais par la grandeur de ses Actions, elle l’assure, et en étend les bornes. Elle ne donne pas des Lois à un nouvel État ; mais elle en réforme les abus : et enfin ses Bâtiments surpassent tous ceux de l’Antiquité. Si laissant Rome en son Berceau, je l’examine dans sa plus haute splendeur, pour y trouver des Crayons proportionnés à ceux qui doivent faire la Peinture de VOTRE MAJESTÉ, je la verrai, toute superbe, me présenter la grandeur des Césars, et ses Victoires ; la Clémence d’Auguste, dans le Pardon de ses Ennemis ; la Sagesse de Justinien, dans l’Établissement des Lois ; et la Piété de Constantin, dans la Défense de la Religion : mais je ne verrai qu’en la seule Personne de VOTRE MAJESTÉ toutes leurs Vertus ensemble, sans aucun de leurs Défauts. Je trouverai en Elle, un prince Victorieux, comme César, par sa propre Valeur ; Clément, comme Auguste ; Équitable, comme Justinien, dans la Réforme de la Justice ; et Pieux comme Constantin, en domptant l’Hérésie. Tant de Vertus, SIRE, m’imposent le silence ; et si j’ose, encore, parler, ce n’est que pour protester que je suis,
SIRE, DE VOTRE MAJESTÉ,
Le très humble, très obéissant, et très fidèle Serviteur, et Sujet.
AU LECTEUR
Comme tous les Auteurs se donnent trop de louanges, ou condamnent trop leurs ouvrages, et que je ne veux faire ni l’un, ni l’autre, j’aurais bien voulu ne point donner de Préface. Mais le Libraire qui a cru que cette Comédie aurait plus de débit, si je disais qu’elle a été représentée devant le Roi, a désiré que le Lecteur en fût averti. Je l’ai, donc, satisfait, sans avoir néanmoins la pensée pour cela, que sa Majesté l’ait trouvée belle. Ce grand Monarque n’étant pas moins Galant, que grand Politique et grand Guerrier, connait aussi bien les défauts d’un ouvrage, que ceux d’un Escadron et d’un Bataillon. Tout ce que l’ose dire, est que quelques Endroits ne lui ont pas déplu ; et que si je n’en étais assuré, je ne prendrai pas la liberté de lui en présenter l’Impression.
ACTE I
Scène première
LICIDAS, seul
Lieux charmants, aimable Séjour,
Que je crus éloignés des chagrins de la vie,
Bois, à qui si souvent, j’ai conté mon amour,
Préparez un triomphe à la belle Délie.
Beaux Arbres, qui rendez ces Demeures si sombres,
Tilleuls, qu’elle aime tant, hâtez-vous de fleurir :
Et ne songez plus qu’à mourir,
Quand elle quittera vos ombres.
Favoris du Printemps, agréables Zéphyrs,
Pour la mieux recevoir, répandez dans ces Plaines,
La douce odeur de vos haleines ;
Et, si vous le pouvez, sans troubler ses plaisirs,
Pour servir mon Amour, portez-lui mes soupirs.
Vous la verrez bientôt, puisque cette Bergère
Vient, pour se promener, en ces lieux, chaque jour :
Mais las ! Ce qui me désespère,
Elle est insensible à l’amour.
En vain, pour l’aimer moins, je fais tout mon possible,
Mon Âme, trop avant, a ressenti ses coups ;
Et ses yeux ne sont pas moins doux,
Pour avoir un Cœur insensible.
Scène II
LICIDAS, CÉLIANTE
CÉLIANTE.
Quoi, donc, cruel Amour... Mais je vois Licidas.
LICIDAS.
Dieux ! je vois un Rival que j’aime trop, hélas !
CÉLIANTE, à part.
Fuyons... Mais je vois bien qu’il m’a pu reconnaître.
LICIDAS, à part.
Tâchons de l’éviter... Mais il m’a vu, peut être.
CÉLIANTE.
Ah ! vous vouliez me fuir, j’en suis trop éclairci.
LICIDAS.
J’ai cru que vous tâchiez de m’éviter aussi.
CÉLIANTE.
Votre amour, bien plutôt, si j’en crois l’apparence,
Vous faisait, d’un Ami, redouter la présence.
LICIDAS.
Nous devons l’un de l’autre, avoir, tous deux, pitié.
CÉLIANTE.
Pourrais-je avoir, encor, part à votre amitié ?
LICIDAS.
Ah ! plût au Ciel, avoir même part à la vôtre.
CÉLIANTE.
Si nous sommes Amis, pourquoi nous fuir l’un l’autre ?
LICIDAS.
Vous devez me haïr.
CÉLIANTE.
Connaissant mon amour,
Ne me devez-vous pas haïr, à votre tour ?
LICIDAS.
Quoique nous soupirions pour la même Bergère,
Comme elle nous paraît également, sévère,
Sans cesser d’être Amis, il faut l’aimer, tous deux
Et ne nous rendre point, doublement, Malheureux.
CÉLIANTE.
Elle n’aime, encor, rien, mais elle peut se rendre
Au violent amour dont brûle Périandre :
Et ce cruel penser fait mon plus grand souci.
LICIDAS.
Ce Rival trop puissant, vient d’arriver ici,
Pour lever le Tribut qu’on doit au Roi de Thrace.
Quand ce Roi nous conquis, il crut nous faire grâce,
Et faire à sa colère, un violent effort,
Ne prenant, tous les ans, selon le choix du Sort,
Que deux de nos Bergers, et deux de nos Bergères.
CÉLIANTE.
Que de telles bontés ne nous obligent guère !
De ce Roi, Périandre étant fort estimé,
Je crois que de Délie, il pourrait être aimé.
Lorsqu’il vint l’autre année, il la trouva si belle,
Qu’il ne put s’empêcher de soupirer pour elle ;
Et s’il revient, encor, avec autant d’amour,
Peut-elle s’empêcher de l’aimer à son tour ?
L’éclat de sa grandeur éblouira son Âme,
L’Ambition, souvent, fait naître de la flamme,
Elle a trop de pouvoir dessus un jeune Cœur,
Et peut aider l’Amour à s’en rendre vainqueur.
LICIDAS.
Je voudrais n’aimer plus cette Beauté cruelle,
Mais, hélas ! je ne puis, en la voyant si belle...
CÉLIANTE.
Je voudrais bien, aussi, la pouvoir moins aimer, ;
Mais, je sens que ses yeux ont trop su me charmer.
LICIDAS.
C’est, pour l’amour de vous, que je voudrais éteindre...
CÉLIANTE.
Non, non, cessez, pour moi, cessez de vous contraindre,
Nous pouvons soupirer, en même temps, tous deux.
Du Monde entier, Délie a mérité les vœux ;
Et ce serait lui faire une offense mortelle,
Si l’un de nous cessait de soupirer pour elle.
LICIDAS.
Je vois cette Beauté qui nous tient sous ses Lois.
CÉLIANTE.
On la trouve, souvent, qui rêve dans ce Bois.
Scène III
DÉLIE, LICIDAS, CÉLIANTE.
Délie veut se retirer dès qu’elle les aperçoit.
LICIDAS.
Hé quoi ! toujours, me fuir, insensible Bergère !
En vous offrant mon Cœur, ai-je pu vous déplaire ?
CÉLIANTE, l’arrêtant aussi de son côté.
Bergère, où courez-vous ? Ah ! de grâce, arrêtez :
Et souffrez que je rende hommage à vos Beautés.
LICIDAS.
Déjà, depuis longtemps, vous connaissez ma flamme.
CÉLIANTE.
Vous avez su l’ardeur qui règne dans mon Âme.
DÉLIE.
Voilà beaucoup d’amour ; mais, vous devez savoir
Que je n’ai pas un Cœur propre à le recevoir ;
Que sachant les chagrins, et les peines cruelles
Que, souvent, l’Amour cause à la plupart des Belles,
Sous les Lois de ce Dieu, craignent de me ranger,
Je fuis tous les Amants qui pourraient m’engager ;
Et comme, de tous deux, je connais le mérite,
Ne vous étonnez pas, Bergers, si je vous quitte.
CÉLIANTE, l’arrêtant.
Mais, dites-nous, du moins, Cruelle, qui des deux,
Vous avez, jusqu’ici, cru le plus amoureux ?
DÉLIE.
Ai-je pu le savoir ?
LICIDAS.
Je vais, donc, vous l’apprendre.
CÉLIANTE.
Vous le saurez bien mieux, si vous voulez m’entendre.
DÉLIE.
Mais...
LICIDAS.
Mais, écoutez-nous, du moins.
DÉLIE.
Hé bien, parlez.
CÉLIANTE.
D’abord que je vous vois, tous mes sens sont troublés,
Je tremble, je vous crains, je brûle, je soupire,
Et prêt à vous parler, je n’ose vous rien dire.
LICIDAS.
Si mon trouble vous peut prouver ma passion,
Je ressens, pour le moins, autant d’émotion,
Puisqu’enfin, sans vous voir, le feu qui me consomme,
Éclate dans mes yeux, au moment qu’on vous nomme.
Je ne songe qu’à vous, j’en parle incessamment,
Je dis même, partout, que je suis votre Amant ;
Car lorsqu’un bel Objet nous tient sous son empire,
Souvent, on se soulage, à force de le dire.
CÉLIANTE.
Mon mal est plus cruel, car je crains de parler
Du violent amour dont je me sens brûler.
Je ne le dis qu’à vous, et je ne puis pas même
Vous en entretenir, sans une crainte extrême ;
Et si mes actions n’avaient su le montrer,
Mon Rival pourrait bien, encore, l’ignorer.
LICIDAS.
Je suis, toujours, vos pas, et dans toutes nos Fêtes,
Je tâche à me placer près des lieux où vous êtes.
CÉLIANTE.
Je sens, auprès de vous, des transports si puissants...
LICIDAS.
Si vous pouviez savoir les peines que je sens...
CÉLIANTE.
Prononcez notre Arrêt, et tirez-nous de peine.
DÉLIE.
Qui m’aimera le plus, s’attirera ma haine :
Mais, loin de me parler, tous deus, de votre amour,
Songez que Périandre, ici, depuis un jour,
Vient lever le Tribut qu’on doit au Roi son Maître,
Et qu’on devrait trembler, en le voyant paraître.
CÉLIANTE.
Damon, que vers le Roi, cet Île a député,
Avecque nos Présents, doit avoir racheté
Ce Tribut rigoureux qui nous tient en alarmes.
DÉLIE.
Il n’est pas, encor, temps de retenir nos larmes ;
Et Périandre étant, ici, devant Damon,
Je pense qu’on en doit augurer rien de bon.
LICIDAS.
Vous devez espérer, sachant que Périandre,
De vos charmes puissants, n’ayant pu se défendre...
DÉLIE.
Quoique j’en sois aimée, osez-vous présumer
Que l’éclat de son Rang ait de quoi me charmer ?
Mais il n’est pas, je crois, le seul qui vous alarme,
Et vous croyez, encor, que Philène me charme.
Je confesse, il est vrai, que j’en aime l’humeur,
Mais, il perdra ses soins, s’il prétend à mon Cœur.
CÉLIANTE.
Il était, autrefois, charmé d’une Bergère
Que l’on croit, à peu près, de même caractère.
LICIDAS.
On le connaît partout.
DÉLIE.
À tort vous l’offensez ;
Mais, vous parlez, tous deux, en gens intéressés.
CÉLIANTE.
On ne sait point, encor, qu’il ait place en votre Âme ;
Mais comme, enfin, pour vous, il a beaucoup de flamme,
Et qu’il est Fourbe, autant qu’Amoureux, et Jaloux,
Nous croyons qu’il nous peut desservir près de vous.
DÉLIE.
Si je n’aime Personne, à qui pourrait-il nuire ?
Après un tel aveu, que chacun se retire.
Allez, donc.
LICIDAS.
J’obéis, et d’une triste voix
Je vais conter ma peine aux Échos de ces Bois.
CÉLIANTE.
Et moi, prier le Dieu qui peut tout sur nos Âmes,
Et qui sait, à son gré, faire naître nos flammes,
De me rendre insensible, ou de faire qu’un jour,
Votre Cœur attendri souffre, enfin, mon amour.
Scène IV
DÉLIE, ORPHISE
ORPHISE, au bout du Théâtre.
C’est Délie, et tous deux lui contaient leur martyre,
Elle les suit des yeux, et même elle soupire.
En l’abordant.
Je venais vous chercher.
DÉLIE.
Hélas ! Orphise, hélas !
ORPHISE.
Qu’avez-vous ?
DÉLIE.
Céliante, avecque Licidas...
ORPHISE.
Et qu’ont fait ces Bergers ?
DÉLIE.
Ma fierté, toute entière,
S’est fait paraître.
ORPHISE.
On sait que vous êtes fort fière.
DÉLIE.
Qu’ils m’ont semblé bien faits ! Et qu’aisément, mon Cœur
A cru qu’ils ressentaient une pressante ardeur !
ORPHISE.
Il se peut.
DÉLIE.
Tu le crois.
ORPHISE.
Ils le font trop paraître.
Mais les aimeriez-vous ? Répondez, donc.
DÉLIE.
Peut-être.
ORPHISE.
Et quoi...
DÉLIE.
Non, non, mon Cœur conserve sa fierté.
Mais, si tu veux, enfin, savoir la vérité,
Je crains de les aimer, leur mérite en est cause.
ORPHISE.
Craindre, et sentir l’Amour, est, presque, même chose.
DÉLIE.
Ah ! par ce que je sens, je connais qu’en ce jour,
J’aurai bien de la peine à combattre l’Amour.
Je crains de le vouloir, et loin de se défendre,
Ma raison cherche, aussi, des raisons pour se rendre.
ORPHISE.
Elle en a su trouver, et je connais assez,
Que vous aimez, déjà, plus que vous ne pensez.
DÉLIE.
Je n’aime pas encor, mais, dis-moi, si leur Âme
Pour d’autres que pour moi, n’a point conçu de flamme ?
Je crois, qu’ayant tous deux, autrefois, voyagé,
Leur Cœur pourrait bien être, autre part, engagé.
Je voudrais le savoir.
ORPHISE.
Je ne puis vous le dire ;
Mais, je sais bien, qu’ici, pour l’un deux, on soupire.
Hélas !
DÉLIE.
C’est toi, sans doute.
ORPHISE.
Épargnez ma pudeur,
Et ne m’obligez point, d’avouer mon Vainqueur.
DÉLIE.
Mais, dis-moi, t’aime-t-il ? Réponds-moi, chère Orphise,
Son Cœur...
ORPHISE.
De mon amour, vous paraissez surprise,
Et vous n’attendiez pas, peut-être, cet aveu :
Mais, comme ce Berger ignore, encor, mon feu,
Et qu’il ne m’a, jamais, témoigné de tendresse,
Je veux, si je le puis, lui cacher ma faiblesse.
Puisque j’ai ce dessein, vous devez trouver bon,
Qu’en lui cachant mon feu, je vous cache son nom.
DÉLIE.
Son nom peut n’être pas ce que je veux apprendre.
ORPHISE.
Je vous entends. Celui que vos yeux ont su prendre,
N’avait pas commencé de vous offrir ses vœux,
Quand je le crus de moi quelque temps amoureux ;
Et quoiqu’il n’osât pas, encore, me le dire,
Ses regards me parlaient de son secret martyre.
DÉLIE.
Hélas !
ORPHISE.
Quand on soupire, et qu’on parle d’Amour,
Souvent, sans y penser, on met sa flamme au jour,
Un soupir la fait voir.
DÉLIE.
Je ne sais que te dire ;
J’ignore comme on aime, et sais comme on soupire ;
Et mon Cœur, jusqu’ici, n’ayant jamais, aimé,
À connaître l’Amour, n’est pas accoutumé.
Je sais bien que je sens un trouble qui me gêne,
Et me cause un plaisir qui surpasse ma peine ;
Et pour te dire, enfin, la chose comme elle est,
Si ce mal vient d’Amour, c’est un mal qui me plaît.
ORPHISE.
Ce trouble plein d’appas, ces agréables peines,
Font connaître aisément, que vous portez ses chaînes.
DÉLIE.
De grâce, laisse-moi rêver, seule, un moment.
ORPHISE.
Qui commence d’aimer, rêve agréablement ;
À ce chagrin, l’Amour se fait assez connaître,
Il fait, toujours, rêver, quand il commence à naître,
Mais ne craignez-vous point, qu’étant seule...
DÉLIE.
En ce jour,
Je sens que je ne puis rien craindre que l’Amour.
ORPHISE.
Je vous laisse, et je vais, mais sans verser de larmes,
Regretter un Amant que m’enlèvent vos charmes.
Scène V
DÉLIE, seule
Vous, qui nous faites vivre avec tranquillité,
Qui ne régnez, jamais, dans un Cœur agité,
Qui n’avez ni pitié, ni haine, ni tendresse,
Qui paraissez, toujours, exempte de faiblesse,
Vous, à qui le bonheur, et le malheur d’autrui,
N’a, jamais, pu causer de plaisir, ni d’ennui,
Qui ne poussez, jamais, de soupirs, ni de plaintes,
Et qu’on ne voit, jamais, flotter dedans les craintes ;
Vous, dis-je, qui trouvez, en vous, tous vos plaisirs,
Maîtresse de vous-même, exempte de désirs,
Et qui savez, d’Amour, mépriser la puissance,
Pourquoi me quittiez-vous, tranquille Indifférence ?
Deviez-vous, lâchement, céder à mon ardeur,
Après avoir régné, si longtemps, dans mon Cœur ?
Mais ce n’est pas assez, d’aimer, et d’être aimée,
Puisque lorsque je sens que mon Âme est charmée,
Deux aimables Bergers suivent partout mes pas.
Lequel dois-je choisir ? prendrai-je Licidas ?
Mais quoi ! dois-je, pour lui, rebuter Céliante
Lorsque mon ardeur croît, mon embarras augmente,
Et... Mais, Philène vient.
Scène VI
DÉLIE, PHILÈNE
DÉLIE.
Ou courrez-vous, Berger ?
PHILÈNE.
Ma foi, l’Amour commence à me faire enrager.
Pour moi, je ne puis plus vivre sous son Empire,
Il me fait soupirer, lorsque je voudrais rire,
S’approchant de son sein.
Et je sens, en voyant ce qui me fait brûler...
DÉLIE.
Sans approcher si près, vous pourriez me parler.
PHILÈNE.
Ah ! ce n’est pas ma faute ; et, si je ne m’abuse,
L’Amour, de ce qu’il fait, est lui-même, l’excuse.
Mais, pour connaître mieux l’excès de mon ardeur,
Approchez votre main, mettez-la sur mon Cœur ;
Là, c’est justement là, sentez comme il remue,
Et connaissez le mal que lui fait votre vue.
Ah ! que si vous saviez quels sont mes sentiments,
Si vous pouviez savoir quels doux saisissements...
DÉLIE.
Suivez moins ces transports.
PHILÈNE.
Mais, Dieux ! je vois Florice,
Cette Bergère vient pour croître mon supplice.
DÉLIE.
Elle vous aime...
Scène VII
DÉLIE, FLORICE, PHILÈNE
FLORICE.
Quoi ! te verrai-je, toujours,
Perfide, entretenir tes nouvelles Amours ?
Souviens-toi, qu’autrefois, je possédais ton Âme,
Que nos parents étaient d’accord de notre flamme.
PHILÈNE.
Il est vrai ; mais, enfin, chaque chose a son tour,
Je t’aimais bien alors, mais je n’ai plus d’amour.
FLORICE.
Pourquoi, donc, m’en causer ?
PHILÈNE.
Tu n’en devais pas prendre.
FLORICE.
Ce fut bien malgré moi, je ne m’en pus défendre.
PHILÈNE.
En dois-je être blâmé ?
DÉLIE, à part.
Le plaisant entretien !
FLORICE.
Mais, vous, qui souriez, en me volant mon Bien,
Qui deviez, pour l’Amour, conserver tant de haine,
Vous haïssez ce Dieu, mais vous aimez Philène :
Et vous ne croyez pas rompre votre serment,
Lorsqu’au lieu de l’Amour, vous n’aimez que l’Amant.
PHILÈNE, à Florice.
Taisez-vous.
DÉLIE, à Florice.
Loin d’aimer ce Berger qui vous quitte,
Je lui parlais de vous, et de votre mérite.
Et lui disais, qu’il doit adorer vos Appas.
FLORICE.
Il m’avait tant promis...
PHILÈNE.
Ne vous tairez-vous pas ?
DÉLIE.
Si...
PHILÈNE, à Délie.
Ne l’écoutez point.
DÉLIE.
Mais...
PHILÈNE.
Mais, laissez-la dire.
FLORICE.
Quoi, donc ?
PHILÈNE.
Retirez-vous.
FLORICE.
Moi, que je me retire,
Et que je laisse, ici, ma Rivale avec toi ?
DÉLIE, à part.
Perdons-nous dans ce bois.
PHILÈNE, à Florice.
Va, Bergère, crois-moi,
Je t’adore, toujours, avec même constance :
Mais, elle me veut dire un Secret d’importance.
En se détournant.
Mais, Délie.
Scène VIII
FLORICE, PHILÈNE
FLORICE.
Elle fuit, tes soins sont superflus ;
Elle est, déjà, bien loin.
PHILÈNE.
Va, je ne t’aime plus,
C’est toi qui l’as fait fuir, importune Bergère.
FLORICE.
Moi ?
PHILÈNE.
Ta présence, ici, redouble ma colère,
Je n’aime que Délie ; et, malgré tes discours,
Et tes soupçons jaloux, je l’aimerai toujours.
FLORICE.
Perfide !
PHILÈNE.
Je veux bien entendre ce langage,
Un peu d’emportement, quelquefois, nous soulage.
Mais, je veux, en faisant cet accord entre nous,
Que ton amour s’exhale avecque ton courroux.
FLORICE.
Je fus de ton amour, trop tôt, préoccupée,
Et ne prévoyais pas que je serais trompée,
Fourbe.
PHILÈNE.
Tu n’as pas lieu de te plaindre de moi,
Et je suis, en Amour, Berger de bonne foi.
Quand je cesse d’aimer, je dis, avec franchise,
Que d’une autre Beauté je sens mon Âme éprise ;
On ne saurait avoir plus de sincérité,
Et, loin de te tromper, je dis la vérité.
FLORICE.
Voyez qu’il est sincère, il ne voudrait pas feindre ;
Mais, de son procédé, je vais, partout, me plaindre.
Scène IX
PHILÈNE, seul
Que je suis malheureux ! et que, mal à propos,
Le plus brouillon des Dieux, vient troubler mon repos !
Il me fait, pour Délie, abandonner Florice,
Et veut que, malgré moi, je suive son caprice.
Mais, l’Objet qui me fuit, et qui cause mes maux,
N’aurait-il point d’amour pour l’un de mes Rivaux ?
Comme, dans son Esprit, ils veulent me détruire,
Je vais, de mon côté, travailler pour leur nuire ;
Célidan est de Smyrne, il est, d’hier, ici,
Et m’étant obligé, je crois... Mais, le voici.
Scène X
PHILÈNE, CÉLIDAN
PHILÈNE.
Quoi ! vous êtes ici, sans me rendre visite ?
CÉLIDAN.
Je n’y suis que d’hier, et demain, je vous quitte :
Et je venais, exprès, vous chercher en ce Lieu,
Et pour vous saluer, et pour vous dire adieu.
PHILÈNE.
Voulez-vous bien me rendre un important service,
Avant que de partir ?
CÉLIDAN.
Vous me ferez justice,
Si vous n’en doutez point.
PHILÈNE, mettant le doigt sur sa bouche.
Allons, donc, mais au moins...
CÉLIDAN.
Soyez sûr du Secret, ainsi que de mes soins.
ACTE II
Scène première
DÉLIE, ORPHISE
DÉLIE.
Non, jamais, on ne vit de Bête plus horrible ;
Des Sangliers de ce Bois, c’était le plus terrible.
ORPHISE.
Vous vouliez être seule ; et disiez, qu’en ce jour,
Vous ne croyez avoir à craindre que l’Amour.
DÉLIE.
Aussi, l’ai-je trouvé dans mes Amants fidèles,
Qui, pour me secourir, ont emprunté ses ailes.
C’est pourquoi je prétends leur dire, dès ce jour,
Ce que sens pour eux, et d’estime, et d’amour.
Je puis parler ainsi ; car, enfin, chère Orphise,
Ce n’est pas d’aujourd’hui que mon Âme est éprise.
J’aimais depuis longtemps, et voulais l’ignorer,
Ce n’était qu’en secret, que j’osais soupirer ;
Je prétendais, par là, de me tromper moi-même ;
Mais, on peut rarement ce qu’on veut, quand on aime.
L’Amour, de sa victoire, a trop su m’avertir,
Et s’est fait remarquer, aussitôt que sentir.
ORPHISE.
Ce Cœur, qui paraissait à l’Amour si contraire,
Peut-il, peut-il en deux Amants, trouver de quoi lui plaire ?
DÉLIE.
Ce Dieu, pour me punir d’avoir bravé ses Lois,
Veut que, pour deux Amants, mon Cœur brûle à la fois.
C’est ainsi qu’il punit la longue indifférence
De ceux qu’on voit, longtemps, mépriser sa Puissance ;
Et qu’entrant dans un Cœur qui s’est trop défendu,
L’Amour sait regagner le temps qu’il a perdu.
ORPHISE.
Mais, vous devez choisir.
DÉLIE.
Je sais que leur mérite,
Qui me paraît égal, pour eux me sollicite,
Que leurs feux sont pareils ; et je sens, en ce jour,
Que ma reconnaissance agit avec l’Amour.
Peut-être que l’orgueil, à mon Sexe, ordinaire,
M’inspire même, encor, certain désir de plaire ;
Et que je m’applaudis, en voyant, à la fois,
Ces deux Bergers soumis, reconnaître mes Lois.
Car, enfin, à choisir, à regret je m’apprête,
Quand je songe qu’il faut quitter une conquête ;
Et qu’ayant choisit l’un, l’autre, après mes refus,
Peut vaincre son amour, ou ne m’en parler plus.
Ce penser m’inquiète, et fait naître en mon Âme
Un chagrin qui me trouble un peu plus que leur flamme ;
Et mon Cœur, en secret, en ce moment, me dit,
Qu’on ne peut, jamais, perdre un Amant sans dépit.
ORPHISE.
De peur d’en perdre l’un, votre amour se partage.
DÉLIE.
Quand je vois Licidas, il m’émeut davantage,
Le Cœur me bat un peu.
ORPHISE.
Je crois, assurément,
Que vous l’aimez le plus, n’en doutez nullement ;
Vous me direz, bientôt, si votre amour s’augmente.
DÉLIE.
S’il me trouble, un peu plus, que ne fait Céliante,
Ce peu ne lui doit pas donner un plein espoir,
Puisque j’ai de la peine à m’en apercevoir.
ORPHISE.
Croyez qu’en votre Cœur, il a la préférence,
Et que, pour lui, ce peu fait pencher la Balance ;
Et puisque vous l’aimez, pour moi, peut-être, un jour,
Céliante...
DÉLIE.
Ah ! de grâce, étouffez votre amour.
ORPHISE.
Elle l’aime. Feignons. Je puis vous satisfaire,
Si ce Berger n’est pas celui qui m’a su plaire.
Mais, souffrez, donc, au moins, que j’aime Licidas.
DÉLIE.
Ah ! pourrai-je le voir adorer vos Appas,
Et songer que je l’aime, et qu’il m’aima de même ?
ORPHISE.
Encor que, pour tous deux, votre amour soit extrême,
Vous devez faire un choix.
DÉLIE.
J’y songe, mais en vain.
Me devant à tous deux, à qui donner ma main ?
Ou plutôt, si tous deux savent l’air de me plaire,
À qui des deux, mon Cœur doit-il être contraire ?
Je ne puis faire un choix que selon mes désirs,
Et, cependant, il doit me coûter des soupirs.
Quand d’une même ardeur leur Âme est enflammée,
Je les plains de m’aimer, et me plains d’être aimée,
Et lorsque, pour tous deux, je soupire à la fois,
Sans cesse je choisis, et ne fait point de choix.
ORPHISE.
Dites que vous avez, pour eux, tant de tendresse,
Que vous n’en voulez perdre aucun...
DÉLIE.
Je le confesse,
Je les aime tous deux, et d’une forte amour ;
Si ce n’est pas ensemble, au moins c’est tour à tour.
Quand je songe à l’un d’eux, c’est celui-là que j’aime,
Lorsque je pense à l’autre, il me touche de même ;
Et chacun, dans le temps qu’il est devant mes yeux,
Est celui que mon Cœur croit qu’il aime le mieux.
ORPHISE, voyant venir Céliante.
Voici le plus aimé, puisqu’il vient seul.
Scène II
DÉLIE, CÉLIANTE, ORPHISE
CÉLIANTE.
Bergère...
ORPHISE, l’interrompant.
Vous venez de trouver le secret de lui plaire.
Mais, comme elle n’a pu, dans son étonnement,
Conter votre combat qu’assez confusément,
Faites m’en, je vous prie, un récit plus fidèle.
CÉLIANTE.
Sachez, donc, qu’un Sanglier s’était jeté sur elle,
Et qu’étant des plus grands de toute la Forêt,
À lui donner la mort, il était, déjà, prêt,
Et l’allait attaquer avec tant de furie,
Qu’elle désespérait, tout à fait, de sa vie.
Elle croyait, alors, être seule en ce Bois,
Mais j’ai paru, soudain, attiré par sa voix ;
Les longs cris que j’ai faits, ont détourné la Bête,
Qui se voyant ravir l’espoir de sa conquête,
La rage dans le cœur, et le feu dans les yeux,
A tourné, contre moi, ses efforts furieux.
En vain, plus de trois fois, pour détourner sa rage,
Mon fer, dedans son corps, s’est ouvert un passage,
La perte de son sang semblant la redoubler,
Peut-être, sous ses coups, m’allait-il accabler :
Et de l’incomparable et craintive Délie,
Trancher, en même temps, la précieuse vie,
Lorsque, par un effet du bonheur qui la suit,
Le Berger Licidas, attiré par le bruit,
Nous est venu tirer du péril, et de crainte,
En donnant au Sanglier, une mortelle atteinte.
ORPHISE.
Ces généreux Bergers ont conservé vos jours,
Et vous ne deviez pas avoir moins de secours ;
Car si l’un a, d’abord, détourné sa furie,
Le second l’a tué.
DÉLIE.
Dites-moi, je vous prie,
Comment vous êtes-vous rencontrés dans ce Lieu ?
CÉLIANTE.
Vous savez que, tantôt, en vous disant adieu,
Licidas vous a dit, qu’il s’en allait instruire
Les Échos de ces Bois, de son cruel martyre.
Pour moi, je revenais du Temple de l’Amour,
Pour obtenir de lui, qu’il vous rendît un jour
Plus sensible à mes vœux. La serez-vous, Bergère ?
DÉLIE.
Qui craint de dire trop, doit, bien souvent, se taire ;
Et, pour cette raison, je ne vous réponds rien.
CÉLIANTE.
Ce silence obligeant, m’annoncerait-il bien,
Que je dois espérer qu’une flamme si belle...
DÉLIE.
Vous puis-je ôter l’espoir, sans être trop cruelle ?
ORPHISE, à part, à Délie.
Vous oubliez celui pour qui le Cœur vous bat.
DÉLIE.
Il vient, et je vais rendre un rigoureux Combat.
Scène III
DÉLIE, ORPHISE, CÉLIANTE, LICIDAS
LICIDAS.
S’il faut, pour vous servir, faire voir son courage,
Mon rival, le premier, a ce grand avantage :
Et quand je viens, exprès, pour vous entretenir,
J’apprends, en le voyant, qu’il m’a su prévenir.
Dieux ! que je suis à plaindre, adorable Bergère,
S’il a su, le premier, le secret de vous plaire.
DÉLIE.
Si j’entends ses soupirs, j’écoute aussi vos vœux.
ORPHISE.
Je pense, qu’à présent, vous les aimez tous deux.
DÉLIE.
Mon Cœur, dessus ce choix, est, encor, en balance,
Je ne vois pas, entre eux, assez de différence ;
Et quand je veux choisir, je sens, en ce moment,
Que j’ai trop peu d’un Cœur, ou bien trop d’un Amant.
LICIDAS.
Faites-vous, pour choisir, un peu de violence.
CÉLIANTE.
Mais, vous m’avez permis d’avoir de l’espérance,
Vous devez y songer.
DÉLIE.
Je le sais : mais, hélas !
Se tournant vers Licidas.
Quand je vous l’ai permis, je ne le voyais pas.
CÉLIANTE.
Ne me permettiez-vous une espérance vaine,
Qu’afin qu’elle servît à redoubler ma peine ?
DÉLIE.
Que cet amour doit être, à mon repos, fatal !
Ah ! pourquoi, pour vous nuire, avez-vous un Rival ?
LICIDAS.
Vous prenez, donc, enfin, pitié de mon martyre ?
DÉLIE, se tournant vers Céliante.
Comme vous lui nuisez, il peut, aussi, vous nuire.
ORPHISE.
Peut-être, que je nuis, plus qu’eux, à votre choix ;
C’est pourquoi je vais faire un tour dedans ce Bois.
DÉLIE.
Je sais ce qui te chasse, et je vois, à ton trouble...
ORPHISE.
Plus je demeure ici, plus je sens qu’il redouble.
Elle entre.
Scène IV
ORPHISE, CÉLIANTE, LICIDAS
DÉLIE.
Si vous vouliez, aussi, quelque temps, me laisser,
Je rêverais au choix qui me fait balancer ;
Et, peut-être, dans peu, que mon Cœur qui soupire,
De tous ses sentiments, pourrait mieux vous instruire.
LICIDAS.
Je dois vous obéir, pour prouver mon amour.
CÉLIANTE.
Pour vous montrer le mien, j’obéis à mon tour.
LICIDAS.
À mon ardente amour, nulle n’est comparable,
Et je vous aime autant, que vous êtes aimable.
CÉLIANTE.
Mon amour est si grand qu’on ne peut l’exprimer,
Et je vous aime autant que vous savez charmer.
Scène V
DÉLIE, seule
Fallait-il, juste Ciel ! que de pareilles flammes,
Pour augmenter leurs maux, embrasassent leurs Âmes ?
Ou plutôt, fallait-il, pour croître mon tourment,
Qu’ils se fissent, tous deux, aimer également ?
Je sens que je ne puis choisir celui que j’aime,
Sans faire à ce que j’aime, une injustice extrême.
Quel cruel embarras ! Mais, que veut ce Berger ?
Il cherche, ici, quelqu’un, et paraît Étranger.
Scène VI
DÉLIE, CÉLIDAN
CÉLIDAN.
Feignons. Ils n’y sont point, ma peine est inutile.
DÉLIE.
Berger, que cherchez-vous ?
CÉLIDAN.
Deux Bergers de cette Île,
L’un a nom Céliante, et l’autre Licidas.
Mais, malgré tous mes soins, je ne les trouve pas ;
Ces Bergers que je cherche, ici, depuis une heure,
Ont, dans Smyrne, avec moi, longtemps, fait leur demeure,
Où l’on connût si bien leurs belles qualités,
Que chaque jour, encor, ils y sont regrettés.
DÉLIE.
Si l’on connût si bien leur mérite en votre Île,
La conquête des Cœurs leur dût être facile :
À leur Esprit galant, rien n’aura résisté,
Et les Belles n’auront pu garder leur fierté.
CÉLIDAN.
Cela pourrait bien être.
DÉLIE.
En causant de la flamme,
On en sent naître aussi, quelquefois, dans son Âme.
CÉLIDAN.
Il est vrai.
DÉLIE.
C’est pourquoi je pense, qu’à leur tour,
Ils n’ont pu s’empêcher de prendre de l’amour.
CÉLIDAN.
Ils ont aussi, chacun, dans Smyrne, une Maîtresse ;
Licidas, pour Aminte, eut beaucoup de tendresse.
DÉLIE.
Qu’entends-je ?
CÉLIDAN.
Et Céliante a su prendre, à son tour,
Pour Clidamire, aussi, tant d’estime, et d’amour...
DÉLIE.
Ce n’est pas ce que d’eux, dans Scire, chacun pense.
CÉLIDAN.
On en pourrait juger sur la seule apparence.
Je suis même chargé de dire à ces Amants,
Que, pour eux, elles ont les mêmes sentiments.
Elles m’ont pu prier, sans mériter de blâme,
De parler du beau feu qui règne dans leur Âme,
Puisque toute notre Île aimant ces deux Pasteurs,
Avec beaucoup de joie, approuve leurs ardeurs.
Pour moi, je n’ai, jamais, avec plus d’adresse,
Vu d’Amants s’acquérir le Cœur de leur Maîtresse,
Ni témoigner, après, plus de contentements,
Qu’en firent éclater ces deux parfaits Amants.
DÉLIE.
C’est assez, je saurai, moi-même, les instruire
De ce que vous avez d’obligeant à leur dire :
Mais, si vous me vouliez apprendre votre nom,
J’exécuterais mieux votre Commission.
CÉLIDAN.
Mon nom est Célidan ; mais j’aurai soin, moi-même,
De faire, à ces Bergers, savoir comme on les aime,
Je vais par toute l’Île, encore, les chercher.
DÉLIE.
Allez.
CÉLIDAN.
Ce que j’ai dit, la doit autant toucher,
Qu’il doit, dans son amour, rendre content Philène
Scène VII
DÉLIE, seule
Enfin, mes deux Amants ont mérité ma haine,
Et le Hasard m’apprend, quand j’y pense le moins,
Que d’autres, avec moi, partagent tous leurs soins.
Loin de penser au choix que mon Cœur allait faire,
Tout mon amour se doit convertir en colère :
Mais, je crains bien, hélas ! que toute ma fureur,
Ne serve qu’à montrer l’excès de mon ardeur.
Quoi ! je conserverais une indigne tendresse
Pour ceux qui, dedans Smyrne, ont chacun leur Maîtresse ?
Non, je dois étouffer tout mon feu, mais, hélas !
Je m’emporterais moins, s’ils ne me touchaient pas.
Je prétends, toutefois, faire finir ma peine.
Pour eux, je veux avoir, désormais, de la haine :
Mais, ce que je ressens, doit m’apprendre, en ce jour,
Qu’un Cœur qui veut haïr, sent, encor, de l’amour.
Que de tendresse ayant, encore, l’Âme pleine,
Je n’ai qu’en mes désirs, seulement, de la haine :
Et que, pour en avoir, mes soins sont superflus,
Puisqu’on aime souvent, quand on croit n’aimer plus.
Mais, je vois ces Amants, et malgré ma tendresse,
Je vais, de mon amour, paraître la Maîtresse.
Scène VIII
DÉLIE, LICIDAS, CÉLIANTE
LICIDAS.
L’impatient désir d’apprendre votre choix...
DÉLIE.
N’avez-vous point, tous deux, rencontré, dans ce Bois,
Un Berger étranger ?
CÉLIANTE.
Nous n’avons vu personne.
DÉLIE.
Son nom est Célidan. Quoi ! ce nom vous étonne ?
LICIDAS.
C’est un Berger de Smyrne, et que j’ai fort connu ;
Mais, j’ignorais, qu’ici, ce Berger fut venu.
CÉLIANTE.
Il me tarde, déjà, que je ne le revoie.
LICIDAS.
À l’embrasser, tantôt, j’aurai bien de la joie.
DÉLIE.
Puisqu’il vous est connu, de grâce, dites-moi,
Puis-je, à tous ses discours, ajouter quelque foi ?
Il me vient de conter un Secret qui m’importe,
Et dont, je crois, qu’il faut, qu’à lui, je me rapporte.
LICIDAS.
Vous le pouvez, il a beaucoup de probité.
DÉLIE.
Puisque cet Étranger m’a dit la vérité,
Vous devez, pour jamais, éviter ma présence.
CÉLIANTE.
Ô Dieux !
LICIDAS.
Faites-moi, donc, connaître mon offense :
Mais, c’est, peut-être, un tour qu’il voudrait me jouer.
DÉLIE.
Non, non, il n’est plus temps de le désavouer,
Vous avez fait pour lui, paraître trop d’estime ;
Et mon courroux, enfin, n’est que trop légitime.
CÉLIANTE, l’arrêtant, comme elle veut sortir.
Alors que mon Rival a perdu tout espoir,
Me serait-il permis, Bergère, d’en avoir ?
DÉLIE.
Après avoir commis une pareille offense,
Je pourrais vous souffrir, encor, quelque espérance !
Ah ! bien loin d’en garder, sachez que je vous hais,
Et que je vous défends de me revoir jamais.
Scène IX
LICIDAS, CÉLIANTE
CÉLIANTE.
Quel mépris éclatant !
LICIDAS.
Son dépit est extrême.
CÉLIANTE.
Qu’avez-vous fait, Berger ?
LICIDAS.
Qu’avez-vous fait, vous-même ?
CÉLIANTE.
Je ne puis deviner.
LICIDAS.
Ni moi.
CÉLIANTE.
Quelle fierté !
Je ne puis plus tenir contre sa cruauté,
Je suis las de souffrir de si cruelles peines :
Et je prétends, enfin, briser, bientôt, mes chaînes.
Je ne veux plus souffrir de sa bizarre humeur,
Je veux, de son amour, dégager tout mon Cœur ;
Et n’être plus sujet à l’outrageant caprice
D’un Objet qui me traite avec trop d’injustice.
LICIDAS.
Moi, je veux d’un autre œil, regarder son courroux,
Elle croit avoir lieu d’éclater contre nous ;
Et son ardent dépit me plaît bien davantage,
Que si je la voyais se rire d’un outrage.
Alors son procédé marquerait du mépris,
Mais son dépit fait voir que son Cœur est épris.
CÉLIANTE.
Vous avez une ardeur obligeante, et civile,
Pour moi, je n’aime plus d’une amour si tranquille,
Et ne saurait souffrir qu’elle ait fait, contre nous,
Sans nous vouloir entendre, éclater son courroux :
Et qu’elle n’ait, enfin, voulu nous rien apprendre,
De peur qu’il ne nous fût aisé de nous défendre.
Ah ! c’est trop en souffrir, je prétends, dès ce jour,
À ses yeux, triompher de toute mon amour.
Je connais, dans ces Lieux, des Objets adorables,
Qui ne me feront pas des traitements semblables :
Avant que d’éclater, je veux savoir, pourtant,
Du Berger Célidan, ce qui l’anime tant.
LICIDAS.
Je prétends bien, aussi, qu’il me tire de peine.
Et je vais le chercher... Mais, j’aperçois Philène.
Scène X
CÉLIANTE, LICIDAS, PHILÈNE
PHILÈNE.
Qu’ils sont embarrassés ! Tout succède à vos vœux,
Philène, désormais, sera le malheureux ;
Car, tous deux, vous venez de montrer à Délie,
L’ardeur de votre amour, en lui sauvant la vie.
CÉLIANTE, sans l’écouter.
Quelle étrange disgrâce !
LICIDAS.
Ah ! quel cruel malheur !
PHILÈNE.
Vous soupirez tous deux, d’où vient votre douleur ?
Reconnaît-elle mal, cet important service ?
Mais, cela ne se peut, elle vous rend justice,
Et n’eût-elle, jamais, senti, pour vous, d’amour,
Elle vous en devrait témoigner, en ce jour,
Et ne vous pas traiter avec un air si rude,
Qu’il la fît soupçonner de trop d’ingratitude.
CÉLIANTE.
Laisse-nous.
LICIDAS.
Dites-moi, voulez m’obliger ?
N’avez-vous point trouvé de Pasteur étranger ?
PHILÈNE.
J’en viens de trouver un, qu’on dit être de l’Île...
De l’Île de...
LICIDAS.
De Smyrne ?
PHILÈNE.
Oui.
CÉLIANTE.
Ce nom est facile,
Et, sans beaucoup de peine, on peut le retenir.
Mais, cherchons ce Berger.
LICIDAS.
Je veux l’entretenir.
CÉLIANTE.
Allons, sans perdre temps, même désir me presse.
Scène XI
PHILÈNE, seul
Enfin, ils sont brouillés avecque leur Maîtresse :
Et quoi qu’elle entreprenne, afin de s’éclaircir,
Elle ne pourra pas, aisément, réussir.
Pour se rendre sitôt, je sais qu’elle est trop fière,
Et c’est pourquoi ma joie est d’autant plus entière.
Mais je vais retrouver l’obligeant Étranger
Qui trouble mes Rivaux, afin de m’obliger ;
Et je vais, si je puis, surprendre la tendresse
Que, pour ces deux Bergers, conservait ma Maîtresse.
Comme son Cœur est vide, et qu’il n’a plus d’amour,
Je suis assez bien fait, pour le remplir un jour.
ACTE III
Scène première
ORPHISE, CÉLIANTE
ORPHISE.
Oui, l’on doit l’accuser d’un peu d’ingratitude,
Vous ne méritiez pas un traitement si rude ;
Et quoi qu’elle vous pût, justement, soupçonner,
Elle ne devait pas, encor, vous condamner.
CÉLIANTE.
Elle a quelque raison, malgré notre innocence,
Nous serons condamnés, si l’on croit l’apparence ;
Et quoique Célidan dise une fausseté,
Tout ce qu’il nous soutient, n’est pas mal concerté ;
Et nous voyions à Smyrne, Aminte, et Clidamire,
Pour lesquelles il dit que notre Cœur soupire.
Je ne sais pas, encor, d’où vient que ce Berger
Travaille, avec ardeur, à nous désobliger,
Ni pourquoi, près Délie, il s’obstine à nous nuire :
Comme sur son Esprit vous avez quelque empire,
Dites-lui qu’elle doute à tort de mon ardeur.
ORPHISE.
Vous n’obtiendrai, jamais, ni sa Main, ni son Cœur.
CÉLIANTE.
Ma Raison, à mon feu, ne consent qu’avec peine,
Et de mon Ascendant, la force souveraine,
Excitant, malgré moi, la révolte en mes sens,
Fait obéir mon Cœur à ses charmes puissants ;
Et je crois que l’Amour s’affermit dans une Âme,
Quand la Raison s’efforce à combattre sa flamme,
Et qu’un Amant chagrin d’avoir trop pris d’ardeur,
Veut, avec son secours, l’arracher de son Cœur,
Puisque tout ce qu’il fait, sert à son feu d’amorce,
Et que, voulant l’éteindre, il augmente sa force.
ORPHISE.
Les fortes Passions causent de grands ennuis.
CÉLIANTE.
On devrait bien me plaindre, en l’état où je suis.
Déjà, depuis longtemps, ma Raison me conseille
D’aimer une Beauté que je crois sans pareille ;
Et mon Cœur qui résiste à de si doux appas,
Écoute ses conseils, mais il ne les suit pas.
ORPHISE.
Ne saurait-on savoir quelle est cette Bergère ?
CÉLIANTE.
Si j’osais la nommer, je pourrais vous déplaire.
ORPHISE.
La Raison, sans l’Amour, peut bien faire estimer ;
Mais il faut un peu plus, quand il s’agit d’aimer.
J’apprends, donc, votre estime, et pour la reconnaître,
Je crains bien que mon Cœur n’en fasse trop paraître,
Et n’ose, malgré moi, vous souhaiter un jour,
Un peu moins de Raison, mais un peu plus d’Amour.
CÉLIANTE.
Ah ! puisqu’elle a pour nous une injustice extrême,
La Cruelle, aujourd’hui, saura que je vous aime :
Avant que la servir, mon Cœur, assez longtemps,
Avait, entre vous deux, été trop en suspens,
Et je ne sais comment, sans oublier vos charmes,
Mon Cœur, à ses appas, rendit, enfin, les armes.
ORPHISE.
L’Amour, dont votre Cœur croit se sentir brûler,
Moins que votre dépit, vous fait ainsi parler.
Lorsque vous m’aimerez, peut-être, que Délie
Aura, de cet Amour, un peu de jalousie,
Et saura vous traiter avec plus de douceur :
Sa gloire l’obligeant à ravoir votre Cœur,
Vous le reporterez, d’abord, à cette Belle,
Et ne serez, ainsi, qu’à moi seule infidèle.
C’est pourquoi je ne veux nourrir aucun espoir,
Que son choix ne vous ait ôté lieu d’en avoir :
Jusques là, je saurai cacher, à tous, la flamme
Que mes faibles appas ont fait naître en votre Âme ;
Car le feu dont, pour moi, votre Cœur peut brûler,
Ne vaut, que je crois, la peine d’en parler.
Elle s’en va.
Scène II
CÉLIANTE, seul
Tu ne te trompes pas, puisque mon Cœur l’oublie :
Sitôt que j’aperçois l’adorable Délie,
Quand je vois ses Appas, ces aimables Tyrans,
À leur douce fierté, malgré moi, je me rends,
Et quoi que j’entreprenne, afin de m’en défendre,
L’éclat de ses beaux yeux a trop bien su me prendre.
Aimons-les, donc, ces yeux qui savent tout charmer,
Ne leur résistons point, laissons-nous enflammer,
Donnons un libre cours à cette ardeur pressante :
Puisque, pour l’arrêter, elle est trop violente,
Souffrons à notre Cœur, de former des désirs,
Ne nous obstinons point à vaincre nos soupirs,
Nous cesserons d’aimer, cessant de les contraindre,
Et d’eux-mêmes, nos feux, alors, pourront s’éteindre.
Apercevant Délie.
Commençons...
Scène III
DÉLIE, CÉLIANTE
CÉLIANTE.
Si je puis vous prouver, quelque jour,
Que vous seule avez pu me donner de l’amour,
Votre Cœur...
DÉLIE.
Vous seriez charmé de dix Bergères,
Que toute cette ardeur ne me soucierait guères.
CÉLIANTE.
J’avais lieu d’espérer d’être, autrement, traité,
Et cette indifférence a trop de cruauté.
DÉLIE.
Mais, plus d’emportement, marquerait de la flamme,
Et j’ai su, tout à fait, la chasser de mon Âme.
CÉLIANTE.
Quoi ! l’ardeur que je sens...
DÉLIE.
Ne parlons point d’ardeur.
CÉLIANTE.
L’Amour...
DÉLIE.
Parlez, donc, seul.
CÉLIANTE.
Hé quoi ! votre rigueur...
DÉLIE, levant la tête.
Mais, que le jour est beau !
CÉLIANTE.
Beaucoup moins que Délie,
Dont les cruels mépris me vont coûter la vie.
DÉLIE, tournant la tête.
L’agréable Fontaine !
CÉLIANTE.
Ah ! loin de l’admirer,
Tournez, plutôt, les yeux, pour me voir expirer.
DÉLIE.
Qu’elle fait de Ruisseaux !
CÉLIANTE.
Moins, encor, que mes larmes.
DÉLIE, tournant la tête d’un autre côté.
Ne remarquez-vous point que ce Bois a de charmes ?
CÉLIANTE.
Trop injuste Beauté, dont je ressens les coups,
Je ne remarque rien, quand je suis avec vous.
DÉLIE.
Les oiseaux...
CÉLIANTE.
Ah ! c’est trop se rire de ma peine,
Et faire vanité de paraître Inhumaine.
DÉLIE.
Je vous l’ai, déjà, dit, étouffez votre espoir,
Laissez-moi vivre en paix, et cessez de me voir.
Elle aperçoit Licidas qui vient d’un côté, pendant que Florice vient de l’autre.
Licidas doit, de même, éviter ma présence.
Scène IV
DÉLIE, CÉLIANTE, LICIDAS, FLORICE
LICIDAS.
Vous pourrez, quelque jour, savoir mon innocence.
FLORICE.
Bergère, j’ai sujet de me plaindre de vous,
Et de faire éclater tous mes soupçons jaloux.
Je sais que vous avez de l’amour pour Philène,
Et je viens d’en avoir une preuve certaine.
DÉLIE.
Je crois que vous rêvez.
FLORICE.
Ne me déguisez rien,
Je sais trop, qu’avec lui, vous vous entendez bien,
Et que, de ces Bergers, cherchant à vous défaire,
Tantôt, par son intrigue, il a su si bien faire,
Étant fortifié d’un si puissant aveu,
Que de vous plaindre d’eux, il vous a donné lieu :
Car vous ayant rendu, tous deux, un grand service,
Vous n’osiez, sans sujet, faire cette injustice.
Aux Bergers.
Célidan, qui, je crois, vous est assez connu,
Étant, pour quelque affaire, en cette Île venu,
Philène, que l’Amour obligeait à vous nuire,
Par lui, près de Délie, a voulu vous détruire :
Et l’ayant, dans cette Île, autrefois, obligé,
Ce Fourbe, à le servir, l’a, bientôt, engagé.
Comme, depuis longtemps, la forte jalousie
Dont mon Âme inquiète est, justement, saisie,
Me fait avoir des Gens qui, fort soigneusement,
M’apprennent ce que fait mon infidèle Amant.
On m’a dit que le Traître ayant bien su l’instruire,
Ils avaient inventé qu’Aminte et Clidamire
Vous avaient fait, tous deux, à Smyrne, soupirer ;
C’est pourquoi Célidan vient de vous l’assurer.
LICIDAS.
Il me l’a soutenu, même avec impudence.
CÉLIANTE.
Quoi, donc, qu’avec Philène, il est d’intelligence ?
FLORICE.
Oui.
LICIDAS.
Nous nous doutions bien, qu’étant Fourbe et Jaloux,
Il pourrait, à la fin, nous nuire auprès de vous.
CÉLIANTE, voyant venir Philène.
Mais, il faut, quelque temps, ouïr parler Philène,
Sans lui dire qu’on vient nous tirer de peine.
Scène V
DÉLIE, LICIDAS, CÉLIANTE, FLORICE, PHILÈNE
PHILÈNE.
À la fin, ces Bergers vous feront-ils pitié ?
Pour moi, de leur douleur, je ressens la moitié :
Mais, ce n’est pas ma faute, et je n’y puis que faire.
LICIDAS.
Je vais, de tour ceci, découvrir le mystère,
Célidan va m’aider.
Scène VI
DÉLIE, LICIDAS, CÉLIANTE, FLORICE, PHILÈNE, CÉLIDAN
CÉLIDAN.
Malgré votre courroux,
Je viens, près de partir, prendre congé de vous.
LICIDAS.
Confesse, auparavant, toute ta fourberie,
Et ne crois pas tourner la chose en raillerie.
CÉLIANTE.
Nous ignorions, tantôt, qui t’avait suborné,
En vain, de ce discours, tu parais étonné,
Nous avons tout appris, tu dois parler sans feinte.
CÉLIDAN.
Vous prétendez, par là, me donner de la crainte ?
Entre vous deux, ce jeu semble bien concerté,
Mais, par malheur pour vous, j’ai dit la vérité.
CÉLIANTE.
C’est trop perdre de temps, avoue à cette belle,
Que nous n’avons, jamais, adoré d’autres qu’elle.
FLORICE.
Tu dois, aussi, nommer ceux qui t’ont fait agir.
DÉLIE.
Philène, qu’avez-vous, que je vous vois rougir ?
PHILÈNE.
Je ne saurais souffrir ce Fourbe, davantage,
Quand je le vois, le sang monte sur mon visage ;
Et comme je le hais, et qu’il blesse mes yeux,
Je veux que, maintenant, il sorte de ces Lieux.
À Célidan.
Défendez-vous.
DÉLIE.
Il doit, même, en votre présence,
Dire, avec quel Berger, il est d’intelligence.
PHILÈNE.
Il faut l’aller chercher ; qu’on nous laisse ce soin,
J’y vais avecque lui.
LICIDAS.
Vous n’iriez pas bien loin.
PHILÈNE.
Mais, dites-moi son nom, il ne veut pas répondre ;
S’il est Fourbe, je veux, moi-même, le confondre.
Est-il quelqu’un à qui l’on puisse se fier ?
Aux Bergers.
Mais, encor, s’il pouvait se bien justifier ?
Bas à Célidan.
N’avouez rien, au moins.
CÉLIANTE.
Je lui ferai tout dire.
Il doit, même, avouer, qu’avant qu’il se retire,
Que l’un de nos Bergers, de Délie, amoureux,
Est d’accord avec lui, de ruiner nos feux.
CÉLIDAN.
Ah ! c’est un peu, trop loin, pousser la raillerie.
PHILÈNE, bas à Célidan.
Tenez bon. Qui l’eût cru ! voyez la fourberie :
Mais, il n’avouera rien, il est trop obstiné.
FLORICE.
Mais, n’avoueras-tu rien, toi qui l’as suborné ?
CÉLIDAN.
Lui ?
DÉLIE.
Ne le niez point, la chose est avérée ;
Vous n’avez pas dit vrai, j’en suis fort assurée,
Vous cherchez à leur nuire, avouez tout, parlez.
CÉLIDAN.
Comme je ne veux rien que ce que vous voulez,
Et vous dire autrement, ce serait vous déplaire,
Je ne tâcherai point de prouver le contraire,
Et je ne prétends plus vous rien dire, qu’adieu.
LICIDAS.
Nous ne te quittons pas, encor, pour cet aveu.
CÉLIDAN.
Quoi ! Bergers, n’ai-je pas, assez, de complaisance ?
Je me fais criminel, malgré mon innocence ;
Et je vous laisse, encor, pour vous mieux obliger,
Avec une Beauté qui sait vous engager.
Scène VII
DÉLIE, CÉLIANTE, LICIDAS, FLORICE, PHILÈNE
PHILÈNE.
Ce Berger, aujourd’hui, sentira ma furie,
S’il ne confesse pas toute la fourberie ;
Afin de l’y forcer, je vais suivre ses pas.
FLORICE.
Voyons ce qu’il veut faire, et ne le quittons pas.
Scène VIII
DÉLIE, CÉLIANTE, LICIDAS
DÉLIE.
Encor qu’avec adresse, ils soient sortis d’affaire,
Les détours du premier, font voir tout le mystère.
LICIDAS.
Devant vous, j’ai voulu retenir ma fureur,
Mais, mon Bras saura bien punir cet Imposteur.
DÉLIE.
Tantôt, adroitement, j’espère de Philène,
Tirer la vérité.
CÉLIANTE.
Pour finir notre peine,
N’ayant plus de sujet de vous plaindre de nous,
Entre vos deux Amants, choisissez un Époux.
DÉLIE.
Quoique de votre perte, on me vît affligée,
J’avais quelque douceur à me croire outragée ;
Et je me consolais, dans un tel déplaisir,
De ce que vous m’ôtiez la peine de choisir ;
Car, enfin, si tous deux vous m’avez bien servie,
Si vous m’avez, tous deux, su conserver la vie,
Puis-je, sans être injuste, en rendre un malheureux,
Donnant à l’autre, un prix, que je dois à tous deux ?
LICIDAS.
Quelque soit votre choix, il doit être équitable,
Faisant, entre nous deux, voir moins d’un Misérable.
DÉLIE.
Hé ! vous ne craignez point d’être ce Malheureux ?
LICIDAS.
Pour ne le craindre pas, je suis trop amoureux.
DÉLIE.
Tous deux, également, vous m’avez obligée,
Et, par là, je me sens, à tous deux, engagée.
CÉLIANTE.
N’importe, finissez ces obligeants refus.
DÉLIE.
Montrez-moi, donc, celui que je dois n’aimer plus.
LICIDAS.
Consultez votre Cœur.
DÉLIE.
Sa tendresse l’accable,
Et je dois, plus que vous, m’estimer misérable ;
Un seul Objet vous plaît, et fait naître vos feux,
Mais, on souffre bien plus, quand on en aime deux.
Si je ne puis, pourtant, en aimer deux, sans crime,
Je puis, au moins, changer mon amour, en estime :
Et pour rendre, entre nous, un tel malheur, commun,
Ne pouvant être à deux, je veux n’être à pas un.
Le tort que je vous fais, me va punir moi-même,
Car, vous perdant tous deux, je perds tout ce que j’aime :
Mais, dans cette infortune, il vous doit être doux,
Que nul n’ait part au Bien qui n’était dû qu’à vous.
Scène IX
DÉLIE, CÉLIANTE, LICIDAS, ORPHISE
ORPHISE.
Je viens, en vous cherchant, de rencontrer Philène,
Avecque Célidan, qui m’ont bien mise en peine.
Ce dernier se défend avecque tant d’esprit :
Et de tant de raisons il soutient ce qu’il dit,
Que je ne doute plus, qu’Aminte, et Clidamire,
De ces adroits Bergers, ne causent le martyre.
CÉLIANTE.
Prenez-vous, à présent, son Parti contre nous ?
ORPHISE.
Avant de l’avoir vu, j’étais, tantôt, pour vous :
Mais, je crois, qu’il n’est pas si Fourbe que l’on pense,
Puisqu’il veut, par Témoins, prouver ce qu’il avance.
DÉLIE.
J’ai cru leur innocence, un peu, légèrement,
Mais, on se rend, bientôt, aux raisons d’un Amant :
Et notre Sexe, enfin, est facile à surprendre,
Quand nous croyons trouver du plaisir à nous rendre.
Ce n’est pas que je doive, encor, les condamner,
Mais, je crois que je dois, encor, les soupçonner.
Florice peut, donnant trop à sa jalousie,
Croire tout ce qui vient dedans sa fantaisie,
Et croître, en se trompant, sa peine, et mon souci :
Mais, ces discours pourraient se trouver vrais, aussi.
Songez, donc, à prouver, tous deux, votre innocence,
Et, jusques à ce temps, évitez ma présence.
LICIDAS.
Mais...
DÉLIE.
Laissez-nous.
LICIDAS, s’en allant.
Je vais expirer de douleur.
CÉLIANTE.
Je saurai vous aimer, malgré votre rigueur.
Scène X
DÉLIE, ORPHISE
DÉLIE.
Mon embarras est grand, et le tien n’est pas moindre.
Cherche, donc, Célidan, tâche de le rejoindre,
Et fais tant, qu’il te dise, avec sincérité,
Si ce qu’il nous soutient, est une vérité.
ORPHISE.
J’y cours.
Elle sort d’un côté, et Périandre vient de l’autre.
Mais, devers moi, Périandre s’avance.
Scène XI
DÉLIE, PÉRIANDRE, GARDES
PÉRIANDRE.
Quoiqu’avec tant de soin vous fuyez ma présence,
Que vous ayez, toujours, pour moi, même rigueur,
Malgré vos cruautés, je ressens plus d’ardeur.
Vous me montrez, en vain, un visage sévère,
Je revois, d’un même œil, ces yeux qui m’ont su plaire :
Et mon Cœur se rendant à vos charmes divers,
Reconnais ses Vainqueurs, et rentre dans ses fers.
DÉLIE.
Ce discours doit, Seigneur, surprendre une Bergère.
PÉRIANDRE.
Vos yeux font plus de mal qu’ils ne croient en faire.
Par l’ordre de mon Roi, quand je vins dans ces Lieux,
Je me rendis, moi-même, à l’éclat de ces yeux :
Mon Cœur, contre leurs coups, se trouva sans défense,
Mais vous n’eûtes, pour moi, que de l’indifférence.
Cependant, qui l’eût cru ? j’apprends à mon retour,
Que deux Bergers ont pu vous donner de l’amour.
Mais, quelque soit le feu qui règne dans votre Âme,
Pouvez-vous, à la fois, en aimer deux, sans blâme ?
DÉLIE.
L’un des deux pourrait bien me toucher, un peu, plus,
Quoique l’autre n’ait pas mérité de refus :
Mais, mon Cœur s’en devant rendre compte à soi-même,
Il se consulte, seul, pour savoir ce qu’il aime.
PÉRIANDRE.
Lorsque mon feu vous offre un Triomphe plus doux,
Préférez-moi, Bergère, en prenant un Époux :
Le Rang que vous tiendrez, donnera de l’envie ;
Au milieu des Plaisirs, vous passerez la vie ;
Car, si pour les goûter, il est quelque Séjour,
On n’en saurait trouver un autre que la Cour.
Là, les Jeux, et les Ris, ont choisi leur Demeure,
Les Divertissements y changent à toute heure.
Là, se fait admirer ce jeune, et puissant Roi,
De qui le Monde entier, doit recevoir la Loi :
Ce Roi charmant en paix, et redoutable en Guerre,
Dont le Nom, aujourd’hui, fait, seul, trembler la Terre,
Et pour qui vous voyez les Bergers, diligents,
Courir, avec ardeur, lorsqu’il passe en vos Champs,
Et ravis de le voir, oublier leur tristesse,
Jeter des cris de joie, et des pleurs d’allégresse,
Et dans l’empressement qu’ils font paraître tous,
Laisser leurs Troupeaux même, à la merci des Loups,
Pour ne voir, qu’un instant, ce Monarque adorable,
Qu’on ne voit qu’à travers d’une Foule innombrable
De Héros, sur lesquels il paraît, en tous Lieux,
Tel qu’on voit Jupiter entre les autres Dieux.
Venez, donc, admirer ce plus grand des Monarques,
Le voir, de ses bontés, donner à tous des marques,
Connaître le Mérite, et le récompenser,
Ces plaisirs sont plus grands qu’on ne saurait penser,
Et quels que soient, enfin, ceux que je vais décrire,
Le plaisir de le voir, vaut tout ce qu’on peut dire.
Mais, pour vous montrer mieux, jusqu’où vont ses bontés,
Il divertit la Cour par mille nouveautés :
Et lui fait admirer d’étonnantes Merveilles,
Qui, des plus beaux Esprits, sont les savantes veilles,
Les Arts y montrent, tous, ce qu’ils ont de plus beau,
De Prodiges sans nombre, on y voit un Tableau,
Et rien n’est comparable aux beautés, sans égales,
Des Spectacles pompeux de ses Fêtes Royales.
Ce grand Roi prend, encor, un utile repos,
À voir, dessus la Scène, éclater, des Héros,
Par les Portraits parlant de tout ce qu’en leur vie,
Ces Demi-Dieux ont fait de plus digne d’envie.
Rendez-vous, donc, Bergère, aux charmes de la Cour
D’un Monarque si digne, et d’estime, et d’amour,
Qui, dans tous vos plaisirs, daignera bien descendre,
À dessein, seulement, de vous les faire prendre ;
Car, quoique de ces Jeux, on le voie ordonner,
Il ne prend ces plaisirs, qu’afin de les donner.
DÉLIE.
J’admire ses bontés, mais j’aime trop cette Île,
La vie est, dans nos Champs, plus douce et plus tranquille,
De nos Bois, les Chagrins sont bannis pour jamais,
C’est là qu’un mol gazon offre un lit doux et frais,
Et que le Jour paraît régner avec les Ombres,
Pour éclairer la nuit qu’on trouve en ces Lieux sombres.
Là, souvent, les Zéphyrs apportent les odeurs
Des larcins qu’ils ont faits, en caressant les Fleurs.
Nous entendons, aussi, des prochaines Montagnes,
L’eau qui, par gros bouillons, tombant dans nos Campagnes,
Semble nous inviter à nous rendre au Sommeil ;
Puis cent divers Oiseaux causent notre réveil,
Autour de nous, soudain, nous les voyons paraître,
Qui, formant un Concert aussi doux que champêtre,
Voltigent, en chantant, de rameaux en rameaux.
Les Bergers, à ce bruit, mêlent leurs Chalumeaux,
Les Bergères leurs voix, les Ruisseaux leur murmure ;
Et, pour nous faire voir ce que peut la Nature,
L’Écho même y répond, surpris d’étonnement,
Et sert d’un second Chœur, à ce Concert charmant.
PÉRIANDRE.
On aime ces plaisirs, quand on n’en a point d’autres :
Mais, si vous songiez bien à la douceur des nôtres,
Si vous examiniez quels sont ceux de la Cour,
Peut-être, pourriez-vous les aimer à leur tour.
DÉLIE.
Je sais qu’ils sont mêlés de trop cruelles peines,
Nous en goûtons, souvent, de plus doux dans nos Plaines,
Jamais l’Ambition ne les y vient troubler :
Et si quelque Berger, d’amour, se sent brûler,
Il fait, dans ses discours, régner tant de justesse,
Et sais si bien toucher le Cœur d’une Maîtresse,
Que l’on croirait, de l’air dont il sait l’engager,
Qu’un Héros fait l’amour sous l’habit d’un Berger.
PÉRIANDRE.
Ah ! je saurai, bientôt, trop ingrate Bergère,
À qui, de ces Héros, le Sort sera contraire :
Mais, comme toute l’Île est soumise à ses coups,
Je crains pour vos Amants, et plus, encor, pour vous.
DÉLIE.
Croyez que, si le Sort me rend votre Captive,
Je vous suivrai, seigneur, sans que mon Cœur vous suive.
ACTE IV
Scène première
DÉLIE, PHILÈNE
DÉLIE.
Quand vous m’avoueriez tout, pourrais-je vous blâmer ?
On peut faire, encor, plus, quand on sait bien aimer.
PHILÈNE.
Qu’on se doit défier de l’Esprit d’une Femme,
Quand elle veut savoir ce qui touche sa flamme !
Oui, je vais, contre moi, prononcer un Arrêt.
DÉLIE.
Je ne veux que savoir la chose comme elle est.
PHILÈNE.
Ah ! Célidan m’a dit des choses qu’il a vues,
Que je ne voudrais pas qui vous fussent connues,
Puisque, pour ces Amants, vous avez trop d’amour,
Pour n’en pas expirer avant la fin du jour.
DÉLIE.
Quoi ! loin de m’éclaircir, vous augmentez mon trouble ?
PHILÈNE.
Ayez pitié du mien, car je sens qu’il redouble ;
Et quand je vois vos yeux, qui peuvent tout charmer,
Je ne me connais plus, et ne sais plus qu’aimer.
Oui, je brûle, pour vous, d’une ardeur incroyable,
Car je vous aime autant que vous êtes aimable :
Et ces yeux, cette bouche, et ce port si charmant,
N’excitent pas, en moi, ces transports, seulement ;
Mais, dans vos actions les plus indifférentes,
Je trouve un certain air qui me les rend charmantes,
Car, pour prendre nos Cœurs, l’amour se sert de tout,
Et n’en attaque point dont il ne vienne à bout.
On ne saurait souffrir de plus sensibles gênes ;
Aimez-moi, donc, Bergère, et finissez mes peines.
DÉLIE.
Vous m’aimez, aujourd’hui, trop sérieusement,
Et je ne croyais pas que sous votre enjouement...
PHILÈNE.
Quoiqu’avec des soupirs, on découvre qu’on aime,
Avec un air plus gai, l’on peut faire de même ;
Et j’ai voulu, d’abord, en vous divertissant,
Vous découvrir un feu qui s’est rendu puissant.
À mes Rivaux, par là, je donnais moins d’ombrage ;
Mais, ignorant mon but, ils ne m’ont pas cru sage.
DÉLIE.
Et, par là, je vous crois bien capable du tour...
PHILÈNE.
Croyez que je ne suis capable que d’amour.
DÉLIE.
Confessez tout.
PHILÈNE.
Pour vous, mon amour est extrême.
DÉLIE.
Si...
PHILÈNE.
Peut-on aimer plus que Philène vous aime ?
DÉLIE.
Vous avez résolu de ne pas avouer...
PHILÈNE.
Que, de vous, mes rivaux ont lieu de se louer.
Vous aimez l’un des deux ; mais, si je puis éteindre...
DÉLIE.
Et quoi ?
PHILÈNE.
Rien.
DÉLIE.
Vous pouvez parler sans vous contraindre.
PHILÈNE.
C’en est fait, je veux...
DÉLIE.
Hay ?
PHILÈNE.
Sans cesse soupirer,
Faire, pour vous, des vœux, toujours, vous adorer.
DÉLIE.
Vous m’obligeriez plus, de vaincre votre flamme.
PHILÈNE.
Oui, Cruelle, je vais la chasser de mon Âme,
Je vous hais à présent, et je veux... Non, mon Cœur,
Je ne pourrai, jamais, éteindre mon ardeur.
Mais, que dis-je ? il le faut, n’en croyez rien, Bergère,
Je ressens trop d’amour, pour m’en pouvoir défaire.
DÉLIE.
Je le crois ; mais, enfin, laissez-moi dans ce Bois,
Jusqu’à ce que du Sort, on m’apprenne le choix.
PHILÈNE.
Je ne puis, mon Amour m’ordonne le contraire ;
C’est un Dieu tout puissant, et je dois, pour lui plaire...
DÉLIE.
Mais, je le veux, enfin.
PHILÈNE.
Qui sait trop obéir,
Sait mal comme l’on aime, et cherche à se trahir.
DÉLIE.
Vous êtes fou, vraiment.
PHILÈNE.
D’accord, un amant sage
Ne peut, jamais, jouer, qu’un méchant personnage.
DÉLIE.
Mais, je me fâcherai.
PHILÈNE.
Condamnez tous mes soins,
Je suis bien résolu de n’en aimer pas moins.
DÉLIE.
C’est tout de bon, enfin.
PHILÈNE.
Je le crois ; mais, de même,
Croyez, donc, tout de bon, que Philène vous aime.
DÉLIE.
D’accord, mais...
PHILÈNE.
Vous devez aussi, ne douter pas
Du pouvoir absolu qu’ont, sur moi, vos appas.
DÉLIE.
Je ne sais plus que faire, et ne sait plus que dire.
PHILÈNE.
Ni moi.
DÉLIE.
Me fâcherai-je ? ou dois-je, enfin, en rire ?
Berger, si vous m’aimez, il faut, sans balancer,
Pour me plaire, une fois, à l’instant, me laisser.
PHILÈNE.
Hé bien, puisqu’autrement, je ne saurais vous plaire.
Dussé-je en enrager, il faut vous satisfaire.
DÉLIE, seule.
Enfin, je me vois seule, et je crois que je puis...
Scène II
DÉLIE, ORPHISE
ORPHISE.
Vous verrai-je, toujours, rêver à vos ennuis ?
Si pour un seul Berger, vous sentiez de la flamme,
Je crois que vous auriez moins de trouble dans l’Âme.
DÉLIE.
Je vous crois.
ORPHISE.
Pourquoi, donc, ne choisissez-vous pas ?
DÉLIE.
Je ne puis.
ORPHISE.
Pour sortir d’un si grand embarras,
Et connaître celui qui vous plaît davantage,
Songez, s’il était sûr que l’un deux fut volage,
Lequel vous perdriez avec plus de douleur,
Et croyez qu’il a plus de part à votre Cœur,
C’est pourquoi vous devez le choisir.
DÉLIE.
Ah ! Bergère,
Je crois, de ce conseil, pénétrer le mystère ;
Et, comme votre Cœur brûle pour l’un des deux,
Vous voulez découvrir le secret de mes feux.
Mais quoi ! n’avez-vous point quelque secrète alarme ?
Car je pourrais choisir le Berger qui vous charme.
ORPHISE.
Si vous sentez, pour eux, une pareille ardeur,
Ne le choisissez pas.
DÉLIE.
Nommez votre Vainqueur,
Pour empêcher mon choix d’être à vos veux contraire.
ORPHISE.
Vous pouvez, sans cela, je crois, me satisfaire.
DÉLIE.
Je ne puis deviner.
ORPHISE.
Je vois, qu’absolument,
Je dois... Vous les aimez, au moins, également.
DÉLIE.
Également, hélas !
ORPHISE.
Cet hélas fait connaître
Que, de tout votre cœur, l’un d’eux, s’est rendu Maître.
Voilà votre Secret, à demi, découvert
Vous devez, à présent, parler à Cœur ouvert,
Et dire pour lequel...
DÉLIE.
Que vous êtes pressante !
Ils me plaisent tous deux ; mais, enfin, Céliante...
ORPHISE.
Ah ! que m’apprenez-vous, par ce cruel aveu !
Que ne me cachiez-vous, à jamais, votre feu !
Que fais-je ? ce transport apprend celui que j’aime.
Mais, peut-on rien cacher, quand l’amour est extrême ?
DÉLIE.
J’apprends celui des deux, qui règne en votre Cœur,
Et veux vous obliger, en vous tirant d’erreur.
Céliante, à mon Cœur, doit cesser de prétendre,
Et, quand je l’ai nommé, c’était pour vous l’apprendre.
ORPHISE.
Dieux ! que me dites-vous, et pourquoi ce détour ?
DÉLIE.
On en cherche, toujours, pour montrer son amour.
En disant que, pour l’un, je ne sens point de flamme,
Je découvre que l’autre a su toucher mon Âme :
Et je m’épargne, ainsi, le trouble, et la rougeur
Que je ferais paraître, en nommant mon Vainqueur.
ORPHISE.
Céliante est le mien, et j’ai bien su connaître
Que s’il ne vous aimait, il m’aimerait, peut-être.
DÉLIE.
Ah ! puisqu’il a, pour vous, des sentiments si doux,
Ce Berger, quelque jour, sera, peut-être, à vous,
Puisque sentant, pour l’autre, un peu plus de tendresse,
Je crois que, quelque jour, il saura ma faiblesse. 1
Les voici.
Scène III
DÉLIE, ORPHISE, LICIDAS, CÉLIANTE
ORPHISE.
L’un de vous doit, en cet heureux jour...
DÉLIE.
Ah ! ne découvrez pas, encore, mon amour.
ORPHISE.
Mais...
DÉLIE.
Cachez mon secret.
ORPHISE.
Mais, je cherche à vous plaire,
Vous ne m’avez pas dit ce Secret, pour le taire ;
Et lorsque votre Cœur a choisi Licidas.
Ici, Délie lui jette un regard de dépit.
Vous... Je ne dirai rien, si vous ne voulez pas.
CÉLIANTE, à Orphise.
Que diriez-vous, encor ?
LICIDAS, à Délie.
Quoi ! serait-il possible...
DÉLIE.
Vous avez trouvé l’art de me rendre sensible :
C’est un Secret, qu’à tous, j’avais voulu cacher,
Mais l’adresse d’Orphise a su me l’arracher.
À Céliante.
Je ne l’aurais pas dit ; et, malgré ma tendresse,
Tant que vous le voudrez, je tiendrai ma promesse ;
Et quand, pour lui, j’aurais une plus forte ardeur,
Il n’aurait pas ma Main, encor qu’il ait mon Cœur.
En se tournant vers Licidas.
En vous le préférant, contre moi, je m’irrite ;
En se tournant vers l’un et l’autre.
Car je vous trouve égaux, en amour, en mérite.
À Licidas.
Je suis d’accord qu’il m’aime,
À Céliante.
Et j’approuve vos soins ;
Je vous estime autant, mais vous me touchez moins.
Montrant Licidas.
Pour lui, d’un sentiment que l’Amour me fait prendre,
J’ai longtemps, vainement, tâché de me défendre.
Ne me demandez pas, lorsqu’il m’a su charmer,
Ce qu’il a, plus que vous, qui m’oblige à l’aimer ?
Je sens que cet amour, c’est mon Cœur qui m’engage,
Mais, je ne puis, encor, en savoir davantage,
Ni pourquoi mes désirs penchent plus d’un côté,
Quand je croyais aimer avec égalité.
Je cherche le sujet de cette préférence ;
Mais n’en pouvant avoir l’entière connaissance,
Je pense que l’Amour, par une douce Loi,
Nous fait aimer avant que nous sachions pourquoi :
Et lorsque sur ce point, je consulte mon Âme,
Elle me fait moins voir de raison que de flamme ;
Et, par ce que je sens, je connais, en ce jour,
Qu’on doit peu demander des raisons à l’Amour.
LICIDAS.
Quelles grâces vous tendre, adorable Bergère ?
CÉLIANTE, à Délie.
Si je n’ai rien en moi qui vous puisse déplaire,
Je dois me consoler, et connaître, à mon tour,
Qu’on doit peu demander de raisons à l’Amour.
DÉLIE, à Céliante.
Orphise, qui pour vous...
ORPHISE.
Cachez-lui ma tendresse,
Et ne découvrez point, encore, ma faiblesse.
DÉLIE.
Mais...
ORPHISE.
Ne lui dites point que mon Cœur, en secret...
DÉLIE.
Vous verriez, que je crois, mon silence, à regret,
Et je vais, à mon tour...
ORPHISE.
Ô Dieux ! qu’allez-vous faire ?
DÉLIE.
Vous ne m’avez pas dit ce Secret, pour le taire ;
Et je dois, pour vous rendre un service, à mon tour,
Dire que Céliante a causé votre amour.
Je crois, qu’à ce dessein, vous avez fait connaître
Que, du mien, Licidas s’était rendu le Maître.
CÉLIANTE.
J’ai su les sentiments d’Orphise, et je vois bien
Que vous ne voudriez pas que je n’en susse rien :
Mais, pour vous dire plus, aujourd’hui, cette Belle
A su l’estime, aussi, que j’eus, toujours, pour elle,
Et que, sans vous, ses yeux auraient pu me charmer.
Ainsi, je pourrais bien, avec raison, l’aimer,
Quand je puis vous quitter, sans montrer d’inconstance,
Puisque ne m’estimant que par reconnaissance,
Et qu’aimant Licidas par inclination,
Si mon Cœur s’obstinait dedans sa passion,
Je ne vous rendrais point à mes vœux favorable,
En rendant, par dépit, mon Rival misérable.
Je ferais peu pour moi, l’empêchant d’être heureux,
Ne pouvant pas jouir du malheur de ses feux :
Et comme vous pourriez me haïr dans votre Âme,
Si je troublais, longtemps, une si belle flamme,
Et qu’enfin, vous avez nommé votre Vainqueur,
Je ne dois plus m’attendre à toucher votre Cœur.
À Orphise.
Mon procédé serait blâmable, et sans excuse,
Si j’osais vous offrir un Cœur que l’on refuse.
ORPHISE.
Vous n’avez pas, je crois, sujet de craindre tant,
J’aime mieux un amant méprisé, qu’inconstant :
Et s’il est glorieux d’adorer le Mérite,
On peut, sans blâme, aussi, quitter ce qui nous quitte.
DÉLIE.
Encor qu’ils soient d’accord, n’espérez pas ma foi,
Que vous n’ayez fait voir que vous n’aimez que moi.
LICIDAS.
Nous venions vous chercher, afin de vous instruire
De ce que Célidan vient, enfin, de nous dire.
Il se défend si mal...
DÉLIE.
Vous serez, donc, heureux.
Scène IV
DÉLIE, ORPHISE, LICIDAS, CÉLIANTE, FLORICE
FLORICE.
Ah ! sachez que le Sort est contraire à vos feux.
Il a, d’abord, fait choix de la belle Céphise,
Ensuite, il est tombé, las !
DÉLIE.
Sur qui ?
FLORICE.
Sur Orphise.
ORPHISE.
Sur moi ?
DÉLIE.
Dieux ! quel malheur !
CÉLIANTE.
Que nous apprenez-vous ?
DÉLIE.
Mais, quels sont les Bergers qu’a choisis son courroux ?
FLORICE.
Damète, et Licidas.
LICIDAS.
Quoi ! le Sort nous accable,
Au moment que l’Amour nous devient favorable ?
Ou, l’Amour, bien plutôt, n’est propice à nos feux,
Qu’au moment où le Sort nous rend tous malheureux ?
Mais, Périandre vient.
Scène V
PÉRIANDRE, DÉLIE, CÉLIANTE, LICIDAS, FLORICE
PÉRIANDRE, à tous, à la réserve de Délie.
Que chacun se retire ;
Vous, demeurez, car j’ai quelque chose à vous dire.
Quoique le Sort cruel éloigne de ces Lieux,
L’un des heureux Bergers que vous aimez le mieux,
Je veux, de son Destin, vous rendre Souveraine ;
Il ne tiendra qu’à vous, adorable Inhumaine,
Qu’il ne parte jamais : Et pour vous faire voir
Combien, sur mon Esprit, vous avez de pouvoir,
Et que, pour vous servir, rien ne m’est difficile,
Du Tribut, désormais, j’affranchirai cette Île.
J’espère, de mon Roi, cette insigne faveur,
Et ne veux, pour cela, de vous, que votre Cœur.
DÉLIE.
Je n’ai point, là-dessus, de réponse à vous faire ;
Mon Cœur étant donné, vous ne sauriez me plaire.
PÉRIANDRE.
Si je n’ai rien en moi, qui vous puisse charmer,
L’offre que je vous fais, me devrait faire aimer,
Et vous ne songez pas, combien l’on a de gloire,
D’affranchir son pays...
DÉLIE.
J’ai de la peine à croire,
Qu’à ce prix, vous vouliez acheter mon amour :
Puis j’espère en Damon, qui n’est pas de retour.
Mais, adieu.
PÉRIANDRE.
Demeurez ; encore un mot, Bergère ;
Par cette complaisance, au moins, daignez me plaire.
DÉLIE.
Ah ! sachez qu’un Amant que l’on ne peut aimer,
Et qui, troublant nos feux, tâche de nous charmer,
Attire nos mépris, quand il pense nous plaire,
Et, loin de nous gagner, fait, souvent, le contraire.
PÉRIANDRE.
Il faut, pour me contraindre à ne vous plus aimer,
Faire voir des Vertus qui sachent moins charmer.
Mais, j’aime vos froideurs, et votre résistance,
Et, pour vos deux Amants, j’aime votre constance ;
Car, bien que votre Cœur penche pour l’un des deux,
Vous craignez, toutefois, d’en rendre un malheureux,
D’outrager un Amant qui vous a bien servie,
Et de qui vous croyez, même, tenir la vie.
Tout cela, malgré moi, m’oblige à vous aimer ;
Et votre seul mérite ayant pu m’enflammer,
Souvent, dans les transports de mon amour extrême,
Lorsque je pense à vous, je me dis à moi-même,
Que je serais heureux, si je pouvais, un jour,
Rendre cette Beauté sensible à mon amour !
Et qu’on a de plaisir, de goûter la tendresse
D’un Objet dont le Cœur est exempt de faiblesse,
Que l’éclat des grandeurs ne sauraient émouvoir,
Et sur qui la Raison a, seule, du pouvoir !
DÉLIE.
Bien qu’elle soit, encor, Maîtresse de mon Âme,
Je viens, à mon Vainqueur, de découvrir ma flamme.
Cependant, de mes feux, quoi qu’il ait pu savoir,
Il ne doit pas, encor, nourrir un plein espoir.
Mais, pour moi, votre estime étant considérable,
Pourquoi faut-il, Seigneur, que votre amour m’accable,
Et que m’offrant des Biens qui passent mes désirs,
Elle vienne troubler jusques à mes soupirs ?
PÉRIANDRE.
Quand de vos deux Amants, je regarde l’offense,
Mon amour croit devoir nourrir quelque espérance :
Mais, s’ils n’aimaient que vous, je pourrais bien, alors,
Pour éteindre mon feu, faire tous mes efforts.
DÉLIE.
Je voudrais bien pouvoir découvrir ce mystère.
PÉRIANDRE.
J’en puis venir à bout, adorable Bergère :
Et je me servirai de mon autorité,
Pour faire, à Célidan, dire la vérité.
DÉLIE.
Si vous lui commandez de parler, pour vous plaire,
Je n’en dois pas attendre un aveu bien sincère.
PÉRIANDRE.
Ah ! n’appréhendez rien, je ferai mon devoir :
Mais, lequel aimez-vous, ne le puis-je savoir ?
DÉLIE.
Vous le saurez, adieu, mais, tâchez de me croire,
Et de ne me voir plus, pour sauver votre gloire.
PÉRIANDRE.
Et vous, si vous voulez me croire, à votre tour,
Paraissez moins aimable, ou donnez moins d’amour.
Scène VI
PÉRIANDRE, seul
Ah ! quand je vois ces yeux qui savent trop me plaire,
Je ne me souviens plus qu’elle n’est que Bergère :
Et que Zélinde, enfin, qu’on admire à la Cour,
Sut, avant mon départ, me donner de l’amour.
Qu’elle écoute ma flamme, et que le Roi mon Maître
Semble approuver, aussi, le feu qu’elle a fait naître :
Qu’il estime, et de plus, qu’elle tient un haut Rang.
Autant par sa beauté, que par l’éclat du Sang,
Et Délie, après tout, à mes vœux si contraire,
N’est, malgré mon amour, qu’une simple Bergère :
Mais, Zélinde est Princesse, et mon ambition
Doit, enfin, l’emporter dessus ma passion.
Mais, qu’importe du Rang, quand ma flamme est extrême ?
Je puis, jusqu’à Zélinde, élever ce que j’aime,
Et je m’applaudirai, l’ayant mise en son Rang,
De voir que mon Pouvoir peut autant que le Sang,
Puisque, si l’une tient son Rang de sa Naissance,
L’autre ne peut devoir le sien qu’à ma Puissance.
Je crois que ce qu’on fait pour un Objet aimé,
Donne un plaisir bien grand, quand on est bien charmé :
Et mon amour m’apprend, que la joie est extrême,
Quand on peut, en aimant, élever ce qu’on aime.
Mais, je ne songe pas, dans mon aveuglement,
Que je veux m’abuser, et raisonne en Amant,
Qui, rempli de l’Objet qui règne dans son Âme,
Tâche d’accommoder la Raison à sa Flamme :
Et qui ne songe pas, fuyant sa guérison,
Qu’il faut accommoder sa Flamme, à la Raison.
Mais, comment faire, hélas ! Puisque lorsque l’on aime,
On cherche les moyens de se tromper soi-même ?
Ah ! loin d’agir ainsi, travaillons, dès ce jour,
En fuyant de ces Lieux, à vaincre notre amour.
ACTE V
Scène première
DÉLIE, seule
Que le Sort est cruel ! Qui m’ôte ce que j’aime,
Quand, par une rigueur extrême,
L’Amour, victorieux, veut me voir soupirer :
Et, pour avoir à sa puissance,
Opposé les froideurs de mon indifférence,
Veut que j’aime, sans espérer !
Mais, quoique nul espoir, à présent, ne me flatte,
Je veux que mon amour éclate,
Et qu’on me voie aimer, à mon tour, Licidas.
Je n’en puis mériter de blâme :
Et puisque son mérite autorise ma flamme,
La Raison ne la défend pas.
Je l’aime, je l’avoue, et ne m’en puis défendre,
Et l’on croit que mon Cœur, peu tendre,
Ne donne des soupirs qu’au malheur d’un Berger.
Mais, mon trouble fera connaître
Que la seule pitié ne les peut faire naître,
Puisqu’Amour veut les partager.
Je ne le cache plus, il règne dans mon Âme,
Licidas sait, déjà, ma flamme,
Et je veux avouer qu’il a su me charmer.
C’est un Secret que je dois dire,
Puisque, sur son amour, conserver trop d’empire,
C’est ne savoir pas bien aimer.
Selon l’occasion, nous pouvons, sans faiblesse,
Faire voir beaucoup de tendresse,
Surtout, lorsque l’Amour est devenu puissant.
La plus Fière ferait de même ;
Et lorsqu’un Cœur est près de perdre ce qu’il aime,
Il découvre tout ce qu’il sent.
Oui, j’aime Licidas ; pour lui, mon Cœur soupire,
Je veux me soulager, à force de le dire.
Scène II
DÉLIE, FLORICE
FLORICE.
Hé bien, qu’avez-vous su, Bergère ? Vos Amants,
À Smyrne, ont-ils trouvé des Objets si charmants,
Que de les adorer, ils n’aient pu se défendre ?
DÉLIE.
En ce que Célidan a dit à Périandre,
Il a justifié ces Bergers, pleinement :
Et ce grand Homme agit si généreusement,
Qu’il a, par des bontés, à chacun, favorables,
Fait, pour les Innocents, pardonner aux Coupables,
Et voulu, les ayant rendu tous satisfaits,
Que du tour de Philène, on ne parlât, jamais.
FLORICE.
Cet éclaircissement flatte, un peu, ma tristesse,
Et mon Cœur, pour Philène, ayant trop de faiblesse,
Ose espérer, encor, qu’il verra, quelque jour,
De son espoir mourant, renaître son amour.
DÉLIE.
À ce que vous croyez, je vois quelque apparence.
FLORICE.
Mais, de vos deux Amants, ayant su l’innocence,
Vous devez...
DÉLIE.
Je ne dois, en l’état où je suis,
Qu’abandonner mon Cœur aux plus cruels ennuis.
Le Sort, l’injuste Sort, m’enlève une Bergère
Qui m’aima tendrement, et me fut, toujours, chère ;
Il me prend Licidas. Mais, Orphise, en ce Lieu,
Me cherche, pour me dire un éternel adieu.
FLORICE.
Comme elle fut, toujours, de votre Confidence,
Votre Entretien n’a pas besoin de ma présence,
Je vous laisse avec elle.
Scène III
DÉLIE, ORPHISE
DÉLIE.
Hé bien, Bergère, hé bien.
ORPHISE.
Que mon malheur est grand !
DÉLIE.
Que je me plains du mien,
Puisqu’il faut que le Sort, pour jamais, nous sépare !
ORPHISE.
Je lui dois obéir.
DÉLIE.
Mais, il est trop barbare.
ORPHISE.
Périandre vous plaint ; et Licidas, dans peu,
Doit, par son ordre, aussi, vous venir dire adieu.
DÉLIE.
Licidas va venir !
ORPHISE.
Vous l’allez voir, Bergère.
DÉLIE.
Ah ! que le Sort se montre, à mes désirs, contraire :
Il doit partir après.
ORPHISE.
Nous partirons tous deux.
DÉLIE.
Quoi ! ce charmant Berger, pour qui j’ai fait des vœux,
Ce généreux amant qui m’a sauvé la vie,
S’en va, donc !
ORPHISE.
Avec lui, je quitte ma Patrie.
DÉLIE.
Licidas !
ORPHISE.
Ah ! Bergère, avouez, franchement,
Que vous me plaignez moins que ce fidèle Amant :
Mais, pour vous consoler, Céliante vous aime,
Et vous devez aimer Céliante de même.
Céliante vous reste, et pourra bien...
DÉLIE.
Hélas !
Quand je songe au départ du Berger Licidas...
ORPHISE.
Quoi ! toujours, Licidas !
DÉLIE.
Quoi ! toujours, Céliante !
ORPHISE.
Vous savez que, pour lui, ma flamme est trop puissante.
DÉLIE.
Ne vous ai-je pas dit que Licidas, aussi...
ORPHISE.
Je sais que ce Berger fait tout votre souci.
DÉLIE.
Peut-être, qu’il pourra, puisqu’il vous suit en Thrace,
Un jour, dans votre Cœur, surprendre quelque place.
ORPHISE.
Celui qui reste ici, sera, peut-être, heureux,
Et, seul, aura le Cœur que l’on croyait à deux.
DÉLIE.
Vous le craignez, je crois.
ORPHISE.
Vous le craignez de même.
DÉLIE.
Ainsi, donc, chacun craint, de perdre ce qu’il aime.
ORPHISE.
Vos yeux accoutumés à charmer ce Berger.
Une seconde fois, pourront bien l’engager :
Vous le verrez souvent, et je crois qu’en votre Âme,
Ses soins réveilleront, peut-être, votre flamme.
DÉLIE.
En dois-je craindre moins, du Berger Licidas ?
S’il ne vous aime point, il verra vos appas,
Et s’accoutumant trop, à voir de si doux charmes,
Vos yeux le forceront à leur rendre les armes.
ORPHISE.
Mais, il vous aime trop.
DÉLIE.
Il est vrai ; mais, hélas !
On oublie, aisément, ce que l’on ne voit pas.
ORPHISE.
Vous le craignez en vain ; croyez, chère Délie,
Qu’Amour n’est pas un mal, qu’aisément, on oublie.
Je ne le sens que trop, et j’avoue, aujourd’hui,
Que Céliante fait mon plus cruel ennui :
Et quand je songe, enfin, qu’il faut que je le quitte,
Contre le choix du Sort, tout mon amour s’irrite,
Et, dedans ma douleur, ne se fait que trop voir.
Même, depuis le temps que je n’ai plus d’espoir,
Il me semble que tout veut partager mes peines,
Que je ne vois plus rien de charmant dans ces Plaines,
Que l’Eau, même, en murmure, et que tous les Oiseaux
Chantent d’un ton lugubre, et parlent de nos maux ;
Que les plus belles Fleurs sont, aujourd’hui, fanées,
Que Scire n’aura plus d’agréables journées,
Et que c’est à regret, que la Clarté nous luit.
Enfin, dedans l’état où le Sort nous réduit,
Tout se montre à mes yeux, avec des couleurs sombres,
Les rayons du Soleil me paraissent des ombres :
Et songeant au sujet qui cause nos malheurs,
Je crois que tout le Monde a les mêmes douleurs ;
Et quelquefois, aussi, dans ma peine profonde,
Je crois, seule, souffrir autant que tout le Monde.
DÉLIE.
Mais, voici nos Amants.
Scène IV
DÉLIE, ORPHISE, LICIDAS, CÉLIANTE
LICIDAS, à Céliante, au bout du Théâtre.
Oui, je quitte ces Lieux,
Et je vais vous laisser ce que j’aime le mieux.
CÉLIANTE, à Licidas.
Croyez que j’en ressens un déplaisir extrême,
Et, quoique mon Rival, croyez que je vous aime.
LICIDAS.
Vous ne m’avez, jamais, donné lieu d’en douter.
Mais, je vois la Beauté que je m’en vais quitter,
À Délie.
Je viens vous dire adieu.
DÉLIE.
Vous venez me le dire,
Quand, de votre innocence, on vient de nous instruire :
Et comme je l’apprends alors que je vous perds,
Jugez de ma douleur, quand je songe à vos Fers.
LICIDAS.
Vous devez bien penser que la mienne est extrême,
Quand, tout près de partir, on m’apprend que l’on m’aime.
ORPHISE, en montrant Céliante.
Et nous n’avons point sujet de soupirer,
Puisque le Sort, aussi, s’en va nous séparer.
CÉLIANTE.
Je ne me puis lasser d’admirer son caprice,
Et je ne puis assez songer à sa malice.
De nous quatre, le Sort n’en a choisi que deux,
Mais, il nous a rendus, tous quatre, malheureux.
DÉLIE.
Espérons tout, malgré le Sort qui nous menace,
Damon, à tous moments, peut revenir de Thrace.
Scène V
DÉLIE, ORPHISE, LICIDAS, CÉLIANTE, PHILÈNE
PHILÈNE.
Sachez que ce Berger est, enfin, de retour.
LICIDAS.
Qu’a-t-il fait ?
ORPHISE.
Que dit-il ?
DÉLIE.
Je crois que c’est l’Amour,
Qui nous voyant d’accord, aujourd’hui, nous l’envoie.
CÉLIANTE.
Je crains, en espérant, et ma timide joie...
PHILÈNE.
Si votre amour vous fait concevoir quelque espoir,
Vous devez, à Présent, cesser, tous, d’en avoir.
Damon, que nous avions fait partir pour la Thrace,
Espérant que le Roi nous ferait quelque grâce,
Avec tous nos Présents, n’en a rien obtenu,
Et, depuis un moment, est, ici, revenu.
Mais, ce qui me surprend, c’est que je viens d’apprendre
Que, presque en même temps, le triste Périandre,
En soupirant, a lu des Lettres de son Roi,
Ce qui, dans tous les Cœurs, jette un mortel effroi,
Et cause une nouvelle, et profonde tristesse ;
Car, chacun croit que c’est, dans l’ennui qui me presse,
Un ordre, de ne rien accorder à nos vœux.
ORPHISE.
Hélas !
CÉLIANTE.
Quelle disgrâce !
LICIDAS.
Ah ! tout nuit à nos feux.
DÉLIE.
Quoi ! tout nous est contraire !
LICIDAS.
Ah ! Délie.
PHILÈNE.
Il me semble
Que je vous vois, tous quatre, assez unis ensemble.
DÉLIE.
Céliante aime Orphise, et j’aime Licidas,
L’Amour en est d’accord, mais le Sort ne l’est pas.
PHILÈNE.
Ce n’est pas sans raison, qu’on a cru que d’Orphise,
Autrefois, ce Berger sentait son Âme éprise :
Et je m’étonne peu, qu’il vive sous ses Lois,
Lorsque de Licidas, votre Cœur a fait choix.
Je connais bien, par là, que je vous ai perdue.
Puisqu’aux vœux d’un Amant, votre Âme s’est rendue.
Cela me causera quelques mauvaises nuits ;
Mais, le Temps qui fait tout, calmera mes ennuis,
Et, pour les oublier, je vais voir si Florice,
À mes désirs, encor, veut se montrer propice.
Elle est Femme, elle m’aime, elle est faible, et je crois
Qu’elle est, encore, prête à recevoir ma foi.
Adieu, car je vois bien que trop d’amour vous lie,
Vous aurez Céliante et Licidas, Délie ;
Et, sans doute, l’Amour n’en aurait pas tant fait,
S’il prétendait laisser son Ouvrage imparfait.
Scène VI
DÉLIE, LICIDAS, ORPHISE, CÉLIANTE
CÉLIANTE.
Peut-on, à ses discours, donner quelque créance ?
DÉLIE.
Non, nous ne devons plus concevoir d’espérance.
ORPHISE.
Et, pour quelle raison, pourrions-nous en avoir ?
Le retour de Damon détruit tout notre espoir.
On ne doit croire rien de ce que dit Philène ;
Voyant qu’on le méprise, il rit de notre peine.
LICIDAS.
Quoi ! c’est, donc, tout de bon, qu’il faut nous séparer ?
Ah ! plutôt à vos pieds, je devrais expirer,
L’Amour l’ordonne ainsi.
CÉLIANTE.
Quel malheur est le nôtre !
Ah ! Berger, si le Sort eût choisi l’un pour l’autre,
Chacun verrait l’Objet qu’il aime.
LICIDAS.
Et, pour le voir,
L’esclave malheureux, aurait-il plus d’espoir ?
CÉLIANTE.
Quand l’Amour s’est rendu le Maître de notre Âme,
Il est bien doux de voir l’Objet qui nous enflamme.
LICIDAS, montrant Délie.
Si vous vouliez, de moi, la faire souvenir.
CÉLIANTE, montrant Orphise.
Si vous vouliez, aussi, de moi, l’entretenir.
LICIDAS.
Mais, ne vous laissez pas surprendre par ses Charmes.
CÉLIANTE.
À ses appas, aussi, ne rendez pas les armes.
LICIDAS.
En la voyant souvent, vous la pourrez aimer.
CÉLIANTE.
Elle pourra, peut-être, à la fin vous charmer.
LICIDAS.
La Mort me paraîtrait, à présent, moins barbare,
Que le cruel Arrêt du Sort qui nous sépare.
ORPHISE.
Souvenez-vous de moi.
CÉLIANTE.
Que ferons-nous, hélas !
DÉLIE.
Vous m’aller, donc, quitter, ô trop cher Licidas !
LICIDAS.
C’est le Sort qui le veut, ô très chère Délie,
Pour qui je vais traîner une mourante vie !
Chacun regarde sa Bergère, qui répond par un regard languissant. Ensuite les deux Bergers se regardent, et se montrent leurs Bergères en soupirant ; ce qui fait un jeu muet quelque espace de temps.
ORPHISE.
Quoi ! je vais perdre, donc, ce que j’aime le mieux !
LICIDAS.
Quoi ! je vais, donc, laisser ma Délie en ces Lieux !
CÉLIANTE, prenant Orphise, et la donnant à Licidas.
Ah ! puisque c’est, enfin, un mal inévitable,
Je mets entre vos mains, cet Objet adorable,
Ayez-en soin : Et vous, gardez-moi votre foi,
Et daignez, quelquefois, vous souvenir de moi.
Le ferez-vous ?
Il lui baise la main.
ORPHISE.
Allez.
LICIDAS, donnant Délie à Céliante.
J’en dois faire de même,
Et remettre en vos mains, aussi, tout ce que j’aime.
Tenez, ayez bien soin de cet Objet charmant ;
Mais, je vais expirer, en ce triste moment.
Il tombe aux genoux de Délie.
Je n’en puis plus, et sens que toute ma tendresse,
Combattant contre moi, craint que je ne vous laisse.
Mais, il le faut, enfin ; adieu, Bergère.
DÉLIE, après avoir été un temps, immobile, dit, en regardant Licidas.
Hélas !
LICIDAS.
Que l’Amour, à nos Cœurs, livre de grands combats !
CÉLIANTE, à Orphise, et à Licidas.
Après un tel effort, ôtez-vous de ma vue.
LICIDAS.
Je ne puis...
Délie lui jette un regard passionné.
Mais, que vois-je ? Ah ! ce regard me tue.
CÉLIANTE.
Vous augmentez nos maux, Bergères ; et vos pleurs,
Loin de nous soulager, font croître nos douleurs.
Scène VII
DÉLIE, ORPHISE, LICIDAS, CÉLIANTE, GARDES
LE GARDE.
Nous ne pouvons, ici, vous laissez, davantage.
LICIDAS.
Cruel Sort !
DÉLIE.
Dessus nous, il déploie sa rage.
ORPHISE.
Quoi ! donc, il faut partir !
CÉLIANTE.
Dures extrémités !
LICIDAS.
Partons, puisqu’il le faut.
ORPHISE, embrassant Délie.
Adieu donc.
Comme ils sont tous tournés pour s’en aller, Périandre paraît, ce qui les oblige de s’en revenir.
Scène VIII
PÉRIANDRE, DÉLIE, ORPHISE, CÉLIANTE, LICIDAS, GARDES
PÉRIANDRE.
Arrêtez,
Je viens vous annoncer d’agréables nouvelles ;
Mais, on m’en vient, pour moi, d’apporter de mortelles.
Quel cruel déplaisir !
DÉLIE.
Hé quoi ! notre Bonheur
Vous fait-il soupirer ?
PÉRIANDRE.
Ah ! toute ma douleur
Vient de ce que mon Roi, dont la bonté m’accable,
Croit que je suis charmé d’un Objet adorable :
Et que croyant son Cœur atteint d’un même amour,
Pour conclure l’Hymen ; il attend mon retour.
Il est vrai que Zélinde a pu toucher mon Âme,
Mais vous avez fait naître une plus forte flamme :
Et s’il m’était permis de pouvoir faire un choix,
Je l’oublierais, bientôt, pour vivre sous vos Lois :
Et, cependant, malgré l’ardeur qui me possède,
À ces heureux Bergers, il faut que je vous cède.
C’est, donc, à l’un de vous, Amants trop fortunés,
Que ses divins Appas sont, enfin, destinés.
Aimez, donc, j’y consens, aimez, aimez Délie,
À la voir, seulement, ma joie est infinie,
Je ressens des plaisirs, qu’on ne peut exprimer ;
Mais, peut-on voir ces yeux, et ne les point aimer ?
Voyez-la, donc, Bergers, regardez qu’elle est belle,
Et ne cessez, jamais, de soupirer pour elle,
Vous n’en sauriez trouver qui le mérite mieux,
Et sa vertu répond à l’éclat de ses yeux.
ORPHISE.
Vous oubliez, Seigneur, à dire la Nouvelle,
Qui nous est favorable, et qui vous est cruelle.
PÉRIANDRE.
J’en ai dit la moitié.
CÉLIANTE.
Notre esprit en suspens,
Craint...
PÉRIANDRE.
Ce qui reste, va vous rendre, tous, contents.
LICIDAS.
Des esclaves, Seigneur, pourraient-ils, jamais, l’être ?
PÉRIANDRE.
Ah ! vous ne l’êtes plus, puisque le Roi mon Maître
Ne veut plus de Tribut, et vient de me mander
Qu’il n’avait à Damon voulu rien accorder,
Pour ce qu’il prétendait que ce Bonheur suprême
Fût, à toute cette Île, annoncé par moi-même.
Adieu, c’en est assez, vivez, toujours, en paix,
Sans craindre que le Sort vous trouble, désormais.
LICIDAS.
De votre Roi, Seigneur, les bontés sans exemples,
Lui doivent, dans ces Lieux, faire dresser des Temples.
Scène IX
DÉLIE, LICIDAS, ORPHISE, CÉLIANTE
DÉLIE, à Licidas.
Ah ! Berger.
CÉLIANTE, à Orphise.
Qui l’eut cru !
LICIDAS.
Quel surprenant Bonheur !
DÉLIE, à Licidas.
Rien ne troublera plus, désormais, notre ardeur.
LICIDAS.
Se peut-il, qu’à la fin, mon amour vous obtienne ?
CÉLIANTE, à Orphise.
Donnez-moi votre main.
LICIDAS, à Délie.
Vous, recevez la mienne.
Ici, chaque Berger passe du côté de sa Bergère.
CÉLIANTE.
Allons, à toute l’Île, apprendre ce Bonheur,
Et faire succéder la Joie, à la Douleur.