Le Feint Polonais (HAUTEROCHE)

Comédie en trois actes et en prose.

Uniquement jouée en Province.

1686.

 

Personnages

 

M. ERGASTE, père de Mariane

M. AMBROISE, ami d’Ergaste

DES VALONS, amant de Mariane

DES RUISSEAUX, cousin de Des Valons

LA FRANCHISE, trompette de la compagnie de Des Valons

MARIANE, fille d’Ergaste

LUCETTE, suivante de Mariane

RUFILE, sœur d’Ergaste

PICARD, valet d’Ergaste

 

La scène est à Paris.

 

 

PRÉFACE

 

À parler sincèrement de cette comédie, elle n’est pas dans cette exacte régularité que l’art et ses préceptes demandent pour les ouvrages de théâtre. Il y a deux actions, qui n’ont guère de rapport ensemble, si qui ne se mêlent presque point dans toute la pièce. On y voit la plupart des acteurs et des actrices ; agir suivant les intérêts qui les regardent en particulier, sans se traverser l’un l’autre dans leurs desseins ; et c’est ce qui m’a fait lui donner deux différents titres. La servante a peu de part dans l’intrigue ; elle y agit selon que l’occasion se présente, sans avancer ni reculer les affaires de la scène. Le dénouement arrive par un incident imprévu que le hasard fait naître, mais qui pourtant ne choque point la vraisemblance. Quelques-uns ont trouvé les caractères de Rufile et de M. Ambroise un peu trop chargés ; mais ils n’y ont pas fait assez de réflexion : ils sont véritablement dans la nature ; ils n’ont rien qui ne fait ordinaire, et ne sortent point des bornes que les règles nous prescrivent. Rufile est une femme d’une humeur emportée, qui le pique de vertu, et qui croit, sur cette vision, être en droit de gloser sur la conduite des autres : elle dit brusquement aux gens ce qu’elle a dans la pensée, sans se mettre en peine si elle les chagrine, ou non. On fait bien que ces fortes de tempéraments ne laissent pas souvent à ceux de cette complexion toute la modération nécessaire au commerce de la vie civile. Elle pousse inconsidérément M. Ambroise, sur ce qu’il la recherche en mariage ; et lui dit des choses outrageantes, pour se débarrasser de ses poursuites. Ce procédé lui attire quelques réponses fâcheuses ; car, quoique M. Ambroise soit d’un naturel paisible, il se sent obligé de lui répliquer par des paroles désobligeantes. Il s’en repent quelques moments après ; son amour l’emporte sur son ressentiment ; et il cherche avec soin les moyens de pouvoir renouer avec elle. Ces caractères ne sont point extraordinaires, puisqu’il est vrai que nous en voyons tous les jours de semblables dans le monde. On n’a pas fort approuvé le déguisement du premier amoureux ; mais je n’en découvre point la cause : ce n’est pas une chose nouvelle qu’un amant se déguise, pour l’intérêt de sa passion. Il lui tombe en l’esprit de se déguiser en Polonais, pour trouver accès chez sa Maîtresse, et pour être moins reconnu dans le lieu de sa naissance : c’est une pensée qui n’est point éloignée du bon sens ; et, d’ailleurs, il en voit l’exécution facile ; par la raison que, dans Paris, il y en a beaucoup habillés de cette manière. Je ne m’arrêterai pas davantage à examiner le bon et le mauvais de cette comédie, ni à répondre ici à la critique impertinente de certains ignorants. Homine imperito nunquàm quidquam injustius, qui, nisi quod ipse facit, nihil rectum putat.

Le blâme ni les louanges de tels esprits ne me touchent en aucune façon. Je suis sûr que les personnes de bon goût qui prendront la peine de la lire, en jugeront autrement que ces censeurs extravagants ; et qu’ils y trouveront des traits de satyre et de morale capables d’instruire en divertissant.

 

 

ACTE I

 

La scène se passe dans une rue où donne la maison de M. Ergaste.

 

 

Scène première

 

MARIANE, LUCETTE

 

LUCETTE.

Que pensez-vous, Madame, de ces deux Turcs qui se sont approchés de nous pendant que nous faisions nos prières, et qui se donnaient des airs fort éloignés de l’inhumanité que l’on leur attribue ordinairement ! hem ?

MARIANE, riant.

Eh ! que veux-tu que j’en pense ?

LUCETTE.

Vous riez ! Ma foi, Madame, ces deux Turcs ne sont pas mal tournés.

MARIANE.

Il est vrai. Mais pourquoi veux-tu que ces gens-là soient Turcs ? Les Turcs n’entrent point dans nos temples, à moins que ce ne soit la curiosité qui les y attire.

LUCETTE.

Vous avez raison ; mais je prends tous ses gens habillés de cette manière pour des Turcs. Il est vrai que ceux-ci m’ont paru mieux faits et plus agréables que la plupart de ceux qu’on rencontre souvent dans les rues vêtus de la sorte. Mais, à propos, Madame, il me semble qu’il y en avait un qui vous regardait avec beaucoup, d’attention ?

MARIANE.

Il te regardait comme moi.

LUCETTE.

Eh ! point, point. Il a bien vu que vous étiez faite d’une manière à mériter la préférence : il vous parcourait des yeux, depuis la tête jusqu’aux pieds ; et je crois que vous lui plaisiez fort.

MARIANE, riant.

Quelles visions !

LUCETTE.

Ce ne sont point visions. Vous possédez un certain gracieux qui pourrait apprivoiser le cœur le plus farouche ; et je m’assure qu’il n’y a point de Turc, quelque barbare qu’il fût, qui ne s’adoucît volontiers auprès de vous.

MARIANE.

Lucette est aujourd’hui, pour moi, dans son humeur obligeante ; et, comme elle a de l’esprit, elle donne un tour à ses cajoleries, à faire aisément croire ce qui n’est pas.

LUCETTE.

Ce ne sont point des cajoleries, ce sont des vérités ; vous savez que je n’aime point à flatter : franchement, vous êtes faite à manger, et vous avez un air charmant qui... Madame, voici ces Turcs.

MARIANE.

Allons-nous-en.

Mariane et Lucette entrent dans la maison d’Ergaste.

 

 

Scène II

 

DES VALONS et LA FRANCHISE, en Polonais

 

DES VALONS.

Qu’a donc Monsieur de la Franchise à gronder entre ses dents ?

LA FRANCHISE.

Ce que j’ai, Monsieur ?

DES VALONS.

Oui.           

LA FRANCHISE.

Je n’ai rien.

DES VALONS.

Mais, quand on n’a rien, on ne fait point comme tu fais.

LA FRANCHISE.

Ma foi, Monsieur, je fais une sotte figure, et j’enrage de bon cœur de me voir de la sorte. À quoi bon, s’il vous plaît, nous déguiser ainsi ?

DES VALONS.

Tu le sauras dans peu. Mais quel mal te fait ce déguisement ?

LA FRANCHISE.

Il ne me fait point de mal ; mais il me fait passer pour un vrai Carême-prenant. Je n’oserais montrer mon nez dans les rues : tout le monde s’arrête pour me regarder, et les enfants me suivent en criant après moi, comme ils crient après les masques durant le carnaval.

DES VALONS.

Hé bien ! laisse-les crier.

LA FRANCHISE.

Je ne veux pas qu’ils crient, moi.

DES VALONS.

Eh bien ! qu’ils ne crient point.

LA FRANCHISE.

Ils veulent crier, eux ; et ma figure les fait rire.

DES VALONS.

Qu’ils crient donc.

LA FRANCHISE.

Comment, qu’ils crient donc ! Voyez le beau plaisir d’entendre crier après soi, et de souffrir qu’on dise : C’est sans doute un Turc. L’autre : Non ; c’est un Arménien. Celui-ci : C’est un Persan. Celui-là : Non ; c’est un Polonais. Les autres : C’est un Indien, un Sauvage, un Iroquois, un Mamelu, un Hongrois, un Moscovite, un Algérien, et mille autres diables de noms que je ne connais point !

DES VALONS.

Que t’importe ?

LA FRANCHISE.

Comment, que m’importe ? Je suis trompette dans votre compagnie, et je ne veux point passer pour Turc, ou peut-être encore pis : je suis un homme une fois, et je ne prétends pas qu’on me croie un de ces gens-là.

Des Valons rit.

LA FRANCHISE.

Vous riez, Monsieur Des Valons : oh ! je ne ris pas, moi ; et je me lasse de...

DES VALONS.

Monsieur de la Franchise, il faut vous donner un peu de patience.

LA FRANCHISE.

Morbleu ! depuis trois jours que vous m’avez fait prendre cet habit, sans me dire pourquoi, je crève de patience. Je n’ose répondre à toutes les fadaises qu’on me dit par la ville, de crainte qu’en parlant on ne connaisse que je ne suis pas étranger. Peu s’en est fallu tantôt, pour n’oser parler, que je n’aie donné de mon sabre sur la tête d’un porteur de chaise.

DES VALONS, riant.

Il faut un peu te modérer, et ne pas aller si vite : d’ailleurs nous ne sommes pas les seuls, dans Paris, habillés de cette façon.

LA FRANCHISE.

C’est encore un autre inconvénient que j’oubliais à vous faire savoir. Quand je rencontre de ces Messieurs-là, ils me jargonnent d’une manière à laquelle je ne puis rien répondre : tout ce que je puis faire, pour me débarrasser d’eux, c’est de leur marquer de la tête que je ne les entends point. Si cela dure longtemps, on me prendra pour un muet, et j’oublierai à parler.

DES VALONS.

Quoi ! Monsieur de la Franchise, qui ne manque ni d’esprit ni d’adresse, demeure court en ces occasions ?

LA FRANCHISE.

Je sais bien, Monsieur, que je ne suis pas un sot, et qu’il s’en trouve de plus stupides que moi ; mais, quand je me vois cet habit, sans savoir le pourquoi, je ne fais où j’en suis, et mon esprit est démonté. Si l’on me va prendre ici pour quelque espion, et qu’on me pende, hem ?

DES VALONS, riant.

Cela serait très fâcheux.

LA FRANCHISE.

Oui, oui, cela serait très fâcheux. Mais riez tous votre fou ; pour moi, je vais au logis quitter cet habit, reprendre le mien, et m’en retourner à votre compagnie.

DES VALONS.

Garde-t’en bien : je ne t’ai pas fait venir, pour t’en retourner ; j’ai besoin de ton service.

LA FRANCHISE.

Mais en quoi, Monsieur ? car, jusqu’ici, j’ignore la raison qui vous porte à nous travestir de la sorte.

DES VALONS.

Écoute. J’ai voulu connaître, avant que de te rien apprendre de mon dessein, si tu pourrais t’accoutumer à cet habit : maintenant que je vois que tu peux le disputer en bonne mine à tous les gens qui le portent, il faut te contenter. Tu fais l’estime que j’ai acquise à l’armée ?

LA FRANCHISE.

Oui, Monsieur : je fais que vous avez la réputation d’un fort brave et fort galant homme.

DES VALONS.

Tu fais aussi-que je n’ai jamais fait mystère de ma naissance, et que je n’ai point imité ces gens qui, lorsque la fortune les élèves à quelque rang, travaillent à méconnaître leurs parents, et à se faire descendre de quelque race imaginaire ?

LA FRANCHISE.

Vous dites vrai, Monsieur ; on en voit beaucoup entêtés de cette fantaisie : mais la vertu se loge toujours dans un bon cœur, sans avoir égard à la naissance. Par exemple, vous, Monsieur, qui avouez franchement que vous n’êtes que le fils d’un banquier de Paris, qui même n’a pas trop bien fait ses affaires, voudriez-vous troquer votre gloire contre celle de ces nobles qui n’ont, pour tout mérite, que le titre de gentilhomme, et qui, à l’ombre de cette qualité, s’imaginent follement que tout leur soit dû ; quoique souvent, sur le chapitre de la raison, ils soient plus sauvages que les sauvages mêmes.

DES VALONS.

Revenons à notre thèse. Tu sauras que, par les désordres des mauvaises affaires de mon père, il y eut un particulier, nommé Ergaste, à qui il en coûta plus des dix mille écus.

LA FRANCHISE.

Il eut peut-être cela de commun avec beaucoup d’autres ; car, quand on fait ce qu’en bon Français on appelle banqueroute, on n’est pas si fou de ne la faire que pour une seule somme ; et souvent c’est par-là qu’on enrichit les familles.

DES VALONS.

Tu sauras donc que ce Monsieur Ergaste a une fille qui ne me hait pas, et dont je suis passionnément amoureux.

LA FRANCHISE.

J’entends. Après ?

DES VALONS.

Tu juges bien que ce Monsieur Ergaste n’est pas sans aversion pour notre famille, et qu’il n’y a guère d’apparence qu’il m’accorde sa fille en mariage.

LA FRANCHISE.

D’accord. Mais je ne vois pas encore pourquoi nous sommes habillés en masques.

DES VALONS.

C’est pour prévenir les obstacles qui pourraient traverser mes desseins.

LA FRANCHISE.

Et quels sont vos grands desseins ?

DES VALONS.

Je veux m’introduire chez Monsieur Ergaste pour le fils d’un riche marchand de Varsovie ; et, pour réussir, j’ai préparé, depuis un mois, avec un de mes amis, banquier d’Amsterdam, toutes les choses nécessaires pour ce déguisement.

LA FRANCHISE.

Fort bien. Mais pourquoi ai-je cet habit ?

DES VALONS.

Je veux que tu passes pour un homme qui prend soin de ma conduite, et qui m’apprend la langue Française. Enfin, comme tu ne manques pas d’esprit, tu comprends bien tout ce qu’il faudra faire en cette occasion.

LA FRANCHISE.

Depuis quand aimez-vous cette personne ?

DES VALONS.

Depuis environ un an. Elle vint à Péronne avec sa tante, lorsque nous y étions en garnison. Je la vis plusieurs fois chez un de leurs parents ; j’en fus d’abord amoureux ; enfin je ne lui déplus pas ; et, depuis ce temps-là, nous avons trouvé les moyens d’avoir ensemble un commerce de lettres.

LA FRANCHISE.

Mais qu’espérez-vous de ce déguisement ?

DES VALONS.

D’avoir accès chez Monsieur Ergaste, de voir avec facilité sa fille que j’aime, et pour ôter à cette tante les idées qu’elle pourrait avoir de moi.

LA FRANCHISE.

Cette fille fait votre dessein ?

DES VALONS.

Oui ; ne t’inquiète de rien là-dessus.

LA FRANCHISE.

Suffit ; je vous entends. Çà, que faut-il faire ?

DES VALONS.

Aller chez Monsieur Ergaste et lui présenter cette lettre. Tiens, voici son logis.

LA FRANCHISE.

Mais que faut-il dire, en la lui présentant ?

DES VALONS.

Tout ce que tu jugeras à propos, suivant les occasions. Je connais ton esprit, et je me repose sur ton adresse. Je vais t’attendre au logis.

Il s’en va.

 

 

Scène III

 

LA FRANCHISE, seul

 

Le seigneur des Valons est un homme à qui j’ai des obligations singulières ; et je dois tout risquer, pour lui rendre service. Çà, armons-nous d’effronterie. Frappons à cette porte. Selon que les choses iront, nous agirons.

Il frappe à la porte d’Ergaste.

 

 

Scène IV

 

LA FRANCHISE, LUCETTE

 

LUCETTE, sortant.

Que vous plaît-il, Monsieur ?

À part.

C’est un de ces Turcs que nous avons tantôt vus.

LA FRANCHISE.

Aragasqui paralicou rostogasteau biscuit.

LUCETTE, riant.

Je ne vous entends point, Monsieur Biscuit.

LA FRANCHISE.

Je demande à vous si Monsieur Ergaste est dans sa maison.

LUCETTE.

Oui, Monsieur.

LA FRANCHISE.

Êtes-vous à lui, ma belle ?

LUCETTE.

Oui, Monsieur, je suis à son service.

LA FRANCHISE.

J’en suis bien aise.

LUCETTE, riant.

Et moi, je n’en suis point fâchée.

LA FRANCHISE.

Vous riez, ma belle ? Ah ! je vois bien que mon visage ne vous est pas désagréable ; et je ne dois pas manquer à ce que la civilité...

Il veut l’embrasser.

LUCETTE, le repoussant.

Je ne sais, Monsieur, si c’est la mode, en votre pays, de baiser d’abord les filles qu’on ne connaît pas ; mais, en celui-ci, ce n’est pas la coutume, et particulièrement une fille comme moi.

LA FRANCHISE.

Une fille comme vous, ma belle ?

LUCETTE.

Oui, Monsieur, une fille comme moi.

LA FRANCHISE.

Je n’entends pas bien, ma belle, ce que cela signifie.

LUCETTE.

Cela signifie qu’on ne saurait rien me reprocher sur l’honnêteté, et qu’on doit avoir de la retenue pour celles qui sont de cette catégorie.

LA FRANCHISE.

Catégorie, ma belle ?

LUCETTE.

Oui, Monsieur, catégorie, catégorie.

LA FRANCHISE.

J’avais cru, ma belle, que l’honnêteté n’empêchait pas à la catégorie de faire son devoir ; et je ne savais pas que, par la catégorie, je pusse avoir le malheur de vous déplaire.

LUCETTE.

Je pense, Monsieur, que vous vous raillez de moi ?

LA FRANCHISE.

Au contraire, ma belle, je cherche à vous rendre mes civilités, et à vous prouver...

LUCETTE.

Je vais avertir Monsieur Ergaste que vous demandez à lui parler.

LA FRANCHISE.

Vous me ferez plaisir, ma belle.

LUCETTE, à part.

Ces drôles sont plaisants, de vouloir d’abord entrer en matière avec les femmes !

 

 

Scène V

LA FRANCHISE, seul

 

Parbleu ! cette fille n’est pas impertinente ; et ses yeux m’ont causé de certaines émotions qui... Enfin, si je la trouvais dans une ville au pillage, Je ne pourrais m’empêcher de passer, malgré elle, sur la catégorie. Mais quelqu’un vient ici ; pensons à notre affaire.

 

 

Scène VI

 

LA FRANCHISE, PICARD

 

PICARD, venant de la ville, et regardant La Franchise, dit à part.

Morguenne ! comme ces gens sont bâtis !

LA FRANCHISE, à Picard.

Forloneau rabaric kanimiec.

PICARD, à La Franchise.

Que demandez-vous ?

LA FRANCHISE.

Je demander Maracou Ergasti.

PICARD.

Monsieur Ergaste ?

LA FRANCHISE.

Oui.

PICARD.

Que lui voulez-vous ? Je suis à lui.

LA FRANCHISE.

Je lui voulou cen que je lui voulou.

PICARD.

Monsieur n’avez-vous point à vendre de ces petits rats qui sentent le musc ?

LA FRANCHISE.

Non : pour qui me prends-tu ?

PICARD.

Monsieur, je vous demandou pardou. Je vais lui dire que vous le demandez, et que vous lui voulou cen qu’ou lui voulou. Je suis votre serviteur.

Il entre dans la maison d’Ergaste.

 

 

Scène VII

 

LA FRANCHISE, seul

 

Ce fat se raille de moi. À la fin, quelqu’un s’en repentira.

 

 

Scène VIII

 

ERGASTE, LUCETTE, LA FRANCHISE

 

ERGASTE, à La Franchise.

Monsieur, on m’a fait savoir que vous demandez à me parler.

LA FRANCHISE, faisant des révérences à Ergaste.

Aragasqui paralicou rostogasteau biscuit... Eragasti.

ERGASTE.

Je ne vous entends point, Monsieur.

LA FRANCHISE.

Quoi ! vous n’entendez point le Polonais ?

ERGASTE.

Non, Monsieur.

LA FRANCHISE.

Je m’en étonne.      

ERGASTE.

Il me semble qu’il n’y a pas de quoi s’étonner ; cette langue n’est pas si familière, qu’on soit obligé de la savoir.

LA FRANCHISE.

Elle est pourtant belle ; écoutez : Caracas qui boutu ribac damaroqui liribakec baribacou costou.

ERGASTE.

Qu’est-ce que cela veut dire ?

LA FRANCHISE.

Cela veut dire... Bonjour, salut, honneur, joie, prospérité, santé, bonheur et bien sur toute votre famille ; et que la gloire de vos neveux soit pleine, tranquille, constante et agréable... Il me faudrait un quart d’heure pour vous bien expliquer ces choses.

ERGASTE.

Mais il me semble que, pour un Polonais, vous parlez bien Français ?

LA FRANCHISE.

Il est vrai ; mais vous saurez que j’ai demeuré plus de quinze ans en France, et qu’on m’en a fait revenir pour montrer la langue à mon Maître, et pour l’accompagner dans tous ses voyages.

ERGASTE.

Quel est-il votre Maître ? et que souhaitez-vous de moi ?

LA FRANCHISE.

Voici une lettre qui pourra vous en instruire.

ERGASTE lit.

« Monsieur mon cher ami Ergaste, je vous salue,  et vous souhaite une santé parfaite. J’ai fait honneur à la lettre de dix mille écus que vous avez remise sur moi, et l’ai payée avec bien de la joie. Je vous prie de faire un bon accueil au porteur de la présente. C’est un jeune homme fils d’un riche marchand de Varsovie, que sa curiosité porte à voir les pays étrangers. Les bons traitements qu’il recevra de vous, seront pour mon compte. S’il a besoin de votre crédit, vous pouvez l’en aider jusqu’à vingt mille  écus, dont je vous réponds, ayant entre mes mains des effets beaucoup au-delà de cette somme. J’espère vous voir, dans quelque temps, à Paris, vous assurer que je suis, de tout mon cœur, votre ami. 

Felouque.

« Pour Monsieur Ergaste. D’Amsterdam, ce, etc. »

Monsieur, assurez votre Maître que je suis tout à son service ; que je ne souffrirai point qu’il loge en d’autre logis que le mien ; et que tout ce qui vient de mon ami Felouque, m’est toujours bien cher.

LA FRANCHISE.

Je vais, Monsieur, lui faire connaître les bontés que vous avez pour lui, et l’obliger au plutôt à vous rendra visite. 

ERGASTE.

Vous me ferez un fort grand plaisir. Mais dites-moi où je pourrai le trouver ; je serais bien aise de le prévenir.

LA FRANCHISE.

Non, Monsieur, je n’en ferai rien ; je sais que mon Maître veut avoir cet avantage.

ERGASTE.

Tout ce qu’il vous plaira.

La Franchise s’en va.

 

 

Scène IX

 

ERGASTE, LUCETTE

 

LUCETTE.

Mais, Monsieur, s’il vous plaît, pourquoi embarrasser votre maison de ces Turcs ?

ERGASTE.

Es-tu folle, de parler de la sorte de ces Polonais ? Les Polonais sont-ils Turcs ? Au contraire, ce sont leurs antipodes.

LUCETTE.

Antipodes, tant qu’il vous plaira ; mais je crois la plupart de ces gens-là de grands attrape-minons.

ERGASTE.

Ne parle pas ainsi de ces Polonais ; ils me sont recommandés par le meilleur de mes amis, et à qui j’ai des obligations sensibles.

LUCETTE.

Monsieur, je n’en parlerai plus qu’avec grand respect ; vous les estimez, et c’est assez. Mais, Monsieur, Madame Rufile votre sœur n’en sera pas fort contente.

ERGASTE.

Qu’elle le soit ou qu’elle ne le soit pas, je ne m’en mets guère en peine : mais je saurai lui en parler. À propos, que dit-elle des propositions qu’on lui a faites de la part de Monsieur Ambroise ? Je voudrais, de toute mon âme, qu’elle fût remariée, afin d’en être débarrassé.

LUCETTE.

Ma foi, Monsieur, nous le voudrions bien aussi, votre fille et moi. Elle nous contrôle incessamment sur les moindres choses : nous n’oserions parler à homme ni à femme, qu’elle n’en veuille savoir la quintessence : il semble qu’elle soit jalouse de l’estime qu’on fait de votre fille ; car elle ne peut souffrir qu’on en dise du bien.

ERGASTE.

C’est une étrange humeur ; et feu son mari avait beaucoup à souffrir d’elle.

LUCETTE.

Elle fatigue les gens des louanges qu’elle se donne ; et prône à tous moments sa pruderie, comme si les autres n’en avaient pas autant qu’elle.

ERGASTE.

Il faut avouer qu’elle est vertueuse.

LUCETTE.

Je n’en disconviens pas ; mais, quand on a été quatre ou cinq ans fille lingère, la chose peut être douteuse.

ERGASTE.

Cela ne conclut rien contre elle ; et il se trouve dans toutes les professions, des personnes honnêtes.

LUCETTE.

D’accord ; mais je ne saurais souffrir sa médisance, ni son peu de charité pour le prochain. Elle est toujours inquiète sur la conduite des autres, et toujours fort tranquille sur la sienne. Si j’étais homme, j’aimerais mieux une demi-honnête-femme avec de la douceur, que ces diablesses qui sont sans cesse étalage de leur vertu.

 

 

Scène X

 

ERGASTE, RUFILE, LUCETTE

 

LUCETTE, apercevant Rufile.

La voici.

ERGASTE, à Rufile.

Ma sœur, je demandais à Lucette ce que vous pensiez sur les proportions qu’on vous a faites de la part de Monsieur Ambroise.

RUFILE, à Ergaste.

Je trouve Monsieur Ambroise un plaisant homme, de me rechercher en mariage !

ERGASTE.

Et quel mal vous fait-il ? C’est un homme à son aise, et qui n’a point d’enfants.

RUFILE.

C’est tant mieux pour lui, de ce qu’il n’en a pas ; car, sur ma parole, il nourrirait des enfants qui ne seraient point à lui. On fait bien quelle était se femme.

ERGASTE.

Vous devriez, ma sœur, retenir votre langue, et n’être pas si libre à parler des gens.

RUFILE.

Et pourquoi font-ils les choses, s’ils ne veulent pas qu’on en parle ?

ERGASTE.

Il est toujours bon de se taire, et de ne pas croire de fausses médisances. Mais que répondez-vous, touchant Monsieur Ambroise ?

RUFILE.

Que je n’en veux point.

ERGASTE.

Vous n’en voulez point ?

RUFILE.

Non.

ERGASTE.

Mais c’est un parti sortable à vous.

RUFILE, s’en allant.

Fort bien ; mais je n’en veux point, je n’en veux point ; et cela suffit.

 

 

Scène XI

 

ERGASTE, LUCETTE

 

LUCETTE.

Que dites-vous, Monsieur, des manières de votre sœur ?

ERGASTE.

Que veux-tu que j’en dise ? Elle est femme, et c’est tout dire.

LUCETTE.

Je suis du bois de quoi on les fait ; mais je serais fâchée d’être de son humeur.

ERGASTE.

Eh, mon Dieu ! les unes font extravagantes par un endroit, et les autres, par un autre. Allons préparer l’appartement que je destine à nos Polonais.

LUCETTE.

Vous aurez quelque démêlé avec elle, sur ce chapitre.

ERGASTE.

Je suis le Maître chez moi ; et je me ris de ce qu’elle peut dire là-dessus.

 

 

ACTE II

 

 

Scène première

 

DES VALONS, LA FRANCHISE

 

LA FRANCHISE.

Vous êtes instruit, Monsieur de toutes les choses ; vous n’avez maintenant qu’à pousser votre pointe.

DES VALONS.

Je suis, jusqu’ici, fort content de toi : mais ce n’est pas encore assez ; il faut achever.

LA FRANCHISE.

Songez seulement aux choses dont nous sommes convenus ensemble, et me laissez le soin du reste. Je vais frapper à la porte de Monsieur Ergaste.

DES VALONS.

Suffit ; vas.

LA FRANCHISE va et revient.

Il me souvient, Monsieur, que j’ai oublié une circonstance, sur laquelle je repasse mes réflexions.

DES VALONS.

Quelle ?

LA FRANCHISE.

Ce banquier d’Amsterdam, qui répond pour vous jusqu’à la somme de vingt mille écus, dit-il la vérité ?

DES VALONS.

Oui, sans doute, puisqu’il a dans ses mains des effets pour plus de trente mille.

LA FRANCHISE.

À vous appartenant ?

DES VALONS.

À moi appartenant ; si, nous avons encore quelques bijoux.

LA FRANCHISE.

J’entends : c’est-à-dire que Monteur votre père a contribué, par sa banqueroute, à vous faire une fortune considérable.

DES VALONS.

Au contraire ; ce bien me vient d’ailleurs, et je l’ai gagné à l’armée.

LA FRANCHISE.

Gagner, voler, prendre on piller, en ce pays-là, est presque la même chose.

DES VALONS.

Une grande partie me vient du jeu.

LA FRANCHISE.

Cela veut dire que, quand la dupe s’est rencontrée sous votre main, vous avez fait comme beaucoup d’autres, que vous avez plumé la poule sans crier. Les joueurs sont un peu corsaires, et ne laissent pas échapper le pigeon, sans avoir de ses ailes.

DES VALONS.

Tu me connais mal.

LA FRANCHISE.

Monsieur, je vous demande pardon ; ce que j’en dis, n’est qu’une manière de parler.

DES VALONS.

D’accord ; mais tu dois savoir que ceux qui en usent ainsi dans le jeu, sont véritablement fripons.

LA FRANCHISE.

Point ; ce n’est qu’espièglerie.

DES VALONS.

L’espièglerie approche toujours de la friponnerie ; et c’est un terme dont on se sert, quand on veut pallier les méchants tours que font ordinairement les fourbes et les fripons. Mais achevons notre affaire, et frappe à la porte.

La Franchise frappe à la porte d’Ergaste.

 

 

Scène II

 

DES VALONS, LA FRANCHISE, PICARD

 

PICARD, ouvrant, à La Franchise.

Que demandez-vous ?

LA FRANCHISE, à Picard.

Monsieur Ergaste.

PICARD.

Qui êtes-vous ?

LA FRANCHISE.

Il sait bien qui nous sommes.

PICARD.

Mort-den-bieux ! Monsieur Ergaste n’a que faire à des Turcs.

LA FRANCHISE.

Mon ami, dis-lui seulement que nous sommes ici.

PICARD.

Ton ami ? Cent bieux ! je ne veux point être l’ami de gens faits comme vous. Allez au diable, à qui vous êtes.

Il entre dans la maison.

 

 

Scène III

 

DES VALONS, LA FRANCHISE

 

LA FRANCHISE.

Le valet est un peu brutal.

DES VALONS.

Beaucoup même. C’est un Picard ; il est de la garenne des sots, il faut l’excuser. Refrappe.

La Franchise refrappe.

 

 

Scène IV

 

PICARD, DES VALONS, LA FRANCHISE

 

PICARD, ouvrant.

Encore ! ho !...

LA FRANCHISE, à Picard.

Je te prie, mon cher, de faire savoir à Monsieur Ergaste...

PICARD.

Hé bien ! entrez[1] ; je vais lui dire.

Il entre dans la maison, dont il laisse la porte ouverte.

 

 

Scène V

 

DES VALONS, LA FRANCHISE

 

LA FRANCHISE.

Allons, Monsieur, prenons un peu les airs de Polonais : et, d’abord, asticotons ensemble, à la présence de Monsieur Ergaste, afin de lui faire croire ce qui n’est pas véritable.

DES VALONS.

Je suivrai tes avis.

Des Valons et La Franchise entrent dans la maison d’Ergaste.

 

 

Scène VI

 

ERGASTE, DES VALONS, LA FRANCHISE

 

Le théâtre change, et représente le salon de M. Ergaste, qui est assis auprès d’une table. 

Ergaste, seul, se lève pour aller au devant des  étrangers qu’on lui a annoncés.

La ferme s’ouvre, et Ergaste paraît.

LA FRANCHISE, à son maître.

Faratou, clacolo... etc.

 

 

Scène VII

 

ERGASTE, DES VALONS, LA FRANCHISE

 

LA FRANCHISE, à son maître.

Faratou clacolo zementiq cracobak arolan kaminiac.

DES VALONS.

Faraneschi ordolon paroumiek sonersonn...

LA FRANCHISE, se retournant, à Ergaste.

Monsieur, voici mon Maître qui vient pour vous rendre visite.

ERGASTE, à La Franchise.

Je lui suis fort obligé, et suis son très humble serviteur.

LA FRANCHISE, à son maître.

Sandomik monoskou Ergasti

À Ergaste. 

Je lui dis que c’est vous.

DES VALONS, à Ergaste.

Pronosbak monoric Xontemberg stantoukii.

LA FRANCHISE.

Il dit qu’il est tout à vous.

ERGASTE.

Ne sait-il point le Français ?

LA FRANCHISE.

Fort bien ; mais il le parle mal.

ERGASTE, à Des Valons.

Monsieur, je suis tout à votre service ; vous pouvez disposer de ma personne, de mon crédit et de ma bourse. Je viens présentement de recevoir une lettre de mon ami Felouque, qui me parle si avantageusement de vous, que je brûle de vous prouver à quel point j’estime les gens qui viennent de la part de ce cher ami.

DES VALONS.

Bibec nonkì zolac pongnolin cronobacou Felouque.

ERGASTE, à La Franchise.

Que dit-il ?

LA FRANCHISE.

Il dit qu’il vous remercie de toutes vos bontés, et qu’il en écrira à Monsieur Felouque.

ERGASTE.

Cela n’en vaut pas la peine.

À Des Valons. 

Monsieur, vous me serez, s’il vous plaît, la grâce de ne prendre point d’autre logis que le mien : je prétends que vous en soyez le maître.

DES VALONS, baragouinant ces mots.

Ho ! non point, Monsour.

ERGASTE.

Je veux que vous me fassiez ce plaisir.

LA FRANCHISE, à Des Valons.

Puisque Monsieur vous fait cette offre, vous devez l’accepter. Monsieur vous témoigne des bontés auxquelles vous devez répondre.

ERGASTE.

C’est m’obliger que de parler ainsi.

LA FRANCHISE.

Monsieur, répondez en Français comme vous pourrez.

DES VALONS.

Je le voule beaucoup, Monsour.

LA FRANCHISE.

Ah ! voilà qui va bien.

À Ergaste.

Il faut un peu l’excuser ; il parle comme il peut.

ERGASTE, à La Franchise.

Qu’importe ? Je voudrais savoir le Polonais.

LA FRANCHISE.

Il n’en est pas besoin, Monsieur, puisqu’il entend le Français.

ERGASTE.

Il est vrai ; mais c’est que j’aurais le plaisir de m’expliquer en sa langue.

 

 

Scène VIII

 

MARIANE, ERGASTE, DES VALONS, LA FRANCHISE

 

ERGASTE, à Mariane qui entre.

Que voulez-vous ?

MARIANE, à Ergaste.

Rien, mon père, que l’honneur de voir ces Messieurs dont vous nous avez parlé.

ERGASTE.

C’est répondre à mes sentiments.

À Des Valons.

Monsieur, voilà ma fille qui vient vous rendre ses civilités.

DES VALONS.

Je suis bien à elle, Monsour, obligé,

À Mariane.

et je suis son serviteur grandement.

MARIANE, à Des Valons.

Monsieur, je suis fort votre servante.

DES VALONS.

Oh ! mon Dame, point mon servante ; je suis, moi.

ERGASTE.

Monsieur, je vous laisse avec ma fille pour quelques moments : je vais voir si votre appartement est en état.

DES VALONS, à Ergaste.

Tout comme, Monsieur, il plaît à vous.

 

 

Scène IX

 

DES VALONS, MARIANE, LA, FRANCHISE

 

DES VALONS.

Quel bonheur pour moi, belle Mariane, de pouvoir vous parler un moment en liberté, et...

MARIANE, à Des Valons, embarrassée en voyant La Franchise.

Je ne sais, Monsieur...

DES VALONS.

Ne craignez rien, belle Mariane. Ce garçon ne doit point vous être suspect : il sait tous mes secrets ; et travaille, de concert avec moi, pour trouver les moyens de me voir votre époux. Mais, dites-moi, Madame, puis-je croire que vous m’aimiez aussi fortement que vous me le marquez dans vos lettres ? L’absence n’a-t-elle rien diminué de cet amour, que vous avez bien voulu me persuader ?

MARIANE.

Si je l’ai écrit, je l’ai pensé ; et l’absence n’a pu causer dans mon cœur que le chagrin d’être éloignée de vous. Je dirai plus : vous avez surpris ma première tendresse, et vous avez fait naître une passion qui ne finira qu’avec mes jours.

DES VALONS.

Que je vous suis obligé, Madame, des sentiments que vous avez pour moi ! Mais considérez-vous avec plaisir le personnage que je fais, pour surmonter les obstacles qui s’opposent à notre bonheur ?

MARIANE.

Je ne sais si j’y prends plaisir ; mais je sens que je vous sais bon gré de tout ce que vous faites pour moi. Je plains les peines et les inquiétudes que vous cause ce déguisement ; mais j’en tire une conséquence qui me donne de la joie. Je crois pénétrer, par ces embarras, la violence d’une passion sincère, dont j’ai lieu d’être satisfaite.

DES VALONS.

Que je vous suis redevable, belle Mariane, de la justice que vous rendez à la sincérité de mon amour ! Croyez que jusques au tombeau...

MARIANE.

Brisons là ; j’entends qu’on vient ici.

DES VALONS.

La Franchise, aide-nous.

LA FRANCHISE.

Laissez-moi faire. Arobaki alopala rabistron non argoton.

 

 

Scène X

 

ERGASTE, RUFILE, LUCETTE, DES VALONS, MARIANE, LA FRANCHISE

 

ERGASTE, à Des Valons.

Monsieur, voici ma sœur que je vous amène pour vous faire la révérence.

Des Valons et Rufile se font des révérences.

DES VALONS, à Rufile.

An chiritou eden raponi dansnic.

LA FRANCHISE, à Rufile.

Il dit qu’il est fort obligé à Madame, et qu’il la remercie de tout son cœur.

RUFILE, à La Franchise.

Dites-lui que je suis sa servante.

LA FRANCHISE, à Des Valons.

Cornelik raburac.

DES VALONS.

Nortou gras sormien.

LA FRANCHISE, à Rufile.

Il vous proteste, Madame, qu’il est extrêmement votre serviteur.

ERGASTE.

Cette langue est admirable ; elle dit vingt choses en trois paroles.

LA FRANCHISE, à Ergaste.

C’est qu’elle est significative, n’est-il pas vrai ?

ERGASTE, à La Franchise.

Assurément.

LA FRANCHISE, à son maître, pour Lucette.

Monsieur, voilà une domestique de Monsieur Ergaste.

Des Valons fait la révérence à Lucette. 

LUCETTE, faisant la révérence à Des Valons.

Monsieur, je ne mérite pas les gracieusetés que vous me faites : je ne suis que la servante du logis ; et...

ERGASTE, à Lucette.

Fort bien, fort bien. 

À Des Valons. 

Monsieur, ne vous plaît-il pas de venir voir votre appartement ?

DES VALONS, à Ergaste.

Je le voulou, Monsour, bien.

ERGASTE.

Allons, ma fille, prenez Monsieur.

MARIANE.

J’obéis, mon père.

Mariane, Des Valons et La Franchise sortent. 

ERGASTE.

Je vous suis.

 

 

Scène XI

 

ERGASTE, RUFILE, LUCETTE

 

ERGASTE.

Et vous, ma sœur ?

RUFILE, à Ergaste.

J’ai deux mots à dire à Lucette.

ERGASTE.

Tout comme il vous plaira.

Il sort.

 

 

Scène XII

 

RUFILE, LUCETTE

 

RUFILE.

Lucette, que dit mon frère, sur le refus que je fais d’épouser Monsieur Ambroise ?

LUCETTE.

Il ne m’en a rien dit, Madame.

RUFILE.

Tout de bon ?

LUCETTE.

C’est la vérité.

RUFILE.

Je m’en étonne ; car il prend assez ses intérêts.

LUCETTE.

C’est peut-être dans la pensée de vous voir remariée.

RUFILE.

Oh ! je ne me remarierai jamais que je n’aie un carrosse.

LUCETTE.

Un carrosse, Madame !

RUFILE.

Oui : c’est une chose insupportable pour moi, que de marcher dans les rues, durant l’hiver, parmi la fange, les neiges et la pluie ; et l’été, pendant la brûlante ardeur du soleil.

LUCETTE.

Vous avez raison : mais, pour un carrosse, il faut un revenu solide ; autrement le carrosse court risque d’aller à vau-l’eau.

RUFILE.

Feu mon mari m’a laissé plus de quarante mille livres de bon bien.

LUCETTE.

Quarante mille livres, Madame ! Oh ! c’est plus qu’il ne faut pour un carrosse : et, d’ailleurs, Monsieur Ambroise, à ce qu’on dit, en a davantage.

RUFILE.

Ah ! ne me parle point de ce Monsieur Ambroise : c’est un bon fat, de me rechercher en mariage !

LUCETTE.

Eh ! d’où vient, Madame ?

RUFILE.

C’est que je suis honnête-femme, et qu’il est un faquin. Il me croit sans doute d’humeur à suivre le train de sa femme : oh ! il se trompe fort. Tu sais, comme bien des gens ont dit, que c’était une demoiselle qui ne se contentait pas d’un seul galant, et qu’il lui en fallait plusieurs.

LUCETTE.

Elle avait peut-être ses raisons pour cela.

RUFILE.

Il est vrai qu’on disait que c’était plus la faute du mari, que celle de la femme ; et que l’avidité qu’il avait d’avoir du bien, de se conserver dans ses emplois, et de faire de grands repas aux dépens des autres, l’ont fait souvent donner jour aux malversations de son épouse.

LUCETTE.

Ma foi, Madame, il n’est pas le seul de ce tempérament. Nous en voyons quantité qui n’en font pas trop de scrupule, et qui avancent leurs affaires par cet endroit.

RUFILE.

Ne devrait-on pas bannir de la société civile, des gens il peu jaloux de leur honneur ?

LUCETTE.

Il est vrai ; mais ce serait une grande entreprise, et je crois qu’on n’en viendrait jamais à bout : car, franchement, Madame, il n’y a guère de familles dans le monde, où il ne se trouve quelque femme ou fille déréglée, ou quelque fripon.

RUFILE.

Cela peut être vrai ; mais on doit prendre le soin de les corriger, par des exemples et par des paroles, et leur faire connaître la vertu.

LUCETTE.

Ma figue ! Madame, je crois que la véritable vertu est de ne se point vanter d’avoir de la vertu : c’est un nom dont plusieurs se parent, qui, souvent, ne la connaissent pas trop. Par exemple...

 

 

Scène XIII

 

AMBROISE, RUFILE, LUCETTE

 

LUCETTE, à Rufile.

Voici Monsieur Ambroise.

AMBROISE, à Rufile.

Madame, ma bonne fortune veut aujourd’hui que j’aie la joie de vous rencontrer, et de vous témoigner à quel point je vous honore et vous considère. Je voudrais, de tout mon cœur, pouvoir vous prouver combien...

RUFILE.

Monsieur, sans faire ici de longs discours, vous saurez que je ne veux point de vous.

AMBROISE.

Vous me donnez, par ce refus, le coup de la mort ; et j’ignore, Madame, par où j’ai pu m’attirer une telle disgrâce.

RUFILE.

Ignorez, ou n’ignorez pas ; je ne veux point de vous.

AMBROISE.

 Je n’en conçois pas la raison.

RUFILE.

Concevez-la, ou ne la concevez pas ; je ne veux point de vous.

AMBROISE.

Nos conditions sont assez égales ; j’ai du bien, pour le moins, autant que vous : d’ailleurs, je suis honnête homme.

RUFILE.

Vous êtes honnête homme ?

AMBROISE.

Oui, Madame, je le suis.

RUFILE.

Vous êtes tout ce qu’il vous plaira ; mais je ne veux point de vous, je ne veux point de vous, je ne veux point de vous. En faut-il davantage ?

AMBROISE.

La réponse est un peu rude. Mais vous devriez considérer que Monsieur vaut bien Madame.

RUFILE.

Oh ! je vous prie de croire qu’il y a une très grande différence.

AMBROISE.

Je n’y en trouve aucune.

RUFILE.

Vous n’y en trouvez aucune, dites-vous ?

AMBROISE.

Non assurément.

RUFILE.

Vous êtes un impertinent, de me parler de la façon. Apprenez que je ne veux point, pour mari, un homme qui a souffert tranquillement les désordres de sa femme, et qui, par de lâches intérêts, a travaillé à lui fournir les occasions de ses dérèglements.

AMBROISE.

Morbleu ! Madame, on ne dit point ces sortes de choses au nez des gens.

RUFILE, en colère.

Ma foi, on les dit, quand elles sont véritables.

AMBROISE.

Madame ! Madame !...

RUFILE.

Hé bien ? que voulez-vous dire, avec votre Madame, Madame ?

AMBROISE.

Que vous pourriez vous passer de m’outrager de la sorte ; et que, si je n’étais plus retenu que vous n’êtes, je pourrais vous en dire de belles et de bonnes.

RUFILE.

Et que me pourriez-vous dire, Monsieur ? hem ? Parlez, parlez.

AMBROISE.

Je pourrais vous dire que vous devriez vous ressouvenir que vous avez été fille lingère ; et que, dans ce temps-là, certain avocat a fait qu’on a fort glosé sur votre conduite.

RUFILE.

Vous en avez menti, et vous êtes un sot.

AMBROISE.

Ventrebleu ! Vous êtes une...

RUFILE.

Achevez, Monsieur, achevez.

AMBROISE.

Je ne veux pas sambleu ! Adieu, fille lingère.

RUFILE, voulant aller après lui.

Ah, coquin ! il faut que je t’étrangle.

 

 

Scène XIV

 

RUFILE, LUCETTE

 

LUCETTE, arrêtant Rufile.

Hé ! Madame, Madame, point d’emportement.

RUFILE.

Comment point d’emportement ! après une telle insolence !

LUCETTE.

Elle est grande, il est vrai ; mais la vertu...

RUFILE.

Il n’y a point de vertu à l’épreuve de telles paroles.

LUCETTE.

Elles sont fâcheuses ; mais la vertu doit toujours en user avec modération.

RUFILE.

Tu ne sais ce que tu dis, et tu ne devais pas souffrir que cet infâme me parlât de la sorte.

LUCETTE.

Qu’aurais-je fait, Madame ?

RUFILE.

Le dévisager.

LUCETTE.

C’est aller un peu vite, Madame ; car la vertu...

RUFILE.

Est-ce que tu veux prendre son parti ?

LUCETTE.

Non, Madame, assurément ; mais croyez vous avoir le privilège ; de dire en face à un homme des choses outrageantes, sans qu’il ait la liberté de se défendre ?

RUFILE.

Oui, quand j’avance des choses véritables, et qu’il dit des faussetés.

LUCETTE.

À cela je n’ai rien à répondre.

RUFILE.

Je saurai m’en venger ; patience !

LUCETTE.

Hé ! Madame, croyez-moi, n’allez point donner à rire aux gens.

RUFILE.

Comment donner à rire aux gens ! Je ne crains personne : j’ai de l’honneur et de la vertu.

LUCETTE.

Je ne dis pas le contraire ; mais je pense qu’en cette occasion, le meilleur est de garder le silence, et d’avoir beaucoup de retenue.

RUFILE.

Je n’en veux point avoir pour cet infâme.

LUCETTE.

Vous serez tout ce qu’il vous plaira ; mais la vertu ne consiste pas seulement en paroles ; elle demande de la pratique.

RUFILE, s’en allant.

Tu n’as pas le sens commun, et je me lasse d’écouter tes sots raisonnements.

 

 

Scène XV

 

LUCETTE, seule

 

Je suis ravie qu’elle ait été relancée de la bonne manière, sur sa vertu et sur sa pruderie ; et je ne voudrais pas, pour beaucoup, que cela ne fût arrivé.

 

 

Scène XVI

 

LUCETTE, AMBROISE

 

LUCETTE.

Vous revenez, Monsieur Ambroise ?

AMBROISE.

Oui, je reviens ; mais c’est pour m’expliquer avec Ergaste. Il est mon ami, et je suis sur qu’il désapprouvera les sottises de sa sœur.

LUCETTE.

Il n’en faut point douter.

AMBROISE.

Que dis-tu de son égarement ?

LUCETTE.

Je dis qu’elle a tort.

AMBROISE.

Me dire, à mon nez, des faussetés inouïes !

LUCETTE.

Eh ! vous lui avez bien rendu son change.

AMBROISE.

Je suis fâché de lui avoir dit ce que j’ai dit.

LUCETTE.

Ce ne sont que des bagatelles. Ne voyons-nous pas tous les jours des maris et des femmes, des amants ; et des amantes, se quereller, se battre, se dire les sept péchés mortels, et redevenir bons amis ?

AMBROISE.

Tu as raison. Si tu pouvais, ma chère Lucette, me mettre bien dans son esprit, je te serais...

LUCETTE.

Laissez-moi faire, et ne faites aucune démarche, que vous n’ayez de mes nouvelles.

AMBROISE.

Tiens, voilà une montre de trente Louis, que je te veux donner, pour la première bonne nouvelle que tu m’apporteras.

LUCETTE.

Vous pourriez me la donner à cette heure.

AMBROISE, s’en allant.

Oui ; mais j’attends le fruit de tes soins.

 

 

Scène XVII

 

LUCETTE, seule

 

Fort bien. Il faut avouer que l’amour fait faire de grandes faiblesses ! Mais, sans moraliser sur ce chapitre, travaillons à gagner la montre.

 

 

ACTE III

 

 

Scène première

 

ERGASTE, DES VALONS, LA FRANCHISE, MARIANE, RUFILE, LUCETTE

 

ERGASTE, à Des Valons.

Vous pouvez, Monsieur, aller faire un tour à votre hôtellerie, puisque vous le voulez ainsi ; mais je vous prie instamment de me tenir parole.

DES VALONS, à Ergaste.

Oui, Monsour, oui.

ERGASTE.

Soyez persuadé que nous vous attendons avec impatience.

LA FRANCHISE, à Ergaste.

Monsieur, nous reviendrons dans peu : nous y allons seulement pour faire venir notre bagage.

ERGASTE.

Je ne veux point vous arrêter davantage, afin d’avoir la joie de vous revoir plutôt.

 

 

Scène II

 

ERGASTE, MARIANE, RUFILE, LUCETTE

 

ERGASTE, à Rufile.

Çà, ma sœur, qu’avez-vous à nous dire ?

RUFILE, à Ergaste.

J’ai à vous dire que Monsieur Ambroise m’a fait une insulte, dont je veux absolument avoir raison.

ERGASTE.

Et quelle insulte vous a-t-il faite ?

RUFILE.

Il m’a reproché que j’avais été fille lingère.

ERGASTE.

Ce n’est pas là un grand mal.

RUFILE.

Non ; mais il a ajouté que, dans le temps que je l’étais, j’avais eu des commerces avec un certain avocat. Demandez à Lucette.

LUCETTE, à Ergaste.

Il est vrai, Monsieur, qu’il a franchi le mot.

MARIANE, à Lucette.

Monsieur Ambroise est un bon impertinent !

RUFILE.

Est-il pas vrai, ma nièce ?

MARIANE, à Rufile.

Assurément, ma tante ; et il mériterait cent coups de bâton.

RUFILE.

Oh ! il en aura, il en aura.

ERGASTE.

Tout beau, tout beau; n’allons pas si vite.

MARIANE.

Quoi, mon père ! peut-on souffrir... ?

ERGASTE, à Mariane.

Il a tort, sans doute.

À Rufile.

Mais, ma sœur, n’avez-vous rien dit qui l’ait obligé à vous parler ainsi ?

RUFILE, à Ergaste.

Je lui ai dit que je ne voulais point de lui ; et qu’il était un lâche, d’avoir souffert paisiblement les désordres de sa femme.

LUCETTE.

Madame ne lui a dit que cela, Monsieur ; et, là-dessus, il a répondu...

ERGASTE, à Lucette.

J’entends.

À Rufile. 

Savez-vous, ma sœur, que vous perdez l’esprit, et que votre langue médisante vous attirera des affaires ?

RUFILE.

J’ai donc tort, Monsieur ? j’ai donc tort ?

ERGASTE.

Oui, vous avez tort ; et vous ne deviez pas, en lui parlant, lui dire des choses fâcheuses.

RUFILE.

Pourquoi me recherche-t-il en mariage ?

ERGASTE.

La belle raison ! Il vous fait plus d’honneur que vous ne méritez.

RUFILE.

Que je ne mérite, moi ? moi ? Vous me faites pitié, mon frère.

ERGASTE.

C’est vous qui faites pitié à tout le monde, par toutes vos extravagances.

RUFILE.

Bon, bon ! Ma nièce, votre père perd le bons sens.

MARIANE, à Rufile.

Je ne vois pas que mon père ait mauvais sens dans ce qu’il dit.

RUFILE.

Je suis donc une extravagante ?

MARIANE.

Ce n’est pas à moi à décider là-dessus.

ERGASTE.

Sans tant de discours, vous êtes folle ; et nous aurons du bruit ensemble, si vous n’épousez Monsieur Ambroise.

RUFILE.

Ah ! vous pouvez l’épouser, ou le faire épouser a votre fille ; car, pour moi, je n’est ferai rien.

 

 

Scène III

 

ERGASTE, MARIANE, DES RUISSEAUX, LUCETTE, RUFILE

 

DES RUISSEAUX, à Ergaste.

Monsieur, est-ce vous qui se nomme Monsieur Ergaste ?

ERGASTE, à Des Ruisseaux.

Oui, Monsieur, c’est moi.

DES RUISSEAUX.

Voici une lettre de change de huit cents écus que j’ai à prendre sur vous.

Il la lui présente.

ERGASTE lit la lettre.

« Vous payerez à Monsieur Des Ruisseaux, etc. »

Elle est fort bonne, Monsieur ; et je suis prêt à vous la payer : mais, n’ayant pas l’honneur de vous connaître, souffrez que je vous demande une personne de connaissance, qui me certifie que ce soit vous.

DES RUISSEAUX.

Il est trop juste, Monsieur ; et je vais chercher un de mes amis, nommé Monsieur Ambroise, qui vous répondra de moi.

RUFILE, à Des Ruisseaux.

Monsieur, ne vous avisez pas d’amener ici Monsieur Ambroise ; car je lui donnerais sur la moustache.

DES RUISSEAUX, à Rufile.

Parbleu ! Madame, je l’amènerai, et vous n’oseriez l’avoir regardé de travers.

ERGASTE.

Monsieur, ne prenez point garde à ce qu’elle dit ; elle est folle.

RUFILE, s’en allant.

Cela est faux ; et, s’il y vient, nous verrons.

 

 

Scène IV

 

ERGASTE, DES RUISSEAUX, MARIANE, LUCETTE

 

ERGASTE.

Monsieur, Monsieur Ambroise est un galant homme que j’honore ; vous pouvez l’amener, quand il vous plaira.

DES RUISSEAUX.

Songez, Monsieur, en l’amenant, qu’on ne lui fasse point d’insulte ; je ne suis pas homme à le souffrir : car, outre qu’il est de mes amis, il est encore mon allié.

ERGASTE.

Vous n’aurez pas lieu de vous plaindre.

DES RUISSEAUX, s’en allant.

C’est assez.

 

 

Scène V

 

ERGASTE, MARIANE, LUCETTE

 

ERGASTE.

Oh ! je ne fais plus où j’en suis avec elle.

MARIANE.

Hé ! mon père, ne vous inquiétez point ; laissez-la faire à sa fantaisie.

ERGASTE.

Quoi ! que je souffre, chez moi, qu’elle maltraite Monsieur Ambroise !

MARIANE.

Non ; c’est ce que vous devez empêcher ; et j’ai tort d’avoir parlé contre lui.

LUCETTE.

Ma foi, Madame, en sa place, j’aurais fait pis qu’il n’a fait.

MARIANE, à Lucette.

Elle le méritait.

ERGASTE.

Quereller un homme, parce qu’il la recherche en mariage ; et lui dire, sans sujet, des choses épouvantables !

LUCETTE.

Aussi elle s’est attirée, par ses beaux discours, une réponse qui ne l’a pas satisfaite : ainsi, l’on peut dire qu’ils font maintenant tous deux but à but.

ERGASTE.

D’accord ; mais il ne l’a fait que pour se venger de l’offense qu’il a reçue d’elle. Je suis son ami, et je veux rajuster ces choses.

LUCETTE.

Tout cela se peut raccommoder, du côté de Monsieur Ambroise ; et je gage que votre sœur l’épouserait, pourvu qu’il lui donnât un carrosse.

ERGASTE.

Un carrosse !

LUCETTE.

Oui, un carrosse. Elle m’a fait entendre qu’elle ne se marierait jamais qu’elle n’en eût un.

ERGASTE.

C’est à ce coup qu’on peut juger qu’elle est folle. A-t-elle de la qualité et du bien, pour souhaiter avoir un carrosse ?

LUCETTE.

Eh ! Monsieur, laissons la qualité ; quand on a du bien, cela suffit.

ERGASTE.

Ce n’est pas ma pensée ; et je tiens que, pour avoir un carrosse, il faut de la qualité, ou quelque charge qui vous oblige à faire cette dépense ; sans quoi, l’on s’attire, avec justice, l’indignation et le mépris de tout le monde.

MARIANE.

Je voudrais, de grand cœur, que Monsieur Ambroise voulût lui en donner un, afin que vous fussiez délivré des chagrins que vous cause sa bizarre humeur.

ERGASTE.

Plût au Ciel qu’il, voulût en faire la folie ! Vous savez, ma fille, qu’il doit venir, dans peu, avec son ami ; allez à la chambre de votre tante, et faites-lui connaître que je suis fort en colère.

MARIANE.

Je vais, mon père, exécuter ce que vous m’ordonnez.

 

 

Scène VI

 

ERGASTE, LUCETTE

 

LUCETTE.

Monsieur, vous devriez marier votre fille : songez qu’elle a beaucoup à souffrir des mauvais procédés de votre sœur.

ERGASTE.

C’est ce que je ferai dans peu.

 

 

Scène VII

 

ERGASTE, LUCETTE, PICARD

 

Picard traverse le théâtre pour sortir. 

ERGASTE, à Picard.

Ou vas-tu ?

PICARD.

Je vais, Monsieur, porter ce billet à Monsieur Ambroise, de la part de Madame votre sœur.

ERGASTE.

Montre-le-moi.

PICARD.

Le voilà.

ERGASTE.

« Je sais que vous devez venir ici pour rendre service à un de vos amis ; et moi, je vous y attends avec un bâton, pour vous punir des impertinences que vous m’avez dites. Délibérez là-dessus. Rufile. »

Morbleu ! je perds patience. Vas lui dire que je t’ai pris ce billet, que je l’ai déchiré, et que je lui défends surtout de sortir de sa chambre.

PICARD.

Monsieur, je n’irai pas, s’il vous plaît.

ERGASTE.

Tu n’iras pas ?

PICARD.

Non, Monsieur ; car elle me battrait. Mordenbieux ! c’est un diable.

ERGASTE.

Hé bien ! je te battrai, moi, si tu n’y vas.

PICARD.

Hé bien ! battez-moi, Monsieur ; me voilà : j’aime mieux vos coups que les siens.

ERGASTE.

Vas, te dis-je, vas ; ou...

PICARD.

Monsieur, battez-moi tant qu’il vous plaira ; mais je n’irai pas.

ERGASTE.

Coquin ! m’obéiras-tu ?

PICARD.

Monsieur, je vous demande pardon ; mais je n’irai pas.

LUCETTE, à Ergaste.

Picard est opiniâtre, Monsieur ; il n’ira pas : il aime mieux être battu de vous, que d’elle.

PICARD.

Oui, morguenne ! et cent fois.

LUCETTE.

Monsieur, si vous voulez, j’irai.

ERGASTE.

Tu me feras plaisir.

LUCETTE.

Mais permettez-moi de lui dire son fait.

ERGASTE.

Fais tout ce que tu voudras ; je t’approuverai.

LUCETTE, s’en allant.

Laissez-moi faire ; je vous en rendrai bon compte.

 

 

Scène VIII

 

ERGASTE, PICARD

 

PICARD.

Monsieur, je suis fâché de ne pas vous obéir ; mais c’est Madame votre sœur qui en est la cause ; car je la crains plus que tous les diables ensemble.

ERGASTE.

Tais-toi, maraud.

PICARD.

Vous savez bien, Monsieur, qu’elle est plus méchante que...

ERGASTE.

Encore un coup, tais-toi.

PICARD.

J’obéis : mais, Monsieur, pardonnez-moi, s’il vous plaît...

 

 

Scène IX

 

ERGASTE, LA FRANCHISE, PICARD

 

LA FRANCHISE, à Ergaste.

Monsieur, notre bagage est dans la cour ; et je vais, avec votre permission, le faire porter à la chambre.

ERGASTE, à La Franchise.

Vous pouvez faire ici tout ce qu’il vous plaira ; vous êtes le maître.

LA FRANCHISE.

Oh ! Monsieur, je suis votre chétif serviteur.

ERGASTE.

Monsieur, je suis le vôtre. Picard, aidez à Monsieur à ce qu’il ordonnera.

PICARD, à Ergaste.

Me voilà prêt, Monsieur.

LA FRANCHISE.

Monsieur, mon maître m’a chargé, surtout, de mettre entre vos mains les bijoux que voici, et vous prie de les lui serrer.

ERGASTE.

Il me fait trop d’honneur. Où est-il votre maître ?

LA FRANCHISE.

Il est resté, pour quelques moments à l’hôtellerie, et doit venir dans peu.

ERGASTE.

Picard, allons, suivez Monsieur.

LA FRANCHISE.

Mon maître vous remerciera, Monsieur...

ERGASTE.

Monsieur, point de compliments ; je suis tout à lui.

LA FRANCHISE, sortant.

Je reviens à vous dans un instant.

Picard le suit.

 

 

Scène X

 

ERGASTE, seul

 

Cet étranger doit être riche. Felouque me mande qu’il a pour plus de vingt mille écus d’effets à lui ; et, d’ailleurs, voici pour plus de trente mille livres de bonnes pierreries ; je m’y connais.

 

 

Scène XI

 

ERGASTE, LUCETTE

 

LUCETTE.

Monsieur, votre sœur fait la diablesse sur ce billet déchiré ; et Picard a bien fait de ne point se trouver sous sa main. Je lui ai dit brusquement vos intentions, et que vous n’étiez pas homme à souffrir qu’on maltraitât les gens chez vous.

ERGASTE.

Qu’a-t-elle répondu ?

LUCETTE.

Pas un mot. J’ai ajouté que Monsieur Ambroise était un homme à ménager, qu’il l’aimait, et qu’avec lui elle serait heureuse. Votre fille a fort appuyé mes raisons, et lui a fait sentir qu’elle ne devait point vous, chagriner.

ERGASTE.

Ma fille a bien fait.

LUCETTE.

Franchement, Monsieur, il faut lui montrer les dents, si vous voulez en venir à bout.

 

 

Scène XII

 

ERGASTE, AMBROISE, DES RUISSEAUX, LUCETTE

 

AMBROISE, à Ergaste.

Monsieur, je viens vous dire que vous pouvez payer à Monsieur Des Ruisseaux la lettre de change dont il est porteur ; j’en réponds comme de moi-même.

ERGASTE.

Tout à l’heure vous allez être satisfaits. Monsieur Ambroise, je vous prie de croire que je suis votre serviteur, et que je n’approuve nullement les impertinences de ma sœur.

AMBROISE.

Quand on a de la tendresse pour les gens, on excuse facilement leurs défauts.

DES RUISSEAUX, à Ergaste.

Monsieur, Monsieur Ambroise m’a conté le différent qu’il a eu avec Madame votre sœur ; mais il faut tout mettre sous les pieds, et accommoder les affaires.

LUCETTE, à Des Ruisseaux.

Le moyen de raccommoder Monsieur Ambroise avec la sœur de Monsieur, est de lui donner un carrosse en se mariant avec elle ; c’est son entêtement, je le sais.

AMBROISE, à Lucette.

S’il ne tenait qu’à un carrosse, je le lui donnerais de tout mon cœur.

LUCETTE, à Ambroise.

Je lui ferai savoir vos intentions.

AMBROISE.

Tu me seras plaisir. Et vous, Monsieur Ergaste, sachez que je ne souhaite rien tant au monde, que d’avoir l’honneur d’être votre beau-frère.

ERGASTE.

Je vous en suis obligé, et je vous demande pardon pour elle.

 

 

Scène XIII

 

ERGASTE, AMBROISE, DES RUISSEAUX, LA FRANCHISE

 

DES RUISSEAUX, à Ergaste, montrant La Franchise.

Qu’est cet homme-là ?

ERGASTE, à Des Ruisseaux.

C’est un Polonais, serviteur d’un jeune homme qui vient loger ici.

DES RUISSEAUX.

Quoi ! cet homme est Polonais ?

ERGASTE.

Oui, Monsieur, et son maître aussi.

DES RUISSEAUX.

On vous trompe, Monsieur ; ce drôle est un coquin que je veux faire pendre.

LA FRANCHISE, avec émotion, à lui-même.

Ô ciel ! que vois-je ? où suis-je ?

DES RUISSEAUX, à La Franchise.

Que dis-tu entre les dents, maraud ?

ERGASTE.

Monsieur, prenez garde à ce que vous dites.

DES RUISSEAUX, à Ergaste.

Je sais fort bien ce que je dis, quand je parle à ce fripon-là.

ERGASTE.

Monsieur, point d’emportement, s’il vous plaît.

AMBROISE, à Des Ruisseaux.

Mon parent, songez que vous êtes chez Ergaste mon ami.

DES RUISSEAUX, à Ambroise.

Je demande pardon à Monsieur Ergaste : mais ce drôle est un fourbe.

ERGASTE, à La Franchise.

Monsieur, excusez...

LA FRANCHISE, s’en allant.

Arcoudalou rolabastec marougiski, caronit voursonec bacnoïn.

DES RUISSEAUX, à La Franchise, le retenant.

Non, coquin, tu ne sortiras pas, et tu seras pendu. Qu’on aille chercher un commissaire.

ERGASTE, à Des Ruisseaux.

Mais, Monsieur, qu’avez-vous à dire contre ce garçon ?

DES RUISSEAUX, à Ergaste.

Sachez, Monsieur, que c’est un pendard qui déserts de ma compagnie il y a trois ans, et qui emmena son cheval.

LA FRANCHISE, à Des Ruisseaux.

Vous me prenez pour un autre.

DES RUISSEAUX, à La Franchise.

Écoute ; tu as beau déguiser : je te reconnais. Tu sais que je puis te faire punir, quand il me plaira : mais dis-nous, avec sincérité, la cause de ton déguisement ; et je te pardonne, en faveur de Monsieur Ergaste.

LA FRANCHISE.

Je n’ai rien à dire ; et je suis las d’entendre des choses qui me déplaisent.

Il s’en va.

DES RUISSEAUX, l’arrêtant.

Non, coquin, tu ne m’échapperas pas ; et, si tu me résistes, je te donnerai cent coups après ta mort.

ERGASTE, les séparant.

Ah ! Monsieur, c’est trop d’emportement.

DES RUISSEAUX, à Ergaste.

Monsieur, je vous le donne en garde, et vous m’en répondrez. Je vais moi-même quérir un commissaire.

ERGASTE.

Allez ; je vous en réponds.

LA FRANCHISE, se jetant à genoux.

Hé ! Monsieur, n’en faites rien : j’aimerais mieux me voir entre les mains du diable, qu’entre les mains des gens de justice. Je vais vous dire la vérité.

DES RUISSEAUX, à La Franchise.

Parle sans déguisement ; et je te tiendrai ma parole.

LA FRANCHISE.

Monsieur, sur cette promesse, vous saurez que, comme vous partiez du pays Lyonnais pour aller en Catalogne, n’ayant pas envie de vous y suivre, je vous quittai ; et, comme je n’aime point à voyager à pied, je trouvai à propos de garder votre cheval. Bref, je vins en Flandre m’enrôler sous un capitaine, où je suis encore aujourd’hui : c’est lui qui m’a fait déguiser de la sorte, pour servir son amour. Il aime éperdument la fille de Monsieur Ergaste : enfin ils s’aiment tous deux passionnément.

ERGASTE, à La Franchise.

Que dis-tu ?

LA FRANCHISE, à Ergaste.

Je dis la vérité, comme je l’ai promis.

ERGASTE.

Ton maître n’est donc pas Polonais ?

LA FRANCHISE.

Non, Monsieur, non plus que moi.

DES RUISSEAUX, à Ergaste.

Vous voyez, Monsieur, que j’ai raison.

ERGASTE, à Des Ruisseaux.

Mais Felouque m’en écrit tout autrement : et, d’ailleurs, quelle apparence y a-t-il que ma fille ait de l’amour pour un homme qu’elle n’a jamais vu qu’aujourd’hui ?

LA FRANCHISE, à Ergaste.

Felouque, votre fille et mon maître sont de concert pour... Le voici.

 

 

Scène XIV

 

ERGASTE, DES VALONS, DES RUISSEAUX, LA FRANCHISE, AMBROISE, LUCETTE

 

LA FRANCHISE, à Des Valons.

Monsieur, il ne faut plus ici rien déguiser. Monsieur que voilà, a été mon capitaine avant vous : j’ai déserté de sa compagnie ; et il m’allait faire pendre, si je n’avais tout déclaré.

DES RUISSEAUX.

Que vois-je ? c’est Géronte, mon cousin !

DES VALONS, à Des Ruisseaux.

Oui, mon cousin, c’est moi. 

À Ergaste. 

Monsieur, si je sois coupable par mon déguisement, c’est l’amour que j’ai pour votre fille, et qu’elle a pour moi, qui fait tout mon crime, le fais que le sieur Faustin mon père vous est redevable de dix mille écus ; mais je suis prêt à y satisfaire. Mon homme doit vous avoir remis entre les mains des pierreries pour plus de cette femme ; vous en userez comme il vous plaira. J’ai du bien d’ailleurs ; et Felouque, qui doit arriver dans trois semaines, au plus tard, vous confirmera tout ce que j’ai l’honneur de vous dire.

DES RUISSEAUX, à Ergaste.

Vous ne répondez point, Monsieur ?

ERGASTE, à Des Ruisseaux.

Hé ! que puis-je répondre, en cette conjoncture ? Je ne sais où j’en suis : tout me confond ; et...

 

 

Scène XV

 

ERGASTE, DES RUISSEAUX, DES VALONS, MARIANE, AMBROISE, LUCETTE, LA FRANCHISE

 

MARIANE, à Ergaste.

Mon père, j’ai tant fait sur l’esprit de ma tante, qu’elle ne s’éloigne pas trop de refaire la paix avec Monsieur Ambroise ; et... Mais qu’avez-vous, mon père ? vous me paraissez en colère.

LUCETTE, à Mariane.

Il a carimara, baribarous, farinfaron, casteau, biscuit.

Montrant Des Valons.

Demandez à Monsieur.

MARIANE, à Lucette.

Que veux-tu que je lui demande ?

LUCETTE.

Ce que vous savez : à quoi sert de feindre ?

DES VALONS, à Mariane.

Madame, mon cousin que voilà a découvert tout le mystère ; et je me suis trouvé obligé de tout avouer.

ERGASTE, à Mariane.

Hé bien ! qu’avez-vous à répondre ?

MARIANE, à genoux, à son père.

Ah ! mon père, je vous demande pardon. J’avoue que...

DES VALONS, à Ergaste.

Eh ! Monsieur, en faveur de notre cher ami Felouque, faites grâce à notre amour.

ERGASTE, à Des Valons.

Felouque m’assure qu’il ait à vous les effets dont il m’a parlé dans sa lettre, je consens à vous donner ma fille en mariage.

DES VALONS.

Ah ! Monsieur, je serais indigne de la posséder, si vous trouviez du mensonge dans ce que je viens d’avancer touchant Felouque ; et vous devriez, pour punir mon imposture, me la refuser pour jamais.

ERGASTE.

À ces conditions, je tiendrai ma parole.

DES RUISSEAUX.

Ah ! voilà qui va le mieux du monde.

À Ergaste.

Mais, Monsieur, il faut encore terminer l’affaire de Monsieur Ambroise et de Madame votre sœur.

ERGASTE.

Allons tous ensemble y travailler.

AMBROISE.

Allons ; c’est tout ce que je souhaite.

LA FRANCHISE, à Ergaste.

Vous ne dites rien de moi, Monsieur ?

ERGASTE, à La Franchise.

Pour toi, te voilà exempt de la pendaison.

LA FRANCHISE.

C’est encore quelque chose.

 

 

Scène XVI

 

LA FRANCHISE, LUCETTE

 

LA FRANCHISE.

En attendant mieux, ma chère, si tu voulais joindra ta catégorie à la mienne, tu verrais...

LUCETTE, s’en allant.

Oh ! Monsieur Zamirouski, balinbalon, casteau, biscuit.

LA FRANCHISE.

Tu me railles ; mais, morbleu ! j’aime la catégorie.

 


[1] (Note de l’Éditeur.) L’auteur, dans la scène VI, fait changer la décoration pendant que Des  Valons et La Franchise sont sur la scène ; ce qui est contre la vraisemblance : j’ai tâché de corriger ce vice, en ajoutant ce seul mot au rôle de Picard. Voici le texte d’Hauteroche :

PICARD.

Hé bien, je vais lui dire.

 

Scène V

 

DES VALONS, LA FRANCHISE

 

LA FRANCHISE.

Allons, Monsieur, prenons un peu les airs de Polonais ; et, d’abord, asticotons ensemble, à la présence de Monsieur Ergaste, afin de lui faire croire ce qui n’est pas véritable.

DES VALONS.

Je suivrai tes avis.

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