Zulime (VOLTAIRE)
Tragédie en cinq actes.
Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de la rue des Fossés Saint-Germain, le 8 juin 1740.
Personnages
BÉNASSAR, shérif de Trémizène
ZULIME, sa fille
MOHADIR, ministre de Bénassar
RAMIRE, esclave espagnol
ATIDE, esclave espagnole
IDAMORE, esclave espagnol
SÉRAME, attachée à Zulime
SUITE
La scène est dans un château de la province de Trémizène, sur le bord de la mer d’Afrique.
EXTRAIT D’UNE LETTRE
DE VOLTAIRE SUR LA TRAGÉDIE DE ZULIME (1761)
Dans le nombre immense des tragédies, comédies, opéras comiques, discours moraux et facéties, au nombre d’environ cinq cent mille, qui font l’honneur éternel de la France, on vient d’imprimer une tragédie sous mon nom, intitulée Zulime. La scène est en Afrique. Il est bien vrai qu’ayant été autrefois avec Alzire en Amérique, je fis un petit tour en Afrique avec Zulime avant que d’aller voir Idamé à la Chine ; mais mon voyage d’Afrique ne me réussit point : presque personne dans le parterre ne connaissait la ville d’Arsénié, qui était le lieu de la scène. C’est pourtant une colonie romaine nommée Arsenaria, et c’est encore par cette raison-là qu’on ne la connaissait pas.
Trémizène est un nom bien sonore ; c’est un joli petit royaume : mais on n’en avait aucune idée. La pièce ne donna nulle envie de s’informer du gisement de ses côtes. Je retirai prudemment ma flotte :
Et, quae
Desperat tractata nitescere posse, relinquit.
Hor., Art. Poet.
Des corsaires se sont enfin saisis de la pièce et l’ont fait imprimer ; mais, par droit de conquête, ils ont supprimé deux ou trois cents vers de ma façon, et en ont mis autant de la leur. Je crois qu’ils ont très bien fait : je ne veux point leur voler leur gloire comme ils m’ont volé mon ouvrage. J’avoue que le dénouement leur appartient, et qu’il est aussi mauvais que l’était le mien. Les rieurs auront beau jeu ; car, au lieu d’avoir une pièce à siffler, ils en auront deux. Il est vrai que les rieurs seront en petit nombre, car peu de gens pourraient lire les deux pièces. Je suis de ce nombre ; et de tous ceux qui prisent ces bagatelles ce qu’elles valent, je suis peut-être celui qui y met le plus bas prix. Enchanté des chefs-d’œuvre du siècle passé autant que dégoûté du fatras prodigieux de nos médiocrités, je vais expier les miennes en me faisant le commentateur de P. Corneille.
L’académie agrée ce travail : je me flatte que le public le secondera en faveur des héritiers de ce grand nom. Il vaut mieux commenter Héraclius que de faire Tancrède ; on risque bien moins.
Le premier jour que l’on joua ce Tancrède, beaucoup de spectateurs étaient venus armés d’un manuscrit qui courait le monde, et qu’on assurait être mon ouvrage : il ressemblait à cette Zulime imprimée.
À MADEMOISELLE CLAIRON
Cette tragédie vous appartient, mademoiselle ; vous l’avez fait supporter au théâtre. Les talents comme les vôtres ont un avantage assez unique, c’est celui de ressusciter les morts : c’est ce qui vous est arrivé quelquefois. Il faut avouer que sans les grands acteurs une pièce de théâtre est sans vie ; c’est vous qui lui donnez l’âme. La tragédie est encore plus faite pour être représentée que pour être lue ; et c’est sur quoi je prendrai la liberté de dire qu’il est bien singulier qu’un ouvrage qui est innocent à la lecture puisse devenir coupable aux yeux de certaines gens, en acquérant le mérite qui lui est propre, celui de paraître sur le théâtre. On ne comprendra pas un jour qu’on ait pu faire des reproches à mademoiselle de Champmélé de jouer Chimène, lorsque Augustin Courbé et Mabre Cramoisi, qui l’imprimaient, étaient marguilliers de leur paroisse ; et l’on jouera peut-être un jour sur le théâtre ces contradictions de nos mœurs.
Je n’ai jamais conçu qu’un jeune homme qui réciterait en public une philippique de Cicéron dût déplaire mortellement à certaines personnes qui prétendent lire avec un plaisir extrême les injures grossières que ce Cicéron dit éloquemment à Marc-Antoine. Je ne vois pas non plus qu’il y ait un grand mal à prononcer tout haut des vers français que tous les honnêtes gens lisent, ou même des vers qu’on ne lit guère : c’est un ridicule qui m’a souvent frappé parmi bien d’autres ; et ce ridicule, tenant à des choses sérieuses, pourrait quelquefois mettre de fort mauvaise humeur.
Quoi qu’il en soit, l’art de la déclamation demande à la fois tous les talents extérieurs d’un grand orateur, et tous ceux d’un grand peintre. Il en est de cet art comme de tous ceux que les hommes ont inventés pour charmer l’esprit, les oreilles et les yeux ; ils sont tous enfants du génie, tous devenus nécessaires à la société perfectionnée ; et ce qui est commun à tous, c’est qu’il ne leur est pas permis d’être médiocres. Il n’y a de véritable gloire que pour les artistes qui atteignent la perfection ; le reste n’est que toléré.
Un mot de trop, un mot hors de sa place, gâte le plus beau vers ; une belle pensée perd tout son prix si elle est mal exprimée, elle vous ennuie si elle est répétée : de même des inflexions de voix ou déplacées, ou peu justes, ou trop peu variées, dérobent au récit toute sa grâce. Le secret de toucher les cœurs est dans l’assemblage d’une infinité de nuances délicates, en poésie, en éloquence, en déclamation, en peinture ; la plus légère dissonance en tout genre est sentie aujourd’hui par les connaisseurs ; et voilà peut-être pourquoi l’on trouve si peu de grands artistes, c’est que les défauts sont mieux sentis qu’autrefois. C’est faire votre éloge que de vous dire ici combien les arts sont difficiles. Si je vous parle de mon ouvrage, ce n’est que pour admirer vos talents.
Cette pièce est assez faible. Je la fis autrefois pour essayer de fléchir un père rigoureux qui ne voulait pardonner ni à son gendre ni à sa fille, quoiqu’ils fussent très estimables, et qu’il n’eût à leur reprocher que d’avoir fait sans son consentement un mariage que lui-même aurait dû leur proposer.
L’aventure de Zulime, tirée de l’histoire des Maures, présentait au spectateur une princesse bien plus coupable ; et Bénassar son père, en lui pardonnant, ne devait qu’inviter davantage à la clémence ceux qui pourraient avoir à punir une faute plus graciable que celle de Zulime.
Malheureusement la pièce paraît avoir quelque ressemblance avec Bajazet ; et, pour comble de malheur, elle n’a point d’Acomat ; mais aussi cet Acomat me paraît l’effort de l’esprit humain. Je ne vois rien dans l’antiquité ni chez les modernes qui soit dans ce caractère, et la beauté de la diction le relève encore : pas un seul vers ou dur ou faible, pas un mot qui ne soit le mot propre ; jamais de sublime hors d’œuvre, qui cesse alors d’être sublime ; jamais de dissertation étrangère au sujet ; toutes les convenances parfaitement observées : enfin ce rôle me paraît d’autant plus admirable qu’il se trouve dans la seule tragédie où l’on pouvait l’introduire, et qu’il aurait été déplacé partout ailleurs.
Le père de Zulime a pu ne pas déplaire, parce qu’il est le premier de cette espèce qu’on ait osé mettre sur le théâtre. Un père qui a une fille unique à punir d’un amour criminel est une nouveauté qui n’est pas sans intérêt : mais le rôle de Ramire m’a toujours paru très faible, et c’est pourquoi je ne voulais plus hasarder cette pièce sur la scène française. Tout n’est qu’amour dans cet ouvrage : ce n’est pas un défaut de l’art, mais ce n’est pas aussi un grand mérite. Cet amour ne pèche pas contre la vraisemblance, il y a cent exemples de pareilles aventures et de semblables passions ; mais je voudrais que sur le théâtre l’amour fût toujours tragique.
Il est vrai que celui de Zulime est toujours annoncé par elle-même comme une passion très condamnable ; mais ce n’est pas assez :
Et que l’amour, souvent de remords combattu,
Paraisse une faiblesse et non une vertu.
Les autres personnages doivent concourir aux effets terribles que toute tragédie doit produire. La médiocrité du personnage de Ramire se répand sur tout l’ouvrage. Un héros qui ne joue d’autre rôle que celui d’être aimé ou amoureux ne peut jamais émouvoir ; il cesse dès lors d’être un personnage de tragédie : c’est ce qu’on peut quelquefois reprocher à Racine, si l’on peut reprocher quelque chose à ce grand homme, qui de tous nos écrivains est celui, qui a le plus approché de la perfection dans l’élégance et la beauté continue de ses ouvrages. C’est surtout le grand vice de la tragédie d’Ariane, tragédie d’ailleurs intéressante, remplie des sentiments les plus touchants et les plus naturels, et qui devient excellente quand vous la jouez.
Le malheur de presque toutes les pièces dans lesquelles une amante est trahie, c’est qu’elles retombent toutes dans la situation d’Ariane ; et ce n’est presque que la même tragédie sous des noms différents.
J’ose croire en général que les tragédies qui peuvent subsister sans cette passion sont sans contredit les meilleures, non seulement parce qu’elles sont beaucoup plus difficiles à faire, mais parce que le sujet étant une fois trouvé, l’amour qu’on introduirait y paraîtrait une puérilité, au lieu d’y être un ornement.
Figurez-vous le ridicule qu’une intrigue amoureuse ferait dans Athalie, qu’un grand-prêtre fait égorger à la porte du temple ; dans cet Oreste qui venge son père et qui tue sa mère ; dans Mérope, qui, pour venger la mort de son fils, lève le bras sur son fils même ; enfin dans la plupart des sujets vraiment tragiques de l’antiquité. L’amour doit régner seul, on l’a déjà dit ; il n’est pas fait pour la seconde place. Une intrigue politique dans Ariane serait aussi déplacée qu’une intrigue amoureuse dans le parricide d’Oreste. Ne confondons point ici avec l’amour tragique les amours de comédie et d’églogue, les déclarations, les maximes d’élégie, les galanteries de madrigal : elles peuvent faire dans la jeunesse l’amusement de la société ; mais les vraies passions sont faites pour la scène ; et personne n’a été ni plus digne que vous de les inspirer, ni plus capable de les bien peindre.
ACTE I
Scène première
ZULIME, ATIDE, MOHADIR
ZULIME, d’une voix basse et entrecoupée, les yeux baissés, et regardant à peine Mohadir.
Allez, laissez Zulime aux remparts d’Arsénié ;
Partez ; loin de vos yeux je vais cacher ma vie ;
Je vais mettre à jamais, dans un autre univers,
Entre mon père et moi la barrière des mers.
Je n’ai plus de patrie, et mon destin m’entraîne.
Retournez, Mohadir, aux murs de Trémizène ;
Consolez les vieux ans de mon père affligé :
Je l’outrage, et je l’aime ; il est assez vengé.
Puissent les justes cieux changer sa destinée !
Puisse-t-il oublier sa fille infortunée !
MOHADIR.
Qui, lui ! vous oublier ! grand dieu, qu’il en est loin !
Que vous prenez, Zulime, un déplorable soin !
Outragez-vous ainsi le père le plus tendre,
Qui pour vous de son trône était prêt à descendre ;
Qui, vous laissant le choix de tant de souverains,
De son sceptre avec joie aurait orné vos mains ?
Quoi ! dans vous, dans sa fille, il trouve une ennemie !
Dans cet affreux dessein seriez-vous affermie ?
Ah ! ne l’irritez point, revenez dans ses bras.
Mes conseils autrefois ne vous révoltaient pas ;
Cette voix d’un vieillard qui nourrit votre enfance
Quelquefois de Zulime obtint plus d’indulgence ;
Bénassar votre père espérait aujourd’hui
Que mes soins plus heureux pourraient vous rendre à lui.
À son cœur ulcéré que faut-il que j’annonce ?
ZULIME.
Porte-lui mes soupirs et mes pleurs pour réponse :
C’est tout ce que je puis ; et c’est t’en dire assez.
MOHADIR.
Vous pleurez, vous, Zulime ! et vous le trahissez !
ZULIME.
Je ne le trahis point. Le destin qui l’outrage
Aux cruels Turcomans livrait son héritage ;
Par ces brigands nouveaux pressé de toutes parts,
De Trémizène en cendre il quitta les remparts ;
Et, quel que soit l’objet du soin qui me dévore,
J’ai suivi son exemple.
MOHADIR.
Hélas ! suivez-le encore.
Il revient ; revenez, dissipez tant d’ennuis :
Remplissez vos devoirs, croyez-moi.
ZULIME.
Je ne puis.
MOHADIR.
Vous le pouvez. Sachez que nos tristes rivages
Ont vu fuir à la fin nos destructeurs sauvages,
Dispersés, affaiblis, et lassés désormais
Des maux qu’ils ont soufferts et des maux qu’ils ont faits.
Trémizène renaît, et va revoir son maître :
Sans sa fille, sans vous, le verrons-nous paraître ?
Vous avez dans ce fort entraîné ses soldats ;
Des esclaves d’Europe accompagnent vos pas :
Ces chrétiens, ces captifs, le prix de son courage,
Dont jadis la victoire avait fait son partage,
Ont arraché Zulime à ses bras paternels.
Avec qui fuyez-vous ?
ZULIME.
Ah, reproches cruels !
Arrêtez, Mohadir.
MOHADIR.
Non, je ne puis me taire ;
Le reproche est trop juste, et vous m’êtes trop chère :
Non, je ne puis penser sans honte et sans horreur
Que l’esclave Ramire a fait votre malheur.
ZULIME.
Ramire esclave !
MOHADIR.
Il l’est, il était fait pour l’être :
Il naquit dans nos fers ; Bénassar est son maître.
N’est-il pas descendu de ces Goths odieux,
Dans leurs propres foyers vaincus par nos aïeux ?
Son père à Trémizène est mort dans l’esclavage,
Et la bonté d’un maître est son seul héritage.
ZULIME.
Ramire esclave ! lui ?
MOHADIR.
C’est un titre qui rend
Notre affront plus sensible, et son crime plus grand.
Quoi donc ! un Espagnol ici commande en maître !
À peine devant vous m’a-t-on laissé paraître ;
À peine ai-je percé la foule des soldats
Qui veillent à sa garde, et qui suivent vos pas.
Vous pleurez malgré vous ; la nature outragée
Déchire, en s’indignant, votre âme partagée.
À vos justes remords n’osez-vous vous livrer ?
Quand on pleure sa faute on va la réparer.
ATIDE.
Respectez plus ses pleurs, et calmez votre zèle :
Il ne m’appartient pas de répondre pour elle ;
Mais je suis dans le rang de ces infortunés
Qu’un maître redemande, et que vous condamnez.
Je fus comme eux esclave, et de leur innocence
Peut-être il m’appartient de prendre la défense.
Oui, Ramire a d’un maître éprouvé les bienfaits ;
Mais vous lui devez plus qu’il ne vous dut jamais.
C’est Ramire, c’est lui, dont l’étonnant courage,
Dans vos murs pris d’assaut et fumants de carnage,
Délivra votre émir, et lui donna le temps
De dérober sa tête au fer des Turcomans ;
C’est lui qui, comme un dieu, veillant sur sa famille,
Ayant sauvé le père, a défendu la fille :
C’est par ses seuls exploits enfin que vous vivez.
Quel prix a-t-il reçu ? seigneur, vous le savez.
Loin des murs tout sanglants de sa ville alarmée
Bénassar avec peine assemblait une armée ;
Et quand vos citoyens, par nos soins respirants,
À quelque ombre de paix ont porté vos tyrans,
Ces Turcs impérieux, qu’aucun devoir n’arrête,
De Ramire et des siens ont demandé la tête ;
Et de votre divan la basse cruauté
Souscrivait en tremblant à cet affreux traité.
De Zulime pour nous la bonté généreuse
Vous épargna du moins une paix si honteuse.
Elle acquitte envers nous ce que vous nous devez.
N’insultez point ici ceux qui vous ont sauvés :
Respectez plus Ramire et ses guerriers si braves :
Ils sont vos défenseurs, et non plus vos esclaves.
MOHADIR, à Zulime.
Votre secret, Zulime, est enfin révélé :
Ainsi donc par sa voix votre cœur a parlé ?
ZULIME.
Oui, je l’avoue.
MOHADIR.
Ah dieu !
ZULIME.
Coupable, mais sincère,
Je ne puis vous tromper... Tel est mon caractère.
MOHADIR.
Vous voulez donc charger d’un affront si nouveau
Un père infortuné qui touche à son tombeau ?
ZULIME.
Vous me faites frémir.
MOHADIR.
Repentez-vous, Zulime ;
Croyez-moi, votre cœur n’est point né pour le crime.
ZULIME.
Je me repens en vain ; tout va se déclarer :
Il est des attentats qu’on ne peut réparer.
Il ne m’appartient pas de soutenir sa vue ;
J’emporte, en le quittant, le remords qui me tue.
Allez ; votre présence en ces funestes lieux
Augmente ma douleur, et blesse trop mes yeux.
Mohadir... ah ! partez.
MOHADIR.
Hélas ! je vais peut-être
Porter les derniers coups au sein qui vous fît naître !
Scène II
ZULIME, ATIDE
ZULIME.
Ah ! je succombe, Atide ; et ce cœur désolé
Ne soutient plus le poids dont il est accablé.
Vous voyez ce que j’aime, et ce que je redoute,
Une patrie, un père ; Atide, ah, qu’il en coûte !
Que de retours sur moi ! que de tristes efforts !
Je n’ai clans mon amour senti que des remords.[1]
D’un père infortuné vous concevez l’injure ;
Il est affreux pour moi d’offenser la nature :
Mais Ramire expirait, vous éliez en danger.
Est-ce un crime, après tout, que de vous protéger ?
Je dois tout à Ramire ; il a sauvé ma vie.
À ce départ enfin vous m’avez enhardie :
Vos périls, vos vertus, vos amis malheureux,
Tant de motifs puissants, et l’amour avec eux,
L’amour qui me conduit ; hélas ! si l’on m’accuse,
Voilà tous mes forfaits, mais voilà mon excuse.
Je tremble cependant ; de pleurs toujours noyés,
De l’abyme où je suis mes yeux sont effrayés.
ATIDE.
Hélas ! Ramire et moi nous vous devons la vie ;
Vous rendez un héros, un prince à sa patrie :
Le ciel peut-il haïr un soin si généreux ?
Arrachez votre amant à ces bords dangereux.
Ma vie est peu de chose, et je ne suis encore
Qu’une esclave tremblante en des lieux que j’abhorre.
Quoique d’assez grands rois mes aïeux soient issus,
Tout ce que vous quittez est encore au dessus.
Jetais votre captive, et vous ma protectrice ;
Je ne pouvais prétendre à ce grand sacrifice :
Mais Ramire ! un héros du ciel abandonné,
Lui qui, de Bénassar esclave infortuné,
A prodigué son sang pour Bénassar lui-même ;
Enfin que vous aimez...
ZULIME.
Atide, si je l’aime !
C’est toi qui découvris, dans mes esprits troublés,
De mon secret penchant les traits mal démêlés ;
C’est toi qui les nourris, chère Atide ; et peut-être
En me parlant de lui c’est toi qui les fis naître :
C’est toi qui commenças mon téméraire amour ;
Ramire a fait le reste en me sauvant le jour,
J’ai cru fuir nos tyrans, et j’ai suivi Ramire.
J’abandonne pour lui parents, peuples, empire ;
Et, frémissant encor de ses périls passés,
J’ai craint dans mon amour de n’en point faire assez.
Cependant loin de moi se peut-il qu’il s’arrête ?
Quoi ! Ramire aujourd’hui, trop sûr de sa conquête,
Ne prévient point mes pas, ne vient point consoler
Ce cœur trop asservi que lui seul peut troubler !
ATIDE.
Eh ! ne voyez-vous pas avec quelle prudence
De l’envoyé d’un père il fuyait la présence ?
ZULIME.
J’ai tort, je te l’avoue : il a dû s’écarter ;
Mais pourquoi si longtemps ?
ATIDE.
À ne vous point flatter,
Tant d’amour, tant de crainte et de délicatesse
Conviennent mal peut-être au péril qui nous presse ;
Un moment peut nous perdre et nous ravir le prix
De tant d’heureux travaux par l’amour entrepris ;
Entre cet océan, ces rochers, et l’armée,
Ce jour, ce même jour peut vous voir enfermée.
Trop d’amour vous égare ; et les cœurs si troublés
Sur leurs vrais intérêts sont toujours aveuglés.
ZULIME.
Non, sur mes intérêts c’est l’amour qui m’éclaire ;
Ramire va presser ce départ nécessaire :
L’ordre dépend de lui, tout est entre ses mains ;
Souverain de mon âme, il l’est de mes destins.
Que fait-il ? est-ce vous, est-ce moi qu’il évite ?
ATIDE.
Le voici... Ciel, témoin du trouble qui m’agite,
Ciel, renferme à jamais dans ce sein malheureux
Le funeste secret qui nous perdrait tous deux.
Scène III
ZULIME, ATIDE, RAMIRE
RAMIRE.
Madame, enfin des cieux la clémence suprême
Semble en notre défense agir comme vous-même ;
Et les mers et les vents, secondant vos bontés,
Vont nous conduire aux bords si longtemps souhaités.
Valence, de ma race autrefois l’héritage,
À vos pieds plus qu’aux miens portera son hommage.
Madame, Atide et moi, libres par vos secours,
Nous sommes vos sujets, nous léserons toujours.
Quoi ! vos yeux à ma voix répondent par des larmes !
ZULIME.
Et pouvez-vous penser que je sois sans alarmes ?
L’amour veut que je parte, il lui faut obéir :
Vous savez qui je quitte et qui j’ai pu trahir.
J’ai mis entre vos mains ma fortune, ma vie,
Ma gloire encor plus chère et que je sacrifie.
Je dépends de vous seul... Ah ! prince, avant ce jour,
Plus d’un cœur a gémi d’écouter trop d’amour ;
Plus d’une amante, hélas ! cruellement séduite,
A pleuré vainement sa faiblesse et sa fuite.
RAMIRE.
Je ne condamne point de si justes terreurs.
Vous faites tout pour nous ; oui, madame, et nos cœurs
N’ont pour vous rassurer dans votre défiance
Qu’un hommage inutile et beaucoup d’espérance.
Esclave auprès de vous, mes yeux à peine ouverts
Ont connu vos grandeurs, ma misère et des fers ;
Mais j’atteste le dieu qui soutient mon courage,
Et qui donne à son gré l’empire et l’esclavage,
Que ma reconnaissance et mes engagements...
ZULIME.
Pour me prouver vos feux vous faut-il des serments ?
En ai-je demandé quand cette main tremblante
A détourné la mort à vos regards présente ?
Si mon âme aux frayeurs se peut abandonner,
Je ne crains que mon sort ; puis-je vous soupçonner ?
Ah ! les serments sont faits pour un cœur qui peut feindre.
Si j’en avais besoin, nous serions trop à plaindre.[2]
RAMIRE.
Que mes jours immolés à votre sûreté...
ZULIME.
Conservez-les, cher prince ; ils m’ont assez coûté.
Peut-être que je suis trop faible et trop sensible ;
Mais enfin tout m’alarme en ce séjour horrible :
Vous-même, devant moi, triste, sombre, égaré,
Vous ressentez le trouble où mon cœur est livré.
ATIDE.
Vous vous faites tous deux une pénible étude
De nourrir vos chagrins et votre inquiétude.
Dérobez-vous, madame, aux peuples irrités
Qui poursuivent sur nous l’excès de vos bontés.
Ce palais est peut-être un rempart inutile ;
Le vaisseau vous attend, Valence est votre asile.
Calmez de vos chagrins l’importune douleur :
Vous avez tant de droits sur nous... et sur son cœur !
Vous condamnez sans doute une crainte odieuse.
Votre amant vous doit tout ; vous êtes trop heureuse !
ZULIME.
Je dois l’être, et l’hymen qui va nous engager...
Scène IV
ZULIME, ATIDE, RAMIRE, IDAMORE
IDAMORE.
Dans ce moment, madame, on vient vous assiéger.
ATIDE.
Ciel !
IDAMORE.
On entend de loin la trompette guerrière ;
On voit des tourbillons de flamme, de poussière ;
D’étendards menaçants les champs sont inondés.
Le peu de nos amis dont nos murs sont gardés,
Sur ces bords escarpés qu’a formés la nature,
Et qui de ce palais entourent la structure,
En défendront l’approche, et seront glorieux
De chercher un trépas honoré par vos yeux.
RAMIRE.
Dans ce malheur pressant je goûte quelque joie.
Eh bien ! pour vous servir le ciel m’ouvre une voie :
De vos peuples unis je brave le courroux ;
J’ai combattu pour eux, je combattrai pour vous.
Pour mériter vos soins je puis tout entreprendre ;
Et mon sort en tout temps sera de vous défendre.
ZULIME.
Que dis-tu ? contre un père ! arrête, épargne-moi.
L’amour n’entraîne-t-il que le crime après soi ?
Tombe sur moi des cieux l’éternelle colère,
Plutôt que mon amant ose attaquer mon père !
Avant que ses soldats environnent nos tours,
Les flots nous ouvriront un plus juste secours.
Mon séjour en ces lieux me rendrait trop coupable ;
D’un père courroucé fuyons l’œil respectable :
Je vais hâter ma fuite, et j’y cours de ce pas.
RAMIRE, à Atide.
Moi, je vais fuir la honte et hâter mon trépas.
Scène V
ZAMIRE, ATIDE
ATIDE.
Vous n’irez point sans moi : non, cruel que vous êtes ;
Je ne souffrirai point vos fureurs indiscrètes.
Cher objet de ma crainte, arbitre de mon sort,
Cher époux, commencez par me donner la mort.
Au nom des nœuds secrets qu’à son heure dernière
De ses mourantes mains vient de former mon père,
De ces nœuds dangereux dont nous avons promis
De dérober l’étreinte à des yeux ennemis,
Songez aux droits sacrés que j’ai sur votre vie ;
Songez qu’elle est à moi, qu’elle est à la patrie ;
Que Valence dans vous redemande un vengeur.
Allez la délivrer de l’Arabe oppresseur ;
Quittez sans plus tarder cette rive fatale ;
Partez, vivez, régnez, fût-ce avec ma rivale.
RAMIRE.
Non, désormais ma vie est un tissu d’horreurs :
Je rougis de moi-même, et surtout de vos pleurs.
Je suis né vertueux, j’ai voulu toujours l’être ;
Voulez-vous me changer ? chéririez-vous un traître ?
J’ai subi l’esclavage et son poids rigoureux :
Le fardeau de la feinte est cent fois plus affreux.
J’ai connu tous les maux, la vertu les surmonte ;
Mais quel cœur généreux peut supporter la honte ?
Quel supplice effroyable alors qu’il faut tromper,
Et que tout mon secret est prêt à m’échapper !
ATIDE.
Eh bien ! allez, parlez, armez sa jalousie,
J’y consens ; mais, cruel, n’exposez que ma vie ;
N’immolez que l’objet pour qui vous rougissez,
Qui vous forçait à feindre, et que vous haïssez.
RAMIRE.
Je vous adore, Atide, et l’amour qui m’enflamme
Ferme à tout autre objet tout accès dans mon âme :
Mais plus je vous adore, et plus je dois rougir
De fuir avec Zulime afin de la trahir.
Je suis bien malheureux, si votre jalousie
Joint ses poisons nouveaux aux horreurs de ma vie.
Entouré de forfaits et d’infidélités,
Je les commets pour vous, et vous seule en doutez.
Ah ! mon crime est trop vrai, trop affreux envers elle ;
Ce cœur est un perfide, et c’est pour vous, cruelle !
ATIDE.
Non, il est généreux ; le mien n’est point jaloux :
La fraude et les soupçons ne sont point faits pour vous.
Zulime, en écoutant son amour malheureuse,
N’a point reçu de vous de promesse trompeuse.
Idamore a parlé : sûre de ses appas,
Elle a cru des discours que vous ne dictiez pas.
Eh ! peut-on s’étonner que vous ayez-su plaire ?
Peut-on vous reprocher ce charme involontaire
Qui vous soumit un cœur prompt à se désarmer ?
Ah ! le mien m’est témoin que l’on doit vous aimer.
RAMIRE.
Eh ! pourquoi, profanant de si saintes tendresses,
De Zulime abusée enhardir les faiblesses ?
Pourquoi, déshonorant votre amant, votre époux,
Promettre à d’autres yeux un cœur qui n’est qu’à vous ?
Dans quel piège Idamore a conduit l’innocence !
Des bienfaits de Zulime affreuse récompense !
Ah, cruelle ! à quel prix le jour m’est conservé !
ATIDE.
Eh bien, punissez-moi de vous avoir sauvé.
Idamore, il est vrai, n’est pas le seul coupable,
J’ai parlé comme lui ; comme lui condamnable.
J’engageai trop Ramire, et sans le consulter ;
Je n’y survivrai pas, vous n’en pouvez douter.
Je sens qu’à vos vertus je faisais trop d’injure ;
Je vous épargnerai la honte d’un parjure :
Vivez, il me suffit... Ciel ! quel tumulte affreux !
RAMIRE.
Il m’annonce un combat moins grand, moins douloureux ;
Le ciel m’y peut au moins accorder quelque gloire ;
J’y vole...
ATIDE.
Je vous suis ; la chute ou la victoire,
Les fers ou le trépas, je sais tout partager.
Puis-je être loin de vous ? vous êtes en danger.
RAMIRE.
Ah ! ne laissez qu’à moi le destin qui m’opprime.
Chère épouse, craignez...
ATIDE.
Je ne crains que Zulime.
ACTE II
Scène première
RAMIRE, IDAMORE
IDAMORE.
Oui, Dieu même est pour nous ; oui, ce dieu de la guerre
Nous appelle sur l’onde et désarme la terre.
Vous voyez les sujets du triste Bénassar
Suspendre leurs fureurs au pied de ce rempart :
Ils ont quitté ces traits, ces funestes machines
Qui des murs d’Arsénié apportaient les ruines,
Tout ce grand appareil qui dans quelques moments
Pouvait de ce palais briser les fondements.
Cependant l’heure approche où la mer favorable
Va quitter avec nous ce rivage effroyable.
Seigneur, au nom d’Atide, au nom de nos malheurs,
Et de tant de périls, et de tant de douleurs,
Par le salut public devant qui tout s’efface,
Par ce premier devoir des rois de notre race,
Ne songez qu’à partir, et ne rougissez pas
Des bontés de Zulime et de ses attentats :
Ne fuyez point les dons de sa main bienfaisante,
Envers les siens coupable, envers nous innocente.
Entouré d’ennemis dans ce séjour d’horreur,
Craignez...
RAMIRE.
Mes ennemis sont au fond de mon cœur.
Atide l’a voulu ; c’est assez, Idamore.
IDAMORE.
Comment ! quel repentir peut vous troubler encore ?
Qui vous retient ?
RAMIRE.
L’honneur. Crois-tu qu’il soit permis
D’être injuste, infidèle, et traître à ses amis ?
IDAMORE.
Non, sans doute, seigneur, et ce crime est infâme.
RAMIRE.
Est-il donc plus permis de trahir une femme,
De la conduire au piège, et de l’abandonner ?
IDAMORE.
Un plus grand intérêt doit vous déterminer.
Voudriez-vous livrer à l’horreur des supplices
Ceux qui vous ont voué leur vie et leurs services ?
Entre Zulime et nous il est temps de choisir.
RAMIRE.
Eh bien ! qui de vous tous me faut-il donc trahir ?
Faut-il que, malgré nous, il soit des conjonctures
Où le cœur égaré flotte entre les parjures ;
Où la vertu sans force, et prête à succomber,
Ne voit que des écueils et tremble d’y tomber ?
Tu sais ce que pour nous Zulime a daigné faire ;
Elle renonce à tout, à son trône, à son père,
À sa gloire en un mot ; il faut en convenir.
Armé de ses bienfaits, moi, j’irais l’en punir !
C’est trop rougir de moi : plains ma douleur mortelle.
IDAMORE.
Rougissez de tarder, Valence vous appelle ;
Les moments sont bien chers ; et si vous hésitez...
RAMIRE.
Non ; je vais m’expliquer, et lui dire...
IDAMORE.
Arrêtez ;
Gardez-vous d’arracher un voile nécessaire :
Laissez-lui son erreur, cette erreur est trop chère.
Pour entraîner Zulime à ses égarements
Vous n’employâtes point l’art trompeur des amants.
Sensible, généreuse, et sans expérience,
Elle a cru n’écouter que la reconnaissance ;
Elle ne savait pas qu’elle écoutait l’amour.
Tous vos soins empressés la perdaient sans retour ;
Dans son illusion nous l’avons confirmée :
Enfin elle vous aime, elle se croit aimée.
De quel jour odieux ses yeux seraient frappés !
Il n’est de malheureux que les cœurs détrompés.
Réservez pour un temps plus sûr et plus tranquille
De ces droits délicats l’examen difficile.
Lorsque vous serez roi, jugez et décidez :
Ici Zulime règne, et vous en dépendez.
RAMIRE.
Je dépends de l’honneur ; votre discours m’offense.
Je crains l’ingratitude, et non pas sa vengeance.
Quoi qu’il puisse arriver, un cœur tel que le mien
Lui tiendra sa parole, ou ne promettra rien.
IDAMORE.
Tremblez donc : son amour peut se tourner en rage.
Atide de son sang peut payer cet outrage.
RAMIRE.
Cher Idamore, au bruit de son moindre danger,
De ces lieux ennemis va, cours la dégager.
Sois sûr que de Zulime arrêtant la poursuite,
Avant que d’expirer j’assurerai sa fuite.
IDAMORE.
Vous vous connaissez mal en ces extrémités ;
Atide et vos amis mourront à vos côtés.
Mais non, votre prudence et la faveur céleste
Ne nous annoncent point une fin si funeste.
Zulime est encor loin de vouloir se venger ;
Peut-elle craindre, hélas ! qu’on la veuille outrager ?
Son âme toute entière à son espoir livrée,
Aveugle en ses bontés et d’amour enivrée,
Goûte d’un calme heureux le dangereux sommeil...
RAMIRE.
Que je crains le moment de son affreux réveil !
IDAMORE.
Cachez donc à ses yeux la vérité cruelle,
Au nom de la patrie... On approche, c’est elle.
RAMIRE.
Va, cours après Atide, et reviens m’avertir
Si les mers et les vents m’ordonnent de partir.
Scène II
ZULIME, RAMIRE, SÉRAME
ZULIME.
Oui, nous touchons, Ramire, à ce moment prospère
Qui met en sûreté cette tête si chère.
En vain nos ennemis (car j’ose ainsi nommer
Qui voudrait désunir deux cœurs nés pour s’aimer),
En vain tous ces guerriers, ces peuples que j’offense,
De mon malheureux père ont armé la vengeance.
Profitons des instants qui nous sont accordés :
L’amour nous conduira puisqu’il nous a gardés ;
Et je puis dès demain rendre à votre patrie
Ce dépôt précieux qu’à moi seule il confie.
Il ne me reste plus qu’à m’attacher à vous
Par les nœuds éternels et de femme et d’époux :
Grâce à ces noms si saints, ma tendresse épurée
En est plus respectable et non plus assurée.
Le père, les amis que j’ose abandonner,
Le ciel, tout l’univers, doivent me pardonner,
Si de tant de héros la déplorable fille
Pour un époux si cher oublia sa famille.
Prenons donc à témoin ce Dieu de l’univers,
Que nous servons tous deux par des cultes divers ;
Attestons cet auteur de l’amour qui nous lie,
Non que votre grande âme à la mienne est unie,
Nos cœurs n’ont pas besoin de ces vœux solennels,
Mais que bientôt, seigneur, au pied de vos autels
Vos peuples béniront, dans la même journée,
Et votre heureux retour, et ce grand hyménée.
Mettons près des humains ma gloire en sûreté ;
Du Dieu qui nous entend méritons la bonté :
Et cessons de mêler, par trop de prévoyance,
Le poison de la crainte à la douce espérance.
RAMIRE.
Ah ! vous percez un cœur destiné désormais
À d’éternels tourments, plus grands que vos bienfaits.
ZULIME.
Eh ! qui peut vous troubler, quand vous m’avez su plaire ?
Les chagrins sont pour moi ; la douleur de mon père,
Sa vertu, cet opprobre à ma fuite attaché,
Voilà les déplaisirs dont mon cœur est touché :
Mais vous qui retrouvez un sceptre, une couronne,
Vos parents, vos amis, tout ce que j’abandonne,
Qui de votre bonheur n’avez point à rougir ;
Vous qui m’aimez enfin...
RAMIRE.
Pourrais-je vous trahir ?
Non, je ne puis.
ZULIME.
Hélas ! je vous en crois sans peine :
Vous sauvâtes mes jours, je brisai votre chaîne ;
Je vois en vous, Ramire, un vengeur, un époux :
Vos bienfaits et les miens, tout me répond de vous.
RAMIRE.
Sous un ciel inconnu le destin vous envoie.
ZULIME.
Je le sais, je le veux, je le cherche avec joie ;
C’est vous qui m’y guidez.
RAMIRE.
C’est à vous de juger
Qu’on a tout à souffrir chez un peuple étranger ;
Coutumes, préjugés, mœurs, contraintes nouvelles,
Abus devenus droits, et lois souvent cruelles.
ZULIME.
Qu’importe à notre amour ou leurs mœurs ou leurs droits ?
Votre peuple est le mien, vos lois seront mes lois.
J’en ai quitté pour vous, hélas ! de plus sacrées.
El qu’ai-je à redouter des mœurs de vos contrées ?
Quels sont donc les humains qui peuplent vos états ?
Ont-ils fait quelques lois pour former des ingrats ?
RAMIRE.
Je suis loin d’être ingrat, non, mon cœur ne peut l’être.
ZULIME.
Sans doute...
RAMIRE.
Mais en moi vous ne verriez qu’un traître,
Si, tout prêt à partir, je cachais à vos yeux
Un obstacle fatal opposé par les cieux.
ZULIME.
Un obstacle !
RAMIRE.
Une loi formidable, éternelle.
ZULIME.
Vous m’arrachez le cœur ; achevez, quelle est-elle ?
RAMIRE.
C’est la religion... Je sais qu’en vos climats,
Où vingt peuples mêlés ont changé tant d’états,
L’hymen unit souvent ceux que leur loi divise.
En Espagne autrefois cette indulgence admise
Désormais parmi nous est un crime odieux :
La loi dépend toujours et des temps et des lieux,
Mon sang dans mes états m’appelle au rang suprême,
Mais il est un pouvoir au dessus de moi-même.
ZULIME.
Je t’entends ; cher Ramire, il faut t’ouvrir mon cœur :
Pour ma religion j’ai connu ton horreur,
J’en ai souvent gémi ; mais, s’il ne faut rien taire,
À mon âme en secret tu la rendis moins chère.
Soit erreur ou raison, soit ou crime ou devoir,
Soit du plus tendre amour l’invincible pouvoir,
(Puisse le juste ciel excuser mes faiblesses !)
Du sang en ta faveur j’ai bravé les tendresses ;
Je pourrai t’immoler, par de plus grands efforts,
Ce culte mal connu de ce sang dont je sors :
Puisqu’il t’est odieux, il doit un jour me l’être.
Fidèle à mon époux, et soumise à mon maître,
J’attendrai tout du temps et d’un si cher lien.
Mon cœur servirait-il d’autre dieu que le tien ?
Je vois couler tes pleurs ; tant de soin, tant de flamme,
Tant d’abandonnement, ont pénétré ton âme.
Adressons l’un et l’autre au dieu de tes autels
Ces pleurs que l’amour verse, et ces vœux solennels.
Qu’Atide y soit présente ; elle approche ; elle m’aime :
Que son amitié tendre ajoute à l’amour même.
Atide !
RAMIRE.
C’en est trop ; et mon cœur déchiré...
Scène III
ZULIME, RAMIRE, ATIDE, SÉRAME
ATIDE.
Madame, dans ces murs votre père est entré.
ZULIME.
Mon père !
RAMIRE.
Lui !
ZULIME.
Grands dieux !
ATIDE.
Sans soldats, sans escorte,
Sa voix de ce palais s’est fait ouvrir la porte.
À l’aspect de ses pleurs et de ses cheveux blancs,
De ce front couronné, respecté si longtemps,
Vos gardes interdits, baissant pour lui les armes,
N’ont pas cru vous trahir en partageant ses larmes.
Il approche, il vous cherche.
ZULIME.
Ô mon père ! ô mon roi !
Devoir, nature, amour, qu’exigez-vous de moi ?
ATIDE.
Il va, n’en doutez point, demander notre vie.
RAMIRE.
Donnez-lui tout mon sang, je vous le sacrifie ;
Mais conservez du moins...
ZULIME.
Dans l’état où je suis,
Pouvez-vous bien, cruel, irriter mes ennuis ?
Tombent, tombent sur moi les traits de sa vengeance !
Allez, Atide ; et vous, évitez sa présence.
C’est le premier moment où je puis souhaiter
De me voir sans Ramire et de vous éviter.
Allez, trop digne époux de la triste Zulime ;
Ce titre si sacré me laisse au moins sans crime.
ATIDE.
Qu’entends-je ? son époux !
RAMIRE.
On vient, suivez mes pas ;
Plaignez mon sort, Atide, et ne m’accusez pas.
Scène IV
ZULIME, BÉNASSAR, SÉRAME
ZULIME.
Le voici, je frissonne, et mes yeux s’obscurcissent.
Terre, que devant lui tes gouffres m’engloutissent !
Sérame, soutiens-moi.
BÉNASSAR.
C’est elle.
ZULIME.
Ô désespoir !
BÉNASSAR.
Tu détournes les yeux, et tu crains de me voir.
ZULIME.
Je me meurs ! Ah, mon père !
BÉNASSAR.
Ô toi qui fus ma fille,
Cher espoir autrefois de ma triste famille,
Toi qui clans mes chagrins étais mon seul recours !
Tu ne me connais plus ?
ZULIME, à genoux.
Je vous connais toujours ;
Je tombe en frémissant à ces pieds que j’embrasse,
Je les baigne de pleurs, et je n’ai point l’audace
De lever jusqu’à vous un regard criminel
Qui ferait trop rougir votre front paternel.
BÉNASSAR.
Sais-tu quelle est l’horreur dont ton crime m’accable ?
ZULIME.
Je sais trop qu’à vos yeux il est inexcusable.
BÉNASSAR.
J’aurais pu te punir, j’aurais pu dans ces tours
Ensevelir ma honte et tes coupables jours.
ZULIME.
Votre colère est juste, et je l’ai méritée.
BÉNASSAR.
Tu vois trop que mon cœur ne l’a point écoutée.
Lève-toi : ta douleur commence à m’attendrir,
Elle se relève.
Et le cœur de ton père attend ton repentir.
Tu sais si dans ce cœur, trop indulgent, trop tendre,
Les cris de la nature ont su se faire entendre.
Je vivais dans toi seule, el jusques à ce jour
Jamais père à son sang n’a marqué plus d’amour ;
Tu sais si j’attendais qu’au bout de ma carrière
Ma bouche en expirant nommât mon héritière,
Et cédât malgré moi, par des soins superflus,
Ce qui dans ces moments ne nous appartient plus.
Je n’ai que trop vécu ; ma prodigue tendresse
Prévenait par ses dons ma caduque vieillesse.
Je te donnais pour dot, en engageant ta foi,
Ces trésors, ces états, que je quittais pour toi,
Et tu pouvais choisir entre les plus grands princes
Qui des bords syriens gouvernent les provinces ;
Et c’est dans ces moments que, fuyant de mes bras,
Toi seule à la révolte excites mes soldats,
M’arraches mes sujets, m’enlèves mes esclaves,
Outrages mes vieux ans, m’abandonnes, me braves !
Quel démon t’a conduite à cet excès d’horreur ?
Quel monstre a corrompu les vertus de ton cœur ?
Veux-tu ravir un rang que je te sacrifie ?
Veux-tu me dépouiller de ce reste de vie ?
Ah, Zulime ! ah, mon sang ! par tant de cruauté
Veux-tu punir ainsi l’excès de ma bonté ?
ZULIME.
Seigneur, mon souverain, j’ose dire mon père,
Je vous aime encor plus que je ne vous fus chère.
Régnez, vivez heureux, ne vous consumez plus
Pour cette criminelle en regrets superflus.
De mon aveuglement moi-même épouvantée,
Expirant des regrets dont je suis tourmentée,
Et de votre tendresse, et de votre courroux,
Je pleure ici mon crime à vos sacrés genoux :
Mais ce crime si cher a sur moi trop d’empire ;
Vous n’avez plus de fille, et je suis à Ramire.
BÉNASSAR.
Que dis-tu ? malheureuse ! opprobre de mon sort !
Quoi, tu joins tant de honte à l’horreur de ma mort !
Qui ? Ramire ! un captif ! Ramire t’a séduite !
Un barbare t’enlève, et te force à la fuite !
Non, dans ton cœur séduit, d’un fol amour atteint,
Tout l’honneur de mon sang n’est pas encore éteint ;
Tu ne souilleras point d’une tache si noire
La race des héros, ma vieillesse et ma gloire :
Quelle honte, grand Dieu ! suivrait un sort si beau !
Veux-tu déshonorer ma vie et mon tombeau ?
De mes folles bontés quel horrible salaire !
Ma fille, un suborneur est-il donc plus qu’un père ?
Repens-toi, suis mes pas, viens sans plus m’outrager.
ZULIME.
Je voudrais obéir ; mon sort ne peut changer.
Approuvée en Europe, en vos climats flétrie,
Il n’est plus de retour pour moi dans ma patrie.
Mais si le nom d’esclave aigrit votre courroux,
Songez que cet esclave a combattu pour vous ;
Qu’il vous a délivré d’une main ennemie ;
Que vos persécuteurs ont demandé sa vie ;
Que j’acquitte envers lui ce que vous lui devez ;
Qu’à d’assez grands honneurs ses jours sont réservés :
Qu’il est du sang des rois, et qu’un héros pour gendre,
Un prince vertueux...
BÉNASSAR.
Je ne veux plus t’entendre,
Barbare ! que les cieux partagent ma douleur !
Que ton indigne amant soit un jour mon vengeur !
Il le sera sans doute, et j’en reçois l’augure :
Tous les enlèvements sont suivis du parjure.
Puisse la perfidie et la division
Être le digne fruit d’une telle union !
J’espère que le ciel, sensible à mon outrage,
Accourcira bientôt dans les pleurs, dans la rage,
Les jours infortunés que ma bouche a maudits,
Et qu’on te trahira comme tu me trahis.
Coupable de la mort qu’ici tu me prépares,
Lâche, tu périras par des mains plus barbares :
Je le demande aux cieux ; perfide, tu mourras
Aux pieds de ton amant, qui ne te plaindra pas.
Mais avant de combler son opprobre et sa rage,
Avant que le cruel t’arrache à ce rivage,
J’y cours, et nous verrons si tes lâches soldats
Seront assez hardis pour t’ôter de mes bras ;
Et si, pour se ranger sous les drapeaux d’un traître,
Ils fouleront aux pieds et ton père et leur maître.
Scène V
ZULIME, SÉRAME
ZULIME.
Seigneur... Ah, cher auteur de mes coupables jours !
Voilà quel est le fruit de mes tristes amours !
Dieu qui l’as entendu, Dieu puissant que j’irrite,
Aurais-tu confirmé l’arrêt que je mérite ?
La mort et les enfers paraissent devant moi :
Ramire, avec plaisir j’y descendrais pour toi.
Tu me plaindras sans doute... Ah, passion funeste !
Quoi ! les larmes d’un père, et le courroux céleste,
Les malédictions prêtes à m’accabler,
Tout irrite les feux dont je, me sens brûler !
Dieu ! je me livre à toi ; si tu veux que j’expire,
Frappe, mais réponds-moi des larmes de Ramire.
ACTE III
Scène première
ZULIME, ATIDE
ZULIME.
Hélas ! vous n’aimez point : vous ne concevez pas
Tous ces soulèvements, ces craintes, ces combats,
Ce reflux orageux du remords et du crime.
Que je me hais ! j’outrage un père magnanime,
Un père qui m’est cher, et qui me tend les bras.
Que dis-je, l’outrager ! j’avance son trépas :
Malheureuse !
ATIDE.
Après tout, si votre âme attendrie
Craint d’accabler un père, et tremble pour sa vie,
Pardonnez, mais je sens qu’en de tels déplaisirs
Un grand cœur quelquefois commande à ses soupirs,
Qu’on peut sacrifier...
ZULIME.
Que prétends-tu me dire ?
Sacrifier l’amour qui m’enchaîne à Ramire !
À quels conseils, grand Dieu, faut-il s’abandonner !
Ai-je pu les entendre ! ose-t-on les donner !
Toute prête à partir, vous proposez, barbare,
Que moi qui l’ai conduit, de lui je me sépare !
Non, mon père en courroux, mes remords, ma douleur,
De ce conseil affreux n’égalent point l’horreur.
ATIDE.
Mais vous-même à l’instant, à vos devoirs fidèle,
Vous disiez que l’amour vous rend trop criminelle.
ZULIME.
Non, je ne l’ai point dit, mon trouble m’emportait ;
Si je parlais ainsi, mon cœur me démentait.
ATIDE.
Qui ne connaît l’état d’une âme combattue ?
J’éprouve, croyez-moi, le chagrin qui vous tue :
Et ma triste amitié...
ZULIME.
Vous m’en devez, du moins.
Mais que cette amitié prend de funestes soins !
Ne me parlez jamais que d’adorer Ramire ;
Redoublez dans mon cœur tout l’amour qu’il m’inspire.
Hélas ! m’assurez-vous qu’il réponde à mes vœux
Comme il le doit, Atide, et comme je le veux ?
ATIDE.
Ce n’est point à des cœurs nourris dans l’amertume,
Que la crainte a glacés, que la douleur consume ;
Ce n’est point à des yeux aux larmes condamnés,
De lire dans les cœurs des amants fortunés.
Est-ce à moi d’observer leur joie et leur caprice ?
Ne vous suffit-il pas qu’on vous rende justice,
Qu’on soit à vos bontés asservi pour jamais ?
ZULIME.
Non, il semble accablé du poids de mes bienfaits ;
Son âme est inquiète et n’est point attendrie.
Atide, il me parlait des lois de sa patrie.
Il est tranquille assez, maître assez de ses vœux
Pour voir en ma présence un obstacle à nos feux.
Ma tendresse un moment s’est sentie alarmée.
Chère Atide, est-ce ainsi que je dois être aimée ?
Après ce que j’ai fait, après ma fuite, hélas !
Atide, il me trahit, s’il ne m’adore pas ;
Si de quelque intérêt son âme est occupée,
Si je n’y suis pas seule, Atide, il m’a trompée.
Scène II
ZULIME, ATIDE, IDAMORE
IDAMORE.
Madame, votre père appelle ses soldats,
Résolvez votre fuite, et ne différez pas.
Déjà quelques guerriers, qui devaient vous défendre
Aux pleurs de Bénassar étaient prêts à se rendre.
Honteux de vous prêter un sacrilège appui,
Leurs fronts en rougissant se baissaient devant lui.
De ces murs odieux je garde le passage :
Ce sentier détourné nous conduit au rivage.
Ramire, impatient, de vous seule occupé,
De vos bontés rempli, de vos charmes frappe.
Et prêt pour son épouse à prodiguer sa vie,
Dispose en ce moment votre heureuse sortie.
ZULIME.
Ramire, dites-vous ?
IDAMORE.
Ardent, rempli d’espoir,
Il revient vous servir, surtout il veut vous voir.
ZULIME.
Ah ! je renais, Atide, et mon âme est en proie
À tout l’emportement de l’excès de ma joie.
Pardonne à des soupçons indignement conçus ;
Ils sont évanouis, ils ne renaîtront plus.
J’ai douté, j’en rougis, je craignais, et l’on m’aime !
Ah, prince !
Scène III
ZULIME, ATIDE, RAMIRE, IDAMORE
IDAMORE, à Ramire.
J’ai parlé, seigneur, comme vous-même ;
J’ai peint de votre cœur les justes sentiments ;
Zulime en est bien digne : achevez, il est temps.
Pressons l’heureux instant de notre délivrance ;
Rien ne nous retient plus : je cours, je vous devance.
Il sort.
RAMIRE.
Nous voici parvenus à ce moment fatal
Où d’un départ trop lent on donne le signal.
Bénassar de ces lieux n’est point encor le maître ;
Pour peu que nous tardions, madame, il pourrait l’être.
Vous voulez de, l’Afrique abandonner les bords ;
Venez, ne craignez point ses impuissants efforts.
ZULIME.
Moi craindre ! ah ! c’est pour vous que j’ai connu la crainte,
Croyez-moi ; je commande encor dans cette enceinte ;
La porte de la mer ne s’ouvre qu’à ma voix.
Sauvez ma gloire au moins pour la dernière fois.
Apprenons à l’Espagne, à l’Afrique jalouse,
Que je suis mon devoir en partant votre épouse.
RAMIRE.
C’est braver votre père et le désespérer ;
Pour le salut des miens je ne puis différer...
ZULIME.
Ramire !
RAMIRE.
Si le ciel me rend mon héritage,
Valence est à vos pieds.
ZULIME.
Tu promis davantage.
Que m’importait un trône ?
ATIDE.
Eh, madame ! est-il temps
De s’oublier ici dans ces périls pressants ?
Songez...
ZULIME.
De ce péril soyez moins occupée ;
Il en est un plus grand. Ciel ! serais-je trompée ?
Ah, Ramire !
RAMIRE.
Attendez qu’au sein de ses états
L’infortuné Ramire ait pu guider vos pas.
ZULIME.
Qu’entends-je ? Quel discours à tous les trois funeste !
Ramire, attendais-tu qu’immolant tout le reste,
Perfide à ma patrie, à mon père, à mon roi,
Je n’eusse en ces climats d’autre maître que toi ?
Sur ces rochers déserts, ingrat, m’as-tu conduite
Pour traîner en Europe une esclave à ta suite ?
RAMIRE.
Je vous y mène en reine, et mon peuple à genoux
Avec son souverain fléchira devant vous.
ATIDE.
Croyez que vos bienfaits...
ZULIME.
Ah ! c’en est trop, Atide ;
C’est trop vous efforcer d’excuser un perfide :
Le voile est déchiré : je vois mon sort affreux.
Quel père j’offensais ! et pour qui ? malheureux !
Des plus sacrés devoirs la barrière est franchie :
Mais il reste un retour à ma vertu trahie ;
Je revole à mon père ; il a plaint mes erreurs,
Il est sensible, il m’aime ; il vengera mes pleurs :
Et de sa main du moins il faudra que j’obtienne,
Dirai-je, hélas ! ta mort ? non, ingrat, mais la mienne.
Tu l’as voulu, j’y cours.
ATIDE.
Madame.
RAMIRE.
Atide ! ô ciel !
ATIDE.
Madame, écoutez-vous ce désespoir mortel ?
C’est votre ouvrage, hélas ! que vous allez détruire.
Vous vous perdez ! Eh quoi, vous balancez, Ramire !
ZULIME.
Madame, épargnez-vous ces transports empressés !
Son silence et vos pleurs m’en ont appris assez.
Je vois sur mon malheur ce qu’il faut que je pense,
Et je n’ai pas besoin de tant de confidence,
Ni des secours honteux d’une telle pitié.
J’ai prodigué pour vous la plus tendre amitié :
Vous m’en payez le prix ; je vais le reconnaître.
Sortez, rentrez aux fers où vous avez dû naître ;
Esclaves, redoutez mes ordres absolus ;
À mes yeux indignés ne vous présentez plus :
Laissez-moi.
RAMIRE.
Non, madame, et je perdrai la vie
Avant d’être témoin de tant d’ignominie.
Vous ne flétrirez point cet objet malheureux,
Ce cœur digne de vous, comme vous généreux.
Si vous le connaissiez, si vous saviez...
ZULIME.
Parjure,
Ta fureur à ce point insulte à mon injure !
Tu m’outrages pour elle ! Ah, vil couple d’ingrats !
Du fruit de mes douleurs vous ne jouirez pas ;
Vous expierez tous deux mes feux illégitimes :
Tremblez, ce jour affreux sera le jour des crimes.
Je n’en ai commis qu’un, ce fut de vous servir,
Ce fut de vous sauver ; je cours vous en punir...
Tu me braves encore, et tu présumes, traître,
Que des lieux où je suis tu t’es rendu le maître,
Ainsi que tu l’étais de mes vœux égarés :
Tu te trompes, barbare... À moi, gardes, courez,
Suivez-moi tous, ouvrez aux soldats de mon père ;
Que mon sang satisfasse à sa juste colère :
Qu’il efface ma honte, et que mes yeux mourants
Contemplent deux ingrats à mes pieds expirants.
Scène IV
ATIDE, RAMIRE
RAMIRE.
Ah ! fuyez sa vengeance, Atide, et que je meure.
ATIDE.
Non, je veux qu’à ses pieds vous vous jetiez sur l’heure :
Ramire, il faut me perdre et vous justifier,
Laisser périr Atide, et même l’oublier.
RAMIRE.
Vous !
ATIDE.
Vos jours, vos devoirs, votre reconnaissance,
Avec ce triste hymen n’entrent point en balance.
Nos liens sont sacrés, et je les brise tous :
Mon cœur vous idolâtre... et je renonce à vous.
RAMIRE.
Vous, Atide !
ATIDE.
Il le faut ; partez sous ces auspices :
Ma rivale aura fait de moindres sacrifices ;
Mes mains auront brisé de plus puissants liens ;
Et mes derniers bienfaits sont au dessus des siens.
RAMIRE.
Vos bienfaits sont affreux ! l’idée en est un crime.
Ô chère et tendre épouse ! ô cœur trop magnanime !
Il faut périr ensemble, il faut qu’un noble effort
Assure la retraite, ou nous mène à la mort.
ATIDE.
Je mourrai, j’y consens ; mais espérez encore ;
Tout est entre vos mains ; Zulime vous adore :
Ce n’est pas votre sang qu’elle prétend verser.
Pensez-vous qu’à son père elle osât s’adresser ?
Vous voyez ces remparts qui ceignent notre asile,
Sont-ils pleins d’ennemis ? tout n’est-il pas tranquille ?
A-t-elle seulement marché de ce côté ?
Sa colère trompait son esprit agité.
Confiez-vous à moi ; mon amour le mérite.
Je vous réponds de tout, souffrez que je vous quitte ;
Souffrez...
Elle sort.
RAMIRE.
Non... je vous suis.
Scène V
RAMIRE, BÉNASSAR
BÉNASSAR.
Demeure, malheureux !
Demeure.
RAMIRE.
Que veux-tu ?
BÉNASSAR.
Cruel, ce que je veux ?
Après tes attentats, après ta fuite infâme,
L’humanité, l’honneur, entrent-ils dans ton âme ?
RAMIRE.
Crois-moi, l’humanité règne au fond de ce cœur,
Qui pardonne à ton doute, et qui plaint ton malheur :
L’honneur est dans ce cœur qui brava la misère.
BÉNASSAR.
Tu ne braves, ingrat, que les larmes d’un père :
Tu laisses le poignard dans ce cœur déchiré ;
Tu pars, et cet assaut est encor différé.
La mer t’ouvre ses flots pour enlever ta proie.
Eh bien, prends donc pitié des pleurs où je me noie ;
Prends pitié d’un vieillard trahi, déshonoré,
D’un père qui chérit un cœur dénaturé.
Je te crus vertueux, Ramire, autant que brave ;
Je corrigeai le sort qui te fit mon esclave :
Je te devais beaucoup, je t’en donnais le prix ;
J’allais avec les tiens te rendre à ton pays.
Le ciel sait si mon cœur abhorrait l’injustice
Qui voulait de ton sang le fatal sacrifice.
Ma fille a cru, sans doute, une indigne terreur ;
Et son aveuglement a causé son erreur.
Je t’adresse, cruel, une plainte impuissante :
Ton fol amour insulte à ma voix expirante.
Contre les passions que peut mon désespoir ?
Que veux-tu ? je me mets moi-même en ton pouvoir :
Accepte tous mes biens, je te les sacrifie ;
Rends-moi mon sang, rends-moi mon honneur et ma vie.
Tu ne me réponds rien, barbare !
RAMIRE.
Écoute-moi.
Tes trésors, tes bienfaits, ta fille, sont à toi.
Soit vertu, soit pitié, soit intérêt plus tendre,
Au péril de sa gloire elle osa nous défendre ;
Pour toi de mille morts elle eût bravé les coups.
Elle adore son père, et le trahit pour nous ;
Et je crois la payer du plus noble salaire
En la rendant aux mains d’un si vertueux père.
BÉNASSAR.
Toi, Ramire ?
RAMIRE.
Zulime est un objet sacré
Que mes profanes yeux n’ont point déshonoré.
Tu coûtas plus de pleurs à son âme séduite
Que n’en coûte à tes yeux sa déplorable fuite.
Le temps fera le reste ; et tu verras un jour
Qu’il soutient la nature et qu’il détruit l’amour.
Et si dans ton courroux je te croyais capable
D’oublier pour jamais que ta fille est coupable,
Si ton cœur généreux pouvait se désarmer,
Chérir encor Zulime...
BÉNASSAR.
Ah ! si je puis l’aimer !
Que me demandes-tu ? conçois-tu bien la joie
Du plus sensible père au désespoir en proie,
Qui, noyé si longtemps dans des pleurs superflus,
Reprend sa fille enfin, quand il ne l’attend plus ?
Moi, ne la plus chérir ! Va, ma chère Zulime
Peut avec un remords effacer tout son crime ;
Va, tout est oublié, j’en jure mon amour.
Mais puis-je à tes serments me fier à mon tour ?
Zulime m’a trompé ! Quel cœur n’est point parjure ?
Quel cœur n’est point ingrat ?
RAMIRE.
Que le tien se rassure.
Atide est dans ces lieux ; Atide est, comme moi,
Du sang infortuné de notre premier roi :
Nos captifs malheureux, brûlant du même zèle,
N’ont tout fait avec moi, tout tenté que pour elle ;
Je la livre en otage, et la mets dans tes mains.
Toi, si je fais un pas contraire à tes desseins,
Sur mon corps tout sanglant verse le sang d’Atide ;
Mais si je suis fidèle, et si l’honneur me guide,
Toi-même arrache Atide à ces bords ennemis.
Appelle tous les tiens, délivre nos amis.
Le temps presse : peux-tu me donner ta parole ?
Peux-tu me seconder ?
BÉNASSAR.
Je le puis, et j’y vole.
Déjà quelques guerriers, honteux de me trahir,
Reconnaissent leur maître, et sont prêts d’obéir.
Mais aurais-tu, Ramire, une âme assez cruelle
Pour abuser encor mon amour paternelle ?
Pardonne à nies soupçons.
RAMIRE.
Va, ne soupçonne rien ;
Mon plus cher intérêt s’accorde avec le tien.
Je te vois comme un père.
BÉNASSAR.
À toi je m’abandonne.
Dieu voit du haut des cieux la foi que je te donne.
RAMIRE.
Adieu ; reçois la mienne.
Scène VI
RAMIRE, ATIDE
ATIDE.
Ah, prince ! on vous attend.
Il n’est plus de danger, l’amour seul vous défend.
Zulime est apaisée, et tant de violence,
Tant de transports affreux, tant d’apprêts de vengeance,
Tout cède à la douceur d’un repentir profond :
L’orage était soudain, le calme est aussi prompt.
J’ai dit ce que j’ai dû pour adoucir sa rage ;
Et l’amour à son cœur en disait davantage.
Ses yeux, auparavant si fiers, si courroucés,
Mêlaient des pleurs de joie aux pleurs que j’ai versés.
J’ai saisi cet instant favorable à la fuite ;
Jusqu’au pied du vaisseau soudain je l’ai conduite ;
J’ai hâté vos amis : la moitié suit mes pas,
L’autre moitié s’embarque, ainsi que vos soldats ;
On n’attend plus que vous : la voile se déploie.
RAMIRE.
Ah, ciel ! qu’avez-vous fait ?
ATIDE.
Les pleurs où je me noie
Seront les derniers pleurs que vous verrez couler.
C’en est fait, cher amant ; je ne veux plus troubler
Le bonheur de Zulime, et le vôtre peut-être.
Vous êtes trop aimé, vous méritez de l’être.
Allez, de ma rivale heureux et cher époux,
Remplir tous les serments qu’Atide a faits pour vous.
RAMIRE.
Quoi ! vous l’avez conduite à ce vaisseau funeste ?
ATIDE.
Elle vous y demande.
RAMIRE.
Ô puissance céleste !
Elle part, dites-vous ?
ATIDE.
Oui, sauvez-la, seigneur,
Des lieux que pour vous seul elle avait en horreur.
RAMIRE.
Atide ! en ce moment c’est fait de votre vie.
ATIDE.
Eh ! ne savez-vous pas que je la sacrifie ?
RAMIRE.
Vous êtes en otage auprès de Bénassar.
Il n’est plus d’espérance, il n’est plus de départ ;
Tout est perdu.
ATIDE.
Comment ?
RAMIRE.
Où courir ? et que faire ?
Et comment réparer mon crime involontaire ?
ATIDE.
Que dites-vous ? quel crime, et quel engagement ?
RAMIRE.
Ah, ciel !
ATIDE.
Qu’ai-je donc fait ?
Scène VII
RAMIRE, ATIDE, IDAMORE
IDAMORE.
En ce même moment
Bénassar vous poursuit, vous, Atide, et Zulime.
Le péril le plus grand est celui qui m’anime.
Seigneur, je viens combattre et mourir avec vous.
J’ai vu ce Bénassar, enflammé de courroux,
Aux siens qui l’attendaient lui-même ouvrir la porte,
Rentrer accompagné de leur fatale escorte,
Courir à ses vaisseaux la flamme dans les mains :
Il attestait le ciel vengeur des souverains ;
Sa fureur échauffait les glaces de son âge.
Déjà de tous côtés commençait le carnage ;
Je me fraye un chemin, je revole en ces lieux.
Sortons... Entendez-vous tous ces cris furieux ?
D’où vient que Bénassar, au fort de la mêlée,
Accuse votre foi lâchement violée ?
Des soldats de Zulime ont quitté ses drapeaux :
Ils ont suivi son père, ils marchent aux vaisseaux.
D’où peut naître un revers si prompt et si funeste ?
RAMIRE.
Allons le réparer, le désespoir nous reste,
Sauvons du moins Atide ; et, le fer à la main,
Parmi ces malheureux ouvrons-nous un chemin.
Suivez-moi. Dieu puissant ! daignez enfin défendre
La vertu la plus pure et l’amour le plus tendre.
Suivez-moi, dis-je.
ATIDE.
Ô ciel ! Ramire ! Ah, jour affreux !
RAMIRE.
Si vous vivez, ce jour est encor trop heureux.
ACTE IV
Scène première
ZULIME, SÉRAME
SÉRAME.
Remerciez le ciel, au comble des tourments,
D’avoir longtemps perdu l’usage de vos sens ;
Il vous a dérobé, propice en sa colère,
Ce combat effrayant d’un amant et d’un père.
ZULIME, jetée dans un fauteuil, et revenant de son évanouissement.
Ô jour ! tu luis encore à mes yeux alarmés
Qu’une éternelle nuit devrait avoir fermés !
Ô sommeil des douleurs ! mort douce et passagère !
Seul moment de repos goûté dans ma misère !
Que n’es-tu plus durable ? et pourquoi laisses-tu
Rentrer encor la vie en ce cœur abattu ?
Se relevant.
Où suis-je ? qu’a-t-on fait ? ô crime ! ô perfidie !
Ramire va périr ! quel monstre m’a trahie ?
J’ai tout fait, malheureuse ! et moi seule, en un jour,
J’ai bravé la nature, et j’ai trahi l’amour.
Quoi ! mon père, dis-tu, défend que je l’approche ?
SÉRAME.
Plus le combat, madame, et le péril est proche,
Plus il veut vous sauver de ces objets d’horreur,
Qui, présentés de près à votre faible cœur,
Et redoublant les maux dont l’excès vous dévore,
Peut-être vous rendraient plus criminelle encore.
ZULIME.
Qu’est devenu Ramire ?
SÉRAME.
Ai-je donc pu songer,
Dans ces malheurs communs, qu’à votre seul danger ?
Ai-je pu m’occuper que du mal qui vous tue ?
ZULIME.
Qu’est-ce qui s’est passé ? quelle erreur m’a perdue ?
Ah ! n’ai-je pas tantôt, dans mes transports jaloux,
Des miens contre Ramire allumé le courroux ?
J’accusais mon amant ; j’eus trop de violence :
On m’a trop obéi : je meurs de ma vengeance.
Va, cours, informe-toi des funestes effets
Et des crimes nouveaux qu’ont produits mes forfaits.
Juste ciel ! je partais, et sur la foi d’Atide !
M’aurait-elle trahie ? On m’arrête. Ah, perfide !
N’importe, apprends-moi tout, ne me déguise rien ;
Rapporte-moi ma mort : va, cours, vole et revien.
SÉRAME.
Je vous laisse à regret dans ces horreurs mortelles.
ZULIME.
Va, dis-je. Ah ! j’en mérite encor de plus cruelles !
Scène II
ZULIME
M’as-tu trompée, Atide, avec tant de noirceur ?
Quoi ! les pleurs quelquefois ne partent point du cœur !
Mais non ; en me perdant tu te perdrais toi-même,
Toi, tes amis, ton peuple, et ce cruel que j’aime.
Non ; trop de vérité parlait dans tes douleurs :
L’imposture, après tout, ne verse point de pleurs.
Ton âme m’est connue, elle est sans artifice ;
Et qui m’eût fait jamais un pareil sacrifice ?
Loin de moi, loin de lui tu voulais demeurer.
Ah ! de Ramire ainsi se peut-on séparer ?
Atide n’aime point : j’étais peut-être aimée ;
Ma jalouse fureur s’est trop tôt allumée.
J’assassine Ramire.
Scène III
ZULIME, SÉRAME
ZULIME.
Hé bien, que t’a-t-on dit ?
Parle.
SÉRAME.
Un désordre horrible accable mon esprit :
On ne voit, on n’entend que des troupes plaintives,
Au dehors, au dedans, aux portes, sur les rives,
Au palais, sur le port, autour de ce rempart ;
On se rassemble, on court, on combat au hasard ;
La mort vole en tous lieux. Votre esclave perfide
Partout oppose au nombre une audace intrépide.
Pressé de tous côtés, Ramire allait périr :
Croiriez-vous quelle main vient de le secourir ?
Atide...
ZULIME.
Atide ! ô ciel !
SÉRAME.
Au milieu du carnage,
D’un pas déterminé, d’un œil plein de courage,
S’élançant dans la foule, étonnant les soldats,
Sa beauté, son audace, ont arrêté leurs bras.
Vos guerriers, qui pensaient venger votre querelle,
Unis avec les siens, se rangent autour d’elle.
Voilà ce qu’on m’a dit, et j’en frémis d’effroi.
ZULIME.
Ramire vit encore, et ne vit point pour moi !
Ramire doit la vie à d’autres qu’à moi-même !
Une autre le défend ; c’est une autre qu’il aime !
Et c’est Atide... Allons, le charme est dissipé :
Je déchire un bandeau de mes larmes trempé ;
Je revois la lumière, et je sors de l’abyme
Où me précipitaient ma faiblesse et leur crime.
Ciel ! quel tissu d’horreurs ! ah ! j’en avais besoin ;
De guérir ma blessure ils ont pris l’heureux soin.
Va, je renonce à tout, et même à la vengeance :
Je verrai leur supplice avec l’indifférence
Qu’inspirent des forfaits qui ne nous touchent pas.
Que m’importe en effet leur vie ou leur trépas ?
C’en est fait.
Scène IV
ZULIME, MOHADIR, SÉRAME
ZULIME.
Mohadir, parlez, que fait mon père ?
Puisse sur moi le ciel épuisant sa colère
Sur ses jours vertueux prodiguer sa faveur !
Qu’il soit vengé surtout.
MOHADIR.
Madame, il est vainqueur.
ZULIME.
Ah ! Ramire est donc mort ?
MOHADIR.
Sa valeur malheureuse
A cherché vainement une mort glorieuse :
Lassé, couvert de sang, l’esclave révolté
Est tombé dans les mains de son maître irrité.
Je ne vous nierai point que son cœur magnanime
Semblait justifier les fautes de Zulime.
Madame, je l’ai vu, maître de son courroux,
Respecter votre père, en détourner ses coups :
Je l’ai vu, des siens même arrêtant la vengeance,
Abandonner le soin de sa propre défense.
ZULIME.
Lui !
MOHADIR.
Cependant on dit qu’il nous a trahis tous ;
Qu’il trompait à la fois et Bénassar et vous.
Mais, sans approfondir tant de sujets d’alarmes,
Sans plus empoisonner la source de vos larmes,
Il faut de votre père obtenir un pardon ;
Il le faut mériter. Je vais en votre nom
Des rebelles armés poursuivre ce qui reste :
Terminons sans retour un trouble si funeste.
Zulime, avec un père il n’est point de traité ;
Votre repentir seul est votre sûreté :
La nature dans lui reprendra son empire,
Quand elle aura dans vous triomphé de Ramire.
ZULIME.
Il me suffit : je sais tout ce que j’ai commis,
Et combien de devoirs en un jour j’ai trahis.
Aux pieds de Bénassar il faut que je me jette :
Hâtons-nous.
MOHADIR.
Retenez cette ardeur indiscrète ;
Gardez en ce moment de vous y présenter.
ZULIME.
Mohadir, et c’est vous qui m’osez arrêter ?
MOHADIR.
Respectez la défense heureuse et nécessaire
D’un père au désespoir, et d’un maître en colère.
Vous devez obéir, et surtout épargner
Sa blessure trop vive et trop prompte à saigner.
Il vous aime, il est vrai ; mais, après tant d’injures,
Si vos ressentiments s’échappaient en murmures ;
Frémissez pour vous-même, un affront si cruel
Serait le dernier coup à ce cœur paternel ;
Dans Ramire et dans vous il confondrait peut-être...
ZULIME.
Osez-vous bien penser que je protège un traître ?
MOHADIR.
Madame, pardonnez un injuste soupçon ;
Votre âme détrompée a repris sa raison :
Je le vois, et je cours, en serviteur fidèle,
Apprendre à Bénassar le succès de mon zèle ;
Daignez de sa justice attendre ici l’effet.
Scène V
ZULIME, SÉRAME
ZULIME.
Ah ! j’attends le trépas. Juste ciel ! qu’ai-je fait ?
SÉRAME.
Vous laissez un perfide au destin ! qui l’accable :
Vos jours sont à ce prix.
ZULIME.
Dieu ! qu’Atide est coupable !
SÉRAME.
Tous deux seront punis : ne songez plus qu’à vous :
D’un père infortuné désarmez le courroux ;
Détournez...
ZULIME.
Il ne voit en moi qu’une ennemie :
Il ne sait point, hélas ! combien je suis punie :
Mon châtiment, Sérame, est dans mes attentats ;
J’étais dénaturée, et j’ai fait des ingrats.
SÉRAME.
Eh bien ! de leurs forfaits séparez votre cause :
Quelque punition qu’un père se propose,
Aux traits de son courroux son sang doit échapper,
Et sa main s’amollit sur le point de frapper.
Obtenez qu’il vous voie, et votre grâce est sûre :
Unissez-vous à lui pour venger son injure ;
Abandonnez les jours justement menacés
De ce parjure amant qu’enfin vous haïssez.
ZULIME.
De Ramire !
SÉRAME.
De lui. Son indigne artifice
Vous faisait sa victime ainsi que sa complice.
ZULIME.
Je ne le sais que trop. Hélas ! que de forfaits !
SÉRAME.
Que j’aime à voir vos yeux dessillés pour jamais !
Des pleurs que vous versiez sa vanité s’honore :
Il vous trompe, il vous hait.
ZULIME.
Sérame, je l’adore ![3]
SÉRAME.
Qui ? vous !
ZULIME.
Un dieu barbare assemble dans mon cœur
L’excès de la faiblesse et celui de l’horreur :
C’est en vain que j’ai cru triompher de moi-même ;
Je déteste mon crime, et je sens que je l’aime.
Je n’y résiste plus : ce poison détesté,
Par mes tremblantes mains aujourd’hui rejeté,
De toutes les fureurs m’embrase et me déchire ;
Au bord de mon tombeau j’idolâtre Ramire.
Tel est dans les replis de ce cœur dévoré
Ce pouvoir malheureux de moi-même abhorré,
Que si, pour couronner sa lâche perfidie,
Ramire en me quittant eût demandé ma vie,
S’il m’eût aux pieds d’Atide immolée en fuyant,
S’il eût insulté même à mon dernier moment,
Je l’eusse aimé toujours, et mes mains défaillantes
Auraient cherché ses mains de mon sang dégoutantes.
Quoi ! c’est ainsi que j’aime, et c’est moi qu’il trahit !
Et c’est moi qui le perds ! c’est par moi qu’il périt !
Non... je le sauverai, le parjure que j’aime,
Dût-il me détester, et m’en punir lui-même.
Mais Atide est aimée.
Scène VI
ZULIME, ATIDE, amenée par des gardes
ZULIME.
Ah ! qu’est-ce que je voi ?
Ma rivale à mes yeux ! Atide devant moi !
ATIDE.
Oui, madame, il est vrai, je suis votre rivale ;
Le malheur nous rejoint, le destin nous égale :
Je sens les mêmes feux, je meurs des mêmes coups ;
Et Ramire est perdu pour moi comme pour vous.
ZULIME.
Avez-vous vu Ramire ?
ATIDE.
Oui, je l’ai vu combattre,
Et braver son destin, qui ne pouvait l’abattre ;
Mais je ne l’ai point vu depuis qu’il est chargé
De ces indignes fers où vous l’avez plongé.
On prépare pour lui la mort la plus sanglante ;
Vous le voulez, madame, et vous serez contente ;
Il ne vous reste ici qu’à terminer mon sort,
Avant d’avoir appris s’il vit ou s’il est mort.
ZULIME.
S’il est mort, je sais trop le parti qu’il faut prendre.
ATIDE.
Ah ! si vous le vouliez, vous pourriez le défendre,
Madame : vous l’aimez, et je connais l’amour ;
Vous périrez des coups dont il perdra le jour ;
Et, quelque sentiment qu’un père vous inspire,
Le plus grand des forfaits est de trahir Ramire.
Il n’eut jamais que vous et le ciel pour appui ;
Et n’est-ce pas à vous d’avoir pitié de lui ?
Quelques amis encore échappés au carnage
Vendent bien cher leur vie et marchent au rivage :
Vous êtes mal gardée : on peut les réunir.
ZULIME.
Et vous me commandez encor de vous servir ?
ATIDE.
Quand je vous l’ai cédé, quand, vous donnant ma vie,
Je me suis immolée à votre jalousie ;
Quand j’osais en ces lieux vous presser à genoux
De m’abandonner seule, et de suivre un époux,
Puis-je encor mériter vos fureurs inquiètes ?
Que vous faut-il ? parlez, cruelle que vous êtes.
Quel fruit recueillez-vous de toutes vos erreurs ?
Et qui peut contre moi vous irriter ?
ZULIME.
Vos pleurs,
Votre attendrissement, votre excès de courage,
Votre crainte pour lui, vos yeux, votre langage,
Vos charmes, mon malheur, et mes transports jaloux,
Tout m’irrite, cruelle, et m’arme contre vous.
Vous avez mérité que Ramire vous aime ;
Vous me forcez enfin d’immoler pour vous-même
Et l’amour paternel, et l’honneur de mes jours.
Je vous sers, vous, madame, il le faut, et j’y cours ;
Mais vous me répondrez...
ATIDE.
Ah ! c’en est trop, barbare !
Eh bien ! j’aime Ramire : oui, je vous le déclare ;
Je l’aime, je le cède, et vous vous indignez !
J’ai sauvé votre amant, et vous vous en plaignez !
Quel temps pour les fureurs de votre jalousie !
Quel temps pour le reproche ! il s’agit de sa vie.
Je jure ici par lui, par ce commun effroi,
J’en atteste le jour, ce jour que je vous doi,
Que vous n’aurez jamais à redouter Atide.
Ne vous figurez pas que ma douleur timide
S’exhale en vains serments qu’arrache le danger ;
Je jure encor ce ciel, lent à nous protéger,
Que s’il me permettait de délivrer Ramire,
S’il osait me donner son cœur et son empire,
Si du plus tendre amour il écoutait l’erreur,
Je vous sacrifierais son empire et son cœur.
Conservez-le à ce prix, au prix de mon sang même.
Que voulez-vous de plus, s’il vit et s’il vous aime ?
Je ne dispute rien, madame, à votre amour,
Non, pas même l’honneur de lui sauver le jour.
Vous en aurez la gloire, ayez-en l’avantage.
ZULIME.
Non, je ne vous crois point : je vois tout mon outrage ;
Je vois jusqu’en vos pleurs un triomphe odieux ;
La douceur d’être aimée éclate dans vos yeux.
Mais cessez de prétendre au superbe partage,
À l’honneur insultant d’exciter mon courage ;
Ce courage, intrépide autant qu’il est jaloux,
Pour braver cent trépas n’a pas besoin de vous.
Suivez-moi seulement ; je vous ferai connaître
Que je sais tout tenter, et même pour un traître.
Je devrais l’oublier, je devrais le punir,
Et je cours le sauver, le venger, ou périr.
Sérame, quelle horreur a glacé ton visage ?
Scène VII
ZULIME, ATIDE, SÉRAME
SÉRAME.
Madame, il faut du sort dévorer tout l’outrage,
Il faut d’un cœur soumis souffrir ce coup affreux.
Vainement Mohadir, sensible et généreux,
Du coupable Ramire a demandé la grâce ;
Tous les chefs, irrités de sa perfide audace,
L’ont condamné, madame, à ces tourments cruels
Réservés en ces lieux pour les grands criminels,
Il vous faut oublier jusqu’au nom de Ramire.
ZULIME.
Il ne mourra pas seul, et devant qu’il expire...
SÉRAME.
Madame, ah ! gardez-vous d’un téméraire effort !
ATIDE.
Vous l’abandonneriez à cette indigne mort ?
Oublieriez-vous ainsi la grandeur de votre âme ?
ZULIME.
Je préviens vos conseils, n’en doutez point, madame ;
Ne les prodiguez plus. Et toi, nature, et toi,
Droits éternels du sang, toujours sacrés pour moi,
Dans cet égarement dont la fureur m’anime,
Soutenez bien mon cœur, et gardez-moi d’un crime !
ACTE V
Scène première
BÉNASSAR, MOHADIR
MOHADIR.
Ce dernier trait, sans doute, est le plus criminel.
Je sens le désespoir de ce cœur paternel :
Je partage en pleurant son trouble et sa colère.
Mais vous avez toujours des entrailles de père,
Et tous les attentats de ce funeste jour
Ne sont qu’un même crime, et ce crime est l’amour,
Dans son aveuglement Zulime ensevelie
Mérite d’être plainte encor plus que punie ;
Et si votre bonté parlait à votre cœur...
BÉNASSAR.
Ma bonté fit son crime et fît tout mon malheur.
Je me reproche assez mon excès d’indulgence ;
Ciel ! tu m’en as donné l’horrible récompense.
Ma fille était l’idole à qui mon amitié,
Cette amitié fatale a tout sacrifié.
Je lui tendais les bras quand sa main ennemie
Me plongeait au tombeau chargé d’ignominie.
Ah ! l’homme inexorable est le seul respecté :
Si j’eusse été cruel, on eût moins attenté.
La dureté de cœur est le frein légitime
Qui peut épouvanter l’insolence et le crime.
Ma facile tendresse enhardit aux forfaits :
Le temps de la clémence est passé pour jamais.
Je vais, en punissant leurs fureurs insensées,
Égaler ma justice à mes bontés passées.
MOHADIR.
Je frémis comme vous de tous ces attentats
Que l’amour fait commettre en nos brûlants climats.
En tout lieu dangereux, il est ici terrible ;
Il rend plus furieux, plus on est né sensible.
Ramire cependant, à ses erreurs livré,
De leurs cruels poisons semble moins enivré :
Vous-même l’avez dit, et j’ose le redire,
Que ce même ennemi, ce malheureux Ramire,
Est celui dont le bras vous avait défendu ;
Qu’il n’a point aujourd’hui démenti sa vertu ;
Que vous l’avez vu même, en ce combat horrible,
Dans ces moments cruels où l’homme est inflexible,
Où les yeux, les esprits, les sens sont égarés,
Détourner loin de vous ses coups désespérés,
Respecter votre sang, vous sauver, vous défendre,
Et d’un bras assuré, d’un cri terrible et tendre,
Arrêter, désarmer ses amis emportés,
Qui levaient contre vous leurs bras ensanglantés.
Oui, j’ai vu le moment où, malgré sa colère,
Il semblait en effet combattre pour son père.
BÉNASSAR.
Ah ! que n’a-t-il plutôt dans ce malheureux flanc
Recherché de ses mains le reste de mon sang !
Que ne l’a-t-il versé, puisqu’il le déshonore !
Mais ma cruelle fille est plus coupable encore.
Ce cœur, en un seul jour à jamais égaré,
Est hardi dans sa honte, est faux, dénaturé ;
Et, se précipitant d’abymes en abymes,
Elle a contre son père accumulé les crimes.
Que dis-je ! au moment même où tu viens en son nom
De tant d’iniquités implorer le pardon,
Son amour furieux la fait courir aux armes.
Les suborneurs appas de ses trompeuses larmes
Ont séduit les soldats à sa garde commis ;
Sa voix a rassemblé ses perfides amis.
Elle vient m’arracher son indigne conquête ;
Les armes dans les mains, elle marche à leur tête.
Cet amour insensé ne connaît plus de frein ;
Zulime contre un père ose lever sa main !
Au comble de l’outrage on joint le parricide !
Ah ! courons, et nous-même immolons la perfide.
Scène II
BÉNASSAR, ZULIME, suivie de ses soldats dans l’enfoncement, MOHADIR, SUITE
ZULIME, les armes à la main, et jetant ses armes.
Non, n’allez pas plus loin, frappez ; et vous, soldats,
Laissez périr Zulime, et ne la vengez pas.
Il suffit : votre zèle a servi mon audace.
J’ai mérité la mort, méritez votre grâce.
Sortez, dis-je.
BÉNASSAR.
Ah, cruelle ! est-ce toi que je voi ?
ZULIME.
Pour la dernière fois, seigneur, écoutez-moi.
Oui, cette fille indigne, et de crime enivrée,
Vient d’armer contre vous sa main désespérée :
J’allais vous arracher, au péril de vos jours,
Ce déplorable objet de mes cruels amours.
Oui, toutes les fureurs ont embrasé Zulime ;
La nature en tremblait ; mais je volais au crime.
Je vous vois ; un regard a détruit mes fureurs ;
Le fer m’est échappé ; je n’ai plus que des pleurs ;
Et ce cœur, tout brûlant d’amour et de colère,
Tout forcené qu’il est, voit un dieu dans son père.
Que ce dieu tonne enfin, qu’il frappe de ses coups
L’objet, le seul objet d’un si juste courroux.
Faut-il pour mes forfaits que Ramire périsse ?
Ah ! peut-être il est loin d’en être le complice ;
Peut-être, pour combler l’horreur où je me voi,
Si Ramire est un traître, il ne l’est qu’envers moi.
Étouffez dans mon sang ce doute que j’abhorre,
Qui déchire mes sens, qui vous outrage encore.
J’idolâtre Ramire, et je ne puis, seigneur,
Vivre un moment sans lui, ni vivre sans honneur.
J’ai perdu mon amant, et mon père, et ma gloire :
Perdez de tant d’erreurs la honteuse mémoire ;
Arrachez-moi ce cœur que vous m’avez donné,
De tous les cœurs, hélas ! le plus infortuné.
Je baise cette main dont il faut que j’expire ;
Mais, pour prix de mon sang, pardonnez à Ramire ;
Ayez cette pitié pour mon dernier moment,
Et qu’au moins votre fille expire en vous aimant.
BÉNASSAR.
Ô ciel qui l’entendez ! ô faiblesse d’un père !
Quoi ! ses pleurs à ce point fléchiraient ma colère ?
Me faudra-t-il les perdre, ou les sauver tous deux ?
Faut-il, dans mon courroux, faire trois malheureux ?
Ciel, prête tes clartés à mon âme attendrie !
L’une est ma fille, hélas ! l’autre a sauvé ma vie ;
La mort, la seule mort peut briser leurs liens.
Gardes, que l’on m’amène et Ramire et les siens.
MOHADIR.
Seigneur, vous la voyez à vos pieds éperdue,
Soumise, désarmée, à vos ordres rendue :
Vous l’avez trop aimée, hélas ! pour la punir.
Mais on conduit Ramire, et je le vois venir.
Scène III
BÉNASSAR, ZULIME, ATIDE, RAMIRE, MOHADIR, SUITE
RAMIRE, enchaîné.
Achève de m’ôter cette vie importune.
Depuis que je suis né, trahi par la fortune,
Sorti du sang des rois, j’ai vécu dans les fers ;
Et je meurs en coupable au fond de ces déserts :
Mais de mon triste état l’outrage et la bassesse
N’ont point de mon courage avili la noblesse :
Ce cœur impénétrable aux coups qui l’ont frappé,
Ne t’ayant jamais craint, ne t’a jamais trompé.
Pour otage en tes mains je remettais Atide.
Ni son cœur ni le mien ne peut être perfide.
Va, Ramire était loin de te manquer de foi ;
Bénassar, nos serments m’étaient plus chers qu’à toi ;
Je sentais tes chagrins, j’effaçais ton injure ;
De ce cœur paternel je fermais la blessure.
Tout était réparé. Mes funestes destins
Ont tourné contre moi mes innocents desseins.
Tu m’as trop mal connu, c’est ta seule injustice :
Que ce soit la dernière, et que dans mon supplice
Des cœurs pleins de vertus ne soient point entraînés.
BÉNASSAR.
Le ciel à d’autres soins nous a tous destinés.
Je devrais te haïr : tu me forces, Ramire,
À reconnaître en toi des vertus que j’admire.
Je n’ai point oublié tes services passés ;
Et quoique par ton crime ils fussent effacés,
J’ai trop vu, malgré moi, dans ce combat funeste,
Que de ce sang glacé tu respectais le reste.
Un amour emporté, source de nos malheurs,
Plus fort que mes bontés, plus puissant que mes pleurs,
M’arracha par tes mains et ma gloire et ma fille :
C’est par toi que mon nom, mon état, ma famille,
Sont accablés de honte ; et, pour comble d’horreur
Il faut verser mon sang pour venger mon honneur.
Après l’horrible éclat d’une amour effrénée,
Il ne reste qu’un choix, la mort ou l’hyménée.
Je dois tous deux vous perdre, ou la mettre en tes bras.
Sois son époux, Ramire, et règne en mes états.
RAMIRE.
Moi ?
ZULIME.
Mon père !
ATIDE.
Ah, grand Dieu !
BÉNASSAR.
Souvent dans nos provinces
On a vu nos émirs unis avec nos princes ;
L’intérêt de l’état l’emporta sur la loi ;
Et tous les intérêts parlent ici pour toi.
J’ai besoin d’un appui, combats pour nous défendre ;
Vis pour elle et pour moi ; sois mon fils, sois mon gendre.
ZULIME.
Ah, seigneur ! ah, Ramire ! ah, jour de mon bonheur !
ATIDE.
Ô jour affreux pour tous !
RAMIRE.
Vous me voyez, seigneur,
Accablé de surprise, et confus d’une grâce
Qui ne semblait pas due à ma coupable audace.
Votre fille sans doute est d’un prix à mes yeux
Au dessus des états conquis par mes aïeux :
Mais, pour combler nos maux, apprenez l’un et l’autre
Le secret de ma vie, et mon sort, et le vôtre.
Quand Zulime a daigné, par un si noble effort,
Sauver Atide et moi des fers et de la mort,
Idamore, un ami qu’aveuglait trop de zèle,
Séduisait sa pitié qui la rend criminelle.
Il promettait mon cœur, il promettait ma foi ;
Il n’en était plus temps, je n’étais plus à moi ;
Le ciel mit entre nous d’éternelles barrières.
En vain j’adore en vous le plus tendre des pères,
En vain vous m’accablez de gloire et de bienfaits,
Je ne puis réparer les malheurs que j’ai faits.
Madame, ainsi le veut la fortune jalouse.
Vengez-vous sur moi seul, Atide est mon épouse.
ZULIME.
Ton épouse ? perfide !
RAMIRE.
Élevés dans vos fers,
Nos yeux sur nos malheurs à peine étaient ouverts,
Quand son père, unissant notre espoir et nos larmes,
Attacha pour jamais mes destins à ses charmes.
Lui-même a resserré dans ses derniers moments
Ces nœuds chers et sacrés, préparés dès longtemps ;
Et la loi du secret nous était imposée.
ZULIME.
Ton épouse ! à ce point ils m’auraient abusée !
Ils auront triomphé de ma crédulité !
Seigneur, à vos bienfaits ils auront insulté !
Vous souffrirez qu’Atide, à ma honte, jouisse
Du fruit de tant d’audace et de tant d’artifice ?
Vengez-moi, vengez-vous de ses traîtres appas,
De cet affreux tissu de fourbes, d’attentats.
Les cruels ont nourri mes feux illégitimes.
Mon heureuse rivale a commis tous mes crimes :
Vous ne punissez pas cet objet odieux ?
ATIDE.
Vous devez me punir : mais connaissez-moi mieux ;
Avant de me haïr, entendez ma réponse.
Votre père est présent ; qu’il juge, et qu’il prononce.
ZULIME.
Ô ciel !
ATIDE.
Ramire et moi, seigneur, si nous vivons,
C’est votre auguste fille à qui nous le devons.
À Zulime.
Je l’avoue à vos pieds : et moi, pour récompense,
Je vous coûte à la fois la gloire et l’innocence.
Trahissant l’amitié, combattant vos attraits,
Je m’armais contre vous de vos propres bienfaits :
J’arrachais de vos bras, j’enlevais à vos charmes
L’objet de tant de soins, le prix de tant de larmes :
Et lorsque vous sortez de ce gouffre d’horreur,
Ma main vous y replonge, et vous perce le cœur.
Tout semble s’élever contre ma perfidie :
Mais j’aimais comme vous ; ce mot me justifie ;
Et d’un lien sacré l’invincible pouvoir
Accrut cet amour même, et m’en fit un devoir.
Il faut dire encor plus ; vous le savez, on m’aime.
Mais malgré mon hymen, et malgré l’amour même,
Je vous immolai tout ; je vous ai fait serment,
Ce jour même, en ces lieux, de céder mon amant ;
J’ai promis de servir votre fatale flamme :
Le serment est affreux, vous le sentez, madame !
Renoncer à Ramire, et le voir en vos bras,
C’est un effort trop grand, vous ne l’espérez pas :
Mais je vous ai juré d’immoler ma tendresse ;
Il n’est qu’un seul moyen de tenir ma promesse,
Il n’est qu’un seul moyen de céder mon époux,
Le voici.
Elle tire un poignard pour se tuer.
RAMIRE, la désarmant avec Zulime.
Chère Atide !
ZULIME, se saisissant du poignard.
Ô ciel ! que faites-vous ?
BÉNASSAR.
Hélas ! vivez pour lui.
ZULIME.
Suis-je assez confondue ?
Tu l’emportes, cruelle, et Zulime est vaincue.
Oui, je le suis en tout. J’avoue avec horreur
Que ma rivale enfin mérite son bonheur.
À Atide.
J’admire en périssant jusqu’à ton amour même :
C’est à moi de mourir, puisque c’est toi qu’on aime.
À Ramire et à Atide.
Eh bien ! soyez unis ; eh bien ! soyez heureux
Aux dépens de ma vie, aux dépens de mes feux.
Éloignez-vous, fuyez, dérobez à ma vue
Ce spectacle effrayant d’un bonheur qui me tue.
Votre joie est horrible, et je ne puis la voir :
Fuyez, craignez encor Zulime au désespoir.
Mon père, ayez pitié du moment qui me reste ;
Sauvez mes yeux mourants d’un spectacle funeste.
Elle tombe sur sa confidente.
ATIDE.
Nos deux cœurs sont à vous.
RAMIRE.
Vivez sans nous haïr.
ZULIME.
Moi, te haïr, cruel ! ah ! laisse-moi mourir !
Va, laisse-moi.
BÉNASSAR.
Ma fille, objet funeste et tendre,
Mérite enfin les pleurs que tu nous fais répandre.
ZULIME.
Mon père, par pitié, n’approchez point de moi.
J’abjure un lâche amour ; il triompha de moi :
Hélas ! vous n’aurez plus de reproche à me faire.
BÉNASSAR.
Mon amitié t’attend, mon cœur s’ouvre.
ZULIME.
Ô mon père !
J’en suis indigne.
Elle se frappe.
BÉNASSAR.
Ô ciel !
RAMIRE et ATIDE.
Zulime ! ô désespoir !
BÉNASSAR.
Ah, ma fille !
ZULIME.
À la fin j’ai rempli mou devoir.
Je l’aurais dû plus tôt... Pardonnez à Zulime...
Souvenez-vous de moi ; mais oubliez mon crime.
VARIANTES
DE LA TRAGÉDIE DE ZULIME ÉDITION DE 1761
ACTE I
Scène première
...
ZULIME.
Je l’outrage et je l’aime, il est assez vengé.
Je ne demande point le pardon de mon crime.
Puisse-t-il oublier jusqu’au nom de Zulime !
MOHADIR.
Noble et cher rejeton des héros et des rois,
Quel ordre imposez-vous à ma tremblante voix ?
Faudra-t-il rapporter des réponses si dures ?
D’un cœur désespéré déclin er les blessures ?
Irai-je empoisonner ses chagrins paternels ?
ZULIME.
Épargne, épargne-moi ses reproches cruels :
Je ne m’en fais que trop. Coupable, mais sincère,
Ma douleur est égale aux douleurs de mon père.
MOHADIR.
Et vous l’abandonnez !
ZULIME.
Que dis-tu ?
MOHADIR.
Ses soldats,
Par vous-même séduits, ont donc guidé vos pas ?
Nos captifs espagnols, ce prix de son courage,
Dont jadis la victoire avait fait son partage,
Ces trésors des héros, vous les lui ravissez !
Vous l’aimez ? vous, madame ! et vous le trahissez !
Pressé de tous côtés dans ces troubles funestes,
Qui de son faible état ont déchiré les restes,
Redoutant à la fois et les Européans,
Et les divisions des tristes Musulmans,
Opprimé de l’Égypte et craignant la Castille,
Faut-il qu’il ait encore à combattre sa fille ?
ZULIME.
Me préserve le ciel de m’armer contre lui !
MOHADIR.
De sa triste vieillesse unique et cher appui,
Pourquoi donc fuyez-vous le père le plus tendre,
Qui pour vous de son trône était prêt à descendre ;
Qui, vous laissant le choix de tant de souverains,
De son sceptre avec joie allait orner vos mains ?
Hélas ! si la vertu, si la gloire vous guide...
Mais il n’appartient point à ma bouche timide
D’oser d’un tel reproche affliger vos appas.
Mes conseils autrefois ne vous révoltaient pas ;
Cette voix d’un vieillard qui sauva votre enfance,
Flattait de votre cœur la docile indulgence ;
Et Bénassar encore espérait aujourd’hui
Que mes soins plus heureux pourraient vous rendre à lui.
Ah, princesse ! ordonnez, que faut-il que j’annonce ?
ZULIME.
Porte-lui mes soupirs et mes pleurs pour réponse.
Mon destin que je hais me force à l’outrager ;
Mes remords sont affreux, mais je ne puis changer.
Pars ; adieu, c’en est fait.
MOHADIR.
Hélas ! je vais peut-être
Porter les derniers coups au sein qui vous fit naître.
Scène II
ZULIME.
Ah ! je succombe, Atide, et ce cœur désolé
Cède aux tourments honteux dont il est accablé.
Tu sais ce que j’ai fait et ce que je redoute ;
Tu vois ce que Ramire et mon penchant me coûte.
L’amour qui me conduit sur ces funestes bords
Ne m’a fait jusqu’ici sentir que des remords.
Je ne me cache point ma honte et mon parjure ;
J’outrage mes aïeux, j’offense la nature :
Mais Ramire expirait, et vous alliez périr ;
Quoi qu’il en ait coûté, j’ai dû vous secourir.
Le fier Égyptien, dont l’orgueil téméraire
Domine insolemment dans l’état de mon père,
Sur Ramire et sur vous était prêt à venger
Nos soldats qu’à Valence on venait d’égorger.
Des nations, dit-on, tel est le droit horrible.
La vengeance parlait ; mon père, en vain sensible,
Laissait bientôt ployer sa faible autorité
Sous le poids malheureux de ce droit détesté.
Les autels et les lois demandaient votre vie :
Vous savez si la mienne à la vôtre est unie !
L’amitié dont mon cœur au vôtre était lié,
L’amour, plus fort que tout, plus grand que l’amitié ;
Votre danger, ma crainte, hélas ! si l’on m’accuse,
Voilà tous mes forfaits, mais voilà mon excuse.
Si j’ai trahi mon père et quitté ses états,
Ciel qui me connaissez, ne m’en punissez pas !
ATIDE.
...
...
Mais Ramire en est digne, il pourra désormais
Payer d’un digne prix vos augustes bienfaits.
Son destin chez les siens l’appelle au rang suprême ;
Et puisque vous l’aimez...
ZULIME.
Atide, si je l’aime !
Tu ne l’ignorais pas : t’ai-je jamais caché
Les secrets de ce cœur que lui seul a touché ?
Je corrigeai le sort qui te fît ma captive ;
Tu sais si j’enhardis ton amitié craintive ;
Si, fuyant de mon rang la dure austérité,
Ma tendresse entre nous remit l’égalité.
Nos cœurs se confondaient ; tu vis naître en mon âme
Les traits mal démêlés de ma secrète flamme.
Ton œil vit avant moi de tant d’égarements
La première étincelle et les embrassements.
Que n’eussé-je point fait pour conserver Ramire !
J’abandonne pour lui,
Etc.
...
...
J’ai tort, je te l’avoue : il a dû s’écarter.
Mais pourquoi si longtemps se plaire à m’éviter ?
Je ne l’accuse point, mais mon cœur en murmure.
ATIDE.
Je sais trop qu’un conseil est souvent une injure ;
Mais n’est-il point permis de vous représenter
Que sur ces bords affreux, qu’il est temps de quitter,
Tant d’amour, tant de crainte et de délicatesse
Conviennent mal peut-être au péril qui nous presse :
Qu’un moment peut nous perdre et ravir tout le prix
De tant d’heureux travaux par l’amour entrepris :
Qu’entre cet océan, ces rochers et l’armée,
Ce jour, ce même jour peut vous voir enfermée ;
Et que de tant d’amour un cœur toujours troublé,
Sur ses vrais intérêts est souvent aveuglé ?
Scène III
RAMIRE.
...
...
Vont nous conduire aux bords si longtemps souhaités.
J’ai vu de ces rochers, dont la cime élevée
Commande à ces deux mers dont l’Europe est lavée,
Un vaisseau que les vents font voler vers ces lieux.
Les pavillons d’Espagne éclataient à mes yeux.
Bientôt l’heureux reflux des mers obéissantes
Apportera vers lui nos dépouilles flottantes.
Une barque légère est auprès de ces bords ;
Mes mains la chargeront de nos plus chers trésors.
À Zulime.
Vous y serez, Atide... Et vous, princesse auguste,
Vous dont la seule main changea le sort injuste,
Vous par qui nos captifs ne portent désormais
Que les heureux liens formés par vos bienfaits...
Quoi ! vos yeux, à ma voix, semblent mouillés de larmes !
ZULIME.
Dans de pareils moments on n’est point sans alarmes,
Etc.
...
...
RAMIRE.
Que mes jours immolés à votre sûreté...
ZULIME.
Conservez-les, cher prince, ils m’ont assez couté !
Mais quels discours, grands dieux, que je ne puis comprendre !
Pourquoi me parlez-vous de sang prêt à répandre ?
Est-ce ainsi que mon cœur doit être rassuré ?
ATIDE.
Eh, madame ! à quels soins votre amour est livré !
Prête à voir avec vous les rives de Valence,
Contre le sort jaloux faut-il d’autre assurance ?
Parlons, dérobons-nous aux peuples irrités
Qui poursuivent sur nous l’excès de vos bontés.
Scène V
ATIDE.
...
Ah ! le mien m’est témoin que l’on doit vous aimer.
Peut-être cet amour nous sera bien funeste ;
Mais vivez, mais régnez ; le ciel fera le reste :
Fermez les yeux, cher prince, aux pleurs que je répands.
RAMIRE.
Je ne vois que ces pleurs, ils font tous mes tourments.
Tous trois pleins de remords et punis l’un par l’autre,
J’ai causé malgré moi son malheur et le vôtre.
Je vais...
ATIDE.
Ah ! demeurez. Quel est ce bruit affreux ?
RAMIRE.
Il m’annonce du moins des combats moins honteux.
C’est l’ennemi sans doute, et je vole à la gloire.
Adieu.
ATIDE.
Je vous suivrai ; la chute ou la victoire,
Les fers ou le trépas, je sais tout partager :
Et je vous aime trop pour craindre le danger.
ACTE II
Scène première
IDAMORE.
...
Envers les siens coupable, envers vous innocente,
Je sais combien de lois et combien de raisons
Ont banni l’alliance entre vos deux maisons.
Plus puissant que les lois, le préjugé sépare
Les peuples de l’Espagne et ce peuple barbare.
Mais d’une loi plus juste entendez mieux la voix ;
Que tout préjugé cède à l’intérêt des rois :
Que vous, l’état, Atide...
RAMIRE.
Arrêtez, Idamore.
Faut-il pour vivre heureux que je me déshonore ?
Et le trône et la vie ont-ils donc tant d’appas ?
IDAMORE.
Vous vous trompez, seigneur, et ne m’entendez pas.
Quel est donc cet opprobre, et quel est donc le crime
De payer dignement les bontés de Zulime ?
Vos jours à la servir doivent se consacrer,
Et l’oubli des bienfaits peut seul déshonorer.
RAMIRE.
Je le sais comme toi, juge de mes supplices.
Le premier des liens est celui des services ;
C’est celui d’un cœur juste ; et malgré tous mes feux,
Celui de l’amour même est moins fort à mes yeux.
Mais tu sais quels saints nœuds ont enchaîné ma vie,
Quels serments j’ai formés, quel tendre hymen me lie.
Que je rentre à jamais aux fers où je suis né,
Tombe en cendre le trône où je suis destiné,
Si je trahis jamais la malheureuse Atide !
Mais aussi que la foudre écrase le perfide,
Que je sois en horreur aux siècles à venir,
S’il faut tromper Zulime et s’il faut la trahir !
IDAMORE.
Ah, seigneur ! croyez-moi, son erreur est trop chère :
N’arrachez point un voile à tous trois nécessaire :
Il n’est de malheureux que les cœurs détrompés.
D’un jour trop odieux ses yeux seraient frappés :
Cessez...
RAMIRE.
Ah ! fallait-il que ta funeste adresse
De Zulime à ce point égarât la faiblesse ?
Fallait-il lui promettre et ma main et mon cœur ?
Ils n’étaient point à moi, tu m’as perdu d’honneur.
IDAMORE.
C’est moi qui vous sauvai, vous, Atide et Valence.
Un trône vous appelle, et votre esprit balance !
Et d’un vain repentir vous écoutez la voix !
RAMIRE.
J’écoute mon devoir.
IDAMORE.
Il est celui des rois.
RAMIRE.
Je suis bien loin de l’être ; et c’est un triste augure
D’être esclave en Afrique et d’en fuir en parjure.
IDAMORE.
Feignez un jour du moins.
RAMIRE.
C’en est trop pour mon cœur.
Avec ses ennemis on feint sans déshonneur ;
Mais tromper une femme et tendre et magnanime,
L’entraîner dans le piège et la conduire au crime ;
De ce crime si cher la punir de ma main,
M’armer de ses bienfaits pour lui percer le sein ;
Prendre à la fois les noms de monarque et de traître...
IDAMORE.
Dans vos états rendu, seigneur, vous serez maître :
Vous pourrez accorder l’intérêt, la grandeur,
Et la reconnaissance, et l’amour, et l’honneur.
Remettez à ce temps, plus sûr et plus tranquille,
De ces droits délicats l’examen difficile.
Lorsque vous serez roi, jugez et décidez :
Ici Zulime règne, et vous en dépendez.
RAMIRE.
Elle est ma bienfaitrice ; il me faudra la craindre !
M’avilir par frayeur à la honte de feindre !
Je la respecte trop ; un cœur tel que le mien
Lui tiendra sa parole, ou ne promettra rien,
Etc.
Scène II
ZULIME.
...
Mettons près des humains ma gloire en sûreté,
Et du Dieu qui m’entend méritons la bonté.
Eh quoi ! vous soupirez ! Quel trouble vous agite ?
RAMIRE.
Pleine de vos bontés mon âme est interdite.
Je suis un malheureux, destiné désormais
À d’éternels chagrins plus grands que vos bienfaits.
...
...
...Tout nous unit, mais le ciel nous divise.
Ignorez-vous les lois où l’Espagne est soumise ?
ZULIME.
Je ne crains point ces lois : leur triste dureté
Cède aux rois, à l’amour, à la nécessité.
Des plus austères lois que puis-je avoir à craindre ?
Si nos droits sont sacrés, qui pourrait les enfreindre ?
Quels sont donc les humains qui peuplent vos états ?
Ont-ils fait quelques lois pour former des ingrats ?
RAMIRE.
Je suis loin d’être ingrat, et mon cœur ne peut l’être.
ZULIME.
Sans doute.
RAMIRE.
Mais le sang dont le ciel nous fit naître
Mit entre nos aïeux, entre nos nations,
Tant de mépris, de haine et de divisions !
Mon peuple avec dépit verrait parmi ses reines
La fille des tyrans dont il reçut des chaînes.
ZULIME.
Votre peuple verra sans haine et sans effroi
Cette main qui brisa les chaînes de son roi.
RAMIRE.
Oui, vous adoucirez leur courage inflexible.
Quel cœur à vos vertus pourrait être insensible ?
Mais malgré ces vertus, malgré tant de liens,
Malgré les vœux du peuple unis avec les miens,
Il est une barrière invincible, éternelle...
ZULIME.
Vous m’arrachez le cœur : achevez, quelle est-elle ?
RAMIRE.
C’est la religion, la première des lois,
Souveraine immortelle et du peuple et des rois.
Ce puissant Mahomet, auteur de votre race,
De la moitié du monde a pu changer la face ;
De l’Inde au mont Atlas il est presque adoré ;
Mais chez nos nations son culte est abhorré.
De nos autels jaloux l’inflexible puissance
Entre Zulime et moi proscrit toute alliance.
ZULIME.
Je t’entends, cher Ramire,
Etc.
Scène IV
ZULIME.
...
Il n’est plus de retour pour moi dans ma patrie.
Je n’ose vous prier de pardonner mon choix,
D’excuser un hymen condamné par nos lois,
D’accepter un héros, un souverain pour gendre,
Dont l’alliance un jour...
BÉNASSAR.
Je ne veux plus t’entendre,
Etc.
ACTE II
Scène première
ZULIME.
Hélas ! m’assurez-vous qu’il réponde à mes vœux
Comme il le doit, Atide, et comme je le veux.
ATIDE.
De notre prompt départ tonte entière occupée,
Lorsque de nos frayeurs mon âme possédée
Soupire après l’Espagne et des climats plus doux ;
Quand je me vois peut-être à plaindre autant que vous,
Que puis-je vous répondre, et comment puis-je lire
Dans les secrets du cœur du malheureux Ramire ?
Il est à vos bontés enchaîné pour jamais.
ZULIME.
Son cœur semble accablé du poids de mes bienfaits.
Je lui parlais d’hymen...
ATIDE.
Mais, madame...
ZULIME.
Et Ramire
Osait bien me parler des lois de son empire !
Il était maitre assez de ses vœux amoureux,
Pour voir en ma présence un obstacle a mes feux !
Ma tendresse un moment s’est sentie alarmée :
Chère Atide ! est-ce ainsi que je dois être aimée ?
Atide, il me trahit s’il ne m’adore pas,
S’il pense à la grandeur autant qu’a mes appas ;
Si de quelque intérêt son âme est occupée,
Si je n’y suis pas seule, Atide, il m’a trompée.
ATIDE.
Il ne vous trompe point : tant d’amour, tant d’appas,
Tant d’amitié surtout ne feront point d ingrats.
Scène II
ZULIME, ATIDE, RAMIRE
ATIDE.
Venez, prince, il est temps qu’un aveu légitime
Efface devant moi les soupçons de Zulime.
Seigneur, immolez tout, quoi qu’il puisse en coûter.
Ses bienfaits sont trop grands, il les faut mériter.
Votre devoir...
RAMIRE.
Madame, en ce moment funeste,
Mon devoir est de vaincre et d’oublier le reste.
Votre père à grands cris appelle ses soldats,
Je viens pour vous sauver ; volez, suivez mes pas.
Déjà quelques guerriers, qui devaient vous défendre,
Aux pleurs de Bénassar étaient prêts à se rendre ;
Honteux de vous prêter un sacrilège appui,
Leurs fronts, en rougissant, s’abaissaient devant lui.
Ne perdons point de temps, courez vers le rivage ;
Je puis avec les miens défendre le passage.
Déjà des matelots entendez les clameurs ;
Venez, ne craignez rien de vos persécuteurs.
ZULIME.
Moi, craindre ? Ah ! c’est pour vous que j’ai connu la crainte !
Croyez-moi : je commande encor dans cette enceinte ;
La porte de la mer ne s’ouvre qu’à ma voix.
Voyons mon père au moins pour la dernière fois.
Apprenez à mon père, à l’Afrique jalouse,
Que je fais mon devoir en partant votre épouse.
RAMIRE.
Eh ! pouvez-vous, madame, en ces moments d’horreur,
D’un amour qu’il déteste écouter la douceur ?
Si le ciel qui m’entend me rend mon héritage,
Valence est à vos pieds : je ne puis davantage ;
Et je ne réponds point...
ZULIME.
Ciel ! qu’est-ce que j’entends ?
De quelle bouche, hélas ! en quels lieux ! dans quel temps !
Pour m’éclaircir un doute à tous deux si funeste,
Ramire, attendais-tu qu’immolant tout le reste,
Perfide à ma patrie, à mon père, à mon roi,
Je n’eusse en ces climats d’autre maître que toi ?
Sur ces rochers déserts, hélas, m’as-tu conduite
Pour traîner en Europe une esclave à ta suite ?
RAMIRE.
Je vous y mène en reine ; et mon peuple à genoux,
En imitant son roi, fléchira devant vous.
ZULIME.
Ton peuple, tes respects ! quel prix de ma tendresse !
Va, périssent les noms de reine, de princesse !
Le nom de ton épouse est le seul qui m’est dû ;
Le seul qui me rendrait l’honneur que j’ai perdu ;
Le seul que je voulais. Ah ! barbare que j’aime,
Peux-tu me proposer d’autre prix que toi-même ?
...
...
...
Triste et soudain effet, où j’aurais dû penser,
Des malédictions qu’on vient de prononcer.
Loin de me rassurer, tu gardes le silence !
Est-ce confusion, repentir, innocence ?
Ramire, Atide, eh quoi ! vous détournez les yeux !
Vous, pour qui j’ai tout fait, me trompez-vous tous deux ?
Je te rends grâce, ô ciel ! dont la main salutaire
Au devant de mon crime a fait courir mon père,
Un père que pour eux j’avais déshonoré,
Et qui n’a pu haïr ce cœur dénaturé.
Du devoir, il est vrai, la barrière est franchie,
Etc.
Scène III
(Et la quatrième de l’édition de 1775.)
ATIDE.
...
Mon cœur vous idolâtre... et je renonce à vous...
RAMIRE.
Vous, Atide !
ATIDE.
Acceptez ce fatal sacrifice ;
Zulime en est trop digne, et je me rends justice.
Vous devez à ses soins la liberté, le jour ;
Zulime a tous les droits, je n’ai que mon amour.
Cet amour est pour vous le don le plus funeste :
Autant il me fut cher, autant je le déteste.
Si je vous vois partir, je bénirai mon sort :
Qu’on me rende à mes fers, qu’on me rende à la mort.
N’importe, au gré des vents fuyez sous ses auspices.
Ma rivale aura fait de moindres sacrifices :
Mes mains auront brisé de plus puissants liens,
Et mes derniers bienfaits sont au dessus des siens.
RAMIRE.
Gardez-vous de m’offrir un bienfait si barbare.
Périssent des bontés dont l’excès vous égare !
Venez, votre péril est tout ce que je vois.
ATIDE.
Non, je cours lui parler ; je le veux, je le dois.
RAMIRE.
Je ne vous quitte point.
ATIDE.
Vous vous perdez, Ramire.
Arrêtez, je l’ordonne.
RAMIRE.
Ah ! plutôt que j’expire !
Je vous suis, chère Atide.
Scène IV
RAMIRE, BÉNASSAR
BÉNASSAR.
Arrête, malheureux !
RAMIRE.
Que vois-je ! Que veux-tu ?
BÉNASSAR.
Cruel, ce que je veux !
Après les attentats de cette fuite infâme,
Quelque reste d’honneur entre-t-il dans ton âme ?
RAMIRE.
C’est à toi d’en juger quand tu vois que mon bras
Pardonne à cet outrage et ne t’en punit pas.
L’honneur est dans un cœur qui brava la misère.
BÉNASSAR.
Tu ne braves, ingrat, que les larmes d’un père ;
Ta barbarie insulte à ce cœur déchiré.
Tu pars, et cet assaut est encor différé.
J’ai craint, tu le vois trop, qu’en vengeant ma famille,
Quelque trait malheureux ne tombât sur ma fille.
Je t’avoue encor plus : sur ce triste rempart,
Mes soldats, tu le vois, arriveraient trop tard.
La mer t’ouvre ses flots pour enlever ta proie.
Eh bien ! prends donc pitié des pleurs où je me noie ;
Connais le cœur d’un père, et conçois sa douleur :
Je m’abaisse à prier jusqu’à son ravisseur.
Tu m’enlèves mon sang : ta détestable adresse
Déshonore à la fois ma fille et ma vieillesse.
Suborneur malheureux, ma funeste bonté
Adoucissait le poids de ta captivité :
Je t’aimais, et tu sais qu’aux murs de Trémizène
De mes voisins pour toi j’avais cherché la haine.
Je t’ai traité quinze ans comme mon propre fils,
J’ai protégé ton sang contre tes ennemis.
Ah ! si malgré la loi qui toujours nous sépare,
La loi des nations parle à ton cœur barbare ;
Si la mourante voix d’un père au désespoir,
Si l’horreur de ton crime a de quoi t’émouvoir ;
Sois sensible à mes pleurs plutôt qu’à ma colère :
Mes trésors sont à toi, je suis ton tributaire.
Rends-moi mon sang, rends-moi ce trésor précieux,
Sans qui pour moi la vie est un poids odieux ;
Et ne déchire point ces blessures mortelles
Qu’au plus tendre des cœur sont fait tes mains cruelles.
Tu ne me réponds rien, barbare !
RAMIRE.
Écoute-moi.
...
En la rendant aux mains d’un si vertueux père...
BÉNASSAR.
Toi, Ramire ?
RAMIRE.
Zulime est un objet sacré
Que mes profanes yeux n’ont point déshonoré.
Et si dans ton courroux je te croyais capable
D’oublier pour jamais que la fille est coupable :
Si ton cœur généreux pouvait se désarmer,
Chérir encor Zulime...
BÉNASSAR.
Ah ! si je puis l’aimer !
Que me demandes-tu ? conçois-tu bien la joie
D’un malheureux vieillard à sa douleur en proie,
À qui l’on a ravi le plus pur de son sang,
Un bien plus précieux que l’éclat de son rang,
L’unique et cher objet qui, dans cette contrée,
Soutenait de mes ans la faiblesse honorée ;
Et qui, poussant au ciel tant de cris superflus,
Reprend sa fille enfin quand il ne l’attend plus ?
Moi ne la plus chérir ! jeune et noble infidèle,
Crois les emportements d’une âme paternelle :
Crois mes serments, Ramire, et ces pleurs que tu vois.
Parmi les Africains je tiens le rang des rois :
Je le dois à sa mère, et ma chère Zulime
N’a point perdu ses droits, quel qu’ait été son crime.
Et toi, de tous mes maux, cruel mais cher auteur,
Va, Bénassar en toi ne voit qu’un bienfaiteur.
Je te crois, je me livre au transport qui m’anime.
RAMIRE.
Goûte un plaisir plus pur, et vois quelle est Zulime.
Autant que ta bonté te presse en sa faveur,
Autant la voix du sang sollicitait son cœur.
Tu coûtas plus de pleurs à son âme séduite
Que n’en coûte à les yeux sa déplorable fuite.
Le temps fera le reste, et tu verras un jour
Qu’il soutient la nature et qu’il détruit l’amour.
Entre son père et moi son âme déchirée
Dans ses sacrés devoirs sera bientôt rentrée.
Mais dis, peux-tu toi-même à ces bords ennemis
Arracher à l’instant Atide et mes amis ?
Ta fille les guidait ; peux-tu devancer l’heure ?
Nous n’avons qu’un instant.
BÉNASSAR.
J’y vole, et que je meure,
Si je n’assure ici leur départ et leurs jours.
Je vais tout disposer en ces secrets détours ;
Vers la porte du nord qui conduit au rivage
Les soldats de ma fille ont respecté mon âge :
Et déjà quelques uns, honteux de me trahir,
Se sentant mes sujets et nés pour m’obéir,
Ames pieds en secret ont demandé leur grâce.
Aux miens en un moment on peut ouvrir la place.
Mais j’attends encor plus de ton cœuret du mien ;
Mon plus cher intérêt s’unit avec le tien :
Et je ne puis te croire une âme assez cruelle
Pour abuser encor mon amour paternelle.
RAMIRE.
Je vais chercher Atide et la mettre en tes mains !
Et toi, si je trahis tes généreux desseins,
Égorge devant moi la malheureuse Atide.
Est-ce assez, Bénassar, et me crois-tu perfide ?
Quel prix plus précieux te donner de ma foi ?
Parle, es-tu satisfait ?
BÉNASSAR.
Oui, puisque je te croi :
Oui, sûr de ta parole, à toi je m’abandonne ;
Dieu voit du haut des cieux la foi que je te donne.
RAMIRE.
Adieu, reçois la mienne.
Scène V
RAMIRE, ATIDE
ATIDE.
Ah, prince ! on vous attend :
Il n’est plus de dangers, l’amour seul nous défend.
Zulime est apaisée, et tant de défiance,
De transports, de courroux, de desseins de vengeance.
Tout cède à la douceur d’un repentir profond ;
L’orage était soudain, le calme est aussi prompt.
J’ai juré d’épargner à sa douleur mortelle
Un objet malheureux qui s’immole pour elle :
J’ai promis votre amour, j’ai promis cette foi
Que vous m’aviez donnée, et qui n’est plus pour moi :
J’ai dit ce que j’ai dû pour adoucir sa rage,
Et son cœur éperdu s’en disait davantage.
L’amour attendrissait ses esprits offensés ;
Elle a mêlé ses pleurs aux pleurs que j’ai versés.
Partez, votre devoir loin de moi vous appelle :
Ce n’est qu’en me fuyant que je vous crois fidèle.
Allez, de ma rivale auguste et cher époux,
Dégager les serments qu’Atide a faits pour vous.
RAMIRE.
Venez, il faut me suivre.
ATIDE.
Ah ! courez vers Zulime :
Portez à ses genoux tout l’amour qui m’anime ;
Mais ne balancez pas, achevez à ses pieds
De terminer mes jours déjà sacrifiés.
Le temps presse.
RAMIRE.
Oui, sans doute, et le ciel me délivre
Du malheur d’être ingrat, de celui de la suivre.
Tout est changé.
ATIDE.
Seigneur !
RAMIRE.
Vous ne la craindrez plus.
ATIDE.
Que dites-vous ? Gardez de trahir vos vertus.
RAMIRE.
Si je trahis jamais l’honneur et la justice,
Dieu qui savez punir, qu’Atide me haïsse !
Venez ; à Bénassar mes mains vont vous livrer :
En otage un moment il vous faut demeurer.
J’irai trouver Zulime ; oui, j’y cours, et j’espère
Assurer son repos et celui de son père,
Mon bonheur et le vôtre, et partir votre époux.
ATIDE.
Hélas ! s’il était vrai ! je m’abandonne à vous.
ACTE IV
Scène première
RAMIRE.
Atide ne vient point, quel dieu trompeur me guide ?
C’est ici qu’en mes mains on doit remettre Atide :
Elle ne paraît point à mes yeux égarés !
Où courir ? où porter mes pas désespérés ?
Scène II
RAMIRE, IDAMORE
RAMIRE.
Qu’as-tu vu ? qu’a-t-on fait ?
IDAMORE.
Une aveugle puissance
Détruit tous vos desseins et confond l’innocence.
La fureur en ces lieux conduisit à la fois
Zulime, Atide et vous, pour vous perdre tous trois.
Le destin de Zulime était d’être trompée.
Des promesses d’Atide aveuglément frappée,
Et surtout de vos pleurs répandus à ses pieds,
De ces pleurs qu’arrachaient les maux que vous causiez.
Elle se croit aimée : elle a droit d’y prétendre.
Seigneur, jamais un cœur plus séduit et plus tendre
D’un mouvement si prompt ne parut emporté
De l’excès des terreurs à la sécurité.
Libre de ses soupçons, sans crainte de rivale,
Elle vole avec joie à la rive fatale,
Fait déployer la voile, et n’attend plus que vous,
Vous qu’elle ose appeler du nom sacré d’époux.
Son père en sait bientôt la funeste nouvelle ;
Il vous croit son complice, il veut se venger d’elle :
Il veut vous perdre, il court, et sa prompte fureur
De ses sens éperdus ranime la vigueur.
De ceux qu’il a gagnés il rassemble l’escorte ;
Il ordonne, on le suit ; il fait ouvrir la porte :
Les siens entrent en foule à pas précipités,
On se mêle, on s’égare, on fuit de tous côtés,
On combat, on n’entend que des clameurs plaintives
Au dehors, au dedans, aux portes, sur les rives.
Atide suit en pleurs le triste Bénassar ;
Vingt fois sa main sur elle a levé le poignard :
Il ne l’écoute pas, il la nomme perfide ;
Il la menace...
RAMIRE.
Ô ciel ! allons sauver Atide.
Scène III
RAMIRE, ZULIME, IDAMORE, SÉRAME
ZULIME.
Quel nom prononcez-vous ? Où portez-vous vos pas ?
Je vous appelle en vain, vous ne me voyez pas.
N’ai-je pas expié mon injuste colère ?
Vous m’aviez pardonné : puis-je encor vous déplaire ?
Au nom du tendre amour qui nous unit tous deux...
Tout est prêt...
RAMIRE.
Oubliez cet amour malheureux.
C’en est fait...
Scène IV
ZULIME, SÉRAME
ZULIME.
Il me fuit, et le jour m’abandonne !
SÉRAME.
Dans ce péril qui presse et qui vous environne,
Suivez l’heureux conseil que Ramire a donné ;
Chassez de votre cœur ce trait empoisonné.
Croyez-moi, jetez-vous entre les bras d’un père :
À son cœur éperdu sa fille est toujours chère.
Cet amour malheureux dont il aura pitié
N’égale point l’ardeur de sa tendre amitié.
Votre faiblesse enfin, de vos remords suivie,
Lui rendrait à la fois et la gloire et la vie.
ZULIME.
Je le sais, je l’avoue, il avait mérité
Et plus d’obéissance et moins de cruauté.
Je vois toute ma faute et mon ignominie.
Il ne sait point, hélas ! combien je suis punie.
Mon châtiment, Sérame, est dans mes attentats :
Je fus dénaturée, et j’ai fait des ingrats !
Ramire ingrat ! Ramire ! Au moment où mon âme
Eût pensé que mes feux n’égalaient point sa flamme ;
Quand ses yeux, d’un regard apaisant mes douleurs,
Ont arrosé mes mains des trésors de ses pleurs,
Il méditait, le lâche, un complot si perfide !
Il préparait ma mort, il adorait Atide !
Oubliez-moi, dit-il. Cœur farouche et sans foi,
Mon cœur, malgré ton ordre, est encor plein de toi !
Je ne t’oublierai point ; ma rivale adorée,
Par mes mourantes mains devant toi déchirée,
Fera voir que du moins je n’oublierai jamais,
Infidèle Ramire, à quel point je t’aimais.
SÉRAME.
Mais Atide, en effet, est-elle sa complice ?
Ne la traitez-vous pas avec trop d’injustice ?
Son cœur tranquille et simple, à vous plaire occupé,
Vous fut toujours ouvert, et n’a jamais trompé.
Elle a de vos soupçons souffert en paix l’outrage,
Elle est prête à rester sur ce fatal rivage ;
Loin de Ramire même elle veut demeurer.
ZULIME.
Ah ! de Ramire ainsi se peut-on séparer ?
Cependant il m’échappe, et ma crainte redouble.
SÉRAME.
Ah ! que je crains, madame, un plus funeste trouble !
Vous nourrissez ici d’impuissantes douleurs :
Sans doute on vous attaque ; entendez ces clameurs,
Ce bruit confus, affreux...
ZULIME.
Je n’entends point Ramire.
Peut-être on le poursuit, peut-être qu’il expire !
Il faut mourir pour lui, puisqu’il veut mon trépas.
Allons... Quoi ! l’on m’arrête ! Ah, barbares soldats !
Laissez-moi dans vos rangs me frayer un passage :
Respectez ma douleur, respectez mon courage,
Ou terminez des jours que je dois détester !
Scène V
ZULIME, MOHADIR, SÉRAME, SOLDATS
ZULIME.
Mohadir... est-ce vous qui m’osez arrêter ?
Vous...
MOHADIR.
Recevez, madame, un ordre salutaire
D’un père encor sensible à travers sa colère :
Il prend soin de vos jours, il épargne à vos yeux
D’un combat effrayant le spectacle odieux.
ZULIME.
On combat ! mon amant s’arme contre mon père !
MOHADIR.
C’est le funeste prix d’un amour téméraire.
ZULIME.
Laissez-moi l’expier s’il en est encor temps ;
Laissez-moi me jeter entre les combattants :
Après tous mes forfaits que je prévienne un crime !
Je vais les séparer, ou tomber leur victime.
Tu dédaignes mes pleurs, et je vois tout mon sort :
Je suis ta prisonnière, et mon amant est mort !
MOHADIR.
Il vit, et j’avouerai que son cœur magnanime
Semblait justifier les fautes de Zulime.
Madame, je l’ai vu, maître de son courroux,
Respecter votre père, en détourner ses coups.
Je l’ai vu des siens même arrêter la vengeance,
Et dédaigner le soin de sa propre défense.
Enfin, pressé par nous, Ramire allait périr :
Croiriez-vous quelle main vient de le secourir !
Atide, Atide même, au milieu du carnage,
D’un pas déterminé, d’un œil plein de courage,
S’élançait dans la foule, étonnait les soldats :
Sa voix et son audace ont arrêté leurs bras.
Elle seule, en un mot, vient de sauver Ramire :
Il la suit vers la rive : il marche, il se retire.
Sauvé par elle seule, il combat à ses yeux,
Et peut-être à nos mains ils échappent tous deux.
ZULIME.
Il vit : il doit le jour à d’autres qu’à moi-même !
Sérame, une autre main conserve ce que j’aime !
Et c’est Atide ! Ah, dieu ! N’importe, il voit le jour ;
Et du moins ma rivale a servi mon amour.
Quelle est heureuse, ô ciel ! Elle marche à sa suite :
Elle va partager son trépas ou sa fuite.
À Mohadir.
Je ne le puis souffrir : va, cours les arrêter
Au pied de ce vaisseau qui devait nous porter.
Mohadir, prends encor pitié de ma faiblesse ;
Si jamais tu m’aimas, et si le péril presse,
Cours aux pieds de mon père, et ne perds point de temps ;
Mesure tous tes soins à mes égarements :
Réveille sa tendresse, autrefois prodiguée,
Que dans son cœur blessé mon crime a fatiguée :
Je ne veux que le voir, je ne veux que mourir.
MOHADIR.
Je doute que son cœur puisse encor s’attendrir ;
Je vous obéirai...
ZULIME.
Si ma douleur te touche,
Fais retirer de moi cette troupe farouche.
Épargne à mes douleurs leur aspect odieux ;
Qu’ils me gardent du moins sans offenser mes yeux.
MOHADIR.
Gardes, éloignez-vous.
Scène VI
ZULIME, SÉRAME
ZULIME.
Enfin à la lumière
L’indigne trahison se montre toute entière.
SÉRAME.
Remerciez le ciel qui vous ouvre les yeux ;
Il veut vous délivrer d’un amant odieux,
Qui trouble votre vie et qui la déshonore ;
Qui vous perd, qui vous fuit, qui vous hait...
ZULIME.
Je l’adore.
Telle est dans les replis de mon cœur déchiré
La force du poison dont il est pénétré,
Que si, pour couronner sa lâche perfidie,
Ramire en me quittant eût demandé ma vie ;
S’il m’eût aux pieds d’Atide immolée en fuyant ;
S’il eût insulté même à mon dernier moment,
Je l’eusse aimé toujours ; et mes mains défaillantes
Auraient cherché ses mains de mon sang dégoutantes.
Quoi ! c’est ainsi que j’aime, et c’est moi qu’on trahit !
Ma voix n’a plus d’accents, tout mon cœur se flétrit.
Je veux marcher en vain, mes genoux s’affaiblissent ;
Sur moi d’un dieu vengeur les coups s’appesantissent,
Je meurs.
SÉRAME.
On vient à nous.
Scène VII
ZULIME, ATIDE
ZULIME.
Ciel ! qu’est-ce que je voi ?
Ramire est-il vivant ? dissipez mon effroi.
ATIDE.
J’y viens mettre le comble, ainsi qu’à nos misères ;
Toutes deux en ces lieux nous sommes prisonnières.
Ramire est dans les fers.
ZULIME.
Lui !
ATIDE.
Tout couvert de coups,
Et baigné dans son sang qu’il prodiguait pour vous ;
Pressé de tous côtés, et las de se défendre,
À ses cruels vainqueurs il a fallu se rendre.
Plus mourante que lui j’ignore encor son sort,
Hélas ! et je ne sais s’il vit ou s’il est mort.
ZULIME.
S’il est mort, je sais trop le parti qu’il faut prendre.
ATIDE.
S’il est encor vivant, vous pourriez le défendre.
Il n’eut jamais que vous et le ciel pour appui.
Eh ! n’est-ce pas à vous d’avoir pitié de lui ?
Quelques amis encore, échappés au carnage,
Sont avec vos soldats sur ce sanglant rivage.
Vous êtes mal gardée, on peut les réunir.
ZULIME.
Pouvez-vous bien douter que j’ose le servir ?
ATIDE.
Madame, en me parlant quel front triste et sévère
Avec tant de pitié marque tant de colère ?
Vous aviez condamné vos jalouses erreurs.
Eh ! qui peut contre moi vous irriter ?
ZULIME.
Vos pleurs.
Votre attendrissement, votre excès de courage,
Votre crainte pour lui, vos yeux, votre langage,
Vos charmes, mes malheurs et mes transports jaloux,
out m’irrite, cruelle, et m’arme contre vous.
Vous avez mérité que Ramire vous aime ;
Vous me forcez enfin d’immoler pour vous-même
Et l’amour paternel et l’honneur de mes jours.
e vous sers, vous, perfide ; il le faut, et j’y cours.
Mais vous me répondrez...
ATIDE.
Ah ! c’en est trop, Zulime !
Connaissez, respectez la vertu qui m’anime.
Quoi ! j’ai sauvé Ramire, et vous me condamnez !
Percez cent fois ce cœur, si vous le soupçonnez.
Quelle indigne fureur votre tendresse épouse !
Il s’agit de sa vie, et vous êtes jalouse !
Je jure ici par vous, par ce commun effroi,
J’en atteste le jour, ce jour que je vous doi,
Que vous n’aurez jamais à redouter Atide.
Ne vous figurez pas que ma douleur timide
S’exhale en vains serments qu’arrache le danger ;
Sachez que si le ciel, prompt à nous protéger,
Permettait à mes mains de délivrer Ramire,
S’il osait me donner son cœuret son empire,
Si du plus tendre amour il payait mon ardeur,
Je vous sacrifierais son empire et son cœur.
Conservez-le à ce prix, au prix de mon sang même.
Que voulez-vous de plus, s’il vit et s’il vous aime ?
Je ne dispute rien, madame, à votre amour,
Non pas même l’honneur de lui sauver le jour.
Vous en aurez la gloire, ayez-en l’avantage.
ZULIME.
Non, je ne vous crois point ; je vois tout mon outrage ;
Je vois jusqu’en vos pleurs un triomphe odieux :
La douceur d’être aimée éclate dans vos yeux.
Suivez-moi seulement ; je vous ferai connaître
Que je sais tout tenter, et même pour un traître.
Au milieu du danger vous me verrez courir.
Obéissez, venez le venger, ou mourir.
Sérame, quelle horreur a glacé ton visage ?
Scène VIII
ZULIME, ATIDE, SÉRAME
SÉRAME.
Madame, il faut du sort dévorer tout l’outrage ;
Il faut boire à longs traits dans ce calice affreux
Que vous a préparé cet amour malheureux.
Au plus cruel supplice on condamne Ramire.
ZULIME.
Il ne mourra pas seul, et devant qu’il expire...
SÉRAME.
Ah ! fuyez, croyez-moi, faites-vous cet effort ;
Vous le pouvez.
ATIDE.
Nous, fuir ! Allons chercher la mort ;
Soutenez bien surtout la grandeur de votre âme.
ZULIME.
Je suivrai vos conseils, n’en doutez point, madame ;
Vous pourrez en juger : et toi, nature, et toi,
Droits éternels du sang, toujours sacrés pour moi !
Dans cet égarement dont la fureur m’anime,
Soutenez bien mon cœur, et sauvez-moi d’un crime !
ACTE V
Scène première
MOHADIR.
Oui, seigneur, il est vrai, ce nouvel attentat
Outrage la nature, et le trône, et l’état.
Courir à la prison, braver votre colère !
C’est un excès de plus, mais vous êtes son père.
...
...
BÉNASSAR.
Ma bonté fit son crime et fit tout mon malheur.
Ils ont trop méprisé mes pleurs et ma vieillesse ;
Ma clémence à leurs yeux a passé pour faiblesse.
...
...
MOHADIR.
Me préserve le ciel d’excuser devant vous
Cet amas de forfaits que je déteste tous !
Permettez seulement que j’ose encor vous dire
Qu’avec trop de rigueur on a traité Ramire.
Fidèle à ses serments, fidèle à vos desseins,
Il a remis Atide en vos augustes mains.
Il n’a point au rivage accompagné Zulime.
Peut-être a-t-il un cœuret juste et magnanime ;
Du moins il me jurait, entre mes mains remis,
Qu’il vous avait tenu tout ce qu’il a promis.
Enfin mes yeux l’ont vu, dans ce combat horrible.
...
...
Scène II
BÉNASSAR, ZULIME, MOHADIR, SUITE
ZULIME.
Non, n’allez pas plus loin, frappez et vengez-vous ;
Ce cœur, plein de respect, se présente à vos coups.
Je ramène à vos pieds tous ceux qui m’ont suivie ;
Maître absolu de tout, arrachez-moi la vie.
BÉNASSAR.
Fille indigne du jour, est-ce toi que je voi ?
ZULIME.
Pour la dernière fois, seigneur, écoutez-moi.
Le triste emportement d’une amour criminelle
N’arma point contre vous votre fille rebelle ;
Pour vous contre Ramire elle aurait combattu,
Et jusqu’en sa faiblesse elle a de la vertu.
Ramire autant que moi vous révère et vous aime.
Ce héros, il est vrai, né pour le rang suprême,
Dans des fers odieux voyait flétrir ses jours :
On les menaçait même, et j’offris mon secours.
De lui, de ses amis, je réglai la conduite ;
Je dirigeai leurs pas, je préparai leur fuite :
J’ai tout fait, tout tenté : n’imputez rien à lui.
Hélas ! ce n’est qu’à moi de m’en plaindre aujourd’hui.
Je sais qu’à vos douleurs il faut une victime :
Frappez, mais choisissez. Son malheur fit son crime ;
L’adorer est le mien. C’est à vous de venger
Ce crime que peut-être il n’a pu partager.
Mon père, car ce nom, ce saint nom qui me touche,
Est toujours dans mon cœur, ainsi que dans ma bouche ;
Par ce lien du sang, si cher et si sacré,
Par tons les sentiments que je vous inspirai,
Par nos malheurs communs dont le fardeau m’accable,
Percez ce cœur trop faible ; il est le seul coupable.
Répandez tout ce sang que vous m’avez donné ;
Des fureurs de l’amour ce sang empoisonné,
Ce sang dégénéré dans votre fille impie :
Trop d’horreur en ces lieux assiégerait ma vie ;
Après un tel éclat, s’il n’est point mon époux,
L’opprobre seul me reste et retombe sur vous.
Pour sauver votre gloire à ce point profanée,
Il me faut de vos mains la mort ou l’hyménée.
Mais l’une est le seul bien que je doive espérer,
Le seul que je mérite et que j’ose implorer ;
Le seul qui puisse éteindre un feu qui vous outrage.
Ah ! ne détournez point voire auguste visage.
Voyez-moi : laissez-moi, pour comble de faveurs,
Baiser encor vos mains, les baigner de mes pleurs,
Vous bénir, vous aimer au moment que j’expire ;
Mais pardonnez, mon père, au malheureux Ramire :
Et si ce cœur sanglant vous touche de pitié,
Laissez vivre de moi la plus chère moitié.
...
...
Scène III
RAMIRE.
J’ai mérité la mort, et je sais qu’elle est prête :
C’est trop laisser le fer suspendu sur ma tête.
Frappe, mais que ton cœur, de vengeance occupé,
Apprenne que le mien ne t’a jamais trompé.
Pour otage en tes mains j’avais remis Atide,
Avec un tel garant pouvais-je être perfide ?
Va, Ramire était loin de te manquer de foi :
Bénassar, mes serments m’étaient plus chers qu’à toi ;
Tu m’as trop mal connu, c’est ta seule injustice :
Que ce soit la dernière, et que dans mon supplice
Des cœurs pleins de vertu ne soient point entraînés !
BÉNASSAR.
Le ciel à d’autres soins nous a tous destinés.
Je ne suis point barbare, et jamais ma furie
Ne perdra le héros qui conserva ma vie.
Un amour emporté, source de nos malheurs,
Plus fort que mes bontés, plus fort que mes rigueurs,
T’asservit pour jamais ma fille infortunée.
Je dois ou détester sa tendresse effrénée,
Vous en punir tous deux, ou la mettre en tes bras.
Sois son époux, Ramire, et règne en mes états.
Vis pour elle et pour moi, combats pour nous défendre :
Soyons tous trois heureux, sois mon fils, sois mon gendre.
ZULIME.
Ah, mon père ! ah, Ramire ! ah, jour de mon bonheur !
ATIDE.
Ô jour affreux pour tous !
RAMIRE.
Vous me voyez, seigneur,
Accablé, confondu de cette grâce insigne
Que vous daignez me faire, et dont je suis indigne.
Votre fille, sans doute, est d’un prix à mes yeux
Au dessus des états fondés par ses aïeux ;
Mais le ciel nous sépare. Apprenez l’un et l’autre
Le secret de ma vie, et mon sort, et le vôtre.
Quand Zulime a daigné, par un si noble effort,
Sauver Atide et moi des fers et de la mort,
Idamore, un ami qu’aveuglait trop de zèle,
Séduisait sa pitié, qui la rend criminelle :
Il promettait mon cœur, il promettait ma foi ;
Il n’en était plus temps, je n’étais plus à moi ;
Les nœuds les plus sacrés, les lois les plus sévères,
Ont mis entre nous deux d’éternelles barrières :
Je ne puis accepter vos augustes bienfaits,
Je ne puis réparer les malheurs que j’ai faits ;
Madame, ainsi le veut la fortune jalouse ;
Vengez-vous sur moi seul : Atide est mon épouse.
ZULIME.
Ton épouse ? perfide !
RAMIRE.
Élevés dans vos fers,
Nos yeux sur nos malheurs étaient à peine ouverts.
Quand son père, unissant notre espoir et nos larmes,
Attacha pour jamais mes destins à ses charmes.
Lui-même a resserré dans ses derniers moments
Ces nœuds infortunés, préparés dès longtemps :
Nous gardions l’un et l’autre un secret nécessaire.
ZULIME.
Ton épouse ! à ce point il brave ma colère !
Ah ! c’est trop essuyer de mépris et d’horreur.
Seigneur, souffrirez-vous ce nouveau déshonneur ?
Souffrirez-vous qu’Atide à ma honte jouisse
Du fruit de tant d’audace et de tant d’artifice ?
Vengez-moi, vengez-vous de ses traîtres appas,
De cet affreux tissu de fourbes, d’attentats :
Atide tiendra lieu de toutes les victimes.
Mon indigne rivale a commis tous mes crimes ;
Punissez cet objet exécrable à mes yeux.
ATIDE.
Vous pouvez me punir, mais connaissez-moi mieux.
Avant de me punir, entendez ma réponse.
Votre père est présent, qu’il juge et qu’il prononce.
BÉNASSAR.
Oh, ciel !
ATIDE.
Ramire et moi, seigneur, si nous vivons.
C’est vous, c’est votre fille à qui nous le devons.
Zulime, en nous sauvant, voulait pour tout salaire
Un cœur digne de vous et digne de lui plaire.
C’était de tous ses soins le noble et le seul prix,
Sa gloire en dépendait, et je la lui ravis.
Sans mon amour, sans moi, n’en doutez point, madame,
Autant l’heureux Ramire a pu toucher votre âme.
Autant vous régneriez sur son cœur généreux.
J’étais le seul, obstacle au succès de vos vœux ;
J’ai causé de tous trois les malheurs et les larmes ;
J’ai bravé vos bienfaits, j’ai combattu vos charmes ;
Et lorsque vous touchez au comble du bonheur,
Ma main, ma triste main vous perce encor le cœur.
Je vous ai fait serment de vous céder Ramire ;
Vous connaissez trop bien tout l’amour qu’il inspire,
Pour croire que la vie ait sans lui quelque appas ;
L’effort serait trop grand, vous ne l’espérez pas.
Je dois, je l’ai juré, servir votre tendresse :
Il n’est qu’un seul moyen de tenir ma promesse ;
Le voici.
Elle se frappe.
RAMIRE, courant vers Atide.
Ciel ! Atide !
ATIDE, aux gardes.
Arrêtez son transport.
À Zulime.
Je n’ai pu le céder qu’en me donnant la mort.
À Ramire.
Adieu ; puisse du ciel la fureur adoucie
Pardonner mon trépas et veiller sur ta vie !
RAMIRE, entre les bras des gardes.
Je me meurs !
BÉNASSAR.
Ah ! courez, qu’on vole à leur secours.
RAMIRE.
Achevez mon trépas, ayez soin de ses jours.
ATIDE, à Zulime.
Eh bien ! ai-je apaisé votre injuste colère ?
Vos bienfaits sont payés, le prix doit vous en plaire.
Nos cœurs des mêmes feux avaient dû s’enflammer ;
Mais jugez qui des deux a su le mieux aimer.
C’en est fait.
ZULIME.
Malheureuse et trop chère victime !
Mon père ! que je sens tout le poids de mon crime !
De Ramire et de vous j’ai tissu tous les maux :
Mes mains de toutes parts ont creusé des tombeaux :
Mon amant me déteste et mon amie expire.
BÉNASSAR.
Que cet exemple horrible au moins serve à t’instruire :
Le ciel nous punit tous de tes funestes feux,
Et l’amour criminel fut toujours malheureux.
[1] Phèdre dit dans Racine :
Hélas ! du crime affreux dont la honte me suit
Jamais mon triste cœur n’a recueilli le fruit.
[2] Imitation de ces vers de Bérénice :
Eh quoi ! vous me jurez une éternelle ardeur,
Et vous me la jurez avec cette froideur !
Pourquoi même du ciel attester la puissance ?
Faut-il par des serments vaincre ma défiance ?
Mon cœur ne prétend point, seigneur, vous démentir ;
Et je vous en croirai sur un simple soupir.
[3] On trouve le même mouvement dans Zaïre :
Corasmin, je l’adore encor plus que jamais.