Agénor le dangereux (Eugène LABICHE - Adrien DECOURCELLE - KARL)
Vaudeville en un acte.
Représenté pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de la Montassier, le 16 septembre 1848.
Personnages
AGÉNOR BORELC, chimiste
BÉNÉVENT, père de madame Raby
CHAPUIS, homme d’affaires
PIERRE, jardinier
MADAME RABY
MADAME BENEVENT
La scène se passe au château de Vaux-Champs, en 1815.
Un salon à la campagne, portes latérales, trois portes au fond donnant sur un jardin.
Scène première
BÉNÉVENT, CHAPUIS, MADAME RABY[1]
Ils entrent par le fond.
BÉNÉVENT, à Chapuis.
Monsieur, ma fille, veuve du colonel Raby, un sacripant, heureusement mort au champ d’honneur, consent à vous épouser. En conséquence, moi, Joseph-Timothée Bénévent, propriétaire, je vous autorise à me faire votre demande.
À Chapuis.
Vous pouvez commencer.
CHAPUIS, embarrassé.
Permettez.
MADAME RABY.
Mais, mon père, c’est inutile : depuis un an M. Chapuis me la fait tous les jours sa demande, par ses soins, ses prévenances.
BÉNÉVENT.
Mais tout cela ne constitue pas une demande régulière... et M. Chapuis, qui est homme d’affaires, te dira que le mariage est un contrat...
MADAME RABY.
Mais à quoi bon toutes ces cérémonies, puisque nous sommes d’accord.
BÉNÉVENT.
Ma fille, on ne saute pas impunément par-dessus les usages sociaux. Asseyons-nous.
On s’assied. À Chapuis.
Monsieur, je vous écoute avec bienveillance.
MADAME RABY, s’asseyant.
Allons !
CHAPUIS, riant.
Allons !
Haut, à Bénévent.
Monsieur, depuis longtemps j’aspire à l’honneur...
BÉNÉVENT, lui faisant des signes.
Hum ! hum !
CHAPUIS, continuant.
D’entrer dans une famille aussi...
BÉNÉVENT.
Vos gants... on met des gants...
MADAME RABY.
Bah ! à la campagne !
CHAPUIS, mettant ses gants.
C’est juste... mille pardons...
À part.
Je dois être très ridicule...
BÉNÉVENT.
Continuez.
CHAPUIS.
En un mot, Monsieur, mes espérances les plus chères se trouveront réalisées le jour où vous aurez daigné m’accorder la main de madame Raby, votre fille.
BÉNÉVENT, satisfait.
Eh bien ! voilà !... ce n’est pas si difficile...
MADAME RABY, riant.
Quant à moi, je me trouve parfaitement demandée.
BÉNÉVENT.
À mon tour, Monsieur, depuis longtemps mon cœur de père caressait ce projet d’union. Vous parlerai-je des secrets sentiments de ma fille ?... la rougeur qui colore son front témoigne assez...
MADAME RABY.
Du coup de soleil qu’elle a reçu ce matin...
BÉNÉVENT.
Et de l’estime profonde qu’elle professe pour votre honorable caractère.
MADAME RABY.
Est-ce fini ?
On se lève.
BÉNÉVENT.
Pas encore... Il me reste à présenter ton futur à madame Bénévent.
MADAME RABY.
Ma mère ! Elle connaît Monsieur depuis dix ans.
BÉNÉVENT.
Elle le connaît comme homme d’affaires... comme légiste... mais pas comme prétendu, et cette nouvelle face nécessite une seconde petite cérémonie... Chapuis, gardez vos gants.
MADAME RABY.
Nous n’en sortirons pas.
BÉNÉVENT.
Je cours chercher ma femme ; je ne sais pas si elle sera levée... sa santé est si délicate depuis l’année dernière... la guerre... l’invasion... c’est extraordinaire comme le Cosaque lui a porté sur les nerfs... Pauvre femme ! Chapuis, gardez vos gants.
Scène II
CHAPUIS, MADAME RABY[2]
MADAME RABY.
Pauvre père !... c’est bien l’homme le plus formaliste !... Maintenant, Monsieur, que nous sommes seuls, j’ose solliciter de vous un entretien sérieux.
CHAPUIS, souriant.
Sérieux ?...
MADAME RABY.
Avant d’accepter votre nom, je me dois à moi-même de vous faire l’aveu d’une faute.
CHAPUIS.
Parlez... vous êtes acquittée d’avance.
MADAME RABY.
Monsieur, j’ai eu dans ma vie une aventure...
CHAPUIS.
Hein ?...
MADAME RABY.
Une aventure galante.
CHAPUIS.
Comment, Madame !... Et c’est à moi...
MADAME RABY.
C’était un soir... pendant le carnaval...
S’interrompant.
Ah ! voilà que vous froncez le sourcil.
CHAPUIS.
Eh ! Madame... vous n’espérez pas me faire écouter avec allégresse...
MADAME RABY, jouant l’étonnement.
On dirait que mon historiette vous contrarie... Alors, plus tard... quand nous serons mariés...
CHAPUIS.
Il sera bien temps !... Voyons, Madame, continuez.
MADAME RABY.
C’était donc un soir, pendant le carnaval... J’avais eu l’imprudence de me rendre seule, et vêtue d’un domino bleu, à un bal masqué...
CHAPUIS, vivement.
Ah !... à l’Opéra !...
MADAME RABY, étonnée.
Comment savez-vous ?
CHAPUIS.
Je le présume.
Rassuré.
Continuez donc.
MADAME RABY.
J’étais allée à ce bal... pour épier les démarches de mon mari... Quelques bons amis... vous étiez du nombre, je crois... avaient pris soin de m’instruire de ses écarts, et...
CHAPUIS.
Vous étiez jalouse...
MADAME RABY.
J’étais si jeune... À peine entrée dans le foyer, je me vis accostée par un moine dont une barbe épaisse cachait entièrement le visage. Il commença la conversation par cette monnaie courante des bals masqués : Je te connais... Je suis ici pour toi... et mille autres sottises...
CHAPUIS.
C’était un mauvais plaisant.
MADAME RABY.
Non, Monsieur, c’était un lâche !... Car cet homme m’avait reconnue, et profitant de mon imprudence, il me fit entendre des propos... des menaces... « Votre mari, me dit-il, ignore que vous êtes ici... d’un mot, je puis vous perdre, d’un mot vous pouvez me fermer la bouche. » L’indignation me donna des forces... Je me débarrassai de son étreinte... et, folle de colère... de peur... Je fus me cramponner à l’habit d’un monsieur... un digne homme !... qui se promenait gravement... sous un nez de carton... « Protégez-moi, lui dis-je, appelez-moi votre femme ou je suis perdue !... »
CHAPUIS.
Et vous ne connaissiez pas ce nouveau protecteur ?
MADAME RABY.
Nullement... ma brusque proposition l’étonna d’abord... mais devinant sans doute mon embarras, il m’offrit bravement son bras et me fit traverser la foule en me prodiguant les appellations les plus conjugales... « Viens, Bichon !... Par ici... Bichette... prends garde, Bichon !... »
CHAPUIS, riant.
Ah ! ah ! le singulier personnage !...
MADAME RABY.
Oh ! ne riez pas !... C’était un bien honnête homme... très réservé... qui, sans m’adresser une question... me fit avancer une voiture, me salua et me sauva...
CHAPUIS.
Et depuis, rien ne put vous faire soupçonner le nom de ce moine ?
MADAME RABY.
Jamais je n’entendis parler de lui... pas plus que de mon sauveur mystérieux...
CHAPUIS.
Oh ! celui-là serait peut-être plus facile à découvrir.
MADAME RABY, le regardant.
Le connaîtriez-vous ?... Attendez donc... Oui... la même taille...
CHAPUIS, riant.
Vraiment ?
MADAME RABY.
Vous !... Et ne pas m’en parler !... Oh ! ce serait bien... très bien... Tenez, ne me le dites pas... je crois que je vous aimerais !...
CHAPUIS.
Je ne m’y oppose pas.
MADAME RABY.
Mais je ne voudrais plus vous épouser...
CHAPUIS.
Comment ?...
MADAME RABY.
Je vous l’ai dit, mon premier mari m’a inspiré l’horreur des mariages d’inclination... ce que je cherche en vous, c’est un homme tranquille, honnête... c’est un ami... Que voulez-vous, en ménage, je considère l’amour comme une maladie...
CHAPUIS.
Oh ! si douce... d’ailleurs le temps est un grand médecin.
MADAME RABY.
Air : Je sais attacher.
Oui, le temps, est le médecin
De l’amoureuse maladie ;
Plus puissant que le dieu malin,
Tôt ou tard, il le congédie.
CHAPUIS.
Souvent, de nos plaisirs taris
Le temps inflexible est la cause.
MADAME RABY.
Le temps, Monsieur... mais, les maris
N’y sont-ils pas pour quelque chose ?
Quoi qu’on en dise, les maris
Y sont souvent pour quelque chose.
CHAPUIS.
Vous êtes impitoyable.
Scène III
CHAPUIS, MADAME RABY, BÉNÉVENT, MADAME BÉNÉVENT, en camisole du matin[3]
BÉNÉVENT, entrant par la gauche, à sa femme.
Viens, Galathée... c’est pour une affaire qui ne souffre pas de retard.
À Chapuis.
Vous avez vos gants ?
MADAME BÉNÉVENT.
Qu’est-il arrivé ?... Vous m’effrayez...
BÉNÉVENT, prenant Chapuis par la main et le présentant cérémonieusement à sa femme.
Madame... permettez que je vous présente M. Joachim Chapuis, avoué près la cour d’appel de Paris et mon futur gendre en instance...
MADAME BÉNÉVENT.
Et c’est pour ça ?... Que le bon Dieu vous bénisse !
BÉNÉVENT.
Est-ce que j’ai éternué ?
MADAME BÉNÉVENT, à Chapuis.
Vous voulez épouser ma fille ? elle consent, je consens, Bénévent consent... C’est une affaire bâclée.
BÉNÉVENT, à part.
S’il est possible de fouler aux pieds les usages...
MADAME BÉNÉVENT.
Quand à la dot...
CHAPUIS.
Ah ! oui, la dot ?...
MADAME BÉNÉVENT.
Vous la toucherez dès que nous aurons vendu cette vieille bicoque de château Vaux-Champs, dont la propriété est indivise entre ma fille et moi.
CHAPUIS.
J’en ai fait annoncer la vente dans les Petites-Affiches.
BÉNÉVENT.
Eh bien ! moi, je me séparerai à regret de cet immeuble. J’ai fait planter des espaliers... là-dedans, moi !
MADAME BÉNÉVENT.
Si comme moi vous y aviez vu les Cosaques.
BÉNÉVENT.
Les Cosaques !... les Cosaques !... Ils ne t’ont pas mangée.
MADAME BÉNÉVENT.
Qu’en savez-vous, Monsieur ?
BÉNÉVENT.
Hein ?
MADAME BÉNÉVENT.
Tenez, Bénévent... au nom de notre lien, ne me parlez jamais de ces Bulgares !
BÉNÉVENT.
Volontiers... après tout, moi, je n’estime le Cosaque que comme engrais.
Scène IV
CHAPUIS, MADAME RABY, BÉNÉVENT, MADAME BÉNÉVENT, PIERRE[4]
PIERRE.
Monsieur, il y a là un homme qui demande à parler à madame Raby.
MADAME RABY.
À moi ?
PIERRE.
Oui, Madame, avec un sac...
BÉNÉVENT.
D’argent ?
PIERRE.
Oh ! non !... un grand sac, qui grogne ?...
BÉNÉVENT.
Un sac qui grogne ?...
PIERRE.
Il lui a dit : Tais-toi, Oscar !
BÉNÉVENT.
Qui ça ?
PIERRE.
Eh bien ! le voyageur... voici sa carte.
BÉNÉVENT, lisant.
Agénor Borel, chimiste... je ne connais pas.
MADAME RABY et MADAME BÉNÉVENT.
Ni moi.
CHAPUIS.
Borel... attendez donc... j’y suis ! je ne le connais que de réputation, mais c’est une espèce de don Juan... de Lovelace qui fait métier de s’introduire dans les familles pour y porter le trouble et le déshonneur...
MADAME BÉNÉVENT.
Pristi !
CHAPUIS.
Eh ! parbleu ! son nom a fait assez de bruit l’an dernier, c’est lui qui a tué en duel le colonel Renaud après lui avoir enlevé sa femme.
BÉNÉVENT.
Ça suffit !... je vais le faire jeter à la porte.
PIERRE, qui est remonté.
Le voici.
Il sort.
MADAME BÉNÉVENT, à madame Raby.
Ma fille, jouons serré.
Scène V
CHAPUIS, MADAME RABY, BÉNÉVENT, MADAME BÉNÉVENT, AGÉNOR BOREL[5]
AGÉNOR, parlant à la cantonade.
Merci, mon garçon... Ah ! je vous recommande Oscar... c’est un ami.
BÉNÉVENT, à Chapuis.
Oscar... son complice.
AGÉNOR, regardant en l’air.
Ça me paraît solidement construit... Oh ! des dames !
Saluant.
Je vous demande mille pardons de me présenter avec cette tenue de voyage.
MADAME BÉNÉVENT, à part.
C’est un bel homme !
AGÉNOR.
Mais quand on descend de la diligence...
À madame Bénévent.
Figurez-vous, Madame, que je n’ai pas fermé l’œil de la nuit... j’avais près de moi, dans le coupé, une petite...
BÉNÉVENT.
Monsieur !
CHAPUIS.
Monsieur !
AGÉNOR, continuant.
Une petite glace cassée qui m’a fort...
Il éternue.
Atchum !
MADAME RABY, bas à sa mère.
Il n’a toujours pas l’extérieur d’un Lovelace.
MADAME BÉNÉVENT, de même.
Parce qu’il est enrhumé... mais c’est un bel homme.
BÉNÉVENT.
Puis-je savoir, Monsieur, ce qui nous procure l’honneur...
AGÉNOR.
Madame veuve Raby, s’il vous plaît ?
BÉNÉVENT.
C’est moi, Monsieur.
AGÉNOR, à Bénévent.
Eh quoi ! vous auriez perdu M. votre mari ?
BÉNÉVENT.
C’est moi... c’est ma fille... Après ?
AGÉNOR.
Eh bien ! je voudrais dire deux mots en particulier à madame votre fille.
BÉNÉVENT.
N’espérez pas qu’elle vous entende.
AGÉNOR.
Elle est sourde ?
MADAME RABY.
Non, Monsieur, grâce au ciel !
AGÉNOR, la saluant.
Ah ! mille pardons !... je ne savais pas... Madame, je suis chimiste... et de plus abonné aux Petites-Affiches. Vous avez fait annoncer la vente votre immeuble, et je viens...
MADAME RABY, riant.
Ah ! c’est fort adroit !
Elle remonte.
BÉNÉVENT, à Agénor.
Mauvais !
Il remonte.
MADAME BÉNÉVENT.
On voit le fil !
Elle remonte.
AGÉNOR, à part.
Qu’est-ce qu’ils ont donc ?
À madame Raby.
Et je viens pour m’entendre avec vous...[6]
CHAPUIS, riant.
Il y tient !... Ah ! ah ! ah !
AGÉNOR, à part.
Celui-là aussi... On m’a mis quelque chose dans le dos...
Il fait mine d’ôter son habit.
BÉNÉVENT.
Arrêtez, Monsieur !
MADAME BÉNÉVENT, à part.
Il a de beau linge !
BÉNÉVENT.
Monsieur, peut-on sans indiscrétion vous demander des nouvelles de madame Renaud ? la veuve du colonel !
AGÉNOR.
Oh ! pauvre colonel !... Vous savez...
Il fait mine de donner un coup d’épée.
C’est un duel, je puis le dire... qui m’a donné bien du tintouin !
BÉNÉVENT, révolté.
Du tintouin !
MADAME RABY, à part.
Allons, c’est bien lui !
AGÉNOR, à madame Raby.
Madame, je suis à vos ordres... Et quand vous aurez un instant...
MADAME RABY, sévèrement.
C’est mon père, Monsieur, qui a la bonté de gérer mes affaires... et c’est avec lui...
AGÉNOR.
Ah !
MADAME BÉNÉVENT.
Avec lui seul, Monsieur !... Nous vous laissons.
BÉNÉVENT, à Agénor.
Avec moi seul, Monsieur... Dans la minute, je suis à vous, Monsieur !
Chœur.
Air de la Syrène.
AGÉNOR.
Je ris de la tournure
Que prend cette aventure ;
Et je suis confondu
D’être ainsi méconnu !
LES AUTRES.
La plaisante aventure
Je ris de sa figure ;
Il reste confondu
De se voir reconnu.
Tous sortent par le fond, sauf Agénor.
Scène VI
AGÉNOR, puis BÉNÉVENT[7]
AGÉNOR, seul.
Voilà de plaisants propriétaires. Examinons d’abord la distribution intérieure... Voici une pièce fort convenable... Est-ce assez grand ?
Il se promène en comptant les pas dans la largeur.
Un, deux, trois, quatre...
BÉNÉVENT, paraissant au fond.
Me voici, Monsieur...
AGÉNOR.
Chut ! Cinq, six...
BÉNÉVENT.
Qu’est-ce que vous faites donc ?
AGÉNOR.
Sept mètres de large sur ?...
Même jeu dans l’autre sens.
Un, deux, trois...
BÉNÉVENT.
Monsieur...
AGÉNOR.
Chut !... huit... et neuf...
À Bénévent.
Sept sur neuf... ça suffira...
BÉNÉVENT.
Pourquoi faire ?
AGÉNOR.
Eh bien ! mais pour...
BÉNÉVENT.
Toute feinte est inutile... J’ai un nez, Monsieur, j’ai un nez.
AGÉNOR.
Ah !... Je suis loin de vouloir vous contester... ce cartilage ! Ah ça ! si nous parlions de notre affaire ?
Tirant son carnet.
Nous disons que la contenance de cet immeuble.
BÉNÉVENT.
Monsieur, la propriété est en vente... Je n’ai pas le droit de vous refuser les renseignements... mais je vous préviens vous crachez dans l’eau !
AGÉNOR.
Moi ?... Je crache... Ah ça ! si nous parlions de notre affaire ?... Nous disons que la contenance ?...
BÉNÉVENT.
Cent soixante-et-un hectares.
AGÉNOR, écrivant.
Combien de prairies ?
BÉNÉVENT, se moquant.
Ah ! Monsieur est dans l’intention de faire de l’agriculture ?
AGÉNOR, à part.
Cachons-lui mes projets.
Haut.
Oui, je désire labourer un peu la terre. Combien de prairies ?
BÉNÉVENT.
Entre nous... qu’est-ce que ça vous fait ?
AGÉNOR.
Comment ? ce que ça me fait ?... J’arrive de Paris, j’ai fait soixante lieues pour...
BÉNÉVENT.
Je sais pourquoi...
Se posant.
Voici ma réponse : Monsieur, c’est une vie simple, morale, patriarcale, que nous menons ici... nous nous couchons à neuf heures, Monsieur.
AGÉNOR.
Ah ! je regrette qu’il ne soit pas neuf heures un quart.
BÉNÉVENT.
Je crois m’être expliqué... et vous me permettrez de ne pas vous retenir plus longtemps.
AGÉNOR.
Quelle drôle de conversation ! Je vous demande combien de prairies, et vous me répondez : Je me couche à neuf heures... Puis vous me priez de... D’abord, je ne vous connais pas... Êtes-vous le propriétaire ?
BÉNÉVENT.
Non. L’immeuble appartient moitié à madame Raby...
AGÉNOR.
Très bien !... Je demande madame Raby.
BÉNÉVENT.
C’est ma fille, Monsieur.
AGÉNOR.
Puisse-t-elle avoir été élevée par sa mère !
BÉNÉVENT.
L’autre moitié est dans le patrimoine de Galathée.
AGÉNOR.
Alors je demande Galathée.
BÉNÉVENT.
C’est ma femme, Monsieur.
AGÉNOR.
Puisse-t-elle avoir été élevée par sa fille ! Monsieur, je vous déclare que je ne bouge pas d’ici avant d’avoir parlé à ces dames...
BÉNÉVENT.
Eh bien ! soit, Monsieur. Puisqu’il n’y a pas moyen de faire autrement, je vais chercher ma femme et ma fille, mais je vous préviens que j’assisterai à cette conférence.
AGÉNOR, assis.
Tant pis ! tant pis !
BENÉVENT.
Cela dérange vos projets, mais je m’en moque ! Casanova !
AGÉNOR.
Casa...
BÉNÉVENT, près de sortir.
Nova !
Il sort à gauche.
Scène VII
AGÉNOR, seul
Vieil hidalgo ! mais si tu ne veux pas vendre ton château, j’en achèterai un autre, donc !... C’est, que celui-ci renferme un trésor, si je dois m’en rapporter aux renseignements du major Crapouth... Personne !... je puis m’ouvrir.
Au public.
Qu’est-ce qu’une truffe ? qu’est-ce qu’une truffe ?... Vaste question... qui a fait patauger l’antiquité... Pline... un ancien chimiste, un vieux de la vieille, appelle la truffe un minéral ; c’est-à-dire que depuis deux mille ans nous mangeons des petits cailloux... au vin de Madère !... ça me paraît dur ! Quant à moi, voici ma définition : « La truffe est un petit objet noir... qui se vend douze francs la livre. » Ça n’est peut-être pas très scientifique, mais... c’est très cher ! Aussi, ce comestible va diminuer ; un savant distingué... que je ne nommerai pas... c’est moi... a trouvé le moyen de cultiver et de reproduire ce tubercule... gaillard... Avant peu nous serons en mesure de le confectionner à raison de six francs... le setier. C’est une concurrence à La pomme de terre... qui fait sa tête. Le joint était de se procurer une terre propice à ce genre de culture... Ce fut un Cosaque qui me l’indiqua, le major Crapouth... un gentilhomme tartare qui répandait autour de lui un parfum... de haute Tartarie ! Je l’ai logé cinq mois : ce guerrier mangeait toutes mes chandelles !... Nous causâmes beaucoup... au grand air ! Un jour, en revenant de la maraude, il dirigeait sur Vaux-Champs un troupeau de... comment dirai-je ?... de Sainte-Menehould... tout à coup, au milieu d’un petit bois de châtaigniers, ses administrés s’arrêtent et fouillent la terre. Le major se baisse, ramasse... c’en était une !... Le corps des officiers tient conseil et décide que l’endroit est favorable pour souper... On soupa... très bien, car le soir, lorsque le major pénétra dans ce château, il paraît qu’il s’y passa des aventures... truffées ! Cette anecdote, moitié lard et moitié cosaque ! me fit abonner aux Petites-Affiches... j’apprends la vente du petit bois de châtaigniers... je pars... avec Oscar, mon associé... une raison sociale... renouvelée de saint Antoine et compagnie... Ah ça ! maintenant que je suis arrivé, il s’agit de prendre des informations sur la nature du sol...
PIERRE, dans le fond, à la cantonade.
Oui, Monsieur, ça suffit.
AGÉNOR.
Un domestique ! si je pouvais.
Appelant.
Eh ! l’ami !... un mot.
Scène VIII
AGÉNOR, PIERRE[8]
PIERRE, entrant.
Monsieur veut quelque chose ?
AGÉNOR.
Oui.
À part.
Il s’agit de s’y prendre adroitement !...
Haut.
Mon ami, je voulais te demander... l’heure.
PIERRE.
Tout de suite... je vais voir à la pendule du salon.
Fausse sortie.
AGÉNOR.
Non... reste ; je vais te demander autre chose... Voyons, voyons... qu’est-ce que je vais te demander ? Ah !... comment te nommes-tu ?
PIERRE.
Moi, Monsieur, je m’appelle Pierre.
AGÉNOR.
Ah ! tu t’appelles Pierre, toi ? Ce gaillard-là s’appelle Pierre ! J’en suis bien aise !...
PIERRE.
Pardon, Monsieur, mais... j’ai affaire...
Fausse sortie.
AGÉNOR.
Un instant ! !Puis-je compter sur ta discrétion ?
PIERRE.
Oh ! Monsieur !...
AGÉNOR.
Tu sauras donc...
À part.
Non, je ne dois pas me confier à ce laboureur.
PIERRE.
Eh bien ! Monsieur ?...
AGÉNOR.
Eh bien ! mais tu me parais jouir d’une belle santé, toi... hé ! là-bas. Qu’est-ce que tu fais ici ?
PIERRE.
Je suis jardinier.
AGÉNOR, à part.
Jardinier !...
Haut et mystérieusement.
Personne ne peut nous entendre ?...
PIERRE.[9]
Personne.
AGÉNOR, mystérieusement.
Jardinier, quand tu bêches la terre... qu’est-ce que tu trouves ?
PIERRE, criant.
Je trouve de la terre, donc !
AGÉNOR.
Chut !... je ne te parle pas du sol... c’est le sous-sol, c’est l’entresol qui m’intéresse...
PIERRE, riant.
L’entresol ! oh ! oh ! oh !
AGÉNOR.
Jardinier, quand tu bêches la terre, qu’est-ce que tu trouves ?
PIERRE.
Des z’hannetons.
AGÉNOR.
Ensuite ?
PIERRE.
Dame ! je trouve des mulots... des taupes.
AGÉNOR.
Voilà tout ?
PIERRE.
Ah ! et puis des machines rondes et noires...
AGÉNOR.
Juste !
PIERRE.
Comme des cailloux.
AGÉNOR.
L’opinion de Pline.
PIERRE.
Pline !
AGÉNOR.
Ne cherche pas à comprendre. Dis-moi, as-tu mangé de ces... cailloux ?
PIERRE.
Moi ! non... Mais une fois j’ai voulu en donner aux dindons ; s’ils rechignent dessus.
AGÉNOR.
Ça dépend de la manière de les leur administrer.
PIERRE.
Ah ben oui !... Ils se retournent...
AGÉNOR.
Eh bien ! c’est de l’instinct.
PIERRE.
Monsieur n’a plus rien à me dire ?
AGÉNOR.
Si... mystère et discrétion.
MADAME BÉNÉVENT, paraissant au fond.
Il chuchote avec le jardinier.
AGÉNOR, remettant une pièce d’or à Pierre.
Tiens !
PIERRE.
De l’or !
MADAME BÉNÉVENT, à part.
Ah ! le sacripant !... Courons avertir M. Bénévent.
Elle disparaît.
AGÉNOR.
C’est pour aller me retenir une place de coupé pour Paris.
PIERRE.
Comment ?...
AGÉNOR.
C’est vingt francs d’arrhes... va.
PIERRE.
Dites donc, Monsieur... ne m’oubliez pas.
AGÉNOR.
Ah ! ah !... Vergeiss mein nicht ?
PIERRE.
Qu’est-ce que c’est que ça ?
AGÉNOR.
C’est une petite fleur bleue qui veut dire : Donnez-moi vingt sous... Les voici.
PIERRE.
Ah ben ! je la cultiverai cette fleur-là.
Il sort par le fond.
Scène IX
AGÉNOR, puis BÉNÉVENT, MADAME BÉNÉVENT, MADAME RABY[10]
AGÉNOR, seul.
Je sais ce que je voulais savoir... c’est décidé, j’achète l’immeuble... Dans ce vieux château, j’installe mes granges, mes magasins... et avant un an ma fortune est faite.
Bénévent paraît à gauche avec les deux dames.
BÉNÉVENT.
Monsieur, vous avez désiré parler à ces dames, les voici... et selon nos conventions... me voilà.
AGÉNOR.
Mesdames, si vous le permettez, nous allons entamer tout de suite la négociation.
BÉNÉVENT, bas à sa femme et à sa fille.
N’ouvrez pas la bouche... c’est moi qui répondrai.[11]
AGÉNOR, à part.
Il s’agit d’être insinuant et complimenteur.
Il approche une chaise pour madame Raby, une autre pour madame Bénévent une troisième pour lui. Bénévent apporte aussi la sienne et ils se trouvent tous les quatre de front au milieu de la scène.
Premièrement, Mesdames, permettez-moi, de bénir les Petites-Affiches qui me procurent une aussi charmante entrevue.
BÉNÉVENT, sèchement.
On vous remercie.
AGÉNOR, à part.
Cette duègne m’agace.
À madame Raby.
Madame !
BÉNÉVENT.
Je demande la parole.
AGÉNOR.
Allons, bon !
BÉNÉVENT, se levant.
Je demande la parole pour poser un principe... Monsieur, avant de passer à la discussion des articles, je dois vous prévenir que la propriété n’est plus à vendre.
AGÉNOR.
Hein ?
BÉNÉVENT, s’asseyant.
Continuez...
AGÉNOR.
Comment ! continuez...
BÉNÉVENT.
Je retire l’écriteau, Monsieur, je retire l’écriteau !
AGÉNOR, se levant.
Comment !... alors ce n’était pas la peine de nous faire asseoir.
BÉNÉVENT.
Et maintenant, Monsieur, allez porter ailleurs le trouble et le désordre... allez corrompre les domestiques...
AGÉNOR.
Moi ?
MADAME BÉNÉVENT.
Oui !...toi !...[12]
BÉNÉVENT.
Tout à l’heure vous avez donné de l’or à mon jardinier ?
AGÉNOR.
Ah ! oui...
BÉNÉVENT.
Dans quel but ?
AGÉNOR.
Dans le but de me retenir une place de coupé.
BÉNÉVENT.
Ce n’est pas vrai !
AGÉNOR.
Monsieur !
BÉNÉVENT.
Un duel !... soit !
MADAME RABY.
Mon père !...
BÉNÉVENT.
Je le refuse !
AGÉNOR.
Moi, aussi !
MADAME BÉNÉVENT.
Spadassin ![13]
Scène X
AGÉNOR, BÉNÉVENT, MADAME BÉNÉVENT, MADAME RABY, PIERRE
PIERRE, à Agénor, au fond.
Monsieur, dépêchez-vous... la diligence va partir... vous avez une place.
AGÉNOR.
Très bien... ça m’arrange.
Il met son paletot, au fond.[14]
BÉNÉVENT.
Une place !...
TOUS.
C’était donc vrai ?
BÉNÉVENT, à part.
Ah ! mais, puisqu’il voulait partir, ça change la thèse.
AGÉNOR, qui a mis son paletot.
Allons, c’est une affaire manquée... serviteur.
BÉNÉVENT.
Un instant !... Monsieur, il est évident qu’il y a eu méprise... je vous en demande pardon... je remets l’écriteau... Et si vous êtes toujours dans les mêmes intentions...
AGÉNOR, faisant mine d’ôter son paletot.
Comment ! si j’y suis...
Le remettant.
C’est-à-dire... un instant !... Vous êtes un farceur... que la diligence sera partie, je vous connais... vous retirerez encore l’écriteau... entendons-nous bien. Voulez-vous vendre, oui ou non ?
BÉNÉVENT.
Oui, Monsieur.
AGÉNOR.[15]
Pardon !... et ces dames...
MADAME RABY et MADAME BÉNÉVENT.
Oui, Monsieur.
AGÉNOR, à Bénévent.
Maintenant, combien ?
BÉNÉVENT.
Deux cent mille francs.
AGÉNOR, à part, avec joie.[16]
Deux cents... C’est pour rien...
Haut.
C’est dit, j’accepte.
Il ôte son paletot.
BÉNÉVENT.
Vous restez avec nous ; je vais vous faire préparer une chambre...
MADAME BÉVÉVENT.
Ainsi qu’à votre ami... M. Oscar...
AGÉNOR.
Je vous remercie pour lui... Oscar couche sur la dure.
MADAME RABY.
C’est un ancien militaire...
BÉNÉVENT.
Un vieux grognard ?
AGÉNOR.
Oui, il grogne assez.
MADAME BÉNÉVENT.
Après le dîner, nous faisons un boston.
AGÉNOR.
Merci... je n’ai pas de chance aux cartes, je perdrais mes... et comme les dettes de jeu se paient comptant... ça m’enrhumerait !
MADAME RABY.
Si Monsieur désire visiter la propriété...
AGÉNOR.
Merci, Madame... Pierre va m’accompagner.
PIERRE.
Volontiers.
Chœur. Ensemble.
AGÉNOR.
Ah ! pour moi la bonne affaire ;
Tout s’arrange pour le mieux ;
Me voilà propriétaire
De ce terrain merveilleux.
MADAME RABY et MADAME BÉNÉVENT.
Ah ! pour nous la bonne affaire !
De ce domaine ennuyeux
Le voilà propriétaire ;
Tout s’arrange pour le mieux.
Agénor sort par le fond avec Pierre.
Scène XI
BÉNÉVENT, MADAME BÉNÉVENT, MADAME RABY, CHAPUIS
MADAME BÉNÉVENT.
Enfin !... la bicoque est vendue !
MADAME RABY.
Ce n’est pas malheureux !
BÉNÉVENT.
C’est égal ; je regrette mes espaliers... Mais, deux cent mille francs font passer par-dessus bien des choses !
CHAPUIS, entrant par le fond à droite, des papiers à la main.
Ah ! en voici bien d’une autre !
TOUS.
Quoi donc ?
CHAPUIS.
Avez-vous renvoyé ce Borel ?
BÉNÉVENT.
Non, puisqu’il achète...
CHAPUIS.
Lui ? impossible ! je viens de recevoir d’un de mes clients, le glacier de l’Opéra, une lettre de change protestée et signée Borel.
BÉNÉVENT.
Qu’est-ce que cela prouve ?
CHAPUIS.
Cela prouve que, si ce monsieur se laisse poursuivre pour une dette de deux cents francs, il ne peut songer sérieusement à acheter un château de deux cent mille.
BÉNÉVENT.
C’est juste.
MADAME BÉNÉVENT.
Ou c’est un escroc.
CHAPUIS.
Le billet est signé A. Borel.
MADAME RABY.
Agénor Borel.
MADAME BÉNÉVENT.
C’est bien ça.
BÉNÉVENT, regardant le billet.
10, rue Richelieu.
MADAME BÉNÉVENT.
Richelieu ! le polisson !
MADAME RABY.
Avec cette adresse il nous sera facile de savoir.
CHAPUIS.
Excellente idée !... moi, je vais répondre qu’on le poursuive à outrance.
BÉNÉVENT.
J’aperçois Borel : allez, allez.
CHAPUIS, sortant à droite.
Du calme au moins.
BÉNÉVENT.
Je serai solennel !
Chapuis sort par la gauche.
Scène XII
BÉNÉVENT, MADAME BÉNÉVENT, MADAME RABY, AGÉNOR[17]
AGÉNOR, à la cantonade.
C’est bien... après la pluie nous continuerons.
Les apercevant.
Mes chers hôtes !... enchanté... votre propriété me plaît.
À part, montrant une truffe.
Oscar e na exhumé une !...
BÉNÉVENT.
Un instant ! Peut-on savoir sans indiscrétion où demeure M. A. Borel ?
AGÉNOR.
10, rue Richelieu.
MADAME BÉNÉVENT, à part.
Juste !
MADAME RABY, de même.
Plus moyen de douter.
BÉNÉVENT.
Très bien... Dès lors, vous comprenez qu’il ne nous est plus possible de traiter avec vous.
AGÉNOR.
Pourquoi donc ça ?
BÉNÉVENT.
Rue Richelieu ?
MADAME BÉNÉVENT.
N° 10.
AGÉNOR.
Comment, parce que je demeure... qu’à cela ne tienne... je déménagerai.
BÉNÉVENT.
Je retire l’écriteau, Monsieur, je retire l’écriteau !
MADAME BÉNÉVENT.
Nous retirons l’écriteau !
AGÉNOR.
Encore !... Ah ! voilà un écriteau qui doit être fatigué le soir !
BÉNÉVENT, lui remettant son paletot.
Voici votre pardessus...
AGÉNOR.
Comment ! vous me renvoyez !
MADAME BÉNÉVENT.
Chaudement !
AGÉNOR, se jetant dans un fauteuil.
Quelle heure est-il ?
BÉNÉVENT.
Sept heures.
AGÉNOR.
Quel temps fait-il ?
BENÉVENT.
Il pleut.
AGÉNOR.
Merci !
Se renversant dans le fauteuil.
Bien le bonsoir !
MADAME RABY.
Au fait... nous l’avons retenu... c’est notre faute.
Elle remonte avec Bénévent.
MADAME BÉNÉVENT.
Oh ! je vais lui parler, moi...
À Agénor.
Monsieur, votre conduite est celle d’un je ne sais qui... et...
AGÉNOR, se levant.
D’un je ne sais qui !... Madame, vous serait-il égal d’aller grincer plus loin ![18]
MADAME BÉNÉVENT.
Grincer !
AGÉNOR.
Ah ! si j’étais un Cosaque... si j’exhalais les parfums d’un major Crapouth... je comprendrais...
MADAME BÉNÉVENT, bas.
Le major !... Vous connaissez le major ?
AGÉNOR.
Je l’ai flairé cinq mois... Eh ! mais parbleu !... il a passé par ici... il m’a même conté une aventure.
MADAME BÉNÉVENT, bas et vivement.
Silence, Monsieur, silence !
AGÉNOR.
Hein ?
MADAME BÉNÉVENT, bas à Agénor.
Vous resterez.
BÉNÉVENT.
Cependant, Monsieur, vous êtes impatiemment attendu à Paris.
AGÉNOR.
Par qui ?
BÉNÉVENT, avec intention.
Par le glacier des bals de l’Opéra...
AGÉNOR.
Les bals de l’Opéra !... connais pas... je n’y suis allé qu’une fois... il y a deux ans... J’y ai même rencontré un petit domino bleu...[19]
MADAME RABY, à part.
Hein ?
AGÉNOR.
Il faut vous dire qu’un moine.
MADAME RABY.
Un moine !...
AGÉNOR.
Un moine à barbe grise.
MADAME RABY, à part.
Serait-ce lui ?
Bas à Agénor.
Il faut que je vous parle.
AGÉNOR.
Ah !
MADAME BÉNÉVENT, bas à Agénor.
Il faut que je vous parle.
AGÉNOR, à part.
Aussi.
BÉNÉVENT, à part.
Galathée vient de lui parler bas... ça me chiffonne.
Chœur.
Air du Pré aux Clercs.
MADAME RABY et MADAME BÉNÉVENT. L’une à droite d’Agénor, l’autre à sa gauche.
MADAME RABY.
Je reviens !...
MADAME BÉNÉVENT.
Je reviens !...
MADAME RABY.
Jusque-là, du silence !
Taisez-vous !
MADAME BÉNÉVENT.
Taisez-vous !...
BÉNÉVENT, à part.
Que lui dit-elle ainsi ?
Je frémis !
AGÉNOR.
Il me reste encore une espérance.
ENSEMBLE.
Pour savoir le fin mot, je vais attendre ici !
LES AUTRES.
Je saurai le fin mot en revenant ici !
Bénévent et sa femme sortent par le fond, madame Raby par la droite.
Scène XIII
AGÉNOR, puis MADAME BÉNÉVENT, puis BÉNÉVENT, caché[20]
AGÉNSOR, seul.
Les deux propriétaires vont revenir... c’est pour renouer.
Madame Bénévent paraît à gauche.
La moins jeune ! Jouons serré.
MADAME BÉNÉVENT.
Vous trouverez sans doute ma démarche bien légère ?... mais vous connaissez le motif qui me ramène.
AGÉNOR.
Je m’en doute.
MADAME BÉNÉVENT.
Monsieur, vous avez devant vous une femme qui vient vous demander...
AGÉNOR.
Un pot de vin ?
MADAME BÉNÉVENT.
Non, Monsieur... l’honneur !
AGÉNOR, étonné.
L’honneur !... Ah ! donnez-vous donc la peine de vous asseoir !
MADAME BÉNÉVENT.
C’est à l’ami du major Crapouth que je vais raconter mes malheurs.
AGÉNOR.
Il est tard...
MADAME BÉNÉVENT.
Ah ! ce fut une drôle de nuit que la nuit du 14 janvier dernier !
AGÉNOR.
Ah ! je n’y étais pas.
MADAME BÉNÉVENT.
L’armée avait pris position dans la plaine de Vaux-Champs ; le troisième bataillon de la vingt-deuxième demi-brigade défilait par la droite, tête en colonne !
AGÉNOR.
Belle manœuvre !
Bâillant.
C’est de l’école de peloton.
MADAME BÉNÉVENT.
Air de la Sentinelle.
J’allais goûter les douceurs du repos ;
J’avais déjà passé ma camisole ;
Je m’apprêtais à tirer mes rideaux
Pour mieux jouir du sommeil qui console.
Lorsque, troublant le calme de la nuit,
Un bruit affreux, soudain se fait entendre ;
J’étais seule, il était minuit,
Sans défenseur, et, sans habit.
Que faire ?
AGÉNOR.
Dam ! il fallait vous rendre !
Oui, vous rendre.
MADAME BÉNÉNENT.
Me rendre ! Et mon mari, jeune homme !...
BÉNÉVENT, entrant par le fond, à part.
Ensemble ! j’en étais sûr !
MADAME BÉNÉVENT.
La porte de ma chambre s’ouvre tout à coup, j’aperçois une espèce de sauvage, six pieds de haut, des moustaches et une lance !...
BÉNÉVENT, à part.
Qu’est-ce que j’apprends là ?
MADAME BÉNÉVENT.
Ce Tartare répandait autour de lui une odeur...
AGÉNOR.
Je la connais.
MADAME BÉNÉVENT.
Il s’avance vers moi... je le repousse... une lutte s’engage...
AGÉNOR.
Eh bien ?...
MADAME BÉNÉVENT.
Que vous dirai-je ? mes faibles forces...
BÉNÉVENT, qui s’est approché de la chambre de droite, à part.
Mon sang se fige !
MADAME BÉNÉVENT, l’apercevant.
Ciel ! Timothée !...
AGÉNOR, apercevant aussi Bénévent, à part.
Le mari !...oh !...
MADAME BÉNÉVENT, à Agénor, bas.
Chut !
AGÉNOR.
Allons... je vois votre affaire.
MADAME BÉNÉVENT, reprenant.
Mes faibles forces se ranimèrent... je chassai ce barbare, et mon pavillon triompha.
AGÉNOR.
Tiens ! je croyais...
BÉNÉVENT, à part.
Ah ! ça va mieux... mais j’ai besoin de prendre un bouillon...
Il se glisse dans le cabinet de droite.
AGÉNOR.
Pauvre femme ! vous avez dû être bien contrariée !
MADAME BÉNÉVENT.
Puis-je compter sur votre discrétion ?
AGÉNOR.
Puis-je compter sur votre immeuble ?
MADAME BÉNÉVENT.
Air de la Retraite.
Soyez discret.
AGÉNOR.
Je suis muet.
MADAME BÉNÉVENT.
Alors, pour mon lot, je consens,
Je vends.
Soyez discret.
AGÉNOR.
Je suis muet !...
Je vous garantis le secret.
Madame Bénévent sort à gauche.
Et d’une !
Scène XIV
AGÉNOR, puis MADAME RABY
AGÉNOR, seul.
Comme ces Cosaques sont avantageux ! Crapouth m’avait dit que c’était une jeune fille... craqueur de Crapouth, va !
MADAME RABY, entrant par le fond.[21]
Il est seul, il me faut à tout prix une explication.
AGÉNOR, se retournant.
La copropriétaire !...
MADAME RABY.
Je vois que vous m’attendiez... c’est bien... nous avons à causer.
AGÉNOR.
À vos ordres, Madame...
À part.
Cette fois nous allons terminer la vente.
MADAME RABY.
Monsieur, que penseriez-vous d’un homme qui, dans un bal, vis-à-vis d’une femme, ne craindrait pas de recourir à la menace ?...
AGÉNOR.
Continuez.
MADAME RABY.
Je fus coupable d’imprudence... de légèreté... j’en conviens.
AGÉNOR, à part.
Est-ce qu’elle va me raconter aussi ses campagnes ?...
MADAME RABY.
Mais pouvais-je prévoir qu’un lâche... Oui, Monsieur, un lâche !
AGÉNOR.
Oui, Madame, un lâche !
MADAME RABY.
Car, quel nom donner à celui qui abuse de la fausse position d’une femme... pour exiger ! Ah ! Monsieur !
AGÉNOR.
Pardon !... de quoi parlons-nous ?
MADAME RABY.
Eh ! du bal de l’Opéra, Monsieur !
AGÉNOR, bâillant.
Si j’ai envie d’aller au bal...
MADAME RABY.
Je comprends tout ce que cette conversation a de pénible pour vous.
AGÉNOR, très aimable.
Pénible ! Oh !...
Changeant de ton.
Eh bien ! franchement je ne m’amuse pas.
MADAME RABY.
J’en suis vraiment fâchée... Ah ! Monsieur, vos mesures étaient parfaitement prises et votre travestissement bien choisi.
AGÉNOR.
Mon travesti... pardon, de quoi parlons-nous ?
MADAME RABY.
Eh ! Monsieur, du moine de l’Opéra.
AGÉNOR.
Du moine... Attendez donc... ça rentre dans mon histoire !... j’y étais en bourgeois... avec un nez de carton.
MADAME RABY.
Comment ! Mais alors cet étranger, cet ami sous la protection duquel... c’était...
AGÉNOR.
Moi !... Vous êtes mon domino... mon bichon !... Voilà mon bichon !
MADAME RABY.
Ah ! Monsieur... et moi qui vous accusais !...
AGÉNOR.
Ah ! Madame... et moi qui vous soupçonnais !...
MADAME RABY.
De quoi donc ?
AGÉNOR.
Mais de vouloir souper... je me disais : Voilà une gaillarde qui veut souper... pardon !
MADAME RABY.
Mais, cet homme qui me poursuivait... Quel est-il ?
AGÉNOR.
Vous ne le connaissez donc pas ?
MADAME RABY.
Nullement.
AGÉNOR.
Ah ! mais, sapristi ! Il m’a insulté.
MADAME RABY.
Que vous a-t-il dit ?
AGÉNOR.
Des choses fort malhonnêtes...
Jouant la scène.
« Monsieur ! je vous couperai les oreilles !... Monsieur !... Vous en êtes un autre !... Monsieur !!! Monsieur !!! » Et il m’a remis sa carte ; et je ne l’ai pas revu.
MADAME RABY.
Sa carte ?
AGÉNOR.
Illustrée... trois mésanges... sur une couronne de... je ne sais quoi...
MADAME RABY.
Où est-elle ?
AGÉNOR.
Ah ! je ne l’ai plus... depuis deux ans.
MADAME RABY, à part.
Allons ! il est dit que je ne saurai rien.
Haut.
Savez-vous, monsieur Borel, que je commettais une grande imprudence, en prenant votre bras ?
AGÉNOR.
Comment ça ?
MADAME RABY.
Mais votre réputation de séducteur...
AGÉNOR.
Moi séducteur ! Oh ! Dieu !... Madame... j’ai quarante-quatre ans, je suis chimiste... Eh bien ! ma parole d’honneur, vous êtes ma seule aventure !
MADAME RABY, riant.
Vraiment.
À part.
Il y a erreur.
AGÉNOR.
Air de Ténier.
La femme, hélas ! telle est mon innocence,
Ne fut jamais pour moi qu’un objet d’art ;
Sur qui l’on peut (honni qui mal y pense)
Jeter de loin un timide regard.
D’en approcher je n’ai pas l’imprudence,
Ce n’est pour moi qu’un tableau plein d’appas,
Portant ces mots, gravés par la décence :
« Regardez, mais ne touchez pas (bis). »
Qu’est-ce que vous voulez ! moi... je ne peux pas être aimable.
MADAME RABY, vivement.
Alors il faut vous marier.
AGÉNOR.
J’y ai songé... mais faire la cour... dire des choses... gracieuses... c’est plus fort que moi... il faut que je me fâche, que je me mette en colère... et un jour que je serai... mais là... furieux...
MADAME RABY, vivement.
Vous vous marierez ?
AGÉNOR.
Voilà.
MADAME RABY.
Tenez, monsieur Agénor, vous êtes un bien honnête homme !
AGÉNOR, à part.
Quel regard !... si je renouais...
Haut.
Voyons, Madame... un bon mouvement... vendez-moi votre immeuble ?
MADAME RABY, avec douceur.
Volontiers, monsieur Agénor.
AGÉNOR.
Quand ?
MADAME RABY, de même.
Tout de suite !
AGÉNOR.
Ah ! Madame !... vous êtes la plus aimable... la plus adorable, la plus agréable... copropriétaire !
Il lui embrasse la main.
Scène XV
AGÉNOR, MADAME RABY, CHAPUIS[22]
CHAPUIS, entrant par la droite.
Que vois-je ?
À Agénor.
Monsieur ! c’est une indignité !...
AGÉNOR, toujours à genoux.
Nous sommes en affaires !
CHAPUIS, le relevant et se posant.
Monsieur ! je vous couperai les oreilles !
AGÉNOR, à part.
Lui aussi !
Se posant aussi.
Monsieur ! vous en êtes un autre !
CHAPUIS.
Monsieur !
AGÉNOR.
Monsieur !
CHAPUIS.
Voici ma carte.
AGÉNOR, la prenant.
Hein ?
Il la regarde.
Juste !... trois mésanges !...
MADAME RABY.
Comment ?
AGÉNOR, la donnant à madame Raby.
Sur une couronne de... je ne sais quoi...
CHAPUIS, à madame Raby.
Et vous, Madame, après la promesse...
MADAME RABY.
Il suffit, Monsieur...[23] j’apprends à vous connaître... je ne serai jamais votre femme !...
Scène XVI
AGÉNOR, CHAPUIS, MADAME RABY, BÉNÉVENT, MADAME BÉNÉVENT[24]
BÉNÉVENT.
Quel est ce bruit ?
MADAME BÉNÉVENT.
Qu’ya-t-il ?
CHAPUIS.
Il ya que je viens de trouver Monsieur aux genoux de Madame.
BÉNÉVENT.
Est-il possible !
MADAME BÉNÉVENT.
Ma fille !
AGÉNOR.
Permettez... j’y étais pour un contrat...
BÉNÉVENT, à Agénor.
Taisez-vous !
AGÉNOR, continuant avec colère.
Synallagmatique !
BÉNÉVENT.
Monsieur ! je vous tiens pour un coureur de ruelles !
AGÉNOR.
Mais quand je vous dis...
BÉNÉVENT.
Taisez-vous donc !
AGÉNOR.
Ah ! allez au diable !
BÉNÉVENT.
Après ce qui s’est passé, je me vois forcé, comme père, de vous demander une réparation.
AGÉNOR.
Soit... je la refuse...
BÉNÉVENT.
Si j’avais affaire à un galant homme, la seule possible serait un mariage.
MADAME RABY, à part.
Un mariage !
BÉNÉVENT.
Mais Monsieur n’épouse pas, c’est connu...
AGÉNOR.
Je n’épouse pas ? et pourquoi donc ça ?
BÉNÉVENT.
Parce que vous n’épousez pas !
AGÉNOR, se montant.
Je vous dis que j’épouse !
BÉNÉVENT.
Je vous dis que non !
AGÉNOR.
Je vous dis que si !
À part.
Oh ! mais il m’exaspère, ce vieux !... Ah ! je n’épouse pas !...
À Bénévent, avec colère.
Monsieur, je vous demande la main de votre fille !
BÉNÉVENT.
Où sont vos gants ?
AGÉNOR.
Dans ma poche.
BÉNÉVENT.
Voyons-les !...
AGÉNOR, les montrant.
Les voici...
BÉNÉVENT, avec colère.
Je vous l’accorde, Monsieur !
AGÉNOR, de même.
Merci, Monsieur !
MADAME RABY, riant.
Permettez !... il serait à propos de me consulter...
AGÉNOR.
C’est juste.
Brusquement.
Madame, je suis furieux !... je vous aime, je vous adore, et je demande à vous épouser !
MADAME RABY, l’imitant.
Monsieur, je ne vous aime pas, je ne vous adore pas, mais je vous épouse.
AGÉNOR, étonné.
Tiens ! me voilà marié !
CHAPUIS.
Soit... mais avant je me donnerai le plaisir de vous faire coffrer... Connaissez-vous ces billets ?
AGÉNOR, regardant.
L’écriture d’Anténor !... ah ! le petit gueux !
TOUS.
Anténor !
AGÉNOR.
Un frère qui demeure avec moi... et qui enlève toutes les femmes.
BÉNÉVENT.
Qu’est-ce qu’il fait ?
AGÉNOR.
Lui !... il est dans l’instruction publique.
BÉNÉVENT.
Alors tout s’explique... Je le vois, maintenant, nous vous savions méconnu... Monsieur, je remets l’écriteau.
AGÉNOR.
Monsieur, j’ôte mon paletot.
BÉNÉVENT.
Mais dites-moi donc pourquoi vous teniez tant à acquérir cette propriété ?...
AGÉNOR.
J’en avais besoin pour une découverte que j’ai faite... J’ai pris un brevet pour cultiver...
BÉNÉVENT.
Quoi ?
AGÉNOR, se ravisant.
Des navets.
BÉNÉVENT.
Ah ça ! nous ferons la noce ici... Vous inviterez vos amis... M. Oscar...
AGÉNOR.
Soyez tranquille... il sera du repas.
MADAME BÉVÉVENT.
Mais puisque il est ici, je vais l’inviter à dîner... Pierre !
AGÉNOR.
Je ne vous le conseille pas.
MADAME BÉNÉVENT.
Il est cérémonieux ?
AGÉNOR.
Oh ! non !
MADAME RABY.
Mais enfin, qu’est-ce que c’est que M. Oscar ?
AGÉNOR.
Vous voulez le savoir, eh bien ! c’est un ami que j’engraisse pour en faire du boudin.
TOUS.
Ah !
Chœur.
Air de Lorsque le soir dans la plaine.
AGÉNOR.
Je comprends enfin leurs mystères ;
On me croyait un séducteur ;
Pour les chimistes, mes confrères,
Je puis dire que c’est flatteur.
MADAME RABY.
Je comprends enfin ce mystère ;
Lui, qu’on croyait un séducteur,
Bon époux, bon fils et bon père,
Je lui devrai tout mon bonheur.
CHAPUIS.
Je comprends enfin ce mystère.
Lui, qu’on croyait un séducteur,
C’est un homme très ordinaire
Et je lui dois tout mon malheur.
M. et MADAME BÉNÉVENT.
Je comprends enfin ce mystère ;
Lui, qu’on croyait un séducteur,
Bon époux, bon fils et bon père,
Nous lui devrons notre bonheur.
[1] Madame Raby, Bénévent, Chapuis.
[2] Chapuis, madame Raby.
[3] Chapuis, Bénévent, madame Bénévent, madame Raby.
[4] Chapuis, Bénévent, Pierre, madame Bénévent, madame Raby.
[5] Chapuis, Bénévent, Agénor, madame Bénévent, madame Raby.
[6] Chapuis, Bénévent, Agénor, madame Raby, madame Bénévent.
[7] Bénévent, Agénor.
[8] Agénor, Pierre.
[9] Pierre, Agénor.
[10] Madame Bénévent, Bénévent, madame Raby, Agénor.
[11] Madame Bénévent, madame Raby, Bénévent, Agénor.
[12] Madame Raby, madame Bénévent, Bénévent, Agénor.
[13] Madame Raby, Bénévent, madame Bénévent, Agénor.
[14] Madame Raby, Bénévent, madame Bénévent, Agénor.
[15] Madame Bénévent, madame Raby, Agénor, Bénévent.
[16] Madame Bénévent, Agénor, Bénévent, madame Raby.
[17] Madame Bénévent, madame Raby, Bénévent, Agénor.
[18] Madame Bénévent, Agénor, Bénévent, madame Raby.
[19] Bénévent, Madame Bénévent, madame Raby.
[20] Agénor, madame Bénévent.
[21] Madame Raby, Agénor.
[22] Madame Raby, Chapuis, Agénor.
[23] Agénor, madame Raby, Chapuis.
[24] Madame Bénévent, Bénévent, madame Raby, Chapuis.