Virginie (Jean-François de LA HARPE)

Tragédie en cinq actes et en vers.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre-Français, le 1er juillet 1786.

 

Personnages

 

APPIUS, premier décemvir

SPURIUS, autre décemvir, ami d’Appius

ICILIUS, ancien tribun du peuple

VIRGINIUS, centurion

PLAUTIE, femme de Virginius

VIRGINIE, fille de Virginius et de Plautie

VALÉRIUS, sénateur consulaire

MÉNÈS, affranchi d’Icilius

LE CHEF DES LICTEURS

CLAUDIUS, client d’Appius, personnage muet

SEPTIME, appariteur, personnage muet

BARCÉ, nourrice de Virginie, personnage muet

LICTEURS

SÉNATEURS

ROMAINS

SOLDATS

ESCLAVES

FEMMES, suivantes de Virginie

 

La scène est à Rome.

 

 

LETTRE DE L’AUTEUR[1] AUX JOURNALISTES DE PARIS

 

Permettez-moi, messieurs, de rendre publics, par la voie de votre journal, quelques éclaircissements relatifs à la tragédie de Virginie que l’on va représenter au Théâtre-Français de la rue Richelieu. Comme il a paru depuis quelques années plusieurs pièces du même nom, et qu’on en prépare encore d’autres, il m’importe, et il doit m’être permis de rappeler les faits qui con statent mon antériorité, de manière à ne laisser aucun doute.

Cette tragédie fut jouée, sans nom d’auteur, au mois de juillet 1786, par les comédiens français du faubourg Saint-Germain : elle leur avait été lue par M. Molé à qui je l’avais confiée ; elle reçut du public un accueil très favorable. Cependant, malgré le succès, je fus obligé, par une circonstance assez singulière, de garder l’anonyme. Une actrice principale[2], qui ne pouvait pas être remplacée dans cette pièce où elle jouait, indisposée depuis longtemps contre moi par le refus d’un rôle dans un autre de mes ouvrages, avait solennellement annoncé qu’elle ne jouerait jamais dans aucun des miens, et menaçait même, dans le cours des représentations de Virginie, de quitter son rôle, s’il était avéré que la pièce fût de moi, comme on commençait à le croire assez généralement. Je gardai donc le silence, et donnai même un démenti à un journaliste, qui, en transcrivant le répertoire de la cour où se trouvait Virginie, y avait joint mon nom, seulement d’après la voix publique. Ce journaliste n’était pas en règle ; car, quoique la pièce fût en effet de moi, mon nom n’étant pas sur l’original du répertoire, il ne devait pas l’imprimer. Chaque auteur est maître de garder son secret, et personne n’a le droit de le lui arracher.

Quand cette tragédie fut représentée, on ne connaissait d’autre Virginie[3] que celle de Campistron, qui n’avait jamais reparu depuis la nouveauté. Elle n’a rien de commun avec la mienne que le titre et le sujet ; il n’y a de romain que les noms. L’auteur a falsifié jusqu’au dénouement : c’est Virginie qui se tue elle-même (dans un récit) ; et pour tout dire en un mot, l’auteur n’a pas même cru devoir mettre Virginius au nombre de ses personnages.

M. le Blanc fit imprimer une Virginie dans le temps même où l’on représentait la mienne. Ce n’est point à moi de la juger ; elle n’a jamais été mise au théâtre ; mais ceux qui la liront ou qui l’ont lue ne me démentiront pas, quand j’assurerai qu’elle n’a, comme celle de Campistron, rien de commun avec la mienne que le titre et le sujet.

Je songeais à faire reprendre ma pièce, lorsque la révolution arriva ; et dès-lors, occupé d’obtenir la liberté des théâtres, je rompis tout commerce avec celui qui la disputait aux autres. Dans cet intervalle, un auteur, qu’on dit être M. Doigny du Ponceau, donna sur ce même théâtre une Virginie en trois actes, qui eut trois ou quatre représentations. Je ne l’ai point vue ; il n’a pas jugé à propos de l’imprimer. J’ignore s’il m’a fait l’honneur d’emprunter quelque chose de mon ouvrage, comme on me l’assure ; ce qui est certain, c’est que je n’ai pu profiter du sien, qui est postérieur de cinq ans ; et mon ancien manuscrit, qui doit être encore entre les mains du souffleur de l’ancienne Comédie-Française, peut faire foi que la Virginie que l’on va jouer est entièrement la même que celle que je donnai en 1786 ; je n’y ai fait aucun changement quelconque ; seulement j’ai profité de notre heureuse liberté pour renforcer une scène capitale entre Appius et Icilius, par le développement du grand principe de la souveraineté du peuple, principe qui heureuse ment tient encore à mon sujet, mais qui sûre ment n’aurait pas convenu à l’ancien régime.

Il résulte de ces détails, que si le public, en 1786, parut savoir quelque gré à l’auteur de Virginie d’avoir vaincu le premier les difficultés d’un sujet qui passait pour impraticable, et qui semblait n’offrir qu’un superbe dénouement, ce mérite, quel qu’il soit, ne peut au moins m’être disputé par aucun de ceux qui ont traité depuis le même sujet ou qui le traiteront encore. La priorité des idées est quelque chose en ce genre, et l’on a toujours permis aux artistes d’y attacher quelque prix.

Au reste, si je me suis déterminé à donner cette tragédie préférablement à d’autres absolument nouvelles, c’est que j’ai cru du devoir de tout écrivain, dans le moment où nous sommes, de s’attacher de préférence aux ouvrages où l’on peut, sans sortir de son sujet, trouver de quoi nourrir l’esprit de liberté et le sentiment du patriotisme ; et j’avoue que ce mérite m’est encore plus cher que tous les autres.

LA HARPE.

5 mai 1792.

 

 

ACTE I

 

Le théâtre représente un appartement intérieur de la maison de Virginius. On voit au fond les statues des dieux domestiques et un autel orné de guirlandes.

 

 

Scène première

 

ICILIUS, VALÉRIUS

 

VALÉRIUS.

Dans un jour solennel, à l’hymen consacré,

Lorsque déjà pour vous l’autel est préparé,

Lorsqu’à tant de rivaux que sa gloire humilie,

L’heureux Icilius enlève Virginie,

Pardonnez au devoir qui, m’appelant vers vous,

Vous distrait un moment d’un triomphe si doux.

Il s’agit de l’état : quelque soin qui vous presse,

Quoi qu’exige de vous une juste tendresse,

Votre cœur m’est connu : l’hymen et ses douceurs

Y laissent place encore aux publiques douleurs. 

Rome, dans les apprêts d’une pompe si chère,

Ne vous fait point entendre une plainte étrangère ;

Et quoique Icilius, ennemi du sénat,

Soit ici de tout temps l’âme du tribunat,

L’opprobre qui flétrit la liberté romaine,

Doit dans les deux partis suspendre au moins la haine.

C’est le même intérêt qui doit nous rassembler ;

C’est au nom du sénat que je viens vous parler.

ICILIUS.

Vous me rendez justice, et vous avez dû croire

Que ce cœur en tout temps aime Rome et la gloire ;

Que malgré les douceurs du plus tendre lien,

Et l’amant et l’époux cèdent au citoyen.

Né pour l’égalité, né pour la république,

Il est vrai, j’ai haï ce sénat despotique,

Qui foule un peuple libre, en proie à ses hauteurs ;

Tribun, j’ai combattu l’orgueil des sénateurs.

Mais je n’ai point en vous rencontré d’adversaire :

Toujours Valérius s’est montré populaire.

À vos nobles aïeux, dignes soutiens des lois,

Rome et la liberté doivent leurs plus beaux droits.

Le peuple espère en vous quand le sénat l’accable ;

Votre nom près de lui fut toujours favorable.

D’un si grand intérêt venant m’entretenir,

De moi Valérius pourra tout obtenir.

Je ne puis cependant lui cacher ma surprise :

À traiter avec moi le sénat l’autorise !

Quoi ! sous les décemvirs deux ans anéanti

Le sénat du silence est donc enfin sorti !

Qui l’a pu convoquer ? de quel droit ? à quel titre ?

Seul de l’état entier Appius est l’arbitre.

Lorsqu’au fer des Sabins avec peine arrachés,

Ses collègues vaincus dans leur camp sont cachés,

Il domine en tyran dans Rome consternée,

Remplit de ses licteurs la place abandonnée.

Il n’est plus ni tribuns, ni consuls, ni sénat :

Tout pouvoir a fini sous le décemvirat.

La tribune est muette, et Rome est asservie.

VALÉRIUS.

Et voilà de quels maux la discorde est suivie ;

De nos divisions voilà les fruits amers.

Hélas ! trop vainement j’ai prévu ces revers.

Que n’ai-je pu calmer ces jalouses querelles,

Ces débats factieux, ces luttes éternelles,

Où d’une et d’autre part on s’est précipité

Dans l’abus du pouvoir ou de la liberté,

Où nul des deux partis n’a connu la balance

Ni de l’autorité, ni de l’obéissance !

Enfin pour s’accorder, d’une commune voix,

Les Romains à la Grèce ont demandé des lois.

Rome, pour élever cet auguste édifice,

De tout autre pouvoir suspendant l’exercice,

Créa des décemvirs, et sur eux à la fois

Des tribuns, des consuls réunit tous les droits.

Un an devait finir l’ouvrage et leur puissance ;

Mais toujours ennemis, toujours en défiance,

Les deux ordres rivaux, le peuple et le sénat,

L’un craignant les consuls, l’autre le tribunat,

Des décemvirs encore ont prolongé l’empire.

Contre elle-même, hélas ! ainsi Rome conspire ;

C’est ainsi qu’Appius vit notre propre main

À son ambition aplanir le chemin.

Ainsi de commander la flatteuse habitude,

Et de l’art des tyrans la criminelle étude,

Ses collègues par lui soumis ou corrompus,

Nos jeunes sénateurs à ses desseins vendus,

Qui pensent ramener, grâce à la tyrannie,

Dans l’absence des lois la licence impunie,

Ont préparé le joug dont on veut nous flétrir,

Que même sous ses rois Rome n’a pu souffrir !

Et tandis qu’on l’opprime et qu’Appius y règne,

L’ennemi rassuré l’insulte et la dédaigne.

J’en rougis... Les Latins si souvent terrassés,

Relevant leurs drapeaux tant de fois renversés,

Ont vu fuir devant eux notre aigle et nos cohortes ;

L’étendard des Sabins a menacé nos portes :

Et nos guerriers l’ont vu sans honte et sans fureur,

Dans les forêts d’Algide ils cachent leur terreur,

Trop heureux, au danger d’une défaite entière,

D’opposer de leur camp la timide barrière.

ICILIUS.

Dans notre abaissement, êtes-vous donc surpris

Que Rome à ses sujets inspire le mépris ?

Peut-elle commander quand elle est à la chaîne,

Esclave dans ses murs, être ailleurs souveraine ?

N’accusez pas en vain le peuple et les soldats ;

Ils ont le même cœur, ils ont le même bras.

Mais pour qui triompher, s’il n’est plus de patrie ?

Si la gloire, seigneur, qu’ils ont toujours chérie,

Si la victoire enfin abandonne leurs rangs,

C’est qu’ils n’ont pas voulu vaincre pour des tyrans.

VALÉRIUS.

Eh bien ! Icilius, de cet opprobre insigne

Le sénat plus que vous et s’irrite et s’indigne.

Trop longtemps Appius tremble de l’assembler ;

Devant cet ordre auguste il n’oserait parler.

Il veut en effacer la majesté suprême ;

Mais le sénat chez moi s’est convoqué lui-même.

Le brave Horatius, le défenseur des lois,

Né comme moi d’un sang qui combattit les rois,

Et les deux Quintius, et tous nos consulaires,

Des droits du nom romain ces grands dépositaires,

Ont enfin résolu d’affranchir cet état,

Et du joug d’Appius et du décemvirat.

À ce fier décemvir dont on craint la furie,

J’irai parler moi-même au nom de la patrie.

À ce rang odieux s’il ne veut renoncer,

Croyez que le sénat peut encor l’y forcer ;

Et même plus j’y pense et moins je m’imagine

Qu’Appius jusqu’au bout dans ses projets s’obstine,

Qu’il risque, en se portant à cette extrémité,

Ce combat d’un tyran contre la liberté.

Non, la voix du sénat, le devoir qui l’inspire,

Sur un patricien doit avoir quelque empire.

Mais quand les décemvirs de si haut descendus,

Au rang de citoyen rentreront confondus ;

Quand le peuple sur eux reprendra sa puissance,

N’abusera-t-il point du droit de la vengeance ?

Voilà sur quoi vous seul pouvez nous rassurer :

Seul vous êtes son guide et pouvez l’éclairer.

Appius est d’un sang que dans Rome on révère,

Et surtout au sénat sa famille est bien chère.

Nous craignons qu’aux fureurs d’un peuple forcené

Le sang patricien ne soit abandonné.

En un mot, à nos vœux s’il consent à se rendre,

À quel sort Appius doit-il enfin s’attendre ?

Le sénat à vous seul veut bien s’en rapporter.

ICILIUS.

Je n’ai point cet espoir qui semble vous flatter.

J’ai trop su d’Appius démêler le génie,

Et chaque pas qu’il fait tend à la tyrannie.

Trop longtemps du pouvoir il goûta les appas :

Déjà le Capitole est plein de ses soldats.

Et juge sans appel, et magistrat unique,

Il pourrait déposer ce faste tyrannique !

Il pourrait abdiquer ! Non, seigneur... cependant,

Si vous avez sur lui cet heureux ascendant,

Allez, ce peuple, objet de votre défiance,

Ne veut que la justice et non pas la vengeance.

Que tout soit rétabli, qu’il rentre dans ses droits ;

Rendez-lui ses tribuns, ses comices, ses lois,

Surtout ce droit d’appel, cette loi Valérie,

Bienfait de vos aïeux, rempart de la patrie :

Il ne veut point prétendre à des présents plus chers,

Ni s’armer contre vous des maux qu’il a soufferts.

Non, seigneur, il n’est point affamé de victimes ;

Il peut sacrifier ses plaintes légitimes,

Et livrer Appius, après ses attentats,

Non point à ses remords, les tyrans n’en ont pas,

Mais au regret amer d’un forfait inutile,

À la honte d’une âme ambitieuse et vile,

Qui put croire en effet qu’il était un destin

Au-dessus de l’honneur d’être libre et Romain.

Voilà nos sentiments : le sénat peut m’en croire.

VALÉRIUS.

Ah ! puisse de nos maux s’effacer la mémoire !

Que puisse s’oublier cet opprobre si grand,

Que le sénat de Rome ait produit un tyran !

Et vous, Icilius, citoyen magnanime,

Que le même intérêt désormais nous anime.

Ô Rome ! dans ton sein rapproche tes enfants :

Qu’ils soient toujours unis pour être triomphants.

Je retourne au sénat : jouissez par avance

Des droits que vous avez à sa reconnaissance.

Croyez qu’auprès de lui par mes soins secondé,

Le peuple en obtiendra plus qu’il n’a demandé.

Il sort.

 

 

Scène II

 

ICILIUS, seul

 

Sénateur vertueux, ami de la justice,

Du peuple en tous les temps appui cher et propice,

Que ne puis-je, en ce jour que j’ai tant souhaité,

Embrasser cet espoir que tu m’as présenté !

Mon bonheur serait pur, si Rome était heureuse.

Faut-il que de ses maux l’image douloureuse

Se mêle au sentiment de ma félicité,

Et d’un plaisir si doux trouble la pureté !

L’hymen me donne enfin l’aimable Virginie ;

Et dans le même instant qu’à mes destins unie,

Elle remplit ce cœur que l’amour lui soumit,

J’ai honte d’être heureux, lorsque Rome gémit.

Vous, pénates sacrés, chargés de nos offrandes,

Que d’innocentes mains ont parés de guirlandes ;

Protégez-nous, ô dieux ! que nos destins cruels

Ne nous poursuivent pas au pied de vos autels.

Sur mon épouse et moi... Je la vois qui s’avance.

 

 

Scène III

 

ICILIUS, VIRGINIE, DEUX FEMMES SUIVANTES

 

ICILIUS.

Quoi ! si près du moment que mon ardeur devance,

Alors que de l’hymen les nœuds saints et chéris

Consacrent un amour dont le vôtre est le prix,

Ma chère Virginie, une ombre de tristesse,

Sur vos traits répandue, alarme ma tendresse !

Porterez-vous ce front obscurci de douleur,

Au temple où vous allez prononcer mon bonheur ?

Si j’ai dû vous en croire, il est aussi le vôtre.

VIRGINIE.

Jamais, jamais ce cœur n’en peut désirer d’autre ;

Et quand je vais jurer d’être toujours à vous,

Le plus saint des serments est encor le plus doux.

Mais, je vous l’avouerai, mon âme est étonnée,

En adorant l’époux à qui l’on m’a donnée,

D’ignorer aujourd’hui ces transports si charmants,

Que tout prêts d’être unis éprouvent les amants ;

Soit que d’un tel bonheur l’impression si chère

Dans l’âme qu’il remplit s’enferme tout entière,

Soit que plus il est grand, moins elle ose en jouir,

Et pense à tout moment le voir s’évanouir.

Veuille le ciel, témoin du noud qui nous engage,

Ne pas tourner, hélas ! mes craintes en présage !

Mais toujours l’avenir se noircit devant moi ;

J’éprouve à chaque instant je ne sais quel effroi,

Même auprès d’un époux, dans les bras de ma mère,

Et la félicité semble m’être étrangère.

Peut-être en mon esprit les malheurs de l’état

Ont jeté ces terreurs que ma raison combat.

Sans doute aussi l’absence et les dangers d’un père

Mêlent à notre joie un chagrin qui l’altère.

Pourquoi Virginius n’en est-il pas témoin ?

Combien il vous chérit, seigneur ! avec quel soin

De votre tribunat il me contait la gloire,

L’orgueil patricien vous cédant la victoire,

Et le peuple vengé des abus oppresseurs,

Comptant Icilius parmi ses défenseurs !

Mon âme avidement écoutait ce langage,

Et quand il vous louait je l’aimais davantage.

Et maintenant ce père est éloigné de nous !

Il ne m’entendra point vous nommer mon époux !

L’hymen offre à nos yeux ses pompes éclatantes :

Loin de cet appareil, il veille sous des tentes,

Exposé chaque jour aux périls les plus grands,

Pour défendre des murs où règnent des tyrans !

ICILIUS.

J’ai regret comme vous qu’une âme paternelle

S’arrache à des plaisirs toujours si doux pour elle.

Mais ses ordres sacrés en hâtent le moment ;

Notre amour obéit à son empressement.

« Je veux à mon retour (écrit-il à Plautie)

« Revoir Icilius époux de Virginie. »

Aurais-je mérité votre main, votre cœur,

Si j’eusse mis obstacle à mon propre bonheur ?

Il allait s’accomplir, à l’instant où la guerre

Contre nos ennemis appela votre père.

Je vis par son départ notre hymen suspendu.

Il crut à nos désirs être bientôt rendu ;

Que le Sabin, au joug vainement indocile,

Nous préparait encore un triomphe facile.

Mais ce n’est plus le temps où ces grands dictateurs,

Ces guerriers citoyens, ces héros laboureurs,

Prompts à venger l’état et pressant la victoire,

De vaincre et d’abdiquer briguaient la double gloire,

Revolaient du triomphe aux rustiques travaux,

Et reprenaient le soc en quittant les faisceaux.

Des Romains aujourd’hui tel n’est plus le génie.

L’esclavage toujours produit l’ignominie ;

Et sous des chefs vaincus, sans doute, nos soldats

Passeront dans leur camp la saison des combats.

VIRGINIE.

Et mon père !...

ICILIUS.

Sur lui ne prenez point d’alarmes.

Le Sabin enivré du succès de ses armes,

A cru que notre camp pouvait être forcé ;

Mais par nos légions il s’est vu repoussé ;

Et le soldat aux chefs a fait assez connaître

Qu’il eût été vainqueur, s’il avait voulu l’être.

Bannissez donc la crainte ; et qu’en un tel moment,

Tranquille sur un père et toute à votre amant,

Aux transports que je sens votre âme abandonnée,

S’ouvre aux plaisirs si doux qu’épure l’hyménée,

Les seuls dont aujourd’hui je puisse encor jouir,

Et qu’au moins des tyrans ne peuvent nous ravir.

Mais j’aperçois Plautie.

 

 

Scène IV

 

ICILIUS, VIRGINIE, PLAUTIE, MÉNÈS, BARCÉ, DEUX FEMMES SUIVANTES

 

PLAUTIE.

Ô toi ! fille si chère !

Vous devenu mon fils, autre espoir de sa mère !

Tout est prêt : désormais rien ne peut différer

Le bonheur que pour vous j’aimais à préparer.

Il faut, pour l’achever sous les plus saints auspices,

Aux pieds des immortels en offrir les prémices.

Le temple vous attend : ces soins religieux

Vont à votre bonheur intéresser les dieux.

À Icilius.

Votre affranchi Ménès,

Montrant sa fille.

et Barcé sa nourrice,

Vous conduiront tous deux au lieu du sacrifice.

Moi, dans quelques instants, j’irai me joindre à vous,

Et remettre ma fille aux mains de son époux.

ICILIUS.

Notre félicité va vous être commune.

C’est au cœur d’une mère une idée importune,

Que de voir une enfant s’éloigner de ses bras :

Vous me donnez la vôtre et ne la perdez pas.

Non, aux yeux maternels elle n’est point ravie :

J’ai fixé près de vous ma demeure et ma vie.

Par les mêmes liens nous sommes tous unis,

Et sans vous rien ôter, l’hymen vous donne un fils.

VIRGINIE, à Plautie.

Combien à mon amour cette espérance est chère !

J’aimerai mon époux sous les yeux de ma mère !

Jugez si cet espoir a droit de me charmer :

Il ajoute au plaisir que je sens à l’aimer.

PLAUTIE.

Prends garde qu’aux autels portant un juste hommage,

D’un si doux avenir la trop flatteuse image

Te fasse oublier Rome en présence des dieux.

À tous deux.

Qu’ils entendent ce nom mêlé dans tous vos vœux.

Ah ! quand votre union sous leurs yeux se consomme,

Priez-les de finir l’esclavage de Rome.

Vous aimez la patrie, et ce grand sentiment

Jamais d’un cœur romain ne s’éloigne un moment.

Allez.

 

 

Scène V

 

PLAUTIE, seule

 

Sois satisfait de mon obéissance,

Cher époux ! Quand mon cœur déplore ton absence,

Tes plus ardents souhaits vont du moins se remplir :

Tu presses cet hymen : ce jour va l’accomplir.

Enfin, Icilius, appui de ta famille,

Adoré des Romains ainsi que de ta fille,

Ce digne citoyen de ton choix honoré,

Va recevoir le prix qu’il avait espéré.

Ton cœur à ses vertus dut cette préférence.

Tous deux vont être unis : puisse cette assurance

Adoucir le regret d’avoir armé ton bras,

Pour servir malgré toi des oppresseurs ingrats !

Tes enfants sont heureux : ton âme paternelle

Déjà de leur bonheur devance la nouvelle.

On va te la porter : désormais leur amour

Ne forme plus qu’un vœu, celui de ton retour.

Et quel moment encor ma tendresse présage !...

 

 

Scène VI

 

PLAUTIE, MÉNÈS

 

MÉNÈS.

Ah ! madame !

PLAUTIE.

L’effroi se peint sur ton visage ;

Ménès !... Quoi donc !

MÉNÈS.

Ô crime ! ô comble de l’horreur !

Votre fille...

PLAUTIE.

Elle ! eh bien ?

MÉNÈS.

En sa noire fureur,

Un monstre, un artisan d’infâmes impostures

A sur elle à mes yeux porté ses mains impures.

PLAUTIE.

Et qui ? grands dieux ! Qui donc peut oser ?...

MÉNÈS.

Claudius,

La nommant son esclave, invoquant Appius,

Veut malgré son époux...

PLAUTIE.

Je ne puis plus t’entendre.

Ma fille !... Viens, suis moi ; je vole la défendre.

 

 

ACTE II

 

La scène, pendant cet acte et le suivant, est dans un portique du palais d’Appius : on voit au fond son tribunal.

 

 

Scène première

 

ICILIUS, VALÉRIUS

 

ICILIUS.

C’est vous, Valérius ! Romain trop généreux,

Qu’attendez-vous de moi dans ces moments affreux ?

Songez en quel état Virginie et sa mère...

VALÉRIUS.

Le coup qui les accable a frappé Rome entière.

Leur intérêt m’amène. On m’a dit qu’Appius

Seul et dans le secret écoute Claudius,

Tandis que votre épouse est auprès de Plautie :

Je sens toute l’horreur dont votre âme est remplie.

Pardonnez à mon zèle, à mon empressement.

Pour être instruit de tout j’ai saisi ce moment.

Quel est cet attentat qui nous couvre de honte ?

Parlez : aux sénateurs je dois en rendre compte.

ICILIUS.

Non, seigneur, l’imposture et la perversité

Par un coup plus hardi n’ont jamais éclaté.

D’une semblable audace il n’est aucun exemple.

Je suivais Virginie et marchais vers le temple.

Claudius tout-à-coup se présente à mes yeux.

Il m’arrête ; et d’un geste et d’un cri furieux :

« Rends-moi, rends-moi, dit-il, mon bien que je réclame.

« Cette esclave jamais ne peut être ta femme.

« Esclave, suivez-moi », poursuit-il ; et soudain

Lève sur Virginie une insolente main.

Je le saisis lui-même, enflammé de furie.

Le peuple nous entoure et le traître s’écrie :

« Romains, secourez-moi : j’atteste devant vous

« La justice et les lois qui sont faites pour tous.

« Je demande une esclave à son maître enlevée ;

« Elle naquit chez moi, sa naissance est prouvée.

« Icilius s’oppose à de si justes droits.

« Devant le décemvir qu’on nous mène tous trois.

« Qu’il nous juge. » À ces mots, j’aperçois Virginie,

Dans les bras de Barcé tombant évanouie.

Je l’appelle ; elle était sans voix, sans mouvement.

Peignez-vous mon état dans ce fatal moment ;

Concevez, s’il se peut, cette épreuve cruelle.

Je m’adresse à Ménès, mon affranchi fidèle.

« Cours, lui dis-je ; à Plautie, apprends ce que tu vois. »

Il vole, lui dit tout ; elle accourt : à sa voix

Virginie ouvre enfin les yeux à la lumière.

Je console, encourage et la fille et la mère.

Tout le peuple à grands cris les pressait avec moi

D’aller au tribunal, ou sans doute la loi

Les vengerait bientôt de cet indigne outrage.

La foule à chaque instant croît sur notre passage,

Nous entraîne, nous porte au palais d’Appius.

Le décemvir paraît. À peine Claudius

A prononcé les mots de maître et d’esclavage,

La mère l’interrompt avec des cris de rage,

Et Virginie en pleurs semble être à tout moment

Prête de succomber à son saisissement.

Appius affectant quelque pitié pour elle,

Feint qu’il veut ménager l’oreille maternelle,

Appelle Claudius, reçoit loin de nos yeux

De ce lâche imposteur le récit odieux ;

Et tandis que ma main veut essuyer leurs larmes,

J’apprends que dans ces lieux, au bruit de tant d’alarmes,

Valérius m’attend près de ce tribunal,

Sous ce portique impie, aux Romains si fatal ;

Et sans doute son cœur, dont je dois tout attendre,

Contre l’oppression est prêt à nous défendre.

VALÉRIUS.

D’un outrage inouï surpris et révolté,

J’ai voulu que par vous il me fût attesté.

J’ai rejeté d’abord l’indigne calomnie,

Dont on flétrit en vain le sort de Virginie :

Le sang qui l’a formée est pur comme son cœur.

Mais comment du complot concevoir la noirceur ?

Qui peut l’avoir ourdi ? comment ? sur quel indice ?

Croyez-vous qu’Appius en puisse être complice ?

ICILIUS.

En pouvez-vous douter ? Quoi ! ce vil Claudius,

Un citoyen sans nom, un client d’Appius,

Eût osé méditer cette fourbe insolente,

S’il n’était l’instrument d’une main plus puissante ?

C’est celle d’Appius : j’en reconnais les coups...

Il me hait dès longtemps : ce cœur fier et jaloux

Se ressouvient toujours avec quelle constance

J’ai contre lui du peuple armé la résistance,

Lorsque mon tribunat, de nos lois le soutien,

Humiliait en lui l’orgueil patricien.

Mais il ne suffit pas de repousser l’injure,

Il faut, il faut punir le ministre parjure,

Aux passions d’un maître esclave assujetti.

En ce moment Ménès, par mon ordre, parti,

Vole vers notre camp, et d’une telle offense

Bientôt Virginius vient demander vengeance.

Il faut que le coupable en ressente l’effet,

Et que le châtiment soit égal au forfait.

VALÉRIUS.

Appius à mes yeux est plus coupable encore,

Seigneur, et le sénat que son nom déshonore,

Quoiqu’un puissant parti l’ose encor soutenir,

Ne voit plus qu’un tyran que nous devons punir.

Vous aviez mieux que moi connu son caractère ;

Il a bravé nos lois, rebuté ma prière ;

Le sénat désormais le traite en ennemi.

Rompons, rompons le joug dont Rome a trop gémi.

Du palais d’Appius ici quelqu’un s’avance.

Je vais employer tout pour sauver l’innocence.

Il sort.

ICILIUS.

Courons leur annoncer. Mais que vois-je ?...

 

 

Scène II

 

ICILIUS, PLAUTIE, VIRGINIE

 

PLAUTIE.

Ah ! seigneur,

Arrachez-nous, hélas ! de ce lieu plein d’horreur.

VIRGINIE.

Tant d’audace longtemps sera-t-elle impunie ?

Je frémis de l’état où je vois Virginie.

Ils la feront mourir.

ICILIUS.

Rassurez-vous, croyez

Que de si justes pleurs peuvent être essuyés ;

Et, déjà comme moi ressentant notre injure,

Des secours du sénat Valérius m’assure.

Lui-même il est venu m’apporter cet espoir,

Croyez-vous qu’Appius, quel que soit son pouvoir,

Outrageant à ce point la plus pure innocence,

Ose de son client protéger l’insolence ?

À Virginie.

Calmez-vous, chère épouse, il sera confondu.

VIRGINIE.

Eh ! voilà donc ce jour par l’amour attendu !

Hélas ! je le croyais le plus beau de ma vie.

Tristes pressentiments qui m’avez poursuivie !

Je n’osais les en croire : ils sont trop confirmés.

ICILIUS.

Ils seront démentis : je vis et vous m’aimez.

L’innocence a ses droits : l’amour et son courage

Vont bientôt loin de nous détourner cet orage.

Voici le décemvir : dissipez cet effroi.

 

 

Scène III

 

ICILIUS, PLAUTIE, VIRGINIE, APPIUS, SEPTIME, DEUX LICTEURS, au fond du théâtre

 

ICILIUS.

Jusques à quand, seigneur, la justice, la loi

Diffère-t-elle encor de punir l’imposture,

De venger hautement les droits de la nature ?

D’un mensonge hardi l’absurde atrocité

Pourrait-elle un moment tromper votre équité ?

Pourriez-vous balancer ? Regardez Virginie ;

Voyez à la beauté tant de noblesse unie ;

Ce front où la vertu brille de tant d’attraits,

D’une race servile offre-t-il quelques traits ?

Faut-il que plus longtemps devant vous il rougisse ?

Une mère, un époux, vous demandent justice.

APPIUS.

Je la dois faire à tous ; et, quoiqu’au fond du cœur

La pitié bien souvent condamne la rigueur,

Juge, comme la loi je dois être inflexible.

À Plautie.

Vous avez vu pourtant qu’à votre état sensible,

Autant que je l’ai pu, j’ai ménagé d’abord

De ce cœur maternel le douloureux transport ;

Que j’ai de Claudius, dont l’aspect vous offense,

À vous, à Virginie, épargné la présence.

L’intérêt que son sexe ajoute à ses malheurs,

N’a pas même besoin du charme de ses pleurs.

Mais c’est le devoir seul qu’ici je considère.

Claudius a subi mon examen sévère.

J’allais, n’en doutez point, venger avec éclat,

Même sur mon client, cet étrange attentat.

Mais je vous porte, hélas ! de cruelles blessures !

Il vient de me donner les preuves les plus sûres...

PLAUTIE.

Comment ?

VIRGINIE.

Qu’entends-je ! ô ciel !

ICILIUS.

Des preuves ! lui ! grands dieux !

APPIUS.

Des témoins non suspects, par de libres aveux

Confirment son récit...

PLAUTIE.

Leur impudence extrême...

APPIUS.

De Virginie enfin la nourrice elle-même...

PLAUTIE.

Barcé !...

APPIUS.

Vient d’avouer l’échange criminel,

Qui creusa sous vos pas ce piège si cruel.

Votre fille en ses bras par la mort fut frappée ;

Elle en offrit une autre à votre amour trompée,

De qui la mère alors servait chez Claudius.

Cette esclave a tout dit.

VIRGINIE.

Ma mère ! Icilius !

Est-il vrai ! Que deviens-je ? Ô destinée affreuse !

Ai-je donc mérité d’être si malheureuse ?

PLAUTIE.

L’étonnement, l’horreur, et la rage, à la fois

Ont troublé ma raison, ont étouffé ma voix.

Quoi ! l’on ose !... Ah ! ma fille !

VIRGINIE.

Hélas ! la suis-je encore ?

PLAUTIE.

Si tu l’es ! vainement des traîtres que j’abhorre,

Des monstres...

APPIUS.

Votre amour veut en vain s’abuser :

À de pareils témoins que peut-on opposer ?

PLAUTIE.

À l’audace du crime et de la calomnie,

Ce que j’oppose, ô ciel ! !... mon cœur et Virginie,

Les cris du désespoir en mon âme élevés,

Et d’indignation tous mes sens soulevés,

Ses larmes, mes transports, et ce grand caractère

Que la nature imprime aux douleurs d’une mère,

Ce sentiment sublime, invincible, éternel,

Qui n’a jamais menti dans un cœur maternel.

Et que m’importe à moi qu’à force d’artifice,

On ait pu cimenter tout ce vil édifice

De mensonge, de fraude et de perversité,

Qu’à force de bassesse et de cupidité,

Celle qui de son lait nourrit jadis ma fille,

Porte aujourd’hui l’horreur au sein de ma famille ?

Dans un complot infâme ils peuvent tous tremper ;

Tous on peut les séduire, ils peuvent tous tromper.

Mais moi ! mais moi ! jamais... Je le sens, je suis mère ;

C’est ma fille, c’est elle... Ah ! d’une enfant si chère

Dans mon sein déchiré je ressens les douleurs ;

Oui, c’est mon sang qui crie et répond à ses pleurs.

Et l’on pourrait douter !... Qu’ils paraissent, qu’ils viennent !

Ces monstres imposteurs, qu’à mes yeux ils soutiennent

Les mensonges qu’en vain l’on pense garantir ;

Qu’ils bravent une mère et l’osent démentir.

APPIUS.

Madame, j’y consens : votre demande est juste.

C’est à ce tribunal, sous ce portique auguste,

Qu’Appius, exerçant le plus beau de ses droits,

Rend justice aux Romains gouvernés par ses lois ;

Et, dût leur équité vous devenir contraire,

D’un devoir si sacré rien ne peut me distraire.

Claudius comme vous a droit de m’en presser,

Madame ; il va paraître, et je vais prononcer.

ICILIUS.

Prononcer ! non, seigneur.

À Plautie, à part.

Vous vous perdez, madame,

C’est un complot formé, j’en reconnais la trame.

Laissez-moi lui parler.

À Appius.

Quoi donc ! oubliez-vous

Que son père est absent, et qu’il combat pour nous ?

Jugerez-vous la fille en l’absence du père ?

Un intérêt si grand commande qu’on diffère.

Que serait donc, grands dieux ! un citoyen romain,

Si tandis que l’état ailleurs arme sa main,

On pouvait décider du sort de sa famille,

Déshonorer son sang et lui ravir sa fille ?

Sous ces lois qu’Appius nous vante à tout moment,

Serions-nous donc réduits à tant d’abaissement ?

Quoique sur Virginie on ose ici prétendre,

Qu’on appelle son père, il viendra la défendre.

Il est au mont Algide, et, du péril instruit,

Il peut dans nos remparts entrer dès cette nuit.

C’est lui qui de sa fille est l’appui nécessaire,

Lui qui de Claudius est le juste adversaire ;

Lui qui peut le confondre et percer d’un œil sûr

Les noires profondeurs de ce complot obscur,

Rassurer l’innocence et lui prêter des armes,

Et l’amour maternel, hélas ! n’a que des larmes.

Je parle au nom d’un père, et jure qu’aujourd’hui

Je ne souffrirai point qu’on prononce sans lui.

APPIUS.

Icilius oublie, en tenant ce langage,

Qu’il offense un pouvoir dont je sais faire usage,

Et que c’est à moi seul de régler à mon choix

L’instant de faire agir l’autorité des lois.

Mais, puisqu’il s’est armé d’un nom que je révère,

Qu’il atteste les droits d’un citoyen, d’un père,

Ces droits dont les Romains m’ont fait le protecteur ;

Autant il a voulu déployer de hauteur,

Autant je veux montrer d’égards et d’indulgence.

Oui, de Virginius j’attendrai la présence.

Quoique dès ce moment je sois assez instruit

Pour que de ces délais je n’espère aucun fruit,

On connaîtra du moins l’équité qui me guide.

Le chemin n’est pas long jusques au mont Algide.

Il lui parle bas au fond du théâtre.

Septime, écoutez-moi. Vous m’avez entendu :

Volez, et qu’à nos chefs cet ordre soit rendu.

Septime sort.

Jusques-là Virginie ici sera gardée.

VIRGINIE.

Qui ? moi ! de tant d’horreurs en ces lieux obsédée,

Parmi mes ennemis demeurer plus longtemps !

ICILIUS.

Ce n’est donc point assez des affronts éclatants,

Qu’a déjà trop soufferts la timide innocence ?

Vous voulez voir ses pleurs ! Quelle injuste puissance

Défend à Virginie, en un jour si cruel,

De cacher ses douleurs sous le toit paternel ?

PLAUTIE.

Ah ! ma fille ! jamais de mes bras enlevée...

APPIUS.

Non, d’un aspect si cher vous n’êtes point privée ;

Mais la loi doit veiller aux intérêts de tous ;

Si j’en suspends l’effet et l’adoucis pour vous,

Je ne souffrirai point qu’Icilius me brave,

Qu’il puisse à Claudius dérober son esclave.

En un mot je le veux ; et vous savez, je crois,

Qu’elle est en ce palais sous la garde des lois.

ICILIUS.

Sous la mienne du moins, sous celle de sa mère.

Virginie est à moi : j’en réponds à son père.

À Plautie.

Venez, venez, madame, et reprenez l’espoir.

Fléchissez un moment sous l’abus du pouvoir.

Bientôt Virginius vole à votre défense :

Le crime, croyez-moi, doit craindre sa présence.

Songez que votre fille est toujours sous vos yeux ;

À Appius.

Et vous, qu’Icilius veille sur toutes deux.

 

 

Scène IV

 

APPIUS, seul, LICTEURS dans le fond

 

Ô Va, tu n’as pas longtemps à t’en vanter encore,

Rival audacieux, ennemi que j’abhorre !

Vainement ton courroux attend Virginius.

J’ai fait passer au camp mes ordres absolus.

On va le retenir : dans la même journée,

Je verrai Virginie à mon joug enchaînée,

Mon amour triomphant, mon pouvoir affermi.

 

 

Scène V

 

APPIUS, SPURIUS, LICTEURS dans le fond

 

APPIUS.

Approche, d’Appius le collègue et l’ami,

Fidèle Spurius : à mes vœux tout succède.

Encor quelques instants, et mon amour possède

Le seul bien qui manquait à ce cœur enflammé.

Ce cœur ambitieux qui n’avait rien aimé,

Avec tant de fureur brûle pour Virginie,

Que sans elle je hais et mon rang et la vie.

Elle doit être à moi : Rome n’a point encor

Enfermé dans ses murs de plus rare trésor.

Ah ! pour rompre les nœuds de son hymen funeste,

Pour l’arracher ici des mains que je déteste,

Toi seul le sais, combien ai-je tenté d’efforts,

Combien imaginé de pièges, de ressorts,

Cachant toujours la main qui devait les conduire !

L’amour peut tout oser, et l’or peut tout séduire.

Claudius et Barcé ne peuvent désormais

Revenir sur leurs pas sans se perdre à jamais,

Et leur fidélité captive, assujettie,

Par leurs propres périls m’est trop bien garantie.

SPURIUS.

Il est vrai ; mais l’horreur est dans tous les esprits,

Et peut-être, seigneur, on a trop entrepris.

C’est votre intérêt seul qui m’anime et m’éclaire ;

Vous connaissez pour vous mon dévouement sincère.

Je vous dois tout ; je sais que la main d’Appius

Au rang de décemvir a porté Spurius.

Revêtus d’un pouvoir dont Rome est effrayée,

Trop sûrs que leur fortune à la vôtre est liée,

Vos collègues en tout vous doivent leur appui.

Nos dangers sont communs, et je vois qu’aujourd’hui

Un si terrible éclat remplit, les cœurs d’alarmes.

On s’intéresse au sort d’une famille en larmes ;

On la plaint, on murmure...

APPIUS.

Et tu crains les clameurs

D’une foule tremblante à l’aspect des licteurs !

Qu’importe un vain courroux qui ne peut nous atteindre ?

Va, le peuple, sans chef, ne fut jamais à craindre.

L’autorité, la force est toute dans nos mains.

La loi, ce nom si grand, sacré chez les Romains

Élève autour de nous un rempart qu’on révère.

Ah ! s’il n’en eût fallu respecter la barrière,

Oui, malgré la hauteur d’un cœur tel que le mien,

Nourri de tout l’orgueil du sang patricien,

Appius eût flétri son rang et sa famille,

Et d’un vil plébéien eût demandé la fille.

J’en rougis ; mais des lois le pouvoir souverain,

Que le décemvirat a gravé sur l’airain,

Défendait cet hymen, et parmi nous condamne

Du peuple avec les grands l’alliance profane.

Je vis Icilius, ce tribun sourcilleux,

D’Appius en tout temps concurrent orgueilleux,

Dont Rome libre encore adora le génie,

Lui que je hais autant que j’aime Virginie,

Je le vis s’enivrant d’un triomphe assuré,

Prêt à ravir l’objet dans mon cœur adoré.

Je jurai de briser cette odieuse chaîne,

Et mon amour s’accrut, attisé par la haine ;

D’autant plus furieux qu’il faut le renfermer,

Que même en ce moment forcé de l’opprimer,

Je détournais mes yeux attirés par ses charmes,

Et sans cesse tremblais de regarder ses larmes.

Mais l’instant n’est pas loin où ce cœur déchiré

Est de tant de contrainte à jamais délivré.

Ce jour, ce jour passé, d’elle enfin je dispose ;

Elle est à mon client, et penses-tu qu’elle ose,

Esclave abandonnée aux fers de Claudius,

Opposer un refus à l’amour d’Appius ?

SPURIUS.

Je dois vous l’avouer : je crains surtout son père,

Cette austère fierté, ce mâle caractère.

Au bruit d’un tel danger que n’osera-t-il pas ?

APPIUS.

Mes collègues au camp arrêteront ses pas.

Septime va porter cet ordre nécessaire.

SPURIUS.

Et croyez-vous, seigneur, qu’un si grand adversaire,

Soit parmi les soldats moins à craindre pour nous ?

Le camp va retentir des cris de son courroux.

Quel pouvoir retiendrait la nature captive ?

La haine autour de nous éveillée, attentive,

N’attend, vous le savez, que l’instant d’éclater.

Impatient du joug qu’il fit longtemps porter,

Le sénat, frémissant de colère et de honte,

Veut de notre pouvoir nous redemander compte.

Déjà les plus hardis qu’il faudrait contenir,

Ont chez Valérius osé se réunir.

APPIUS.

Il a fait plus encore, et chez moi son audace

M’a tantôt du sénat apporté la menace.

Ce corps ambitieux qui doit dans Appius

Haïr l’autorité que lui-même il n’a plus,

A cru pouvoir sur moi réclamer quelque empire,

Comme si j’ignorais l’intérêt qui l’inspire,

Comme si j’oubliais que son plus grand appui,

Mon père, fut jadis abandonné par lui.

Ce grand homme opprimé, cette illustre victime,

Qui devait en attendre un secours légitime,

Aux tribuns furieux vit soumettre son sort,

Et ne leur échappa qu’en se donnant la mort.

Ah ! je hais à la fois et ce sénat perfide,

Traître envers ses soutiens, du pouvoir seul avide,

Et d’un peuple inquiet l’indocile fureur :

Tous deux également ils me sont en horreur.

De leurs divisions ma grandeur est l’ouvrage.

Ils se sont imposé le joug de l’esclavage ;

Ils m’ont mis dans mon rang : je dois m’y maintenir :

S’ils n’ont su commander, qu’ils sachent obéir.

Leur haine me menace, et la mienne les brave.

Il faut être, crois-moi, leur maître ou leur esclave :

Mon cœur sur un tel choix n’a jamais hésité.

Non, je ne perdrai pas ce qui m’a tant coûté.

La vengeance, l’amour, l’empire et Virginie,

Voilà les droits, les biens où j’attache ma vie ;

Et si tu me connais, ami, peux-tu penser,

Que jamais Appius y puisse renoncer ?

 

 

ACTE III

 

 

Scène première

 

ICILIUS, seul

 

Oui, je l’ai démêlé ce cœur sombre et féroce ;

Oui, l’amour y domine et le rend plus atroce.

Peut-être à d’autres yeux il pouvait échapper ;

Mais les yeux d’un amant ne sauraient s’y tromper.

J’ai tout vu ; j’ai surpris ses secrets dans son âme.

Voilà, voilà le nœud de cette horrible trame.

Ces témoins subornés par avance séduits,

Ces mystères du crime avec tant d’art conduits,

Sont de la passion le ténébreux ouvrage ;

Elle croit, unissant l’artifice à la rage,

Se cacher dans la nuit de ses affreux projets :

L’amour au cœur d’un monstre enfante les forfaits.

Il faut déconcerter les ressorts qu’il invente,

Apporter dans cette âme un jour qui l’épouvante.

En vain à tous les yeux il se croit dérobé,

Et le crime frémit quand son masque est tombé.

Le péril est pressant, l’attentat est horrible :

Il faut risquer ici l’éclat le plus terrible.

Peut-être qu’aux Romains, trop lents à s’émouvoir,

Ce jour va révéler leurs droits et leur devoir,

Au décemvir sa honte et son ignominie.

Il nous croit subjugués par son puissant génie ;

Législateur superbe, il pense qu’aujourd’hui,

Le respect pour ses lois s’étendra jusqu’à lui.

Qu’il apprenne de moi la vérité sévère,

Et ce que Rome pense, et ce qu’elle peut faire.

Je puis périr sans doute en osant le braver ;

Mais c’est en risquant tout que l’on peut tout sauver.

Nature, hymen, amour, ô droits sacrés de l’homme !

Ô sainte liberté, divinité de Rome !

Vous remplissez ce cœur, incapable d’effroi ;

Et je sens qu’Appius peut trembler devant moi.

Mais le voici.

 

 

Scène II

 

ICILIUS, APPIUS, SPURIUS, LICTEURS, au fond du théâtre

 

APPIUS, à Spurius, dans l’enfoncement.

Tu vois la fureur qui l’agite.

Je veux en l’écoutant juger ce qu’il médite.

La bouillante colère est prompte à se trahir ;

Laissons-la s’exhaler, afin de la punir.

Laisse-nous.

Spurius sort.

ICILIUS, à part.

Quel orgueil est peint sur son visage.

APPIUS.

Eh bien ! de mon pouvoir quand je suspends l’usage,

Qu’est-ce qu’Icilius peut encore espérer ?

Quelle grâce nouvelle ose-t-il implorer ?

ICILIUS.

Une grâce ! Ce mot est fait pour le coupable,

Et non pour un Romain à vos yeux respectable,

Un magistrat chéri de ses concitoyens,

Qui sut venger leurs droits et soutiendra les siens.

APPIUS.

Je vois qu’Icilius, que le joug importune,

Croit encore tonner du haut de la tribune ;

Qu’il voudrait être encor ce tribun factieux,

De la division moteur séditieux,

Puissant par la discorde et grand par l’anarchie,

Dont, grâces à nos lois, Rome s’est affranchie ;

Qu’il voit d’un œil jaloux le bien qu’il n’a pas fait ;

Mais Rome, malgré lui, nous doit ce grand bienfait

De l’ordre rétabli, de l’union publique...

ICILIUS.

Laissez de ces grands noms le faste chimérique,

Ici bien vainement à toute heure étalé :

Les mots ne sont plus rien quand les faits ont parlé.

Et qu’est-ce donc enfin que les lois les plus belles,

Si le législateur se met au-dessus d’elles ?

Ô fruit de vos travaux, bien précieux, bien doux !

Pour nous l’obéissance, et l’empire pour vous.

Croyez-vous de ses droits Rome si mal instruite,

Et dans tous les esprits la vérité détruite ?

Croit-on l’anéantir en étouffant sa voix ?

Non, elle parle encore et crie au nom des lois ;

Elles ne seront pas vainement invoquées.

Pour vous comme pour nous les limites marquées,

Sont le rempart sacré, sont l’écueil éternel

Où viendra se briser tout pouvoir criminel.

Aveugles décemvirs ! que votre âme est trompée !

Quelle place en nos cœurs vous auriez occupée,

Si, lorsque votre ouvrage à son terme est venu,

Contents de cet honneur par vos soins obtenu,

Contents d’avoir assis sur un juste équilibre

Les pouvoirs partagés, ressorts d’un état libre,

Vous eussiez, déposant la pompe des faisceaux,

Descendu noblement au rang de vos égaux,

Sans prétendre de nous un plus digne salaire

Que d’obéir aux lois que vous veniez de faire !

Qu’alors vous étiez chers à vos concitoyens !

Que vous deveniez grands à leurs yeux comme aux miens !

Combien votre mémoire eût été révérée !

Mais ces touchants attraits d’une gloire épurée

Au despotique orgueil sont trop indifférents ;

Ce sont là des plaisirs inconnus aux tyrans.

APPIUS.

Quoi ! nous aurions compté sur la reconnaissance

D’un peuple que toujours trompa son inconstance ;

Qui chérit ses flatteurs et qui hait son appui,

Qu’enfin l’on est forcé de servir malgré lui !

Les salutaires lois que nous avons dictées,

Ne pouvaient que par nous être bien cimentées.

Quand il en sera temps, nous saurons renoncer

À cette autorité qu’il nous faut exercer.

Ses effets jusque ici n’ont rien dont je rougisse :

Partout règne le calme, et la paix protectrice,

Pour la première fois, habite en nos remparts.

Rome enfin a cessé de voir le champ de Mars,

De la sédition tumultueux théâtre,

Étaler des partis la lutte opiniâtre.

Il fallait terminer ces débats odieux.

ICILIUS.

Des oppresseurs adroits langage insidieux,

Qui ne séduit que trop la faiblesse indolente !

La liberté, sans doute, est souvent turbulente :

C’est en la disputant qu’on peut la maintenir.

Un sujet a tout fait quand il sait obéir ;

Il suffit d’être vil pour savoir être esclave :

Le citoyen doit être et vigilant et brave.

Tout s’achète en un mot ; et le plus précieux,

Le plus cher des présents que nous ont faits les dieux,

La liberté, toujours aux peuples enviée,

Pourrait de quelques soins paraître trop payée !

Il faudra des tyrans en croire les discours !

Qui ne les connaît pas ? Ils appellent toujours

Du nom d’ordre et de paix l’autorité sans borne,

Le dévouement muet, la servitude morne ;

Et décorent ainsi des titres les plus beaux,

Le silence des morts et la paix des tombeaux.

Cette paix cependant peut les tromper eux-mêmes :

Tranquilles, et du haut de leurs grandeurs suprêmes,

Croyant éterniser un stupide sommeil,

Ils ne pressentent pas le moment du réveil.

Ce réveil, c’est la foudre.

APPIUS.

Et l’on croit sur nos têtes

Faire éclater bientôt ces soudaines tempêtes ?...

J’entends : Icilius daigne enfin m’avertir

Des dangers dont ici l’on veut nous investir.

Il vient sur Appius essayer la menace.

J’ignore quel espoir peut fonder tant d’audace ;

Je lui dirai pourtant, pour prix de ses conseils,

Que nous ne redoutons ni lui ni ses pareils ;

Qu’à respecter nos droits s’il ne peut se contraindre,

Il en est un du moins que peut-être il doit craindre,

La force ; et contre lui justement exercé...

ICILIUS.

La force n’est un droit qu’aux yeux de l’insensé,

Qui ne se souvient pas qu’en suivant sa maxime,

On peut du même droit le rendre la victime.

La force !... et qui t’a dit que tu l’aurais toujours ?

Que dis-je ? est-elle à toi ? Compte tous les secours

Qui fondent un moment cette force empruntée :

C’est pour un autre emploi qu’elle te fut prêtée.

Ce sont les bras d’autrui qui te font tout-puissant ;

Tu diriges d’un mot leur glaive obéissant ;

À leur devoir encore ils pensent satisfaire ;

Mais qu’ils ouvrent les yeux, qu’un moment les éclaire,

Et l’oppresseur si fier va voir au même instant

Sa solitude affreuse ou plutôt son néant.

Ce maître impérieux n’est plus qu’un vil coupable ;

Il invoquait la force, et la force l’accable ;

D’autant plus malheureux, quand son règne est passé,

Que sur son propre sort lui-même a prononcé,

Que rien en sa faveur ne peut se faire entendre,

Et qu’à la pitié même il ne peut plus prétendre.

La vengeance publique insulte à son trépas ;

Et mourant dans la fange, on ne le plaindra pas.

Voilà ce qu’est la force : apprends qu’il n’en est qu’une

À l’abri des revers : la volonté commune.

C’est elle qui peut tout sous le saint nom de loi,

Qui fait les magistrats, qui légitime un roi.

Son principe est sacré : c’est la justice même,

Qu’au fond de tous les cœurs grava l’Être-Suprême.

Elle unit les mortels, tous égaux à ses yeux :

L’erreur fit les tyrans, et la loi vient des cieux.

APPIUS.

J’ai voulu jusqu’au bout me forcer à t’entendre,

Et voir enfin de toi ce que je dois attendre.

C’est assez, et ton cœur a parlé sans détour.

Je le croyais rempli des soins de son amour ;

J’ai cru que le péril qui devant moi l’amène,

Devait seul...

ICILIUS.

Va, jamais dans une âme romaine,

De l’amour, de l’hymen le plus tendre lien

Ne peut faire oublier les droits de citoyen.

Tous ces nœuds réunis forment la même chaîne ;

Ils sont de mes devoirs la règle souveraine ;

Et je viens en leur nom dévoiler la noirceur

D’un traître, de nos droits criminel oppresseur,

Qui s’armant contre nous des traits de l’imposture,

Outrage impunément l’hymen et la nature.

APPIUS.

Un trop grand intérêt doit vous rendre suspect.

Un amant emporté, qui, même à mon aspect,

Veut résister aux lois, alors qu’on les réclame,

Et contre Claudius...

ICILIUS.

Qui ? cet agent infâme,

Du plus lâche complot le plus lâche instrument,

Et trop indigne objet de mon ressentiment ?

Non, ce n’est pas à lui que mon courroux s’adresse ;

Je l’aperçois à peine au sein de sa bassesse.

Mais je distingue ailleurs dans un projet si noir

Non moins de perfidie et bien plus de pouvoir.

Je sais tout, je vois tout : la main qui nous accable,

L’attentat que l’on ose est d’un plus grand coupable ;

D’un ennemi puissant qui veut cacher ses coups,

Que je puis démasquer : un autre...

APPIUS.

Et qui donc ?

ICILIUS.

Vous,

Vous, qui conduisant seul cette trame impunie,

Du plus honteux amour brûlez pour Virginie.

APPIUS, troublé.

Moi !

ICILIUS.

Vous-même ; et ce front où se peint la terreur,

Où la confusion se mêle à la fureur,

Ce front qui vous accuse, et même ce silence,

Commandé par le trouble et par la conscience,

Tous ces aveux muets ont trop manifesté

Le crime qui rougit devant la vérité.

APPIUS.

J’ai dû rougir du moins de cet indigne outrage,

De l’excès où s’emporte une insolente rage,

Qu’une prompte justice eût déjà su punir,

Si je n’avais encor daigne me souvenir

Que cet Icilius, qui se rend si coupable,

Fut longtemps revêtu d’un titre inviolable.

Sans ce dernier égard qui coûte à ma fierté,

Il eût senti le poids de mon autorité.

Son audace l’irrite, et ma bonté l’enchaîne.

Qu’il juge à cet effort, malgré toute sa haine,

Si l’absolu pouvoir déposé dans ma main,

Sait encor révérer les droits du nom romain ;

Et que de ses transports domptant la violence,

Il respecte dans moi les lois et leur puissance.

ICILIUS.

Vous attestez les lois, vous qui les profanez !

Qui malgré Rome entière aujourd’hui retenez

Un pouvoir dont ces lois ont borné la durée !

Une juste puissance à mes yeux est sacrée.

La vôtre ne l’est plus, la vôtre a dû finir ;

Elle peut opprimer et ne saurait punir.

APPIUS.

Elle peut à l’instant assurer ma vengeance ;

Je sais la rendre au moins terrible à qui m’offense.

Craignez-en les effets.

ICILIUS.

J’ose en braver les coups.

Je suis Romain : ici je ne vois plus en vous

Qu’Appius ravisseur, Appius sacrilège,

Complice détesté d’un fourbe qu’il protège.

APPIUS.

C’en est trop, téméraire, et bientôt dans les fers...

ICILIUS.

Comble sur moi l’horreur de tes complots pervers.

Appelle contre moi tes lâches satellites ;

Mais toi-même...

APPIUS.

Je sais tout ce que tu médites.

Je sais trop que ta haine et ton ambition

Ne respirent que trouble et que sédition.

Mais je te préviendrai, je me ferai justice :

Tu l’as trop mérité. Licteurs, qu’on le saisisse,

Lui-même, Icilius.

ICILIUS, les licteurs l’environnent.

Et c’est où je t’attends.

Montre-toi tout entier, Appius ; il est temps

De montrer aux Romains tout ce qu’on leur prépare,

Et de les révolter contre un joug si barbare.

Ils sauront mettre un terme à tant d’impunité.

Si Lucrèce aux Romains rendit la liberté,

Les fers d’Icilius, l’affront de Virginie,

Pourront des décemvirs finir la tyrannie.

Il sort.

APPIUS.

Allez, qu’à la prison l’on entraîne ses pas.

 

 

Scène III

 

APPIUS, seul

 

De tes emportements je crains peu les éclats.

Sois sûr que ta fureur à toi seul est funeste.

Je perdrai le rival que mon amour déteste.

Cet amour dans mon cœur me demandait ta mort ;

Tu m’en as fait rougir : c’est l’arrêt de ton sort.

La prison et la nuit couvriront ma vengeance.

Qu’un exemple effrayant cimente ma puissance,

Et que les plus hardis tremblent de m’irriter.

 

 

Scène IV

 

APPIUS, PLAUTIE

 

PLAUTIE.

Qu’ai-je appris ? qu’ai-je vu ? qu’ose-t-on attenter ?

Icilius aux fers ! ta cruauté jalouse

Enchaîne un citoyen réclamant son épouse,

Un Romain, un tribun justement révéré,

Et dont le caractère en ces murs fut sacré !

Ma fille, dans les bras de ses femmes tremblantes,

En vain élève au ciel ses plaintes innocentes.

Son époux à mes yeux traîné par les licteurs...

APPIUS.

Je devais réprimer ses coupables hauteurs ;

Et menacé par lui d’une révolte ouverte...

PLAUTIE.

Ah ! de tous tes desseins la trame est découverte.

Lui-même m’a tout dit et tout est pénétré.

Tu pensais, sous l’abri d’un pouvoir abhorré,

Déshonorer ma fille et consommer ton crime,

D’un détestable amour la rendre la victime ;

Et mon cœur soulevé de cet excès d’horreur,

A droit de t’accabler de toute sa fureur.

Je veux, à tous les yeux montrant ton âme impure,

Effrayer un tyran des cris de la nature.

APPIUS.

Appius contre vous dédaigne de sévir,

Madame ; mais songez...

PLAUTIE.

Prends garde, décemvir.

Tu n’as pas bien connu le pas où tu t’engages.

Attaquer dans nos bras de si précieux gages,

Ces droits si chers du sang et de l’humanité,

Tyran, c’est nous ravir plus que la liberté.

Rome a pu trop longtemps voir la sienne asservie,

Voir sous un joug affreux nos biens et notre vie.

Mais qu’au moins sous tes lois qui nous ont tout ôté,

L’innocence, l’honneur puisse être en sûreté ;

Ou ce peuple guerrier qu’enferment ces murailles,

Quiconque a des enfants, un cœur et des entrailles,

Devient ton ennemi dans des périls si grands,

Et la nature encor peut plus que les tyrans.

APPIUS.

Eh bien ! puisqu’à ce point ma puissance offensée...

 

 

Scène V

 

APPIUS, PLAUTIE, LE CHEF DES LICTEURS

 

LE CHEF DES LICTEURS.

Seigneur, d’Icilius la prison est forcée.

Le peuple lui formant de nombreux défenseurs,

A brisé les faisceaux, repoussé les licteurs.

Il a fallu céder à cette aveugle rage.

Le tumulte s’accroît ; et si, dans cet orage,

Vous n’opposez la force aux mutins enhardis,

Bientôt les décemvirs cessent d’être obéis.

APPIUS.

J’ai de quoi réprimer une foule rebelle,

Et je n’ai point appris à trembler devant elle.

Je vais dans un moment, malgré ces vains complots,

D’un courroux passager faire tomber les flots.

Qu’à ta voix nos soldats viennent ici se rendre ;

Va, que du Capitole on les fasse descendre ;

Et je leur porterai mes ordres absolus.

Les Romains mutinés connaîtront Appius.

Va.

Le chef des licteurs sort.

PLAUTIE.

Tourne contre nous au gré de ta furie,

Les glaives destinés à servir la patrie.

Impose par la force aux Romains étonnés,

Et poursuis jusqu’au bout tes projets forcenés.

Le ciel les confondra : va, j’attends sa vengeance ;

Ou s’il pouvait jamais, trompant mon espérance,

Abandonner ma fille à tes noirs attentats,

Il faut auparavant m’immoler dans ses bras.

Elle sort.

 

 

Scène VI

 

APPIUS, seul

 

Moi ? je redouterais une foule inconstante

Que toujours du pouvoir l’appareil épouvante,

Et dont l’ardeur s’exhale en éclats d’un moment !

Odieux ennemi, non, Rome vainement

S’oppose à ma fureur à te perdre animée :

Ma haine en est plus forte et sera mieux armée.

On fait en ta faveur un inutile effort.

Qui brave les faisceaux craint le fer et la mort :

Je sens à tout moment dans cette âme ulcérée

S’accroître les fureurs dont elle est dévorée.

Le jour fuit, et déjà de ses voiles obscurs,

La nuit...

 

 

Scène VII

 

APPIUS, SPURIUS

 

SPURIUS.

Virginius revole vers ces murs.

Septime près du camp l’a trouvé sur sa route.

APPIUS.

Mon ordre...

SPURIUS.

Un autre avis l’a prévenu, sans doute.

Septime est revenu pour vous en avertir.

Appius à me croire aurait pu consentir.

Il eût pu ce matin détourner la tempête

Que chaque instant amasse et grossit sur sa tête.

Contre tant d’ennemis...

APPIUS.

Je pourrais leur céder !

Quiconque peut fléchir ne sait pas commander.

SPURIUS.

Le danger doit du moins conseiller la prudence.

Vous voyez de ce peuple où va la violence.

La crainte, le respect, ne le retiennent plus ;

Et fier d’avoir brisé les fers d’Icilius,

Plus fort sous un tel chef, il éclate, il menace.

Jusque dans ce palais peut-être son audace

Eût porté la révolte et la sédition,

Sans la terreur qu’à Rome inspire votre nom.

Mais qui sait si ce frein peut longtemps les contraindre ?

Le sénat ennemi, pour nous non moins à craindre,

Trop jaloux d’un pouvoir qu’il voudrait ébranler,

Au temple de Vesta parle de s’assembler.

Prévenez ses desseins ; tout vous en sollicite.

Ordonnez ; Claudius renonce à sa poursuite,

Et s’avouant trompé, ne s’obstinera pas...

APPIUS.

Après ce que j’ai fait, moi, reculer d’un pas !

Qui ? moi ? voir triompher le rival qui m’outrage !

Ah ! cette seule idée a redoublé ma rage

L’obstacle, le péril ne sert qu’à l’irriter.

Au cours de nos destins laissons-nous emporter.

Ne t’exagère plus une crainte frivole.

Viens, ce corps de soldats qui veille au Capitole,

Descendu dans la ville, y portera l’effroi.

Marchons au-devant d’eux ; viens, te dis-je, suis-moi.

Préparons tout : je veux, au retour de l’aurore,

Je veux, sur l’ennemi qui me résiste encore,

Assouvir un courroux que l’on prend soin d’aigrir,

Lui ravir ce que j’aime, et régner ou périr.

 

 

ACTE IV

 

La scène est, comme au premier acte, dans la maison de Virginius, et se passe dans la nuit.

 

 

Scène première

 

ICILIUS, PLAUTIE, portant VIRGINIE entre leurs bras, FEMMES SUIVANTES, ROMAINS, ESCLAVES avec des flambeaux

 

Virginie est évanouie. On la pose sur un siège.

PLAUTIE.

Ah ! ma fille ! ah ! grands dieux ! ma chère Virginie !

Entends, entends ma voix, et reviens à la vie.

ICILIUS.

Ses sens de tant d’effroi sont encore saisis :

Nos soins vont la calmer.

Aux Romains.

Ô généreux amis !

Quels droits n’avez-vous pas à ma reconnaissance !

Votre zèle intrépide a pris notre défense.

Virginie, arrachée à ce lieu criminel,

Retrouve, grâce à vous, le foyer paternel.

Mais vous voyez, hélas ! quel trouble la déchire.

Allez, de tant d’assauts souffrez qu’elle respire,

Qu’elle revienne enfin de son saisissement :

Près d’elle nos secours s’empressent vainement,

Si ce tumulte affreux, dans l’horreur qui la presse,

Effrayait plus longtemps sa timide faiblesse.

Nos malheurs sont des droits à vos bienfaits nouveaux :

J’ose encore y compter.

Ils se retirent.

Écartez ces flambeaux ;

Esclaves, laissez-nous.

Ils s’éloignent.

Virginie !... Ah ! madame !

Tant de coups redoublés ont accablé son âme...

Mais j’aperçois Ménès, et les dieux l’ont conduit.

 

 

Scène II

 

ICILIUS, PLAUTIE, VIRGINIE, FEMMES SUIVANTES, MÉNÈS, et, un moment après, VIRGINIUS en habit de guerre

 

MÉNÈS.

Ils nous ont exaucés : Virginius me suit.

PLAUTIE.

Mon époux ! ah ! reviens, viens secourir ta fille.

VIRGINIUS.

En quel état, ô ciel ! je revois ma famille !

Virginie !

VIRGINIE, revenant à elle par degrés, aperçoit son père, pousse un cri, et se jette dans ses bras.

Ah !... mon père ! est-il vrai ? Juste ciel !

PLAUTIE.

Chère enfant, sors enfin de ce trouble mortel.

VIRGINIUS.

Ma fille !

VIRGINIE.

Rappelez ma raison confondue.

Mon père, quel pouvoir à vos bras m’a rendue ?

Qui m’a pu dérober à tant d’objets affreux ?

Hélas ! je crois sortir d’un songe douloureux.

ICILIUS.

De ce palais impur mon bras t’a retirée.

VIRGINIE.

Icilius, c’est toi, toi qui m’as délivrée !

Ne reverrai-je plus ces farouches licteurs,

Ces ennemis pervers, ces monstres imposteurs,

Ce traître Claudius, ce tribunal horrible,

Cet Appius encore à mes yeux plus terrible ?

VIRGINIUS.

Tu vois Virginius ; tu vois ton père.

VIRGINIE.

Hélas !

Que cet instant m’est doux ! serrez-moi dans vos bras !

Pressez sur votre sein ce cœur tendre et fidèle ;

Sentez-le palpiter sous la main paternelle.

Et savez-vous quels maux dans ce cœur désolé ?...

VIRGINIUS.

Ménès m’a tout appris : j’ai couru, j’ai volé.

Je rentrais dans ces murs, tout plein de mon outrage :

Tout ce qui devant moi s’offre sur mon passage,

Me frappe à chaque instant d’une nouvelle horreur ;

La nuit qui m’environne augmente ma terreur.

Un bruit tumultueux, les flambeaux et les armes,

Le désordre, les cris, le trouble, et les alarmes,

Me suivent dans ces lieux, au pied de ces autels,

Au sein de mes foyers, où les dieux immortels

Attendaient les serments du plus saint hyménée !

Hier, hier encor, j’ai cru cette journée

Celle de ton bonheur, de ma félicité,

Et pour premier objet à mes yeux présenté,

Je revois dans les pleurs une fille si chère,

Et prête à succomber dans les bras de sa mère !

Suis-je dans Rome, ô ciel ! et suis-je encor Romain ?

Est-ce là notre sort ? Quoi ! tandis que ma main

Contre nos ennemis combat pour la patrie,

De cet affront sanglant ma famille est flétrie !

Qui donc peut le souffrir ? et quels cœurs assez bas

Sans indignation verraient ces attentats ?

PLAUTIE.

En est-il qu’Appius aujourd’hui ne médite ?

La coupable Barcé par ses présents séduite,

À son indigne amour ce Claudius vendu...

VIRGINIUS.

Qu’entends-je ? à chaque mot je reste confondu.

Tu t’es trompé, tyran : la rage qui t’anime,

Avant de triompher, me prendra pour victime.

Tu ne sais pas encor quel est Virginius ;

Et certes les Romains me sont bien mal connus,

Si l’on tolère en toi l’infâme tyrannie,

Qui jadis dans Tarquin ne fut pas impunie.

Oui, quoique dans ces murs nos bras soient désarmés,

La vengeance est une arme au cœur des opprimés.

L’excès des attentats en est souvent le terme.

ICILIUS.

Je vois que dans son sein Rome du moins renferme

De braves citoyens, ennemis des pervers ; 

Ils ont pris ma querelle, ils ont brisé mes fers,

Ces fers dont aujourd’hui l’ennemi qui m’opprime

Crut devoir me charger pour consommer son crime.

De cette liberté mon amour s’est servi ;

Et tandis qu’Appius, de peu des siens suivi,

Allait au Capitole assembler ses cohortes,

Nous marchons au palais ; j’en enfonce les portes ;

Je cours à Virginie, et, d’un bras furieux,

Je l’arrache aux licteurs : hélas ! ses tristes yeux,

Dans ce terrible instant fermés à la lumière,

Se sont rouverts enfin, et pour revoir un père.

Ne croyez pas pourtant le péril écarté.

Le féroce Appius, de sa honte irrité,

Des dernières horreurs, sans doute, nous menace :

Sachons quels nouveaux coups prépare son audace.

Je vais m’en assurer, et veux dans un moment

Vous informer moi-même...

VIRGINIE.

Où vas-tu, cher amant ?

Je frémis des dangers où ton amour t’expose.

Connais-tu le tyran ? sais-tu tout ce qu’il ose ?

Sais-tu contre tes jours ce qu’il peut attenter,

Que la nuit couvrira les coups qu’il veut porter ?

Et tu peux t’éloigner ! et malgré ma prière...

ICILIUS.

Votre époux sans effroi vous laisse avec un père.

Je crains peu pour ma vie : hélas ! elle est à vous,

L’orage suspendu gronde toujours sur nous.

Voyons ce qu’Appius peut encore entreprendre,

Се que font nos amis, s’ils peuvent nous défendre,

Je vous quitte, il le faut, et revole en ces lieux.

Toi, Ménès, suis mes pas.

Il sort.

 

 

Scène III

 

VIRGINIUS, PLAUTIE, VIRGINIE, FEMMES SUIVANTES

 

VIRGINIE.

Protégez-le, grands dieux !

Dieux ! vous avez voulu dans mon malheur extrême

Entraîner à la fois tout ce que mon cœur aime.

Ah ! le temps n’est pas loin où j’eus cette douceur,

De voir tout ce que j’aime heureux de mon bonheur.

Un jour a tout détruit, et dans cette demeure,

C’est pour moi qu’on frémit, c’est surmoi que l’on pleure :

Quel changement ! le sort à ma perte obstiné,

Pour en être témoin vous a-t-il ramené ?

Serait-ce donc en vain que j’ai revu mon père ?

PLAUTIE.

Non, je ne puis penser qu’Appius persévère

Dans l’horrible projet qu’il croyait achever.

Il voit nos citoyens, prompts à se soulever,

De son autorité renverser la barrière :

Voudra-t-il contre lui révolter Rome entière ?

À Virginius.

Vous ne répondez rien, et muet de douleur...

VIRGINIUS.

Ma douleur qui se tait est toute dans mon cœur.

Ce cœur trop indigné souffre dans le silence ;

De ses propres transports il craint la violence.

Ô braves compagnons qui m’avez vu cent fois

Prodiguer tout mon sang pour Rome et pour ses lois !

Vous qui me chérissez, si du moins à cette heure

Vos yeux pouvaient percer dans ma triste demeure,

S’ils voyaient les horreurs de cette affreuse nuit,

Les victimes, ô ciel ! qu’Appius y poursuit,

Et tout ce que le crime y fait naître d’alarmes,

Ce que la tyrannie y fait verser de larmes !...

Ils ne le savent pas : de mes revers honteux

Le premier bruit à peine a retenti vers eux.

Ils le sauront, sans doute... Eh ! qu’importe ? le crime

Précipite ses coups, nous frappe et nous opprime.

La justice des dieux trop tard, trop tard, hélas !

Vient venger l’innocence et ne la sauve pas.

PLAUTIE.

Ils ne trahiront pas une cause si chère.

 

 

Scène IV

 

VIRGINIUS, PLAUTIE, VIRGINIE, ICILIUS, MÉNÈS, FEMMES SUIVANTES

 

PLAUTIE.

Eh bien ! Icilius, que faut-il que j’espère ?

ICILIUS.

Nos malheurs sont au comble, et ne laissent plus voir

D’autre secours pour nous que notre désespoir.

Appius désormais dans Rome est le seul maître.

VIRGINIE.

Ô ciel !

PLAUTIE.

Lui !

ICILIUS.

Les soldats aux ordres de ce traître,

Du haut du Capitole à sa voix descendus,

Se sont de tous côtés dans nos murs répandus.

Le peuple est consterné, l’épouvante le glace.

Tout se tait, tout a fui le glaive qui menace.

Nos plus braves amis, par la crainte enchaînés,

Eux-mêmes en gémissant nous ont abandonnés.

Furieux, implacable, et fier de sa puissance,

Appius hautement annonce la vengeance,

Respire les forfaits, et s’apprête à ravir

Le fruit...

 

 

Scène V

 

VIRGINIUS, PLAUTIE, ICILIUS, VIRGINIE, MÉNÈS, LE CHEF DES LICTEURS, FEMMES SUIVANTES

 

LE CHEF DES LICTEURS.

J’apporte ici l’ordre du décemvir.

Les lois arment sa main pour confondre l’audace.

Dès qu’au jour renaissant la nuit aura fait place,

Devant son tribunal il cite Claudius,

Virginie et sa mère, et vous, Virginius.

Il vous attend : gardez qu’une nouvelle offense

Ne l’oblige à lever le bras de la vengeance.

Si l’on osait encor méconnaître ses droits,

La force peut dompter ceux qui bravent les lois.

Il sort.

 

 

Scène VI

 

VIRGINIUS, PLAUTIE, ICILIUS, VIRGINIE, MÉNÈS, FEMMES SUIVANTES

 

PLAUTIE.

Quoi ! devant ce tyran que la vertu redoute,

À ce vil tribunal !...

VIRGINIUS.

J’irai, j’irai, sans doute :

Je vous y conduirai.

VIRGINIE.

Que dites-vous ? ô cieux !

Moi, soutenir l’aspect de ce monstre odieux !

PLAUTIE.

Lui qui poursuit sa proie, et de qui l’âme altière,

Brûlant pour Virginie...

VIRGINIUS.

Il n’a pas vu son père ;

Et quelque emportement qu’il nous ose annoncer,

C’est devant moi du moins qu’il faudra prononcer.

ICILIUS.

Est-il pour un tyran quelque droit respectable ?

Pensez-vous que ce cœur farouche, impitoyable,

Soit, même à votre aspect, de remords combattu ?

Ah ! l’injustice armée insulte à la vertu.

Non, n’abandonnons pas ce lieu qui nous rassemble :

Notre plus doux espoir est de périr ensemble.

Voyons si jusque ici ses barbares soldats

Oseront apporter le fer et le trépas,

Profaner cet asile, et d’un bras sacrilège

Violer ces autels dont l’aspect nous protège.

PLAUTIE.

C’est notre seul recours, c’est le dernier, hélas !

Seigneur, ma fille et moi, nous mourrons dans vos bras.

VIRGINIE.

Je n’implore et n’attends que cette seule grâce.

Elle tombe à genoux auprès de l’autel.

Par cet autel sacré que devant vous j’embrasse,

Par ces festons, garants d’un sort moins inhumain,

Que pour un autre usage assembla cette main ;

Ces ornements d’hymen, pour moi si pleins de charmes,

Que je ne croyais pas sitôt tremper de larmes ;

Ah ! ne m’arrachez pas à ces dieux protecteurs,

Dont j’oppose l’image à mes persécuteurs.

Irai-je au tribunal où le tyran m’entraîne

Souffrir tous les affronts préparés par la haine,

Par un barbare amour mille fois plus affreux ?

Je ne sais quelle voix, dans ce cœur malheureux,

D’un présage sinistre effrayant ma pensée,

Me dit que par vous-même à ma perte poussée,

Si pour vous attendrir mes pleurs sont superflus,

Si je sors de ces lieux, je ne les verrai plus.

À cet asile saint confiez l’innocence ;

Et, s’il ne peut lui-même assurer ma défense,

J’embrasserai du moins dans mes derniers adieux

Ma mère et mon époux, et mon père et mes dieux

VIRGINIUS.

Tu me perces le cœur : ah ! fille infortunée,

Par quel transport aveugle es-tu donc entraînée ?

Verrai-je fondre ici tes ravisseurs cruels,

Et disputer ma fille à ces bras paternels ?

Les verrai-je outrager ces autels et ta mère ?

Ah ! si me réservant cette épreuve dernière,

Le sort m’offrait ici cette scène d’horreur,

Ton père expirerait de honte et de fureur.

Ai-je revu ces murs pour fuir devant le crime,

Pour venir m’y cacher à la main qui m’opprime,

Pour n’oser soutenir les regards d’Appius ?

Ce superbe tyran verra Virginius.

S’il poursuit contre nous son atroce injustice,

Aux yeux de Rome entière il faut qu’il l’accomplisse,

Et je saurai du moins avant que de mourir

Ce que Rome aujourd’hui peut permettre et souffrir.

ICILIUS.

Et qu’en attendez-vous ? Qu’espérez-vous dans Rome !

Son génie abattu tremble devant un homme.

La guerre, en ce moment, ne laisse en ses remparts

Qu’un peuple désarmé de femmes, de vieillards ;

Les glaives d’Appius la remplissent de crainte ;

Ses plus braves enfants sont hors de son enceinte ;

Ils sont au camp... Eh bien ! c’est là qu’il faut courir ;

C’est leur bras protecteur qui peut seul nous couvrir.

Remettons sous leur garde et la mère et la fille :

Que de Virginius la plaintive famille

Se rassure au milieu de ces dignes guerriers,

Sous l’abri de leur glaive et sous leurs boucliers.

D’un si noble dépôt leur vertu sera fière.

Et qui d’eux, à l’aspect d’un si malheureux père,

De l’innocence en pleurs qui vient les implorer,

Et de vos cheveux blancs qu’on veut déshonorer,

Ne ressentira pas ce courroux magnanime,

Cette indignation qui fait pâlir le crime ?

J’entends déjà leurs cris poussés de toutes parts ;

Leurs cris retentiront jusque dans nos remparts.

Et que sais-je, grands dieux ! peut-être leur courage

De notre liberté va commencer l’ouvrage.

Ainsi Rome autrefois, dans des périls moins grands,

Du haut du Mont-Sacré fit trembler ses tyrans.

C’est à vous qu’on devra ce retour si prospère.

Que tardez-vous ? allons... Vous balancez, mon père ?

Doutez-vous un moment du cœur de nos soldats ?

VIRGINIUS.

Près d’eux depuis trente ans nourri dans les combats,

Je leur rends trop justice, et pourrais sans alarmes,

Confier ma famille à mes compagnons d’armes.

Je sais qu’un vieux soldat, jaloux de son honneur,

Leur pourrait sans rougir montrer tout son malheur.

Mais crois-tu qu’Appius, que chaque instant irrite,

Nous laisse encore ici le pouvoir de la fuite ?

Peux-tu douter, mon fils, que déjà ses soldats,

Dispersés dans ces murs, n’observent tous nos pas !

Ne me conseille point de tenter l’impossible.

J’oppose à l’oppresseur un courage invincible ;

Et sur son tribunal, d’un regard affermi,

J’oserai défier mon indigne ennemi.

Dans les transports affreux qu’en mon âme il fait naître,

Je sens que j’ai besoin de l’aspect de ce traître.

Ce n’est que devant lui que je puis éclater...

Que dis-je ? ce n’est plus le temps de consulter.

La nuit se dissipe par degrés sur la scène.

Des premiers traits du jour cette enceinte s’éclaire.

À sa fille.

Viens, marche sous l’appui de ce bras tutélaire,

Et souviens-toi surtout que je suis près de toi.

PLAUTIE.

Vous voulez !...

VIRGINIUS.

Je le veux. Venez, et suivez-moi.

Mon courage s’indigne en voyant vos alarmes.

Il ôte son casque et son épée.

PLAUTIE.

Eh quoi ! dans ce moment vous déposez vos armes !

VIRGINIUS.

La loi me les défend, quand je suis dans ces murs.

Elles seraient d’ailleurs des secours trop peu sûrs...

Ta défense, ma fille, est dans le cœur d’un père.

ICILIUS.

Vous ranimez le mien. Je vous en crois ; j’espère

Que du sort vos vertus fléchiront le courroux,

Et d’un pouvoir coupable arrêteront les coups.

C’est pour nous sauver tous que le ciel vous ramène.

VIRGINIE.

Entendra-t-il nos vœux ?

VIRGINIUS.

Ma fille, sois Romaine,

Et prends les sentiments dont je suis animé :

Crois que pour ton honneur je suis toujours armé.

Allons, Icilius, prenez soin de Plautie ;

Et moi, je conduirai les pas de Virginie.

 

 

ACTE V

 

Le théâtre représente le Forum. Le tribunal d’Appius est placé dans le fond. On doit voir sur les côtés des temples, des portiques, la tribune aux harangues, et des soldats dans l’éloignement.

 

 

Scène première

 

VIRGINIUS, MÉNÈS

 

MÉNÈS.

Virginie et sa mère, en proie à la terreur,

S’arrêtent aux autels de Jupiter vengeur.

Icilius rassure et soutient leur courage ;

Et comme impatient de défier l’orage,

Virginius s’arrache à leurs timides bras ;

Il court, se précipite, et devance leurs pas !

VIRGINIUS.

Ah ! la rage m’entraîne, et cette âme si ferme

Ne peut plus soutenir le poids qu’elle renferme.

Mon indignation s’irritait de leurs pleurs.

Trop plein de ses transports, oppressé de douleurs,

Ce cœur de tous côtés cherchait à se répandre ;

J’allais, je m’adressais à qui pouvait m’entendre.

Je croyais qu’en ces lieux, où ce peuple indompté

A respiré longtemps l’air de la liberté,

Il ne livrerait pas à cette honte amère

Un guerrier vertueux, un citoyen, un père.

Mais l’épouvante enchaîne et leurs cœurs et leurs mains,

Et l’infortune est seule au milieu des Romains.

MÉNÈS.

Du sénat cependant l’élite réunie

Élève enfin sa voix contre la tyrannie,

Brave les décemvirs, et tout semble annoncer

Que las de les souffrir, il veut les renverser.

VIRGINIUS.

Et qu’attendre d’un corps où la discorde règne,

Qui livre à l’esclavage un peuple qu’il dédaigne ?

Voudra-t-il nous servir contre un patricien ?

S’il voulait en effet nous prêter son soutien ;

Si tels sont ses desseins, qui peut donc les suspendre ?

MÉNÈS.

Si j’en crois un bruit sourd qui vient de se répandre,

Le sénat en secret portant des coups plus sûrs,

Sollicite l’armée et l’appelle en ces murs,

Aux tribuns des soldats en remet la conduite.

Déjà même l’on dit que, marchant à leur suite,

Bientôt nos légions rentrent dans ces remparts.

Vous verrez Appius pressé de toutes parts.

VIRGINIUS.

Et cependant en proie à ses fureurs sinistres...

Les vois-tu du tyran ces farouches ministres,

Tout prêts d’environner son affreux tribunal ?

S’il osait contre nous porter l’arrêt fatal !...

Ah ! pour venger l’honneur tout devient légitime...

Nature ! tu frémis !... j’aperçois la victime.

Elle approche en tremblant.

 

 

Scène II

 

VIRGINIUS, PLAUTIE, ICILIUS, VIRGINIE, MÉNÈS. FEMMES SUIVANTES

 

PLAUTIE.

Ô cher époux ! hélas !

En quels funestes lieux a-t-on conduit nos pas ?

VIRGINIUS.

C’est ici que bientôt notre sort se décide.

ICILIUS.

Voilà ce tribunal oppresseur, homicide,

Où le crime impuni s’assied insolemment !

VIRGINIE.

Ô ! mon père !...

VIRGINIUS.

Ma fille !

VIRGINIE.

Où suis-je ? et quel moment !

VIRGINIUS.

Va, ta vertu jamais ne peut t’être ravie.

On est sûr de l’honneur en méprisant la vie.

Ne préfères-tu pas la mort au déshonneur ?

VIRGINIE.

Ce noble sentiment est au fond de mon cœur,

Imprimé par le ciel, et nourri par mon père.

VIRGINIUS.

Ton cœur répond au mien : c’est assez, et j’espère

Que le ciel irrité ne me forcera pas...

PLAUTIE.

Ah ! seigneur, voyez-vous s’avancer ces soldats,

Qui partout du forum occupent les limites ?

Voyez-vous d’Appius les nombreux satellites ?

Tout un peuple effrayé semble fuir devant eux.

Le décemvir approche... il paraît !... justes dieux !

 

 

Scène III

 

VIRGINIUS, PLAUTIE, VIRGINIE, ICILIUS, MÉNÈS, FEMMES SUIVANTES. APPIUS, CLAUDIUS, SEPTIME, LES SOLDATS bordent la scène de droite et de gauche, DOUZE LICTEURS sont aux deux côtés du tribunal, PEUPLE dans l’enfoncement

 

APPIUS, montant au tribunal.

Romains, sachez qu’ici cet appareil des armes,

Qui dans un lieu de paix a porté les alarmes,

Qui du pouvoir des lois soutient la majesté,

Menace la révolte et non la liberté.

Du fier Icilius l’audace téméraire

Rendait aux décemvirs ce secours nécessaire.

C’est cet esprit nourri d’orgueilleuses erreurs,

Du tribunat encor respirant les fureurs,

Qui des séditions veut rallumer la rage,

Et détruire nos lois dont la paix est l’ouvrage.

Je préviens ses projets et ne veux rien de plus :

Il est assez puni, s’il les voit confondus.

Qu’il tremble et reconnaisse un pouvoir qu’il déteste.

Claudius appuyé d’un titre manifeste,

Redemande une esclave enlevée au berceau ;

Aux droits qu’il a prouvés les lois ont mis leur sceau ;

Et quoique leur rigueur dût presser la sentence,

J’ai de Virginius attendu la présence.

Mais si se répandant en discours superflus,

Il ne peut par des faits démentir Claudius,

Qu’il sache qu’aujourd’hui rien ne pourra suspendre,

Rien ne pourra changer l’arrêt que je vais rendre ;

Et malheur à quiconque, en sa témérité,

Oserait d’Appius braver l’autorité.

ICILIUS.

Romains, voilà ma femme, et j’ai dû la défendre.

Romains, voilà son père, et vous allez l’entendre.

Je ne m’abaisse pas jusqu’à craindre Appius ;

Je me tais seulement devant Virginius.

VIRGINIUS.

Décemvir, j’ai douté que ton aveugle rage

Prétendit consommer ton crime et mon outrage.

J’avais cru que l’horreur d’un infâme dessein

Devait, à mon aspect, se cacher dans ton sein.

Mais, puisque ma vertu, mes titres, mes services,

Et ce sein paternel couvert de cicatrices

Ne peuvent arrêter tes projets forcenés,

C’est moi, moi qui dénonce aux Romains indignés

Un monstre possédé d’un amour sacrilège,

Qui veut traîner sa proie en cet horrible piège,

Et qui, pour assouvir ses désirs criminels,

A dicté l’imposture au plus vil des mortels.

Si mes concitoyens ne peuvent me défendre,

Mes cris jusques au camp iront se faire entendre.

Mes braves compagnons entre nous vont juger ;

Ils ont le fer en main, et c’est pour me venger.

APPIUS.

Je saurai prévenir ta coupable menace,

Téméraire vieillard : ainsi donc ton audace,

Jusques en ma présence, au pied du tribunal,

De la rébellion veut donner le signal.

C’est souffrir trop longtemps ta fureur qui me brave.

Licteurs, à Claudius qu’on livre son esclave.

VIRGINIE, se précipitant dans les bras de son père.

Ah ! mon père, en vos bras...

PLAUTIE, se jetant au-devant des licteurs qui s’approchent pour saisir Virginie.

Arrêtez, inhumains.

Percez plutôt ce cœur...

Icilius et Plautie, les bras étendus, repoussent les licteurs, pendant que Virginius tient sa fille serrée dans ses bras.

VIRGINIUS.

Qui de vous, ô Romains !

Peut souffrir tant d’horreurs ? qui de vous n’est pas père ?

Si mes mains ne gardaient une tête si chère,

Mes mains de ce tyran déchireraient le cœur...

Avez-vous des enfants ? sentez-vous mon malheur ?

Tranquilles et muets, vous voyez ce spectacle !...

Aux licteurs.

Non, barbares, jamais...

APPIUS.

Écartez tout obstacle ;

Obéissez, licteurs.

VIRGINIUS.

Ô dieux ! qui l’ordonnez,

Je sauve son honneur que vous abandonnez.

Au moment où sa fille va lui être arrachée, il met la main sur un poignard caché sous ses habits.

Reçois de mon amour la marque la plus chère...

Meurs vertueuse et libre, et de la main d’un père.

Meurs.

Il frappe sa fille.

VIRGINIE.

J’expire.

PLAUTIE, recevant sa fille dans ses bras, et la sou tenant avec ses femmes.

Ah ! grands dieux ! cruel ! qu’avez-vous fait !

ICILIUS.

Malheureux !

VIRGINIUS, allant vers le tribunal.

La voilà, monstre ! es-tu satisfait ?

Par ce sang, qu’a versé cette main paternelle,

Je dévoue aux enfers ta tête criminelle.

Romains ! voyez ce sang ! c’est moi... non, par ma main,

Appius a plongé le poignard dans son sein !

C’est lui, lui...

APPIUS, descendant de son tribunal, égaré et furieux.

De mes sens, dieux ! quelle horreur s’empare !

Quel spectacle !... soldats, saisissez ce barbare.

 

 

Scène IV

 

LES MÊMES, VALÉRIUS, suivi des SÉNATEURS

 

VALÉRIUS.

Arrêtez : respectez les décrets du sénat.

Il déclare Appius ennemi de l’état.

C’est au peuple romain d’ordonner son supplice,

De livrer aux bourreaux ce monstre et son complice.

Soldats, la loi commande : entraînez ce tyran.

Les soldats environnent le décemvir et Claudius, et les entrainent hors de la scène.

ICILIUS.

Ah ! de ses attentats vous voyez le plus grand.

VALÉRIUS.

Sa mort va l’expier. Notre armée est aux portes.

La vengeance en nos murs rentre avec nos cohortes.

Que du décemvirat le nom même aboli,

Dans l’opprobre à jamais demeure enseveli.

VIRGINIUS.

Ah ! lorsque par mes mains mon malheur se consomme,

Qui me paiera ce sang ?

VALÉRIUS.

La liberté de Rome.


[1] Cette lettre, publiée le jour de la première représentation de la pièce sur le théâtre de la République, contient tout ce que l’auteur avait à dire d’essentiel sur son ouvrage, et peut tenir lieu de préface.

[2] Mademoiselle Raucourt.

[3] Je ne parle pas de celles qui ont été données avant Corneille, dans l’enfance du théâtre : on n’en connaît que les titres ; et je ne sais même si elles se trouvent dans les bibliothèques publiques : je n’ai pas été curieux de m’en informer.

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