La Jarretière de la mariée (Eugène SCRIBE - Jean-Henri DUPIN)

Comédie-Vaudeville en un acte.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre des Variétés, le 12 novembre 1816.

 

Personnages

 

LE COLONEL

GUSTAVE, capitaine

ALFRED, officier

WILHEM, fils du bourguemestre

UN LIEUTENANT

UN SOUS-LIEUTENANT

HENRIETTE, future de Wilhem

NANCI, suivante

OFFICIERS

SOLDATS

 

Dans une ville d’Allemagne.

 

Une place de village. À gauche, une maison bourgeoise, avec un balcon ; à droite, une caserne ; au milieu, un gros arbre. L’ouverture finit par un appel de cavalerie.

 

 

Scène première

 

WILHEM, seul

 

Encore des officiers ! il faut avouer qu’on a eu là une belle invention, d’aller placer une caserne en face des croisées d’Henriette !

Air du vaudeville de L’Écu de six francs.

Dès le matin, sur l’esplanade.
C’est un tapage, c’est un bruit !
Pas un’ marche, pas un’ parade,
Dont tout l’ village n’ soit instruit !
Quel bonheur, lorsqu’en vrai cosaque,
À nos maris ils font quelqu’ tour,
Si la trompette ou le tambour
Annonçait le moment d’ l’attaque.

Aussi le père Hermann, qui est un ancien hussard et qui sait par lui-même de quoi ces messieurs sont capables, a défendu à sa fille de sortir ou de paraître seulement à sa croisée ; de sorte que je ne peux plus la voir... Ne pas voir sa future la veille de sa noce !... C’est-à-dire, je peux bien la trouver chez elle le soir, ou chez mon père le bourguemestre ; mais se parler en société, autant ne se rien dire ; il n’y a rien de gênant comme de s’aimer en présence de tout le monde ; il vaut encore mieux avoir recours à notre messager ordinaire.

Allant vers l’arbre.

Remettons là ma lettre et mon présent.

Air : Songez donc que vous êtes vieux.

Cet arbre m’offre un sûr moyen
De correspondre avec ma belle,
Car il voit tout et ne dit rien ;
Des confidents c’est le modèle.
Qu’il rendit d’ service aux amours !
Et que d’ bruit dans plus d’un ménage,
S’il allait révéler quelqu’ jour
Tout c’ qui s’est fait sous son ombrage !

Voici bientôt neuf heures, c’est le moment où ces messieurs, vont à l’appel, à la parade, que sais-je ? Peut-être Henriette pourra-t-elle venir prendre mon cadeau.

Le regardant encore.

Ah ! oui ! il sera bien là... Ah ! mon Dieu ! l’on vient.

Il s’enfuit par la droite et sort en courant.

 

 

Scène II

 

GUSTAVE, entrant par le côté opposé

 

Oui, j’arriverai encore à temps pour l’appel. Mais quel est cet homme qui s’éloigne en courant ? Est-ce moi qui l’aurai fait fuir ? et que faisait-il ici vis-à-vis de la caserne ? Je l’ai vu de loin se baisser au pied de cet arbre ! Y aurait-il là quelque mystère ?

Fouillant dans l’arbre.

Je crois sentir quelque chose. Oui, vraiment, un paquet !

Accourant au bord du théâtre.

Voyons ce que ce peut être !

Gaiement en défaisant le paquet.

J’ai toujours été curieux, moi, et je ne devais pas être homme... j’ai manqué ma vocation... Que vois-je ! les jolies jarretières ! quelle fraîcheur, quelle élégance ! c’est que c’est charmant !... et c’est bien dommage qu’on ne connaisse pas chez nous l’Ordre de la Jarretière.

Air : Ah ! que de chagrins dans la vie ! (Lantara.)

Tel jadis un roi d’Angleterre
Donna naissance à cet ordre fameux :
Ah ! que ne puis-je avec mystère,
Ainsi que lui, l’établir en ces lieux !
La beauté seule obtiendrait cet emblème,
Nous réservant, selon l’occasion,
Le droit heureux de l’accorder nous-même,
Et d’attacher la décoration !

Qu’il est fâcheux de s’en séparer ! Mais respectons un bien qui ne nous appartient pas, et remettons chaque chose à sa place.

Il ramasse le papier qui servait d’enveloppe.

De l’écriture... voyons.

Il lit.

« C’est aujourd’hui ta fête... » Diable ! quel saint est-ce donc ? je l’ignore ! « Je voulais t’envoyer des vers, mais le magister n’y est pas, et tu ne les auras que demain... » Il paraît que c’est le poète du village ! Alors, je t’ai acheté ce présent qui est à deux fins ! je te prie d’abord de le porter pour l’amour de moi, et ensuite, comme il faut toujours une jarretière à la mariée, je désire que tu te pares de celle-là le jour de notre mariage ! Mais je t’en prie, n’en parle à personne au monde. C’est peut-être une idée ; mais il y a des choses qu’on est bien aise de connaître seul. » Oui, elle est singulière, son idée ! C’est qu’en effet ça fera de fort jolies jarretières de mariée. Un ruban rose, une agrafe en or ! un chiffre gravé, un W et un H... Mais avec tout cela, pas de nom, pas d’adresse, aucun autre indice. Jamais on ne piqua plus vivement ma curiosité.

Air : Je ne suis plus de ces vainqueurs. (Amour et mystère.)

Oui, ma science est en défaut,
Mais l’amour est de la partie ;
Et je vois que, dans ce complot,
Aura trempé femme jolie.
Le hasard, qui me met au fait,
Ne me rend qu’un demi-service...
Au lieu de tenir le secret,
Je voudrais tenir la complice.

Il a refermé le paquet, et le remet dans l’arbre.

Peut-être qu’elle-même se trahira, si je la guettais ?...

On entend la trompette.

Allons, voilà l’appel ; maintenant ce ne sera pas long : je n’ai besoin que de me montrer, et je reviens à mon poste.

Il entre dans la caserne.

 

 

Scène III

 

L’orchestre joue l’air : Mon bon André, mon cher André.

Henriette, sortant, furtivement de la maison, arrive pas à pas vers l’arbre, saisit le paquet, fait un geste de joie, et rentre en courant dans la maison, dont elle referme la porte tout doucement.

 

 

Scène IV

 

LE COLONEL, ALFRED, GUSTAVE, OFFICIERS, SOLDATS, sortant de la caserne, et se rangeant sur le côté

 

TOUS.

Air : Entends-tu l’appel qui sonne ? (Une Nuit de la Garde nationale.)

Aussitôt que l’appel sonne,
À l’instant c’est à qui s’y rendra.
Dès que le devoir l’ordonne.
Mon colonel, nous sommes là.

ALFRED.

Voyez quel zèle est le nôtre ;
Ici, personne d’absent !

GUSTAVE, à part, regardant autour de lui avec inquiétude.

Il en est encor quelqu’autre
Que je voudrais voir présent.

TOUS.

Aussitôt que l’appel sonne, etc.

LE COLONEL, les passant en revue.

C’est bien, messieurs, je suis satisfait de la tenue de votre compagnie ; il y a parade aujourd’hui, et vous ferez honneur au régiment ; mais, je ne puis trop vous le recommander, de jeunes officiers en garnison doivent donner tout leur temps à l’étude !

GUSTAVE.

Ainsi faisons-nous, mon colonel.

ALFRED.

Air du vaudeville de Voltaire chez Ninon.

Jour et nuit je relis Vauban.

UN LIEUTENANT.

Moi, je m’exerce à la tactique.

GUSTAVE.

Ici j’ai trouvé certain plan
Dont la découverte me pique.
Le hasard m’a servi d’abord.

LE COLONEL.

Il faut continuer...

GUSTAVE.

Oui, certes,
Et j’espère bientôt encor
Pousser plus loin mes découvertes.

LE COLONEL.

Je vous y engage. Je dois vous prévenir aussi que j’ai fait droit à vos réclamations : vous ne pouvez tous loger dans cette caserne ; l’on va distribuer à messieurs les officiers des billets de logement. Je me suis entendu pour cela avec le bourguemestre, qui va vous envoyer son fils. Je n’ai pas besoin de vous rappeler les égards...

ALFRED.

Cela va sans dire !

LE COLONEL.

Air : Adieu, je vous fuis, bois charmant. (Sophie.)

Si vous pouviez vous efforcer
D’être à la sagesse fidèles...
Mais n’allez pas tout renverser
Pour ravir le cœur de leurs belles.
Chez eux ils vous donnent accès...

GUSTAVE.

Mon colonel doit nous connaître ;
Quand la porte s’ouvre... jamais
Nous ne montons par la fenêtre...

Soyez tranquille...

LE COLONEL.

Au revoir, messieurs.

Le colonel sort.

 

 

Scène V

 

GUSTAVE, va à l’arbre et cherche le paquet, LES OFFICIERS sortent, et rentrent un instant après

 

On apporte une table servie.

GUSTAVE.

Ma foi, on n’a pas perdu de temps, tout a disparu.

Air : De la folie après Regnard.

Allons, c’est un fort joli tour,
Convenons-en, quoi qu’il m’en coûte ;
Mais qu’y faire ? C’est que l’amour
Aura passé par là, sans doute.

Regardant de tous les côtés.

Non, rien ne s’offre à mon regard ;
C’est la première fois, je gage,
Qu’amour a passé quelque part
Sans laisser traces du passage...

ALFRED.

Eh bien ! qu’est-ce que tu fais donc là tout seul ? est-ce que tu ne songes point à déjeuner ?

GUSTAVE.

Si, vraiment... je suis des vôtres... Allons, à table !...

 

 

Scène VI

 

GUSTAVE, ALFRED, LES OFFICIERS, WILHEM

 

WILHEM.

C’est à messieurs les officiers de la caserne du prince que j’ai l’honneur de parler ?

ALFRED.

Nous-mêmes...

À part.

Il a une bonne figure.

WILHEM.

Va afin que vous le sachiez, je suis le fils du bourguemestre.

GUSTAVE.

Nous lui en faisons compliment... Et tu nous apportes des billets de logement ?...

WILHEM.

Juste !

Leur en donnant.

Dame, j’ai fait de notre mieux... Nous ne nous sommes pas épargnes, je vous ai placés chez nos parents, chez nous-mêmes !...

Air du vaudeville de Catinat à Saint-Gratien.

Je m’acquitte en garçon d’esprit
De l’emploi qu’ici je m’arroge.

LE SOUS-LIEUTENANT.

Moi, j’ai le plus grand appétit.

WILHEM.

Chez le procureur je vous loge.

LE LIEUTENANT.

Pour moi, je suis le plus joyeux.

WILHEM.

Vous logerez au séminaire.

ALFRED.

Moi, je suis le plus courageux.

WILHEM.

Je vous loge chez ma grand’mère.

GUSTAVE.

Comment, chez ta grand’mère ?... ah ! ah !

WILHEM.

Ah ! vous y serez bien !... je voudrais que vous y fussiez tous !

ALFRED.

Eh ! pourquoi donc ça ?

WILHEM.

Ah ! pourquoi ?... j’ai des raisons, c’est que vous êtes...

GUSTAVE, le faisant asseoir.

Asseyez-vous donc, monsieur le fils du bourguemestre.

WILHEM.

Vous êtes bien honnêtes... c’est-à-dire, honnêtes... au contraire.

GUSTAVE.

Comment ! se plaindrait-on de nous ?

WILHEM.

Non pas.

Air : Ut, ré, mi, fa, sol, la, si, ut. (Rien de trop.)

Je sais qu’on n’est pas plus galant.
C’est tous les jours fêtes nouvelles ;
La musique du régiment
Le soir fait danser les d’moiselles.
Tout l’monde vous bénit céans,
Jusques à nos bedeaux eux-mêmes,
Qui disent que depuis longtemps,
Ils n’avaient sonné tant d’baptêmes !

Mais c’est justement ça qui déplaît aux jeunes gens de l’endroit.

GUSTAVE.

Je vois que vous nous faites l’honneur de nous craindre.

WILHEM.

Oh ! pas moi... je ne vous crains pas.

GUSTAVE.

Tu es donc bien sûr de ton mérite ?

WILHEM.

Mon Dieu non ; je n’ai pas une grande idée de moi, mais j’en ai une si bonne de ma maîtresse, que je gagerais bien que vous ne lui plairez jamais.

GUSTAVE.

Jamais ?

WILHEM.

Jamais, je le parie.

GUSTAVE.

Eh bien ! moi, je parie qu’en une demi-heure, j’en obtiens un aveu et une déclaration.

ALFRED.

Y penses-tu ?

GUSTAVE.

Sois donc tranquille ; sans la connaître, je suis certain que nous sommes au mieux ensemble ; ce sera quelqu’une de nos jolies danseuses.

WILHEM.

Point du tout ; vous n’avez jamais vu Henriette, et elle ne se soucie pas de vous voir, et quoiqu’elle loge en face de vous, elle ne vous a seulement pas fait l’honneur de se mettre à sa fenêtre.

GUSTAVE.

Oui-dà ! alors, messieurs... il y va de notre gloire, et je me charge de nous venger... Elle se nomme Henriette... elle est jolie... elle est notre voisine... il ne nous faut pas d’autres renseignements.

WILHEM, à part.

Ah ! que je suis bête !...

GUSTAVE.

Je parie vingt-cinq ducats... Eh bien ! monsieur le fils du bourguemestre, est-ce que vous auriez déjà peur !

WILHEM.

Non certainement... j’y mettrais toute ma fortune... je suis sûr d’Henriette, et pour commencer, je vais m’établir là, devant sa porte, et je n’en bouge point.

ALFRED.

Non pas, non pas ; il faut que tu viennes avec nous, et que tu nous indiques nos logements.

WILHEM.

Allez-y tout seuls.

GUSTAVE.

Est-ce que ce n’est pas à toi de les établir ?

TOUS.

Sans doute, sans doute. Ah ! tu viendras.

WILHEM.

Eh bien ! oui, j’y vas ; mais ce ne sera pas long, c’est l’affaire d’une demi-heure.

GUSTAVE.

C’est un peu prompt... mais je ne vous en demande pas davantage... À votre retour, vous trouverez bien des choses de faites...

WILHEM, vivement.

Je reviens tout de suite.

Il sort avec les officiers.

 

 

Scène VII

 

GUSTAVE, seul

 

Allons, Gustave, il n’y a pas de temps à perdre ; mais j’avoue que je ne sais pas trop comment je vais me tirer de là... Bah !

Air : L’amour qu’Edmond a su me taire.

Je n’ai jamais dans cette vie
Pris l’usage de réfléchir ;
Je m’abandonne à la folie,
Sans m’occuper de l’avenir.
Le présent jamais ne me gène...
Et maint créancier très pressé
Dit même que j’ai de la peine
À me souvenir du passé !

Pour m’introduire dans la maison, il faudrait quelque moyen ingénieux... Frappons à la porte.

 

 

Scène VIII

 

GUSTAVE, NANCI, entr’ouvrant la porte

 

NANCI.

Qui va là ?

GUSTAVE.

Un capitaine de lanciers.

On lui ferme la porte au nez.

Ça commence bien... voilà ce que c’est que de décliner ses qualités... il fallait garder l’incognito.

Il frappe encore.

NANCI, en dedans.

Je n’ouvre plus.

GUSTAVE.

C’est de la part de monsieur le bourguemestre que vous connaissez...

NANCI, paraissant.

C’est différent, c’est qu’ordinairement il ne fait pas faire ses commissions par un capitaine de lanciers.

GUSTAVE.

Il faut qu’à l’instant même je parle à ta maîtresse, à mademoiselle Henriette...

NANCI.

Je m’en vais dire à monsieur...

GUSTAVE.

Eh non, garde-t-en bien ! c’est à elle-même, en secret, que je voudrais parler.

NANCI.

Oh ! ça m’est bien défendu... mais quel est le nom de monsieur ?

GUSTAVE, à part.

Ma foi, le premier venu !

Haut.

Auguste...

NANCI.

Monsieur Auguste... je crois que j’en ai entendu parler à mademoiselle...

GUSTAVE.

Comment donc !... cent fois.

NANCI.

Attendez donc... non, je crois que c’est Ernest...

GUSTAVE.

Eh oui, Auguste !... Ernest!... c’est moi-même.

NANCI.

J’ai même entendu dire que c’était un cousin...

GUSTAVE.

Justement, un cousin ! voilà ce que je voulais cacher... Dis-lui que M. Ernest, que son cousin... est ici secrètement pour la voir... Il y va démon bonheur et du sien.

NANCI.

Ah !... j’y vais tout de suite... Excusez, monsieur, je ne vous connaissais pas !... c’est même un hasard si mademoiselle a prononcé l’autre jour votre nom devant moi... Je reviens à l’instant.

Elle rentre dans la maison.

 

 

Scène IX

 

GUSTAVE, seul

 

Vivat ! que j’obtienne un moment d’entretien, c’est tout ce que je demande... Ah ! diable ! je fais une réflexion... ce cousin Ernest, que je représente, est peut-être un mauvais sujet... et c’est très désagréable de porterie nom d’un mauvais sujet... Il est vrai qu’en gardant le mien... il y avait bien quelques risques à courir ; arrive que pourra !

 

 

Scène X

 

GUSTAVE, NANCI

 

GUSTAVE.

Eh bien ?

NANCI.

Je ne vous ai pas fait attendre... Mademoiselle dit qu’elle se rappelle très bien son cousin Ernest qui a été élevé avec elle... qu’elle l’aimait beaucoup.

GUSTAVE.

C’est charmant !

NANCI.

Et qu’elle le reverrait volontiers et avec le plus grand plaisir, sans l’accident qui lui est arrive.

GUSTAVE.

Lequel ?

NANCI.

C’est qu’il est mort à six ans, et qu’alors, quoiqu’il annonçât les plus heureuses dispositions, il est difficile qu’il ait fait aussi rapidement son chemin, et qu’il soit devenu capitaine de lanciers.

GUSTAVE, à part.

Ah ! diable ! le trait est perfide !

Haut.

Sans doute... mais c’est un malentendu... une méprise... un mot de ma main suffira pour tout expliquer...

Il prend un crayon et écrit.

Air du vaudeville de l’Avare et son Ami.

Allons, ne perdons pas courage ;
Il faudra qu’on m’écoute, enfin.

NANCI.

Mais à quoi bon ce griffonnage
Que fait notre défunt cousin ?

GUSTAVE.

Prends cette bourse... Non ?... J’insiste.
J’y crois encor un ducat d’or...

NANCI.

N’allez pas vous tromper encor ;
Êtes-vous bien sûr qu’il existe !

GUSTAVE.

Eh ! sans doute... Porte vite ce billet... j’attends la réponse.

Nanci sort.

 

 

Scène XI

 

GUSTAVE, seul

 

A-t-on idée de ce cousin ! s’aviser de mourir si jeune... Qu’importe, au reste ! J’ai écrit, on me répondra... je répondrai encore... voilà la correspondance engagée... et ma foi... Justement on ouvre la croisée... quel bonheur !

NANCI, à la croisée, à voix basse.

Êtes-vous là ?...

GUSTAVE.

Oui...

NANCI.

Air : Voulant par ses œuvres complotes. (Voltaire chez Ninon.)

Monsieur, l’on m’a dit de remettre
Cette réponse entre vos mains...

Elle lui jette un papier.

GUSTAVE.

Comment ? mon propre billet !...

NANCI.

Oui, nous ne recevons de lettre
Que d’ nos véritables cousins !
Vous aurez, quoiq’ vot’ talent brille,
Autant de peine, vous dit-on,
Pour entrer dans notre maison
Que pour rentrer dans la famille.

Elle ferme la croisée.

GUSTAVE.

Morbleu !... je ne m’attendais pas à celui-là.

On entend du bruit.

Et déjà ces messieurs qui reviennent !...

 

 

Scène XII

 

GUSTAVE, WILHEM, ALFRED, OFFICIERS

 

TOUS.

Air du vaudeville des Gascons.

Nous trouvons dans chaque maison
Asile
Commode et tranquille :
Gaîté, bon vin, jeune tendron.
C’est charmant d’être en garnison !

ALFRED, à Wilhem.

Enfin, nous voilà tous céans
Fort bien logés, grâce à ton zèle.

WILHEM.

Je crains qu’on n’ m’ait pendant ce temps,
Délogé du cœur de ma belle.

TOUS.

Nous trouvons, dans chaque maison, etc.

WILHEM, à Gustave.

Eh bien !... qu’y a-t-il de nouveau ?

GUSTAVE.

Certainement on m’a accueilli d’une manière... je ne puis pas dire que ce soit une faveur... mais si j’avais eu plus de temps...

ALFRED.

Ah ! il y a la demi-heure.

WILHEM.

J’ai gagné ; j’en étais sûr, ouf ! Je savais bien que ce ne serait pas un jour comme celui-ci qu’elle aurait voulu me trahir.

ALFRED.

Pourquoi ?

WILHEM.

La veille de notre mariage elle jour de sa fête ! ce serait un beau bouquet qu’elle m’aurait donné là. Moi qui au contraire...

GUSTAVE, à part.

Quelle idée ! si c’était...

Haut.

Ah ! tu crois. Je t’avoue que d’abord mon intention était de te ménager ; je voulais même te laisser ignorer...

WILHEM.

Comment ça ? Est-ce qu’il y aurait quelque chose ?

GUSTAVE.

Tu avais raison, elle est charmante !

WILHEM.

Qu’est-ce que ça veut donc dire ?

GUSTAVE.

Et je viens de passer le plus joli quart d’heure ! oh ! je t’assure que je n’ai pas eu le temps de m’ennuyer !

WILHEM.

C’est bon, c’est bon tout ça ; mais les preuves...

GUSTAVE.

Je suis trop discret pour t’en donner ; mais t’en faut-il d’autres que le sacrifice qu’elle m’a fait d’un certain présent ?

WILHEM.

Hein...

GUSTAVE.

On lui avait bien recommandé de n’en parler à personne !

WILHEM.

Ah ! mon Dieu !

GUSTAVE.

Ah ! si c’est toi qui lui as fait ce cadeau, je suis obligé de rendre justice à ton goût. Il est impossible de rien voir de plus élégant... les plus jolies jarretières...

WILHEM.

Aïe, c’est fait de moi !

GUSTAVE.

Le ruban rose, l’agrafe d’or, ton chiffre et le sien. Eh ! oui, c’est cela : Henriette et Wilhem !

WILHEM, vivement.

Vous les avez donc regardées de bien près ?

GUSTAVE.

Apparemment.

WILHEM.

C’est fini, je suis mort ; mais je vous le demande, qu’est-ce qui s’y serait attendu ?

ALFRED, vivement.

Comment ! ce serait vrai ?... Est-elle jeune, jolie ?... C’est charmant ! Que tu es heureux !

GUSTAVE.

Moins que tu crois, je t’assure.

ALFRED.

Fais donc le modeste !... je t’avoue que je ne te croyais pas un si grand talent.

GUSTAVE.

Air du vaudeville de la Robe et les Bottes.

Crois-moi, la fortune fidèle
N’a pas toujours suivi mes pas :

Regardant le balcon.

Et j’ai trouvé plus d’une belle,
Qui m’a traité du haut en bas.
Du sort dépend la réussite ;
Combien de gens de toute part...
Qui tomberaient par leur mérite,
Et qui s’élèvent par hasard.

WILHEM.

Est-ce bien possible ?

Air : Le briquet frappe la pierre. (Les Deux Chasseurs.)

J’ai beau faire, plus j’y pense,
Plus j’ai peine à concevoir
La malic’ d’un trait si noir !
Payer par là ma constance !

ALFRED.

Que de gens payent ainsi !

WILHEM.

À propos d’ ça, c’est fini,
J’ m’en vas chercher le pari.

GUSTAVE.

Non pas, je te remercie,
Cet argent n’est pas gagné,
Et tout n’est pas terminé.

WILHEM.

N’allez pas plus loin, j’ vous prie,
Car j’en ai, dès à présent,
Bien assez pour mon argent !

On entend la trompette.

TOUS.

Ah ! diable ! c’est la parade, la parade.

Ils sortent tous en désordre. On entend une musique militaire.

 

 

Scène XIII

 

WILHEM, seul

 

Et moi, allons-nous-en chez mon père. J’ai perdu, il faut payer, je ne connais que ma parole...

 

 

Scène XIV

 

WILHEM, HENRIETTE

 

WILHEM.

Dieu me pardonne, la voilà ! J’ crois que j’en ai pâli...

HENRIETTE, regardant autour d’elle.

Air du vaudeville de Elle et Lui.

Est-il enfin temps que je sorte ?
Ils sont partis... Je puis te voir ;
Ton absence avec elle emporte
Et mon bonheur et mon espoir.
C’est le sentiment que j’éprouve ;
Mon cœur suit tes pas malgré moi,
Et jamais je ne le retrouve
Qu’en me trouvant auprès de toi.

WILHEM, à part.

Hein ! quelle mine perfide !

HENRIETTE.

Qu’as-tu donc ? comme tu me regardes !

WILHEM.

Avez-vous reçu ce matin un présent que je vous ai fait ?

HENRIETTE.

Oui, sans doute, et je l’en remercie : c’est charmant.

WILHEM.

Eh bien ! où est-il ? je veux savoir où il est.

HENRIETTE, baissant les yeux.

Mais, mon ami, pourquoi me demandes-tu cela ?

WILHEM.

N’y a-t-il que vous qui l’ayez vu ?

HENRIETTE.

Oh ! mon Dieu, oui ! car à peine l’ai-je eu reçu, que je l’ai mis sur-le-champ ; tu me l’avais recommandé.

WILHEM.

Là ! c’est le dernier coup.

HENRIETTE.

Eh bien ! qu’est-ce que ça veut dire ?

WILHEM.

Ça veut dire que je vous abandonne, que je ne vous aime plus, et que s’il n’y a que moi qui vous épouse, vous n’aurez pas si tôt de mari.

HENRIETTE.

Comment ! je n’aurai pas de mari ; qu’est-ce que ça signifie ? Expliquez-vous, là, tout de suite, sur-le-champ.

Pleurant.

Je n’aurai pas de mari ! apprenez qu’on ne plaisante pas comme cela.

WILHEM.

Voilà qu’elle pleure, à présent !... Sachez que je ne plaisante pas. Je vous ai fait un présent qui était un secret entre nous deux ; vous en avez fait part à un autre, et comme je suis la discrétion même, je veux une femme qui garde mes secrets, et qui n’aille pas les communiquer à tout le monde.

HENRIETTE.

Moi, j’ai jasé ? si on peut dire cela...

WILHEM.

Oui, jasé, jasé !... Enfin, assez causé !

HENRIETTE.

Non, monsieur, ce n’est pas assez, et vous me direz tout, car je ne veux pas passer pour une bavarde, surtout lorsque je n’ai pas pu dire un mot dans toute la matinée ; demandez à Nanci... Moi, une bavarde !...

WILHEM.

Voilà qu’elle pleure encore ! Et cet officier, ce capitaine, vous ne lui avez pas parlé pendant un quart d’heure ?

HENRIETTE.

Moi, je ne l’ai seulement pas vu ! Il s’est présenté à la porte, on la lui a refusée ; il m’a adressé un billet, je l’ai renvoyé, voilà ce qui s’est passé, demandez à Nanci.

WILHEM.

Mais comment se fait-il qu’il connaisse mon présent ? et cela grâce à vous ; il s’en est vanté.

HENRIETTE.

Cela n’est pas possible.

WILHEM.

Il m’a dépeint la forme, la couleur, l’agrafe, mon chiffre et le vôtre ; et il n’y a pas de doute : il faut qu’il soit sorcier, ou que je sois trompé. Or, comme il n’est pas sorcier...

HENRIETTE.

C’est indigne !

Air : Ma belle est la belle des belles. (Arlequin musard.)

J’ignore d’où vient ce mystère.
D’où viennent vos soupçons jaloux.
Comment cela s’est-il pu faire ?
Je ne le sais pas plus que vous !
D’un crime évident l’on me blâme ;
Mais le fût-il encor bien mieux,
Un bon époux en croit sa femme
Plutôt que d’en croire ses yeux.

WILHEM.

C’est vrai, j’ai peut-être eu tort.

HENRIETTE.

Et moi, je n’oublierai jamais que vous avez douté de ma constance, que vous m’avez soupçonnée ; aussi, c’est moi qui vous abandonne, qui ne vous reverrai de ma vie, et dans l’instant je vais vous renvoyer votre présent.

WILHEM.

Comment, ça serait pour tout de bon ! Eh bien, oui, j’ai eu tort ; et quoique ce soit moi qui aie à me plaindre, je te demande pardon.

Il se met à genoux.

HENRIETTE.

Me croyez-vous encore infidèle ?

WILHEM.

Je n’y conçois rien ; mais j’aime mieux m’en rapporter à toi.

HENRIETTE.

Et vous n’avez plus de soupçons ?

WILHEM.

Aucun.

HENRIETTE.

Et ma parole vous suffit pour ma justification ?

WILHEM.

Je n’en demande point d’autre.

HENRIETTE, le relevant.

Mon bon Wilhem ! va, ce mot-là te rend toute ma tendresse ; mais ce n’est pas assez que ton cœur me croie innocente... pour moi même, je veux maintenant te convaincre hautement... et je me vengerai du capitaine. Tu dis qu’il s’appelle ?...

WILHEM.

Le capitaine Gustave... Je vais chez mon père, et je reviens.

À part.

Parce que j’ai promis de payer, et l’honneur avant tout.

HENRIETTE.

C’est bien ! reviens promptement ; mais quoi que tu voies ici, garde le silence.

WILHEM, revenant.

Ah çà, tu gardes mon cadeau, n’est-ce pas ?

HENRIETTE.

Je te promets de ne pas le quitter.

 

 

Scène XV

 

HENRIETTE, seule

 

Nanci, donne-moi mon voile. Quand j’y pense, ce moyen est bien un peu hardi ; mais il n’en est pas d’autre. Ah ! M. le capitaine, votre conduite mérite bien une leçon, et c’est mon sexe entier que je vais venger.

Rondeau.

Air : Ah ! mademoiselle, si jeune et si belle. (Le Magicien sans magie.)

Vous, mesdemoiselles,
Gentilles et belles,
Que dans ses projets
Un fat veut surprendre,
Sachez vous défendre,
Et venez apprendre
Comme il faut les, prendre
En leurs propres filets.

À vaincre sans cesse
Ces messieurs sont faits ;
C’est notre faiblesse
Oui fait leurs succès :
Mais quand, dans son âme,
On a dit : Je veux !
On a, quoique femme,
Autant d’esprit qu’eux.

Vous, mesdemoiselles, etc.

Tous ces militaires
Ne nous craignent guères,
Et pensent peut-être
Qu’ils n’ont qu’à paraître
Pour nous vaincre aussi :
Ce beau capitaine
Croit que l’on nous mène
Comme l’ennemi.
Oh ! mais il s’abuse,
S’il croit, par la ruse,
L’emporter ici.

Vous, mesdemoiselles, etc.

Prouvons-leur, mesdames,
Qu’un a, quoique femmes,
Autant d’esprit qu’eux :
Oui, prenons-les
Dans leurs propres filets.

 

 

Scène XVI

 

NANCI, HENRIETTE, puis LE COLONEL

 

HENRIETTE, à Nanci qui lui apporte son voile.

Merci ; maintenant... non, j’aperçois le colonel lui-même ; laisse-moi.

LE COLONEL.

Quelle est cette jolie personne ?

Il salue Henriette.

HENRIETTE.

Pardon, monsieur le colonel, de m’adresser à vous sans être connue...

LE COLONEL.

Serais-je assez heureux, madame, pour vous offrir mes services ?...

HENRIETTE.

Monsieur, je viens vous demander justice.

LE COLONEL.

À moi, madame ?

Air : Que d’établissements nouveaux (L’Opéra-Comique.)

D’un juge loin d’avoir les droits,
Je n’ai que ceux que l’honneur donne ;
Je laisse le glaive des lois
Pour porter celui de Bellone !
D’ailleurs, on dit que sur les yeux
Thémis porte un bandeau fidèle,

Regardant Henriette.

Et je serais bien malheureux,
Si dans ce jour j’étais comme elle.

HENRIETTE.

Cependant, monsieur, c’est vous que cela regarde, car c’est d’un de vos officiers que j’ai à me plaindre.

LE COLONEL.

Serait-il possible ?

HENRIETTE.

Air : Tu ne vois pas, jeune imprudent. (Les Chevilles de maître Adam.)

Nous protéger fut en tout temps
La loi de la chevalerie,
Et des guerriers les plus vaillants
Ce fut la devise chérie !
Qui sera par nous invoqué ?
Quel secours pouvons-nous attendre,
Si notre sexe est attaqué
Par ceux qui doivent le défendre !

LE COLONEL.

Oui, sans doute, madame, et vous n’avez qu’à parler ; vous pouvez être sûre qu’à l’instant même...

HENRIETTE.

Non ; l’offense fut publique, la réparation doit l’être...

LE COLONEL.

Vous avez raison. Justement, voici ces messieurs qui reviennent de la parade.

Henriette met son voile.

 

 

Scène XVII

 

NANCI, HENRIETTE, LE COLONEL, GUSTAVE, ALFRED, OFFICIERS

 

TOUS.

Air : Lampe sépulcrale. (L’Auberge.)

Le devoir m’appelle,
J’accours en ces lieux !...
Quelle est cette belle
Qui s’offre à nos yeux ?

GUSTAVE.

Notre heureuse étoile
Guide ici nos pas !

ALFRED.

Pourquoi de ce voile
Cacher ses appas ?

Ensemble.

TOUS.

Le devoir m’appelle, etc.

LE COLONEL.

Chacun avec zèle
Accourt en ces lieux ;
Pourquoi cette belle
Se plaint-elle d’eux ?

HENRIETTE.

À mon plan fidèle,
Sachons, en ces lieux,
Prouver qu’une belle
Sait se venger d’eux ?

LE COLONEL, sévèrement.

Messieurs, il paraît que, malgré mes ordres réitérés, vous avez encore donné des sujets de plainte. Voici madame qui accuse l’un de vous.

GUSTAVE.

Ah ! mon colonel.

Air : L’Amour corrige par les Grâces.

Oui, la sagesse est notre fort ;
Je suis sûr qu’on nous calomnie,
Et l’on devine de quel tort
Peut se plaindre femme jolie !
Loin de nous défendre un instant,
Madame, d’un crime semblable...
Chacun serait, en vous voyant,
Trop heureux d’être le coupable.

HENRIETTE, à part.

Serait-ce lui ?

Haut.

C’est le capitaine Gustave que j’accuse ici.

GUSTAVE.

Moi !

HENRIETTE.

Vous-même.

GUSTAVE.

Quand je vous le disais, colonel ! je n’en fais jamais d’autres ; mais le ciel me confonde si je sais d’où me vient ce péché-là.

 

 

Scène XVIII

 

NANCI, HENRIETTE, LE COLONEL, GUSTAVE, ALFRED, OFFICIERS, WILHEM

 

WILHEM, au capitaine.

Monsieur le capitaine, je vous apporte...

GUSTAVE.

C’est bon ; laisse-nous. Tu vois que nous sommes occupés.

WILHEM, apercevant Henriette.

Qu’est-ce que je vois ? Mais motus !

GUSTAVE, à Henriette.

Oui, madame, j’ai pu dans ma vie avoir quelques torts avec les belles ; si je suis coupable envers vous, vous me voyez prêt à vous en rendre raison ; mais il n’était point nécessaire d’assembler ces messieurs ; ces différends-là se jugent à huis clos, et n’exigent point l’appareil et la sévérité d’un conseil de guerre.

HENRIETTE.

Au contraire, monsieur, et peut-être plus que vous ne croyez !

GUSTAVE.

Que voulez-vous dire ?

WILHEM, à part.

Que diable ça peut-il être ?

HENRIETTE.

Oui, monsieur, il m’en coûte de compromettre un officier qui appartient à un corps aussi respectable.

À part.

Comme il est interdit !

Haut.

Et je ne sais moi-même de quels termes me servir.

GUSTAVE, avec impatience.

Enfin, madame ?...

HENRIETTE.

Enfin, puisqu’il faut le dire !... ce matin, monsieur a voulu m’embrasser malgré moi et a blessé mon mari en traître.

Feignant de pleurer.

au moment où il voulait me défendre.

GUSTAVE.

Moi, grand Dieu !

Tous les officiers s’éloignent de lui.

Et qui ose débiter une pareille imposture ?

HENRIETTE, levant son voile.

C’est moi, monsieur.

GUSTAVE, la regardant avec étonnement.

Vous, madame ! je ne vous connais pas et je ne vous ai jamais vue.

HENRIETTE.

Vous ne m’avez jamais vue ?

GUSTAVE.

Non, sans doute, et je l’atteste par serment.

HENRIETTE.

Je n’en veux pas davantage, monsieur ; c’est tout ce que je voulais vous faire dire. Wilhem, es-tu content ?

WILHEM.

Ah ! ma chère Henriette !

GUSTAVE.

Henriette !

WILHEM.

Oui, votre bonne fortune de ce matin que vous ne reconnaissez pas.

GUSTAVE.

Ah ! madame, que de pardons !...

WILHEM.

Et moi je suis le mari blessé, mais je me porte bien, et je garde mes vingt-cinq ducats.

HENRIETTE.

Air : Traitant l’Amour sans pitié. (Voltaire chez Ninon.)

Oui, d’un récit imposteur
J’ai confondu la malice ;

À Gustave.

Mais vous me rendez justice,
Et je vous rends votre honneur.
J’ai voulu du stratagème
Que vous convinssiez vous-même.

GUSTAVE.

Devant votre adresse extrême,
Ah ! je dois m’humilier.

À Wilhem.

La gageure est bien perdue...

À Henriette.

Une fois qu’on vous a vue,
Pourrait-on vous oublier !

LE COLONEL.

J’étais sûr, madame, qu’un de mes officiers ne pouvait avoir des torts réels envers une jolie femme.

GUSTAVE.

Mon pauvre Wilhem, je t’ai fait bien peur... mais on me l’a rendu ; nous sommes quittes.

WILHEM.

C’est vrai ; mais comment avez-vous vu ces...

GUSTAVE, à part.

Unissez-vous, soyez heureux ;

Montrant l’arbre qui est au milieu du théâtre.

mais ne confiez plus vos secrets au creux d’un chêne ; on pourrait encore s’en saisir, et intercepter au passage la jarretière de la mariée.

Vaudeville.

Air de M. Darondeau.

GUSTAVE.

Prenez-y garde, imprudente bergère,
D’un tel malheur sachez vous préserver :
Le hasard fait glisser la jarretière,
Et c’est l’amour qui vient la relever.

LE COLONEL.

Le calme enfin renaît après l’orage ;
Mais si jamais on osait nous braver,
Si du combat on nous jetait le gage,
L’honneur est là prêt à le relever.

WILHEM.

Lorsqu’en dansant j’ tombe... ces demoiselles
D’ leux ris moqueurs ont l’air de me braver,
J’ les laiss’ jaser... j’en sais toujours plus qu’elles :
Si j’ tombe, au moins je sais me relever.

HENRIETTE, au public.

D’ la mariée, hélas ! si la jarr’tière
Allait tomber... cela peut arriver :
Vous êtes tous Français, et je l’espère,
Chacun de vous voudrait la relever.

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