Tous les Vaudevilles (Eugène SCRIBE - Charles-Gaspard DELESTRE-POIRSON - Marc-Antoine-Madeleine DÉSAUGIERS)

À-propos-Vaudeville en un acte.

Représenté pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Vaudeville, le 16 août 1817.

 

Personnages

 

M. BADIGEON

ARLEQUIN

M. PONT-NEUF, habitué

M. SAINT-MARTIN

M. L’AMBIGU

M. APOLLON

POLICHINELLE

LE SÉNÉCHAL

LE VAUDEVILLE

MADAME LA GAÎTÉ

CHÉRUBIN

MARTON

ROSETTE

FINETTE

LISETTE

TOUS LES ACTEURS

 

À Paris.

 

 

Scène première

 

OUVRIERS, M. BADIGEON

 

Le vestibule du Vaudeville.

BADIGEON.

Air : Allons, mon garçon. (Jocrisse aux enfers.)

Allons,
Travaillons,
Charpentiers et maçons,
Si nous aimons les chansons ;
Allons,
Dépêchons,
Plus tôt nous finirons,
Plus tôt nous en entendrons.

LES OUVRIERS.

Allons, etc.

BADIGEON.

Un refrain, nous le savons.
Rend l’ouvrage plus facile,
Et c’est au bruit des chansons
Qu’on bâtit le Vaudeville.

LES OUVRIERS.

Allons, etc.

UN OUVRIER.

Savez-vous bien que la maison avait joliment besoin de réparations ?

BADIGEON.

Parbleu ! si le petit Vaudeville avait voulu se décider plus tôt à déménager, il y a longtemps que cela serait fait ; mais on tient à ses vieilles habitudes, et ce n’est que lorsque son architecte, M. Arlequin, lui a assuré que ce serait tout au plus l’affaire de quinze jours qu’il a enfin pris son parti.

Air : Lon, lan, la, landerirette.

À ces mots, le Vaudeville
Lentement s’est écarté
De son petit domicile
Qu’il n’avait jamais quitté,
En disant : cette toilette
Rajeunira mon berceau.
Eh ! lon, lan, la, landerirette,
Il faut souffrir pour être beau.

L’OUVRIER.

Mais, avant de partir, il a fait ses adieux à ses amis ?

BADIGEON.

Quelle demande ! Voici ce qu’il leur a dit :

Même air.

De vos bontés paternelles
Le souvenir me suivra ;
D’en mériter de nouvelles
L’espoir me consolera.
Jusque-là plus de goguette
Pour moi ni pour mon troupeau :
Mais, lon, lan, la, landerirette,
Il faut souffrir pour être beau.

 

 

Scène II

 

OUVRIERS, M. BADIGEON, ARLEQUIN, une règle à la main

 

ARLEQUIN.

C’est bon, c’est bon ! En vérité, depuis que je suis architecte, je ne sais plus auquel entendre : monsieur Arlequin, monsieur Arlequin, eh bien ! quand aurez-vous fini ?... quand ouvrirez-vous ?... voilà quinze grands jours qu’on ne chante plus... Eh ! messieurs, quand il y en aurait trente...

Air : Cet arbre apporté de Provence. (Les Deux Panthéons.)

Paris, comme on dit à la ronde,
N’a pas été fait en un jour :
En sept jours on a fait le monde,
Me répondent-ils tour à tour.
À cette œuvre assez difficile,
Moi, je ne vois que deux raisons :
L’architecte était plus habile,
Ou bien les jours étaient plus longs.

Enfin ils ont manqué de me faire oublier de déjeuner... Ah ! c’est vous, monsieur Badigeon, ça avance-t-il ?

BADIGEON.

Il n’y a plus que ce côté-ci que je vais faire rebâtir à neuf, avec ces vieux matériaux... vous savez...

ARLEQUIN.

C’est ça, et une couche de blanc par là-dessus.

BADIGEON.

Comme nous avons fait là-haut, pour la loge des figurantes.

ARLEQUIN.

C’est bien ! Il n’est pas nécessaire dans un théâtre que tout soit neuf du haut en bas... en se prêtant à l’illusion... Ah ! dites-moi ! mon cher ami, ce pilier-là est-il bien solide ?

BADIGEON.

N’avez-vous pas peur que ça tombe ?

ARLEQUIN.

On ne sait pas ce qui peut arriver, voyez-vous ; dans la nouvelle salle, il faut tâcher que rien ne tombe, si c’est possible !... À propos de ça, a-t-on déménagé les magasins ?

BADIGEON.

Oui, monsieur, et voilà ce qu’on a descendu. Qu’est-ce que c’est donc que ce gros ballot ? c’était d’un lourd à nous casser les bras.

ARLEQUIN.

Chut !...

BADIGEON.

Comment ! chut ?

ARLEQUIN.

N’en dites rien : ce sont toutes les pièces mortes au Vaudeville.

BADIGEON.

Oh ! je ne m’étonne plus.

ARLEQUIN.

Nous avons encore trois ballots comme celui-là.

BADIGEON.

Et ceux-ci qui étaient si légers, que renferment-ils ?

ARLEQUIN.

Oh ! c’est bien différent.

Air : C’est le meilleur homme du monde. (Monsieur Guillaume.)

C’est notre afficheur Arlequin,
Piron, la Danse interrompue,
C’est Colombine mannequin,
Barcelonnette et l’Entrevue,
Les Vendangeurs, et cætera,
Et je veux, en artiste habile,
Étayer de ces pièces-là
Les colonnes du Vaudeville.

BADIGEON.

Ça sera très bien vu...

Montrant le premier ballot.

Ah çà ! que voulez-vous qu’on fasse des vaudevilles tombés ?

ARLEQUIN.

Au fait, ça n’est bon à rien : portez-les aux boulevards ; mais dépêchons, songez que le Vaudeville ne peut tarder à revenir. Eh bien ! qu’est-ce qui arrive là ? Serait-ce déjà quelque curieux qui viendrait nous déranger ?

 

 

Scène III

 

ARLEQUIN, M. PONT-NEUF

 

PONT-NEUF.

Eh bien, ça avance-t-il ? Pardon si j’entre sans façon ! je suis presque de la maison...

ARLEQUIN.

Il me semble, en effet, avoir déjà eu l’honneur de voir votre figure.

PONT-NEUF.

Je le crois : je suis M. Pont-Neuf.

ARLEQUIN.

Oh ! et vous vous portez comme...

PONT-NEUF.

Comme vous dites, à merveille ; mais pour peu que l’absence du Vaudeville se prolongeât encore longtemps, cette belle santé pourrait bien...

ARLEQUIN.

Comment, monsieur Pont-Neuf, vous aimez le Vaudeville à ce point-là ?

PONT-NEUF.

Comme un enfant que j’ai vu naître.

Air : Bon, bon, bon, lariradondaine.

De ces lieux, je m’en flatte,
Je suis presqu’ un pilier ;
J’étais de même date
Que les bancs du foyer.
Eh ! bon, bon, bon,
Lariradondaine,
Eh ! gai, gai, gai,
Lariradondé.

Je ne l’ai point quitté, ce cher enfant.

Air : Sans mentir. (Les Habitants des Landes.)

Je l’ai vu tendre et volage,
Grivois, libertin, moqueur,
Toujours fou, quelquefois sage,
Et de temps en temps pleureur.
Sous son humide paupière
Sa vue alors se troublait :
Il tombait ; mais quand, par terre,
Notre espiègle se voyait,
Il riait (Bis.)
Et soudain se relevait.

Mais je ne suis pas le seul qui soit ici de fondation ; nous formons à l’orchestre un petit aréopage, qui conserve autant que possible le bon goût et les bonnes traditions ; nous sommes tous fidèles au rendez-vous, et si l’un de nous passait une soirée sans paraître à l’orchestre ou au foyer, on ne manquerait pas le lendemain d’envoyer savoir de ses nouvelles. Si vous connaissiez M. Banquette, notre doyen... je me rappelle toutes les affaires où nous nous sommes trouvés ensemble. Il eut un chapeau emporté à Jeanne d’Arc, et moi une basque de mon habit qui resta à la première de Fanchon ; vous sentez bien alors que, depuis que le théâtre est fermé, je ne vis plus, et je voudrais savoir quand je pourrai reprendre mon existence dramatique.

ARLEQUIN.

J’espère qu’aujourd’hui même j’aurai terminé les réparations.

PONT-NEUF.

Ah çà ! dites-moi, monsieur, vous augmentez sans doute la salle ; je me suis laissé dire qu’elle serait plus grande que celle de l’Opéra.

ARLEQUIN.

Air du vaudeville d’Arlequin afficheur.

Dans un séjour plus spacieux
On n’entendrait plus ma muselle,
Je ne suis point ambitieux
Et n’agrandis pas ma retraite.
Si petite qu’elle est, je dis,
Ainsi que ce sage d’Athène :
Plût au ciel que de vrais amis
Elle fût toujours pleine.

PONT-NEUF.

Vous comptez la faire assurer contre l’incendie ?

ARLEQUIN.

Eh ! mais ce serait plutôt contre le froid.

PONT-NEUF.

Et, dites-moi, monsieur, ferez-vous assurer les pièces ? On dit qu’il y a des compagnies d’assurance qui se chargent du succès... et puis je voulais vous demander : Quand revient donc ce cher Vaudeville ?

ARLEQUIN.

Eh ! mais, aujourd’hui même.

PONT-NEUF.

Serait-il possible ? Je ne quitte point ces lieux, je veux être le premier à le recevoir ; mais ! regardez donc de ce côté, serait-ce lui ? quelle foule l’entoure !

ARLEQUIN.

Eh ! tant mieux, s’il amène la foule avec lui, nous voilà sauvés. Sangodémi ! je cours faire ouvrir les portes.

PONT-NEUF.

Et moi, je l’attends.

ARLEQUIN.

Vous le reconnaîtrez bien.

PONT-NEUF.

Parbleu !

On entend un roulement de tambour, suivi des mots : Qui vive ? – Ami. Arlequin sort.

 

 

Scène IV

 

M. PONT-NEUF, M. SAINT-MARTIN, avec une grosse caisse

 

PONT-NEUF.

Où est-il, ce cher enfant ?... Eh ! mais qu’est-ce ?... que vois-je là ?

SAINT-MARTIN.

Parbleu ! vous voyez en moi le Vaudeville, et un gaillard bien découplé encore.

PONT-NEUF.

Mon Dieu ! comme il est grandi depuis quinze jours ! il n’est pas reconnaissable.

SAINT-MARTIN.

Ah ! ah ! la mauvaise herbe...

PONT-NEUF.

Et puis je lui trouve un air niais.

SAINT-MARTIN.

Dame, c’est sur cet air-là que je chante tous mes couplets.

PONT-NEUF.

Est-il possible que ce soit là le Vaudeville !

Air : Tout ça passe en même temps.

Un Vaudeville malin
Qui s’annonce de la sorte :
Un « qui vive » pour refrain,
Et des soldats pour escorte !

SAINT-MARTIN.

Moi, monsieur, toujours je porte
Un tambour pour tambourin,
Et ma place est à la porte,
À la porte (Bis.) Saint-Martin.

Vous n’êtes donc jamais venu chez nous ?

PONT-NEUF.

Moi, monsieur, depuis vingt ans, je viens ici tous les soirs, et je ne connais que le Vaudeville.

SAINT-MARTIN.

Eh bien ! c’est moi, chaque théâtre a ses attributions ; il y en a un où l’on chante l’opéra-comique.

PONT-NEUF.

Où l’on chante ?

SAINT-MARTIN.

Eh ! oui, l’on chante ! N’allez pas me chicaner sur les termes... chaque théâtre a son genre distinct : à l’un c’est l’opéra-comique, à l’autre la comédie, à d’autres le mélodrame ; mais le Vaudeville, on le chante partout, et tout le monde s’en mêle, depuis l’Odéon jusqu’aux théâtres en plein air.

PONT-NEUF.

Et il ne réclamerait pas !...

SAINT-MARTIN.

Comment voulez-vous qu’on entende sa voix, au milieu de nos trombones et de nos grosses caisses ?

Il frappe sur la sienne.

PONT-NEUF.

Ah ! mon Dieu !

SAINT-MARTIN.

Air : Tarare pompon.

Monsieur, lorsqu’il le faut,
Nous chantons à merveille ;
Mais écorcher l’oreille
N’est pas notre défaut.

PONT-NEUF.

Que vous chantiez, c’est juste,
Le chant calme nos maux,
Mais que vous chantiez juste,
C’est faux.

SAINT-MARTIN.

Bah ! ce n’est rien, vous en entendrez bien d’autres : nous sommes venus en famille, je suis là avec mes frère et sœur, madame la Gaîté, M. l’Ambigu, et puis un autre encore que nous avons laissé en route, parce qu’il ne va pas si vite que nous, vu qu’il va à cheval.

PONT-NEUF.

Diable ! un Vaudeville équestre !

 

 

Scène V

 

M. PONT-NEUF, M. SAINT-MARTIN, M. L’AMBIGU, MADAME LA GAÎTÉ

 

L’AMBIGU.

Air : Monsieur d’ la Palisse est mort.

Oui, je suis l’Ambigu,
L’Ambigu-Comique ;
Et j’ai l’esprit très pointu,
Très pointu, je m’en pique.

LA GAÎTÉ.

Si mes vers sont ennuyeux,
Ma pantomime touche ;
Je ne parle jamais mieux
Qu’en n’ouvrant pas la bouche.

L’AMBIGU.

Oui, je suis l’Ambigu, etc.

LA GAÎTÉ.

Ma lance égale en crédit
L’arme du ridicule.

L’AMBIGU.

Si je n’ai pas plus d’esprit,
C’est que je dissimule.

Ensemble.

SAINT-MARTIN et LA GAÎTÉ.

La Gaîté, l’Ambigu,
L’Ambigu-comique
Ont tous deux l’esprit pointu,
Très pointu, je m’en pique.

L’AMBIGU.

Oui, je suis l’Ambigu, etc.

PONT-NEUF.

Qu’est-ce que c’est que toute cette famille-là ? Eh ! que diable venez-vous faire ici ?

LA GAÎTÉ.

Nous y établir ; ce n’est pas la première fois que nous empiétons sur le Vaudeville, et puisqu’il est absent, nous nous emparons de son domaine.

L’AMBIGU, mystérieusement.

Oui.

LA GAÎTÉ.

Silence !

PONT-NEUF.

Silence ?... quelle singulière femme !

Air du Ballet des Pierrots.

Pourquoi chanter le Vaudeville ?

LA GAÎTÉ.

Parce que je suis la Gaîté.

PONT-NEUF.

Pourquoi ce bouclier d’Achille ?

LA GAÎTÉ.

Parce que je suis la Gaîté.

PONT-NEUF.

Pourquoi cette lance et ces armes ?

LA GAÎTÉ.

Parce que je suis la Gaîté.

PONT-NEUF.

Pourquoi ce mouchoir et ces larmes ?

LA GAÎTÉ.

Parce que je suis la Gaîté.

PONT-NEUF.

Vous n’avez donc pas de caractère ?

LA GAÎTÉ.

Qu’importe, pourvu que j’aie de l’argent !... Mais rassurez-vous, le Vaudeville ne vient jamais chez nous qu’en seconde ligne : ici tout finit par des chansons ; chez nous c’est tout le contraire.

L’AMBIGU.

On commence par chanter...

LA GAÎTÉ.

Et l’on finit par se battre.

PONT-NEUF.

C’est charmant. Voilà le cas que vous faites du Vaudeville !

Air : Trouverez-vous un Parlement ? (Molière à Lyon.)

Emblème de l’esprit français,
Ce vif enfant de la Folie,
Fameux par ses joyeux succès,
Que chaque peuple nous envie.
Sur les travers prompt à frapper,
Prompt à guérir les maux de l’âme,
Est-il donc fait pour occuper
L’antichambre du mélodrame ?

SAINT-MARTIN.

Le fait est qu’il a un peu l’air de porter notre livrée ; mais de quoi se plaint-il, nous l’habillons de manière qu’il n’est plus reconnaissable.

LA GAÎTÉ.

D’ailleurs c’est trop d’honneur que nous lui faisons en nous emparant de son bien.

L’AMBIGU.

Oui.

LA GAÎTÉ.

Silence !... justement la porte s’ouvre, tout semble préparé pour notre réception.

PONT-NEUF.

Mais ! ce n’est pas vous qu’on attend.

L’AMBIGU.

Qu’importe. Guerriers !...

Air de La Cosaque.

En gais lurons,
Sans façons,
Nous forçons
L’asile
Du Vaudeville.
Nous le jurons,
Gais lurons,
Nous saurons
Usurper tous ses fions flons.

LA GAÎTÉ.

Par quelque noir stratagème.
S’emparer de ses États,
C’est bien là la gaîté même,
Ou je ne m’y connais pas.

TOUS.

En gais lurons, etc.

Ils sortent.

 

 

Scène VI

 

M. PONT-NEUF, seul

 

Par exemple, si je soupçonnais l’existence de ces trois Vaudevilles-là !... il faut qu’il y ait des bâtards dans la famille.

 

 

Scène VII

 

M. APOLLON, M. PONT-NEUF

 

APOLLON.

Air de Madelon Friquet.

Monsieur, je suis l’Apollon
Du joyeux boulevard du Temple,
Monsieur, je suis l’Apollon
Du café qui porte ce nom.

Lyre et cafetière à la main.
Le soir, le matin,
Dans mon temple.
On me voit pincer,
Verser.

Monsieur, je suis l’Apollon, etc.

Chaud, chaud, entrons !

PONT-NEUF.

Quel est ce monsieur-là ?

APOLLON.

Qui je suis ? Eh ! parbleu ! le Vaudeville !... chaud, chaud !

PONT-NEUF.

Comment, encore un Vaudeville, et avec une cafetière !

APOLLON.

Dame ! chacun a ses armes, et ce sont les miennes... Monsieur veut-il un couplet ?... versez ! je veux dire une demi-tasse, tout ça se mêle.

Air : Pégase est un cheval qui porte.

J’en ai chez moi de toutes sortes,
Du punch, du rack et des bons mots,
Des pointes et des liqueurs fortes,
Des glaces et des madrigaux,
Cher aux gourmets et cher aux grâces,
Sans jamais me tromper, je mets
Du sucre dans mes demi-tasses
Et du sol dans tous mes couplets.

PONT-NEUF.

C’est agréable, on a de quoi choisir.

APOLLON.

Non, monsieur ; on prend le tout ensemble, l’un paye l’autre.

Air du vaudeville de Partie carrée.

Le consommateur se régale.
Et peut avoir, suivant ses goûts,
Pour un demi-franc la Vestale,
Et Femme à vendre pour six sous ;
Salomon juge, il absout, il condamne,
Pour quelques biscuits demandés.
Et l’on est sûr de la Chaste Suzanne
Pour quelques échaudés.

PONT-NEUF.

Ah ! j’y suis maintenant, c’est ce café théâtral, où l’on ne voit que deux acteurs à la fois.

APOLLON.

C’est bien assez, et ça ne m’empêche pas de monter des pièces à spectacle et des vaudevilles.

PONT-NEUF.

Ça doit être difficile à faire.

APOLLON.

Du tout.

Air : Que d’établissements nouveaux. (L’Opéra-Comique.)

Au boulevard, quand le voisin
Donne quelque pièce nouvelle,
Aussitôt, les ciseaux en main,
Pour deux acteurs je la morcelle.
Fermes soins l’ouvrage est réduit ;
Coupant dans les vers, dans la prose,
Je n’en conserve que l’esprit.

PONT-NEUF.

Il doit vous rester peu de chose.

Ah çà ! si vous réussissez si bien là-bas, que venez-vous faire ici ?

APOLLON.

Ah ! c’est que je vais vous dire ! il y a bien des inconvénients, le public n’est pas toujours très tranquille, nous avons de gros consommateurs qui, après avoir bu deux bols de punch, ne se font pas scrupule de troubler la scène la mieux filée ; le café y gagne, mais l’art y perd considérablement.

PONT-NEUF.

Je conçois.

APOLLON.

Il faut si peu de chose pour troubler un acteur... et je vous demande un peu, quand, dans la scène la plus intéressante, on entend crier : une limonade ! ça refroidit bien le talent. L’autre jour, par exemple, je ne sais pas dans quel vaudeville un amant reprochait à sa maîtresse d’être insensible à son amour, et au lieu de jouer la scène, il avait l’air de jouer aux propos interrompus :

Air : C’est mon maître en l’art de plaire.

Grand dieux ! quelle rigueur funeste !...

Holà ! quelqu’un !

Cruelle, vous me refusez...

Un bol au rhum !

Vous exigez donc que je reste...

Garçon ?

En proie au feu que vous causez...

Une carafe d’orgeat !

Que voulez-vous que je devienne ?...

Une flûte !

Si je renonce à vos appas ?

Il n’y en a plus.

Hélas ! c’est vouloir que je prenne...

La bière !

Le chemin qui mène au trépas.

Trois verres d’eau à la glace !

N’y a-t-il pas de quoi déconcerter l’acteur le plus sur de son affaire ! C’est pour cela que je viens m’établir chez le Vaudeville qui, sans doute, ne viendra pas de sitôt.

PONT-NEUF.

C’est ce qui vous trompe... il ne manquera pas de Vaudevilles : ils sont là six pour un.

APOLLON.

Comment ! est-ce que l’on chanterait ? je leur porte mes couplets.

PONT-NEUF.

Eh ! non, ils sont à se disputer.

APOLLON.

Ça s’échauffe, je leur porte mes rafraîchissements, chaud, chaud !

Il sort.

 

 

Scène VIII

 

M. PONT-NEUF, CHÉRUBIN, en Chinois, avec une grande tartine de confitures

 

CHÉRUBIN, entrant en mangeant ; il chante.

Je suis un petit garçon
De belle figure,
Qui n’aime que le bonbon
Et la confiture.

PONT-NEUF, l’arrêtant.

Où allez-vous donc, mon petit ami ?

CHÉRUBIN.

Laissez-moi donc passer ; je suis le Vaudeville, et je vais chez moi.

PONT-NEUF.

Et celui-là aussi !... il n’y a plus d’enfants ; c’est-à-dire, mon petit ami, que vous êtes tout au plus une ombre de Vaudeville.

CHÉRUBIN.

Oui, et une ombre chinoise.

PONT-NEUF.

Comment vous appelez-vous ?

CHÉRUBIN.

Je me nomme Chérubin.

PONT-NEUF.

Chérubin ! Il est gentil comme un ange, ce petit garçon-là.

CHÉRUBIN.

Nous nous sommes lassés de jouer le Petit Poucet et le Pont cassé, et, depuis quelque temps, nous nous sommes mis à chanter le vaudeville, et, comme notre salle se trouve trop petite, je viens m’établir dans la vôtre.

PONT-NEUF.

Vous avez donc du monde ?

CHÉRUBIN.

Certainement, la meilleure société de Paris... en petites filles et en petits garçons... parce que le matin on dit : « La bonne, j’irai promener ce soir avec monsieur un tel, vous mènerez le petit aux Ombres chinoises : » par ainsi nous avons tous les enfants dont les mamans vont se promener ; ce qui ne laisse pas de faire du monde.

Air du Premier Pas.

Avec l’enfant,
La bonne entre et séjourne
En un coin noir et sur le dernier banc ;
Certain monsieur vient et près d’elle tourne,
Et puis l’on jase et puis l’on s’en retourne
Avec l’enfant.

Notre spectacle, comme vous voyez, convient à tous les âges, et nos refrains forment un petit cours de morale... Tenez, voilà le seigneur Polichinelle, mon principal acteur.

 

 

Scène IX

 

M. PONT-NEUF, CHÉRUBIN, POLICHINELLE

 

CHÉRUBIN.

Entrez, seigneur Polichinelle.

Polichinelle entre en dansant sur l’air de L’Anglaise.

Allons, seigneur Polichinelle, faites votre compliment à l’honorable société.

POLICHINELLE.

Que Pantin serait content
S’il avait l’art de vous plaire !
Que Pantin serait content
S’il avait votre agrément !

PONT-NEUF.

C’est charmant, mais il me semble qu’on n’entend pas beaucoup les paroles.

CHÉRUBIN.

Ah ! on en est bien dédommagé.

PONT-NEUF.

Oui, à la vue.

CHÉRUBIN.

Oh ! mon Dieu ! non, chez nous l’on n’y voit goutte ; c’est ce qui en fait le charme.

PONT-NEUF.

C’est peut-être cela qui vous attire du monde ?

CHÉRUBIN.

Voyons, seigneur Polichinelle, que chantez-vous à ces petits prétendants au grand fauteuil académique ?

POLICHINELLE, chantant.

Tu n’auras pas, p’tit polisson, etc.

CHÉRUBIN.

Que dites-vous à tous ces gens à projet, à tous ces entrepreneurs de montagnes ?

POLICHINELLE, chantant.

Du haut en bas
On monte et puis on dégringole.

CHÉRUBIN.

Et à tous ces gens qui se croient offensés, quand on met un travers nouveau sur la scène ?

POLICHINELLE, chantant.

La comédie est un miroir
Qui réfléchit le ridicule, etc.

CHÉRUBIN.

Allons, seigneur Polichinelle, ne perdons pas plus de temps, et entrons sur-le-champ.

PONT-NEUF.

Comment, vous osez passer cette barrière ?

CHÉRUBIN.

Et pourquoi pas ?

POLICHINELLE, entre en chantant.

Les canards l’ont bien passée,
Lire, lire, lire, lonfa.

Chérubin le suit.

 

 

Scène X

 

M. PONT-NEUF, LE VAUDEVILLE

 

LE VAUDEVILLE.

Air : Voilà mon cousin l’Allure. (Le Jour de Saint-Crépin.)

Me voici de retour,
Quel beau jour
Pour mon âme ravie !
Je revois mon pays,
Mes amis,
Je revois mon nouvel
Et bel hôtel ;
Puissé-je revoir
Le public chaque soir
Applaudir à ma folie !

Regardant Pont-Neuf.

Eh ! c’est monsieur Pont-Neuf, le plus ancien de nos habitués, la première place du premier banc de l’orchestre, du côté du foyer.

PONT-NEUF.

Précisément, à moins qu’elle ne soit prise quand j’arrive.

LE VAUDEVILLE.

Et je désire qu’elle le soit souvent.

PONT-NEUF.

Mais, qu’avez-vous fait de votre bande joyeuse ?

LE VAUDEVILLE.

Je les ai laissés à la dernière auberge, occupés à prendre des forces pour achever le voyage.

Air : Je pars. (Une nuit de la Garde Nationale.)

D’abord,
Devant un rouge bord
J’ai laissé mons Sabord
Et, ses Gardes-Marine ;
Edmon,
Par un tendre sermon,
Enjôle, en vrai Démon,
Germaine qu’il lutine.

Hier,
J’ai laissé Rochester
Jouant le rôle et l’air
D’un modeste aubergiste ;
Et Latteignant
À son monde enseignant,
À coups de Frontignan,
À n’être jamais triste.

Là, Fanchon,
Au son de sa vielle.
Fait sauter un vieux bouchon ;
Là, Pigeon
Craint qu’on ne l’appelle
Pour le mettre en faction.

Honorine
Se mutine
Et ne dîne
Qu’en boudant ;
Pierrot happe
Sur la nappe,
Rien n’échappe
À sa dent.

Piron,
Chantant un air luron,
Fait sautiller en rond,
Dix commères énormes,
Tandis
Que de toutes les dix
Dorat, tendre Amadis,
Chante les douces formes.

Gaspard,
Attendant le départ,
Se fait régaler par
Un courrier de Valogne,
Qui se piquait
De gagner au piquet
Le plus fin joueur qu’ait
Vu naître la Gascogne.

Rouffignac,
Feignant toujours d’être
Descendant de Pouceaugnac,
Parle, et, crac !
Nous voyons renaître
De Melun le doux micmac.

Ory guette,
En cachette,
La fillette
Qui le sert,
Et l’hôtesse,
Peu tigresse,
Lorgne et blesse
Philibert.

Wasner,
Fredonnant un vieil air
Avec madame Wasner,
Recommence
Sa danse.
Enfin,
N’ayant plus soif ni faim,
Sans-Gêne à son voisin
Fait payer son festin.

On entend du bruit.

Tenez, déjà seraient-ce eux que j’entends ?... Eh ! non !... Eh ! mon Dieu, qu’est-ce qui nous arrive là, et que nous annonce cette effrayante ritournelle ?

 

 

Scène XI

 

M. PONT-NEUF, LE VAUDEVILLE, MARTON, LE SÉNÉCHAL, ROSETTE, FINETTE et LISETTE

 

LE SÉNÉCHAL.

Air de Jean de Paris.

Qu’à mes ordres ici tout le monde se rende :
C’est moi, grand sénéchal, moi qui parle et commande.
Puisqu’on ces lieux c’est à moi d’ordonner.
J’ordonne donc qu’on serve le dîner.
Oui, c’est le léger Vaudeville
Que je vous annonce en ces lieux.

LE VAUDEVILLE.

Comment ! un Vaudeville chez moi ? Qui êtes-vous, mon ami, et qui vous amène, s’il vous plaît ?

LE SÉNÉCHAL.

Air : J’ai longtemps parcouru le monde. (Joconde.)

J’ai longtemps attendu le monde,
Mais de l’attendre je suis las ;
J’ai longtemps attendu le monde ;
Mais enfin, puisqu’il ne vient pas,
Je veux, en artiste habile.
Chanter aussi le vaudeville,
Et laisser nos fades chansons
Pour prendre ses joyeux flons flons.
Gai, gai, lon, la, zon, zon, flon, flon.

LE VAUDEVILLE.

Comment vous seriez ?...

LE SÉNÉCHAL.

L’Opéra-Comique lui-même...

Montrant les quatre femmes.

Vous voyez toutes ses actrices...

Se montrant.

et tous ses acteurs.

LE VAUDEVILLE.

Eh ! mon Dieu, que voulez-vous faire de nos flons flons ?

MARTON.

Il est certains flons flons
Qui me semblent fort bons.

D’ailleurs, aux grands maux les grands remèdes !

LISETTE.

On nous a ordonné le vaudeville par régime.

LE SÉNÉCHAL.

Nous comptions sur notre salle repeinte à neuf... Il ne nous restait que cela pour attirer les gens, et vous vous avisez d’en avoir une aussi, et vous nous enlevez tous nos moyens de succès, et vous ne voulez pas que l’on crie !

LE VAUDEVILLE.

Eh ! mon Dieu, le moyen de vous en empêcher !... Mais vous voilà bien vengés si vous prenez nos refrains.

LE SÉNÉCHAL.

Distinguons... Ces dames et moi nous reprendrons de temps en temps nos grands airs. Ces autres messieurs se mettront aux Ponts-Neufs ; ça jettera dans les morceaux d’ensemble une agréable variété.

MARTON.

La pièce d’ouverture est en répétition, et comme on y met de l’activité, nous espérons qu’avant deux mois... vous verrez.

Air du Mirliton.

La réussite est certaine :
Qui peut plus, peut moins, dit-on,
Et je parviendrai sans peine
À chanter sur votre ton.
C’est un mirliton,
Mirliton, mirlitaine,
C’est un mirliton,
Ton, ton.

Je vais vous donner un échantillon de mon savoir faire. Vous connaissez l’air au clair de la lune.

Au sénéchal.

Mon camarade, soutenez-moi.

Ils chantent en duo et en brodant d’un bout à l’autre.

MARTON et LE SÉNÉCHAL.

Au clair de la lune.
Mon ami Pierrot,
Prête-moi ta plume
Pour écrire un mot ;
Ma chandelle est morte,
Je n’ai plus de feu :
Ouvre-moi ta porte,
Pour l’amour de Dieu.

LE VAUDEVILLE, riant.

C’est à merveille !... mais tenez, voulez-vous m’en croire, respectez mon modeste domaine, le vôtre est si beau.

LE SÉNÉCHAL.

Bah ! notre vieux répertoire n’est plus de mode. Où trouver un Amant jaloux, un Félix ou l’Enfant trouvé ?

LE VAUDEVILLE.

Air de La Pipe de tabac.

Les Amants Jaloux, à la ronde,
Reparaissent de plus en plus ;
Depuis quelque temps, dans le monde.
Que d’Événements imprévus !
Chez nous que de Femmes vengées,
Que d’Enfants trouvés sur nos pas,
Et, dans mille causes jugées,
Que de Jugements de Midas !

MARTON.

Ça vous est bien aisé à dire.

Air du vaudeville des Deux Edmond.

Où trouverons-nous, je vous prie,
Ce favori de Polymnie ?
Tous nos regrets sont superflus :
Grétry n’est plus. (Bis.)

LE VAUDEVILLE.

Ranimez la lyre féconde
Qui fit le Calife ou Joconde,
Leurs chants vous prouveront encor
Que Grétry n’est pas mort. (Bis.)

Ainsi, croyez-moi...

Air : Ah ! vous avez des droits superbes. (Le Nouveau Seigneur.)

Ah ! vous avez des droits superbes ;
Mais sachez les faire valoir.

Et je vais vous en donner les moyens.

Air : Je vais rester à cette place. (Le Nouveau Seigneur.)

Restez toujours à voire place,
Et chacun voudra parmi nous
Retenir la sienne chez vous.

Sans compter que nous pourrions prendre les armes pour défendre nos foyers, et jugez alors !

Air : Et pourtant, papa. (Le Nouveau Pourceaugnac.)

Sur l’air d’importance
De vos comités,
Sur l’heureuse chance
De vos nouveautés,
Ah ! Dieu sait combien
Nous pourrions en dire !
Mais plus de satire.
Nous ne dirons rien.
Sur le peu de formes
De vos contrôleurs,
Sur celles énormes
De certains acteurs ;
Ah ! Dieu sait combien, etc.

Sur ce gros choriste
Qui cache son jeu,
Sur certaine artiste
Qui le cache peu,
Ah ! Dieu sait combien, etc.

On entend du bruit.

Qu’est-ce que j’entends là chez moi ? Une ouverture à grand orchestre... Si je ne vous voyais là, je croirais que vous y êtes déjà installés.

TOUS, voulant entrer dans le théâtre.

Qu’est-ce que c’est que ça, qu’est-ce que c’est que ça ?

Ils entrent.

 

 

Scène XII

 

LE VAUDEVILLE, ARLEQUIN

 

ARLEQUIN, sortant en se bouchant les oreilles.

Ah ! les barbares !... les barbares !... la salle n’y résistera pas... Je conçois qu’on ait pu faire tomber une ville au son de la musique... si elle ressemblait à celle-là.

LE VAUDEVILLE.

Eh bien, Arlequin ?

ARLEQUIN.

Sangodémi, que vois-je ?... Ah ! cette fois, c’est bien lui, c’est mon petit maître... Que je suis aise de vous voir ici, hi, hi, hi !

LE VAUDEVILLE.

Eh bien, tu pleures !

ARLEQUIN, pleurant.

Quand vous saurez que la salle...

LE VAUDEVILLE.

Eh bien ! est-ce qu’elle ne serait pas terminée ?

ARLEQUIN, pleurant toujours.

Au contraire, j’ai arrangé ça pour le mieux... nous aurons des galeries, des balcons et des loges.

Air : À soixante ans, on ne doit pas remettre. (Le Dîner de Madelon.)

C’est en tremblant qu’à tous les yeux j’expose
Ce simple essai de mon faible talent ;
Ce que j’ai fait serait bien peu de chose,
Sans le secours d’un plus bel ornement.
Et chaque soir, quand vous verrez nos places,
Doublant d’éclat, offrir à l’œil ravi
Mille beautés disputant à l’envi
Et de jeunesse et d’attraits et de grâces :
Le beau spectacle !

LE VAUDEVILLE, regardant les loges.

Ah ! je le vois d’ici.
Il n’y a pas de quoi se désoler.

ARLEQUIN, de même.

Ce n’est pas ça... Cette salle que j’ai rebâtie, en conscience, quoique architecte... eh bien !... elle est pleine.

LE VAUDEVILLE.

Déjà ! ma foi, tant mieux.

ARLEQUIN.

Elle est pleine d’étrangers qui veulent s’en emparer.

LE VAUDEVILLE.

Serait-il possible ?

ARLEQUIN.

Monsieur Saint-Martin, monsieur l’Ambigu, madame la Gaîté, le café d’Apollon, les Ombres chinoises... jusqu’à monsieur l’Odéon qui vient d’arriver appuyé sur la Petite Rose... Ils se disent tous de la famille.

LE VAUDEVILLE.

Si nous sommes parents, c’est d’un peu loin.

ARLEQUIN.

Et ils veulent partager la succession.

LE VAUDEVILLE.

Comment ! de mon vivant... un instant, messieurs !

Air du vaudeville d’Angélique et Melcour.

Pourquoi prenez-vous mes bons mots ?
Vais-je prendre vos mélodrames ?
Pourquoi prenez-vous mes pipeaux ?
Vais-je prendre vos fers, vos flammes ?
Bornez-vous à peindre à nos yeux
L’horreur, la haine, l’épouvante,
Et ne chantez qu’aux jours heureux
Où toute la France chante.

ARLEQUIN.

Et puis, tout à l’heure encore, j’ai vu une poissarde et un malin... qui disaient qu’ils s’appelaient les Variétés... et ils viennent de se faufiler par la porte des acteurs.

LE VAUDEVILLE.

Oui... cette porte-là... leur a souvent réussi... Passe encore pour eux ! du moins ils sont gais.

ARLEQUIN.

Mais vous ne savez pas... ils couraient un grand danger... ils étaient poursuivis par des gens à pied qui avaient des éperons et des moustaches... et ils venaient emprunter au Vaudeville des armes pour se défendre.

LE VAUDEVILLE.

Dès que c’est pour rendre service au voisin, on peut laisser un peu empiéter sur ses droits ; mais pour les autres, nous en ferons justice.

CHŒUR, en dehors.

Air : Un moment.

Gai, gai, soyons fous,
Gai, gai, gai, divertissons-nous ;
Gai, gai, soyons fous,
Nous sommes chez nous.

ARLEQUIN.

Tenez, c’est une scène de vaudeville qu’ils répètent, je vois d’ici des soldats.

LE VAUDEVILLE.

Et si j’avais là ma troupe !...

CHŒUR des acteurs du Vaudeville, qu’on entend en dehors, du côté opposé.

Air de La Boulangère.

Enfin nous sommes de retour
Dans notre cher asile :
Par nous la folie et l’amour
Vont ranimer la ville ;
Plus de tristesse, plus d’ennui !
Voilà le Vaudeville
Chez lui.
Voilà le Vaudeville !

ARLEQUIN.

Ce sont eux.

LE VAUDEVILLE.

Nous sommes sauvés !

Air de La Boulangère.

Entendez-vous ces chants joyeux ?
Fuyez de mon asile,
Fuyez, mélodrame ennuyeux,
Fuyez, troupe inhabile !
Chacun chez soi rentre aujourd’hui ;
Voilà le Vaudeville
Chez lui,
Voilà le Vaudeville !

Il entre dans le théâtre en frappant sur son tambourin.

 

 

Scène XIII

 

ARLEQUIN, seul, regardant vers le fond

 

Même air.

Déjà l’Odéon éperdu
Gagne le péristyle,
La Gaîté file, et l’Ambigu
La suit d’un pas agile ;
En chantant, Feydeau s’est enfui :
Voilà le Vaudeville
Chez lui.
Voilà le Vaudeville !

Arlequin entre aussi dans le théâtre.

 

 

Scène XIV

 

Autour du VAUDEVILLE sont groupés TOUS LES ACTEURS du Vaudeville, dans leurs divers costumes

 

Le Palais du Vaudeville.

Vaudeville.

LE VAUDEVILLE.

Air : Ah ! qu’il est doux de vendanger ! (Les Vendangeurs.)

Le Vaudeville, Dieu merci !
Reprend sa place ici.
Ah ! messieurs, jugez aujourd’hui
Quel bonheur est le nôtre,
En vous voyant aussi
Y reprendre la vôtre.

POUPARDIN. (Le Procès du Fandango.)

Le jugement de Fandango
Ne fut qu’un long bravo ;
Changeant ainsi de nos procès
Les épines en roses.
Faites-nous désormais
Gagner toutes nos causes.

MADAME WINTER. (La Belle Allemande.)

Pour m’ marier, – on m’ dit chaqu’ jour, –
Que j’ suis trop sur le r’tour ;
Mais aujourd’hui, j’ croyons pouvoir
Allumer queuqu’ tendresse.
Car le plaisir d’ vous voir
Me rend tout’ ma jeunesse.

L’AFFÛT. (Florian.)

Garde-chasse de Florian,
L’Affût, depuis un an,
Pour tuer parfois votre ennui.
Charge, arme, vise, ajuste...
Ah ! quel bonheur pour lui.
S’il a le coup d’œil juste !

EDMOND. (Les Deux Edmond.)

D’Edmond je suis le colonel,
Et pour vous, comme tel,
Je veux qu’ici mon régiment
Soit en grande tenue ;
Oui, mais venez souvent
Le passer en revue.

LUCY. (Le Courtisan dans l’embarras.)

Nous v’là rentrés dans not’ hameau ;
Messieurs, pour l’ maint’nir beau,
Plus d’un nouvel arbre fruitier,
Nous sera nécessaire ;
Mais j’ conserv’rons entier
Tout not’ ancien parterre.

M. DESBOUDOIRS. (Les Montagnes Russes.)

Du Vaudeville chirurgien,
Quoiqu’il se porte bien,
Pour mainte chute, mon emploi
Lui devient nécessaire ;
Ici permettez-moi
De n’avoir rien à faire.

SIMPLET. (Le Mariage extravagant.)

Du pauvre diable de Simplet
Souv’nez-vous s’il vous plaît ;
Et si notre maison des fous
Mérita queuqu’s éloges,
Soyez aussi fous qu’ nous,
Et v’nez remplir nos loges.

BLANCHE. (La Belle au bois dormant.)

Messieurs, la belle au bois dormant
Rêva dernièrement
Qu’un doux bruit romprait le sommeil
Où le destin la plonge ;
De cet heureux réveil
Réalisez le songe.

SANS-GÊNE. (Monsieur Sans-Gêne.)

Pendant dix jours j’ai voyagé,
Mais loin d’avoir changé,
Mon seul désir est de vous voir
Ici, chaque semaine,
Aussi gênés le soir,
Que moi, je suis sans gêne.

NANCY. (Le Moulin Sans-Souci.)

Après avoir continuell’ment
Tourné vite et gaiement,
D’ la p’tit’ meunier’ de Sans-Souci,
L’ moulin triste comme elle,
Pendant tous ces jours-ci
N’a battu que d’une aile.

L’ATTEIGNANT. (Fanchon la vielleuse.)

Puisque l’on vient de rebâtir
Le temple du plaisir,
Si j’ai, pour maintenir sa loi,
Toujours prêché d’exemple.
Ah ! messieurs, nommez-moi
Aumônier de ce temple.

PAOLA. (Alfred-le-Grand.)

Dans mon auberge vous revoir,
Messieurs, c’est mon espoir.
J’aurai, vinssiez-vous cent chez nous.
En fait de comestibles,
De quoi contenter tous
Les appétits possibles.

L’EXEMPT. (Madame Favart.)

Vous tous présents, de par la loi
De Momus, notre roi,
Vous êtes, chaque soir, ici
Sommés de comparaître
Autant que vous voici,
Et j’ai bien l’honneur d’être.

CHÉRUBIN.

Depuis que je ne vous ai vus,
J’ai quinze jours déplus ;
Mais, sans vos leçons, quinze jours
Sont une année entière.
Messieurs, guidez toujours
Votre jeune écolière.

ROCHESTER. (L’Exil de Rochester.)

Rochester va rouvrir céans
Sa taverne aux passants.
Messieurs, je conserve l’espoir,
Comme un prodige attire.
Que vous reviendrez voir
Un Anglais qui fait rire.

MADAME FOLIGNAC. (Fandango.)

Avant de cesser de vous voir,
Je dansais par devoir,
Puis, j’ai dansé, par le désir
De charmer votre absence.
Ce soir, c’est de plaisir ;
Et donc, vive la danse !

LE COMTE ORY. (Le Comte Ory.)

Belles, vous qui du comte Ory,
Avez si souvent ri,
Si, de vous, chacun en ces lieux
Se changeait en abbesse,
Il jouerait beaucoup mieux
La chanson que la pièce.

PIGEON. (Une nuit de la Garde Nationale.)

Pigeon arrive d’Orléans
Et se revoit céans ;
Par même zèle transporté,
Vous plaire est le seul rôle
Dont son cœur soit flatté ;
Parlez... et Pigeon vole.

LAURE. (La Leçon de Botanique.)

De la botanique en chansons
Je donne des leçons ;
De grâce, ne soyez pas sourds,
Messieurs, à ma supplique ;
Daignez suivre toujours
Mon cours de Botanique.

GASPARD L’AVISÉ. (Gaspard l’avisé.)

Si vous aimez à r’voir Gaspard,
Messieurs, prouvez-lui par
Un’ défense à nos f’seurs d’ journaux
D’oser, dans leur gazette,
Débiter plus d’ fagots
Que lui dans sa charrette.

ARLEQUIN. (Architecte.)

Si l’architecte a réussi
Dans cet ouvrage-ci,
Si son compas, si son niveau
Désarment la censure,
Messieurs, criez bravo
Sans règle ni mesure.

TIENNETTE. (Le Nouveau Pourceaugnac.)

N’allez pas croire qu’ ces gens-là
Soyont c’ qu’ils disent là :
J’ons des costumiers à Paris
Aussi bien qu’à Limoges,
Et j’ les ons tous surpris
S’habillant dans leurs loges.

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