Athalie (Jean RACINE)

Tragédie, tirée de l’Écriture sainte, en cinq actes, en vers.

Représentée pour la première fois, à Saint-Cyr, le 5 janvier 1691.

 

Personnages

 

JOAS, roi de Juda, fils d’Okosias

ATHALIE, veuve de Joram, aïeule de Joas

JOAD, autrement JOÏADA, grand prêtre

JOSABET, tante de Joas[1], femme du grand prêtre

ZACHARIE, fils de Joad et de Josabet

SALOMITH[2], sœur de Zacharie

ABNER, l’un des principaux officiers des rois de Juda

AZARIAS, ISMAËL, ET LES TROIS AUTRES CHEFS DES PRÊTRES DES LÉVITES.

MATHAN, prêtre apostat, sacrificateur de Baal

NABAL, confident de Mathan

AGAR, femme de la suite d’Athalie

TROUPE[3] DE PRÊTRES ET DE LÉVITES.

SUITE D’ATHALIE.

LA NOURRICE DE JOAS

CHŒUR DE JEUNES FILLES DE LA TRIBU DE LÉVI

 

La scène est dans le temple de Jérusalem, dans un vestibule de l’appartement du grand prêtre.

 

 

PRÉFACE

 

Tout le monde sait que le royaume de Juda était composé des deux tribus de Juda et de Benjamin, et que les dix autres tribus qui se révoltèrent contre Roboam composaient le royaume d’Israël. Comme les rois de Juda étaient de la maison de David, et qu’ils avaient dans leur partage la ville et le temple de Jérusalem, tout ce qu’il y avait de prêtres et de lévites se retirèrent auprès d’eux, et leur demeurèrent toujours attachés. Car depuis que le temple de Salomon fut bâti, il n’était plus permis de sacrifier ailleurs ; et tous ces autres autels qu’on élevait à Dieu sur des montagnes, appelés par cette raison dans l’Écriture les hauts lieux, ne lui étaient point agréables. Ainsi le culte légitime ne subsistait plus que dans Juda. Les dix tribus, excepté un très petit nombre de personnes, étaient ou idolâtres ou schismatiques.

Au reste, ces prêtres et ces lévites faisaient eux-mêmes une tribu fort nombreuse. Ils furent partagés en diverses classes pour servir tour à tour dans le temple, d’un jour de sabbath à l’autre[4]. Les prêtres étaient de la famille d’Aaron ; et il n’y avait que ceux de cette famille, lesquels pussent exercer la sacrificature[5]. Les lévites leur étaient subordonnes, et avaient soin, entre autres choses, du chant, de la préparation des victimes, et de la garde du temple. Ce nom de lévite ne laisse pas d’être donné quelquefois indifféremment à tous ceux de la tribu. Ceux qui étaient en semaine avaient, ainsi que le grand prêtre, leur logement dans les portiques ou galeries dont le temple était environné, et qui faisaient partie du temple même. Tout l’édifice s’appelait en général le lieu saint. Mais on appelait plus particulièrement de ce nom cette partie du temple intérieur où était[6] le chandelier d’or, l’autel des parfums, et les tables des pains de proposition. Et cette partie était encore distinguée du Saint des Saints, où était l’arche, et où le grand prêtre seul avait droit d’entrer une fois l’année. C’était une tradition assez constante, que la montagne sur laquelle le temple fut bâti était la même montagne où Abraham avait autrefois offert en sacrifice son fils Isaac[7].

J’ai cru devoir expliquer ici ces particularités, afin que ceux à qui l’histoire de l’Ancien Testament ne sera pas assez présente n’en soient point arrêtés en lisant cette tragédie. Elle a pour sujet Joas reconnu et mis sur le trône ; et j’aurais dû dans les règles l’intituler Joas. Mais la plupart du monde n’en ayant entendu parler que sous le nom d’Athalie, je n’ai pas jugé à propos de la leur présenter sous un autre titre, puisque d’ailleurs Athalie y joue un personnage si considérable, et que c’est sa mort qui termine la pièce. Voici une partie des principaux événements qui devancèrent cette grande action.

Joram, roi de Juda, fils de Josaphat, et le septième roi de la race de David, épousa Athalie, fille d’Achab et de Jézabel, qui régnaient en Israël, fameux l’un et l’autre, mais principalement Jézabel, par leurs sanglantes persécutions contre les prophètes. Athalie, non moins impie que sa mère, entraîna bientôt le Roi son mari dans l’idolâtrie, et fit même construire dans Jérusalem un temple à Baal, qui était le dieu du pays de Tyr et de Sidon, où Jézabel avait pris naissance. Joram, après avoir vu périr par les mains des Arabes et des Philistins tous les princes ses enfants, à la réserve d’Okosias, mourut lui-même misérablement d’une longue maladie qui lui consuma les entrailles. Sa mort funeste n’empêcha pas Okosias d’imiter son impiété et celle d’Athalie sa mère. Mais ce prince, après avoir régné seulement un an, étant allé rendre visite au roi d’Israël, frère d’Athalie, fut enveloppé dans la ruine de la maison d’Achab, et tué par l’ordre de Jéhu, que Dieu avait fait sacrer par ses prophètes pour régner sur Israël, et pour être le ministre de ses vengeances. Jéhu extermina toute la postérité d’Achab, et fit jeter par les fenêtres Jézabel, qui, selon la prédiction d’Élie, fut mangée des chiens dans la vigne de ce même Naboth qu’elle avait fait mourir autrefois pour s’emparer de son héritage. Athalie, ayant appris à Jérusalem tous ces massacres, entreprit de son côté d’éteindre entièrement la race royale de David, en faisant mourir tous les enfants d’Okosias, ses petits-fils. Mais heureusement Josabet, sœur d’Okosias, et fille de Joram, mais d’une autre mère qu’Athalie, étant arrivée lorsqu’on égorgeait les princes ses neveux, elle trouva moyen de dérober du milieu des morts le petit Joas encore à la mamelle, et le confia avec sa nourrice au grand prêtre, son mari, qui les cacha tous deux dans le temple, où l’enfant fut élevé secrètement jusqu’au jour qu’il fut proclamé roi de Juda. L’Histoire des Rois dit que ce fut la septième année d’après[8]. Mais le texte grec des Paralipomènes, que Sévère Sulpice[9] a suivi, dit que ce fut la huitième[10]. C’est ce qui m’a autorisé à donner à ce prince neuf à dix ans, pour le mettre déjà en état de répondre aux questions qu’on lui fait.

Je crois ne lui avoir rien fait dire qui soit au-dessus de la portée d’un enfant de cet âge qui a de l’esprit et de la mémoire. Mais quand j’aurais été un peu au delà, il faut considérer que c’est ici un enfant tout extraordinaire, élevé dans le temple par un grand prêtre, qui le regardant comme l’unique espérance de sa nation, l’avait instruit de bonne heure dans tous les devoirs de la religion et de la royauté. Il n’en était pas de même des enfants des Juifs, que de la plupart des nôtres. On leur apprenait les saintes lettres, non-seulement dès qu’ils avaient atteint l’usage de la raison, mais, pour me servir de l’expression de saint Paul, dès la mamelle. Chaque Juif était obligé d’écrire une fois en sa vie, de sa propre main, le volume de la loi tout entier. Les rois étaient même obligés de l’écrire deux fois[11], et il leur était enjoint de l’avoir continuellement devant les jeux. Je puis dire ici que la France voit en la personne d’un prince de huit ans et demi[12], qui fait aujourd’hui ses plus chères délices, un exemple illustre de ce que peut dans un enfant un heureux naturel aidé d’une excellente éducation ; et que si j’avais donné au petit Joas la même vivacité et le même discernement qui brillent[13] dans les reparties de ce jeune prince, on m’aurait accusé avec raison d’avoir péché contre les règles de la vraisemblance.

L’âge de Zacharie, fils du grand prêtre, n’étant point marqué, on peut lui supposer, si l’on veut, deux ou trois ans de plus qu’à Joas.

J’ai suivi l’explication de plusieurs commentateurs fort habiles[14], qui prouvent, par le texte même de l’Écriture, que tous ces soldats à qui Joïada, ou Joad, comme il est appelé dans Josèphe[15], fit prendre les armes consacrées à Dieu par David, étaient autant de prêtres et de lévites, aussi bien que les cinq centeniers qui les commandaient. En effet, disent ces interprètes, tout devait être saint dans une si sainte action, et aucun profane n’y devait être employé. Il s’y agissait non-seulement de conserver le sceptre dans la maison de David, mais encore de conserver à ce grand roi cette suite de descendants dont devait naître le Messie. « Car ce Messie, tant de fois promis comme fils d’Abraham, devait aussi être le fils de David et de tous les rois de Juda. » De là vient que l’illustre et savant prélat[16] de qui j’ai emprunté ces paroles, appelle Joas le précieux reste de la maison de David[17]. Josèphe en parle dans les mêmes termes. Et l’Écriture dit expressément que Dieu n’extermina pas toute la famille de Joram, voulant conserver à David la lampe qu’il lui avait promise[18]. Or cette lampe, qu’était-ce autre chose que la lumière qui devait être un jour révélée aux nations ?

L’histoire ne spécifie point le jour où Joas fut proclamé. Quelques interprètes veulent que ce fut un jour de fête. J’ai choisi celle[19] de la Pentecôte, qui était l’une des trois grandes fêtes des Juifs[20]. On y célébrait la mémoire de la publication de la loi sur le mont de Sinaï[21], et on y offrait aussi à Dieu les premiers pains de la nouvelle moisson, ce qui faisait qu’on la nommait encore la fête des prémices[22]. J’ai songé que ces circonstances me fourniraient quelque variété pour les chants du chœur.

Ce chœur est composé de jeunes filles de la tribu de Lévi[23], et je mets à leur tête une fille que je donne pour sœur à Zacharie. C’est elle qui introduit le chœur chez sa mère. Elle chante avec lui, porte la parole pour lui, et fait enfin les fonctions de ce personnage des anciens chœurs qu’on appelait le coryphée. J’ai aussi essayé d’imiter des anciens cette continuité d’action qui fait que leur théâtre ne demeure jamais vide, les intervalles des actes n’étant marqués que par des hymnes et par des moralités du chœur, qui ont rapport à ce qui se passe.

On me trouvera peut-être un peu hardi d’avoir osé mettre sur la scène un prophète inspiré de Dieu, et qui prédit l’avenir. Mais j’ai eu la précaution de ne mettre dans sa bouche que des expressions tirées des prophètes mêmes. Quoique l’Écriture ne dise pas en termes exprès que Joïada ait eu l’esprit de prophétie, comme elle le dit de son fils[24], elle le représente comme un homme tout plein de l’esprit de Dieu. Et d’ailleurs ne paraît-il pas par l’Évangile qu’il a pu prophétiser en qualité de souverain pontife[25] ? Je suppose donc qu’il voit en esprit le funeste changement de Joas, qui, après trente années d’un règne fort pieux, s’abandonna aux mauvais conseils des flatteurs, et se souilla du meurtre de Zacharie, fils et successeur de ce grand prêtre[26]. Ce meurtre, commis dans le temple[27], fut une des principales causes de la colère de Dieu contre les Juifs, et de tous les malheurs qui leur arrivèrent dans la suite[28]. On prétend même que depuis ce jour-là les réponses de Dieu cessèrent entièrement dans le sanctuaire. C’est ce qui m’a donné lieu de faire prédire tout de suite[29] à Joad et la destruction du temple et la ruine de Jérusalem. Mais comme les prophètes joignent d’ordinaire les consolations aux menaces, et que d’ailleurs il s’agit de mettre sur le trône un des ancêtres du Messie, j’ai pris occasion de faire entrevoir la venue de ce consolateur, après lequel tous les anciens justes soupiraient. Cette scène, qui est une espèce d’épisode, amène très naturellement la musique, par la coutume qu’avaient plusieurs prophètes d’entrer dans leurs saints transports au son des instruments. Témoin cette troupe de prophètes qui vinrent au-devant de Saül avec des harpes et des lyres qu’on portait devant eux[30], et témoin Élisée lui-même, qui étant consulté sur l’avenir par le roi de Juda et par le roi d’Israël, dit, comme fait ici Joad : Adducite mihi psaltem[31]. Ajoutez à cela que cette prophétie sert beaucoup à augmenter le trouble dans la pièce, par la consternation et par les différents mouvements où elle jette le chœur et les principaux acteurs.

 

 

ACTE I

 

 

Scène première

 

JOAD, ABNER

 

ABNER.

Oui, je viens dans son temple adorer l’Éternel.

Je viens, selon l’usage antique et solennel,

Célébrer avec vous la fameuse journée

Où sur le mont Sina la loi nous fut donnée.

Que les temps sont changés ! Sitôt que de ce jour

La trompette sacrée[32] annonçait le retour,

Du temple, orné partout de festons magnifiques,

Le peuple saint en foule inondait les portiques[33] ;

Et tous devant l’autel avec ordre introduits,

De leurs champs dans leurs mains portant les nouveaux fruits[34],

Au Dieu de l’univers consacraient ces prémices.

Les prêtres ne pouvaient suffire aux sacrifices.

L’audace d’une femme, arrêtant ce concours,

En des jours ténébreux a changé ces beaux jours.

D’adorateurs zélés à peine un petit nombre

Ose des premiers temps nous retracer quelque ombre.

Le reste pour son Dieu montre un oubli fatal ;

Ou même, s’empressant aux autels de Baal,

Se fait initier à ses honteux mystères,

Et blasphème le nom qu’ont invoqué leurs pères.

Je tremble qu’Athalie, à ne vous rien cacher,

Vous-même de l’autel vous faisant arracher,

N’achève enfin sur vous ses vengeances funestes,

Et d’un respect forcé ne dépouille les restes.

JOAD.

D’où vous vient aujourd’hui ce noir pressentiment ?

ABNER.

Pensez-vous être saint et juste impunément ?

Dès longtemps elle hait cette fermeté rare

Qui rehausse en Joad l’éclat de la tiare[35].

Dès longtemps votre amour pour la religion

Est traité de révolte et de sédition.

Du mérite éclatant cette reine jalouse

Hait surtout Josabet, votre fidèle épouse.

Si du grand prêtre Aaron Joad est successeur,

De notre dernier roi Josabet est la sœur.

Mathan d’ailleurs, Mathan, ce prêtre sacrilège,

Plus méchant qu’Athalie, à toute heure l’assiège,

Mathan, de nos autels infâme déserteur,

Et de toute vertu zélé persécuteur.

C’est peu que le front ceint d’une mitre étrangère,

Ce lévite à Baal prête son ministère[36] :

Ce temple l’importune, et son impiété

Voudrait anéantir le Dieu qu’il a quitté.

Pour vous perdre il n’est point de ressorts qu’il n’invente ;

Quelquefois il vous plaint, souvent même il vous vante[37] ;

Il affecte pour vous une fausse douceur,

Et par là de son fiel colorant la noirceur,

Tantôt à cette reine il vous peint redoutable,

Tantôt, voyant pour l’or sa soif insatiable,

Il lui feint qu’en un lieu que vous seul connaissez,

Vous cachez des trésors par David amasses.

Enfin depuis deux jours la superbe Athalie

Dans un sombre chagrin paraît ensevelie.

Je l’observais hier, et je voyais ses yeux

Lancer sur le lieu saint des regards furieux,

Comme si dans le fond de ce vaste édifice

Dieu cachait un vengeur armé pour son supplice.

Croyez-moi, plus j’y pense, et moins je puis douter

Que sur vous son courroux ne soit prêt d’éclater ;

Et que de Jézabel la fille sanguinaire[38]

Ne vienne attaquer Dieu jusqu’en son sanctuaire.

JOAD.

Celui qui met un frein à la fureur des flots

Sait aussi des méchants arrêter les complots.

Soumis avec respect à sa volonté sainte,

Je crains Dieu, cher Abner, et n’ai point d’autre crainte[39].

Cependant je rends grâce au zèle officieux

Qui sur tous mes périls vous fait ouvrir les yeux[40].

Je vois que l’injustice en secret vous irrite,

Que vous avez encor le cœur israélite.

Le ciel en soit béni. Mais ce secret courroux,

Cette oisive vertu, vous en contentez-vous ?

La foi qui n’agit point, est-ce une foi sincère ?

Huit ans déjà passés[41], une impie étrangère[42]

Du sceptre de David usurpe tous les droits,

Se baigne impunément dans le sang de nos rois,

Des enfants de son fils détestable homicide,

Et même contre Dieu lève son bras perfide.

Et vous, l’un des soutiens de ce tremblant État,

Vous nourri dans les camps du saint roi Josaphat,

Qui sous son fils Joram commandiez nos armées,

Qui rassurâtes seul nos villes alarmées,

Lorsque d’Okosias le trépas imprévu

Dispersa tout son camp à l’aspect de Jéhu[43] :

« Je crains Dieu, dites-vous, sa vérité me touche. »

Voici comme ce Dieu vous répond par ma bouche :

« Du zèle de ma loi que sert de vous parer ?

Par de stériles vœux pensez-vous m’honorer ?

Quel fruit me revient-il de tous vos sacrifices ?

Ai-je besoin du sang des boucs et des génisses[44] ?

Le sang de vos rois crie[45], et n’est point écouté.

Rompez, rompez tout pacte avec l’impiété.

Du milieu de mon peuple exterminez les crimes,

Et vous viendrez alors m’immoler vos victimes[46]. »

ABNER.

Hé ! que puis-je au milieu de ce peuple abattu ?

Benjamin est sans force, et Juda sans vertu[47].

Le jour qui de leurs rois[48] vit éteindre la race

Éteignit tout le feu de leur antique audace.

« Dieu même, disent-ils, s’est retiré de nous[49] :

De l’honneur des Hébreux autrefois si jaloux,

Il voit sans intérêt leur grandeur terrassée ;

Et sa miséricorde à la fin s’est lassée.

On ne voit plus pour nous ses redoutables mains

De merveilles sans nombre effrayer les humains ;

L’arche sainte est muette, et ne rend plus d’oracles[50]. »

JOAD.

Et quel temps fut jamais si fertile en miracles ?

Quand Dieu par plus d’effets montra-t-il son pouvoir ?

Auras-tu donc toujours des yeux pour ne point voir,

Peuple ingrat ? Quoi ? toujours les plus grandes merveilles

Sans ébranler ton cœur frapperont tes oreilles[51] ?

Faut-il, Abner, faut-il vous rappeler le cours

Des prodiges fameux accomplis en nos jours ?

Des tyrans d’Israël les célèbres disgrâces,

Et Dieu trouvé fidèle en toutes ses menaces ;

L’impie Achab détruit, et de son sang trempé

Le champ que par le meurtre il avait usurpé[52] ;

Près de ce champ fatal Jézabel immolée,

Sous les pieds des chevaux cette reine foulée,

Dans son sang inhumain les chiens désaltérés,

Et de son corps hideux les membres déchirés[53] ;

Des prophètes menteurs la troupe confondue,

Et la flamme du ciel sur l’autel descendue[54] ;

Élie aux éléments parlant en souverain[55],

Les cieux par lui fermés et devenus d’airain[56],

Et la terre trois ans sans pluie et sans rosée,

Les morts se ranimants à la voix d’Élisée[57] :

Reconnaissez, Abner, à ces traits éclatants,

Un Dieu tel aujourd’hui qu’il fut dans tous les temps :

Il sait, quand il lui plaît, faire éclater sa gloire :

Et son peuple est toujours présent à sa mémoire.

ABNER.

Mais où sont ces honneurs à David tant promis[58],

Et prédits même encore à Salomon son fils ?

Hélas ! nous espérions que de leur race heureuse

Devait sortir de rois une suite nombreuse ;

Que sur toute tribu, sur toute nation,

L’un d’eux établirait sa domination,

Ferait cesser partout La discorde et la guerre,

Et verrait à ses pieds tous les rois de la terre[59].

JOAD.

Aux promesses du ciel pourquoi renoncez-vous ?

ABNER.

Ce roi fils de David, où le chercherons-nous ?

Le ciel même peut-il réparer les ruines[60]

De cet arbre séché jusque dans ses racines ?

Athalie étouffa l’enfant même au berceau.

Les morts, après huit ans, sortent-ils du tombeau ?

Ah ! si dans sa fureur elle s’était trompée ;

Si du sang de nos rois quelque goutte échappée...

JOAD.

Hé bien ! que feriez-vous ?

ABNER.

Ô jour heureux pour moi !

De quelle ardeur j’irais reconnaître mon roi !

Doutez-vous qu’à ses pieds nos tribus empressées

Mais pourquoi me flatter de ces vaines pensées ?

Déplorable héritier de ces rois triomphants,

Okosias restait seul avec ses enfants.

Par les traits de Jéhu je vis percer le père ;

Vous avez vu les fils massacrés par la mère.

JOAD.

Je ne m’explique point. Mais quand l’astre du jour

Aura sur l’horizon fait le tiers de son tour[61],

Lorsque la troisième heure aux prières rappelle,

Retrouvez-vous au temple avec ce même zèle.

Dieu pourra vous montrer par d’importants bienfaits

Que sa parole est stable et ne trompe jamais.

Allez : pour ce grand jour il faut que je m’apprête[62],

Et du temple déjà l’aube blanchit le faîte.

ABNER.

Quel sera ce bienfait que je ne comprends pas ?

L’illustre Josabet porte vers vous ses pas.

Je sors, et vais me joindre à la troupe fidèle

Qu’attire de ce jour la pompe solennelle.

 

 

Scène II

 

JOAD, JOSABET

 

JOAD.

Les temps sont accomplis, Princesse : il faut parler,

Et votre heureux larcin ne se peut plus celer.

Des ennemis de Dieu la coupable insolence,

Abusant contre lui de ce profond silence,

Accuse[63] trop longtemps ses promesses d’erreur.

Que dis-je ? Le succès animant leur fureur,

Jusque sur notre autel votre injuste marâtre

Veut offrir à Baal un encens idolâtre.

Montrons ce jeune roi que vos mains ont sauvé,

Sous l’aile du Seigneur dans le temple élevé.

De nos princes hébreux il aura le courage,

Et déjà son esprit a devancé son âge.

Avant que son destin s’explique par ma voix,

Je vais l’offrir au Dieu par qui règnent les rois[64].

Aussitôt assemblant nos lévites, nos prêtres,

Je leur déclarerai l’héritier de leurs maîtres.

JOSABET.

Sait-il déjà son nom et son noble destin ?

JOAD.

Il ne répond encor qu’au nom d’Éliacin[65],

Et se croit quelque enfant rejeté par sa mère,

À qui j’ai par pitié daigné servir de père.

JOSABET.

Hélas ! de quel péril je l’avais su tirer !

Dans quel péril encore est-il prêt de rentrer[66] !

JOAD.

Quoi ? déjà votre foi s’affaiblit et s’étonne ?

JOSABET.

À vos sages conseils, Seigneur, je m’abandonne.

Du jour que j’arrachai cet enfant à la mort,

Je remis en vos mains tout le soin de son sort.

Même, de mon amour craignant la violence,

Autant que je le puis, j’évite sa présence,

De peur qu’en le voyant, quelque trouble indiscret

Ne fasse avec mes pleurs échapper mon secret.

Surtout j’ai cru devoir aux larmes, aux prières

Consacrer ces trois jours et ces trois nuits entières[67].

Cependant aujourd’hui puis-je vous demander

Quels amis vous avez prêts à vous seconder ?

Abner, le brave Abner viendra-t-il nous défendre ?

A-t-il près de son roi fait serment de se rendre ?

JOAD.

Abner, quoiqu’on se pût assurer sur sa foi,

Ne sait pas même encor si nous avons un roi.

JOSABET.

Mais à qui de Joas confiez-vous la garde ?

Est-ce Obed, est-ce Amnon[68] que cet honneur regarde ?

De mon père sur eux les bienfaits répandus...

JOAD.

À l’injuste Athalie ils se sont tous vendus.

JOSABET.

Qui donc opposez-vous contre ses satellites[69] ?

JOAD.

Ne vous l’ai-je pas dit ? Nos prêtres, nos lévites.

JOSABET.

Je sais que près de vous en secret assemblé[70],

Par vos soins prévoyants leur nombre est redoublé ;

Que pleins d’amour pour vous, d’horreur pour Athalie.

Un serment solennel par avance les lie[71]

À ce fils de David qu’on leur doit révéler.

Mais quelque noble ardeur dont ils puissent brûler,

Peuvent-ils de leur roi venger seuls la querelle ?

Pour un si grand ouvrage est-ce assez de leur zèle ?

Doutez-vous qu’Athalie, au premier bruit semé

Qu’un fils d’Okosias est ici renfermé,

De ses fiers étrangers assemblant les cohortes,

N’environne le temple, et n’en brise les portes ?

Suffira-t-il contre eux de vos ministres saints,

Qui levant au Seigneur leurs innocentes mains,

Ne savent que gémir et prier pour nos crimes,

Et n’ont jamais versé que le sang des victimes ?

Peut-être dans leurs bras Joas percé de coups...

JOAD.

Et comptez-vous pour rien Dieu qui combat pour nous ?

Dieu, qui de l’orphelin protège l’innocence[72],

Et fait dans la faiblesse éclater sa puissance ;

Dieu, qui hait les tyrans, et qui dans Jezraël[73]

Jura d’exterminer Achab et Jézabel ;

Dieu, qui frappant Joram, le mari de leur fille,

À jusque sur son fils[74] poursuivi leur famille ;

Dieu, dont le bras vengeur, pour un temps suspendu,

Sur cette race impie est toujours étendu ?

JOSABET.

Et c’est sur tous ces rois sa justice sévère

Que je crains pour le fils de mon malheureux frère.

Qui sait si cet enfant, par leur crime entraîné,

Avec eux en naissant ne fut pas condamné ?

Si Dieu, le séparant d’une odieuse race,

En faveur de David voudra lui faire grâce ?

Hélas ! l’état horrible où le ciel me l’offrit

Revient à tout moment effrayer mon esprit.

De princes égorgés la chambre était remplie.

Un poignard à la main, l’implacable Athalie

Au carnage animait ses barbares soldats,

Et poursuivait le cours de ses assassinats.

Joas, laissé pour mort, frappa soudain ma vue.

Je me figure encor sa nourrice éperdue,

Qui devant les bourreaux s’était jetée en vain,

Et faible le tenait renversé sur son sein.

Je le pris tout sanglant. En baignant son visage,

Mes pleurs du sentiment lui rendirent l’usage ;

Et soit frayeur encore, ou pour me caresser,

De ses bras innocents je me sentis presser[75].

Grand Dieu, que mon amour ne lui soit point funeste.

Du fidèle David c’est le précieux reste[76] :

Nourri dans ta maison, en l’amour de ta loi,

Il ne connaît encor d’autre père que toi.

Sur le point d’attaquer une reine homicide,

À l’aspect du péril si ma foi s’intimide,

Si la chair et le sang[77], se troublant aujourd’hui,

Ont trop de part aux pleurs que je répands pour lui,

Conserve l’héritier de tes saintes promesses,

Et ne punis que moi de toutes mes faiblesses.

JOAD.

Vos larmes, Josabet, n’ont rien de criminel ;

Mais Dieu veut qu’on espère en son soin paternel.

Il ne recherche point, aveugle en sa colère,

Sur le fils qui le craint l’impiété du père[78].

Tout ce qui reste encor de fidèles Hébreux

Lui viendront aujourd’hui renouveler leurs vœux.

Autant que de David la race est respectée,

Autant de Jézabel la fille est détestée.

Joas les touchera par sa noble pudeur,

Où semble de son sang reluire la splendeur ;

Et Dieu, par sa voix même appuyant notre exemple,

De plus près à leur cœur parlera dans son temple.

Deux infidèles rois tour à tour l’ont bravé :

Il faut que sur le trône un roi soit élevé,

Qui se souvienne un jour qu’au rang de ses ancêtres

Dieu l’a fait remonter par la main de ses prêtres,

L’a tiré par leur main de l’oubli du tombeau,

Et de David éteint rallumé le flambeau[79].

Grand Dieu, si tu prévois qu’indigne de sa race,

Il doive de David abandonner la trace,

Qu’il soit comme le fruit en naissant arraché,

Ou qu’un souffle ennemi dans sa fleur a séché.

Mais si ce même enfant, à tes ordres docile,

Doit être à tes desseins un instrument utile,

Fais qu’au juste héritier le sceptre soit remis ;

Livre en mes faibles mains ses puissants ennemis ;

Confonds dans ses conseils une reine cruelle.

Daigne, daigne, mon Dieu, sur Mathan et sur elle

Répandre cet esprit d’imprudence et d’erreur[80],

De la chute des rois funeste avant-coureur[81].

L’heure me presse : adieu. Des plus saintes familles

Votre fils et sa sœur vous amènent les filles.

 

 

Scène III

 

JOSABET, ZACHARIE, SALOMITH, LE CHŒUR

 

JOSABET.

Cher Zacharie, allez, ne vous arrêtez pas ;

De votre auguste père accompagnez les pas.

Ô filles de Lévi, troupe jeune et fidèle,

Que déjà le Seigneur embrase de son zèle,

Qui venez si souvent partager mes soupirs,

Enfants, ma seule joie en mes longs déplaisirs,

Ces festons dans vos mains, et ces fleurs sur vos têtes[82]

Autrefois convenaient à nos pompeuses fêtes.

Mais, hélas ! en ce temps d’opprobre et de douleurs,

Quelle offrande sied mieux que celle de nos pleurs,

J’entends déjà, j’entends la trompette sacrée,

Et du temple bientôt on permettra l’entrée.

Tandis que je me vais préparer à marcher,

Chantez, louez le Dieu que vous venez chercher.

 

 

Scène IV

 

LE CHŒUR

 

TOUT LE CHŒUR chante.

Tout l’univers est plein de sa magnificence.

Qu’on l’adore ce Dieu, qu’on l’invoque à jamais.

Son empire a des temps précédé la naissance.

Chantons, publions ses bienfaits.

UNE VOIX seule.

En vain l’injuste violence

Au peuple qui le loue imposerait silence :

Son nom ne périra jamais.

Le jour annonce au jour sa gloire et sa puissance[83].

Tout l’univers est plein de sa magnificence.

Chantons, publions ses bienfaits.

TOUT LE CHŒUR répète.

Tout l’univers est plein de sa magnificence :

Chantons, publions ses bienfaits.

UNE VOIX seule.

Il donne aux fleurs leur aimable peinture[84].

Il fait naître et mûrir les fruits.

Il leur dispense avec mesure

Et la chaleur des jours et la fraîcheur des nuits ;

Le champ qui les reçut les[85] rend avec usure.

UNE AUTRE.

Il commande au soleil d’animer la nature,

Et la lumière est un don de ses mains ;

Mais sa loi sainte, sa loi pure[86]

Est le plus riche don qu’il ait fait aux humains.

UNE AUTRE.

Ô mont de Sinaï, conserve la mémoire

De ce jour à jamais auguste et renommé,

Quand, sur ton sommet enflammé,

Dans un nuage épais le Seigneur enfermé

Fit luire aux yeux mortels un rayon de sa gloire.

Dis-nous pourquoi ces feux et ces éclairs,

Ces torrents de fumée, et ce bruit dans les airs,

Ces trompettes et ce tonnerre :

Venait-il renverser l’ordre des éléments ?

Sur ses antiques fondements

Venait-il ébranler la terre ?

UNE AUTRE.

Il venait révéler aux enfants des Hébreux

De ses préceptes saints la lumière immortelle.

Il venait à ce peuple heureux

Ordonner de l’aimer d’une amour éternelle.

TOUT LE CHŒUR.

Ô divine, ô charmante loi !

Ô justice ! ô bonté suprême !

Que de raisons, quelle douceur extrême

D’engager à ce Dieu son amour et sa foi !

UNE VOIX seule.

D’un joug cruel il sauva nos aïeux,

Les nourrit au désert d’un pain délicieux.

Il nous donne ses lois, il se donne lui-même[87].

Pour tant de biens, il commande qu’on l’aime.

LE CHŒUR.

Ô justice ! ô bonté suprême !

LA MÊME VOIX.

Des mers pour eux il entr’ouvrit les eaux ;

D’un aride rocher fit sortir des ruisseaux.

Il nous donne ses lois, il se donne lui-même.

Pour tant de biens, il commande qu’on l’aime.

LE CHŒUR.

Ô divine, ô charmante loi !

Que de raisons, quelle douceur extrême

D’engager à ce Dieu son amour et sa foi !

UNE AUTRE VOIX seule.

Vous qui ne connaissez qu’une crainte servile,

Ingrats, un Dieu si bon ne peut-il vous charmer ?

Est-il donc à vos cœurs, est-il si difficile

Et si pénible de l’aimer ?

L’esclave craint le tyran qui l’outrage ;

Mais des enfants l’amour est le partage.

Vous voulez que ce Dieu vous comble de bienfaits,

Et ne l’aimer jamais[88] ?

 

TOUT LE CHŒUR.

Ô divine, ô charmante loi !

Ô justice ! ô bonté suprême !

Que de raisons, quelle douceur extrême

D’engager à ce Dieu son amour et sa foi[89] !

 

 

ACTE II

 

 

Scène première

 

JOSABET, SALOMITH, LE CHŒUR

 

JOSABET.

Mes filles, c’est assez ; suspendez vos cantiques.

Il est temps de nous joindre aux prières publiques.

Voici notre heure. Allons célébrer ce grand jour,

Et devant le Seigneur paraître à notre tour.

 

 

Scène II

 

ZACHARIE, JOSABET, SALOMITH, LE CHŒUR

 

JOSABET.

Mais que vois-je ? Mon fils, quel sujet vous ramène[90] ?

Où courez-vous ainsi tout pâle et hors d’haleine ?

ZACHARIE.

Ô ma mère !

JOSABET.

Hé bien, quoi ?

ZACHARIE.

Le temple est profané.

JOSABET.

Comment ?

ZACHARIE.

Et du Seigneur l’autel abandonné.

JOSABET.

Je tremble. Hâtez-vous d’éclaircir votre mère.

ZACHARIE.

Déjà, selon la loi, le grand prêtre mon père,

Après avoir au Dieu qui nourrit les humains

De la moisson nouvelle offert les premiers pains,

Lui présentait encore entre ses mains sanglantes

Des victimes de paix les entrailles fumantes.

Debout à ses côtés le jeune Éliacin

Comme moi le servait en long habit de lin[91] ;

Et cependant du sang de la chair immolée

Les prêtres arrosaient l’autel et l’assemblée[92].

Un bruit confus s’élève, et du peuple surpris

Détourne tout à coup les yeux et les esprits.

Une femme... Peut-on la nommer sans blasphème ?

Une femme... C’était Athalie elle-même.

JOSABET.

Ciel !

ZACHARIE.

Dans un des parvis aux hommes réservé

Cette femme superbe entre, le front levé,

Et se préparait même à passer les limites

De l’enceinte sacrée ouverte aux seuls lévites.

Le peuple s’épouvante, et fuit de toutes parts.

Mon père Ah ! quel courroux animait ses regards !

Moïse à Pharaon parut moins formidable :

« Reine, sors, a-t-il dit, de ce lieu redoutable,

D’où te bannit ton sexe et ton impiété.

Viens-tu du Dieu vivant braver la majesté ? »

La Reine alors, sur lui jetant un œil farouche,

Pour blasphémer sans doute ouvrait déjà la bouche.

J’ignore si de Dieu l’ange se dévoilant

Est venu lui montrer un glaive étincelant[93] ;

Mais sa langue en sa bouche à l’instant s’est glacée,

Et toute son audace a paru terrassée.

Ses yeux, comme effrayés, n’osaient se détourner ;

Surtout Éliacin paraissait l’étonner.

JOSABET.

Quoi donc ? Éliacin a paru devant elle ?

ZACHARIE.

Nous regardions tous deux cette reine cruelle,

Et d’une égale horreur nos cœurs étaient frappés.

Mais les prêtres bientôt nous ont enveloppés.

On nous a fait sortir. J’ignore tout le reste,

Et venais vous conter ce désordre funeste.

JOSABET.

Ah ! de nos bras sans doute elle vient l’arracher ;

Et c’est lui qu’à l’autel sa fureur vient chercher.

Peut-être en ce moment l’objet de tant de larmes

Souviens-toi de David[94], Dieu, qui vois mes alarmes.

SALOMITH.

Quel est-il cet objet des pleurs que vous versez ?

ZACHARIE.

Les jours d’Éliacin seraient-ils menacés ?

SALOMITH.

Aurait-il de la Reine attiré la colère ?

ZACHARIE.

Que craint-on d’un enfant sans support et sans père ?

JOSABET.

Ah ! la voici. Sortons. Il la faut éviter.

 

 

Scène III

 

ATHALIE, AGAR, ABNER, SUITE D’ATHALIE

 

AGAR.

Madame, dans ces lieux pourquoi vous arrêter ?

Ici tous les objets vous blessent, vous irritent.

Abandonnez ce temple aux prêtres qui l’habitent ;

Fuyez tout ce tumulte, et dans votre palais

À vos sens agités venez rendre la paix.

ATHALIE.

Non, je ne puis : tu vois mon trouble et ma faiblesse.

Va, fais dire à Mathan qu’il tienne, qu’il se presse ;

Heureuse si je puis trouver par son secours

Cette paix que je cherche et qui me fuit toujours.

Elle s’assied.

 

 

Scène IV

 

ATHALIE, ABNER, etc.[95]

 

ABNER.

Madame, pardonnez si j’ose le défendre.

Le zèle de Joad n’a point dû vous surprendre.

Du Dieu que nous servons tel est l’ordre éternel.

Lui-même il nous traça son temple et son autel,

Aux seuls enfants d’Aaron commit ses sacrifices,

Aux lévites marqua leur place et leurs offices,

Et surtout défendit à leur postérité

Avec tout autre dieu toute société.

Hé quoi ? vous de nos rois et la femme et la mère[96],

Êtes-vous à ce point parmi nous étrangère ?

Ignorez-vous nos lois ? Et faut-il qu’aujourd’hui

Voici votre[97] Mathan, je vous laisse avec lui.

ATHALIE.

Votre présence, Abner, est ici nécessaire.

Laissons là de Joad l’audace téméraire,

Et tout ce vain amas de superstitions

Qui ferment votre temple aux autres nations[98].

Un sujet plus pressant excite mes alarmes.

Je sais que dès l’enfance élevé dans les armes,

Abner a le cœur noble, et qu’il rend à la fois

Ce qu’il doit à son Dieu, ce qu’il doit à ses rois.

Demeurez.

 

 

Scène V

 

MATHAN, ATHALIE, ABNER, etc.

 

MATHAN.

Grande Reine, est-ce ici votre place ?

Quel trouble vous agite, et quel effroi vous glace ?

Parmi vos ennemis que venez-vous chercher ?

De ce temple profane osez-vous approcher ?

Avez-vous dépouillé cette haine si vive...

ATHALIE.

Prêtez-moi l’un et l’autre une oreille attentive.

Je ne veux point ici rappeler le passé,

Ni vous rendre raison du sang que j’ai versé.

Ce que j’ai fait, Abner, j’ai cru le devoir faire.

Je ne prends point pour juge un peuple téméraire.

Quoi que son insolence ait osé publier,

Le ciel même a pris soin de me justifier.

Sur d’éclatants succès ma puissance établie

A fait jusqu’aux deux mers[99] respecter Athalie.

Par moi Jérusalem goûte un calme profond.

Le Jourdain ne voit plus l’Arabe vagabond,

Ni l’altier Philistin, par d’éternels ravages,

Comme au temps de vos rois, désoler ses rivages ;

Le Syrien me traite et de reine et de sœur[100].

Enfin de ma maison le perfide oppresseur,

Qui devait jusqu’à moi pousser sa barbarie,

Jéhu, le fier Jéhu, tremble dans Samarie.

De toutes parts pressé par un puissant voisin[101],

Que j’ai su soulever contre cet assassin,

Il me laisse en ces lieux souveraine maîtresse.

Je jouissais en paix du fruit de ma sagesse ;

Mais un trouble importun vient, depuis quelques jours,

De mes prospérités interrompre le cours.

Un songe (me devrais-je inquiéter d’un songe ?)

Entretient dans mon cœur un chagrin qui le ronge.

Je l’évite partout, partout il me poursuit.

C’était pendant l’horreur d’une profonde nuit.

Ma mère Jézabel devant moi s’est montrée,

Comme au jour de sa mort pompeusement parée.

Ses malheurs n’avaient point abattu sa fierté ;

Même elle avait encor cet éclat emprunté

Dont elle eut soin de peindre et d’orner son visage[102],

Pour réparer des ans l’irréparable outrage.

« Tremble, m’a-t-elle dit, fille digne de moi.

Le cruel Dieu des Juifs l’emporte aussi sur toi.

Je te plains de tomber dans ses mains redoutables,

Ma fille. » En achevant ces mots épouvantables,

Son ombre vers mon lit a paru se baisser ;

Et moi, je lui tendais les mains pour l’embrasser.

Mais je n’ai plus trouvé qu’un horrible mélange

D’os et de chair meurtris, et traînés dans la fange,

Des lambeaux pleins de sang, et des membres affreux

Que des chiens dévorants se disputaient entre eux.

ABNER.

Grand Dieu !

ATHALIE.

Dans ce désordre à mes yeux se présente

Un jeune enfant couvert d’une robe éclatante,

Tels[103] qu’on voit des Hébreux les prêtres revêtus.

Sa vue a ranimé mes esprits abattus.

Mais lorsque revenant de mon trouble funeste,

J’admirais sa douceur, son air noble et modeste,

J’ai senti tout à coup un homicide acier,

Que le traître en mon sein a plongé tout entier.

De tant d’objets divers le bizarre assemblage

Peut-être du hasard vous paraît un ouvrage.

Moi-même quelque temps, honteuse de ma peur,

Je l’ai pris pour l’effet d’une sombre vapeur.

Mais de ce souvenir mon âme possédée

À deux fois en dormant revu la même idée[104] :

Deux fois mes tristes yeux se sont vu retracer

Ce même enfant toujours tout prêt à me percer.

Lasse enfin des horreurs dont j’étais poursuivie,

J’allais prier Baal de veiller sur ma vie,

Et chercher du repos au pied de ses autels.

Que ne peut la frayeur sur l’esprit des mortels ?

Dans le temple des Juifs un instinct m’a poussée,

Et d’apaiser leur Dieu j’ai conçu la pensée :

J’ai cru que des présents calmeraient son courroux,

Que ce Dieu, quel qu’il soit, en deviendrait plus doux.

Pontife de Baal, excusez ma faiblesse.

J’entre : le peuple fuit, le sacrifice cesse,

Le grand prêtre vers moi s’avance avec fureur.

Pendant qu’il me parlait, ô surprise ! ô terreur !

J’ai vu ce même enfant dont je suis menacée,

Tel qu’un songe effrayant l’a peint à ma pensée[105].

Je l’ai vu : son même air, son même habit de lin,

Sa démarche, ses yeux, et tous ses traits enfin.

C’est lui-même. Il marchait à côté du grand prêtre ;

Mais bientôt à ma vue on l’a fait disparaître.

Voilà quel trouble ici m’oblige à m’arrêter,

Et sur quoi j’ai voulu tous deux vous consulter.

Que présage, Mathan, ce prodige incroyable ?

MATHAN.

Ce songe et ce rapport, tout me semble effroyable.

ATHALIE.

Mais cet enfant fatal, Abner, vous l’avez vu :

Quel est-il ? De quel sang ? Et de quelle tribu ?

ABNER.

Deux enfants à l’autel prêtaient leur ministère.

L’un est fils de Joad, Josabet est sa mère.

L’autre m’est inconnu.

MATHAN.

Pourquoi délibérer ?

De tous les deux, Madame, il se faut assurer.

Vous savez pour Joad mes égards, mes mesures[106] ;

Que je ne cherche point à venger mes injures,

Que la seule équité règne en tous mes avis ;

Mais lui-même après tout, fût-ce son propre fils,

Voudrait-il un moment laisser vivre un coupable ?

ABNER.

De quel crime un enfant peut-il être capable ?

MATHAN.

Le ciel nous le fait voir un poignard à la main :

Le ciel est juste et sage, et ne fait rien en vain.

Que cherchez-vous de plus ?

ABNER.

Mais, sur la foi d’un songe,

Dans le sang d’un enfant voulez-vous qu’on se plonge ?

Vous ne savez encor de quel père il est né,

Quel il est.

MATHAN.

On le craint, tout est examiné.

À d’illustres parents s’il doit son origine,

La splendeur de son sort doit hâter sa ruine.

Dans le vulgaire obscur si le sort l’a placé,

Qu’importe qu’au hasard un sang vil soit versé ?

Est-ce aux rois à garder cette lente justice ?

Leur sûreté souvent dépend d’un prompt supplice.

N’allons point les gêner d’un soin embarrassant.

Dès qu’on leur est suspect, on n’est plus innocent[107].

ABNER.

Hé quoi, Mathan ? D’un prêtre est-ce là le langage ?

Moi, nourri dans la guerre aux horreurs du carnage,

Des vengeances des rois ministre rigoureux,

C’est moi qui prête ici ma voix au malheureux ;

Et vous, qui lui devez des entrailles de père,

Vous, ministre de paix dans les temps de colère,

Couvrant d’un zèle faux votre ressentiment,

Le sang à votre gré coule trop lentement ?

Vous m’avez commandé de vous parler sans feinte,

Madame : quel est donc ce grand sujet de crainte ?

Un songe, un faible enfant que votre œil prévenu

Peut-être sans raison croit avoir reconnu.

ATHALIE.

Je le veux croire, Abner ; je puis m’être trompée.

Peut-être un songe vain m’a trop préoccupée.

Hé bien ! il faut revoir cet enfant de plus près ;

Il en faut à loisir examiner les traits.

Qu’on les fasse tous deux paraitre en ma présence.

ABNER.

Je crains...

ATHALIE.

Manquerait-on pour moi de complaisance ?

De ce refus bizarre où seraient les raisons ?

Il pourrait me jeter en d’étranges soupçons.

Que Josabet, vous dis-je, ou Joad les amène.

Je puis, quand je voudrai, parler en souveraine.

Vos prêtres, je veux bien, Abner, vous l’avouer,

Des bontés d’Athalie ont lieu de se louer.

Je sais sur ma conduite et contre ma puissance

Jusqu’où de leurs discours ils portent la licence.

Ils vivent cependant, et leur temple est debout.

Mais je sens que bientôt ma douceur est à bout.

Que Joad mette un frein à son zèle sauvage,

Et ne m’irrite point par un second outrage.

Allez.

 

 

Scène VI

 

ATHALIE, MATHAN, etc.

 

MATHAN.

Enfin je puis parler en liberté :

Je puis dans tout son jour mettre la vérité.

Quelque monstre naissant dans ce temple s’élève,

Reine : n’attendez pas que le nuage crève[108].

Abner chez le grand prêtre a devancé le jour.

Pour le sang de ses rois vous savez son amour.

Et qui sait si Joad ne veut point en leur place

Substituer l’enfant dont le ciel vous menace,

Soit son fils, soit quelque autre...

ATHALIE.

Oui, vous m’ouvrez les yeux.

Je commence à voir clair dans cet avis des cieux.

Mais je veux de mon doute être débarrassée.

Un enfant est peu propre à trahir sa pensée.

Souvent d’un grand dessein un mot nous fait juger.

Laissez-moi, cher Mathan, le voir, l’interroger.

Vous cependant, allez ; et sans jeter d’alarmes,

À tous mes Tyriens faites prendre les armes.

 

 

Scène VII

 

JOAS, JOSABET, ATHALIE, ZACHARIE, ABNER, SALOMITH, DEUX LÉVITES, LE CHŒUR, etc.

 

JOSABET, aux deux lévites.

Ô vous, sur ces enfants si chers, si précieux,

Ministres du Seigneur, ayez toujours les yeux...

ABNER, à Josabet.

Princesse, assurez-vous, je les prends sous ma garde.

ATHALIE.

Ô ciel ! plus j’examine, et plus je le regarde,

C’est lui, D’horreur encor tous mes sens sont saisis.

Epouse de Joad, est-ce là votre fils[109] ?

JOSABET.

Qui ? Lui, Madame ?

ATHALIE.

Lui.

JOSABET.

Je ne suis point sa mère.

Voilà mon fils.

ATHALIE.

Et vous, quel est donc votre père ?

Jeune enfant, répondez.

JOSABET.

Le ciel jusqu’aujourd’hui...

ATHALIE[110].

Pourquoi vous pressez-vous de répondre pour lui ?

C’est à lui de parler.

JOSABET.

Dans un âge si tendre

Quel éclaircissement en pouvez-vous attendre ?

ATHALIE.

Cet âge est innocent. Son ingénuité

N’altère point encor la simple vérité.

Laissez-le s’expliquer sur tout ce qui le touche.

JOSABET, tout bas[111].

Daigne mettre, grand Dieu, ta sagesse en sa bouche.

ATHALIE.

Comment vous nommez-vous ?

JOAS.

J’ai nom Éliacin.

ATHALIE.

Votre père ?

JOAS.

Je suis, dit-on, un orphelin

Entre les bras de Dieu jeté dès ma naissance,

Et qui de mes parents n’eus jamais connaissance.

ATHALIE.

Vous êtes sans parents ?

JOAS.

Ils m’ont abandonné.

ATHALIE.

Comment ? et depuis quand ?

JOAS.

Depuis que je suis né.

ATHALIE.

Ne sait-on pas au moins quel pays est le vôtre ?

JOAS.

Ce temple est mon pays ; je n’en connais point d’autre[112].

ATHALIE.

Où dit-on que le sort vous a fait rencontrer ?

JOAS.

Parmi des loups cruels prêts à me dévorer.

ATHALIE.

Qui vous mit dans ce temple ?

JOAS.

Une femme inconnue,

Qui ne dit point son nom, et qu’on n’a point revue.

ATHALIE.

Mais de vos premiers ans quelles mains ont pris soin ?

JOAS.

Dieu laissa-t-il jamais ses enfants au besoin ?

Aux petits des oiseaux il donne leur pâture[113],

Et sa bonté s’étend sur toute la nature.

Tous les jours je l’invoque ; et d’un soin paternel

Il me nourrit des dons offerts sur son autel[114].

ATHALIE.

Quel prodige nouveau me trouble et m’embarrasse ?

La douceur de sa voix, son enfance, sa grâce,

Font insensiblement à mon inimitié

Succéder Je serais sensible à la pitié ?

ABNER.

Madame, voilà donc cet ennemi terrible.

De vos songes menteurs l’imposture est visible,

À moins que la pitié qui semble vous troubler

Ne soit ce coup fatal qui vous faisait trembler.

ATHALIE, à Joas et à Josabet.

Vous sortez ?

JOSABET.

Vous avez entendu sa fortune.

Sa présence à la fin pourrait être importune.

ATHALIE.

Non : revenez. Quel est tous les jours votre emploi ?

JOAS.

J’adore le Seigneur. On m’explique sa loi.

Dans son livre divin on m’apprend à la lire,

Et déjà de ma main je commence à l’écrire.

ATHALIE.

Que vous dit cette loi ?

JOAS.

Que Dieu veut être aimé,

Qu’il venge tôt ou tard son saint nom blasphémé,

Qu’il est le défenseur de l’orphelin timide[115],

Qu’il résiste au superbe et punit l’homicide.

ATHALIE.

J’entends. Mais tout ce peuple enfermé dans ce lieu,

À quoi s’occupe-t-il ?

JOAS.

Il loue, il bénit Dieu.

ATHALIE.

Dieu veut-il qu’à toute heure on prie, on le contemple ?

JOAS.

Tout profane exercice est banni de son temple.

ATHALIE.

Quels sont donc vos plaisirs ?

JOAS.

Quelquefois à l’autel

Je présente au grand prêtre ou l’encens ou le sel[116].

J’entends chanter de Dieu les grandeurs infinies ;

Je vois l’ordre pompeux de ses cérémonies.

ATHALIE.

Hé quoi ? vous n’avez point de passe-temps plus doux ?

Je plains le triste sort d’un enfant tel que vous.

Venez dans mon palais, vous y verrez ma gloire.

JOAS.

Moi, des bienfaits de Dieu je perdrais la mémoire ?

ATHALIE.

Non, je ne vous veux pas contraindre à l’oublier.

JOAS.

Vous ne le priez point.

ATHALIE.

Vous pourrez le prier.

JOAS.

Je verrais cependant en invoquer un autre ?

ATHALIE.

J’ai mon Dieu que je sers ; vous servirez le vôtre.

Ce sont deux puissants Dieux.

JOAS.

Il faut craindre le mien :

Lui seul est Dieu, Madame, et le vôtre n’est rien[117].

ATHALIE.

Les plaisirs près de moi vous chercheront en foule.

JOAS.

Le bonheur des méchants comme un torrent s’écoule[118].

ATHALIE.

Ces méchants, qui sont-ils ?

JOSABET.

Hé, Madame ! excusez

Un enfant...

ATHALIE, à Josabet.

J’aime à voir comme vous l’instruisez.

Enfin, Éliacin, vous avez su me plaire ;

Vous n’êtes point sans doute un enfant ordinaire.

Vous voyez, je suis reine, et n’ai point d’héritier.

Laissez là cet habit, quittez ce vil métier.

Je veux vous faire part de toutes mes richesses ;

Essayez dès ce jour l’effet de mes promesses.

À ma table, partout, à mes côtés assis[119],

Je prétends vous traiter comme mon propre fils.

JOAS.

Comme votre fils ?

ATHALIE.

Oui... Vous vous taisez ?

JOAS.

Quel père[120]

Je quitterais ! Et pour...

ATHALIE.

Hé bien ?

JOAS.

Pour quelle mère !

ATHALIE, à Josabet.

Sa mémoire est fidèle ; et dans tout ce qu’il dit

De vous et de Joad je reconnais l’esprit.

Voilà comme infectant cette simple jeunesse,

Vous employez tous deux le calme où je vous laisse.

Vous cultivez déjà leur haine et leur fureur ;

Vous ne leur prononcez mon nom qu’avec horreur.

JOSABET.

Peut-on de nos malheurs leur dérober l’histoire ?

Tout l’univers les sait ; vous-même en faites gloire.

ATHALIE.

Oui, ma juste fureur, et j’en fais vanité,

A vengé mes parents sur ma postérité.

J’aurais vu massacrer et mon père et mon frère[121],

Du haut de son palais précipiter ma mère,

Et dans un même jour égorger à la fois,

Quel spectacle d’horreur! quatre-vingts fils de rois[122] :

Et pourquoi ? pour venger je ne sais quels prophètes,

Dont elle avait puni les fureurs indiscrètes[123] ;

Et moi, reine sans cœur, fille sans amitié,

Esclave d’une lâche et frivole pitié,

Je n’aurais pas du moins à cette aveugle rage

Rendu meurtre pour meurtre, outrage pour outrage,

Et de votre David traité tous les neveux

Comme on traitait d’Achab les restes malheureux ?

Où serais-je aujourd’hui, si domptant ma faiblesse,

Je n’eusse d’une mère étouffé la tendresse ;

Si de mon propre sang ma main versant des flots

N’eût par ce coup hardi réprimé vos complots ?

Enfin de votre Dieu l’implacable vengeance

Entre nos deux maisons rompit toute alliance.

David m’est en horreur ; et les fils de ce roi,

Quoique nés de mon sang, sont étrangers pour moi.

JOSABET.

Tout vous a réussi[124] ? Que Dieu voie, et nous juge.

ATHALIE.

Ce Dieu, depuis longtemps votre unique refuge,

Que deviendra l’effet de ses prédictions ?

Qu’il vous donne ce roi promis aux nations,

Cet enfant de David, votre espoir, votre attente...

Mais nous nous reverrons. Adieu. Je sors contente :

J’ai voulu voir ; j’ai vu[125].

ABNER, à Josabet.

Je vous l’avais promis :

Je vous rends le dépôt que vous m’avez commis.

 

 

Scène VIII

 

JOAD, JOSABET, JOAS, ZACHARIE, ABNER, SALOMITH, LÉVITES, LE CHŒUR

 

JOSABET, à Joad.

Avez-vous entendu cette superbe reine.

Seigneur ?

JOAD.

J’entendais tout et plaignais votre peine.

Ces lévites et moi, prêts à vous secourir,

Nous étions avec vous résolus de périr.

À Joas, en l’embrassant.

Que Dieu veille sur vous, enfant dont le courage

Vient de rendre à son nom ce noble témoignage.

Je reconnais, Abner, ce service important.

Souvenez-vous de l’heure où Joad vous attend[126].

Et nous, dont cette femme impie et meurtrière

A souillé les regards et troublé la prière,

Rentrons ; et qu’un sang pur, par mes mains épanché,

Lave jusques au marbre où ses pas ont touché[127].

 

 

Scène IX

 

LE CHŒUR

 

UNE DES FILLES DU CHŒUR.

Quel astre à nos yeux vient de luire ?

Quel sera quelque jour cet enfant merveilleux[128] ?

Il brave le faste orgueilleux,

Et ne se laisse point séduire

À tous ses attraits périlleux.

UNE AUTRE.

Pendant que du dieu d’Athalie

Chacun court encenser l’autel,

Un enfant courageux publie

Que Dieu lui seul est éternel,

Et parle comme un autre Élie

Devant cette autre Jézabel[129].

UNE AUTRE.

Qui nous révélera ta naissance secrète[130],

Cher enfant ? Es-tu fils de quelque saint prophète ?

UNE AUTRE.

Ainsi l’on vit l’aimable Samuel[131]

Croître à l’ombre du tabernacle.

Il devint clés Hébreux l’espérance et l’oracle.

Puisses-tu, comme lui, consoler Israël !

UNE AUTRE chante.

Ô bienheureux mille fois

L’enfant que le Seigneur aime,

Qui de bonne heure entend sa voix,

Et que ce Dieu daigne instruire lui-même[132] !

Loin du monde élevé, de tous les dons des cieux

Il est orné dès sa naissance[133] ;

Et du méchant l’abord contagieux

N’altère point son innocence.

TOUT LE CHŒUR.

Heureuse, heureuse l’enfance

Que le Seigneur instruit et prend sous sa défense !

LA MÊME VOIX, seule.

Tel en un secret vallon,

Sur le bord d’une onde pure,

Croît à l’abri de l’aquilon,

Un jeune lis, l’amour de la nature[134],

Loin du monde élevé, de tous les dons des cieux

Il est orné dès sa naissance ;

Et du méchant l’abord contagieux

N’altère point son innocence.

TOUT LE CHŒUR.

Heureux, heureux mille fois

L’enfant que le Seigneur rend docile à ses lois !

UNE VOIX seule.

Mon Dieu, qu’une vertu naissante

Parmi tant de périls marche à pas incertains !

Qu’une âme qui te cherche et veut être innocente

Trouve d’obstacle à ses desseins !

Que d’ennemis lui font la guerre !

Où se peuvent cacher tes saints ?

Les pécheurs couvrent la terre.

UNE AUTRE.

Ô palais de David, et sa chère cité[135],

Mont fameux, que Dieu même a longtemps habité[136],

Comment as-tu du ciel attiré la colère ?

Sion, chère Sion, que dis-tu quand tu vois

Une impie étrangère

Assise, hélas ! au trône de tes rois ?

TOUT LE CHŒUR.

Sion, chère Sion, que dis-tu quand tu vois

Une impie étrangère

Assise, hélas ! au trône de tes rois ?

LA MÊME VOIX continue.

Au lieu des cantiques charmants[137]

Où David t’exprimait ses saints ravissements,

Et bénissait son Dieu, son Seigneur et son père,

Sion, chère Sion, que dis-tu quand tu vois

Louer le dieu de l’impie étrangère,

Et blasphémer le nom qu’ont adoré tes rois ?

UNE VOIX seule.

Combien de temps, Seigneur, combien de temps encore

Verrons-nous contre loi les méchants s’élever[138] ?

Jusque dans ton saint temple ils viennent te braver.

Ils traitent d’insensé le peuple qui t’adore.

Combien de temps, Seigneur, combien de temps encore

Verrons-nous contre toi les méchants s’élever ?

UNE AUTRE.

Que vous sert, disent-ils, cette vertu sauvage ?

De tant de plaisirs si doux

Pourquoi fuyez-vous l’usage ?

Votre Dieu ne fait rien pour vous[139].

UNE AUTRE.

Rions, chantons, dit cette troupe impie ;

De fleurs en fleurs, de plaisirs en plaisirs,

Promenons nos désirs.

Sur l’avenir insensé qui se fie.

De nos ans passagers le nombre est incertain.

Hâtons-nous aujourd’hui de jouir de la vie ;

Qui sait si nous serons demain[140] ?

TOUT LE CHŒUR.

Qu’ils pleurent, ô mon Dieu, qu’ils frémissent de crainte,

Ces malheureux, qui de ta cité sainte

Ne verront point l’éternelle splendeur.

C’est à nous de chanter, nous à qui tu révèles

Tes clartés immortelles ;

C’est à nous de chanter tes dons et ta grandeur.

UNE VOIX seule.

De tous ces vains plaisirs où leur âme se plonge,

Que leur restera-t-il ? Ce qui reste d’un songe

Dont on a reconnu l’erreur.

À leur réveil, ô réveil plein d’horreur[141] !

Pendant que le pauvre à ta table

Goûtera de ta paix la douceur ineffable,

Ils boiront dans la coupe affreuse, inépuisable,

Que tu présenteras au jour de ta fureur

À toute la race coupable[142].

TOUT LE CHŒUR.

Ô réveil plein d’horreur !

Ô songe peu durable !

Ô dangereuse erreur !

 

 

ACTE III

 

 

Scène première

 

MATHAN, NABAL, LE CHŒUR

 

MATHAN.

Jeunes filles, allez : qu’on dise à Josabet

Que Mathan veut ici lui parler en secret.

UNE DES FILLES DU CHŒUR.

Mathan ! Ô Dieu du ciel, puisses-tu le confondre !

NABAL.

Hé quoi ? tout se disperse, et fuit sans vous répondre ?

MATHAN.

Approchons.

 

 

Scène II

 

ZACHARIE, MATHAN, NABAL

 

ZACHARIE.

Téméraire, où voulez-vous passer ?

Au delà de ce lieu gardez-vous d’avancer.

C’est des ministres saints la demeure sacrée ;

Les lois à tout profane en défendent l’entrée.

Qui cherchez-vous ? Mon père, en ce jour solennel,

De l’idolâtre impur fuit l’aspect criminel ;

Et devant le Seigneur maintenant prosternée,

Ma mère en ce devoir craint d’être détournée.

MATHAN.

Mon fils, nous attendrons : cessez de vous troubler.

C’est votre illustre mère à qui je veux parler.

Je viens ici chargé d’un ordre de la Reine.

 

 

Scène III

 

MATHAN, NABAL

 

NABAL.

Leurs enfants ont déjà leur audace hautaine.

Mais que veut Athalie en cette occasion ?

D’où naît dans ses conseils cette confusion ?

Par l’insolent Joad ce matin offensée,

Et d’un enfant fatal en songe menacée,

Elle allait immoler Joad à son courroux,

Et dans ce temple enfin placer Baal et vous.

Vous m’en aviez déjà confié votre joie,

Et j’espérais ma part d’une si riche proie.

Qui fait changer ainsi ses vœux irrésolus ?

MATHAN.

Ami, depuis deux jours je ne la connais plus.

Ce n’est plus cette reine éclairée, intrépide,

Elevée au-dessus de son sexe timide,

Qui d’abord accablait ses ennemis surpris,

Et d’un instant perdu connaissait tout le prix.

La peur d’un vain remords trouble cette grande âme :

Elle flotte, elle hésite ; en un mot, elle est femme.

J’avais tantôt rempli d’amertume et de fiel

Son cœur déjà saisi des menaces du ciel ;

Elle-même, à mes soins confiant sa vengeance,

M’avait dit d’assembler sa garde en diligence ;

Mais soit que cet enfant devant elle amené,

De ses parents, dit-on, rebut infortuné,

Eut d’un songe effrayant diminué l’alarme,

Soit qu’elle eût même en lui vu je ne sais quel charme,

J’ai trouvé son courroux chancelant, incertain,

Et déjà remettant sa vengeance à demain.

Tous ses projets semblaient l’un l’autre se détruire[143].

« Du sort de cet enfant je me suis fait instruire,

Ai-je dit. On commence à vanter ses aïeux;

Joad de temps en temps le montre aux factieux,

Le fait attendre aux Juifs, comme un autre Moïse,

Et d’oracles menteurs s’appuie et s’autorise. »

Ces mots ont fait monter la rougeur sur son front.

Jamais mensonge heureux n’eut un effet si prompt.

« Est-ce à moi de languir dans cette incertitude ?

Sortons, a-t-elle dit, sortons d’inquiétude.

Vous-même à Josabet prononcez cet arrêt :

Les feux vont s’allumer, et le fer est tout prêt ;

Rien ne peut de leur temple empêcher le ravage,

Si je n’ai de leur foi cet enfant pour otage. »

NABAL.

Hé bien ? pour un enfant qu’ils ne commissent pas,

Que le hasard peut-être a jeté dans leurs bras,

Voudront-ils que leur temple enseveli sous l’herbe...

MATHAN.

Ah ! de tous les mortels connais le plus superbe.

Plutôt que dans mes mains par Joad soit livré

Un enfant qu’à son Dieu Joad a consacré,

Tu lui verras subir la mort la plus terrible.

D’ailleurs pour cet enfant leur attache est visible.

Si j’ai bien de la Reine entendu le récit,

Joad sur sa naissance en sait plus qu’il ne dit.

Quel qu’il soit, je prévois qu’il leur sera funeste.

Ils le refuseront. Je prends sur moi le reste ;

Et j’espère qu’enfin de ce temple odieux

Et la flamme et le fer vont délivrer mes yeux.

NABAL.

Qui peut vous inspirer une haine si forte ?

Est-ce que de Baal le zèle vous transporte ?

Pour moi, vous le savez, descendu d’Ismaël[144],

Je ne sers ni Baal, ni le Dieu d’Israël.

MATHAN.

Ami, peux-tu penser que d’un zèle frivole

Je me laisse aveugler pour une vaine idole,

Pour un fragile bois, que malgré mon secours

Les vers sur son autel consument tous les jours[145] ?

Né ministre du Dieu qu’en ce temple on adore,

Peut-être que Mathan le servirait encore,

Si l’amour des grandeurs, la soif de commander

Avec son joug étroit pouvaient s’accommoder.

Qu’est-il besoin, Nabal, qu’à tes yeux je rappelle

De Joad et de moi la fameuse querelle,

Quand j’osai contre lui disputer l’encensoir,

Mes brigues, mes combats, mes pleurs, mon désespoir ?

Vaincu par lui, j’entrai dans une autre carrière,

Et mon âme à la cour s’attacha toute entière.

J’approchai par degrés de l’oreille des rois,

Et bientôt en oracle on érigea ma voix.

J’étudiai leur cœur, je flattai leurs caprices,

Je leur semai de fleurs le bord des précipices.

Près de leurs passions rien ne me fut sacré ;

De mesure et de poids je changeais à leur gré.

Autant que de Joad l’inflexible rudesse

De leur superbe oreille offensait la mollesse,

Autant je les charmais par ma dextérité,

Dérobant à leurs yeux la triste vérité,

Prêtant à leurs fureurs des couleurs favorables,

Et prodigue surtout du sang des misérables[146].

Enfin au Dieu nouveau qu’elle avait introduit,

Par les mains d’Athalie un temple fut construit[147].

Jérusalem pleura de se voir profanée ;

Des enfants de Lévi la troupe consternée

En poussa vers le ciel des hurlements affreux.

Moi seul, donnant l’exemple aux timides Hébreux,

Déserteur de leur loi, j’approuvai l’entreprise,

Et par là de Baal méritai la prêtrise.

Par là je me rendis terrible à mon rival,

Je ceignis la tiare, et marchai[148] son égal.

Toutefois, je l’avoue, en ce comble de gloire,

Du Dieu que j’ai quitté l’importune mémoire

Jette encore en mon âme un reste de terreur ;

Et c’est ce qui redouble et nourrit ma fureur.

Heureux si sur son temple achevant ma vengeance,

Je puis convaincre enfin sa haine d’impuissance,

Et parmi le débris, le ravage et les morts,

À force d’attentats perdre tous mes remords !

Mais voici Josabet.

 

 

Scène IV

 

JOSABET, MATHAN, NABAL

 

MATHAN.

Envoyé par la Reine,

Pour rétablir le calme et dissiper la haine,

Princesse, en qui le ciel mit un esprit si doux,

Ne vous étonnez pas si je m’adresse à vous.

Un bruit, que j’ai pourtant soupçonné de mensonge,

Appuyant les avis qu’elle a reçus en songe,

Sur Joad, accusé de dangereux complots,

Allait de sa colère attirer tous les flots.

Je ne veux point ici vous vanter mes services.

De Joad contre moi je sais les injustices ;

Mais il faut à l’offense opposer les bienfaits.

Enfin je viens chargé de paroles de paix.

Vivez, solennisez vos fêtes sans ombrage[149].

De votre obéissance elle ne veut qu’un gage :

C’est, pour l’en détourner j’ai fait ce que j’ai pu,

Cet enfant sans parents, qu’elle dit qu’elle a vu.

JOSABET.

Éliacin !

MATHAN.

J’en ai pour elle quelque honte.

D’un vain songe peut-être elle fait trop de compte.

Mais vous vous déclarez ses mortels ennemis,

Si cet enfant sur l’heure en mes mains n’est remis.

La Reine impatiente attend votre réponse.

JOSABET.

Et voilà de sa part la paix qu’on nous annonce !

MATHAN.

Pourriez-vous un moment douter de l’accepter ?

D’un peu de complaisance est-ce trop l’acheter ?

JOSABET.

J’admirais si Mathan, dépouillant l’artifice,

Avait pu de son cœur surmonter l’injustice,

Et si de tant de maux le funeste inventeur

De quelque ombre de bien pouvait être l’auteur.

MATHAN.

De quoi vous plaignez-vous ? Vient-on avec furie

Arracher de vos bras votre fils Zacharie ?

Quel est cet autre enfant si cher à votre amour ?

Ce grand attachement me surprend à mon tour.

Est-ce un trésor pour vous si précieux, si rare ?

Est-ce un libérateur que le ciel vous prépare ?

Songez-y : vos refus pourraient me confirmer

Un bruit sourd que déjà l’on commence à semer.

JOSABET.

Quel bruit ?

MATHAN.

Que cet enfant vient d’illustre origine ;

Qu’à quelque grand projet votre époux le destine.

JOSABET.

Et Mathan par ce bruit qui flatte sa fureur...

MATHAN.

Princesse, c’est à vous à me tirer d’erreur.

Je sais que du mensonge implacable ennemie,

Josabet livrerait même sa propre vie,

S’il fallait que sa vie à sa sincérité

Coûtât le moindre mot contre la vérité.

Du sort de cet enfant on n’a donc nulle trace ?

Une profonde nuit enveloppe sa race ?

Et vous-même ignorez de quels parents issu,

De quelles mains Joad en ses bras l’a reçu ?

Parlez; je vous écoute, et suis prêt de vous croire[150].

Au Dieu que vous servez, Princesse, rendez gloire.

JOSABET.

Méchant, c’est bien à vous d’oser ainsi nommer

Un Dieu que votre bouche enseigne à blasphémer.

Sa vérité par vous peut-elle être attestée,

Vous, malheureux, assis dans la chaire empestée[151]

Où le mensonge règne et répand son poison ;

Vous, nourri dans la fourbe et dans la trahison ?

 

 

Scène V

 

JOAD, JOSABET, MATHAN, NABAL

 

JOAD.

Où suis-je ? De Baal ne vois-je pas le prêtre ?

Quoi ? fille de David, vous parlez à ce traître ?

Vous souffrez qu’il vous parle ? Et vous ne craignez pas

Que du fond de l’abîme entr’ouvert sous ses pas

Il ne sorte à l’instant des feux qui vous embrasent,

Ou qu’en tombant sur lui ces murs ne vous écrasent ?

Que veut-il ? De quel front cet ennemi de Dieu

Vient-il infecter l’air qu’on respire en ce lieu ?

MATHAN.

On reconnaît Joad à cette violence.

Toutefois il devrait montrer plus de prudence,

Respecter une reine, et ne pas outrager

Celui que de son ordre elle a daigné charger.

JOAD.

Hé bien, que nous fait-elle annoncer de sinistre ?

Quel sera l’ordre affreux qu’apporte un tel ministre ?

MATHAN.

J’ai fait à Josabet savoir sa volonté.

JOAD.

Sors donc de devant moi, monstre d’impiété.

De toutes tes horreurs, va, comble la mesure.

Dieu s’apprête à te joindre à la race parjure,

Abiron et Dathan, Doëg, Achitophel[152].

Les chiens, à qui son bras a livré Jézabel,

Attendant que sur toi sa fureur se déploie,

Déjà sont à ta porte, et demandent leur proie.

MATHAN. Il se trouble[153].

Avant la fin du jour... on verra qui de nous...

Doit... Mais sortons, Nabal.

NABAL.

Où vous égarez-vous ?

De vos sens étonnés quel désordre s’empare ?

Voilà votre chemin.

 

 

Scène VI

 

JOAD, JOSABET

 

JOSABET.

L’orage se déclare.

Athalie en fureur demande Éliacin.

Déjà de sa naissance et de votre dessein

On commence, Seigneur, à percer le mystère :

Peu s’en faut que Mathan ne m’ait nommé son père.

JOAD.

Au perfide Mathan qui l’aurait révélé ?

Votre trouble à Mathan n’a-t-il point trop parlé ?

JOSABET.

J’ai fait ce que j’ai pu pour m’en rendre maîtresse.

Cependant, croyez-moi, Seigneur, le péril presse.

Réservons cet enfant pour un temps plus heureux.

Tandis que les méchants délibèrent entre eux,

Avant qu’on l’environne, avant qu’on nous l’arrache,

Une seconde fois souffrez, que je le cache.

Les portes, les chemins lui sont encore ouverts.

Faut-il le transporter aux plus affreux déserts ?

Je suis prête. Je sais une secrète issue

Par où, sans qu’on le voie, et sans être aperçue,

De Cédron avec lui traversant le torrent[154],

J’irai dans le désert, où jadis en pleurant,

Et cherchant comme nous son salut dans la fuite.

David d’un fils rebelle évita la poursuite.

Je craindrai moins pour lui les lions et les ours...

Mais pourquoi de Jéhu refuser le secours ?

Je vous ouvre peut-être un avis salutaire.

Faisons de ce trésor Jéhu dépositaire.

On peut dans ses États le conduire aujourd’hui,

Et le chemin est court qui mène jusqu’à lui.

Jéhu n’a point un cœur farouche, inexorable ;

De David à ses veux le nom est favorable.

Hélas ! est-il un roi si dur et si cruel,

À moins qu’il n’eût pour mère une autre Jézabel,

Qui d’un tel suppliant ne plaignît l’infortune ?

Sa cause à tous les rois n’est-elle pas commune ?

JOAD.

Quels timides conseils m’osez-vous suggérer ?

En l’appui de Jéhu pourriez-vous espérer ?

JOSABET.

Dieu défend-il tout soin et toute prévoyance ?

Ne l’offense-t-on point par trop de confiance ?

À ses desseins sacrés employant les humains,

N’a-t-il pas de Jéhu lui-même armé les mains[155] ?

JOAD.

Jéhu, qu’avait choisi sa sagesse profonde,

Jéhu, sur qui je vois que votre espoir se fonde,

D’un oubli trop ingrat a payé ses bienfaits.

Jéhu laisse d’Achab l’affreuse fille en paix,

Suit des rois d’Israël les profanes exemples,

Du vil Dieu de l’Égypte a conservé les temples[156].

Jéhu, sur les hauts lieux enfin osant offrir

Un téméraire encens que Dieu ne peut souffrir[157],

N’a pour servir sa cause et venger ses injures

Ni le cœur assez droit ni les mains assez pures.

Non, non : c’est à Dieu seul qu’il nous faut attacher.

Montrons Éliacin ; et loin de le cacher,

Que du bandeau royal sa tête soit ornée.

Je veux même avancer l’heure déterminée,

Avant que de Mathan le complot soit formé.

 

 

Scène VII

 

JOAD, JOSABET, AZARIAS, suivi du CHŒUR et de plusieurs lévites

 

JOAD.

Hé bien, Azarias, le temple est-il fermé ?

AZARIAS.

J’en ai fait devant moi fermer toutes les portes.

JOAD.

N’y reste-t-il que vous et vos saintes cohortes ?

AZARIAS.

De ses parvis sacrés j’ai deux fois fait le tour.

Tout a fui, tous se sont séparés sans retour,

Misérable troupeau qu’a dispersé la crainte ;

Et Dieu n’est plus servi que dans la tribu sainte.

Depuis qu’à Pharaon ce peuple est échappé.

Une égale terreur ne l’avait point frappé.

JOAD.

Peuple lâche, en effet, et né pour l’esclavage,

Hardi contre Dieu seul ! Poursuivons notre ouvrage.

Mais qui retient encor ces enfants parmi nous ?

UNE DES FILLES DU CHŒUR.

Hé ! pourrions-nous, Seigneur, nous séparer de vous ?

Dans le temple de Dieu sommes-nous étrangères ?

Vous avez près de vous nos pères et nos frères.

UNE AUTRE.

Hélas ! si pour venger l’opprobre d’Israël,

Nos mains ne peuvent pas, comme autrefois Jahel[158].

Des ennemis de Dieu percer la tête impie,

Nous lui pouvons du moins immoler notre vie.

Quand vos bras combattront pour son temple attaqué,

Par nos larmes du moins il peut être invoqué.

JOAD.

Voilà donc quels vengeurs s’arment pour ta querelle,

Des prêtres, des enfants, ô Sagesse éternelle !

Mais si tu les soutiens, qui peut les ébranler ?

Du tombeau, quand tu veux, tu sais nous rappeler.

Tu frappes et guéris ; tu perds et ressuscites[159].

Ils ne s’assurent point en leurs propres mérites,

Mais en ton nom sur eux invoqué tant de fois,

En tes serments jurés au plus saint de leurs rois,

En ce temple où tu fais ta demeure sacrée,

Et qui doit du soleil égaler la durée[160].

Mais d’où vient que mon cœur frémit d’un saint effroi ?

Est-ce l’Esprit divin qui s’empare de moi ?

C’est lui-même. Il m’échauffe. Il parle. Mes yeux s’ouvrent,

Et les siècles obscurs devant moi se découvrent,

Lévites, de vos sons prêtez-moi les accords,

Et de ses[161] mouvements secondez les transports.

LE CHŒUR chante au son de toute la symphonie des instruments.

Que du Seigneur la voix se fasse entendre,

Et qu’à nos cœurs son oracle divin

Soit ce qu’à l’herbe tendre

Est, au printemps, la fraîcheur du matin[162].

JOAD.

Cieux, écoutez ma voix ; terre, prête l’oreille[163].

Ne dis plus, ô Jacob, que ton Seigneur sommeille,

Pécheurs, disparaissez : le Seigneur se réveille[164].

Ici recommence la symphonie, et Joad aussitôt reprend la parole.

Comment en un plomb vil l’or pur s’est-il changé[165] ?

Quel est dans le lieu saint ce pontife égorgé[166] ?

Pleure, Jérusalem, pleure, cité perfide,

Des prophètes divins malheureuse homicide[167].

De son amour pour toi ton Dieu s’est dépouillé.

Ton encens à ses yeux est un encens souillé[168].

Où menez-vous ces enfants et ces femmes[169] ?

Le Seigneur a détruit la reine des cités[170].

Ses prêtres sont captifs, ses rois sont rejetés.

Dieu ne veut plus qu’on vienne à ses solennités[171].

Temple, renverse-toi. Cèdres, jetez des flammes.

Jérusalem, objet de ma douleur,

Quelle main en un jour t’a ravi tous tes charmes[172] ?

Qui changera mes yeux en deux sources de larmes[173]

Pour pleurer ton malheur ?

AZARIAS.

Ô saint temple !

JOSABET.

Ô David !

LE CHŒUR.

Dieu de Sion, rappelle,

Rappelle en sa faveur tes antiques bontés.

La symphonie recommence encore, et Joad, un moment après, l’interrompt.

JOAD.

Quelle Jérusalem nouvelle[174]

Sort du fond du désert brillante de clartés,

Et porte sur le front une marque immortelle ?

Peuples de la terre, chantez.

Jérusalem renaît plus charmante et plus belle.

D’où lui viennent de tous côtés

Ces enfants qu’en son sein elle n’a point portés[175] ?

Lève, Jérusalem, lève ta tête altière[176].

Regarde tous ces rois de ta gloire étonnés.

Les rois des nations, devant toi prosternés,

De tes pieds baisent la poussière[177] ;

Les peuples à l’envi marchent à ta lumière[178].

Heureux qui pour Sion d’une sainte ferveur

Sentira son âme embrasée !

Cieux, répandez votre rosée,

Et que la terre enfante son Sauveur[179].

JOSABET.

Hélas ! d’où nous viendra cette insigne faveur,

Si les rois de qui doit descendre ce Sauveur...

JOAD.

Préparez, Josabet, le riche diadème

Que sur son front sacré David porta lui-même.

Aux lévites.

Et vous, pour vous armer, suivez-moi dans ces lieux

Où se garde caché, loin des profanes yeux,

Ce formidable amas de lances et d’épées[180]

Qui du sang philistin jadis furent trempées,

Et que David vainqueur, d’ans et d’honneurs chargé,

Fit consacrer au Dieu qui l’a voit protégé.

Peut-on les employer pour un plus noble usage ?

Venez, je veux moi-même en faire le partage.

 

 

Scène VIII

 

SALOMITH, LE CHŒUR

 

SALOMITH.

Que de craintes, mes sœurs, que de troubles mortels !

Dieu tout-puissant, sont-ce là les prémices,

Les parfums et les sacrifices

Qu’on devait en ce jour offrir sur tes autels ?

UNE FILLE DU CHŒUR.

Quel spectacle à nos yeux timides !

Qui l’eût cru, qu’on dût voir jamais

Les glaives meurtriers, les lances homicides

Briller dans la maison de paix ?

UNE AUTRE.

D’où vient que, pour son Dieu, pleine d’indifférence[181],

Jérusalem se tait en ce pressant danger ?

D’où vient, mes sœurs, que pour nous protéger

Le brave Abner au moins ne rompt pas le silence ?

SALOMITH.

Hélas ! dans une cour où l’on n’a d’autres lois

Que la force et la violence,

Où les honneurs et les emplois

Sont le prix d’une aveugle et basse obéissance.

Ma sœur, pour la triste innocence

Qui voudrait élever sa voix ?

UNE AUTRE.

Dans ce péril, dans ce désordre extrême,

Pour qui prépare-t-on le sacré diadème ?

SALOMITH.

Le Seigneur a daigné parler.

Mais ce qu’à son prophète il vient de révéler,

Qui pourra nous le faire entendre ?

S’arme-t-il pour nous défendre ?

S’arme-t-il pour nous accabler ?

TOUT LE CHŒUR chante.

Ô promesse ! ô menace ! ô ténébreux mystère !

Que de maux, que de biens sont prédits tour à tour !

Comment peut-on avec tant de colère

Accorder tant d’amour ?

UNE VOIX seule.

Sion ne sera plus. Une flamme cruelle

Détruira tous ses ornements.

UNE AUTRE VOIX.

Dieu protège Sion. Elle a pour fondements

Sa parole éternelle.

LA PREMIÈRE.

Je vois tout son éclat disparaître à mes yeux.

LA SECONDE.

Je vois de toutes parts sa clarté répandue.

LA PREMIÈRE.

Dans un gouffre profond Sion est descendue.

LA SECONDE.

Sion a son front dans les cieux.

LA PREMIÈRE.

Quel triste abaissement !

LA SECONDE.

Quelle immortelle gloire !

LA PREMIÈRE.

Que de cris de douleur !

LA SECONDE.

Que de chants de victoire !

UNE TROISIÈME.

Cessons de nous troubler. Notre Dieu quelque jour

Dévoilera ce grand mystère.

TOUTES TROIS.

Révérons sa colère ;

Espérons en son amour.

UNE AUTRE.

D’un cœur qui t’aime,

Mon Dieu, qui peut troubler la paix ?

Il cherche en tout ta volonté suprême,

Et ne se cherche jamais.

Sur la terre, dans le ciel même,

Est-il d’autre bonheur que la tranquille paix

D’un cœur qui t’aime ?

 

 

ACTE IV

 

 

Scène première

 

JOAS, JOSABET, ZACHARIE, SALOMITH, UN LÉVITE, LE CHŒUR

 

SALOMITH.

D’un pas majestueux, à côté de ma mère,

Le jeune Éliacin s’avance avec mon frère.

Dans ces voiles, mes sœurs, que portent-ils tous deux ?

Quel est ce glaive enfin qui marche devant eux ?

JOSABET, à Zacharie.

Mon fils, avec respect posez sur cette table

De notre sainte loi le livre redoutable.

Et vous aussi, posez, aimable Éliacin,

Cet auguste bandeau près du livre divin.

Lévite, il faut placer, Joad ainsi l’ordonne,

Le glaive de David auprès de sa couronne.

JOAS.

Princesse, quel est donc ce spectacle nouveau ?

Pourquoi ce livre saint, ce glaive, ce bandeau ?

Depuis que le Seigneur m’a reçu dans son temple,

D’un semblable appareil je n’ai point vu d’exemple.

JOSABET.

Tous vos doutes, mon fils, bientôt s’éclairciront.

JOAS.

Vous voulez essayer ce bandeau sur mon front ?

Ah ! Princesse, gardez d’en profaner la gloire.

Du roi qui l’a porté respectez la mémoire.

Un malheureux enfant aux ours abandonné...

JOSABET, lui essayant le diadème.

Laissez, mon fils : je fais ce qui m’est ordonné.

JOAS.

Mais j’entends les sanglots sortir de votre bouche !

Princesse, vous pleurez ! Quelle pitié vous touche ?

Est-ce qu’en holocauste aujourd’hui présenté,

Je dois, comme autrefois la fille de Jephté[182],

Du Seigneur par ma mort apaiser la colère ?

Hélas ! un fils n’a rien qui ne soit à son père.

JOSABET.

Voici qui vous dira les volontés des cieux.

Ne craignez rien. Et nous, sortons tous de ces lieux.

 

 

Scène II

 

JOAD, JOAS

 

JOAS, courant dans les bras du grand prêtre.

Mon père !

JOAD.

Hé bien, mon fils ?

JOAS.

Qu’est-ce donc qu’on prépare ?

JOAD.

Il est juste, mon fils, que je vous le déclare.

Il faut que vous soyez instruit, même avant tous,

Des grands desseins de Dieu sur son peuple et sur vous.

Armez-vous d’un courage et d’une foi nouvelle.

Il est temps de montrer cette ardeur et ce zèle

Qu’au fond de votre cœur mes soins ont cultivés,

Et de paver à Dieu ce que vous lui devez.

Sentez-vous cette noble et généreuse envie ?

JOAS.

Je me sens prêt, s’il veut, de lui donner ma vie.

JOAD.

On vous a lu souvent l’histoire de nos rois.

Vous souvient-il, mon fils, quelles étroites lois

Doit s’imposer un roi digne du diadème ?

JOAS.

Un roi sage, ainsi Dieu l’a prononcé lui-même[183].

Sur la richesse et l’or ne met point son appui,

Craint le Seigneur son Dieu, sans cesse a devant lui

Ses préceptes, ses lois, ses jugements sévères,

Et d’injustes fardeaux n’accable point ses frères.

JOAD.

Mais sur l’un de ces rois s’il fallait vous régler,

À qui choisiriez-vous, mon fils, de ressembler ?

JOAS.

David, pour le Seigneur plein d’un amour fidèle,

Me paraît des grands rois le plus parfait modèle.

JOAD.

Ainsi dans leurs excès vous n’imiteriez pas

L’infidèle Joram, l’impie Okosias[184] ?

JOAS.

Ô mon père !

JOAD.

Achevez, dites, que vous en semble ?

JOAS.

Puisse périr comme eux quiconque leur ressemble !

Mon père, en quel état vous vois-je devant moi ?

JOAD, se prosternant à ses pieds[185].

Je vous rends le respect que je dois à mon roi.

De votre aïeul David, Joas, rendez-vous digne.

JOAS.

Joas ? Moi ?

JOAD[186].

Vous saurez par quelle grâce insigne,

D’une mère en fureur Dieu trompant le dessein,

Quand déjà son poignard était dans votre sein,

Vous choisit, vous sauva du milieu du carnage.

Vous n’êtes pas encore échappé de sa rage.

Avec la même ardeur qu’elle voulut jadis

Perdre en vous le dernier des enfants de son fils,

À vous faire périr sa cruauté s’attache,

Et vous poursuit encor sous le nom qui vous cache.

Mais sous vos étendards j’ai déjà su ranger

Un peuple obéissant et prompt à vous venger.

Entrez, généreux chefs des familles sacrées,

Du ministère saint tour à tour honorées[187].

 

 

Scène III

 

JOAS, JOAD, AZARIAS, ISMAËL, et LES TROIS AUTRES CHEFS DES LÉVITES

 

JOAD continue.

Roi, voilà vos vengeurs contre vos ennemis.

Prêtres, voilà le roi que je vous ai promis[188].

AZARIAS.

Quoi ? c’est Éliacin ?

ISMAËL.

Quoi ? cet enfant aimable...

JOAD.

Est des rois de Juda l’héritier véritable,

Dernier né des enfants du triste Okosias,

Nourri, vous le savez, sous le nom de Joas.

De cette fleur si tendre et sitôt moissonnée

Tout Juda, comme vous, plaignant la destinée.

Avec ses frères morts le crut enveloppé.

Du perfide couteau comme eux il fut frappé.

Mais Dieu du coup mortel sut détourner l’atteinte.

Conserva dans son cœur la chaleur presque éteinte,

Permit que des bourreaux trompant l’œil vigilant,

Josabet dans son sein l’emportât tout sanglant,

Et n’ayant de son vol que moi seul pour complice,

Dans le temple cachât l’enfant et la nourrice.

JOAS.

Hélas ! de tant d’amour et de tant de bienfaits,

Mon père, quel moyen de m’acquitter jamais ?

JOAD.

Gardez pour d’autres temps cette reconnaissance.

Voilà donc votre roi, votre unique espérance.

J’ai pris soin jusqu’ici de vous le conserver :

Ministres du Seigneur, c’est à vous d’achever.

Bientôt de Jézabel la fille meurtrière,

Instruite que Joas voit encor la lumière,

Dans l’horreur du tombeau viendra le replonger.

Déjà, sans le connaître, elle veut l’égorger.

Prêtres saints, c’est à vous de prévenir sa rage.

Il faut finir des Juifs le honteux esclavage,

Venger vos princes morts, relever votre loi,

Et faire aux deux tribus[189] reconnaître leur roi.

L’entreprise, sans doute, est grande et périlleuse.

J’attaque sur son trône une reine orgueilleuse,

Qui voit sous ses drapeaux marcher un camp nombreux

De hardis étrangers, d’infidèles Hébreux.

Mais ma force est au Dieu dont l’intérêt me guide.

Songez qu’en cet enfant tout Israël réside.

Déjà ce Dieu vengeur commence à la troubler,

Déjà trompant ses soins, j’ai su vous rassembler.

Elle nous croit ici sans armes, sans défense.

Couronnons, proclamons Joas en diligence.

De là, du nouveau prince intrépides soldats,

Marchons, en invoquant l’arbitre des combats ;

Et réveillant la foi dans les cœurs endormie,

Jusque dans son palais cherchons notre ennemie.

Et quels cœurs si plongés dans un lâche sommeil,

Nous voyant avancer dans ce saint appareil,

Ne s’empresseront pas à suivre notre exemple ?

Un roi que Dieu lui-même a nourri dans son temple,

Le successeur d’Aaron de ses prêtres suivi,

Conduisant au combat les enfants de Lévi,

Et dans ces mêmes mains des peuples révérées,

Les armes au Seigneur par David consacrées ?

Dieu sur ses ennemis répandra sa terreur.

Dans l’infidèle sang baignez-vous sans horreur ;

Frappez et Tyriens, et même Israélites.

Ne descendez-vous pas de ces fameux lévites

Qui lorsqu’au Dieu du Nil le volage Israël

Rendit dans le désert un culte criminel,

De leurs plus chers parents saintement homicides,

Consacrèrent leurs mains dans le sang des perfides[190],

Et par ce noble exploit vous acquirent l’honneur

D’être seuls employés aux autels du Seigneur ?

Mais je vois que déjà vous brûlez de me suivre[191].

Jurez donc, avant tout, sur cet auguste livre[192],

À ce roi que le ciel vous redonne aujourd’hui,

De vivre, de combattre, et de mourir pour lui.

AZARIAS[193].

Oui, nous jurons ici pour nous, pour tous nos frères,

De rétablir Joas au trône de ses pères,

De ne poser le fer entre nos mains remis,

Qu’après l’avoir vengé de tous ses ennemis.

Si quelque transgresseur enfreint cette promesse,

Qu’il éprouve, grand Dieu, ta fureur vengeresse :

Qu’avec lui ses enfants, de ton partage exclus,

Soient au rang de ces morts que tu ne connais plus[194].

JOAD.

Et vous, à cette loi, votre règle éternelle[195],

Roi, ne jurez-vous pas d’être toujours fidèle ?

JOAS.

Pourrais-je à cette loi ne me pas conformer ?

JOAD.

Ô mon fils, de ce nom j’ose encor vous nommer,

Souffrez cette tendresse, et pardonnez aux larmes

Que m’arrachent pour vous de trop justes alarmes.

Loin du trône nourri, de ce fatal honneur

Hélas ! vous ignorez le charme empoisonneur.

De l’absolu pouvoir vous ignorez l’ivresse,

Et des lâches flatteurs la voix enchanteresse.

Bientôt ils vous diront que les plus saintes lois,

Maîtresses du vil peuple, obéissent aux rois ;

Qu’un roi n’a d’autre frein que sa volonté même ;

Qu’il doit immoler tout à sa grandeur suprême ;

Qu’aux larmes, au travail, le peuple est condamné,

Et d’un sceptre de fer veut être gouverné ;

Que s’il n’est opprimé, tôt ou tard il opprime.

Ainsi de piège en piège, et d’abîme en abîme,

Corrompant de vos mœurs l’aimable pureté,

Ils vous feront enfin haïr la vérité,

Vous peindront la vertu sous une affreuse image.

Hélas ! ils ont des rois égaré le plus sage[196].

Promettez sur ce livre, et devant ces témoins,

Que Dieu fera toujours le premier de vos soins ;

Que sévère aux méchants, et des bons le refuge,

Entre le pauvre et vous, vous prendrez Dieu pour juge[197],

Vous souvenant, mon fils, que caché sous ce lin,

Comme eux vous fûtes pauvre, et comme eux orphelin[198].

JOAS[199].

Je promets d’observer ce que la loi m’ordonne.

Mon Dieu, punissez-moi si je vous abandonne.

JOAD.

Venez : de l’huile sainte il faut vous consacrer.

Paraissez, Josabet : vous pouvez vous montrer.

 

 

Scène IV

 

JOAS, JOAD, JOSABET, ZACHARIE, AZARIAS, etc.[200], SALOMITH, LE CHŒUR

 

JOSABET, embrassant Joas.

Ô Roi, fils de David !

JOAS.

Ô mon unique mère !

Venez, cher Zacharie, embrasser votre frère.

JOSABET, à Zacharie.

Aux pieds de votre roi prosternez-vous, mon fils[201].

JOAD, pendant qu’ils s’embrassent.

Enfants, ainsi toujours puissiez-vous être unis !

JOSABET, à Joas.

Vous savez donc quel sang vous a donné la vie ?

JOAS.

Et je sais quelle main sans vous me l’eût ravie.

JOSABET.

De votre nom, Joas, je puis donc vous nommer.

JOAS.

Joas ne cessera jamais de vous aimer.

LE CHŒUR.

Quoi ? c’est là...

JOSABET.

C’est Joas.

JOAD.

Écoutons ce lévite.

 

 

Scène V

 

JOAS, JOSABET, JOAD, etc., UN LÉVITE

 

UN LÉVITE.

J’ignore contre Dieu quel projet on médite.

Mais l’airain menaçant frémit de toutes parts ;

On voit luire des feux parmi des étendards ;

Et sans doute Athalie assemble son armée.

Déjà même au secours toute voie est fermée ;

Déjà le sacré mont, où le temple est bâti,

D’insolents Tyriens est partout investi.

L’un d’eux, en blasphémant, vient de nous faire entendre

Qu’Abner est dans les fers, et ne peut nous défendre.

JOSABET, à Joas.

Cher enfant, que le ciel en vain m’avait rendu,

Hélas ! pour vous sauver, j’ai fait ce que j’ai pu.

Dieu ne se souvient plus de David votre père.

JOAD, à Josabet[202].

Quoi ? vous ne craignez pas d’attirer sa colère

Sur vous et sur ce roi si cher à votre amour ?

Et quand Dieu, de vos bras l’arrachant sans retour,

Voudrait que de David la maison fût éteinte,

N’êtes-vous pas ici sur la montagne sainte

Où le père des Juifs[203] sur son fils innocent

Leva sans murmurer un bras obéissant,

Et mit sur un bûcher ce fruit de sa vieillesse,

Laissant à Dieu le soin d’accomplir sa promesse,

Et lui sacrifiant, avec ce fils aimé,

Tout l’espoir de sa race, en lui seul renfermé ?

Amis, partageons-nous. Qu’Ismaël en sa garde

Prenne tout le côté que l’orient regarde ;

Vous, le côté de l’ourse[204] ; et vous, de l’occident ;

Vous, le midi[205]. Qu’aucun, par un zèle imprudent,

Découvrant mes desseins, soit prêtre, soit Lévite,

Ne sorte avant le temps, et ne se précipite ;

Et que chacun enfin, d’un même esprit poussé,

Garde en mourant le poste où je l’aurai placé.

L’ennemi nous regarde, en son aveugle rage,

Comme de vils troupeaux réservés au carnage,

Et croit ne rencontrer que désordre et qu’effroi.

Qu’Azarias partout accompagne le Roi.

À Joas[206].

Venez, cher rejeton d’une vaillante race,

Remplir vos défenseurs d’une nouvelle audace ;

Venez du diadème à leurs yeux vous couvrir[207],

Et périssez du moins en roi, s’il faut périr.

À un lévite.

Suivez-le, Josabet. Vous, donnez-moi ces armes.

Enfants, offrez à Dieu vos innocentes larmes[208].

 

 

Scène VI

 

SALOMITH, LE CHŒUR

 

TOUT LE CHŒUR chante.

Partez, enfants d’Aaron, partez.

Jamais plus illustre querelle

De vos aïeux n’arma le zèle.

Partez, enfants d’Aaron, partez.

C’est votre roi, c’est Dieu pour qui vous combattez.

UNE VOIX seule.

Où sont les traits que tu lances,

Grand Dieu, dans ton juste courroux ?

N’es-tu plus le Dieu jaloux[209] ?

N’es-tu plus le Dieu des vengeances[210] ?

UNE AUTRE.

Où sont, Dieu de Jacob, tes antiques bontés ?

Dans l’horreur qui nous environne,

N’entends-tu que la voix de nos iniquités ?

N’es-tu plus le Dieu qui pardonne ?

TOUT LE CHŒUR.

Où sont, Dieu de Jacob, tes antiques bontés ?

UNE VOIX seule.

C’est à toi que dans cette guerre

Les flèches des méchants prétendent s’adresser.

« Faisons, disent-ils, cesser

Les fêtes de Dieu sur la terre[211].

De son joug importun délivrons les mortels.

Massacrons tous ses saints. Renversons ses autels.

Que de son nom, que de sa gloire

Il ne reste plus de mémoire ;

Que ni lui ni son Christ[212] ne règnent plus sur nous. »

TOUT LE CHŒUR.

Où sont les traits que tu lances,

Grand Dieu, dans ton juste courroux ?

N’es-tu plus le Dieu jaloux ?

N’es-tu plus le Dieu des vengeances ?

UNE VOIX seule.

Triste reste de nos rois,

Chère et dernière fleur d’une tige si belle,

Hélas ! sous le couteau d’une mère cruelle

Te verrons-nous tomber une seconde fois ?

Prince aimable, dis-nous si quelque ange au berceau

Contre tes assassins prit soin de te défendre ;

Ou si dans la nuit du tombeau

La voix du Dieu vivant a ranimé ta cendre.

UNE AUTRE.

D’un père et d’un aïeul contre toi révoltés,

Grand Dieu, les attentats lui sont-ils imputés ?

Est-ce que sans retour ta pitié l’abandonne ?

LE CHŒUR.

Où sont, Dieu de Jacob, tes antiques bontés?

N’es-tu plus le Dieu qui pardonne ?

UNE DES FILLES DU CHŒUR, sans chanter.

Chères sœurs, n’entendez-vous pas

Des cruels Tyriens la trompette qui sonne ?

SALOMITH.

J’entends même les cris des barbares soldats,

Et d’horreur j’en frissonne.

Courons, fuyons ; retirons-nous[213]

À l’ombre salutaire

Du redoutable sanctuaire.

 

 

ACTE V

 

 

Scène première

 

ZACHARIE, SALOMITH, LE CHŒUR

 

SALOMITH.

Cher Zacharie, hé bien ? que nous apprenez-vous[214] ?

ZACHARIE.

Redoublez au Seigneur votre ardente prière.

Peut-être nous touchons à notre heure dernière.

Pour l’horrible combat, ma sœur, l’ordre est donné.

SALOMITH.

Que fait Joas ?

ZACHARIE.

Joas vient d’être couronné.

Le grand prêtre a sur lui répandu l’huile sainte[215].

Ô ciel ! dans tous les yeux quelle joie était peinte

À l’aspect de ce roi racheté du tombeau !

Ma sœur, on voit encor la marque du couteau.

On voit paraître aussi sa fidèle nourrice,

Qui cachée en un coin de ce vaste édifice,

Gardait ce cher dépôt, et n’avait de ses soins

Que les yeux de ma mère et que Dieu pour témoins.

Nos lévites pleuraient de joie et de tendresse,

Et mêlaient leurs sanglots à leurs cris d’allégresse.

Lui, parmi ces transports, affable[216] et sans orgueil,

À l’un tendait la main, flattait l’autre de l’œil[217],

Jurait de se régler par leurs avis sincères,

Et les appelait tous ses pères ou ses frères.

SALOMITH.

Ce secret au dehors est-il aussi semé ?

ZACHARIE.

Ce secret dans le temple est encor renfermé.

Des enfants de Lévi la troupe partagée

Dans un profond silence aux portes s’est rangée.

Tous doivent à la fois précipiter leurs pas,

Et crier pour signal : « Vive le roi Joas[218] ! »

Mais mon père défend que le Roi se hasarde,

Et veut qu’Azarias demeure pour sa garde.

Cependant Athalie, un poignard à la main,

Rit des faibles remparts de nos portes d’airain.

Pour les rompre, elle attend les fatales machines,

Et ne respire enfin que sang et que ruines.

Quelques prêtres, nia sœur, ont d’abord proposé

Qu’en un lieu souterrain, par nos pères creusé,

On renfermât du moins notre arche précieuse.

« Ô crainte, a dit mon père, indigne, injurieuse !

L’arche, qui fit tomber tant de superbes tours[219],

Et força le Jourdain de rebrousser son cours[220],

Des dieux des nations tant de fois triomphante,

Fuirait donc à l’aspect d’une femme insolente ? »

Ma mère, auprès du Roi, dans un trouble mortel,

L’œil tantôt sur ce prince et tantôt vers l’autel,

Muette, et succombant sous le poids des alarmes,

Aux yeux les plus cruels arracherait des larmes.

Le Roi de temps en temps la presse entre ses bras,

La flatte Chères sœurs, suivez toutes mes pas ;

Et s’il faut aujourd’hui que notre roi périsse,

Allons, qu’un même sort avec lui nous unisse.

SALOMITH.

Quelle insolente main frappe à coups redoublés ?

Qui fait courir ainsi ces lévites troublés ?

Quelle précaution leur fait cacher leurs armes ?

Le temple est-il forcé ?

ZACHARIE.

Dissipez vos alarmes :

Dieu nous envoie Abner.

 

 

Scène II

 

ABNER, JOAD, JOSABET, ZACHARIE, SALOMITH, ISMAËL, DEUX LÉVITES, etc.[221]

 

JOAD.

En croirai-je mes yeux,

Cher Abner ? Quel chemin a pu jusqu’en ces lieux

Vous conduire au travers d’un camp qui nous assiège ?

On disait que d’Achab la fille sacrilège

Avait, pour assurer ses projets inhumains,

Chargé d’indignes fers vos généreuses mains.

ABNER.

Oui, Seigneur, elle a craint mon zèle et mon courage.

Mais c’est le moindre prix que me gardais sa rage.

Dans l’horreur d’un cachot par son ordre enfermé,

J’attendais que le temple en cendres consumé,

De tant de flots de sang non encore assouvie,

Elle vînt m’affranchir d’une importune vie,

Et retrancher des jours qu’aurait dû mille fois

Terminer la douleur de survivre à mes rois.

JOAD.

Par quel miracle a-t-on obtenu votre grâce ?

ABNER.

Dieu dans ce cœur cruel sait seul ce qui se passe.

Elle m’a fait venir, et d’un air égaré :

« Tu vois de mes soldats tout ce temple entouré,

Dit-elle. Un feu vengeur va le réduire en cendre,

Et ton Dieu contre moi ne le saurait défendre.

Ses prêtres toutefois, mais il faut se hâter,

À deux conditions peuvent se racheter :

Qu’avec Éliacin on mette en ma puissance

Un trésor dont je sais qu’ils ont la connaissance,

Par votre roi David autrefois amassé,

Sous le sceau du secret au grand prêtre laissé.

Va, dis-leur qu’à ce prix je leur permets de vivre. »

JOAD.

Quel conseil, cher Abner, croyez-vous qu’on doit suivre ?

ABNER.

Et tout l’or de David, s’il est vrai qu’en effet

Vous gardiez de David quelque trésor secret,

Et tout ce que des mains de cette reine avare

Vous avez pu sauver et de riche et de rare,

Donnez-le. Voulez-vous que d’impurs assassins

Viennent briser l’autel, brûler les chérubins[222],

Et portant sur notre arche une main téméraire,

De votre propre sang souiller le sanctuaire ?

JOAD.

Mais siérait-il, Aimer, à des cœurs généreux

De livrer au supplice un enfant malheureux,

Un enfant que Dieu même à ma garde confie,

Et de nous racheter aux dépens de sa vie ?

ABNER.

Hélas ! Dieu voit mon cœur. Plût à ce Dieu puissant

Qu’Athalie oubliât un enfant innocent,

Et que du sang d’Abner sa cruauté contente

Crût calmer par ma mort le ciel qui la tourmente !

Mais que peuvent pour lui vos inutiles soins ?

Quand vous périrez tous, en périra-t-il moins ?

Dieu vous ordonne-t-il de tenter l’impossible ?

Pour obéir aux lois d’un tyran inflexible,

Moïse, par sa mère au Nil abandonné,

Se vit presque en naissant à périr condamné ;

Mais Dieu le conservant contre toute espérance,

Fit par le tyran même élever son enfance.

Qui sait ce qu’il réserve à votre Éliacin,

Et si lui préparant un semblable destin,

Il n’a point de pitié déjà rendu capable

De nos malheureux rois l’homicide implacable ?

Du moins, et Josabet, comme moi, l’a pu voir,

Tantôt à son aspect je l’ai vu[223] s’émouvoir ;

J’ai vu de son courroux tomber la violence.

Princesse, en ce péril vous gardez le silence ?

Hé quoi ? pour un enfant qui vous est étranger

Souffrez-vous que sans fruit Joad laisse égorger

Vous, son fils, tout ce peuple, et que le feu dévore

Le seul lieu sur la terre où Dieu veut qu’on l’adore ?

Que feriez-vous de plus, si des rois vos aïeux

Ce jeune enfant était un reste précieux ?

JOSABET, tout bas à Joad[224].

Pour le sang de ses rois vous voyez sa tendresse :

Que ne lui parlez-vous ?

JOAD.

Il n’est pas temps, Princesse.

ABNER.

Le temps est cher, Seigneur, plus que vous ne pensez.

Tandis qu’à me répondre ici vous balancez,

Mathan près d’Athalie étincelant de rage,

Demande le signal et presse le carnage.

Faut-il que je me jette à vos sacrés genoux ?

Au nom du lieu si saint qui n’est ouvert qu’à vous[225],

Lieu terrible où de Dieu la majesté repose,

Quelque dure que soit la loi qu’on vous impose,

De ce coup imprévu songeons à nous parer.

Donnez-moi seulement le temps de respirer.

Demain, dès cette nuit, je prendrai des mesures

Pour assurer le temple et venger ses injures.

Mais je vois que mes pleurs et que mes vains discours

Pour vous persuader sont un faible secours :

Votre austère vertu n’en peut être frappée.

Hé bien ! trouvez-moi donc quelque arme, quelque épée ;

Et qu’aux portes du temple, où l’ennemi m’attend,

Abner puisse du moins mourir en combattant.

JOAD.

Je me rends. Vous m’ouvrez un avis que j’embrasse.

De tant de maux, Abner, détournons la menace.

Il est vrai, de David un trésor est resté.

La garde en fut commise à ma fidélité.

C’était des tristes Juifs l’espérance dernière,

Que mes soins vigilants cachaient à la lumière.

Mais puisqu’à votre reine il faut le découvrir[226],

Je vais la contenter, nos portes vont s’ouvrir.

De ses plus braves chefs qu’elle entre accompagnée ;

Mais de nos saints autels qu’elle tienne éloignée

D’un ramas d’étrangers l’indiscrète fureur.

Du pillage du temple épargnez-moi l’horreur.

Des prêtres, des enfants lui feraient-ils quelque ombre[227] ?

De sa suite avec vous qu’elle règle le nombre.

Et quant à cet enfant si craint, si redouté,

De votre cœur, Abner, je connais l’équité.

Je vous veux devant elle expliquer sa naissance :

Vous verrez s’il le faut remettre en sa puissance ;

Et je vous ferai juge entre Athalie et lui.

ABNER.

Ah ! je le prends déjà, Seigneur, sous mon appui[228].

Ne craignez rien. Je cours vers celle qui m’envoie.

 

 

Scène III

 

JOAD, JOSABET, ISMAËL, ZAGHARIE, etc.[229]

 

JOAD.

Grand Dieu, voici ton heure, on t’amène ta proie.

Ismaël, écoutez.

Il lui parle à l’oreille[230].

JOSABET.

Puissant maître des cieux,

Remets-lui le bandeau dont tu couvris ses yeux,

Lorsque lui dérobant tout le fruit de son crime,

Tu cachas dans mon sein cette tendre victime.

JOAD.

Allez, sage Ismaël, ne perdez point de temps :

Suivez de point en point ces ordres importants.

Surtout qu’à son entrée et que sur son passage

Tout d’un calme profond lui présente l’image.

Vous, enfants, préparez un trône pour Joas.

Qu’il s’avance suivi de nos sacrés soldats.

Faites venir aussi sa fidèle nourrice,

Princesse, et de vos pleurs que la source tarisse.

À un lévite.

Vous, dès que cette reine, ivre d’un fol orgueil,

De la porte du temple aura passé le seuil,

Qu’elle ne pourra plus retourner en arrière,

Prenez soin qu’à l’instant la trompette guerrière

Dans le camp ennemi jette un subit effroi.

Appelez tout le peuple au secours de son roi ;

Et faites retentir jusques à son oreille

De Joas conservé l’étonnante merveille.

Il vient.

 

 

Scène IV

 

JOAS, JOAD, JOSABET, TROUPES DE PRÊTRES ET DE LÉVITES, etc.[231]

 

JOAD continue.

Lévites saints, prêtres de notre Dieu,

Partout, sans vous montrer, environnez ce lieu[232] ;

Et laissant à mes soins gouverner votre zèle,

Pour paraître attendez que ma voix vous appelle.

Ils se cachent tous.

Roi, je crois qu’à vos vœux cet espoir est permis,

Venez voir à vos pieds tomber vos ennemis.

Celle dont la fureur poursuivit votre enfance

Vers ces lieux à grands pas pour vous perdre s’avance.

Mais ne la craignez point. Songez qu’autour de vous

L’ange exterminateur est debout avec nous.

Montez sur votre trône, et Mais la porte s’ouvre :

Permettez un moment que ce voile vous couvre.

Il tire un rideau.

Vous changez de couleur, Princesse ?

JOSABET.

Ah ! sans pâlir,

Puis-je voir d’assassins le temple se remplir ?

Quoi ? ne voyez-vous pas quelle nombreuse escorte...

JOAD.

Je vois que du saint temple on referme la porte.

Tout est en sûreté.

 

 

Scène V

 

ATHALIE, JOAS, caché derrière le rideau, JOAD, JOSABET, ABNER, SUITE D’ATHALIE

 

ATHALIE, à Joad.

Te voilà, séducteur,

De ligues, de complots pernicieux auteur,

Qui dans le trouble seul as mis tes espérances,

Éternel ennemi des suprêmes puissances.

En l’appui de ton Dieu tu t’étais reposé.

De ton espoir[233] frivole es-tu désabusé ?

Il laisse en mon pouvoir et son temple et ta vie[234].

Je devrais sur l’autel, où ta main sacrifie,

Te... Mais du prix qu’on m’offre il faut me contenter.

Ce que tu m’as promis, songe à l’exécuter.

Cet enfant, ce trésor, qu’il faut qu’on me remette,

Où sont-ils ?

JOAD.

Sur-le-champ tu seras satisfaite :

Je te les vais montrer l’un et l’autre à la fois.

Le rideau se tire.

Paraissez, cher enfant, cligne sang de nos rois[235].

Connais-tu l’héritier du plus saint des monarques,

Reine ? De ton poignard connais du moins ces marques.

Voilà ton roi, ton fils, le fils d’Okosias.

Peuples, et vous, Abner, reconnaissez Joas.

ABNER.

Ciel !

ATHALIE, à Joad.

Perfide !

JOAD.

Vois-tu cette Juive fidèle,

Dont tu sais bien qu’alors il suçait la mamelle ?

Il fut par Josabet à ta rage enlevé.

Ce temple le reçut, et Dieu l’a conservé.

Des trésors de David voilà ce qui me reste.

ATHALIE.

Ta fourbe à cet enfant, traître, sera funeste.

D’un fantôme odieux, soldats, délivrez-moi.

JOAD.

Soldats du Dieu vivant, défendez votre roi.

Ici le fond du théâtre s’ouvre. On voit le dedans du temple ; et les lévites armés sortent[236] de tous cotés sur la scène.

ATHALIE.

Où suis-je ? Ô trahison ! ô reine infortunée[237].

D’armes et d’ennemis je suis environnée.

JOAD.

Tes yeux cherchent en vain, tu ne peux échapper,

Et Dieu de toutes parts a su t’envelopper.

Ce Dieu que tu bravais, en nos mains t’a livrée.

Rends-lui compte du sang dont tu t’es enivrée[238].

ATHALIE.

Quoi ? la peur a glacé mes indignes soldats ?

Lâche Abner, dans quel piège as-tu conduit mes pas !

ABNER.

Reine, Dieu m’est témoin...

ATHALIE.

Laisse là ton Dieu, traître,

Et venge-moi.

ABNER, se jetant aux pieds de Joas.

Sur qui ? Sur Joas ! sur mon maître !

ATHALIE.

Lui Joas ? lui ton roi ? Songez, méchants, songez

Que mes armes encor vous tiennent assiégés.

J’entends à haute voix tout mon camp qui m’appelle.

On vient à mon secours. Tremblez, troupe rebelle.

 

 

Scène VI

 

ISMAËL, JOAS, JOAD, ATHALIE, etc.[239]

 

ISMAËL, à Joad.

Seigneur, le temple est libre et n’a plus d’ennemis.

L’étranger est en fuite, et le Juif est soumis.

Comme le vent dans l’air dissipe la fumée,

La voix du Tout-Puissant a chassé cette armée[240].

Nos lévites, du haut de nos sacrés parvis[241],

D’Okosias au peuple ont annoncé le fils,

Ont conté son enfance au glaive dérobée,

Et la fille d’Achab dans le piège tombée.

Partout en même temps la trompette a sonné.

Et ses sons et leurs cris dans son camp étonné

Ont répandu le trouble et la terreur subite

Dont Gédéon frappa le fier Madianite[242].

Les Tyriens, jetant armes et boucliers,

Ont, par divers chemins, disparu les premiers.

Quelques Juifs éperdus ont aussi pris la fuite ;

Mais de Dieu sur Joas admirant la conduite,

Le reste à haute voix s’est pour lui déclaré.

Enfin d’un même esprit tout le peuple inspiré,

Femmes, vieillards, enfants, s’embrassant avec joie[243],

Bénissent le Seigneur et celui qu’il envoie.

Tous chantent de David le fils ressuscité.

Baal est en horreur dans la sainte cité.

De son temple profane on a brisé les portes.

Mathan est égorgé[244].

ATHALIE.

Dieu des Juifs, tu l’emportes !

Oui, c’est Joas, je cherche en vain à me tromper.

Je reconnais l’endroit où je le fis frapper ;

Je vois d’Okosias et le port et le geste :

Tout me retrace enfin un sang que je déteste.

David, David triomphe ; Achab seul est détruit[245].

Impitoyable Dieu, toi seul as tout conduit.

C’est toi qui me flattant d’une vengeance aisée,

M’as[246] vingt fois eu un jour à moi-même opposée,

Tantôt pour un enfant excitant mes remords,

Tantôt m’éblouissant de tes riches trésors,

Que j’ai craint de livrer aux flammes, au pillage.

Qu’il règne donc ce fils, ton soin et ton ouvrage ;

Et que pour signaler son empire nouveau,

On lui fasse en mon sein enfoncer le couteau.

Voici ce qu’en mourant lui souhaite sa mère :

Que dis-je, souhaiter ? je me flatte, j’espère

Qu’indocile à ton joug, fatigué de ta loi,

Fidèle au sang d’Achab, qu’il a reçu de moi,

Conforme à son aïeul, à son père semblable.

On verra de David l’héritier détestable

Abolir tes honneurs, profaner ton autel,

Et venger Athalie, Achab et Jézabel[247].

JOAD.

Qu’à l’instant hors du temple elle soit emmenée[248],

Et que la sainteté n’en soit point profanée.

Allez, sacrés vengeurs de vos princes meurtris[249],

De leur sang par sa mort faire cesser les cris.

Si quelque audacieux embrasse sa querelle,

Qu’à la fureur du glaive on le livre avec elle.

 

 

Scène VII

 

JOAS, JOAD, JOSABET, ABNER, etc.

 

JOAS.

Dieu, qui voyez mon trouble et mon affliction[250],

Détournez loin de moi sa malédiction,

Et ne souffrez jamais qu’elle soit accomplie.

Faites que Joas meure avant qu’il vous oublie.

JOAD, aux lévites.

Appelez tout le peuple, et montrons-lui son roi.

Qu’il lui vienne en ses mains renouveler sa foi.

Roi, prêtres, peuple, allons, pleins de reconnaissance.

De Jacob avec Dieu confirmer l’alliance,

Et saintement confus de nos égarements,

Nous rengager à lui par de nouveaux serments.

Abner, auprès du Roi reprenez votre place.

Hé bien ? de cette impie a-t-on puni l’audace[251] ?

 

 

Scène VIII

 

UN LÉVITE, JOAS, JOAD, etc.

 

UN LÉVITE.

Le fer a de sa vie expié les horreurs.

Jérusalem, longtemps en proie à ses fureurs,

De son joug odieux à la fin soulagée,

Avec joie en son sang la regarde plongée.

JOAD.

Par cette fin terrible, et due à ses forfaits,

Apprenez, roi des Juifs, et n’oubliez jamais

Que les rois dans le ciel ont un juge sévère,

L’innocence un vengeur, et l’orphelin un père[252].


[1] Le dernier roi de Juda était Ochozias, fils de Joram et d’Athalie. Josabeth ou Josaba était une fille aussi du roi de Juda, Joram, et sœur d’Ochozias. Voyez le livre IV des Rois, XI, 2. Des interprètes de l’Écriture, Menochius, entre autres, ont pensé qu’elle était sœur d’Ochozias, de père et non de mère. Le Synopsis (tome I, p. 649) dit de Josabeth : « Filia regis Joram ; non ab Athalia, sed ab alia uxore ; neque enim sacerdos pius ducturus eam fuisset ex familia idolatrica. » C’est l’opinion que Racine a adoptée dans sa Préface ; et au vers 171, où il appelle Athalie la marâtre de Josabeth.

[2] C’est un personnage d’invention, ainsi que les suivants, excepté Mathan. Les noms seuls sont pris dans la Bible. Celui d’Abner est au livre II des Rois, chapitres II et III.

[3] Le mot TROUPE est ici au singulier dans toutes les anciennes éditions, qui néanmoins ont TROUPES au pluriel dans l’indication des personnages de la scène IV de l’acte V.

[4] On voit dans le livre I des Paralipomènes, XXIII, 3, 4 et 5, que, sous David, lorsque les lévites furent comptés, ils étaient au nombre de trente-huit mille ; que vingt-quatre mille furent choisis pour le ministère du temple; qu’on les divisa en préposés, juges, portiers et musiciens ; que David avait partagé les sacrificateurs ou prêtres en vingt-quatre familles, seize composées des fils d’Éléazar, huit des fils d’Ithamar. (Ibidem, XXIV, 3-5.) Éléazar et Ithamar étaient fils d’Aaron, frère de Moïse. Les lévites remplissaient à tour de rôle les fonctions du ministère saint, chacune des diverses maisons de la tribu de Lévi servant à son tour : « Et distribuit eos David per vices filiorum Levi, Gerson videlicet, et Caath et Merari. » (Ibidem, XXIII, 6.) Voyez aussi le verset 24 du même chapitre. Le livre IV des Rois, XI, 9, et le livre II des Paralipomènes, XXIII, 8, nous montrent les troupes des lévites se succédant dans leurs fonctions chaque semaine.

[5] Dans les Sentiments de l’Académie française sur Athalie, cette phrase est censurée : « Il fallait qui pussent. Peut-être Racine n’a-t-il mis lesquels que pour éviter de faire le vers : qui pussent exercer la sacrificature. » Il était si facile d’éviter autrement levers, que Racine n’a pu se décider par un tel motif à prendre une tournure de phrase qu’il n’eût pas regardée comme très correcte.

[6] Les éditeurs modernes ont écrit étaient. Mais était est l’orthographe des éditions imprimées du vivant de Racine ; ce qui a fait dire à l’Académie dans ses Sentiments : « Étaient serait plus exact. » Voyez cependant le vers 82 d’Esther.

[7] Lightfoot, théologien anglican, que Racine avait consulté, comme le prouvent quelques-unes de ses notes manuscrites, parle de cette tradition à la page 74 de son tome I : « Fundamenta templi jacta in monte Moria, ubi Isaac fuerat oblatus. » Voyez aux vers 1438-1444.

[8] « Septem annorum erat Joas cum regnare cœpisset. »  (Livre IV des Rois, XI, 21 ; et livre II des Paralipomènes, XXIV, 1.)

[9] Cet auteur dit au livre Ier de son Histoire sacrée : « Gotholia (Gotholia est le même nom qu’Athalia, et se trouve aussi dans les Septante et dans Josèphe) imperium post occupavit, adempto nepoti imperio, etiam tum parvo puero, cui Joas nomen fuit. Sed huic ab avia præreptum imperium, post octo fere annos, per sacerdotem et populum, depulsa avia, redditum. » (Sulpitii Severi Opera omnia quæ extant, Lugd. Batavorum. Ex officina Elzeviriana, 1643, 1 volume in-12, p. 55.) – « J’ignore, dit Geoffroy, pourquoi Racine a transposé les noms de cet historien ecclésiastique : on le nomme ordinairement Sulpice Sévère. » Le critique pouvait se contenter de signaler l’usage qui a prévalu ; mais il lui eût été facile de se rendre compte des raisons que Racine a eues de dire Sévère Sulpice. Dans le catalogue que Gennadius a donné des illustres docteurs de l’Église, il est dit au chapitre XX : « Severus cognomento Sulpicius... » (S. Gennadii Massiliensis presbyteri libellus, etc., Helmœstadii, M.DC.XII, in-4°, p. 9.) Sulpice était donc le surnom de Sévère. Au tome VII, p. 32 des Archives historiques et statistiques du département du Rhône, M. Parelle dit avoir en sa possession un Sulpice Sévère, édition de 1574, in-12, qui a appartenu à Racine, et qu’il a annoté en latin depuis la première jusqu’à la dernière page. Sur le premier feuillet, au devant du titre, on trouve une lettre de Scaliger, où est justifié l’ordre des noms de l’historien ecclésiastique, tel que l’a adopté Racine.

[10] Racine a fait la même remarque dans le manuscrit dont nous avons parlé dans la Notice, et que nous désignerons ainsi : Notes manuscrites sur Athalie. On y lit : « Les Septante, aux Paralipomènes, disent que Joïada entreprit de rétablir Joas à la huitième année. » On lit cependant dans la même version, comme dans la Vulgate, au dernier verset du chapitre précédent, que Joas resta caché six ans dans la maison de Dieu. Racine était-il plus porté à adopter la huitième année pour le commencement du règne de Joas, par cette raison qu’il aurait cru remarquer dans cet âge de huit ans quelque chose de fatal pour l’avènement des rois de Juda ? Quelque singulière que puisse paraître cette idée, elle nous semble seule expliquer un passage de ses Notes manuscrites sur Athalie. Il y cite les versets 1 et 2 du chapitre XXXIV du livre II des Paralipomènes, qui commencent ainsi : « Octo annorum erat Josias cum regnare cœpisset, » et le verset 9 du chapitre XXXVI du même livre : « Octo annorum erat Joachim cum regnare cœpisset, » etc. Et en marge il a écrit : huit ans.

[11] « Ce que Racine avance ici n’est nullement exact. 1° Chaque Juif n’était point obligé d’écrire le volume de la loi. Cela n’eût été possible chez aucun peuple. Le commun des Juifs était si peu instruit qu’il fallait, tous les sept ans, dans l’année sabbatique, lire la loi au peuple assemblé, de peur qu’il ne l’oubliât. 2° Les rois n’étaient obligés d’écrire, et, suivant plusieurs interprètes, de faire écrire qu’une copie de la loi. Le passage de l’Écriture qui prescrit cette obligation la restreint même au Deutéronome. » (Sentiments de l’Académie.) – Il est permis de croire peu vraisemblables les faits admis par Racine ; mais fallait-il laisser supposer qu’il les eût avancés sans pouvoir les appuyer d’aucune autorité ? Il y a d’abord, en ce qui concerne les rois, le passage de l’Écriture dont parle l’Académie ; il est au chapitre XVII, versets 18 et 19 du Deutéronome : « Postquam autem sederit in solio regni sui, describet sibi Deuteronomium legis hujus in volumine... et habebit secum, legetque illud omnibus diebus vitæ suæ. » Philon (de Creatione principes) est de ceux qui ont compris que les rois devaient écrire cette loi du Deutéronome de leur propre main. Des commentateurs, il est vrai, sont d’avis qu’ils pouvaient se servir d’une autre main : « Alii censent potuisse uti aliena manu, » comme le dit Menochius dans son Commentaire sur les versets que nous venons de citer. Mais Racine a parlé de deux copies faites par les rois, d’une copie faite par chaque Juif. Il paraît que ces assertions, dans toute leur étendue, sont conformes à ce qu’a écrit sur le même sujet le célèbre rabbin Maimonide. Voici ce que nous lisons dans l’Introduction à l’Écriture sainte du P. Lamy (livre II, chapitre VIII) : « C’est une tradition reçue parmi les Juifs que Moïse donna à chaque chef des tribus un exemplaire de la loi, lequel chaque particulier copia ensuite. Maimonide dit qu’il y a un commandement exprès qui oblige chaque Israélite de copier pour soi le Pentateuque. Quand un père en aurait laissé un à son enfant, il n’est pas dispensé par là de cette obligation ; et ceux qui ne savent pas écrire doivent s’en faire copier un... Le Roi même devait en écrire deux : l’un comme particulier, l’autre comme roi, suivant les paroles du Deutéronome. » Voyez l’édition in-4° de l’Introduction à l’Écriture sainte, traduite du latin (par l’abbé Boyer, dit-on), et publiée à Lyon en M.DC.XCIX (p. 290 et 291). – Comme Racine avait lu le Synopsis criticorum, cité par lui dans ses Notes manuscrites sur Athalie, c’est peut-être là surtout qu’il avait puisé l’opinion combattue par l’Académie. On y lit en effet (tome I, p. 810) ce commentaire sur le Deutéronome, XVII, 18 et 19 : « Totum enim Pentateuchum describere tenebatur (rex), primum ut Israelita quivis, deinte iterum ut rex. » Puis on y cite diverses interprétations du passage que la Vulgate rend par Deuteronomium hujus legis, une entre autres suivant laquelle il s’agit d’un double exemplaire de la loi : « Duplum legis, id est duplum legis exemplar, unum quod secum ferret, quocumque iret, alterum quod in archivis haberet. »

[12] Ce jeune prince est le duc de Bourgogne, né le 6 août 1682, et par conséquent âgé, comme le dit Racine, de huit ans et demi au commencement de l’année 1691. Le duc de Beauvilliers, Fénelon, l’abbé de Beaumont et l’abbé Fleury dirigeaient depuis près de deux ans (août 1689) l’excellente éducation à laquelle le poète rend hommage. Dans la fable IX du XIIe livre de la Fontaine, publiée en 1694, le Loup et le Renard, fable qui paraît avoir été écrite vers le même temps que la Préface d’Athalie, on trouve aussi un témoignage de la précocité d’intelligence du jeune prince :

Ce qui m’étonne est qu’à huit ans

Un prince en fable ait mis la chose.

[13] Nous avons suivi le texte de l’édition in-i°. Les éditions in-12 de 1089 et de 1697 ont le singulier brille.

[14] C’est l’explication, en effet, que nous trouvons dans plusieurs interprètes de l’Écriture. Menochius (Commentarii totius scripturæ, 1630) a cette note sur le mot centuriones, qui est au verset 4 du chapitre XI du livre IV des Rois : « Quinque ex tribu Levi. » Estius (Annotationes in præcipua.... sacræ scripturæ loca, 1628) dit sur le verset 9 du même chapitre : « Sciendum est centuriones et milites, de quibus hic fit mentio, quos assumpsisse legitur Joïada, fuisse ex levitis.... Eos ergo, traditis armis a Davide deo sanctificatis, milites fecit. » Ces commentateurs n’avaient pas seuls parlé ainsi, puisque Racine en avait lu qui appuyaient leur interprétation sur des preuves que nous ne trouvons pas chez ceux-ci. Dans les Notes manuscrites sur Athalie, on lit : « Lichfot (Lightfoot) dit que tout se fit par les prêtres et par les lévites. » Les seules paroles de Lightfoot que nous avons trouvées ayant un certain rapport, mais assez éloigné, ce nous semble, avec celles que lui prête Racine, sont celles-ci : « Joïada illum perducit ad coronam, populum vero ad fœdus... Sacerdotes et levitæ primas regebant in coronatione. » (Tome I, p. 89.) M. A. Coquerel est d’avis que les cinq personnages nommés dans les Chroniques (c’est-à-dire dans les Paralipomènes, livre II, chapitre XXIII, 1) sont des commandants militaires, et non des membres de la tribu de Lévi ; que tel est le sens qu’offrent naturellement les Septante, Josèphe, la Vulgate et le texte hébreu. Ce n’est pas à nous de prononcer.

[15] Josèphe donne au grand prêtre le nom de ‘Iώδαος, les Septante celui de ‘Iωόαέ, la Vulgate celui de Joïada.

[16] M. de Meaux. (Note de Racine.) – Voyez le discours sur l’Histoire universelle, 2e partie, section IV. – La première édition du livre de Bossuet est de 1681

[17] Ces paroles sont tirées aussi de l’Histoire universelle, Ire partie, VIe époque. – Racine dit de même dans ses Notes manuscrites sur Athalie : « M. de Meaux appelle Joas précieux reste de la maison de David. »

[18] « Noluit autem Dominus disperdere Judam, propter David servum suum, sicut promiserat ei, ut daret illi lucernam, et filiis ejus cunctis diebus. » (Livre IV des Rois, VIII, 19.)

[19] « Fête étant pris indéfiniment et sans article, l’emploi du pronom celle n’est pas grammaticalement exact. Il eût été mieux de dire : J’ai choisi la fête de, etc. » (Sentiments de l’Académie.)

[20] Ces trois grandes fêtes étaient, d’après le Deutéronome, chapitre XVI, celle des Azymes (la Pâque), celle des Semaines (la Pentecôte), et celle des Tabernacles.

[21] Nous lisons de mime « mont de Sinaï » au vers 332. Cet emploi de la préposition de est blâmé dans les Sentiments de l’Académie. – Racine, dans sa tragédie, s’est indifféremment servi de la forme Sinaï, et de la forme Sina, qui est une contraction grecque du nom hébreu. Le Sinaï est dans l’Arabie pétrée ; il forme un des sommets de la chaîne de l’Horeb.

[22] Ou encore la fête des Semaines. Voyez le Deutéronome, XVI, 10. – Don Calmet, dans son Dictionnaire de la Bible, au mot Pentecôte, explique ainsi cette fête : « On y offrait les prémices des moissons du froment, qui s’achevaient alors. Ces prémices consistaient en deux pains levés de deux assarons de farine... Outre cela, on présentait au temple sept agneaux de l’année, un veau et deux béliers, pour être offerts en holocauste, deux agneaux en hosties pacifiques, et un bouc pour le péché... La fête de la Pentecôte était instituée parmi les Juifs : 1° pour obliger les Israélites à venir au temple du Seigneur pour y reconnaître son domaine absolu sur tout leur paya et sur leurs travaux, en lui offrant les prémices de leurs moissons ; 2° pour faire mémoire et pour lui rendre grâces de la loi qu’il leur avait donnée à pareil jour, qui était le cinquantième après leur sortie d’Égypte. »

[23] M. A. Coquerel, dans une note sur le vers 299 d’Athalie, fait cette remarque : « On s’est étonné que Racine ait introduit dans les parvis du temple, et comme y résidant, une troupe de jeunes filles ; on a pensé qu’il avait songé plutôt à l’institution de Saint-Cyr qu’au sanctuaire de Jérusalem. C’est une erreur. Les chants sacrés exécutés par les femmes d’Israël étaient dans les mœurs de la nation, comme on le voit par les exemples du retour de Jephté (Juges, XI, 34) et de David après une victoire (livre I des Rois, XVIII, 6). » – Voici un passage du Dictionnaire de la Bible de don Calmet, au mot Musique, sur les musiciennes : « Dans le temple même et dans les cérémonies de religion, on voyait des musiciennes aussi bien que des musiciens. C’étaient pour l’ordinaire des filles des lévites. Héman avait quatorze fils et trois filles qui savaient la musique (livre I des Paralipomènes, XXV, 5). Le Psaume IX est adressé à Ben ou Banaïas, chef de la bande des jeunes filles qui chantaient au temple. Esdras, dans le dénombrement qu’il fait de ceux qu’il ramène de la captivité, compte deux cents tant chantres que musiciennes (livre I d’Esdras, Il, 65). » Don Calmet cite encore le livre I des Paralipomènes, XV, 20 ; mais le sens de plusieurs des passages qu’il allègue est, paraît-il, très contestable.

[24] « Spiritus itaque Dei induit Zachariam, filium Joïadæ, sacerdotem. » (Livre II des Paralipomènes, XXIV, 20.)

[25] Dans l’Évangile de saint Jean, XI, 51, il est dit au sujet des paroles prophétiques de Caïphe : « Hoc autem a semetipso non dixit ; sed cum esset pontifex anni illius, prophetavit... » On en a conclu que le don de prophétie était attaché à sa qualité de souverain pontife. Lightfoot (tome II, p. 650) repousse cette interprétation : « Longissime petita est hujus rei ratio, dum adscribitur oflicio ejus pontificali, [perinde] ac si is ex ipso pontificatu fieret vates. Sententia non digna confutatione. »

[26] Voyez le livre II des Paralipomènes, XXIV, 17 et 22.

[27] « Zachariae, filii Barachiæ, quem occidistis inter templum et altare. » (Évangile de saint Matthieu, XXIII, 35.) – Il faut noter que saint Matthieu nomme le père de Zacharie Barachie, et non Joad, comme l’a fait Racine dans sa Préface et dans sa pièce, d’après le texte des Paralipomènes que nous avons cité à la note 5 de la page 13. Pour lever la difficulté, on a supposé que Zacharie était le petit-fils de Joad et de Josabeth. Ce degré de parenté est souvent exprimé dans l’Écriture par le mot fils. Lightfoot (tome II, p. 361) établit que Zacharie, tué entre le temple et l’autel, est le fils (ou petit-fils) de Joïada, non le père de saint Jean-Baptiste, ni le Zacharie qui figure parmi les douze prophètes. Il fait remarquer que Josèphe fait mention d’un Zacharie, fils de Barachus (nom presque semblable à celui de Barachias), tué dans le temple, peu de temps avant la destruction de ce temple ; mais il n’admet pas que le Christ ait voulu parler de lui prophétiquement, puisqu’il rappelle expressément des événements passés (occidistis). Voyez d’ailleurs Isaïe, chapitre VIII, verset 2.

[28] On lit dans les Notes manuscrites sur Athalie : « Depuis le meurtre de Zacharie, sanguis attigit sanguinem, l’état des Juifs a toujours été en dépérissant. (V. Lichf., tome II, p. 361) ; Gladius vester exedit prophetas vestros (p. 363). » – Ce n’est pas à la page 361, mais à la page 363 que Lightfoot dit : « Consule rimatius historiam, ac palam deprehendes ex illo fluere ac retro sublapsa referri omnia Judæorum ; cum sanguis sanguinem attingeret. » Il renvoie pour cette dernière citation à Osée, IV, 2 : « Sanguis sanguinem tetigit. » Il cite en même temps Jérémie, II, 3o, pour ces paroles : « Gladius vester exedit prophetas vestros, » un peu différemment traduits dans la Vulgate.

[29] Tout de suite est le texte de toutes les anciennes éditions ; dans quelques éditions modernes, on a imprimé : de suite.

[30] Au chapitre X, verset 5 du livre I des Rois, Samuel dit à Saül :

« Obvium habebis gregem prophetarum descendentium de excelso, et ante eos psalterium et tympanum, et tibiam, et citharam, ipsosque prophetantes. »

[31] « Faites-moi venir un joueur de harpe. » (Livre IV des Rois, III, 15.) Les éditions de 1691 et de 1692 ont psalten.

[32] Sur la trompette, employée comme instrument sacré, voyez le livre I des Paralipomènes, chapitre XV, verset 24, et le livre II, chapitre XXIX, verset 26, principalement les Nombres, chapitre X, versets 8 et 10 : « Filii autem Aaron sacerdotes clangent tubis ; eritque hoc legitimum sempiternum in generationihus vestris.... Si quando habebitis epulum, et dies festos, et calendas, canetis tubis super holocaustis et pacificis victimis, ut sint vobis in recordationem Dei vestri. »

[33] L’image que présente ce vers parait empruntée à Virgile (Géorgiques, livre II, vers 462) :

Mane salutantum tvtis vomit ædibus undam.

[34] Var. De leur champ dans leurs mains portant les nouveaux fruits. (1691 et 92)

[35] Louis Racine fait remarquer que « le bonnet du grand prêtre est appelé dans la Vulgate tantôt mitre (voyez ci-après le vers 39) et tantôt tiare. »

[36] Mathan est nommé dans l’Écriture comme prêtre de Baal : « Mathan quoque sacerdotem Baal occiderunt coram altari » (livre IV des Rois, XI, 18) ; « Mathan quoque sacerdotem Baal interfecerunt ante aras » (livre II des Paralipomènes, XXIII, 17). –Racine a supposé qu’il avait été autrefois lévite ou sacrificateur. Le caractère d’apostat tracé avec tant d’énergie dans la personne de ce prêtre de Baal est, en ce qui le concerne, tout entier de l’invention du poète. Mais, dans ses Notes manuscrites sur Athalie, Racine a rassemblé quelques passages des livres saints qui montrent que l’apostasie put souvent être reprochée aux prêtres : « Prêtres apostats. Mathan. Voyez Ezéchiel, chapitre VIII, idolâtrie des prêtres. – « Ad iracundiam me provocaverunt, ipsi et reges eorum... et sacerdotes eorum... Ædificaverunt excelsa Baal. » Jérémie, chapitre XXXII, verset 34. (Il eût fallu dire « versets 32 et 35 ; » la citation n’est pas d’ailleurs tout à fait textuelle.) – « Et in prophetis Jerusalem vidi similitudinem adulterantium. » Jérémie, chapitre XXIII, verset 14. – (Ibidem) verset 27 : « Qui volunt facere ut obliviscatur populus nominis mei, ...sicut obliti sunt patres eorum nominis mei propter Baal. – Ejicient ossa regum Juda... et ossa prophetarum... Et expandent ea ad solem et lunam et omnem militiam cœli, quæ... adoraverunt, etc. » Jérémie, chapitre VIII (versets 1 et 2). »

[37] Var. Pour vous perdre il n’est point de ressorts qu’il ne joue ;

Quelquefois il vous plaint, souvent même il vous loue. (1691)

– Dans les Sentiments de l’Académie on trouve la remarque suivante sur cette variante, et sur les deux vers qui sont devenus le texte définitif : « On ne peut dire jouer des ressorts ; car ce sont les ressorts qui jouent : on ne les joue point. On a mis dans quelques éditions : il n’est point de ressorts qu’il n’invente. La correction est faible ; et il vous vante, qu’on a substitué à il vous loue, pour la rime, n’est ni noble ni aussi expressif que il vous loue. » – Racine avait fait le changement dès l’édition de 1692, « parce qu’on ne dit point, comme le fait remarquer Louis Racine dans ses Notes sur la langue : jouer des ressorts, mais faire jouer des ressorts. » Les éditions de 1702 (Amsterdam) et de 1736 ont repris la première leçon : ne joue et loue. – Racine s’est peut-être souvenu de ce passage de Tacite (Vie d’Agricola, chapitre XLI), que Louis Racine, dans ses Remarques sur Athalie, n’a pas omis de citer : « Pessimum inimicorum genus, laudantes. »

[38] Il est dit au livre IV des Rois, VIII, 26, qu’Athalie était fille d’Amri, roi d’Israël ; mais il faut entendre petite-fille. Au verset 18 du même chapitre, on lit qu’elle était fille d’Achab (fils d’Amri). Celui-ci avait pour femme Jézabel, fille d’Ethbaal, roi de Sidon (livre III des Rois, XVI, 31).

[39] Voltaire a dit dans le Dictionnaire philosophique, Art dramatique (tome XXVII des Œuvres, p. 98 et 99) : « On a imprimé avec quelque fondement que Racine avait imité dans cette pièce plusieurs endroits de la tragédie de la Ligue faite par le conseiller d’État Matthieu, historiographe de France sous Henri IV... Constance dit dans la tragédie de Matthieu :

Je redoute mon Dieu, c’est lui seul que je crains. »

À la suite de ce vers, Voltaire en cite quelques autres, que nous rapprochons ci-après des vers 646-648 d’Athalie. Il ajoute : « Le plagiat paraît sensible, et cependant ce n’en est point un ; rien n’est plus naturel que d’avoir les mêmes idées sur le même sujet. » Il faut certainement écarter le mot de plagiat ; mais il paraît probable que Racine s’est souvenu de quelques vers qu’il avait sans doute notés dans une pièce où l’on trouve parfois des traits assez énergiques. Cette pièce a pour titre : le Triomphe de la Ligue, tragédie nouvelle, à Leyde, anno M.DC.VII (in-8°). Elle est sans nom d’auteur ; mais on sait qu’elle est de Nérée, et ne doit pas être confondue avec la Guisiade de Pierre Matthieu. Le titre de Triomphe de la Ligue estime antiphrase ; le sujet est la défaite de la Ligue, la mort du duc de Guise et du cardinal son frère. Les sentiments de cette tragédie sont royalistes, évidemment même huguenots. Voltaire a mal cité le vers qu’il a emprunté à la scène première de l’acte II. Il se lit ainsi :

Je ne crains que mon Dieu, lui tout seul je redoute.

C’est la réponse du garde-loix Constance à Nicodème, royaliste timide, qui vient de lui dire :

Ne redoutez-vous point qu’un ligueur vous écoute ?

[40] Boyer dans son Jephté (acte III, scène I) a dit par un plagiat maladroit :

Hé ! quels noms donnez-vous au zèle officieux

Qui veut régler le vôtre, et vous ouvrir les yeux ?

[41] « Cette expression pour dire huit ans sont déjà passés depuis que n’est pas exacte. Cependant le sens est clair, le tour est vif, et peut-être préférable à la construction régulière. D’ailleurs Malherbe, qui l’avait déjà employée dans la Prosopopée d’Ostende : « Trois ans déjà passés... » a paru faire autorité. » (Sentiments de l’Académie.) – Le vers de Malherbe que rappelle l’Académie est le premier de la Prosopopée d’Ostende (tome I des Œuvres de Malherbe, p. 56, Poésie XIII) :

Trois ans déjà passés, théâtre de la guerre, etc.

[42] La qualité d’étrangère ne permettait pas à Athalie de régner légitimement : « Non poteris alterius gentis hominem regem facere. » (Deutéronome, XVII, 15.)

[43] En supposant qu’Abner avait servi sous les trois rois de Juda auxquels Athalie avait succédé par l’usurpation, Racine s’est donné l’occasion de rappeler par quelques traits rapides leur souvenir. Le règne du pieux Josaphat, quatrième roi de Juda et fils d’Aza, est raconté au chapitre XXII du livre III des Rois et aux chapitres XVII-XX du livre II des Paralipomènes. Son fils Joram lui succéda, régna huit ans à Jérusalem, et suivit les voies des rois d’Israël. (Livre II des Paralipomènes, XXI, 5 et 6.) Le sceptre de Juda passa, après lui, aux mains d’Ochozias, le plus jeune et le seul survivant de ses fils. Ochozias ne régna qu’un an. On peut lire dans le chapitre IX du livre IV des Rois comment Ochozias, qui avait été trouver, à Jesraël, le roi d’Israël Joram, fut attaqué avec lui par Jéhu, qu’Élisée avait fait sacrer roi d’Israël par un de ses disciples, afin qu’il détruisît la maison d’Achab. Jéhu tua Joram de sa propre main, et fit poursuivre Ochozias par ses soldats, avec ordre de le tuer. Ochozias, blessé par eux, alla mourir à Mageddo. Suivant le livre II des Paralipomènes (XXII, 9), Jéhu le tua à Samarie.

[44] « Numquid manducabo carnes taurorum, aut sanguinem hircorum potabo ? Immola Deo sacrificium laudis... » (Psaume XLIX, 13 et 14.) J. B. Rousseau a aussi traduit ce passage dans l’ode IV de son livre I :

Que m’importent vos sacrifices,

Vos offrandes et vos troupeaux ?

Dieu boit-il le sang des génisses ?

Mange-t-il la chair des taureaux ?

– Dans le chapitre Ier de la Prophétie d’Isaïe (versets 12, 17 et 18) on trouve une pensée semblable, plus développée, et avec un mouvement dont on reconnaît l’imitation dans les vers de Racine : « Quo mihi multitudinem victimarum vestrarum, dicit Dominus ? Plenus sum. Holocausta arictum, et adipem pinguium, et sanguinem vitulorum et agnorum et hircorum nolui... Discite benefacere ; quærite judicium, subvenite oppresso, judicate pupillo, defendite viduain. Et venite... » On pourrait citer dans le même sens d’autres passages des livres saints, particulièrement Michée, VI, 7.

[45] « Vox sanguinis fratris tui clamat ad me de terra. » (Genèse, IV, 10.)

[46] Dans l’édition de 1697 : « des victimes. »

[47] À l’époque du schisme, le royaume de Juda s’était formé des deux tribus de Juda et de Benjamin. (Livre III des Rois, XII, 21.)

[48] Il y a « leur roi, » au singulier, dans l’édition de 1697. Cette leçon a passé dans les éditions de 1713 et de 1723 (Cologne).

[49] Cette expression se rencontre plusieurs fois dans l’Écriture, par exemple au Livre des Juges, XVI, 20 : « Nesciens quod recessisset ab eo Dominus. »

[50] Il est parlé de ces oracles de l’arche sainte dans les Nombres, VII, 89 : « Cumque ingrederetur Moyses tabernaculum fœderis, ut consuleret oraculum, audiebat vocem loquentis ad se de propitiatorio, quod erat super arcam testimonii inter duos Cherubim. »

[51] « Qui apertas habes aures, nonne audies ? » (Isaïe, XLII, 20.) Racine s’est peut-être souvenu surtout des paroles du Nouveau Testament : « Auditu audietis, et non intelligetis ; et videntes videbitis, et non videbitis. » (Évangile de saint Matthieu, XIII, 14.) Voyez aussi saint Marc, IV, 12 ; saint Luc, VIII, 10.

[52] Achab, septième roi d’Israël, fils d’Amri, surpassa en impiété tous ses prédécesseurs : « Et fecit Achab, filius Amri, malum in conspectu Domini, super oraties qui fuerunt ante eum. » (Livre III des Rois, XVI, 30.) Il s’empara du champ de Naboth de Jesraël, après que la reine Jézabel eut fait mourir Naboth. (Ibidem, XXI, 1-16.) Le Seigneur envoya Élie annoncer à Achab que les chiens lécheraient son sang dans le même lien où ils avaient léché le sang de Naboth. (Ibidem, XXI, 19.) Ce fut donc près du champ de Naboth qu’Achab mourut de la blessure qu’il avait reçue à Ramoth Galaad en combattant contre le roi de Syrie. (Ibidem, XXII.)

[53] Ce fut à Jesraël, près du champ de Naboth, que Jéhu ordonna de précipiter Jézabel : « Præcipitate cam deorsum. Et præcipitaverunt eam... et equorum ungulæ conculcaverunt eam. »  (Livre IV des Rois, IX, 33.) Les autres traits du tableau que Racine a peint dans ces vers sont empruntés aux versets 35 et 36 du même chapitre : « Cumque issent ut sepelirent eam, non invenerunt nisi calvariam, et pedes et summas manus... Et ait Jehu : Sermo Domini est, quem locutus est per servum suum Eliam Thesbiten, dicens : In agro Jezraël comedent canes carnes Jezabel. »

[54] Élie ayant fait rassembler sur le mont Carmel huit cent cinquante faux prophètes en présence du peuple, les invite à préparer un sacrifice, sans mettre de feu sous la victime, et à invoquer leur dieu Baal pour qu’il envoie la flamme qui doit la consumer. Leurs invocations sont vaines. À son tour, il élève un autel, y place la victime, sans mettre de feu sous le bois ; puis adresse une prière à Dieu, qui fait descendre la flamme, et l’holocauste est brûlé. Le peuple met alors à moitiés faux prophètes. (Livre III des Rois, XVIII, 19-40.)

[55] « Et dixit Elias... : Vivit Dominus Deus Israël, in cujus conspectu sto, si erit annis his ros et pluvia, nisi juxta oris mei verba. » (Livre III des Rois, XVII, 1.) – Ce miracle d’Élie est rappelé dans l’Épître de saint Jacques, V, 17 et 18. « Elias... oratione oravit ut non plueret super terram, et non pluit annos tres et menses sex. Et rursum oravit ; et cœlum dedit pluviam, et terra dedit fructum suum. »

[56] « In diebus Eliæ in Israël, quando clausum est cœlum annis tribus et mensibus sex... » (Évangile de saint Luc, IV, 25.)

[57] Les éditions de 1691, 1692 et 1697 s’accordent à mettre à la fin de ce vers un point et virgule, et non un point d’interrogation. Le point d’interrogation est à la fin du vers 110. M. Aimé-Martin, et, à son exemple, plusieurs éditeurs modernes, mettent une virgule après le vers 110, un point d’interrogation après le vers 124 : ce qui change le sens. – La résurrection du fils de la Sunamite, obtenue par les prières d’Élisée, est racontée au livre IV des Rois, IV, 20-36.

[58] « Ubi sunt misericordiæ tuæ antiquæ, Domine, sicut jurasti David in veritate tua ? » (Psaume LXXXVIII, 50.) – Il y aurait beaucoup d’autres citations à faire des livres saints. Racine a recueilli les plus importantes dans ses Notes manuscrites sur Athalie : « Promesse de l’éternité du trône en faveur de Salomon, 2 Reg., chapitre VII, verset 13. Et I Paralip., chapitre XVII, versets 12 et seq. – Psaume LXXI tout en faveur de Salomon. – Psaume Dixit Dominus (c’est le CIXe) ; Misericordias (c’est le LXXXVIIIe) ; et Memento (c’est le CXXXIe). – Et I Paralip., chapitre XXVIII. » Pour marquer la perpétuité de la race de David jusqu’au Messie, Racine ajoute : « Jéchonias eut Assir, Assir eut Salathiel, et celui-ci Zorobabel. Quand Jérémie (XXII, 30) appelle Jéchonias virum sterilem, c'est-à-dire : « dont les enfants n’ont point régné ; » car le même Jérémie parle ailleurs de la postérité de Jéchonias. » – On peut croire aussi que la note suivante se rapportait aux mêmes vers : « Nul Israélite ne pouvait être roi qu’il ne fût de la maison de David et de la race de Salomon. Et c’est de cette race qu’on attendait le Messie. Talmud. (Lich., tome II, p. 3.) » On lit en effet à la page de Lightfoot indiquée par Racine : « Neminem Israelitarum regem futurum qui non e domo Davidis et Salomonis prosapia fuerit. Talmud in Sanhedi in, cap. X. Ideoque Regem Messiam ex ea prosapia exspectabant. »

[59] On pourrait citer ici de nombreux passages de l’Écriture, tels que ceux-ci : « Dabo tibi gentes hereditatem tuam, et possessionem tuam terminos terræ. » (Psaume II, 8.) – « Et adorabunt eum omnes reges terræ : omnes gentes servient ei. » (Psaume LXXI, 11.)

[60] « Quelques-uns ont douté qu’on pût dire, même poétiquement, les ruines d’un arbre. » (Sentiments de l’Académie.) En ne se prononçant pas sur un doute si étrange, l’Académie semble beaucoup trop l’approuver. Voltaire n’a pas eu le même scrupule, puisqu’il a dans sa Henriade (chant VII) imité Racine, un peu plus même qu’il n’était permis :

Un faible rejeton sort entre les ruines

De cet arbre fécond coupé dans ses racines.

[61] « On voit par le vers suivant que c’est le quart, et non pas le tiers. » (Sentiments de l’Académie.) Louis Racine, dans ses Remarques sur Athalie, discute ainsi cette question : « La troisième heure, chez, les Juifs, était celle que nous appelons neuf heures du matin. Pourquoi donc le poète dit-il qu’alors le soleil aura fait le tiers de son tour ? Ne devait-il pas plutôt dire le quart ? Puisqu’il pouvait également dire le quart, il n’a pas dit le tiers sans raison. En prenant le jour naturel, qui est de vingt-quatre heures, et que nous comptons d’un minuit à l’autre, minuit étant le point d’où nous supposons le soleil s’avancer sur l’horizon, il a fait à huit heures du matin le tiers de son tour ; mais il n’y a pas d’apparence qu’il parle du jour naturel, parce que les Juifs le comptaient d’un coucher de soleil à l’autre, et que d’ailleurs, puisqu’il ajoute sur l’horizon, il parle du jour artificiel. Il suppose donc que, dans la Judée, au temps de la fête de la Pentecôte, le jour artificiel était de quinze heures : le soleil se levant environ à quatre heures, et se couchant environ à sept, il achevait le tiers de son tour à neuf heures, la troisième heure chez les Juifs. » Il  faut toutefois remarquer que la division des heures ne paraît pas avoir été connue chez les Hébreux, du moins avant la captivité de Babylone. « Autrefois les Hébreux et les Grecs, dit le P. Lamy (Introduction à l’Écriture sainte, livre I, chapitre V, p. 76), ne divisaient les jours que par les trois différences sensibles du soleil, lorsqu’il s’élève, lorsqu’il est sur nos têtes, et lorsqu’il se couche ; c’est-à-dire qu’on ne comptait que le matin, le midi et le soir. Ce sont aussi les seules parties du jour qu’on trouve distinguées dans l’Ancien Testament. Le jour n’avait pas encore été partagé en vingt-quatre heures. Depuis, les Juifs et les Romains divisèrent le jour, c’est-à-dire le temps où le soleil éclaire, en quatre parties, composées chacune de trois heures. Mais ces heures sont différentes des nôtres, en ce que les nôtres sont toujours égales, puisqu’elles font toujours la vingt-quatrième partie du jour ; au lieu que parmi ces peuples, l’heure n’est que la douzième partie du temps où le soleil est sur l’horizon... Les heures d’été étaient plus longues que celles d’hiver. La première heure commençait au lever du soleil ; midi était la sixième, et la douzième finissait au coucher du soleil. »

[62] M. A. Coquerel fait remarquer que Joad, dans tout le premier acte, ne doit point paraître revêtu des ornements de la souveraine sacrificature, mais de son vêtement ordinaire, qui était celui des simples sacrificateurs. Après avoir décrit le rochet, l’éphod, le pectoral, la ceinture et la tiare, il ajoute : « C’est seulement à la fin du dernier acte que Joad doit se montrer couvert de ce riche vêtement, et ce n’est pas au point du jour qu’il a pu le revêtir. »

[63] Dans les trois éditions publiées du vivant de Racine, on lit : accusent, au pluriel ; et de même dans les éditions suivantes, de 17022 (Amsterdam), de 1713, de 1736.

[64] « Per me reges regnant. » (Proverbes, VIII, l5.)

[65] Le nom d’Éliacin ou Éliacim se trouve plusieurs fois dans la Bible (voyez le livre IV des Rois, XVIII et XIX) ; mais il n’y est nulle part appliqué à Joas. Racine, dans ses Notes manuscrites sur Athalie, fait remarquer qu’« un grand prêtre s’appelle Joachim ou Éliachim. » Voyez le Livre de Judith, IV, 5, 7, 11.)

[66] Var. Dans quel péril encore il est prêt de rentrer ! (1691 et 92)

[67] Cette retraite de trois jours et de trois nuits, qui n’était l’accomplissement d’aucune prescription de la loi, mais un acte pieux d’un caractère tout privé, a paru à M. A. Coquerel, dans son Commentaire, peu conforme aux mœurs des Juifs. « On est bien contraint d’y voir, dit-il, plutôt une réminiscence des habitudes religieuses que Racine admirait chez ses amis, et dont il donnait l’exemple à cette époque de sa vie, qu’un emprunt aux souvenirs de l’Ancien Testament. » Cependant le jeûne que prescrit et qu’observe elle-même Esther pendant trois jours et trois nuits (Livre d’Esther, IV, 16) n’a-t-il pas le même caractère ?

[68] Les noms Obed et Amnon sont pris dans la Bible, où celui d’Obed désigne un lévite.

[69] L’Académie, dans ses Sentiments sur Athalie, blâme opposer contre. Cette expression nous paraît légitime, surtout en poésie. Dans la langue latine, on trouve contra avec opponere et avec objicere : « Non Alpium vallum contra adscensum transgressionemque Gallorum... objicio et oppono. » (Cicéron, Discours contre L. Calpurnius Pison, chapitre XXXIII.)

[70] Var. Je sais que près de vous en secret rassemblé. (1691 et 92)

[71] Josèphe dit en effet (Antiquités judaïques, livre IX, chapitre VII) que Joad fit prêter serment aux prêtres et aux lévites. Dans le livre IV des Rois (XI, 4) et dans le livre II des Paralipomènes (XXIII, 1) : « Pepigitque cum cis fœdus ; – iniit cum eis fœdus. »

[72] « Facit judicium pupillo et viduæ. » (Deutéronome, X, 18.) – « Patris orphanorum et judicis viduarum (Dei). » (Psaume LXVII, 6.)

[73] Nous avons déjà ci-dessus parlé de Jezraël, où était la vigne de Naboth. C’était une ville voisine de Samarie ; elle appartenait à la tribu d’Issachar. Voyez Josué, XIX, 18.

[74] Ochozias, fils de Joram et d’Athalie.

[75] L’imagination de Racine a inventé ce tableau. Il trouvait seulement dans l’Écriture qu’« Athalie, mère d’Ochozias, voyant son fils mort, se leva et fit périr toute la race royale (livre IV des Rois, XI, 1 ; et livre II des Paralipomènes, XXII, 10) », et que « Josabeth, fille du Roi, emporta Joas, fils d’Ochozias, et le déroba du milieu des fils du Roi, tandis qu’on les tuait, et le cacha avec sa nourrice dans la chambre des lits » (livre II des Rois, XI, 2 ; et livre II des Paralipomènes, XXII, 11).

[76] Voyez la Préface. On lit dans les Notes manuscrites sur Athalie : « Athalie voulut qu’il ne restât pas un seul de la maison de David, et elle crut avoir exécuté son dessein. Il ne resta qu’un seul, qui était fils d’Okosias. Josèphe (IX, 7). – Voila le seul qui vous reste de la maison de David. M. D’And. (M. d’Andilly, traducteur de Josèphe.) – « Joram... occidit omnes fratres suos gladio. Noluit autem Dominus disperdere domum David, propter pactum, etc., et quia promiserat ut daret ei lucernam et filiis ejus omni tempore. » Il Paralip., chapitre XXI (versets 4 et 7). – Si ces promesses n’avaient été faites à la race de Salomon, Dieu n’avait qu’à mettre sur le trône les enfants de Nathan. – Le P. R. (le Port-Royal ?) : Josabet conserva Joas, et Dieu le permit pour empêcher que la race de David ne fut éteinte. »

[77] Cette expression : la chair et le sang, se trouve plusieurs fois dans le Nouveau Testament. Voyez l’Évangile de saint Matthieu, XVI, 17 ; l’Épître aux Galates, I, 16 ;  l’Épître aux Éphésiens, VI, 12.

[78] On lit dans l’Exode, XX, 5, une terrible sentence que Dieu lui-même prononce : « Ego sum Dominus Deus tuus fortis, zelotes, visitans iniquitatem patrum in filios, in tertiam et quarlam generatiunem eorum qui oderunt me. » Ézéchiel (XVIII, 19 et 20) a de belles paroles qui renferment dans ses vraies limites le sens de cette menace, et l’interprètent, comme l’a fait Racine, en rassurant le fils qui craint Dieu : « Et dicitis : Quare non portavit filius iniquitatem patris ? Videlicet, quia filius judicium et justitiam operatus est, omnia præcepta mea custodivit, et fecit illa, vivet vita. Anima quæ peccaverit ipsa morietur : filius non portabit iniquitatem patris... »

[79] Racine dans sa Préface a déjà rappelé cette image biblique : « Voulant conserver à David la lampe qu’il lui avait promise. »

[80] Imitation de la prière de David contre Achitophel : « Infatua, quæso, Domine, consilium Achitophel. » (Livre II des Rois, XV, 31.) Lightfoot (tome I, p. 84) rappelle, à l’occasion de la mort d’Achab, ce vieil axiome, au sujet duquel on peut voir l’Intermédiaire de 1864, p. 114, 156 et 184 : « Perdere quos vult Deus, dementat. » Racine, qui lisait les commentaires de Lightfoot, a pu aussi être frappé de ce passage, et le noter pour l’appliquer à la fille d’Achab.

[81] Les éditions de 1692 et de 1697 écrivent avancoureur ; celle de 1691 : avantcoureur.

[82] Les lampes dans leurs mains, et les fleurs sur leurs têtes.

(Boyer, Judith, acte I, scène iv.)

[83] « Cœli enarrant gloriam Dei... Dies diei eructaât verbum. » (Psaume XVIII, 1 et 2.) – J. B. Rousseau a également imité ce passage (livre I, ode II) :

Le jour au jour la révèle,

La nuit l’annonce à la nuit.

[84] Racine s’est souvenu sans doute de ces vers de Régnier dans la belle satire IX à Monsieur Rapin :

Sçachez qui donne aux fleurs ceste aimable peinture,

Quelle main sur la terre en broyé la couleur.

[85] Il y a le, pour les, dans l’édition in-4° de 1691.

[86] Dans le Psaume XVIII, versets 6 et 8, il y a aussi un rapprochement, quoique moins marqué, entre la magnificence de la nature extérieure, la splendeur du soleil, et la sainteté de la loi : « In sole posuit tabernaculum suum... Lex domini iminaculata, convertens animas. »

[87] On lit dans les Sentiments de l’Académie la remarque suivante sur ce vers : « Il se donne lui-même ne se peut dire que sous la loi nouvelle ; cette proposition est trop étrangère à l’ancienne loi. » Il n’est pas douteux que la piété de Racine n’ait aimé à faire une allusion secrète au Christ donnant sa vie pour les hommes, et à l’Eucharistie ; mais nous disons une allusion secrète ; car il n’a pu faire parler ses jeunes Israélites comme des chrétiennes. Ce qui a dû paraître à Racine autoriser son expression, bien qu’elle ne se trouve pas dans l’Ancien Testament, c’est qu’alors déjà, on peut le dire, en se révélant à son peuple, eu lui donnant ses lois, Dieu s’était donné lui-même.

[88] Il y a comme un accent de polémique dans ces deux vers qui ne se trouvent pas dans les deux premières éditions (1691 et 1692), et qui n’ont été imprimés qu’en 1697, l’année même où Boileau composait son épître sur l’Amour de Dieu, l’année aussi où, dans sa correspondance avec Racine, il l’entretenait des critiques que soulevait cette épître. Les vers de Racine sont cités, avec l’épître de Boileau, dans la douzième des dix-sept lettres publiées eu 1697 par l’évêque de Macra, sous ce titre : Apologie des lettres provinciales contre la dernière réponse des R. P. Jésuites. – Ici encore l’inspiration de la loi nouvelle est manifeste ; et cependant Racine n’a rien dit qui ne fût conforme à l’ancienne loi : « Diliges Dominum tuum ex toto corde tuo et ex tota anima tua, et ex tota fortitudiue tua. » (Deutéronome, VI, 5.)

[89] Dans les anciennes éditions, les trois derniers vers ne sont pas répétés tout au long, mais remplacés par un etc.

[90] Rameine, dans les éditions publiées du virant de Racine ; et de même plus bas, aux vers 59i et 1668 : ameine.

[91] La robe de lin était portée par les lévites. Le jeune Samuel, qui avait, comme Joas, « prêté son ministère aux autels, » nous est représenté avec l’éphod de lin : « Ministrabat ante faciem Domini, puer, accinctus ephodlineo. » (Livre II des Rois, II, 18.) – Joas, il est vrai, n’était pas de la tribu de Lévi ; mais, pour le mieux cacher, on lui avait donné des fonctions et un costume qui ne lui appartenaient pas.

[92] « Racine s’est trompé ici sur les rites. On n’arrosait point l’assemblée du sang de la victime. Le prêtre trempait simplement un doigt dans le sang, et en faisait sept aspersions devant le voile du sanctuaire ; il en frottait les cornes de l’autel, et répandait le reste au pied du même autel. L’auteur a confondu avec le rite judaïque ce qu’il avait lu dans le XXIVe chapitre de l’Exode, où il est dit que Moïse fit l’aspersion du sang de la victime sur le peuple assemblé ; mais il n’y avait point encore de rite ni de cérémonies légales. » (Sentiments de l’Académie.) – Cette critique de l’Académie n’a pas trouvé de contradicteurs. Les rites qu’elle rappelle sont réglés dans le Lévitique, XVI, 14, 18 et 19. Racine était évidemment préoccupé de ce qu’il avait lu au verset 8 du chapitre XXIV de l’Exode : « Ille (Moyses) vero sumptum sanguinem respersit in populum.. », et dans l’Épître de saint Paul aux Hébreux (IX, 19 et 21) : « Lecto enim omni mandate legis a Moyse universo populo, accipiens sanguinem vitulorum et hircorum, cum aqua et lana coccinea et hyssopo, ipsum quoque librum et omnem populum aspersit... Etiam tabernaculum et omnia vasa ministerii sanguine similiter aspersit. »

[93] Une semblable apparition est racontée dans les Nombres (XXII, 31) : « Protinus aperuit Dominos oculos Balaam, et vidit angelum stantem in via evaginato gladio. » La vision d’un ange armé est aussi décrite au livre I des Paralipomènes (XXI, 16) : «  Levansque David oculos suos, vidit angelum Domini stantem inter cœluni et terram, et evaginatum gladium in manu ejus. »

[94] « Memento, Domine, David. » (Psaume CXXXI, 1.)

[95] À cette scène et aux trois suivantes, les éditions de 1736, etc. donnent, au lieu de etc. : « SUITE D’ATHALIE. »

[96] On lit dans les éditions de MM. Aimé-Martin et Aignan :

Hé quoi ? vous de nos rois et la fille et la mère.

[97] « Votre n’est pas assez respectueux dans la bouche d’un sujet parlant à sa reine ; il n’est pas d’ailleurs convenable au caractère donné à Abner. » (Sentiments de l’Académie.) La Harpe et Geoffroy ont combattu cette critique ; mais ils n’y ont répondu que faiblement, ce nous semble.

[98] « Hæc dicit Dominus Deus : « Omnis alienigena incircumcisus corde, et incircumcisus carne, non ingredietur sanctuarium meum, omnis filius alienus qui est in medio filiorum Israël. » (Ezéchiel, XLIV, 9.)

[99] Ces deux mers sont la mer Rouge et la mer Méditerranée, qui dans l’Exode est appelée mare Palæstinorum : « Ponam autem terminos tuos a mari Rubro usque ad mare Palæstinorum. » (Exode, XXIII, 31.)

[100] Ce tableau de la puissance d’Athalie, ces éclatants succès ne sont ni dans l’Écriture, ni dans Josèphe.

[101] Ce puissant voisin est Hazaël, roi de Syrie. Voyez le livre IV des Rois, X, 32.

[102] Le jour où Jézabel fut mise à mort, elle se para, et peignit son visage, lorsqu’elle apprit l’arrivée de Jéhu : « Venitque Jehu in Jezraël. Porro Jezabel, intioitu ejus audito, depiuxit oculos suos stibio, et ornavit caput suum, et respexit per fenestram. » (Livre II des Rois, IX, 30.) Suivant quelques-uns, Jézabel espérait toucher son ennemi ; suivant d’autres, elle ne voulait que montrer son courage et son dédain du danger.

[103] « Il faut tel au singulier, ou dire : Tels on voit des... »  (Sentiments de l’Académie.) – Racine a cru qu’on pouvait traduire par tels que le quales des Latins.

[104] Idée a dans ce vers son sens étymologique de forme, apparence, image. L’Académie dit que la plupart ont blâmé cette expression. Elle est pourtant excellente dans le style poétique, et consacrée autrefois par l’usage. Corneille a dit, dans la Suivante (acte I, scène III, vers 145 et 146) :

Le sommeil n’oserait me peindre une autre idée ;

J’en ai l’esprit rempli, j’en ai l’âme obsédée ;

et dans le Menteur (acte IV, scène I, vers 1093 et 1094) :

J’en puis voir sa fenêtre, et de sa chère idée

Mon âme à cet aspect sera mieux possédée.

[105] « Ceci a quelque ressemblance à ce que rapporte Josèphe de la surprise d’Alexandre, lorsque voyant le grand prêtre des Juifs qui venait au-devant de lui, revêtu de ses habits pontificaux, il reconnut le même objet qu’il avait vu dans un songe. » (Louis Racine, Remarques sur Athalie.) Le récit de Josèphe est au livre XI des Antiquités judaïques, chapitre VIII, 5. Il semble bien que Racine s’en est souvenu.

[106] « On dit bien les égards, mais non pas les mesures de quelqu’un pour une personne. » (Sentiments de l’Académie.) – Mes mesures, dans le sens de ma conduite prudente, mesurée, est une expression si claire, si conforme a l’analogie, et si vive, que, s’il n’y en a point d’autre exemple avant Racine, elle méritait de passer dans la langue.

[107] Louis Racine, dans ses Remarques sur Athalie, dit : « Cette maxime que dès qu’on est suspect aux rois on n’est point innocent, se trouve dans le Prince de Balzac. » Cela donnerait à croire qu’elle s’y trouve textuellement ; ce qui n’est pas. Il est seulement vrai que les chapitres CLXXIII-CLXXVI du Prince développent une politique qui ressemble beaucoup à celle de Mathan. On y remarque ce trait qui ne déparerait pas les conseils donnés à Athalie par le prêtre de Baal : « Il faut que la prudence soulage la justice de beaucoup de choses. »

[108] L’Académie condamne l’incohérence des deux métaphores dans les vers 603 et 604. Dans la poésie d’aucun peuple on n’a évité ces incohérences aussi timidement que dans notre poésie classique. Cependant l’Académie de 1730 n’était pas encore satisfaite ; il nous paraît qu’elle chicanait Racine bien mal à propos.

[109] L’édition de 1736 et la plupart des suivantes ont avant ce vers l’indication : « montrant Joas ; » et ensuite, avant le vers 623, au-dessus des mots : « Qui ? Lui, Madame ? » et avant le vers 624, au-dessus des mots ; « Voilà mon fils », cette autre indication : « montrant Zacharie » ; avant les mots du même vers 624 : « Et vous, quel est... ? » elles mettent : « ATHALIE, à Joas. »

[110] Avant ce vers l’édition de 1736 et les suivantes ont l’indication : « ATHALIE, à Josabeth. »

[111] Dans l’édition de 1736, etc. : « JOSABETH, bas à part. »

[112] Dans l’Ion d’Euripide, où l’on pense que Racine a puisé quelques inspirations (voyez la Notice), plusieurs vers peuvent être comparés aux vers 635-640 d’Athalie. Mercure raconte que l’enfant n’eut jamais connaissance de ses parents (Vers 5l.) Mais il faut citer surtout quelques passages de la scène où Créuse interroge Ion :

 « Créuse. Et toi, qui es-tu ?... – Ion. On m’appelle le serviteur du Dieu, et je le suis, ô femme... Je ne sais qu’une chose : on me nomme l’enfant d’Apollon. – Créuse. Mais du moins ce temple est-il ta demeure ?... – Ion. Toute la maison du Dieu m’appartient. » (Vers 311-318.)

[113] Dans le passage de la tragédie du Triomphe de la Ligue, dont nous avons cité un vers, on lit :

Celui n’est délaissé qui a Dieu pour son père.

Il ouvre à tous la main; il nourrit les corbeaux ;

Il donne la viande aux petits passereaux,

Aux bêtes des forêts, des prés et des montagnes :

Tout vit de sa bonté. Hé ! l’homme qu’il a fait,

De tous les animaux l’homme le plus parfait,

L’homme qu’il a formé en sa sainte semblance,

Serait-il seul privé de sa riche abondance ?

Il est vrai que, sans avoir besoin de faire aucun emprunt à Nérée, Racine avait sous les yeux ce passage du Psaume CXLVI, verset 9 : « Qui dat jumentis escam ipsorum, et pullis corvorum invcantibus eum. » Il faut reconnaître cependant que le premier des vers que nous venons de rapprocher de ceux de Racine rappelle singulièrement

Dieu laissa-t-il jamais ses enfants au besoin ?

[114] « Créuse. Mais jusqu’à ce que tu fusses parvenu à l’âge viril, quelle a été ta nourriture ? – Ion. Les autels m’ont nourri. » (Ion, vers 325 et 326.)

[115] Voyez ci-dessus le vers 227.

[116] Sur l’encens et le sel offerts dans les sacrifices, voyez le Lévitique, II, 1, 2 et 13.

[117] Dans les Juifves, tragédie de Robert Garnier, imprimée à Paris en M.D.LXXXIII (in-12), ou lit aux vers 115-118 de l’acte IV, dans le rôle de Sédécie :

Le Dieu que nous servons est le seul Dieu du monde...

Il n’y a Dieu que lui ; tous les autres sont faux.

[118] « Ad nihilum devenient (peccatores), tanquam aqua decurrens. » (Psaume LVII, 8.)

[119] Xuthus cherche a vaincre les refus d’Ion par de semblables promesses : « Laisse là cette demeure du Dieu et cette existence précaire, et viens à Athènes... où t’attend le sceptre fortuné d’un père, et sa grande richesse... Et maintenant, t’emmenant comme un hôte dans ma demeure, je te ferai prendre place à d’agréables festins. » (Euripide, Ion, vers 579-582 ; et vers 656 et 657.)

[120] Ce père est, ce nous semble, Dieu lui-même, plutôt que Joad. Voyez ci-dessus, vers 649 et 650. Est-ce à l’occasion de ce passage que Racine a écrit ce qui suit dans ses Notes manuscrites sur Athalie ? « Les Juifs appelaient aussi Dieu leur père. Moïse dit (Deutéronome, XXXII, 18) : « Vous avez abandonné le Dieu qui vous a engendrés. » Et Malachie (II, 10) : « Il n’y a qu’un Dieu et un père de nous tous. » Mais en priant ils ne disaient point : « Père. » Si quelques-uns l’ont fait, ç’a été par un instinct particulier. Saint Chrysostome sur Abba pater. »

[121] Nous avons dit ci-dessus qu’Athalie était fille d’Achab ; celui-ci fut tué dans la bataille de Ramolli Galaad (livre III des Rois, XXII, 34 et 35). Le frère d’Athalie était Joram, roi d’Israël, fils d’Achab. Ce roi d’Israël, qu’il ne faut pas confondre avec Joram, roi de Juda, qui avait épousé Athalie, fut tué de la main de Jéhu, et son corps jeté dans le champ de Naboth. Ce fut alors que Jéhu fit précipiter Jézabel du haut de son palais. Voyez le livre IV des Rois, IX, 24, 25 et 33.

[122] Le nombre de quatre-vingts n’est pas rigoureusement exact. La Bible dit soixante-dix ; Jéhu donna l’ordre de tuer les soixante-dix fils d’Achab : « Erant autem Achah septuaginta filii in Samaria ; scripsit ergo Jehu litteras, et misit in Samariam ad optimates civitatis... Porro filii Regis, septuaginta viri, apud optimates civitatis nutriebantur. Cumque venissent litteræ ad eos, tulerunt filios Regis, et occiderunt septuaginta viros. » (Livre IV des Rois, X, 1, 6 et 7.)

[123] Il est parlé au chapitre XVIII, 4 et 13, du livre III des Rois des prophètes du Seigneur tués par Jézabel ; et de cent d’entre ces prophètes qu’Abdias cacha dans des cavernes pour les dérober aux fureurs de cette reine. Lorsqu’Élie se plaignit au seigneur de cette persécution sanglante contre les prophètes : « Prophetas tuos occiderunt gladio, » le Seigneur lui dit : « Quiconque aura échappé au glaive d’Hazaël sera tué par Jéhu : « Quicunque fugerit gladium Hazaël, occidet eum Jehu. » (Livre III des Rois, XIX, 14 et 17.)

[124] Il y a ici un point d’interrogation dans les trois éditions publiées du vivant de Racine. C’est aussi la ponctuation des éditions de 1702, de 1713, de 1723 (Cologne), de 1736.

[125] L’abbé Nadal, au tome II de ses Œuvres mêlées (édition de 1738), dit que « dans les premières représentations d’Athalie sur le théâtre de Paris, les comédiens changèrent ces deux vers (736 et 737) comme peu intelligibles, selon le jugement de leurs camarades. »Une telle ineptie est à peine croyable.

[126] Louis Racine dit dans ses Remarques : « C’est à la troisième heure ; elle est donc encore un peu éloignée. » Joad en effet avait donné rendez-vous à Abner à la troisième heure (acte I, scène 1, vers 155). Mais on voit, à ce même vers 155, que cette heure est celle qui « rappelle aux prières ; » or n’est-elle point déjà passée, puisque dans la scène II de l’acte II, vers 384 et suivants, Zacharie a raconté que les offrandes des premiers pains avaient été faites, le sacrifice commencé et interrompu par l’entrée d’Athalie dans un des parvis du temple ? Racine ne serait donc pas d’accord avec lui-même et aurait oublié ce qu’il a dit précédemment, ce qui est bien rare chez lui ; ou bien il faut comprendre que Joad a donné à Abner un nouveau rendez-vous, et qui ne serait pas, comme le croit Louis Racine, pour la troisième heure.

[127] Les rites des expiations sont réglés dans plusieurs passages du Lévitique (voyez notamment les chapitres XIV et XVI) ; mais aucun de ces passages ne paraît se rapporter exactement à la purification que Joad ordonne ici.

[128] « Quis, putas, puer iste erit ? » (Évangile de saint Luc, I, 66.)

[129] On ne trouve pas dans l’Écriture qu’Élie ait paru en présence de Jézabel ; mais plusieurs fois il annonça à Achab la vengeance de Dieu sur lui et sur la Reine ; on peut donc croire, malgré le silence des livres saints, que Jézabel aussi entendit le prophète parler librement devant elle.

[130] « Generationem ejus quis enarrabit ? » (Isaïe, LIII, 8.)

[131] M. Aignan a fait sur ce vers une note singulière : « Cette épithète d’aimable appliquée à Samuel ne semble pas précisément répondre au caractère que la Bible lui a donné. » Racine parle ici de Samuel enfant, lorsqu’il était élevé dans le temple sous les yeux d’Hélie, comme Joas près de Joad. Cette aimable enfance de Samuel est racontée au livre I des Rois, chapitres II et III. Il est dit au verset 26 du chapitre II : « Puer autem Samuel proficiebat atque crescebat, et placebat tam Domino quam hominibus. »

[132] « Beatus homo, quem tu erudieris, Domine, et de lege tua docueris eum. » (Psaume XCIII, 12.)

[133] On lit ainsi ce vers dans l’édition de M. Aimé-Martin :

Il est orné dès son enfance.

Plus bas, lorsque ces mêmes vers sont répétés, M. Aimé-Martin a cependant : « dès sa naissance. »

[134] Racine s’est ici souvenu de la gracieuse comparaison de Catulle (Carmen nuptiale, LXII, vers 39-41) :

Ut flos in septis secretus nascitur hortis,

Ignotus pecori, nullo contusus aratro,

Quem mulcent auræ, firmat sol, educat imber.

– Après le vers 781 vient immédiatement, dans l’édition de 1691 (et de même dans celle de 1706, Amsterdam), le vers 795 : Ô palais de David... Ce que Racine a ajouté depuis entre ces deux vers (c’est-à-dire la répétition : « Loin du monde élevé, » et les vers 786-794) ne se trouve pas puni la première fois dans l’édition de 1697, comme le dit Geoffroy, mais déjà dans celle de 1692.

[135] « Habitavit autem David in arce (Sion) et vocavit eam Civitatem David. » (Livre II des Rois, V, 9.)

[136] « Mons in quo bene placitum est Deo habitare in eo. » (Psaume LXVII, 17.)

[137] Ce vers et les cinq suivants manquent dans les éditions de 1691 et de 1692, et dans celle de 1706 (Amsterdam). Racine les avait ajoutés dans celle de 1697.

[138] « Usquequo peccatores, Domine, usquequo peccatores gloriabuntur : effabuntur, et loquentur iniquitatem : loquentur omnes qui operantur injustitiam ? Populum tuum, Domine, humiliaverunt ; et hereditatem tuam vexaverunt. » (Psaume XCIII, 3, 4 et 5.)

[139] Voyez Esther, vers 340 et 341.

[140] « Comedamus et bibamas ; cras enim moriemur » (Isaïe, XXII, 13), paroles répétées dans la Ire épître aux Corinthiens, XV, 32. – « Venite ergo, et fruamur bonis quæ sunt, et utamur creatura tanquam in juventute celeriter. Vino pretioso et unguentis nos impleamus ; et non prætereat nos flos temporis. Coronemus nos rosis, antequam marcescant ; nullum pratum sit quod non pertrauseat luxuria nostra. » (Sagesse, II, 6-8.)

[141] On peut rapprocher de ces vers ceux de J. B. Rousseau (livre I, ode VII) :

Comment tant de grandeur s’est-elle évanouie ?...

Dans un sommeil profond ils ont passé leur vie,

Et la mort a fait leur réveil.

Racine a sans doute imité, surtout aux vers 834 et 835, le Psaume LXXII, verset 20 : « Velut somnium surgentium, Domine, in civitate tua imaginem ipsorum ad nihilum rediges. » C’est de ce même psaume que s’est inspiré J. B. Rousseau.

[142] « Calix in manu Domini vini meri plenus misto... Fæx ejus non est exinanita : bihent omnes peccatores terræ. » (Psaume LXXIV, 9.) – « Bibisti de manu Domini calicem iræ ejus. » (Isaïe, LI, 17.)

[143] Racine a dit dans Phèdre (acte I, scène III, vers 162) :

Comme on voit tous ses vœux l’un l’autre se détruire !

[144] Les descendants d’Ismaël, fils d’Abraham et d’Agar, étaient circoncis ; mais ils sont comptés parmi les ennemis d’Israël dans le Psaume LXXXII, 7. Racine dit dans ses Notes manuscrites sur Athalie : « Les Ismaélites étaient idolâtres et fort attachés à leurs faux dieux. Jérémie, chapitre II (versets 10 et 11) : « In Cedar mittite, et considerate... si mutavit gens deos suos, et certe ipsi non sunt dii. » – Cédar, sur les confins de l’Égypte et de l’Arabie, était une région habitée par les Ismaélites ; elle tirait son nom d’un des fils d’Ismaël.

[145] « Ante truncum ligni procidam ?... Forte mendacium est in dextera mea. » (Isaïe, XLIV, 19 et 20.)

[146] On a reproché à ces impudents aveux de Mathan la même invraisemblance dont plusieurs commentateurs ont accusé le monologue de Narcisse dans Britannicus (acte II, scène VIII, vers 757-760). L’Académie, dans ses Sentiments sur Athalie, est de cet avis : « On a trouvé, dit-elle, que Mathan se déclare ici très mal à propos le plus scélérat de tous les hommes ; et il le fait sans aucune nécessité et sans utilité. » Fontenelle, dans ses Réflexions sur la Poétique, § LXIII (Œuvres, édition de 1742, tome III, p. 193), fait la même critique : « Il n’y a guère d’apparence que des scélérats, tels que la Cléopâtre de Rodogune et le Mathan d’Athalie aient des confidents à qui ils découvrent sans aucun déguisement et sans une nécessité absolue le détestable fond de leur âme. » Houdar de la Motte dit aussi dans son Second discours sur la tragédie, a l’occasion de la tragédie de Romulus (Œuvres, édition de 1754, tome IV, p. 167) : « Ce caractère (de Mathan), tout odieux, tout excessif qu’il est, ne laisse pas d’être naturel ; et il n’y a que trop d’ambitieux qui lui ressemblent ; mais ce qui n’est plus dans la nature, c’est qu’il se peigne lui-même à son confident sous d’aussi noires couleurs. On ne croira jamais qu’un homme si superbe s’avilisse à ce point, et sans nécessité, aux yeux d’un autre homme ; et quand l’histoire fournirait quelque exemple d’une pareille conduite, il ne suffirait pas pour la justifier au théâtre, où l’on veut voir des hommes, et non pas des monstres. » Louis Racine et la Harpe se sont efforcés de combattre ces critiques, où cependant il y a, ce nous semble, une bonne part de vérité, quelque admirable que soit la peinture de la scélératesse de Mathan.

[147] Racine suppose qu’Athalie avait la première introduit le culte de Baal à Jérusalem. Il n’a point trouvé ce fait dans l’Écriture ; mais il nous semble qu’on n’y trouve rien non plus de contraire. On voit, il est vrai, dans divers passages des Juges et du livre I des Rois que les Israélites, avant le schisme des dix tribus, s’étaient plusieurs fois rendus coupables de ce culte idolâtre : mais, depuis ce schisme jusqu’au règne d’Athalie, c’est dans le royaume d’Israël seulement, et non dans celui de Juda, que l’histoire sacrée en donne des exemples. Le poète était donc libre d’attribuer à Athalie la construction du temple du dieu nouveau.

[148] Cet emploi si poétique du verbe marcher a été probablement indiqué à Racine par le vers de Virgile :

Ast ego quæ Divum incedo Regina...

(Énéide, livre I, vers 46.)

[149] Ce vers est critiqué, avec raison peut-être, dans les Sentiments de l’Académie : « Racine veut dire : Solennisez vos fêtes en assurance ; et sans ombrage le dit mal. »

[150] Geoffroy et M. Aimé-Martin ont changé prêt de en prêt à.

[151] Cette expression est tirée du Psaume I, verset 1 : « Beatus vir, qui... in cathedra pestilentiæ non sedit. »

[152] Dathan et Abiron furent avec Coré les chefs d’une révolte contre Moïse dans le désert. La terre s’ouvrit sous leurs pieds et les dévora (Livre des Nombres, XVI, 1-33). – Doëg, Iduméen, un des serviteurs de Saül, et « le plus puissant de ses pasteurs, » dit l’Écriture, était présent lorsque le pontife Achimélech donna des vivres à David fugitif, et lui remit l’épée de Goliath ; il dénonça Achimélech à Saül, qui ayant fait venir le pontife, et avec lui tous les prêtres de Nobé, les condamna à mort. Doëg exécuta la sentence. (Livre I des Rois, XXI, 7 et suivants ; XXII, 9-18.) David l’a maudit dans le Psaume LI, versets 2 et suivants. – Achitophel, autrefois conseiller de David, avait encouragé Absalon à se révolter contre son père, et l’avait poussé à des crimes infâmes. Lorqu’Absalon se fut laisse persuader de ne plus suivre les conseils d’Achitophel, celui-ci se pendit. Voyez le livre II des Rois, XV, XVI et XVII.

[153] L’indication : « Il se trouble, » n’est pas dans l’édition de 1691. Dans les éditions de 1736, de 1768 et dans celle de la Harpe : « MATHAN, troublé. »

[154] Le torrent de Cédron coulait au fond d’une vallée étroite à l’est de Jérusalem, et se jetait dans la mer Morte. Il fallait le passer pour entrer dans le désert d’Engaddi, où David avait fui, afin d’échapper à son fils Absalon révolté contre lui. Jésus lui-même, au moment où il allait être livré à ses ennemis, traversa, comme autrefois David, le torrent de Cédron, ainsi qu’il est dit dans l’Évangile de saint Jean, chapitre XXVIII, verset 1. Les paroles de ce verset : « Trans torrentem Cedron, » ont été ainsi annotées par Racine lui-même dans le manuscrit dont Louis Racine a publié une partie sous le nom de Réflexions pieuses sur quelques passages de l’Écriture sainte, à la suite de la première édition des Mémoires, p. 56-60 : « Grotius croit qu’il (le Cédron) était ainsi nommé à cause qu’il y avait eu des cèdres dans cette vallée. En grec, c’est le torrent des Cèdres. Jésus-Christ accomplit ici ce qui le figura en la personne de David, quand ce roi, fuyant Absalon, passa ce torrent, étant trahi par Achitophel. »

[155] Voyez le livre IV des Rois, IX, 4-7.

[156] « Delevit itaque Jehu Baal de Israël. Verumtamen a peccatis Jeroboam filii Nabath... non recessit, nec dereliquit vitulos aureos, qui erant in Bethel et in Dan. » (Livre IV des Rois, X, 28 et 29.)

[157] Il était interdit depuis la construction du temple de sacrifier sur les hauts lieux (excelsa), dont il est souvent parlé dans les livres saints.

[158] « Juges, chapitre IV. » (Note de Racine, éditions de 1692 et 1697.) Il est en effet raconté dans ce chapitre que Sisara, chef de l’année de Jabin, un des rois de Chanaan, fut vaincu par Débora et Barac, et qu’ayant pris la fuite il entra dans la tente de Jahel, épouse du Cinéen Haber. Jahel, qui l’avait elle-même invité à entrer dans sa tente, le couvrit d’un manteau, puis alla chercher une des chevilles de fer de la tente et un marteau, rentra près de lui sans être vue, et, pendant qu’il dormait, posa la cheville sur sa tempe, et la lui enfonça dans la tête.

[159] Les exemples de ces antithèses sont nombreux dans les livres saints : « Ego occidam, et ego vivere faciam ; percutiam, et ego sanabo. » (Deutéronome, XXXII, 39.) – « Dominus mortificat et vivificat, deducitad inferos et reducit. » (Livre I des Rois, Il, 6.) – Voyez aussi Tobie, XIII, 2 ; la Sagesse, xvi, 13 ; Job, V, 18.

[160] On lit dans les Notes manuscrites de Racine sur Athalie : « Temple. In domo hæc et in Jerusalem ponam nomen meum in sempiternum. Il Paralipomènes, 33 (verset 7). » – On peut citer aussi dans le même sens bien d’autres passages, particulièrement le livre III des Rois, IX, 3, et le livre II des Paralipomènes, VII, 16.

[161] Ses est un peu éloigné des mots l’Esprit divin, mais s’y rapporte clairement. Luneau de Boisjermain s’est permis de dénaturer ainsi ce vers :

Et de vus mouvements secondez mes transports.

[162] « Fluat ut ros eloquium meum, quasi imber super berbam, et quasi stillæ super gramina. » (Deutéronome, XXXII, 2.)

[163] « Audite, cœli, quæ loquor, audiat terra verba oris mei. » (Ibidem, XXXII, 1.) – « Audite cœli, et auribus percipe, terra. » (Isaïe, I, 2.)

[164] « Deficiant peccatores a terra, et iniqui ita ut non siut. » (Psaume CIII, 35.) – « Exsurgat Deus, et dissipentur inimici ejus... Pereant peccatores a facie Dei. » (Psaume LXVII, 2 et 3.) – « Et excitatus est tanquam dormiens Dominus. » (Psaume LXXVII, 65.)

[165] « Joas. » (Note de Racine.)  – « Quomodo obscuratum est aurum, mutatus est color optimus ? » (Lamentations de Jérémie, IV, 1.)

[166] « Zacharie. » (Note de Racine.) – Voyez ci-dessus la Préface de Racine. « La plupart ont dit que l’auteur détruit ici l’intérêt pour Joas, en prévenant sans nécessité les auditeurs que Joas doit un jour faire égorger le fils de son bienfaiteur. Plusieurs ont voulu excuser cet endroit comme langage prophétique, qui ne fait pas naître une idée distincte. Les critiques ont répondu que, si le discours du grand prêtre ne porte aucune idée, il est inutile ; s’il présente quelque chose de réel, comme on n’en peut douter par les notes de l’auteur, il détruit l’intérêt. » (Sentiments de l’Académie.) – M. de la Rochefoucauld-Liancourt dit que l’Académie s’est arrêtée là ; et que c’est d’Alembert qui a écrit a la marge : « Les autres ont répliqué que l’intérêt principal de la pièce ne porte point sur Joas, mais sur l’accomplissement des promesses de Dieu en faveur de la race de David. »

[167] « Jerusalem, Jerusalem, quæ occidis prophetas... » (Évangile de saint Matthieu, XXIII, 37.)

[168] « Ne offeratis ultra sacrificium frustra ; iucensuin abominatio est mihi. » (Isaïe, I, 13.)

[169] « Captivité de Babylone. » (Note de Racine.)

[170] « Facta est quasi vidua domina gentium ; princeps provinciarum facta est sub tributo. » (Lamentations de Jérémie, I, 1.)

[171] « Solemnitates vestras odivit anima mea. » (Isaïe, I, 14)

[172] Dans l’édition de 1697 :

Quelle main en ce jour t’a ravi tous tes charmes ?

Est-ce bien un changement fait à dessein par Racine ?

[173] « Quis dabit capiti meo aquam, et oculis meis fontem lacryrnarum ? Et plorabo die ac nocte... » (Jérémie, IX, 1.)

[174] « L’Église. » (Note de Racine.) – « Vidi sanctam civitatem Jerusalem novam, descendentem de cœlo a Deo. » (Apocalypse, XXI, 2.) – Plusieurs commentateurs de Racine ont reconnu une grande ressemblance pour le mouvement et pour l’image entre les premiers vers de cette strophe et le verset suivant du Cantique des Cantiques, III, 6 : « Quæ est ista quæ ascendit per Jeesertum, sicat virgula fumi ex aromatibus myrrhæ et thuris... ? » M. Coquerel juge la ressemblance imaginaire. Nous croyons que Racine a pu songer à ce passage, d’autant plus que ne faisant pas difficulté d’admettre l’interprétation mystique du Cantique des Cantiques, « celle qui monte a travers le désert » a dû lui paraître signifier l’Église.

[175] « Les Gentils. » (Note de Racine.) – « Leva in circuitu oculos tuos, et vide, omnes isti congregati sunt, venerunt tibi... Quis genuit mihi istos ? Ego sterilis, et non pariens... » (Isaïe, XLIX, 18 et 21.)

[176] « Surge, illuminare, Jerusalem, quia venit lumen tuum, et gloria Domini super te orta est. » (Isaïe, LX, 1.)

[177] « Et erunt reges nutricii tui... Vultu in terram demisso adorubunt te, et pulverem pedum tuorum lingent. » (Isaïe, XLIX, 23.)

[178] « Et ambulabunt gentes in lumine tuo. » (Isaïe, LX, 3.) Les mêmes paroles sont aussi dans l’Apocalypse, XXI, 24.

[179] « Rorate, cœli, desuper, et nubes pluant jnstum ; aperiatur terra, et germinet Salvatorem. » (Isaïe, XLV, 8.)

[180] « Deditque Joïada sacerdos centurionibus lanceas, clypeosque et peltas regis David, quas consecraverat in domo Dornini. » (Livre II des Paralipomènes, XXIII, 9.) Voyez aussi le livre IV des Rois, XI, 10.

[181] Ce vers et les neuf suivants ne sont pas dans l’édition de 1691 ; mais ils sont dans celle de 1692. Ils ne furent donc pas, comme le dit ici Geoffroy, ajoutés six ans après. L’édition de 1702 (Amsterdam) les a omis. – La Harpe suppose que ces dix vers ne furent pas composés après coup, que Racine les avait faits tout d’abord avec le reste du chœur, et qu’il les omit dans l’édition in-4 de 1691, parce qu’« on craignit, dit-il, que la malignité n’en fît l’application à Louis XIV, dont la France alors commençait à être moins contente, et que les ennemis de l’auteur, qui étaient très actifs à profiter de tout, ne se servissent de ces vers pour lui nuire ? » Pourquoi n’aurait-on pas eu la même crainte en 1692 et en 1697 ? Cette supposition, qui ne s’appuie sur aucun témoignage ancien, nous paraît, comme à Geoffroy, plus qu’improbable.

[182] Le vœu de Jephté et le sacrifice qu’il fit de sa fille pour accomplir ce vœu sont racontés dans le Livre des Juges (XI, 30-39).

[183] « Deutéronome, chapitre XVII. » (Note de Racine.) – Ce sont les versets 17-20 que Racine a eus en vue : « Non habebit... argenti et auri immmensa pondera. Postquam autem sederit in solio regni sui, describet sibi Deuteronomium legis hujus in volumine.. Et habebit secum, legetque illud omnibus diebus vitæ suæ, ut discat timere Dominum Deum suum, et custodire verba et ceremonias ejus, quæ in lege præcepta sunt. Nec elevetur cor ejus in superbiam super fratres suos. »

[184] Voyez le livre IV des Rois, VIII, 18 et 27, où il est dit de ces deux rois de Juda, l’un aïeul, l’autre père de Joas, qu’ils marchèrent dans les voies des rois d’Israël et de la maison d’Achab.

[185] Ce genre d’hommage ne paraît pas conforme à ce que l’Écriture nous apprend des usages de ce temps chez le peuple juif.

[186] JOAD, se relevant. (1736, etc.)

[187] Joïada, comme on peut le voir au livre II des Paralipomènes, XXIUII, 8, n’avait pas laissé partir les lévites dont la semaine de service était passée.

[188] « Joïada... assumens centuriomes et milites, introduxit ad se in templum Domini... ; et adjurans cos in domo Domini, osteudit eis filimn Regis. » (Livre IV des Rois, XI, 4.)

[189] Aux tribus de Juda et de Benjamin.

[190] Voyez l’Exode, XXXOO. Les Hébreux, suivant le récit que nous lisons dans ce chapitre, demandèrent dans le désert à Aaron de leur faire des dieux qui marchassent devant eux. Aaron leur fit un veau d’or (c’est le Dieu du Nil dont parle Racine). Aux versets 25-29 est raconté le châtiment que Moïse tira de cette idolâtrie ; Racine a emprunté à ces versets les principaux traits de ses vers : « Et stans (Moyses) in porta castrorum, ait : Si quis est Domini, jungatur mihi. Congregatique sunt ad eum omnes filii Levi : Quilius ait : Hæc dicit Dominus Deus Israël : Ponat vir gladium super femur suum ; ite et redite de porta usque ad portam per medium castrorum, et occidat unusquisque fratrem, et amicum, et proximum suum. Feceruntque filii Levi juxta sermonem Moysis ; cecidcruntque in die illa quasi viginti tria millia hominum. Et ait Moyses : Consecrastis manus vestras hodie Domino, unusquisque in filio, et in fratre suo, ut detur vobis benedietio. »

[191] Dans Britannicus, acte IV, scène III, vers 1381, il y a un mouvement semblable :

Mais je vois que mes pleurs touchent mon empereur.

[192] L’Écriture, qui parle souvent des formules suivant lesquelles on jurait alors, ne parle jamais de serments prêtés sur le livre saint.

[193] Dans l’édition de 1736 et dans plusieurs des éditions modernes : « AZARIAS, au bout de la table, ayant la main sur le livre saint. »

[194] « Sicut vulnerati dormientes in sepulchris, quorum non es memor amplius. » (Psaume LXXXVII, 6.)

[195] « Dederuntque in manu ejus tenendam legem, et constituerunt eum regem. » (Livre II des Paralipomènes, XXIII, 11.)

[196] Salomon. Le chapitre XI du livre III des Rois raconte les égarements de Salomon, son amour pour des femmes étrangères, son idolâtrie.

[197] « Judicate egeno et pupillo ; humilem et panperem jnstificate. » (Psaume LXXXI, 3.)

[198] M. Aimé-Martin a fait remarquer que Fénelon dans le livre II de Télémaque paraît avoir eu présents a la mémoire les vers de Racine : « Quand tu seras le maître des autres hommes, souviens-toi que tu as été faible, pauvre et souffrant comme eux. » Peut-être cependant Fénelon s’est il, comme Racine, directement inspiré de ce passage du Lévitique, XIX, 33 et 34 : « Si habitaverit advena in terra vestra,... diligetis eum quasi vos metipsos : fuisti cuim et vos advenæ in terra Ægypti. »

[199] JOAS, au milieu de lu table, ayant la main sur le livre saint. (1736, etc.)

[200] À cette scène et a la suivante, les éditions de 1736, etc. répètent, au lieu de l’abréviation, les noms qui, en tête de la scène III, viennent après celui d’AZARIAS.

[201] Après ce vers, l’édition de 1736 et la plupart des éditions modernes ont l’indication : « Zacharie se jette aux pieds de Joas. »

[202] L’indication « à Josabet » n’est pas dans l’édition de 1691.

[203] « Abraham. » (Note de Racine.) – Voyez ci-dessus la Préface.

[204] L’ourse ne doit pas étonner ici ; ce n’est pas une expression étrangère aux livres saints tels que les lit l’Église latine, c’est-à-dire a la Vulgate ; on trouve l’ourse, ou du moins une constellation dont le nom contient celui de l’ourse (l’Arcturus), mentionnée dans Amos, V, 8, avec Orion ; et dans Job, IX, 9, avec Orion et les Hyades.

[205] « Tertia pars vestrum qui veniunt ad sabbatam, sacerdotam, et levitarum, et janitorum, erit in portis : tertia vero pars ad domum regis ; et tertia ad portam quæ appellutur Fundamenti ; omne vero reliquum vulgus sit in atriis domus Domini. » (Livre II des Paralipomènes, XXIII, 5.) « Tertia pars vestrum introerat sabbato, et observet excubias domus Regis. Tertia autem pars sit ad portam Sur ; et tertia pars sit ad portam, quæ est post habitaculum scutariorum, et custodietis excubias domus Messa. » (Livre II des Rois, XI, 6.) Dans l’un et l’autre passage, Joïada divise la sainte milice en trois troupes ; Racine en suppose quatre.

[206] L’indication « à Joas » n’est pas dans l’édition de 1691.

[207] « Le diadème ceint et ne couvre point ; plusieurs cependant ont excusé se couvrir d’un diadème, surtout en poésie. » (Sentiments de l’Académie.)

[208] Les éditions de 1736, etc. donnent, avant ce vers, l’indication : « au Chœur. »

[209] « Ego sum Dominus Deus tuus, fortis, zelotes. » (Exode, XX, 5.) – « Dominus zelotes nomen ejus, Deus est æmolator. » (Ibidem, XXXIV, 14.) – « Deus æmulator, et ulciscens Dominus. » (Nahum, I, 2.) – Voyez Esther, acte I, scène V, vers 342 et 344.

[210] « Deus ultionum Dominus ; Deus ultionum libere egit. » (Psaume XCIII, 1.)

[211] « Dixerunt in corde suo... Quiescere faciamus omnes dies festos Dei a terra. » (Psaume LXXIII, 8.)

[212] Le nom de Christ peut s’entendre de Joas, qui va recevoir l’onction royale, et du sauveur promis, qui portera ce nom.

[213] Ce vers n’a sa rime qu’au premier vers de l’acte V. Voyez la note suivante.

[214] « Le premier vers de cet acte rime avec l’antépénultième du précédent. Racine a cru pouvoir en user ainsi, parce que le chœur lie les deux actes ensemble, et que Salomith, qui termine le quatrième acte, commence le cinquième. » (Sentiments de l’Académie.)

[215] « Unxit quoque illum Joïada poutifex, et filii ejus. » (Livre II des Paralipomènes, XXIII, 11.)

[216] Louis Racine dit ici dans ses Notes sur la langue d’Athalie : « Il s’est servi du même mot dans un de ses Cantiques (c’est dans le premier, au vers 34) :

Avec toi marche la Douceur,

Que suit avec un air affable

La Patience, etc.

Ces mots affable et affabilité sont devenus très français, malgré Patru qui les condamnait. »

[217] Le rapport est frappant entre ce passage et les vers 328 et suivants de l’Iphigénie d’Euripide ; il l’est plus encore lorsqu’on a sous les yeux l’imitation que Rotrou en a faite (Iphigénie en Aulide, acte II, scène II) :

Jamais pour s’élever on ne se mit si bas :

Vous offriez à l’un, à l’autre ouvriez les bras,

Serriez à l’un la main, jetiez les yeux sur l’autre.

Le premier de ces vers marque le sens satirique du morceau ; il ne pouvait y avoir dans les vers de Racine aucune intention semblable ; mais il a pensé qu’une telle peinture n’avait pas besoin d’être épigrammatique pour être vraie. Le troisième vers de Rotrou ressemble beaucoup au vers 1526 d’Athalie.

[218] « Imprecatique sunt ei, atque dixerunt : Vivat Rex. » (Livre II des Paralipomènes, XXIII, 11.)

[219] Sur l’arche sainte promenée autour de Jéricho, et sur l’écroulement des murailles de cette ville, voyez, le chapitre VI de Josué.

[220] Josué, pour traverser le Jourdain avec les Israélites, avait fait porter l’arche devant le peuple ; les eaux du fleuve s’arrêtèrent ; les prêtres qui portaient l’arche traversèrent, avec le peuple tout entier, le lit desséché du Jourdain. (Josué, III, 1-17.)

[221] Les éditions de 1736, etc. donnent, au lieu de l’abréviation : « LE CHŒUR. »

[222] On a objecté que l’autel de l’holocauste, qui était dans le vestibule (Exode, XL, 27), et les deux chérubins de bois d’olivier, hauts de dix coudées (livre III des Rois, VI, 23), qui couvraient l’arche de leurs ailes, ne se trouvaient pas dans le même lieu. Mais cela n’eût pas empêché les deux destructions sacrilèges d’être accomplies l’une après l’autre. L’autel d’ailleurs dont il est parlé dans le vers de Racine ne peut-il être l’autel de l’encens, qui était devant l’arche ? « Altare aureum in quo adoletur incensum, coram arca testiinonii. » (Exode, XL, 5.)

[223] « Il faut je l’ai vue en parlant d’Athalie ; on a condamné tout d’une voix je l’ai vu. » (Sentiments de l’Académie.)

[224] Dans l’édition de 1736 et dans la plupart des suivantes : « bas à Joad. » Nous avons déjà remarqué dans plusieurs autres endroits un semblable changement. Il paraît qu’on ne trouvait point tout bas d’un style assez noble.

[225] Le grand prêtre entrait seul dans le Saint des Saints. Il n’y entrait qu’une fois l’année (le jour de la fête de la Propitiation), ainsi qu’il avait été prescrit à Aaron. (Exode, XXX, 10.) – Voyez ci-dessus la Préface.

[226] Dans ses Notes manuscrites sur Athalie, Racine avait préparé la réponse aux reproches qu’on pouvait lui faire d’avoir mis un mensonge, ou tout au moins une blâmable équivoque dans la bouche du grand prêtre. Voici la première de ses notes sur ce passage : « Solvite templum hoc, etc., » pour justifier l’équivoque du grand prêtre, si on l’attaque. » Un peu plus loin, on lit cette seconde note : « Équivoque de Joad. 1° « Solvite templum hoc. » Saint Jean, II, 19. (Jésus comprend ces paroles dans un autre sens que celui qu’il veut faire entendre aux Juifs ; il leur dit de détruire ce temple, et qu’il le relèvera en trois jours. Ce temple est son corps.) 2° Martyre de saint Laurent. – À qui le Juge demanda les trésors de l’Église. « A quo cum quererentur thesauri Eeclesiæ, promisit demonstraturum se. Sequente die pauperes duxit. Interrogatus ubi essent thesauri quos promiserat, ostendit pauperes, dicens : Hi sunt thesauri Ecclesiæ... Laureutius pro siugulari suæ interpretationis vivacitate sacram martyrii accepit coronam. » Saint Ambroise, de Officiis (livre II, chapitre XXVIII). – Dans Prudence, saint Laurent demande du temps pour calculer toute la somme. – Saint Augustin même, si ennemi du mensonge, loue ce mot de saint Laurent : « Hæ sunt divitiæ Ecclesiæ. » (Serm., 303.) – Dieu a trompé exprès Pharaon. Synops. (Synopsis criticorum aliorumque S. scripturæ interpretum.) Dieu dit à Moïse : « Dimittite populum meum, ut sacrificet mibi in deserto. » (Exode, V, 1.) Et C. 8 (c’est-à-dire : et chapitre VIII de l’Exode, verset 28), Pharaon répond : « Ego dimittam vos, ut sacrificetis Domino Deo vestro in deserto. Verumtamen longius ne abeatis. » Une autre fois Pharaon dit : « Sacrifiez ici. » Moïse répond : « Nos victimes sont vos dieux. Abominationes Ægyptiorum immolabimus Domino. » (Ibidem, 25 et 26.) Donc Dieu voulait faire sortir le peuple tout à fait, et Pharaon ne l’entendait pas ainsi. » – Sur Pharaon trompé, dont Racine allègue l’exemple, il y a un passage singulier dans l’ouvrage qu’il cite (Synopsis criticorum, etc.) ; c’est une note, sur le verset 36 du chapitre XII de l’Exode. On y dit que la conduite des Israélites avait fait dire aux Manichéens que l’Ancien Testament n’était pas de Dieu, puisqu’il s’y montre fauteur de tromperies ; mais on répond que nous devons reconnaître pour bon et pour juste tout ce que Dieu fait. On y cite aussi cette opinion que les Hébreux n’avaient pas menti, quand ils avaient demandé à emprunter ce qu’ils n’avaient pas l’intention de rendre ; parce qu’il n’y a pas inconséquence à faire un contrat d’emprunt, et à se proposer de ne restituer que sous certaines conditions, comme : si je suis obligé de restituer, ou, si la chose à un autre titre ne devient pas ma propriété. « Les Israélites, comme Moïse avait fait autrefois quand il demanda a faire un voyage de trois jours, demandèrent aux Égyptiens de leur prêter des vases pour les sacrifices, ce que les Égyptiens entendaient avec cette restriction qu’ils leur seraient rendus après les sacrifices ; mais les Hébreux ne disaient pas qu’ils reviendraient. Dans ces deux faits il y eut dissimulation ; mais rien ne fut dit contre la vérité. » Si c’est, et nous le pensons, le passage que Racine avait sous les yeux, le croyait-il très propre a justifier l’équivoque de Joad ? Ne lui rappelait-il pas des doctrines flétries dans les Provinciales ?

[227] « Quelques-uns ont prétendu que faire ombre signifie éclipser, effacer, obscurcir, et ne pouvait pas se dire pour faire ombrage, qui signifie donner de la jalousie, du soupçon. » (Sentiments de l’Académie.) – Cependant l’Académie elle-même, dans l’édition de 1694 de son Dictionnaire, avait été d’un autre avis. On y lit au mot OMBRE : « On dit fig. d’un homme qui se délie de tout, que tout lui fait ombre. »

[228] « On ne dit point prendre sous son appui, quoique appui signifie protection : ces deux termes doivent s’employer avec des verbes différents. » (Sentiments de l’Académie.) – Il est certain que cette expression est formée d’images incohérentes.

[229] Les éditions de 1736, etc. donnent ainsi les acteurs de cette scène : « JOAD, JOSABET, ZACHARIE, SALOMITH, ISMAËL, DEUX LÉVITES, LE CHŒUR. »

[230] Dans l’édition de 1736 : « Il lui parle bas. »

[231] Après JOSABET, les éditions de 1736, etc. mettent : « ZACHARIE, SALOMITH, AZARIAS ; » et à la fin, au lieu de etc. : « LE CHŒUR. »

[232] « Levitæ autem circumdent Regem, habentes singuli arma sua. » (Livre II des Paralipomènes, XXIII, 7.)

[233] Au lieu d’espoir, l’édition de 1697 donne esprit, faute évidente.

[234] Dans l’édition de M. Aimé-Martin on lit ainsi ce vers :

Il laisse en mon pouvoir et ton temple et ta vie.

[235] Avant ce vers, dans l’édition de 1736, au lieu de l’indication : « Le rideau se tire, » on lit : « Le rideau étant tiré, on voit Joas sur son trône ; sa nourrice est à genoux à sa droite ; Azarias, l’épée à la main, est debout à sa gauche ; et près de lui, Zacharie et Salomith sont à genoux sur les degrés du trône ; plusieurs lévites, l’épée à la main, sont rangés dans les côtés. » La plupart des éditions suivantes ont reproduit cette indication scénique, en remplaçant : « dans les côtes, » par « sur les côtes. »

[236] Dans cette indication scénique, au lieu de : « les lévites armés sortent etc., » les éditions de 1736, etc. portent : « les lévites armés entrent... etc. »

[237] « Audivit autem Athalia vocem populi currentis ; et ingressa ad turbas in templum Domini, vidit Regem stantem super tribunal juxta morem, et cantores et tubas prope eum, omnemque populum terra ; lætantem, et canentem tubis ; et scidit vestimenta sua, clamavitque : Conjuratio, conjuratio. » (Livre IV des Rois, XI, 13 et 14.)

[238] « Et vidi mulierem ebriam de sanguine sanctorum. » (Apocalypse, XVII, 6.)

[239] Ici et aux deux scènes suivantes, l’édition de 1736, et la plupart des éditions postérieures, au lieu de etc., donnent : « et tous les acteurs de la scène précédente. »

[240] « Sicut déficit fumus, deficiant. » (Psaume LXVII, 3.)

[241] Racine, dans ses Notes manuscrites sur Athalie, transcrit ce vers depuis les mots du haut, et le fait suivre de quelques lignes qui nous apprennent dans quel souvenir il avait pris l’idée de cette proclamation faite au peuple du haut du temple : « On fit monter saint Jacques, frère du Seigneur, au haut du temple, pour y déclarer à tout le peuple ses sentiments sur J. C. Et aussitôt tous ses ennemis y montèrent en foule pour l’en précipiter. »

[242] Voyez la défaite des Madianites par Gédéon dans le Livre des Juges, VII, 16-22. Le bruit des trompettes des Israélites, des vases où ils portaient leurs torches, et leurs cris : « Glaive du Seigneur et de Gédéon, » frappèrent les ennemis de terreur.

[243] « Lætatusque est omnis populus terræ, et civitas conquievit. » (Livre IV des Rois, XI, 20.)

[244] « Ingressusque est omnis populus terræ templum Baal, et destruxerunt aras ejus, et imagines contriverunt valide ; Mathan quoque, sacerdotem Baal, occiderunt coram altari. » (Ibidem, 18.)

[245] L’expression : Achab détruit, que nous avons déjà vue plus haut, au vers 113, paraît d’abord rappeler les mots : Mithridate détruit, du vers 921 de Mithridate. Cependant les commentateurs de Racine qui ont admiré la hardiesse de l’expression dans te dernier vers, n’ont en général rien dit des deux vers d’Athalie, où l’on pourrait croire que le poète s’est imité lui-même. La hardiesse poétique, si l’on y prend bien garde, n’est pas la même, ici du moins où le triomphe de David, et la destruction d’Achab signifient clairement le triomphe de la maison de David, la destruction de la maison d’Achab.

[246] Au lieu de la seconde personne, les deux premières éditions (1691 et 92) ont la troisième : « M’a. » Comparez le vers 902 d’Iphigénie.

[247] Après ce vers, on lit dans les éditions de 1736, etc. : « Athalie sort ; les lévites la suivent. »

[248] « Præcepit autem Joïada centurionibus qui erant super exereitum, et ait eis : Educite eam extra septa templi ; et quieumque eam secutus fuerit, feriatur gladio. Dixerat enim sacerdos : Non occidatur in templo Domini. » (Livre IV des Rois, XI, 15.)

[249] « Meurtrir pour tuer a vieilli. » (Sentiments de l’Académie.) – Le même emploi du participe meurtri se trouve dans le Triomphe de la Ligue, dont les vers nous ont déjà fourni l’occasion de rapprochements. Hiérosme l’écuyer, racontant la vengeance exercée par le Roi sur les restes sanglants du duc de Guise et de son frère le cardinal, dit dans la scène II de l’acte V :

Puis des frères meurtris les beaux chefs il fait prendre

Par la main du bourreau...

Meurtrir est pris aussi plusieurs fois au même sens dans les Juifves de Garnier, dont nous avons parlé ci-dessus.

[250] Avant ce vers, dans les éditions de 1736, etc. : « JOAS, descendu de son trône. »

[251] Ce vers, dans les éditions de 1736, etc., commence la scène suivante, et est précédé de l’indication : JOAD, au lévite. »

[252] On peut remarquer, sinon comme une preuve certaine d’imitation, au moins comme un rapprochement singulier, que ces quatre vers qui résument si bien tout l’esprit de la pièce, et en tirent une grande leçon, répondent assez aux sentences religieuses par lesquelles se termine aussi la tragédie d’Ion. C’est le Chœur qui parle ainsi : « Ô Apollon, fils de Diane et de Latone, adieu : celui dont la maison est livrée aux orages du malheur, doit prendre confiance, s’il observe la piété envers les Dieux ; car à la fin les bons obtiennent les grâces qu’ils ont méritées, et jamais les méchants, telle est leur nature, ne sauraient être heureux. » (Vers 1619-1622.)

Voltaire, qui a fait aux vers d’Athalie plusieurs emprunts peu déguisés, que nous n’avons pas cru utile de signaler tous, finit par cette imitation de Racine la tragédie de Sémiramis :

Par ce terrible exemple, apprenez tous du moins

Que les crimes secrets ont les Dieux pour témoins ;

Plus le coupable est grand, plus grand est le supplice.

Rois, tremblez sur le trône, et craignez leur justice.

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