Les Rivales (Philippe QUINAULT)

Comédie en cinq actes et en vers.

Représentée pour la première fois, à Paris, à l’Hôtel de Bourgogne, en 1653.

 

Personnages

 

PHILIPIN, valet d’Alonce

ISABELLE, maîtresse d’Alonce

ÉLISE, suivante d’Isabelle

DOM ALONCE, amant d’Isabelle et de Philidie

PHILIDIE, rivale d’Isabelle

DOM LOPE, père de Philidie

FÉDÉRIC, hôte de Castelblanc

L’HÔTESSE

DOM FERNAND, frère d’Isabelle

 

La Scène est à Lisbonne.

 

 

ACTE I

 

 

Scène première

 

PHILIPIN, s’éveillant sur un tas de pierres

 

Où suis-je ? quel Démon en ce lieu m’a porté ?

Je suis transi de froid, et, de plus, tout crotté ;

Ha ! j’ai les reins brisés ! quel maudit tas de pierres !

Mais où pensé-je aller ? on ne voit ciel ni terre ;

À deux doigts de mon nez, mes yeux ne sauraient voir,

Et je crois qu’en un four il ne sait pas si noir.

J’en soupçonne la cause, et j’ai bonne mémoire

Qu’au logis d’Isabelle Élise m’a sait boire.

Cette aimable suivante est digne, sur ma soi,

D’avoir pour serviteur un homme tel que moi ;

Pour faire ainsi dépense ; il faut bien qu’elle m’aime ;

Elle envoyait au vin avec un soin extrême ;

Elle n’en est pas quitte au moins pour un écu ;

J’ai mis par quatre sois la pinte sur le cu,

Et sans doute qu’après cette débauche insigne ;

Troublé de la vapeur du doux jus de la vigne,

Le bon père Bacchus, en ce lieu m’a conduit,

Et m’a fait sommeiller ainsi jusqu’à la nuit.

Il n’en faut point douter : un mal de tête horrible

Est de ces vérités la preuve trop sensible ;

J’ai le palais bien sec, le gosier enflammé,

Et me voilà, du moins, pour deux jours enrhumé.

Ce n’est pas tout : mon maître est un dangereux homme,

Il s’en faudra bien peu tantôt qu’il ne m’assomme,

Je vais sentir pleuvoir une grêle de coups.

Avecque Philidie il a pris rendez-vous,

 Je l’y devais attendre, et demain, que je pense,

Du bon temps d’aujourd’hui je ferai pénitence ;

Et possible qu’après m’avoir bien outragé,

Il pourra, sans argent, me donner mon congé.

Au diable soit l’amour ! mais, ou j’ai la berlue,

Ou dans l’obscurité je remets cette rue :

Philidie y demeure, et voilà sa maison ;

J’y vois de la lumière, ou je suis sans raison ;

Possible que la Belle attend encor mon maître ;

Je voudrais bien savoir quelle heure il pourrait être

Mais je me trompe fort, ou quelqu’un vient ici,

Qui rendra sur ce point mon esprit éclairci.

 

 

Scène II

 

ISABELLE, ÉLISE, PHILIPIN

 

ISABELLE.

Élise, tu m’apprends une étrange nouvelle :

Alonce m’abandonne, Alonce est infidèle,

Et quand, pour moi, l’ingrat doit être plus atteint,

Sa chaîne vient à rompre, et sa flamme s’éteint !

Pourrait-il bien commettre une action si noire,

Après tant de serments ? non, je ne le puis croire.

ÉLISE.

Croyez-moi ; Philipin tantôt m’a tout conté :

Son départ pour la Flandre est un point arrêté.

De plus, il galantise une beauté nouvelle,

Et doit enfin passer cette nuit avec elle.

ISABELLE.

De sa bonne fortune il m’aura pour témoin ;

Mais du logis marqué sommes-nous encor loin ?

Vois bien, je ne fuis pas du perfide attendue.

PHILIPIN.

Il n’est pas tard, je vois des femmes dans la rue,

Il nous faut éclaircir : Madame, s’il vous plaît,

Je pourrai bien de vous savoir quelle heure il est ?

ÉLISE.

Philipin, est-ce toi ?

PHILIPIN.

C’est Élise, ou je meure.

Ha ! puisque je te tiens, je me moque de l’heure :

Fais-moi voir seulement, si tu veux m’obliger,

Que je t’ai rencontrée à l’heure du berger.

ÉLISE.

Ma maîtresse me suit.

PHILIPIN.

Mon Élise, mon âme !

ÉLISE.

Tout beau !

ISABELLE.

Qui parle à vous ?

ÉLISE.

C’est Philipin, Madame.

ISABELLE.

Hé ! bien, mon cher ami, ton maître est-il venu ?

PHILIPIN.

Mon maître !

ISABELLE.

Le secret ne m’est pas inconnu.

Il doit être en chemin dans l’ardeur qui le presse ;

Viens-tu, de sa venue, avertir sa maîtresse ?

PHILIPIN.

Je n’en connais que vous.

ISABELLE.

Va, j’en sais tout le fin.

PHILIPIN, à part.

Comment, elle sait tout ! Elle a vu le devin.

Haut.

Madame, tout le monde aime fort à médire.

ISABELLE.

Tu sais qu’on m’a dit vrai ; mais c’est que tu veux rire.

Tu sais tout le complot.

PHILIPIN.

Non, soi d’homme de bien.

Je veux être pendu, si...

ÉLISE.

Ne jure de rien ;

Tantôt, mangeant chez nous le fromage et la poire,

Ne m’as-tu point, au long, appris toute l’histoire ? 

Ne m’as-tu pas conté qu’Alonce, cette nuit,

Serait, chez Philidie, en secret introduit,

Et qu’en lui promettant de la prendre pour femme,

La belle devait tout accorder à sa flamme ?

N’as-tu point dit encor, qu’Alonce est sur le point

D’aller voir le pays, quoiqu’il n’en parle point ;

Que son père l’oblige à voir toute l’Espagne,

Et d’aller faire ensuite en Flandre une campagne ;

Qu’il doit quitter ces lieux dans trois jours au plus tard,

Et qu’enfin tout est prêt déjà pour son départ ?

PHILIPIN.

Moi, je t’ai dit cela ?

ÉLISE.

Pourquoi tout ce mystère ?

L’ai-je pu deviner ?

PHILIPIN.

Ha ! je me désespère !

Ô malheureux poison ! ô vin trois sois maudit,

Qui, sur ma pauvre langue, a pris tant de crédit !

ÉLISE.

Qu’as-tu donc, Philipin ?

PHILIPIN.

Laisse-moi, fine mouche,

Qui, pour voir dans mon cœur, as sait ouvrir ma bouche ;

Avec ta bonne chère enfin, tu m’as perdu,

Et jamais un repas ne fut si cher vendu.

Quel malheur ! quelle honte ! ha ! de grand cœur j’enrage.

ISABELLE.

Il ne faut point, ami, t’affliger davantage ;

Si ton maître se fâche, et que tu sois chassé,

Bientôt, par ma faveur, tu seras mieux placé :

Tandis, pour t’assurer de ce que je propose,

Tien, prends ce diamant, attendant autre chose ;

Je n’ai pas pris ma bourse.

PHILIPIN.

Ha ! Madame, il suffit,

Mon crime est trop payé, s’il vous tourne à profit ;

Encor qu’avec danger, je vous sers avec joie,

Et je serais, pour vous, de la fausse monnaie.

Mon maître a fort grand tort, et je suis enragé,

Qu’avecque Philidie il se soit engagé ;

Ce qu’elle a de beauté n’est, ma foi, rien qui vaille

Et vous valez écu mieux qu’elle ne vaut maille.

ISABELLE.

Ton maître, cependant, en est beaucoup épris ?

PHILIPIN.

Point : il m’en a parlé souvent avec mépris ;

Mon maître est de ces gens, dont le siècle est fertile,

Qui parleraient d’amour en un jour à cent mille ;

Aussi je ne crois pas qu’il vienne au rendez-vous ;

Je fais qu’il feint pour elle, et qu’il n’aime que vous.

ISABELLE.

Il la peut épouser sans que j’en sois jalouse.

PHILIPIN.

Allez, ne craignez pas que mon maître l’épouse.

ISABELLE.

Il le promet pourtant.

PHILIPIN.

Ha ! voilà bien de quoi !

Un amant qui promet, ne donne pas sa foi.

ISABELLE.

Mais il ne m’aime plus ?

PHILIPIN.

Madame, il vous adore :

Hier même, en soupirant, il le disait encore ;

Toutes les fois qu’il passe un seul jour sans vous voir,

Il fait des actions d’un homme au désespoir.

Il se plaint fort souvent de la rigueur fatale,

Qui rend, à vos grands biens, sa richesse inégale,

Et fait que votre père a pu lui refuser

L’honneur de vous servir, et de vous épouser.

ISABELLE.

Cette fille l’engage, et c’est ce qui me choque.

PHILIPIN.

De ces engagements aujourd’hui l’on se moque,

Et, pour vous dire tout, c’est que, sans l’avertir,

Dans deux jours, pour la Flandre, Alonce doit partir.

ISABELLE.

L’on vient ; est-ce ton maître ?

PHILIPIN.

Oui, c’est lui, ce me semble.

ÉLISE.

Il sera bien surpris !

PHILIPIN.

Déjà pour lui je tremble ;

Je m’en vais l’avertir que vous êtes ici.

ISABELLE.

Il n’en est pas besoin, j’en prendrai le souci.

 

 

Scène III

 

ALONCE, ISABELLE, ÉLISE, PHILIPIN

 

ALONCE.

Je ne vais qu’à tâtons ; le flambeau qui préside

Sur les feux de la nuit, ne me sert point de guide.

Et, pour mes vœux secrets, n’osant se déclarer,

N’éclaire point du tout, pour ne pas m’éclairer.

Amour, conduis mes pas dans une nuit si noire ;

Les douceurs que je cherche, augmenteront ta gloire ;

J’approche de l’endroit où vont tous mes désirs.

Mais quel fâcheux remords vient troubler mes plaisirs !

Isabelle a ma foi, je l’adore ; elle m’aime :

Je vais trahir ma flamme et son amour extrême.

Le crime est sur mes pas, fuyons d’ici ; mais quoi !

J’ai promis, on m’attend, que dira-t-on de moi ?

J’ois du bruit, avançons ; je crois voir une femme.

Est-ce vous, Philidie ?

ISABELLE, déguisant sa voix.

Oui.

ALONCE.

Charme de mon âme !

ISABELLE, bas.

Feignons bien.

ALONCE.

Vos bontés égalent vos appas.

Puis-je entrer ?

ISABELLE.

Tout à l’heure.

ALONCE.

Enfin...

ISABELLE.

Parlez plus bas.

PHILIPIN.

Élise, comment donc ! ils se font des caresses !

Mon maître assurément prend son nez pour ses fesses ;

Il faut le détromper.

ÉLISE.

Comment ! garde-t’en bien !

PHILIPIN.

Monsieur ?

ÉLISE.

Je dirai tout !

ALONCE.

Qu’est-ce ? que veux-tu ?

PHILIPIN.

Rien.

Pour vous faire parler, j’ai crié de la sorte,

Afin de vous connaître.

ALONCE.

Attends à cette porte,

Et si tu vois quelqu’un, par hasard, en sortir,

Accours, sans faire bruit, pour nous en avertir.

ÉLISE.

Je t’aime !

PHILIPIN.

Avec moi donc, viens faire sentinelle.

ÉLISE.

Veux-tu qu’en s’en allant ma maîtresse m’appelle ?

ISABELLE.

Je crois que vous m’aimez !

ALONCE.

Il n’est point sous les cieux

D’objet qui, loin de vous, ne me soit ennuyeux ;

Deux beaux yeux pleins d’éclat n’ont jamais, dans une âme,

Produit tant de respect avecque tant de flamme,

Et tout ce que l’amour a fait de languissants,

N’a jamais eu les feux que pour vous je ressens,

ISABELLE.

Je croirais tout cela sans l’amour d’Isabelle.

ALONCE.

Vos beautés, dans mon cœur, l’ont emporté sur elle ;

Et, dès le premier jour que je vins à vous voir,

Vous avez, en mon âme, usurpé son pouvoir.

Je crois qu’en vous voyant, Isabelle elle-même,

Ne me haïrait pas de ce que je vous aime ;

Elle vous doit céder : vos charmes, que je sers,

Peuvent, dans un instant, rompre et donner des fers ;

Et toute la beauté, dont cet objet se vante,

Pour garder un captif, n’est pas assez puissante.

L’éclat dont vous brillez, me fait voir clairement

Qu’on ne la peut aimer qu’avec aveuglement ;

Et quand je pense à vous, je la considère,

Je ne remarque point d’attraits qui doivent plaire.

ISABELLE, se découvrant.

Je suis fort obligée à ce discours flatteur ;

Isabelle est donc laide, infidèle, imposteur !

Quoi donc ! âme inconstante autant que déloyale,

Tu fais, à mes dépens, ta cour à ma rivale !

ALONCE.

Mon aimable Isabelle !...

ISABELLE.

Ah ! ne me parle plus,

De tes déloyautés tu dois être confus.

Ingrat, qu’on peut nommer le plus grand des parjures,

Cesse de m’abuser, achève tes injures.

Ta bouche assez longtemps m’a trop bien figuré

Un tourment que ton cœur a toujours ignoré ;

Elle m’avait déjà si bien persuadée

De l’excès d’un amour, qui n’était qu’une idée,

Que je n’aurais jamais pu croire ton mépris,

Si ta bouche, aujourd’hui, ne m’avait fait paraître

Qu’enfin je suis trompée, et que tu n’es qu’un traître.

Tu m’abandonnes, lâche ! et ton cœur inconstant

En des feux criminels s’engage en me quittant !

PHILIPIN.

Peste, comme elle crie ! elle en est aux reproches,

Et mon maître est penaud comme un sondeur de cloches.

ALONCE.

Ma faute et mon malheur sont sans comparaison ;

Toute excuse me manque, et vous avez raison.

ISABELLE.

Perfide ! je t’aimais, et mon âme charmée

S’estimait trop heureuse en se croyant aimée,

Et n’eût point préféré, dans sa fidèle ardeur,

L’empire de la terre à celui de ton cœur.

Juge, juge à quel point ton changement me blesse ;

Tu connais mon amour, ou plutôt ma faiblesse ;

Je vivais pour toi seul, et tu n’ignores pas

Que cette trahison va causer mon trépas :

Ingrat ! est-ce le prix de mon amour sincère ?

J’ai reçu tes serments ; sans l’aveu de mon père

Je me suis engagée, Si s’il avait fallu

Qu’il eût, contre mon choix, mon hymen résolu.

Je me se rois, pour toi, malgré lui conservée,

J’aurais bien consenti de me voir enlevée,

Et n’aurais pas tremblé de cent périls divers,

En suivant ta fortune au bout de l’univers.

Je te l’avais promis, et sans doute un barbare

Aurait été touché d’une bonté si rare ;

Cependant, quand déjà je te crois mon époux

Tu promets mariage, et prends des rendez-vous !

D’un objet tout nouveau, ton âme est enflammée ;

Ton feu, qui brillait tant, n’est plus rien que fumée,

Et comme un faux ardent, dont l’éclat éblouit,

Me mène au précipice, et puis s’évanouit.

Ha ! c’en est trop, ingrat ! je romps aussi ma chaîne,

Et mon amour jadis fut moindre que ma haine.

Mais c’est trop t’arrêter, va mieux palier la nuit,

Achève ton dessein.

 

 

Scène IV

 

PHILIDIE, ALONCE, ISABELLE, ÉLISE, PHILIPIN

 

PHILIDIE.

Sortons, j’entends du bruit.

ISABELLE.

Entre ; qui te retient, monstre de perfidie !

PHILIPIN.

On fort de la maison, Monsieur ; c’est Philidie.

ISABELLE.

Laisse-moi.

ALONCE.

Je vous suis.

ISABELLE

On t’attend là-dedans.

ALONCE.

Je ne vous quitte point, de crainte d’accidents.

ISABELLE.

Lorsque plein d’inconstance à mes yeux tu te montres,

Pourrais-je redouter de plus tristes rencontres ?

ALONCE.

Je vous conduis chez vous.

ISABELLE.

Non, tu te ferais tort ;

Entre, je fais des vœux pour rencontrer la mort.

PHILIPIN.

Prenez garde, elle avance.

ALONCE.

Ô rigueurs effroyables !

PHILIPIN.

Deux femmes en Fureur valent pis que deux diables.

Monsieur, gagnons au pied ; je ne vois rien pour nous,

Si ce n’est des gros mots, et possible des coups.

ALONCE.

Ô rendez-vous fatal ! ô fortune cruelle,

Qui m’ôte Philidie et m’arrache Isabelle !

Pour m’excuser ici, tout effort serait vain.

Quittons ce lieu funeste, et partons dès demain.

Il se retire.

 

 

Scène V

 

PHILIDIE, ISABELLE, ÉLISE

 

PHILIDIE.

Ce sont quelques passants.

ISABELLE.

Il est entré, ce lâche !

Ma rivale avec lui rit de ce qui me fâche,

L’ingrat vole, à mes yeux, où tendent ses désirs,

Et mon dépit mortel augmente ses plaisirs.

Ha ! je veux l’imiter : déjà je le déteste

Beaucoup plus que la mort, cent fois plus que la peste,

Plus qu’un tigre effroyable et qu’un monstre odieux ;

Mais, quoi ! dans ce dessein j’ai les larmes aux yeux !

Et lorsque je m’efforce à l’ôter de mon âme,

Je sais sortir mes pleurs et je retiens ma flamme.

Oui, perfide l’en mon cœur tu t’es rendu si sort,

Que tu n’y saurais plus périr que par ma mort.

Comme ta trahison, mon amour est extrême ;

Tu cesses d’être aimable, et toutefois je t’aime ;

Mais, puisque de ce mal rien ne me peut guérir,

Pour étouffer ma flamme, ingrat ! je vais mourir.

Mourir ! et cependant une autre avec audace,

Triomphant de mon bien, rira de ma disgrâce !

Non, non ; il faut mêler ses roses de cyprès ;

Perdons notre rivale, et périssons après ;

Faisons si bien qu’Alonce ait part à nos alarmes,

Et qu’après notre mort il verse encor des larmes.

Elle se retire.

 

 

Scène VI

 

PHILIDIE

 

Ces passants dans la nuit ont un long entretien :

Écoutons de plus près ; mais je n’entends plus rien.

Alonce, que j’attends, souffre que je te blâme,

La fin de mes refus a sait cesser ta flamme.

Ta froideur se sait voir dans ton retardement,

Le nom de paresseux détruit le nom d’amant.

Un amant attendu mérite qu’on l’accuse ;

Il a toujours sailli, quand il faut qu’il s’excuse ;

Et, quelqu’obstacle enfin qui le puisse arrêter,

Avec un peu d’amour il doit tout surmonter ;

Malgré l’orgueil d’un sexe, à qui le tien défère,

J’aurais bien plutôt sait le pas que tu dois faire.

 

 

Scène VII

 

DOM LOPE, PHILIDIE

 

DOM LOPE.

Oui, ma fille est dehors ; c’est elle que je voi.

PHILIDIE.

Enfin j’entends du bruit, et quelqu’un vient à moi ;

Est-ce toi, cher amant ? tu m’as bien fait attendre.

DOM LOPE, à part.

Ô Dieux ! quelle infortune ! ha ! que viens-je d’entendre ?

Ma fille abandonnée, attend un suborneur ;

Quel affront ai-je à craindre après ce déshonneur ?

PHILIDIE.

Cher Alonce, est-ce toi ? parle avec assurance ;

À ta paresse, au moins, ne joins pas le silence ;

Dans un profond sommeil, mon père enseveli,

A mis sa défiance et ses soins en oubli,

Et tous nos surveillants, surpris des mêmes charmes,

Ne sont plus en état de nous donner d’alarmes.

Quoi ! tu crains mon abord ? ô Dieux ! quel changement !

Alonce, si c’est toi, parle mon cher amant.

DOM LOPE.

Que te dirai-je, horreur des plus abandonnées,

Qui me couvre de honte en mes vieilles années !

Méchante ! quel discours pourrais-je concevoir,

Qui marquât tout ton crime et tout mon désespoir ?

PHILIDIE.

C’est mon père, ô fortune injuste et rigoureuse !

Ô misérable amante ! ô fille malheureuse !

DOM LOPE.

Rentre, rentre, méchante ! et me commets ce soir

Le soin d’attendre Alonce et de le recevoir.

PHILIDIE.

N’entrons point au logis, évitons sa colère.

DOM LOPE.

Ô ciel, qui de ce monstre as su me rendre père !

Que ne confondais-tu, malgré mon mauvais sort,

Le jour de sa naissance et le jour de sa mort ?

Et toi, qui m’as forcé d’aller chercher ma honte,

Conseiller malheureux, dont j’ai trop sait de conte,

Soupçon trop véritable et trop pernicieux,

Pourquoi m’as-tu pressé de venir en ces lieux ?

Sans toi, dans le repos je me verrais encore ;

Ce n’est pas un grand mal que celui qu’on ignore.

Par un succès funeste, aux soupçons attaché,

J’ai trouvé trop enfin, pour avoir trop cherché.

 

 

ACTE II

 

 

Scène première

 

L’HÔTESSE, FÉDÉRIC

 

L’HÔTESSE.

Mais est-il un mari qui soit d’humeur si sombre ?

FÉDÉRIC.

Mais les cocus, sans moi, sont en assez grand nombre.

L’HÔTESSE.

Qui t’a fait prendre ainsi des sentiments jaloux ?

FÉDÉRIC.

Qui t’a si bien appris à faire les yeux doux ?

L’HÔTESSE.

Faut-il aux survenants montrer des yeux si rudes ?

FÉDÉRIC.

Faut-il donner matière à mes inquiétudes ?

L’HÔTESSE.

Mais on n’oserait donc ni rire ni parler ?

FÉDÉRIC.

Mais j’enrage tout vif quand je t’ais cajoler.

L’HÔTESSE.

Ha ! j’aime autant mourir que de vivre en esclave.

FÉDÉRIC.

Ha ! j’aime mieux cesser d’avoir du vin en cave.

L’HÔTESSE.

Tu prends au criminel des regards innocents,

Je n’oserais donc plus recueillir les passants.

FÉDÉRIC.

Ce sont, à mon avis, des excuses frivoles,

Allant au-devant d’eux, on dirait que tu voles :

Tu prends un air plus gai qu’un jeune émerillon,

Ou qu’un petit lapin qui revient du bouillon ;

Tu mignardes ta voix.

L’HÔTESSE.

Et crois-tu qu’une hôtesse,

Qui porte sur le front une morne tristesse,

Attire les passants d’un sourcil refrogné !

FÉDÉRIC.

Le style que tu prends, en est bien éloigné.

L’HÔTESSE.

Va, puisque ton humeur est si désagréable,

Cherche une autre que moi qui serve sur la table,

Qui, pour tout ordonner, se lève si matin,

Et prenne garde à tout, quand tu tires du vin.

Je vais me renfermer ; de peur que je ne sorte,

Comme un bon gardien, prends la clef de la porte.

FÉDÉRIC.

Elle s’en va pleurer tout le reste du jour ;

Va, ne te fâche point, excuse mon amour.

L’HÔTESSE.

Je ne puis excuser un amour qui m’outrage.

FÉDÉRIC.

Si je ne t’aimais point, je n’aurais point d’ombrage ;

Il ne m’adviendra plus de t’en parler jamais.

L’HÔTESSE.

Tu me le promets donc ?

FÉDÉRIC.

Oui, je te le promets.

L’HÔTESSE.

Et moi je te promets que le plus beau visage,

Le corps le plus adroit, et l’esprit le plus large,

Fût-il, avec cela, riche comme un banquier,

S’il me parlait d’amour, n’aurait point de quartier.

Crois que j’ai tant d’honneur, que j’ai tant de confiance,

Que tu peux, en tout temps, dormir en assurance.

FÉDÉRIC.

Hors ce petit martel, depuis quatre ou cinq ans,

Nous vivons sans débats, ainsi que deux enfants ;

Ce mal, qui me déplaît, m’est comme héréditaire,

Il tenait au cerveau de feu Monsieur mon père.

L’HÔTESSE.

De grâce, efforce-toi de le chasser du tiens ;

Ne sois plus si jaloux, et je t’aimerai bien.

FÉDÉRIC.

Que sa main est douillette ! ha, ma joie extrême ;

Mais j’ai peur qu’à quelqu’autre elle en fasse de même.

L’HÔTESSE.

Ne t’avise donc plus de venir m’éclairer.

FÉDÉRIC.

D’une si bonne femme il se faut assurer ;

Mais voyons si notre hôte en la chambre repose,

Il pourrait bien avoir besoin de quelque chose.

L’HÔTESSE.

Le voici.

 

 

Scène II

 

PHILIDIE, FÉDÉRIC, L’HÔTESSE

 

PHILIDIE, déguisée en homme.

Mes soupçons sont assez évidents.

FÉDÉRIC.

Cet homme me déplaît, il parle entre ses dents.

PHILIDIE.

Puisqu’Alonce est parti, c’est qu’il est infidèle,

Et qu’en m’abandonnant il emmène Isabelle ;

Mais je le trouverai, s’il est dessous les cieux,

Et je ferai périr ma rivale à ses yeux.

Tenez mon cheval prêt.

FÉDÉRIC.

Quoi ! Monsieur, tout à l’heure ?

PHILIDIE.

Il ne se peut qu’ici plus longtemps je demeure.

L’HÔTESSE.

Mais le jour est déjà bien proche de sa fin.

PHILIDIE.

Pressé comme je suis, je dois gagner chemin.

L’HÔTESSE.

Des voleurs cependant redoutez la surprise.

Un marchand, sur le soir, fut mis hier en chemise :

Un homme seul si tard ne s’en pourra sauver.

PHILIDIE.

N’importe, il faut partir, quoi qu’il doive arriver.

FÉDÉRIC.

Tu retardes Monsieur.

L’HÔTESSE.

Partez, il ne m’importe ;

Mais on sert bien ici les gens de votre sorte.

Le vin est excellent, nos lits sont des meilleurs ;

Vous vous repentirez, si vous allez ailleurs,

Et trouverez peut-être, au lieu d’hôtellerie,

Ou quelque coupe-gorge, ou quelqu’écorcherie.

PHILIDIE, à Fédéric.

Enfin, quoi qu’il en soit, je vous rendrai content ;

Amenez mon cheval.

FÉDÉRIC.

Monsieur, tout à l’instant.

 

 

Scène III

 

L’HÔTESSE, PHILIDIE

 

L’HÔTESSE.

Puisque votre départ est si fort nécessaire,
Je ne dirai plus rien, Monsieur, qui le diffère. 
Mais je suis curieuse, et voudrais bien savoir 
D’où vient la sombre humeur que vous nous faite voir.
Vous avez tant de grâce avec votre tristesse,
Qu’en votre mauvais sort, déjà je m’intéresse, 
Et trouve que chacun doit prendre part aux maux 
D’un homme comme vous qui n’a guère d’égaux. 
Dans votre âme sans doute un noir chagrin préside ; 
Vous regardez par fois le ciel d’un œil humide, 
Et ne pouvez qu’à peine en ce grand déplaisir, 
Prononcer quatre mots, sans lâcher un soupir.

Vous rêvez à toute heure, et je suis bien trompée, 
Ou quelque passion a votre âme occupée. 
Serait-ce point l’amour qui vous rend malheureux ?
C’est ainsi qu’on languit, quand on est amoureux,
Surtout quand on s’adresse à quelque âme cruelle, 
Qui ne peut concevoir une ardeur mutuelle.

PHILIDIE.

Hélas ! c’est là mon mal, vous l’avez deviné. 
Sous de rigoureux fers mon cœur est enchaîné, 
Et l’on ne peut souffrir, sous l’amoureux empire, 
Des maux pareils à ceux qui font que je soupire. 

L’HÔTESSE.

Depuis quel temps l’amour fait-il votre tourment ?

PHILIDIE.

Mon désespoir commence en ce jour seulement ;
Oui, ce n’est qu’en ce jour que j’ai pu reconnaître

Les rigueurs de l’amour dans les maux qu’il sait naître,

Et le mortel ennui, dont on est alarmé,

Quand on aime et qu’on sait qu’on ne peut être aimé.

En vain j’ai dans le cœur un excès de tendresse.

L’HÔTESSE, à part.

Serait-ce bien à moi que ce discours s’adresse ?

PHILIDIE.

Le cœur que je demande, a quelqu’autre lien ;

Un objet plus heureux m’enlève tout mon bien,

Et, rendant en ce jour mon espérance éteinte,

Produit le désespoir dont mon âme est atteinte,

Et sait que de ces lieux diligemment je suis,

Sans même oser parler de la peine où je suis.

L’HÔTESSE, à part.

C’est à moi qu’il en veut, tout de bon je le pense.

De cet objet aimé,

Haut.

regrettez-vous l’absence ?

À part.

Voyons ce qu’il dira.

PHILIDIE.

Ce n’est pas mon souci ;

Ce que j’aime n’est pas encore loin d’ici.

Que sa vue aujourd’hui coûte cher à mon âme !

L’HÔTESSE, à part.

Que son adresse est grande à découvrir sa flamme !

PHILIDIE.

Vous ne concevez rien à mon tourment égal,

La fortune et l’amour se plaisent dans mon mal :

À l’envi l’un de l’autre ils causent mes alarmes.

L’HÔTESSE, à part.

Ma foi, j’en ai pitié ; Dieux ! il répand des larmes.

PHILIDIE.

Engagement fatal !

L’HÔTESSE, à part.

Se peut-il qu’en naissant,

Un feu que j’ai causé, soit déjà si puissant ?

De tels embrasements sont choses fort nouvelles ;

On me l’avait bien dit que j’étais des plus belles.

PHILIDIE.

Hélas !

L’HÔTESSE, à part.

Je sais sa peine, il n’en faut point douter,

Je ne la puis guérir ; mais je la puis flatter.

PHILIDIE.

Amant trop malheureux ! trop aveugle maîtresse !

L’HÔTESSE.

Monsieur, donnez relâche à l’ennui qui vous presse,

Ne feignez plus, je sais qui vous sait soupirer,

J’en connais bien la cause, et puis vous assurer

Qu’elle sait votre peine et qu’elle la partage.

PHILIDIE.

Le savez-vous, Madame ?

L’HÔTESSE.

Oui, je sais davantage,

Qu’elle est en ce logis, et que, restant ce soir,

Vous verrez qu’elle aura du plaisir à vous voir.

PHILIDIE.

Du plaisir à me voir ! serait-il bien possible ?

Ô Dieux !

L’HÔTESSE.

Qu’à ce bonheur il se montre sensible !

PHILIDIE.

Lui pourrai-je parler ?

L’HÔTESSE.

Oui, sans déguisement ;

Que ce soit toutefois un peu discrètement.

Vous m’aimez, je le vois ; mais les nœuds d’hyménée

Rendent à Fédéric ma passion bornée ;

Ses ardeurs seulement me doivent émouvoir,

Et souffrant vos discours, je choque mon devoir.

Si je suivais aussi ma première pensée,

De vos contes d’amour je serais offensée ;

Mais j’excuse un jeune homme, et dois me souvenir

Que sa faute est à plaindre et non pas à punir.

PHILIDIE.

Sachez...

L’HÔTESSE.

Je sais bien tout.

PHILIDIE.

Qu’elle est extravagante !

Mais...

L’HÔTESSE.

Mais consolez-vous, je veux être indulgentes

Et, tant que mon honneur ne sera point blessé,

Je vous traiterai mieux que vous n’avez pensé.

C’est tout ce qu’une femme, à l’hymen engagée,

Peut pour rendre aujourd’hui votre âme soulagée.

Fédéric, unissant mes destins à ses jours,

En recevant ma foi, prit toutes mes amours.

Il m’aime, et mon ardeur, à la sienne pareille,

Me permet seulement de vous prêter l’oreille.

Vous êtes honnête-homme, et je m’assure bien,

Qu’outre cette faveur vous ne souhaitez rien.

PHILIDIE.

Votre honneur avec moi se trouve en assurance,

Et mon honnêteté passe votre espérance.

Ce que vous permettez est encor trop pour moi.

Aimez votre mari, gardez-lui votre foi ;

Faites voir un amour au-delà du vulgaire,

Un homme tel que moi ne s’en fâchera guère ;

Je n’ai pas maintenant lieu de me divertir,

Soyez toujours fidele et me laissez partir.

L’HÔTESSE.

Il se moque, il se rit : mon dépit est extrême.

PHILIDIE.

Vous vous abusez fort, croyant que je vous aime.

J’aime, il n’est que trop vrai ; mais j’atteste les Dieux

Que le feu que je sens ne vient point de vos yeux.

La source de ma flamme a beaucoup plus de force ;

Elle a moins de douceur, mais non pas moins d’amorce ;

Et, dans le triste état, Madame, où je me voi,

Je ne puis rien pour vous, vous aussi rien pour moi.

Des passants d’autrefois soyez plus estimée ;

Notre foi serait fausse étant bien éprouvée ;

Souffrant que l’on cajole, on fait trop de faveur :

Quand on prête l’oreille, on veut donner le cœur,

Et bientôt un galant a séduit une femme,

Lorsqu’il obtient d’abord cette entrée en son âme ;

Certes, celui qu’hymen a joint avecque vous,

À beaucoup de sujet de paraître jaloux ;

Si je lui disais tout, je vous rendrais plus sage.

Mais le voici qui vient.

L’HÔTESSE.

Ha ! quel sanglant outrage !

 

 

Scène IV

 

FÉDÉRIC, L’HÔTESSE, PHILIDIE

 

FÉDÉRIC.

Votre cheval est prêt.

L’HÔTESSE.

Voyez cet effronté,

Qui me sait des discours contre l’honnêteté !

Qui croirait tant d’audace avec tant de jeunesse ?

Tu trouves mon mari tout cassé de vieillesse :

C’est, dis-tu, le bourreau des plus beaux de mes ans,

Et je devrais songer à mieux passer mon temps !

FÉDÉRIC.

Quoi ! Monsieur, dit cela ?

L’HÔTESSE.

Mille fois pis encore ;

Je ne sais qui me tient que je ne le dévore.

PHILIDIE.

Croyez...

L’HÔTESSE.

Dira-t-il bien qu’il est sort innocent ?

Considérez un peu le bel adolescent !

N’est-il pas bien troussé pour faire des conquêtes,

Et pour parler d’amour à des femmes honnêtes ? 

Il était bien venu pour venir m’éprouver !

Il n’a pas rencontré ce qu’il pensait trouver :

N’eût été pour un peu, sa harangue impudente

Eût reçu de ma main quelque belle patente.

FÉDÉRIC.

Tout beau !

PHILIDIE.

Sur mon honneur...

L’HÔTESSE.

L’homme de bonne foi !

Faire le discoureur et s’adresser à moi !...

FÉDÉRIC.

L’honnête femme !

PHILIDIE.

Ô Dieux !

L’HÔTESSE.

Qu’il déloge bien vite.

Ailleurs qu’en ce logis il peut bien chercher gîte.

FÉDÉRIC.

Monsieur, vous avez tort.

L’HÔTESSE.

Nous aimons trop l’honneur ;

Pour retirer jamais céans un suborneur.

PHILIDIE.

Il faut compter dehors.

L’HÔTESSE.

Qu’il craigne ma colère.

PHILIDIE.

Sortons, mon maître.

FÉDÉRIC.

Allons.

L’HÔTESSE.

Il ne saurait mieux faire.

PHILIDIE, à part.

Qu’il serait étonné, s’il était éclairci !

Mais je n’ai pas le temps de m’arrêter ici.

 

 

Scène V

 

L’HÔTESSE

 

Hé bien ! si je n’eusse eu l’adresse et le courage

De repousser ainsi l’outrage par l’outrage ;

Si je n’eusse menti d’une bonne façon,

Fédéric eût accru de moitié son soupçon,

Et ce jeune innocent eût bien eu l’impudence

De mettre, devant lui, ma faute en évidence.

Qui l’eût jamais pensé, qu’un jeune homme bien sait,

Qui ne semble pas sot, le sût tant en effet ?

Ses discours m’avaient mise en un désordre étrange :

Mais je m’en suis tirée en lui donnant le change ;

Par cette invention mon honneur se maintient,

Ma faute est réparée et le bonhomme en tient.

Mais on vient.

 

 

Scène VI

 

ISABELLE, L’HÔTESSE

 

ISABELLE, déguisée en homme.

Oui, le traître enlève Philidie ;

Ils sont partis ensemble, ô noire perfidie !

Ma rivale en mourra.

L’HÔTESSE.

C’est quelque hôte nouveau.

ISABELLE.

Parlons bas, on m’entend.

L’HÔTESSE.

Dieux ! qu’il me semble beau !

L’autre avait moins de grâces bien plus de tristesse.

ISABELLE.

Cette femme est jolie, et c’est, je crois, l’hôtesse.

Pour lever tout soupçon de mon déguisement,

Disons-lui des douceurs, et feignons galamment.

L’HÔTESSE.

Monsieur, vous plaît-il pas venir en la cuisine

Voir ce que, pour souper, il faut qu’on vous destine ?

Vous trouverez de quoi faire un sort bon repas ;

Sinon la basse-cour ne vous manquera pas.

ISABELLE.

Quoi que l’on me prépare, il ne m’importe guère,

Tant que je vous verrai, je serai bonne chère ;

L’honneur et le plaisir de se voir près de vous,

Ont bien d’autres appas que les mets les plus doux.

Que pourrait souhaiter l’homme le plus étrange,

Servi par une hôtesse aussi belle qu’un Ange ?

L’HÔTESSE.

Vous aimez à railler, Monsieur, je le connai :

Ce compliment est sait pour quelqu’autre que moi ;

Ces discours raffinés ne sont point en usage

Près d’une simple hôtesse en un petit village.

ISABELLE.

Dans tout ce que l’Espagne a de grandes cités,

Vos charmes terniraient les plus rares beautés.

Celles qui sont par art à la cour adorées,

Ne peuvent justement vous être comparées ;

Vos yeux ont un éclat que l’on rencontre peu :

Va seul de vos regards mettrait cent cœurs en feu ;

Aussi, quand j’ai souffert votre première vue,

J’en ai senti mon âme au même temps émue,

Et mon cœur, tout surpris de ce trouble naissant,

En a lâché, par force, un soupir innocent.

L’HÔTESSE.

Monsieur, épargnez-moi ; conservez votre adresse

Pour vous faire autre part quelque belle maîtresse :

Je crois que vos desseins, pour ne vous point mentir,

Sont de m’en faire accroire, et de vous divertir ;

En juger autrement, serait m’être oubliée,

Je sais que je suis laide, et de plus mariée.

ISABELLE.

Laide ! ah, c’est faire tort à vos charmants appas,

Que d’une autre que vous je ne souffrirais pas ;

Et c’est récompenser d’une injure cruelle

Les soins qu’eût la Nature à vous rendre si belle.

L’HÔTESSE, à part.

Que son discours me plaît, et que malaisément

On se fâche d’entendre un homme si charmant !

ISABELLE.

La fortune devrait vous avoir mieux traitée ;

Mais vous auriez grand tort d’en paraître irritées ?

C’est un bonheur parfait que l’on ne trouve point,

Que d’être heureuse et belle ensemble au dernier point.

Voir la beauté sans pompe, est-ce une chose étrange ?

On voit bien quelquefois des perles dans la fange.

Je ne vous plaindrais point, n’était que votre époux

Est un parti bien triste et peu digne de vous ;

Sans mentir votre fort est beaucoup pitoyable,

De n’avoir pour mari qu’un objet effroyable,

Dont la force est éteinte et le sang tout glacé,

Et que le faix des ans a rendu tout cassé.

Pourriez-vous bien goûter les plaisirs de la vie

Près d’un homme, dont l’âge en fait passer l’envie,

Et qu’on doit regarder comme un spectre vivant,

Qui déjà dans la tombe a le pied bien avant ?

C’est en quoi je vous plains ; dans cette conjoncture,

Le sort eut du caprice et vous fit trop d’injure,

Et l’hymen fut cruel d’unir, en même jour,

Les glaçons de la mort et les feux de l’amour.

Vous deviez mieux choisir, la chose est d’importance.

L’HÔTESSE.

C’est ma faute, Monsieur, et j’en fais pénitence.

ISABELLE.

Vous l’avez assez faite, il faut chercher ailleurs

Les plaisirs qu’à vos jours refusent vos malheurs.

Votre âge vous y pousse, et vos jeunes années,

Pour un vieillard tout seul, ne sont pas destinées ;

Vous trouverez...

L’HÔTESSE.

Monsieur, mon mari vient à nous :

Ne me dites plus rien, il a l’esprit jaloux.

ISABELLE.

Ne craignez rien, croyez que je suis assez sage

Pour vous parler d’amour, uns lui donner d’ombrage.

J’entre dans la cuisine.

L’HÔTESSE.

Attendez un moment ;

Je vais vous préparer le bel appartement.

ISABELLE.

J’oubliais sur ce point un avis qui me touche,

Faites, où je ferai, que personne ne couche :

Je vous payerai bien.

L’HÔTESSE.

Monsieur, c’est assez dit :

Assurez-vous qu’ici vous avez tout crédit.

 

 

Scène VII

 

FÉDÉRIC, L’HÔTESSE

 

FÉDÉRIC.

Tout crédit ! l’offre est belle et n’est pas sans mystère ;

Connais-tu ce jeune homme et lesbiens de son père ?

C’est plutôt qu’il t’en conte, et je jurerais bien

Que vous venez d’avoir un sort long entretien ;

Tu prends toujours plaisir d’être libre et coquette,

Et ne regardes pas si cela m’inquiète.

Femme que l’on cajole en ce siècle méchant,

Est un bien à l’enchère et qui cherche marchand.

L’HÔTESSE.

Dieux ! quelle jalousie à la tienne est pareille ?

Avoir martel en tête, et la puce à l’oreille,

Lorsque j’ose employer des moyens innocents

Pour rendre ce logis agréable aux passants.

Si tu veux t’obstiner dans cette humeur bizarre,

Je vois bien qu’il faudra qu’enfin l’on nous sépare ;

Ce passant, qu’à grand tort tu prends pour suborneur,

Est, de tous les mortels, le plus homme d’honneur,

Et, bien qu’assez longtemps il m’ait entretenue,

Il m’a sait des discours si pleins de retenue,

Que tout ce que de lui je me puis figurer,

C’est, ou qu’il sort d’un cloître, ou qu’il y veut entrer ;

Aussi ne suis-je pas femme à qui l’on en conte,

Je crains plus que la mort ce qui me peut faire honte.

Après ce que j’ai dit à ce jeune insolent,

Qui voulait près de moi s’ériger en galant,

Devrais-tu pas savoir de quel air je maltraite

Quiconque s’émancipe à me conter fleurette ?

Vois-tu pas à quel point l’honneur m’est précieux,

Et combien tes soupçons me sont injurieux ?

FÉDÉRIC.

Ma femme, excuse-moi ; bien que ta foi soit claire,

Je serais moins jaloux, si tu m’étais moins chère.

Supportant ce défaut, marque.moi ton amour ;

Mais apprends que notre hôte est déjà de retour :

On l’aurait détroussé dans la forêt prochaine,

Sans l’aide d’un passant, qui céans le ramène.

L’HÔTESSE.

Quoi ! tu donnes retraite à cet impertinent ?

FÉDÉRIC.

Son guide, qui m’en prie, est le jeune Fernand,

Le fils du grand prévôt.

L’HÔTESSE.

Dont la sœur est si belle,

Que ma tante a nourrie, et qu’on nomme Isabelle ?

FÉDÉRIC.

Lui-même.

L’HÔTESSE.

À sa prière il le faut recevoir :

Mais, je t’en avertis, je ne le veux point voir.

FÉDÉRIC.

Du moins st le hasard à tes yeux le présente,

Ne fais point de vacarme, et sois plus complaisante.

Ils demandent qu’à part nous les fassions coucher.

L’HÔTESSE.

S’ils veulent plus d’un lit, qu’ils en aillent chercher, 

La chambre des deux lits, par l’autre est retenue ;

Que n’ont-ils eu l’esprit de hâter leur venue ?

La chambre qui nous reste est belle et grande assez,

Deux y peuvent coucher, sans être fort pressés ;

Le lit est tout au moins aussi grand que le nôtre ;

Dom Fernand est fâcheux.

FÉDÉRIC.

Ce n’est pas lui, c’est l’autre.

Dom Fernand est pressé de hâter son retour,

Et veut demain partir avant le point du jour ;

Son compagnon lui fait demander cette grâce, 

Il faut le contenter.

L’HÔTESSE.

Que veux-tu que je fasse ?

FÉDÉRIC.

Vois-tu ! n’obligeons pas Dom Fernand à demi :

On peut, sans qu’il soit vu de cet homme endormi,

Lui donner, jusqu’au jour, sa chambre pour retraite,

En l’y faisant entrer par la porte secrète.

L’HÔTESSE.

Pour l’en faire sortir ?...

FÉDÉRIC.

Devant partir matin,

Si l’autre l’aperçoit, crois qu’il fera bien fin.

L’HÔTESSE.

J’ai peur qu’en son projet mon mari ne s’abuse.

Et s’il le voit aussi ?...

FÉDÉRIC.

Quitte à lui faire excuse.

L’HÔTESSE.

C’est trop s’incommoder pour un méchant morveux.

FÉDÉRIC.

Quoi qu’il en soit enfin, ma femme, je le veux.

L’HÔTESSE.

Ma douleur, s’il le sait, ne sera pas petite.

Ce passant, qu’on méprise, est homme de mérite

Qui sent son grand seigneur, et qui parle à ravir ;

Mais je suis peu courtoise, il faut laisser servir.

FÉDÉRIC.

Femme jeune et courtoise est un peu dangereuse.

Ah ! que d’un mauvais choix la suite est rigoureuse !

En tant de maux divers l’hymen peut nous plonger,

Que la plus longue vie est peu pour y songer.

 

 

ACTE III

 

 

Scène première

 

ISABELLE, dans sa chambre, accoudée sur une table

 

Stances.

Raison, n’en parlez plus, laissez agir ma rage.

Bien qu’Alonce tout seul m’outrage,

J’en veux à Philidie, elle a fait son mépris,

Elle m’arrache l’âme, et c’est avec justice

Que je prétends qu’elle périsse ;

Car j’aimais moins le jour que ce qu’elle m’a pris.

 

Mon cœur, pour redoubler l’horreur que j’ai pour elle,

Adore encor cette infidèle,

Et ne saurait changer après son changement ;

Ma haine se rencontre à mon amour égale,

Et, voulant perdre ma rivale,

Je sens bien que je veux recouvrer mon amant.

 

Je cours à la vengeance, et l’Amour est mon guide.

Ses feux, pour trouver ce perfide,

M’éclairent au chemin qu’il doit avoir tenu :

Mais, hélas ! j’entreprends une vaine poursuite :

Puisqu’enfin Alonce me quitte,

Alonce est trop changé pour être reconnu.

 

D’où vient que je ne puis imiter ce volage ?

Brisons le nœud qui nous engage,

Mêlons notre inconstance à sa légèreté,

Et faisons, en joignant le mépris à l’injure,

Qu’on doute, après cette aventure,

Si l’ingrat m’a quittée, ou si je l’ai quitté.

 

Sans doute ce remède est le seul qui me reste,

Pour me tirer d’un sort funeste.

En perdant mon amour, je perdrai mon ennui :

Oui, changeons ; mais, hélas ! que je suis insensée !

Pour exécuter ma pensée,

Mon cœur manque, et l’ingrat l’emporte avecque lui.

 

Oui, oui, mon cœur serré d’une chaîne immortelle,

Tout méprisé qu’il est, suit encor l’infidèle.

Quel charme rend mon âme insensible au dépit ?

 

 

Scène II

 

DOM FERNAND, ISABELLE, FÉDÉRIC

 

FÉDÉRIC.

Écoutons.

ISABELLE.

Tout-à-coup le sommeil m’assoupit ;

Il semble que ce Dieu, dans son paisible empire,

Veut savoir si l’amour peut causer du martyre ; 

Ses pavots, sur mes sens, sont un débile effort.

Tout mon repos dépend d’Alonce ou de la mort.

FÉDÉRIC.

Entrons sans faire bruit ; sans doute qu’il sommeille,

Ou ce profond sommeil abuse mon oreille.

DOM FERNAND.

Il n’est pas endormi, je vois de la clarté.

Voyez.

FÉDÉRIC.

Il dort, vous dis-je, entrez en sûreté.

C’est un jeune étourdi qui, manquant de cervelle,

N’a pas même le foin d’éteindre la chandelle, 

Et hors du bec à peine a le dernier morceau,

Que déjà sur la table il dort comme un pourceau ; 

Il faut qu’avec ces gens, de bien près l’on regarde ;

Ces têtes à l’évent sont de mauvaise garde.

DOM FERNAND.

Emportez la chandelle et me laissez ici.

Allez.

FÉDÉRIC.

Quoi ! voulez-vous passer la nuit ainsi ?

DOM FERNAND.

De revoir mes parents mon désir est extrême :

Je veux demain partir avant l’aurore même,

Et je ne trouve pas qu’il soit fort à propos

De passer d’autre sorte un moment de repos ;

Mais comme on perd tous soins, alors que l’on sommeille,

Avant le point du jour, commandez qu’on m’éveille.

FÉDÉRIC.

Moi-même j’y viendrai, pour faire moins de bruit.

Reposez-bien, Monsieur ; bon soir et bonne nuit.

 

 

Scène III

 

ISABELLE, DOM FERNAND

 

ISABELLE, s’éveillant.

Quoi donc ! vous me fuyez, sommeil, charmeur des peines !

Vos charmes, pour mon mal, sont des puissances vaines.

Pour un esprit de haine et d’amour combattu.

Tout vos pavots sont secs et n’ont point de vertu,

Et mon malheur refuse à mes sens déplorables,

Le repos que la nuit offre aux plus misérables.

DOM FERNAND, sur un lit.

Qu’entends-je ? et qui l’oblige à tenir ces propos ?

ISABELLE, à part.

Sortez, larmes, soupirs ; soyez tout mon repos,

Puisque par la rigueur de mon destin funeste,

La liberté des pleurs est le bien qui me reste.

DOM FERNAND, à part.

Les ennuis, dont le jour nous sommes accablés,

Dans le temps du repos se trouvent redoublés,

Et l’âme, à ces objets étant lors occupée,

Comme elle est moins distraite, elle en est plus frappée.

ISABELLE.

Hélas !

DOM FERNAND.

Possible enfin, écoutant ses regrets,

Je pourrai découvrir ses sentiments secrets.

ISABELLE.

Sources de mes malheurs, lumières décevantes,

Funestes qualités, à trahir si savantes,

Quel esprit dans le monde aurait pu s’affranchir

De vos charmes trompeurs, que je n’ai su gauchir ?

De cet indigne objet, de cette âme infidèle,

Amour m’avait bien fait la peinture trop belle ;

Amour qui, nous flattant d’un bonheur imparfait,

N’a des biens qu’en idée, et des maux en effet ;

Amour qui n’a, pour moi, qu’une haine obstinées

Ô passion fatale ! ô fille infortunée !

DOM FERNAND.

Fille ! quelle aventure ! et qu’elle me surprend !

Son esprit est bizarre, ou ion malheur est grand.

ISABELLE.

Allons dessus un lit poursuivre notre plainte ;

Gardons de nous blesser, la chandelle est éteinte,

Possible qu’en ce lieu nous reposerons mieux.

Elle va au lit où est couché Dom Fernand.

DOM FERNAND.

Madame ?

ISABELLE.

Un homme ici ! je suis perdue ! ô Dieux !

Que veux-tu ? qui t’amène ? et qu’oses-tu prétendre ?

Contre qui que tu fois, ce fer peut me défendre.

DOM FERNAND.

Rassurez-vous...

ISABELLE.

Quel est ton dessein lâche et noir ?

Ou ne m’approche pas, ou crains mon désespoir.

DOM FERNAND.

De grâce, écoutez-moi ; ne craignez rien, vous dis-je.

Je sais à quel respect, votre sexe m’oblige :

Je ne suis point venu pour croître vos malheurs ;

Je ne prévoyais pas vos plaintes ni vos pleurs

Et j’étais sur ce lit dans la seule pensée

D’y passer une nuit déjà fort avancée.

L’hôte, qui dans ce lieu me vient de faire entrer,

Avant le jour naissant, m’en viendra retirer ;

Tandis, si ma présence ici vous est suspecte,

Pour vous marquer encor combien je vous respecte,

Je sors ; et vous ôtant tout sujet de trembler,

J’abandonne un repos qui pourrait vous troubler.

ISABELLE.

Me laissant seule ici, vous m’allez faire grâce ;

Mais cachez bien surtout mon sexe et ma disgrâce.

DOM FERNAND.

Je cherche à vous servir, et vous donne ma foi

Que vous ne tairez pas vos secrets mieux que moi.

Mais quel prétexte prendre en sortant à telle heure ?

ISABELLE.

C’est-là ma peine, hélas !

DOM FERNAND.

Souffrez que je demeure :

Je suis homme d’honneur, et mes vœux les plus doux.

Sont de vous consoler, sans approcher de vous.

ISABELLE.

Que mon malheur est grand !

DOM FERNAND.

Je tiendrai ma parole.

ISABELLE.

C’est ce que je veux croire, et ce qui me console.

DOM FERNAND.

Que le ciel me punisse, en lâche ravisseur,

Si j’en use avec vous plus mal qu’avec ma sœur.

ISABELLE.

Il suffit, je m’assure, et n’ai plus d’autre envie

Que de vous confier les secrets de ma vie,

Afin qu’un aveu libre, où mon cœur se résout, 

Vous force à ne rien dire, en vous apprenant tout.

DOM FERNAND.

Croyez, si les destins à mes vœux sont propices,

Qu’à ma discrétion je joindrai mes services.

Votre honneur, avec moi, ne court aucun hasard ;

Je n’apprendrai vos maux, que pour y prendre part.

ISABELLE, assise sur un lit ; et Dom Fernand sur l’autre.

Ma patrie est Lisbonne, et mon nom Isabelle.

Cette illustre cité m’a vu naître chez elle :

Mon père, grâce aux Dieux, y tient un noble rang.

Et la vertu soutient la gloire de son sang,

Avec un fils qu’il aime, autant qu’il me déteste ;

Je suis, d’un chaste hymen, tout le fruit qui lui reste ;

Mon frère est sans égal, et Fernand est son nom,

Il fait, depuis trois ans, la guerre en Aragon ;

C’est l’appui de mon père, et j’en suis l’ennemie :

Il acquiert de l’honneur, et moi de l’infamie.

DOM FERNAND, à part.

C’est ma sœur Isabelle, ô l’étrange malheur !

ISABELLE.

Quand il saura mon sort, qu’il aura de douleur !

Sa tendresse pour moi surpasse l’ordinaire,

Il s’en faudra bien peu qu’il ne se désespère,

Il ira me chercher au bout de l’univers.

DOM FERNAND, à part.

Qu’entends-je ? juste ciel ! ayez les yeux ouverts.

ISABELLE.

Le soleil dans les cieux, d’une course enchaînée,

Depuis qu’il éclaira le jour où je fus née,

Avait, au plus, déjà quinze fois sait son tour,

Quand je vins à sentir les premiers traits d’amour.

Enfin, Alonce...

DOM FERNAND, à part.

Ô Dieux ! Alonce, l’infidèle !

ISABELLE.

À ce funeste nom, mon mal se renouvelle :

C’est celui de l’ingrat, dont le fatal discours,

Du repos de ma vie, interrompit le cours ;

Dès l’abord, sans regret, je souffris sa présence,

Je l’écoutai parler avecque complaisance ;

Ensuite il fut traité plus favorablement,

Je consentis qu’il prît le nom de mon amant :

Je me plus à le voir, et me croyant aimée,

Presqu’insensiblement je me trouvai charmée.

Enfin, ayant appris que mon père inhumain

Destinent à quelqu’autre et mon cœur et ma main,

Pour achever de vaincre, Alonce, avec adresse,

M’assura de sa foi, m’en fit une promesse,

Et, par son désespoir, m’attendrit tellement,

Que je tombai d’accord de mon enlèvement.

Enfin, ma passion me rendit insensée ;

Et son amour ne fut que trop récompensée.

Son amour ! je m’abuse, il n’en a jamais eu :

Son ardeur était feinte, et mon cœur fut déçu.

Il n’était rien que glace, et ce qu’il eut de flamme

Fut toujours dans sa bouche, et jamais dans son âme.

DOM FERNAND, à part.

Sans doute il l’a trompée, et puis s’en est moqué.

À Isabelle.

Pour votre enlèvement, le jour fut-il marqué ?

ISABELLE.

Hélas !

DOM FERNAND.

Elle en dit trop, en n’osant me rien dire.

ISABELLE.

L’ingrat, d’un autre objet reconnaissait l’empire :

Son nom est Philidie, et, comme son époux,

Il en eut hier au soir le dernier rendez-vous.

Je l’appris, j’y courus ; et dans la nuit ce traître

Me prit pour Philidie et me fit tout connaître ;

Et, dans ce noir complot ayant mal réussi,

Disparut dès le soir, et Philidie aussi.

Vous pouvez bien juger, après cette nouvelle,

Que ma rage fut grande et ma douleur mortelle ;

Suivant mon désespoir, en des ennuis si grands,

J’ai déguisé mon sexe et quitté mes parents.

Enfin, sous cet habit je suis assez hardie

Pour égorger ensemble Alonce et Philidie.

Je sais qu’ils vont en Flandre, et je vais faire effort

Pour les y rencontrer ou pour trouver la mort.

Ce funeste récit est l’histoire importune

Des maux que m’ont causé l’amour et la fortune ;

Mais il dort, et marquant l’excès de mon malheurs,

J’excite du repos et non de la douleur.

DOM FERNAND.

Non, non, je ne dors point : votre voix, qui m’éveille,

M’a touché jusqu’au cœur en me frappant l’oreille ;

Bien que je sois ami de votre injuste amant,

Je partage aujourd’hui votre ressentiment ;

Son amitié m’offense, et pour vous j’y renonce,

Je deviens le plus grand des ennemis d’Alonce :

Et dans sa trahison je vois tant de noirceur,

Que je vous vengerai comme ma propre sœur,

Mais c’est assez parler, il est temps de nous taire :

La nuit nous donnera quelqu’avis salutaire.

L’aurore ici dans peu ramènera le jour ;

Goûtons quelque repos, attendant son retour.

 

 

Scène IV

 

L’HÔTESSE, ISABELLE, DOM FERNAND

 

L’HÔTESSE, avec une lanterne.

Quelqu’un parle ; écoutons.

ISABELLE.

Maintenant il repose :

Mais le sommeil m’accable, et ma paupière est close.

Amour, unique auteur de mes ennuis pressants,

Accordez quelque trêve au trouble de mes sens.

L’HÔTESSE.

Aucun bruit maintenant ne frappe mon oreille ;

Je suis la seule ici qu’un beau fantôme éveille :

Tandis que mon mari dort bien profondément,

Contemplons à notre aise un objet si charmant.

Agréable dormeur, passant rempli de charmes,

Par quel secret pouvoir causes-tu mes alarmes ?

Et viens-tu dans mon lit, lorsque mes yeux sont clos,

Par des appas si doux, traverser mon repos ?

Que sais-je, malheureuse ? et qu’est-ce que j’espère,

En brûlant d’une flamme à mon honneur contraire ?

Ce bel hôte est injuste, et c’est trop de rigueur

Que de vouloir loger jusques dedans mon cœur.

 

 

Scène V

 

FÉDÉRIC, L’HÔTESSE, ISABELLE, DOM FERNAND

 

FÉDÉRIC.

Je la prends sur le fait, elle est toute interdite.

L’HÔTESSE.

Tu deviendras malade.

FÉDÉRIC.

Ah ! la bonne hypocrite !

L’HÔTESSE.

Retourne te coucher.

FÉDÉRIC.

Sors, je suivrai tes pas.

L’HÔTESSE.

Qu’as-tu donc ?

FÉDÉRIC.

Sors, te dis-je, et ne réplique pas.

Enfin, je t’ai surprise, et tu t’es mécomptée :

Tu quittes donc mon lit, madame l’effrontée,

Pour chercher dans cet autre un homme à ton désir,

Et venir en ces lieux mendier du plaisir !

Dis-moi si ses baisers font à ta fantaisie ?

L’HÔTESSE.

Quoi ! tu ne peux jamais être sans jalousie !

À me persécuter, trouves-tu des appas,

Poux condamner ainsi, mes veilles et mes pas ?

FÉDÉRIC.

Va, va, pour mon repos, tu n’es que trop soigneuse.

L’HÔTESSE.

Te voilà bien matin dans ton humeur grondeuse.

FÉDÉRIC.

Te voilà bien matin prête à faire l’amour.

L’HÔTESSE.

Dom Fernand veut partir avant le point du jour.

Le venir éveiller, quand l’aurore s’approche,

Est-ce un crime effroyable et digne de reproche ?

FÉDÉRIC.

Près de l’autre passant, que venais-tu chercher ?

L’HÔTESSE.

Je craignais son réveil, et voulant l’empêcher,

Je venais de son lit abaisser la custode,

Pour rendre de Fernand le départ plus commode.

FÉDÉRIC.

Tu peux, en employant tes discours spécieux,

Pécher innocemment, même devant mes yeux.

L’HÔTESSE.

Au gré de ton humeur, de raison incapable,

Une femme de bien semble toujours coupable.

Pour punir tes soupçons, je veux...

FÉDÉRIC.

Que dis-tu ? quoi ?

L’HÔTESSE.

Que, malgré tes soupçons, je veux n’aimer que toi ;

Que je suis insensible aux amours insensées,

Et qu’à ton seul profit vont toutes mes pensées.

FÉDÉRIC.

Je veux se croire ainsi ; mais ton soin me déplaît :

Travaille à mon repos glus qu’à mon intérêt.

Aux gens, dont la jeunesse à la grâce est égale,

Je te croirais d’humeur un peu trop libérale.

L’HÔTESSE.

Ô le jaloux esprit ! pour finir nos débats,

Éveille Dom Fernand, je descendrai là-bas.

 

 

Scène VI

 

FÉDÉRIC, DOM FERNAND, ISABELLE

 

FÉDÉRIC, regardant Isabelle.

Ce compagnon, sans doute, à la débauche incline,

Et s’il n’est dangereux, il en a bien la mine :

Je ne veux plus loger tels hôtes maintenant ;

Mais la nuit va finir, éveillons Dom Fernand.

Monsieur ?

DOM FERNAND.

Est-il bien tard ?

FÉDÉRIC.

L’aurore va paraître.

DOM FERNAND.

Allez toujours devant, je suis vos pas, mon maître.

FÉDÉRIC.

Faites donc peu de bruit.

DOM FERNAND.

Laissez-moi ; je ne veux,

À ce jeune passant, dire qu’un mot ou deux.

FÉDÉRIC.

Lui parler ? ha ! plutôt gardez qu’il ne vous voie.

DOM FERNAND.

Non, non ; dans ma rencontre il aura de la joie.

Je suis son frère. Allez.

FÉDÉRIC.

Ah ! Monsieur, en ce cas 

Vous lui pouvez parler, je n’y résiste pas.

 

 

Scène VII

 

DOM FERNAND, ISABELLE

 

DOM FERNAND.

Ô sœur infortunée ! honte de notre père,

Objet de ma tendresse, objet de ma colère,

Dois-je, dans cet état effroyable et nouveau,

Te voir comme ton frère, ou comme ton bourreau ?

Suivrai-je, en consultant cette triste aventure,

Les transports de la rage, ou ceux de la nature ?

Avec quels sentiments te dois-je regarder ?

T’embrasserai-je, ou bien t’irai-je poignarder ?

ISABELLE, s’éveillant en tirant l’épée.

Me poignarder, perfide !

DOM FERNAND.

Hélas !

ISABELLE.

Traître ! parjure !

Que t’a donc fait ma vie ?

DOM FERNAND.

Une sanglante injure.

Mais j’ai...

ISABELLE.

Demeure, lâche ! ou ce fer, que je tiens,

Pourra mettre en suspens tes destins et les miens.

DOM FERNAND.

Ne faisons point encor de bruit ni de reproche,

Considérez, devant, celui qui vous approche ;

J’ai droit d’être en fureur plus que vous ne pensez ;

Observez mon visage, et me reconnaissez ;

Rappelez de Fernand quelqu’image légère.

ISABELLE.

Que vois-je ? ô justes Dieux !

DOM FERNAND.

Vous voyez votre frère.

ISABELLE.

Mon frère ! si ce nom peut m’être encor permis,

Je reconnais mon crime, après l’avoir commis ;

La tache dont je rends votre gloire flétrie,

Par mon seul repentir ne peut être amoindrie.

Vengez-vous ; et d’un coup, qui me prive du jour,

Étouffez votre honte avecque mon amour !

Je renonce à la vie, elle est pour moi sans charmes :

Ma faute veut du sang, c’est trop peu que mes larmes.

Ma mort, venant de vous, aura quelque douceur.

Frappez, frappez, mon frère !

Elle se jette à ses genoux.

DOM FERNAND.

Ah ! levez-vous, ma sœur.

J’ai l’âme encor trop tendre, et le bras trop timide,

Pour punir votre faute avec un fratricide.

Tous les crimes d’amour se doivent excuser ;

Ma sœur en use mal, moi j’en veux bien user,

Et l’amitié pour elle, en mon âme établie,

Ne la peut oublier, alors qu’elle s’oublie ;

Malgré votre faiblesse, et mon ressentiment,

Je veux prendre le soin de chercher votre amants,

Pour trouver du repos, dans les bras d’un vieux père,

Je quittais des combats la fatigue ordinaire ;

Mais il faut le venger avant d’un suborneur,

Et qui lui doit le jour, lui doit rendre l’honneur.

Oui, j’empêcherai bien qu’Alonce vous rebute ;

Vous avez sa promesse, il faut qu’il l’exécute.

Votre nourrice ici sait encor son séjour :

Auprès d’elle inconnue, attendez mon retour ;

Je m’en vais l’avertir de tout ce qu’il faut faire,

Et vous laisser tandis, sous le nom de mon frère,

Avec un cavalier plein d’esprit et d’appas,

Qu’hier, dans la forêt, je sauvai du trépas.

Enfin, pour vous, ma sœur, je veux tout entreprendre :

Perdez de vos ennuis la part que j’y dois prendre ;

Votre infidèle amant ne m’échappera pas,

Jusques dans les enfers j’irais suivre ses pas.

ISABELLE.

Ô frère ! le meilleur qui fut jamais au monde,

Se peut-il qu’en mes maux, un tel bien se confonde,

Et qu’après notre honneur indignement blessé,

Je trouve un défenseur en un frère offensé ?

Mais, quoi ! vous allez faire une inutile quête.

Philidie est heureuse, Alonce est sa conquête.

En vain, pour le gagner, vous serez quelqu’effort,

L’infidèle est trop lâche, et le charme est trop fort.

DOM FERNAND.

Non, non ; croyez qu’il faut, après sa perfidie,

Qu’il laisse, à mon abord, le jour ou Philidie.

Il n’aura que le choix, de vous ou du trépas.

ISABELLE.

Dieux ! faites qu’on le trouve et qu’il ne meure pas.

 

 

ACTE IV

 

 

Scène première

 

FÉDÉRIC, PHILIDIE

 

FÉDÉRIC.

Dom Fernand et son frère à l’instant vont descendre,

Ils n’ont qu’un mot à dire.

PHILIDIE.

Il les faut donc attendre.

Tout pressé que je suis, j’en userais trop mal,

Si, sans les saluer, je montois à cheval.

FÉDÉRIC.

Vous êtes bien monté, ne soyez point en peine,

Votre bête est jolie et mange bien l’avoine ;

Elle galopera tantôt comme un lutin,

Elle a vidé trois fois notre grand picotin,

Mais comblé jusqu’au haut : car, Monsieur, je vous jure

Que je n’ai pu jamais vendre à fausse mesure.

Si le profit m’est cher, le vol m’est odieux ;

Je vends bien quand je puis, mais je livre encor mieux ;

Je suis homme de bien, de bassesse incapable.

PHILIDIE.

L’excuse est inutile à qui n’est point coupable.

Parlons de votre femme.

FÉDÉRIC.

Allez, mon cavalier,

Votre saute est légère, et je veux l’oublier.

PHILIDIE.

La chose ne va pas comme on vous sait entendre.

FÉDÉRIC.

Quoi ! du nom de galant vous voulez vous défendre !

Je cajolais aussi durant mes jeunes ans :

C’est le vice aujourd’hui des plus honnêtes gens.

J’en tenais, si ma femme en eût cru vos paroles.

Vous êtes, je le sais, du nombre des bons drôles :

Ces yeux fins et brillants en sont un grand signal.

PHILIDIE.

Bonhomme, mon ami, vous me connaissez mal.

FÉDÉRIC.

Lorsque j’ai voyagé, pour bannir ma tristesse,

J’ai voulu, comme vous, en conter à l’hôtesse.

PHILIDIE.

Il faut tout vous apprendre...

FÉDÉRIC.

Il n’en est pas besoin.

PHILIDIE.

Je veux vous éclaircir...

FÉDÉRIC.

N’en prenez pas le soin.

PHILIDIE.

Souffrez, avant partir, que je vous désabuse.

Me soupçonnez-vous pas ?

FÉDÉRIC.

Non, non, je vous excuse.

PHILIDIE.

Votre femme...

FÉDÉRIC.

Ah ! cessons de parler sur ce point.

PHILIDIE.

Vous penserez...

FÉDÉRIC.

Non, non, je n’y penserai point.

PHILIDIE.

Ô Dieux! vit-on jamais homme plus ridicule ?

Mon maître, croyez-moi, vous êtes trop crédule.

FÉDÉRIC.

Monsieur, à vos leçons je pourrais donner foi,

Si vous aviez la barbe aussi grise que moi.

PHILIDIE.

L’impertinent vieillard !

FÉDÉRIC.

J’ai de l’expérience.

PHILIDIE.

Laissez-moi dire enfin deux mots en patience.

FÉDÉRIC.

Vous en direz, Monsieur, deux-cents si vous voulez.

PHILIDIE.

C’est pour votre profit.

FÉDÉRIC.

Ah ! je me tais ; parlez.

PHILIDIE.

Votre femme de moi n’a reçu nul outrage.

Sachez...

 

 

Scène II

 

L’HÔTESSE, FÉDÉRIC, PHILIDIE

 

L’HÔTESSE.

Aurai-je donc tout le foin du ménage ?

Je me romps, sans secours, et la tête et les bras ;

J’ai fait faire nos lits, j’ai resserré les draps,

J’ai fait mettre de l’eau dedans notre fontaine,

De balayer par tout, j’ai même pris la peine ;

J’ai préparé le linge et mis le pot au feu :

N’auras-tu point le cœur de m’aider tant soit peu ?

PHILIDIE.

Laissez-le. 

L’HÔTESSE.

Mêlez-vous, Monsieur, de votre affaire.

Fernand dans la Cuisine entre avecque son frère.       

FÉDÉRIC.

S’ils veulent boire, il faut que je perce un tonneau.

L’HÔTESSE.

Ne cause donc pas tant avec cet étourneau.

FÉDÉRIC.

Si sa fortune est basse, elle a l’âme bien haute.

Déjeunerez-vous pas, Monsieur, avec notre hôte ?

PHILIDIE.

Non, je suis trop pressé.

FÉDÉRIC.

Le vin soutient le cœur ;

Déjeunez, croyez-moi.

L’HÔTESSE.

Tu retardes Monsieur.

PHILIDIE.

Vous parliez autrement hier en même occurrence.

L’HÔTESSE.

On connaît mal ses gens sur la seule apparence.

Viens voir si Dom Fernand ne veut rien.

FÉDÉRIC.

Le voici.

 

 

Scène III

 

FÉDÉRIC, L’HÔTESSE, DOM FERNAND, ISABELLE, PHILIDIE

 

FÉDÉRIC.

Messieurs, vous plaît-il pas de déjeuner ici ?

L’HÔTESSE.

De même qu’à Lisbonne, en ce logis on traite.

FÉDÉRIC.

On trouve en ma maison tout ce qu’on y souhaite,

Désirez-vous manger quelque langue de bœuf ;

Un potage garni, couvert de jaunes d’œuf ;

Pâté froid de levraut ; d’un jambon quelque tranche ;

Poulets en fricassée avec la sauce blanche ;

Pigeonneaux en ragoûts, ou ce qu’il vous plaira ?

Messieurs, dans un moment, on vous les servira,

DOM FERNAND.

Une langue de bœuf seule peut nous suffire.

L’HÔTESSE.

J’oubliai, par malheur, hier à la faire cuire.

DOM FERNAND.

Vous nous donnerez donc le potage promis ?     

L’HÔTESSE.

Monsieur, le pot au feu ne vient que d’être mis.

DOM FERNAND.

Le pâté, le jambon ?

L’HÔTESSE.

Ah ! Monsieur, je déteste...

Louvet, notre grand chien, vient de manger le reste.

DOM FERNAND.

Donnez-nous des poulets, ou bien des pigeonneaux.

L’HÔTESSE.

Monsieur, notre voisin en nourrit de fort beaux.

Irai-je en acheter ?

DOM FERNAND.

Allez vite, Madame.

FÉDÉRIC.

Quant à du vin, Monsieur, j’en ai qui ravit l’âme :

J’ai du vin d’Alican, dont on sait tant d’état,

Et du vin de Madère, et du plus délicat.

DOM FERNAND.

J’aime fort ce dernier.

FÉDÉRIC.

Il est encore trouble ;

S’il n’est pris dans sa boîte, il ne vaut pas un double.

DOM FERNAND.

Et celui d’Alican ?

FÉDÉRIC.

C’est un excellent vin :

J’en aurai dans deux jours ; il est sur le chemin :

J’en ai d’autre aussi bon ; et je vais tout à l’heure

Percer dans mon cellier la pièce la meilleure.

 

 

Scène IV

 

ISABELLE, DOM FERNAND, PHILIDIE

 

DOM FERNAND.

Monsieur, certain avis, qu’on vient de me donner,

Sur les pas que j’ai faits, m’oblige à retourner ;

Et si votre départ souffre qu’on le diffère,

Après avoir ici mis ordre à quelqu’affaire,

Nous partirons ensemble ; et quand nous serons deux,

Le bois, à traverser, sera moins dangereux.

PHILIDIE.

Je n’ai plus de pensée à vos désirs contraire.

DOM FERNAND.

Agréez, cependant, l’entretien de mon frère.

PHILIDIE.

J’admire vos bontés ; et mes vifs sentiments

Sont beaucoup au-dessus de tous les compliments.

ISABELLE.

Auprès de vous, Monsieur, avec joie on demeure.

DOM FERNAND.

Je vous quitte à regret, et reviens dans une heure.

 

 

Scène V

 

ISABELLE, PHILIDIE

 

ISABELLE.

Grace à vos bons destins, j’ai lieu d’être ravi

Que mon frère ait l’honneur de vous avoir servi :

Mais je ne saurais voir, qu’avec un peu d’envié,

Qu’il ait seul pu sauver une si belle vie.

Je sens, à vous servir, une inclination

Qui ferait même effort en même occasion.

PHILIDIE.

Vous m’honorez, Monsieur, autant comme il m’oblige :

Votre façon d’agir me confond et m’afflige,

Puisqu’après vos bontés, et ses soins généreux,

Je ne puis m’acquitter à pas un de vous deux ;

Et que j’aurai l’ennui de voir mon impuissance,

Mêler l’ingratitude à ma reconnaissance.

ISABELLE.

Pourrai-je avoir l’honneur de savoir en quels lieux

La lumière, en naissant, se fit voir à vos yeux ?

Possible que j’aurai l’honneur de vous connaître,

Si c’est près de Lisbonne où le Ciel m’a fait naître.

PHILIDIE.

Lisbonne n’est pas loin des lieux où je suis né ;

C’est un château voisin, aux plaisirs destiné,

De revenu passable, et de structure antique ;

Mon père y fait séjour sous le nom de Mancipe.

Je le cannais ; le Ciel prolonge ses vieux ans.

Mais tout Lisbonne sait qu’il n’eut jamais d’enfants,

Et que, dessus ce point, il est inconsolable.

PHILIDIE, bas.

Que répondrai-je ? hélas ! que je suis misérable !

Haut.

Si je ne suis son fils, du moins il s’en faut peu ;

Mon père est son cadet, et je suis son neveu.

ISABELLE.

Moins encor ; son cadet n’a qu’une seule fille ;

Et, sans avoir jamais fréquenté sa famille,

Touchant ses intérêts, je n’ignore de rien ;

J’en suis instruit de gens qui le connaissent bien.

La beauté de sa fille est beaucoup estimée,

Et je le sais du bruit qu’en sait la renommée.

Si Lope est votre père, un tel habillement

Pourrait bien, ce me semble, être un déguisement.

Votre beauté, votre air, et cette honnête honte,

Qui sait que la rougeur au visage vous monte,

Sans que vous disiez rien, me font connaître assez

Qu’enfin vous n’êtes pas ce que vous paraissez.

Cependant, s’il vous reste assez de défiance,

Pour craindre de me faire entière confidence,

Ne vous contraignez point ; mon désir curieux

Ne prétend nullement vous être injurieux :

Je perdrai mon soupçon, si peu qu’il vous offense,

Et croirai ce qu’enfin vous voudrez que je pense.

PHILIDIE.

Hélas ! plût au destin, auteur de tous mes maux,

Que votre jugement se pût rencontrer faux !

Il est vrai, la fortune, aveugle et rigoureuse,

A su me rendre fille, et fille malheureuse ;

Et je vous crois d’un cœur trop noble et trop discret,

Pour vouloir maintenant vous taire aucun secret.

Sous cet habit funeste, aux périls exposée,

Je suis fille de Lope, un homme déguisée,

Qui, prenant de l’Amour et ma règle et ma loi,

Vais sur les pas d’un guide aveugle autant que moi.

Ce Dieu, dont la puissance est fatale aux Dieux mêmes,

Me forçant de me rendre à des grâces extrêmes,

Se servit des regards d’Alonce, mon vainqueur,

Pour lancer tous ses feux jusqu’au fond de mon cœur.

ISABELLE.

Je connais, sous ce nom, un homme, dont l’adresse

Peut prétendre à charmer la plus fière maîtresse.

En quels lieux cet Alonce a-t-il reçu le jour ?

Bas.

C’est ma rivale : ô Dieux ! sois-moi propice, Amour !

PHILIDIE.

De l’antique maison des Gonsalves de Rome,

La nature a formé ce jeune Gentilhomme ;

Et, par quelqu’intérêt, qui ne m’est pas connu,

Son père d’Italie à Lisbonne est venu.

ISABELLE.

C’est lui que je connais ; c’est un homme admirable,

Dont le mérite est rare et la personne aimable :

Je m’assure qu’il aime autant qu’il est aimé ;

Par de si doux appas il doit être charmé.

Sa passion, sans doute, est pour vous sans mesure ;

Sa flamme à votre ardeur répond avec usure :

Enfin, il vous adore ; il n’en faut point douter ?

PHILIDIE.

Monsieur, de point en point, je vais tout vous conter.

Nos pères, se trouvant en bonne intelligence,

Semblaient vouloir d’abord s’unir par alliance ;

Et, suivant leurs désirs, nos inclinations

Formèrent, dans nos cœurs, d’égales passions.

L’un et l’autre, touché d’une commune estime,

Vit croître, avec plaisir, cet amour légitime.

Alonce à m’épouser bornait tout son dessein,

Et j’en eus sa promesse écrite de sa main.

ISABELLE.

Que lui permîtes-vous, en qualité de femme ?

Cédâtes-vous enfin aux désirs de sa flamme ?

Bas.

Le perfide ! l’ingrat ! quel malheur est le mien !

PHILIDIE.

Je vous estime trop pour vous déguiser rien.

Nous pensions lors goûter, avec pleine assurance,

Les charmes de l’amour et ceux de l’espérance ;

Mais comme on voit souvent que, du soir au matin,

L’infortune succède au plus heureux destin,

Les roses, dont le sort ne nous fit voir que l’ombre,

Devinrent tout-à-coup des épines sans nombre.

Un malheur imprévu, par quelques différends,

Détruisit l’amitié qui joignait nos parents,

Lorsque de nos deux cœurs l’union peu commune,

Ne se pouvait plus rompre au gré de la fortune.

Mon père, étant déjà de mes feux averti,

M’ordonna de prétendre à quelqu’autre parti ;

Et de cette rigueur me voyant toute émue,

D’Alonce, pour jamais, me défendit la vue.

Je, le vis toutefois, et, dans un tel malheur,

Il me parut touché d’une extrême douleur ;

Et sitôt qu’à l’entendre il me vit préparée,

Il me dit que son âme était désespérée,

Qu’un pouvoir trop injuste à nos vœux s’opposait,

Et qu’il fallait ravir ce qu’on nous refusait.

Hélas ! par ce discours je me trouvai séduite.

ISABELLE.

Et qu’en arriva-t-il ?

PHILIDIE.

Écoutez-en la suite.

Dans mon cœur interdit, l’amour, en ce moment,

Joignit à tous ses feux tout son aveuglement.

Ma pudeur fut vaincue, aussitôt qu’attaquée :

Le rendez-vous fut pris, et l’heure en fut marquée.

Enfin, mon cœur au charme était abandonné,

Quand je vis arriver le moment assigné.

ISABELLE.

Hé bien ? de votre amant remplîtes-vous l’attente ?

Se trouva-t-il heureux, et fûtes-vous contente ?

PHILIDIE.

Hélas !

ISABELLE.

L’évènement fut-il selon vos vœux ?

Rien ne traversa-t-il vos desseins amoureux ?

Comment furent passés ces moments pleins de charmes ?

Dans toutes vos douceurs n’eûtes-vous point d’alarmes ?

Fûtes-vous ménager le temps, l’occasion ?

À quoi se termina votre assignation ?

PHILIDIE.

À me laisser le nom de fille infortunée,

Qui, pour mourir d’ennui, semble avoir été née.

J’attendais mon amant, quand mon père, sans bruit,

Par un soupçon fatal, sur mes pas fut conduit :

Je le pris pour Alonce, et ma voix indiscrète

Découvrit, devant lui, ma passion secrète.

Sa fureur fut extrême, et mon étonnement

Me conseilla la suite et ce déguisement ;

Et pour dans ce dessein m’engager davantage,

J’appris, hier au matin, qu’Alonce était volage,

Et que déjà partout le bruit était porté,

Qu’il venait d’enlever une jeune beauté.

ISABELLE.

Avez-vous su son nom ?

PHILIDIE.

On la nomme Isabelle.

ISABELLE.

Je connais cette fille ; on la tient allez belle :

Mais ce choix vous fait tort ; vous avez des appas

Que dans votre rivale on ne rencontre pas.

PHILIDIE.

Fût-elle des beautés la divinité même,

Je la veux immoler à mon dépit extrême.

Eût-elle, sans dessein, traversé mon amour,

J’ai perdu mon amant, elle en perdra le jour.

Qu’elle ignore l’état où l’ingrat m’a laissée,

N’importe, elle saura que je suis offensée ;

Il faut que ma vengeance, au gré de ma fureur,

Arrache, avec le fer, Alonce de son cœur.

Mais, sans l’heureux secours de votre illustre frère,

Mon dessein rencontrait un succès bien contraire.

Ma rivale n’avait plus rien à redouter,

Et je trouvais la mort que je lui vais porter :

Mais enfin de ce fer il faudra qu’elle meure.

ISABELLE.

À qui porte la mort, souvent la mort demeure.

Isabelle est à craindre avecque son amour :

Sans doute elle aime Alonce, et ne hait pas le jour,

Sa mort ne doit pas être une entreprise aisée ;

Votre espoir pourrait bien vous avoir abusée ;

Et, malgré vos efforts, peut-être que son cœur

Vous fera partager l’on péril et sa peur.

PHILIDIE.

Plût aux Dieux qu’elle sût dans cette même place ! 

Vous verriez les effets répondre à la menace.

ISABELLE.

Elle y pourrait bien être, et ne pas s’alarmer.

PHILIDIE.

Comment ?

ISABELLE.

Suis-je obligé de vous en informer ?

PHILIDIE.

Après des compliments, pleins d’un zèle si rare,

Je trouve, en ces discours, un changement bizarre :

Vous ayant confié ce que j’ai de plus cher,

J’ai dû vous attendrir, et non pas vous fâcher.

Ayant de mon estime une preuve si claire,

Me refuseriez-vous l’amitié que j’espère ?

ISABELLE.

Si vous m’avez tout dit, je n’en serai pas moins.

Sachez qu’à vous troubler je mettrai tous mes soins,

Et que j’aurai, pour vous, une haine immortelle,

Tant que vous resterez rivale d’Isabelle.

PHILIDIE.

D’Isabelle ! comment ? quoi ! vous là connaissez ?

ISABELLE.

Oui, oui, je la connais plus que vous ne pensez ;

L’amitié qui nous lie est d’une force extrême ;

On ne peut l’outrager, sans m’outrager moi-même ;

Et devant l’attaquer, je veux vous avertir

Que mon bras, de vos coups, la saura garantir.

PHILIDIE.

Quoi ! vous me menacez et conspirez ma pertes

Vous à qui librement je me suis découverte ?

Je n’attendais rien moins que ce courroux ardent.

ISABELLE.

Vous avez pris, sans doute, un mauvais confident,

Et dont l’inimitié vous doit être fatale,

Tant que vous prétendrez nuire à votre rivale.

PHILIDIE.

Malgré vous, Isabelle, et tous mes ennemis

Mon cœur ne démord point de ce qu’il s’est promis ;

Il faut qu’absolument Alonce me demeure,

Ou bien il faut, du moins, que ma rivale meure.

ISABELLE.

Ne vous emportez point ; il faudra, malgré vous,

Ou qu’Isabelle obtienne Alonce pour époux,

Ou que, si cet ingrat répond à votre envie,

Son choix vous soit funeste, et vous coûte la vie.

 

 

Scène VI

 

DOM FERNAND, PHILIDIE, ISABELLE

 

DOM FERNAND.

Mon frère, qu’avez-vous qui vous cause en ces lieux

Cette rougeur au teint et ce feu dans les yeux ?

ISABELLE.

Des discours outrageux qui vous doivent surprendre.

PHILIDIE.

De quoi vous plaignez-vous ?

ISABELLE.

Vous lui pouvez apprendre ;

Si je restais encor, en ces lieux un moment,

Possible je serais trop d’éclaircissement.

 

 

Scène VII

 

DOM FERNAND, PHILIDIE

 

DOM FERNAND.

Dans un courroux sanglant mon frère se retire :

Vous l’avez offensé ?

PHILIDIE.

Je ne saurais qu’en dire.

DOM FERNAND.

De quoi lui parliez-vous attendant mon retour ?

PHILIDIE.

Mes discours précédents n’ont été que d’amour.

DOM FERNAND, bas.

D’amour ! il sait son sexe. Ô fatale aventure !

PHILIDIE.

Lui découvrir mon cœur, est-ce lui faire injure ?

DOM FERNAND.

De tels aveux, parfois, choquent au dernier point.

PHILIDIE.

J’ai bien sait plus encor.

DOM FERNAND.

Quoi ! ne le celez point.

PHILIDIE.

J’ai su lui déclarer mon nom et ma famille,

Et lui dire qu’enfin...

DOM FERNAND.

Achevez.

PHILIDIE.

Je suis fille.

DOM FERNAND.

Fille ! que dites-vous ? est-il possible ? ô Dieux !

Quoi ! j’aurais pu sauver un chef-d’œuvre des Cieux !

Quoi ! je pourrais avoir le bonheur et la joie

D’ôter à des voleurs une si belle proie !

Vous, fille ! est-il bien vrai ? mais, pour n’en douter pas,

Je n’ai qu’à consulter ce teint doux, ces appas ;

Ce recueil de beautés, dont l’éclat est extrême,

M’en assure bien mieux que votre bouche même.

Alors que, dans le bois, je vous vis attaquer,

Un puissant mouvement, qu’on ne peut expliquer,

M’inspirant, tout à coup, une ardeur peu commune,

Me fit, avec plaisir, courir votre fortune.

Et lorsque des voleurs, dont vous couriez danger,

Le Ciel, par mon secours, eut su vous dégager,

Sur votre beau visage ayant porté la vue, 

Mon cœur fut interdit, mon âme fut émue,

Et sentit le pouvoir, en ses émotions,

De l’Astre qui préside aux inclinations.

Mais je m’aperçois bien que cette sympathie,

S’est insensiblement en amour convertie.

Oui, charmé de l’éclat qui sort de vos beaux yeux,

J’ai le même respect pour vous que pour les Dieux,

Et ce respect profond est mêlé d’une flamme

Qui sait naître déjà des langueurs dans mon âme ;

Et si de quelqu’espoir vous honoriez mes feux,

Je croirais faire envie aux Rois les plus heureux.

PHILIDIE.

Hélas !

DOM FERNAND.

Par cet hélas ! que me voulez-vous dire ?

PHILIDIE.

On dit toujours qu’on aime alors que l’on soupire.

DOM FERNAND.

Quel bonheur, si ma flamme a pu vous émouvoir !

Me pourriez-vous aimer ?

PHILIDIE.

Je voudrais le pouvoir :

Mais l’amour, pour jamais, en d’autres nœuds m’engage ;

Par un arrêt du sort j’aime un amant volage.

Je sais votre mérite, et ce que je vous doi ;

Mon cœur serait à vous, s’il pouvait être à moi ;

Et quand, pour un ingrat, ma passion éclate,

Pour mon libérateur j’ai honte d’être ingrate.

DOM FERNAND.

Hélas ! qui peut jamais, sous l’amoureuse loi,

Se plaindre, de son sort, plus justement que moi ?

Quoi ! vous préférez donc, ô miracle des Belles !

Les froideurs d’un volage à mes ardeurs ridelles ?

Et le plus fort amour, avec trop de rigueur,

Perd sa gloire et son prix, en naissant dans mon cœur.

Quel espoir peut flatter, ô Beauté sans égale !

Une âme qui jamais ne fera déloyale ;

Un cœur, qui doit garder ses feux jusqu’au trépas,

S’il faut que l’inconstance ait pour vous des appas ?

Sans accuser jamais vos rigueurs obstinées,

Je veux vous adorer ; ce sont vos destinées,

Les Astres ont marqué mon amour dans les Cieux,

Ou plutôt mon amour est marqué dans vos yeux ;

Et je n’opposerais qu’un effort ridicule

À ces Astres brillants, qui veulent que je brûle.

Oui, je veux vous aimer avecque vos rigueurs ;

Je veux chérir ma flamme, et nourrir mes langueurs,

Et je ne puis, malgré votre âme impitoyable,

Cesser d’être amoureux, comme vous d’être aimable.

PHILIDIE.

Je devrais vous aimer ; je le reconnais bien :

Mais où l’amour peut tout, le devoir ne peut rien.

Je sens de ma raison les forces enchaînées ;

J’aime un volage amant ; ce sont mes destinées :

Il est aimable encor, bien qu’il soit scélérat ;

Je hais l’ingratitude, et j’adore l’ingrat ;

Et vous partagerez, s’il faut que je m’exprime,

Lui, toute mon amour ; vous, toute mon estime.

DOM FERNAND.

Saurai-je point quel est cet auteur de mon mal,

Qui, sans avoir d’amour, est pourtant mon rival ?

Et n’apprendrai-je point pour quel sujet mon frère,

À tous vos sentiments, s’est montré si contraire ?

PHILIDIE.

Ce n’est pas un secret que je veuille celer ;

Mais veuillez m’épargner la honte d’en parler.

Vous savez une part de mon destin funeste ;

Allez voir votre frère, il vous dira le reste.

Possible pourrez-vous, apprenant mes malheurs,

Vous résoudre à porter vos passions ailleurs ?

Ne pouvant y répondre, et vous rendre justice,

Je serai des souhaits, que votre amour finisse.

DOM FERNAND.

Mon amour et ma vie auront un même sort ;

Et former ces souhaits, c’est souhaiter ma mort.

 

 

ACTE V

 

 

Scène première

 

DOM FERNAND, ISABELLE

 

DOM FERNAND.

Sachez que l’on m’outrage en choquant mon amour :

Vous avez bien aimé, ma sœur ; j’aime à mon tour ;

Et si nous différons, c’est qu’en cette aventure

J’aime un objet constant, vous un amant parjure.

Ne vous obstinez point à faire un vain effort

Contre un amour qui semble être un arrêt du sort,

Il faut qu’à la flatter votre esprit s’étudie,

Et que, comme une sœur, vous aimiez Philidie.

ISABELLE.

Moi, l’aimer ! ah ! plutôt me puissiez-vous haïr !

Mon cœur jusqu’à ce point ne saurait se trahir :

Moi, je voudrais aimer qui veut m’ôter la vie !

M’arrive le trépas plutôt que cette envie !

DOM FERNAND.

Ne portez pas si loin vos sentiments jaloux ;

Le bonheur où je tends doit réfléchir sur vous :

Ma flamme, à votre amour, ne sera point fatale ;

Quand je serai content, vous serez sans rivale ;

Et je prétends forcer votre haine à finir,

Si l’hymen, avec elle, me peut un jour unir.

ISABELLE.

Plaise au Ciel qu’à vos soins ma rivale se rende,

Et que je sois trompée en ce que j’appréhende !

DOM FERNAND.

La voici ; demeurez.

ISABELLE.

Un tiers choque un amant.

DOM FERNAND.

Sur ce qui s’est passé, faites-mi compliment.

ISABELLE.

Pour m’excuser sitôt, j’ai l’âme trop sensible.

DOM FERNAND.

Mais il faut vous forcer.

ISABELLE.

Mais il est impossible.

 

 

Scène II

 

PHILIDIE, DOM FERNAND

 

PHILIDIE.

Monsieur, le temps me presse ; il est déjà bien tard,

Et je viens vous prier de songer au départ.

DOM FERNAND.

Partout où je ferai, sans user de prière,

Vous devez commander, avec puissance entière.

Partons, puisqu’il vous plaît, dans ce même moment :

Mais si j’ose vous dire encor mon sentiment,

Vous êtes, ce me semble, injuste, autant que belle,

De suivre qui vous suit, d’aimer un infidèle,

D’exposer aux périls, qui mènent au tombeau,

Tout ce que la nature a formé de plus beau ;

Et de commettre, enfin, à toutes les disgrâces,

Des trésors infinis, les amours et les grâces.

Hélas ! si plus sensible à mes feux véhéments,

Vous m’aviez témoigné les moindres sentiments,

Mon âme, également et charmée et ravie,

Tiendrait votre bonté plus chère que ma vie ;

Et, n’adorant plus rien que l’éclat de vos yeux,

Recevrait vos faveurs, comme celles des Dieux.

PHILIDIE.

Mais le vouloir des Dieux autrement en ordonne :

Un cœur ne peut choisir qu’à l’instant qu’il se donné ;

Et, dès qu’il a subi ce funeste accident,

Il ne se règle plus ; il suit son ascendant.

Je sens que je m’égare, en suivant un perfide.

L’amour, qui me conduit, fut toujours mauvais guide.

Je néglige mon sexe et mon ressentiment ;

Pour les considérer, j’ai trop d’aveuglement :

Un ingrat me captive, et j’abhorre ma chaîne ;

Mais ne la pouvant rompre, il faut qu’elle m’entraîne.

DOM FERNAND.

Puisqu’à vous arrêter mes vœux font superflus,

Partez, vous le voulez, je n’y contredis plus :

Mais si vous souhaitez encore que je vive,

Partout où vous irez, souffrez que je vous suive.

PHILIDIE.

J’ai regret que vos feux ne puissent m’émouvoir.

Mais, quoi ! qu’espérez-vous ?

DOM FERNAND.

Vous aimer et vous voir :

Possible pourrez-vous, par le temps mieux instruite,

Aimer qui vous adore, et laisser qui vous quitte.

PHILIDIE.

Peut-être aussi qu’Alonce, à ma vue attendri,

Ne méprisera pas l’objet qu’il a chéri ;

Et je ne puis penser qu’en un jour il oublie,

Une image, en trois ans, dans son âme établie.

Les maux invétérés, et les vieilles amours,

Ne finissent jamais qu’en terminant nos jours ;

Et je sens, dans, mon cœur, quoi qu’Alonce ait pu faire,

Un instinct qui l’excuse, et qui veut que j’espère :

Mais quand il faut partir, il sied mal de parler ;

Quiconque suit l’amour, doit, comme lui, voler.

DOM FERNAND.

Oui, partons, et souffrez que...

PHILIDIE.

Voici votre frère ;

Voyez comme ses yeux m’expriment sa colère :

Il médite ma perte, et je le fais fort bien.

DOM FERNAND.

Non, non ; je vous promets qu’il ne vous fera rien.

 

 

Scène III

 

ISABELLE, PHILIDIE, DOM FERNAND

 

ISABELLE.

Mon frère, sans témoins, j’ai deux mots à vous dire.

DOM FERNAND.

Parlez.

ISABELLE.

Qu’auparavant Madame se retire ;

La chose est d’importance, et doit se dire à part.

PHILIDIE.

Apprenez ce que c’est ; je me tire à l’écart.

ISABELLE.

Alonce est arrivé dans cette hôtellerie.

DOM FERNAND.

Dieux !

ISABELLE.

Il faut lui parler promptement, je vous prie.

Et faire réussir notre commun espoir,

Avant que Philidie ait le temps de le voir.

DOM FERNAND.

Je suivrai votre avis, ayant pris congé d’elle.

À Philidie.

Madame, avec regret, j’apprends une nouvelle,

Qui m’arrête, en ces lieux, pour un quart d’heure au plus.

De ces retardements, j’ai lieu d’être confus ;

Mais vous devez penser, alors que je vous quitte,

Qu’un intérêt bien grand aussi m’en sollicite.

PHILIDIE.

J’attendrai volontiers votre commodité.

DOM FERNAND.

Je reviens sur mes pas.

ISABELLE.

Allons de ce côté.

 

 

Scène IV

 

ALONCE, PHILIPIN, PHILIDIE

 

PHILIDIE.

Que vois-je ? c’est Alonce ! ô rencontre imprévue !

Reprenons nos esprits troublés par cette vue.

PHILIPIN.

Ma foi, l’on dit bien vrai, qu’où réside l’amour,

La raison volontiers ne fait pas son séjour ;

Et qu’où l’on voit régner cette ardeur insensée,

Le cerveau n’est pas sain, quand l’âme en est blessée.

Retourner à Lisbonne, en étant hier parti,

Que dira Dom Bernard, en étant averti ?

C’est prendre, comme il faut, le chemin de la Flandre !

Nous allons fort bon train, l’on n’a qu’à nous attendre ;

Notre argent va fauter, nous serons ébahis :

Que vous nous ferez voir, dans peu, bien du pays !

Et que bientôt...

ALONCE.

Tais-toi ; je hais ta raillerie.

Quand mon retour mettrait mon vieux Père en furie,

Ma fortune en désordre, et ma vie en danger,

C’est un dessein formé, que je ne puis changer,

Je ne puis vivre un jour éloigné d’Isabelle :

Je sais bien que je suis l’horreur de cette belle ;

Je veux lui témoigner quel regret je conçoi

De l’avoir obligée à douter de ma foi.

Hélas ! si cette belle, indignement traitée,

Sachant mon repentir, cessait d’être irritée,

Que je quitterais bien ces inclinations,

Qui me font, en tous lieux, prendre des passions !

J’en veux faire serment, Philipin, et je jure...

PHILIPIN.

Que vous n’en ferez rien, de peur d’être parjure.

Je veux être berné, si vous passez un jour

Sans revoir Philidie, après votre retour.

Vous savez qu’il importe, à qui vit dans le monde,

De savoir cajoler, et la brune et la blonde ;

Et qu’enfin dans la Cour vous fûtes élevé,

Où, qui dit un galant, dit un fourbe achevé.

ALONCE.

Je veux absolument, pour devenir fidèle,

Rompre avec Philidie, et n’aimer qu’Isabelle.

PHILIDIE, à part.

Il parle avec chaleur ; il le faut écouter.

ALONCE.

Oui, contre Philidie il se faut révolter.

Étouffe, étouffe, Alonce., une flamme si noire ;

Bannis-la de ton cœur, même de ta mémoire ;

Songe, en la cajolant, à quoi tu te commets ;

Évite sa présence, et n’y pense jamais :

Tu ne la peux aimer, sans trop de perfidie ;

Meurs plutôt mille sois que de voir Philidie.

PHILIDIE.

Que de voir Philidie !

PHILIPIN.

Ô Dieux ! qu’il est surpris !

PHILIDIE.

Continue, infidèle ! achève tes mépris.

ALONCE.

Mon père, là-dessus, n’en dit pas davantage :

Ensuite, il me donna l’ordre de mon voyage ;

M’enjoignit de n’y mettre, au plus, que quinze mois.

Et puis il m’embrassa pour la dernière fois.

PHILIDIE.

Quoi ! ce n’est qu’un récit des discours de ton père ?

ALONCE.

En pouvez-vous douter, vous qui m’êtes si chère ?

Ce fut, à mon départ, son dernier entretien :

C’est de quoi je parlais ; Philipin le fait bien.

PHILIPIN.

Oui, Madame.

À part.

Ha ! ma foi, la colle est ravissante !

Ah ! que mon maître est fourbe ; et la belle, innocente !

PHILIDIE.

Je ne puis dissiper mes soupçons là-dessus.

ALONCE.

Avec trop de rigueur vous les avez conçus.

Quoi ! sur une parole, à contre-sens tournée,

Vous doutez de ma foi, vous l’avez soupçonnée !

Ne dois-je pas me plaindre ? Avez-vous remarqué

Qu’en ces termes jamais je me sois expliqué ?

Mes discours précédents, mes actions passées

Peuvent-ils confirmer ces injustes pensées ?

Que ces cruels soupçons soient enfin rejetés,

Ils font tort à ma flamme, ainsi qu’à vos beautés !

Pour me voir engager dans une amour nouvelle,

Mon âme est trop charmée, et vous êtes trop belle.

PHILIDIE.

Mais je pourrais douter de votre passion :

Quand vous n’auriez manqué qu’à l’assignation,

C’est de votre froideur un assez grand indice.

ALONCE.

Cette autre plainte encore est une autre injustice.

Si je ne m’y trouvai, que la foudre des cieux

Tombe dessus ma tête, et m’écrase à vos yeux !

Mais ne vous trouvant point, et vous croyant légère,

Je ne résistai plus aux ordres de mon père,

Et, plein de désespoir, enfin je suis parti ;

Philipin le peut dire.

PHILIPIN, à part.

Oui, qu’Alonce a menti.

PHILIDIE.

Cher Alonce, il suffit, ma crainte est dissipée ;

Tu n’es point infidèle, et je suis détrompée :

Tu me dois pardonner ce grand emportement ;

Juge de mon amour, par mon déguisement ;

Connais, connais qu’au point où, pour toi, je m’engage,

Je t’aimerais encor, quand tu serais volage ;

Et, qu’après mon départ, ma crainte et ma douleur,

En changeant mon habit, n’ont point changé mon cœur.

Mais bien que ton amour paroisse fort ardente,

L’image d’Isabelle encore m’épouvante.

J’ai toujours des soupçons, que j’ai peine à chasser ;

Ma passion est tendre, et tout la peut blesser.

ALONCE.

Je l’aimais, il est vrai ; mais votre amour extrême

Me fait voir que c’est vous que seule il faut que j’aime.

 

 

Scène V

 

L’HÔTESSE, ISABELLE, DOM FERNAND, ALONCE, PHILIDIE, PHILIPIN

 

L’HÔTESSE.

C’est ici que tantôt j’ai cru le voir entrer.

ISABELLE.

Quel malheur !

DOM FERNAND.

Écoutons avant que nous montrer.

ALONCE.

Oui, je veux, pour jamais, oublier Isabelle :

Vous êtes plus aimable, et vous aimez plus qu’elle :

Nous vivrons et mourrons sous une même loi ;

Donnez-moi votre main, et recevez ma foi.

ISABELLE.

Il faut auparavant qu’Isabelle périsse.

PHILIPIN.

Ah ! voici bien le diable !

PHILIDIE.

Ô Dieux ! quelle injustice !

DOM FERNAND.

Il faut mourir, Alonce, ou l’épouser ici.

PHILIDIE.

On ne l’attaque point sans m’attaquer aussi.

ISABELLE.

J’accepte le parti ; vidons notre querelle :

Vous êtes ma rivale, et je suis Isabelle.

PHILIDIE.

Isabelle ! ha ! ce nom vous coûtera le jour ;

Il faut que votre mort termine notre amour.

ISABELLE.

Nous verrons.

DOM FERNAND.

Quoi ! ma sœur, que prétendez-vous faire ? 

Soyez moins violente, ou craignez ma colère.

ALONCE.

Arrêtez, et tournez vos armes contre moi ;

Perdez un imposteur qui vous manque de foi ;

Expiez, par ma mort, mes trahisons passées ;

Je suis trop criminel, et vous trop offensées ;

Vengez-vous ; aussi-bien Alonce malheureux,

Quoi qu’il vous ait promis, n’en peut épouser deux.

PHILIDIE.

Tu m’as donné ta foi, connais cette promesse ;

C’est de toi qu’elle vient ; parle.

ALONCE.

Je le confesse ;

Mais je ne la puis suivre. Ô Dieux ! quelle rigueur !

J’ai trop d’une maîtresse, et j’ai trop peu d’un cœur.

ISABELLE.

Tu vois, dans cet écrit, ta promesse, infidèle !

Signée avec ton sang.

ALONCE.

Oui, ma chère Isabelle.

Frappez, et, pour punir mon infidélité,

Attaquez-vous au sang qui m’est encor resté.

ISABELLE.

Réponds à mon amour.

PHILIDIE.

Réponds à ma constance.

DOM FERNAND.

Songe à faire un bon choix, surtout crains ma vengeance.

 

 

Scène VI

 

FÉDÉRIC, L’HÔTESSE, PHILIDIE, ISABELLE, ALONCE, DOM FERNAND, PHILIPIN

 

FÉDÉRIC.

À quoi t’amuses-tu ? le monde est-il servi ?

L’HÔTESSE.

Écoute, je te prie, et tu seras ravi.

ALONCE.

Je dois rendre, en mon choix, l’une ou l’autre outragée ;

Je puis rendre, en ma mort, l’une et l’autre vengée :

Je sais que toutes deux ont droit de m’épouser ;

Mais, qui dois-je choisir, qui puis-je refuser ?

Il faut qu’une des deux souffre que je l’affronte :

L’honneur d’une à couvert, couvre l’autre de honte.

Je choisis donc la mort : suivez votre courroux ;

Si je ne vis, au moins, que je meure pour vous.

DOM FERNAND.

Hé bien, lâche ! ma main s’accorde à ton envie ;

Tu n’en auras pas une, et tu perdras la vie.

Meurs.

ISABELLE.

Suspendez vos coups, tout perfide qu’il est ;

J’immole, à son salut, mon plus cher intérêt :

Qu’il vive, cet ingrat ! je cède à ma rivale

Cet infidèle amant, cette âme déloyale,

Et dont pourtant la perte, à mon cœur plein d’amour,

Ne coûtera pas moins que la perte du jour.

DOM FERNAND.

Ce discours ne rend pas ma colère moins forte ;

Vous nous perdez, ma sœur.

ISABELLE.

Il n’importe, il n’importe ; 

Je périrais du coup qui le ferait périr ;

Qu’il vive, pour une autre, en dussé-je mourir :

Je crains plus de le voir, malgré sa perfidie,

Dans les bras de la mort qu’en ceux de Philidie ;

Et, mourant de regret, je ne me plaindrai pas,

S’il songe qu’il devra sa vie à mon trépas.

ALONCE.

À ces marques d’amour, je connais ma maîtresse :

C’est à vous, Isabelle, à qui mon choix s’adresse ;

Vous me cédez en vain, je ne le puis souffrir :

Si je ne vis pour vous, je ne veux que mourir.

PHILIDIE.

Alonce, cet aveu ne m’est pas grande injure ;

On ne perd pas beaucoup, quand on perd un parjure.

Ma rivale te cède, et je sais vanité

De ne lui pas céder en générosité :

Si tu n’étais touché d’une bonté si rare,

Je concevrais horreur de la foi d’un barbare ;

J’en suis même attendrie, et, changeant mon amour,

Comme elle t’a cédé, je te cède à mon tour ;

Je veux rendre justice au frère d’Isabelle,

Et devenir sensible, autant qu’il est fidèle.

DOM FERNAND.

Pourrais-je bien vous croire, et ne point me flatter ?

PHILIDIE.

Un hymen sait au Ciel ne se peut éviter :

Un cœur de qui déjà mon salut est l’ouvrage,

M’est bien plus précieux que celui d’un volage ;

Je sais que nos parents ne nous dédiront point.

DOM FERNAND.

Ma joie et mon amour vont jusqu’au dernier point :

Alonce, je réponds de l’aveu de mon père,

Je vous donne ma sœur, et deviens votre frère.

ALONCE.

Ô Dieux ! dans le transport, dont je me sens saisir,

J’ai bien à craindre encor, si l’on meurt de plaisir.

L’HÔTESSE.

Quoi ! dessous ces habits vous n’êtes donc pas hommes ?

Que l’apparence trompe au beau siècle où nous sommes !

FÉDÉRIC.

J’en perds ma jalousie, et j’en rends grâce aux Dieux ;

Du sexe qu’elles sont, je les aime bien mieux.

L’HÔTESSE.

Ne les aime pas tant.

FÉDÉRIC.

Ma foi, ma chère épouse,

Je pense qu’à ton tour tu deviendras jalouse.

PHILIPIN.

La fin couronne l’œuvre ; il ne faut oublier

Qu’Élise et Philipin sont d’âge à marier :

Nous devons être unis aussi bien que vous autres ;

Nous serons des enfants qui serviront les vôtres.

ISABELLE.

Je te promets Élise.

ALONCE.

Et moi six-cents écus.

PHILIPIN.

Hasard d’être, à ce prix, au nombre des cocus.

FÉDÉRIC.

Messieurs, tout ira bien ; mais il faut, ce me semble,

Pour être bien d’accord que vous buviez ensemble :

Va donner ordre aux mets.

L’HÔTESSE.

Toi, va tirer du vin.

DOM FERNAND.

De Lisbonne aujourd’hui reprenons le chemin ;

C’est là qu’Hymen, après des peines sans égales,

Doit faire heureusement deux sœurs de deux rivales.

PHILIPIN, seul.

Quel caprice est égal à celui du Destin ?

Ma soi, les plus savants y perdent leur latin.

La vie est une farce, et le monde un théâtre,

Où ce galant préside, et sait le diable à quatre.

Surtout, un tel succès me semble peu commun ;

Hier je servais un maître, aujourd’hui j’en suis un ;

Hier j’étais en malheur, aujourd’hui dans la chance ;

Hier je perdais Élise, aujourd’hui je fiance ;

Hier j’attendais des maux, aujourd’hui force biens ;

Hier je quittais Lisbonne, aujourd’hui j’y reviens.

Tout change enfin, Messieurs ; et, pour dernière preuve,

Hier vous n’étiez pas là, ce jour on vous y treuve.

Je vais changer d’habit ; je suis votre valet :

Bonsoir ; vous me voyez au bout de mon rollet.

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