Paris à cheval (Pierre CARMOUCHE - Eugène GUINOT)

Revue cavalière en cinq relais.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre national du Cirque-Olympique, le 31 décembre 1845.

 

Personnages

 

JOBARDEK

BARON FLOUMANN

JOSSELIN

MONSIEUR TOUT-CRINS

MONSIEUR MAGAZIN

L'AGIOTAGE

L'ÉTÉ de 1845

FRICOTTEAU

LE LUTHIER

UN PORTEUR DE L'ÉPOQUE

UN NORMAND

UN MÉDECIN

UN GAMIN

UN INSULAIRE

LE NUAGE BLANC

UN BRASSEUR

UN CHARLATAN

PREMIER GENTLEMAN

DEUXIÈME GENTLEMAN

CROQUE-EN-BOURSE

BULDOG, jockey

UN MONSIEUR

BESTIANI

COUSCOUSSOU

UN CHEMIN DE FER

LA FÉE MIRANDA

JULIENNE

UNE FILLE D'AUBERGE

LA TRUFFE

LA MÈRE SAINDDOUX

LA POMME DE TERRE

PREMIÈRE LOTERIE

DEUXIÈME LOTERIE

TROISÈME LOTERIE

TOM POUFF

MONSIEUR COTON LAINE

MONSIEUR CACHEMIRE

UN COCHON

LA PRIME

LA GUIPURE

 

 

PREMIER RELAI

 

La scène se passe en Bretagne. Le théâtre représente une campagne. À gauche du public, une auberge. Dans le fond, des ouvriers travaillent à un terrassement. Au milieu du théâtre, un arbre touffu et praticable, avec une grosse branche en saillie.

 

 

Scène première

 

TERRASSIERS, puis JOBARDEK, JULIENNE

 

CHŒUR DES TERRASSIERS.

Air : Du Maçon.

Ouvriers
Terrassiers,
Piochons
Et dépêchons,
Travaillons,
Déblayons,
Enlevons,
Ce terrain.
Avoir dès le matin
Une pioche a la main,
V’là comme on fait son ch’min.

JULIENNE.

Ah ! mon Dieu, quel tapage !... Qu’est-ce que c’est donc que c’est gens-là, mon père ?

Les ouvriers s’éloignent et disparaissent par la droite.

JOBARDEK.

Ma fille, ces ouvriers qui sont venus à Concarneau, au premier coup d’œil on pourrait les croire terrassiers, mais il paraît qu’ils sont forgerons, puisqu’ils font un chemin de fer.

JULIENNE.

Ils ont mis tout sans dessus dessous, dans le clos de maître Jacques.

JOBARDEK.

Oui... oui... ça fait partie de l’invention. M. l’adjoint de Concarneau m’a expliqué ça, il m’a dit : « Voyez-vous, M. Jobardek, le chemin de fer va toujours tout droit... Il est comme Gusman, il n’connaît pas d’obstacle. Quand il rencontre une rivière, il passe dessus ; quand il rencontre une montagne, il passe dessous... ou dedans... rien ne l’arrête, il se fiche de la nature entière. Me voilà, qu’il dit, vous êtes sur ma ligne, tant pire... et il abat les arbres, il perce les jardins, il traverse les murs. Si votre auberge est dans sa direction, il passera au beau milieu de votre cuisine, sans s’inquiéter s’il casse vos œufs, où s’il aplatira vos côtelettes... Si c’est vous qui vous trouvez sur son passage, il vous passera à travers le corps. Voilà son système. »

JULIENNE.

Tiens, mais c’est fort désagréable !

JOBARDEK.

Je lui ai dit ça... Il m’a répondu : c’est désagréable, mais ça abrège, et il faut toujours que le chemin de ferraille.

JULIENNE.

Ah ! mais ça doit être fièrement mauvais pour des chevaux, ils doivent glisser là-dessus.

JOBARDEK.

Tu dis ça à cause de ton Josselin.

JULIENNE.

Dame ! un postillon si gentil, et qui est si amoureux de moi...

JOBARDEK.

C’est un fichu état.

JULIENNE.

D’être amoureux de moi ?... Vous n’êtes guère galant, papa !

JOBARDEK.

Mais, non... d’être postillon...

JULIENNE.

Oh ! vous ne vous y connaissez pas.

JOBARDEK.

C’est donc bien séduisant, un homme qui a de grosses bottes, une culotte de peau, et qui pile du poivre, jour et nuit, sur son poulet d’Inde ? Tu aurais pu faire un bien meilleur choix... car je suis riche, très riche... avec mon auberge, mes bons morceaux terre... et un portefeuille assez dodu...

À part.

Cinquante mille bons écus, qui ne doivent rien à personne.

JULIENNE.

Enfin, mon père, j’aime Josselin, vous avez consenti a notre mariage...

JOBARDEK.

J’y ai consenti... parce que tu m’as tant tanné !... et avec toi, je suis bête... Un vrai père dindon.

JULIENNE.

Oh ! dieux !... Vous qui dites toujours que vous avez du caractère...

JOBARDEK.

Certainement, j’ai du caractère... Quand on est Breton... Mais si les choses n’étaient pas si avancées...

JULIENNE.

Eh ben ! par exemple ! Il n’est plus temps.

Air : Adieu, je vous fuis.

V’là deux ans, qu’il me rend des soins.
Tout’ not’ famille est avertie ;
L’ notair’ va v’nir et les témoins ;
On nous attend à la mairie...
Vous n’pouvez plus changer d’parti...

JOBARDEK.

Et s’il vous plaît, pour quelle cause ?

JULIENNE, d’un ton câlin.

Pour que l’mariage soit fini
Il s’en manqu’de si peu de chose.

JOBARDEK.

Oh ! vois-tu, la parole d’un honnête homme, tant qu’elle n’est pas sur du papier timbré...

JULIENNE.

Songez donc que vot’ fille a été affichée avec cet homme-là, sous le grillage de la mairie...

JOBARDEK.

Allons, tu me fais flâner, les terrassiers vont venir déjeuner, il faut leur préparer la potée.

JULIENNE.

Ils ont des appétits !...

JOBARDEK.

Des ouvriers de chemin de fer, ils digèreraient des clous !... Venez, ma fille.

Musique. On entend des coups de fouet dans le lointain.

JULIENNE.

Mon père... il me semble que j’entends une chaise de poste... Quelque voyageur que Josselin vous amène !...

JOBARDEK.

Tu t’imagines que c’est lui !... Diables de petites filles, quand elles ont un homme dans la tête...

Il rentre. On entend le bruit d’une voiture et le claquement d’un muet.

 

 

Scène II

 

JULIENNE, puis JOSSELIN et FLOUMANN

 

JULIENNE.

Oh ! oui, c’est lui... je le reconnais... il a un si joli coup de fouet... Ça me frappe toujours... Quel joli cavalier ça fait !

Regardant au dehors. Une chaise de poste paraît, Josselin est en selle.

FLOUMANN.

Où sommes-nous, postillon ?

JOSSELIN, descendant de cheval.

À Concarneau, mon prince !... Et v’là l’auberge.

FLOUMANN.

Celle de ce Jobardek, dont tu m’as parlé ? Est-elle bonne ? est-ce la meilleure ?

JOSSELIN.

Elle y est bien forcée... y en a pas d’autres dans l(endroit.

FLOUMANN, descendant.

Elle mérite la préférence... Va remiser ma chaise.

JOSSELIN.

Julienne, je te dirai bonjour tout à l’heure.

Josselin détèle les chevaux à l’entrée de la coulisse, de sorte qu’il ne disparaît pas tout-à-fait.

FLOUMANN.

Ah ! mille wagons... voilà une jolie fille !...

Il la regarde avec son lorgnon.

Bonjour, ma belle enfant.

JULIENNE.

Votre servante, Monsieur.

FLOUMANN.

Si vous étiez ma servante, je vous dirais : Sers-moi une Julienne !

JULIENNE.

Vous y avez la main... je suis la fille de l’aubergiste.

FLOUMANN.

Du respectable Jobardek ?

JULIENNE, étonnée.

Vous connaissez mon père !...

FLOUMANN.

Beaucoup !...

À part.

Le postillon est très bavard... Il paraît que c’est le crésus de l’endroit !... Cinquante mille écus de fortune !... Quelle capture, si l’on pouvait ; ces gens-là ne ont pas forts...

JULIENNE, à part.

Qu’est-ce qu’il marmotte donc dans sa cravate ?

FLOUMANN, lorgnant Julienne de très près.

Sais-tu, Julienne, que plus je te regarde, plus je te trouve appétissante. Tu as des choses qui me vont beaucoup.

JULIENNE.

Monsieur, je vous préviens que je n’aime pas les enjôleurs.

FLOUMANN.

Mademoiselle, je suis un homme sérieux. Tu n’es pas faite pour végéter dans le département du Finistère... Viens avec moi, je t’attire, au sein de la Capitale, une existence semée de robes de satin, de chapeaux à la Paméla, de truffes au vin de Champagne et de stalles de première galerie.

JULIENNE.

Par exemple !... comme vous y allez !

FLOUMANN.

J’y vais comme ça, je mène les affaires rondement, mai... à la vapeur ! et je l’épouse...

JULIENNE, riant.

M’épouser ! sans me connaître.

FLOUMANN.

Mais je te connais, fille céleste ! J’ai des yeux et un lorgnon. Tu es belle, tu es fille unique, tu as une dot de cinquante mille... attraits !... Je prends tout cela.

JULIENNE.

Mais du tout ; mais du tout !

FLOUMANN.

Mais si fait ! mais si fait ! Je t’aime, je t’idolâtre, je veux faire ton bonheur, et je le ferai.

JOSSELIN, dans la coulisse, parlant à son cheval.

Oh ! là, oh ! vigoureux !

Floumann entre dans l’auberge.

 

 

Scène III

 

JULIENNE, JOSSELIN

 

JOSSELIN.

Avec qui que tu causais là, Julienne ?

JULIENNE.

Avec le monsieur que tu as conduit.

JOSSELIN.

J’ai bien vu. Et quoi qu’il te disait ?

JULIENNE.

Des bêtises !

JOSSELIN.

Et quoi que tu as répondu ?

JULIENNE.

Rien !

JOSSELIN.

C’est déjà trop... Il me semble qu’en sortant il te faisait des yeux.

JULIENNE.

On ne peut pas empêcher ça.

JOSSELIN.

Ah ! si j’avais été là, moi, avec mon fouet, je lui aurai montré qu’il n’y a pas mèche.

JULIENNE.

Vilain jaloux !

JOSSELIN.

Vilain, non ; jaloux, oui ; joli jaloux si tu veux ; mais je t’aime tant, ma petite Julienne !

JULIENNE.

Voyons, Monsieur, si vous m’aimez, allez vous habiller... vous n’avez pas oublié que nous signons aujourd’hui nos fiançailles, notre contrat.

JOSSELIN.

Oublier ce que j’attends depuis 23 mois et 9 jours !... Je vas me vêtir, me décorer, me pavoiser... Je me serais cassé le cou pour être plus vite heureux !... Tiens, Julienne...

Il l’embrasse.

JULIENNE.

Un baiser ! encore !

JOSSELIN.

C’est des petits mots d’amitié permis à un futur ; plus tard, je te dirai le reste.

JULIENNE, avec joie.

Air de Marie.

Comm’ ma toilette
Sera coquette.

JOSSELIN, dansant de joie.

Quel rigaudon,
Eh ! allez donc.

JULIENNE.

Quel jour d’ivresse
Pour not’ tendresse.

JOSSELIN.

Tu s’ras à moi.

JULIENNE.

Dépêche-toi !

JOSSELIN.

Ce soir, ma chère,
Grâce à m’sieur l’ maire
Nos cœurs vont faire
L’un près d’ l’autr’, tic tac.
Sans nul mic mac.

Ensemble.

JULIENNE.

Et plus d’ clic, clac !

JOSSELIN.

Rien qu’ du tic tac.
Clic clac ! tic tac, etc.

Il sort.

 

 

Scène IV

 

JULIENNE, FLOUMANN, JOBARDEK

 

JOBARDEK, à Floumann, avec qui il sort de l’auberge.

Monseigneur veut déjeuner en plein air ?

FLOUMANN.

Oui, monsieur Jobardek, j’aime à contempler la nature en mangeant des côtelettes panées.

JOBARDEK, à Julienne.

Le couvert de Monsieur.

FLOUMANN.

Le repas sera délicieux servi par ces blanches mains... Père Jobardek votre fille est un trésor.

JOBARDEK.

Julienne, dites donc à Monsieur qu’il est trop bon.

JULIENNE, bas à Jobardek.

J’aime mieux lui dire qu’il est trop laid.

Elle sort en riant.

FLOUMANN.

Charmante ! Elle est fort gaie.

JOBARDEK.

Oui, c’est à cause qu’elle va se marier.

FLOUMANN.

Ah ! Et avec votre position, vous avez trouvé sans doute un gendre cossu... un notaire, un sous-préfet, un officier de gendarmerie, ou un pair de France ?

JOBARDEK.

Non, un postillon.

JULIENNE, qui a servi la table pendant le commencement de la scène.

Voilà, Monsieur.

JOBARDEK, à Julienne.

Laisse-nous.

FLOUMANN, la regardant s’éloigner.

Donner une si jolie fille à un simple postillon ! vous n’y pensez pas !

JOBARDEK.

Elle est toquée pour ce petit Josselin... mais, après tout, il aura du bien, étant héritier de son oncle, à Paris.

FLOUMANN, mangeant.

Un oncle dans l’opulence ?

JOBARDEK.

Oui... M. Tout-Crins, un riche marchand qui vend des chevaux...

FLOUMANN.

Vous dites, un marchand d’écheveaux, de fil ?

JOBARDEK.

Mais non, je ne vous dis pas des écheveaux, je vous dis des chevaux... Il n’entend pas la langue.

FLOUMANN.

Des chevaux !... Qu’est-ce que c’est que ça ?...

JOBARDEK.

Comment, noble étranger ?... Le cheval est un animal du genre masculin, dont la jument est le féminin... C’est une grande bête à quatre pattes, avec une queue...

FLOUMANN.

Ah ! oui, des quadrupèdes comme on en a mis tout à l’heure à ma voiture, des animaux plus anciens que le déluge... Ah ! ah ! marchand de chevaux à Paris ! voilà un joli métier... On vous a mis dedans, papa Jobardek, il n’y a plus de chevaux dans la capitale ; totalement supprimes...

JOBARDEK.

Quoi, plus du tout, pas un seul ?

FLOUMANN.

Il en reste peut-être encore un ou deux au Jardin-des-Plantes, où les badauds vont les voir comme un objet de curiosité !

JOBARDEK.

Allons donc ?

FLOUMANN.

Parole d’honneur ; aussi vrai que je suis un honnête homme !

JOBARDEK.

Je vous crois... Mais alors, comment fait-on pour aller en voiture ?

FLOUMANN.

D’où sortez-vous, père Jobardek ? Et la vapeur, et les chemins de fer ? est-ce qu’on les a inventés pour les caniches ?...

JOBARDEK.

Non... ils sont habitués à aller à pied...

FLOUMANN.

Eh bien, les chevaux se sont en allés en fumée et c’est la vapeur qui les remplace. Le chemin de fer étend partout ses rails.

JOBARDEK.

Ses rails... Vous me raillez ?...

FLOUMANN.

Je ne raille point... Vous savez la chanson : la liberté fera le tour du monde... Eh bien, on a changé ça, c’est la vapeur qui va remplir le monde... À Paris, on s’occupe du chemin de ceinture, qui passera sous la butte Montmartre, qui s’élancera au-dessus de la porte Saint-Denis pour aller rejoindre la butte Saint-Chaumont... et l’été prochain, il y en aura dans les rues, sur les boulevards... Vous aurez de petits chemins de fer pour traverser la Place-Royale, le passage Vendôme... Ils remplaceront avantageusement les fiacres à l’heure... les cabriolets de régie et les omnibus, enfoncés comme les coucous ! Vous savez, à Paris, plus de coucous !...

JOBARDEK, étonné.

Ah ! ça doit être bien heureux pour les maris...

FLOUMANN.

Oh ! non... ça n’empêche pas... Mais la vapeur, Monsieur !... il n’y a plus que cela ! elle remplit toutes les têtes, elle fait bouillir toutes les cervelles... L’univers n’est plus occupé que de chemins de fer... À ce mot magique, les imaginations s’échauffent, les caisses se vident, les écus dansent la polka industrielle et le fandango de la spéculation.

Air : Je suis Français, mon pays avant tout.

Si vous voulez atteindre à la fortune
Faites un’ lign’ de fer, et sans retards,
De tous les coins, un’ foule peu commune
Pour votre ligne apporte des milliards.

JOBARDEK, étonné.

Avec un’ ligne on pêche des milliards ?...
Mais autrefois, quell’s merveilles insignes,
On s’en servait pour prendre des poissons...

FLOUMANN.

Puisque l’on pêch’ de l’or avec ces lignes,
Les souscripteurs deviennent les goujons.

JOBARDEK.

Est-ce possible ?

FLOUMANN.

Moi qui vous parle, c’est ma partie...

JOBARDEK.

Serait-ce une indiscrétion de vous demander à qui j’ai l’honneur ?...

FLOUMANN.

Du tout... Joseph-Anaxagore-Népomucène-Stasnislas Floumann, capitaliste de Cracovie...

JOBARDEK.

Et vous allez à Paris ?...

FLOUMANN.

Oui, mon cher, j’y suis appelé... la haute noblesse et les plus grands seigneurs de France sont employés dans le commerce des chemins de fer... on en manque, ils sont à des prix fous... Le besoin se faisait sentir d’un grand personnage pour être président d’une nouvelle compagnie de chemins de fer... et me voilà... Je vais accepter des millions de ces bons Parisiens... À votre service... ils ne demandent qu’à nous en donner... en voulez-vous... aimeriez-vous ça ?...

JOBARDEK, troublé.

Comment, si j’aimerais ça ?... comment, si j’en veux ?... ça n’est pas de refus !...

FLOUMANN, à part.

Je le tiens !...

Haut, se levant.

Eh bien, mon cher... rien de plus facile... vous avez des fonds...

JOBARDEK.

Certainement...

FLOUMANN.

Vous me les donnez, je les prends... Vous avez une fille... vous me la donnez, je la prends.

JOBARDEK.

Vous me feriez l’honneur de l’accepter ?...

FLOUMANN.

Vous me plaisez... votre fille me charme... eh bien, je vous rends richissime... Qu’est-ce que cela me coûte !... Après cela, votre argent, vous ne pourrez plus le compter !...

JOBARDEK.

Saprelotte !... vous me montez la tête !... Mais comment faire, ma fille est promise ?... et tenez, voici qu’on vient pour le contrat.

FLOUMANN.

Qu’importe ! il n’est pas signé... Évitons ces importuns ; venez, je vais vous expliquer par quels moyens nous pouvons marcher ensemble à la fortune...

JOBARDEK, saisi de joie.

Marcher... ensemble !...

FLOUMANN.

Que dis-je, marcher... voler à la fortune !

JOBARDEK.

Voler !... mais ça me va !...

Il pousse Jobardek dans l’auberge. Le cortège de villageois arrive en dansant, conduit par Josselin.

 

 

Scène V

 

JOSSELIN. VILLAGEOIS, POSTILLONS, MÉNÉTRIERS, UN NOTAIRE, ensuite JOBARDEK et FLOUMANN

 

Josselin et les villageois entrent en chantant.

Air d’Olivier Basselin.

TOUS.

Allons, gai monsieur l’ notaire...
Venez chercher { mon } beau-père,
                          { le      }
De là nous irons chez l’ maire.
Puis l’on boira, l’on mang’ra.
Pour la noce qui s’apprête,
Hé ! la futurs, êt’-vous prête ?
Nous v’là les violons en tête.
les Jamb’s nous démang’nt déjà !...
Tralera lera (bis.)
Ohé ! la futur’, nous voilà !

JOBARDEK et FLOUMANN, sortant de l’auberge.

Paix donc !... Qu’est-ce que c’est que ce tapage ?...

TOUS.

C’est la noce... Vive monsieur Jobardek !...

JOBARDEK.

Du tout ! du tout ! il n’y a plus de beau-père il n’y a plus de mariage !...

LES VILLAGEOIS.

Ah ! mon Dieu !... que dit-il ?

JOSSELIN.

Plus de mar... Père Jobardek, vous avez perdu l’esprit ?

JOBARDEK.

Je n’avais rien à perdre de ce côté-là, au contraire, je gagne des millions...

S’embrouillant.

parce que... la vapeur, les actions... les promesses... les chemins de fer... À tout coup l’on gagne... faites-vous servir... avec primes... capital social... et cætera, et cætera !...

JOSSELIN.

Ah ! mon Dieu ! il est fou !

LES VILLAGEOIS.

Il est fou !

JOSSELIN, appelant.

Julienne !...

JOBARDEK.

Tu as beau l’appeler... je l’ai mise au frais, elle est enfermée dans la cave...

JOSSELIN.

Vous voulez me la refuser. Vous n’en avez pas le droit !

JOBARDEK.

Donner ma fille à un postillon au neveu d’un maquignon ! Fi donc ! tous les maquignons ont fait banqueroute.

TOUS.

Oh !...

JOBARDEK.

Il n’y a plus de chevaux à Paris, il n’en reste plus que la fumée.

TOUS.

Ah !...

JOBARDEK.

Ma fille épousera un grand seigneur, un administrateur, un baron, le baron Floumann ; car il est baron, il me l’a avoue !....

JOSSELIN.

Ah ! mille nom de nom !... c’est ce gradin de voyageur qui l’a ensorcelé... Où est mon fouet ? donnez-moi mon fouet !...

FLOUMANN.

Qu’est-ce à dire, drôle ! insulter un baron !...

JOSSELIN.

Je me fiche des barons, je veux te démolir... À moi, mes amis, assommons-le !

Les villageois tout un mouvement.

FLOUMANN.

À moi, ouvriers du chemin de fer, défendez votre chef !

JOBARDEK, s’interposant.

Ah ! mais, un instant, je suis le père de ma fille, je m’en flatte...

Prenant le contrat que tient le notaire, et le déchirant.

et Josselin ne l’épousera jamais.

JOSSELIN.

Père Jobardek, par pitié !...

JOBARDEK.

Tu demandes de la pitié, a moi, un millionnaire !... tu me fais pitié.

CHŒUR.

Air : J’étouffe de colère.

Le beau-père est féroce,
Il rompt des nœuds si doux.
Bonsoir, gens de la noce,
Rentrons chacun chez nous.

Jobardek et Floumann rentrent à l’auberge. Les villageois s’éloignent sur le chœur.

 

 

Scène VI

 

JOSSELIN, seul

 

Ô vieux gueux !... vieux scélérat !... vieux faux !... Et l’on disait que j’étais né sous une heureuse étoile ! que j’avais en pour marraine une de ces bonnes fées comme nous en avons encore en Bretagne !... Que vais-je devenir, à présent ?... Passer ma vie à m’arracher les cheveux, ça serait une existence trop monotone... mieux vaut ne pas exister du tout... Oui...

Il aperçoit un arbre.

Ah ! oui, voilà... justement c’est un sycomore... il me tend les bras, et avec la corde, de mon fouet...

Il monte sur une chaise et il attache la corde à une branche.

Moi qui croyais aujourd’hui serrer des nœuds fortunés, c’est un nœud coulant qui va me serrer le cou...

Air : Du courage. (Maçon.)

Père barbare, au cœur de marbre,
Par vous mon bonheur est détruit...
Je vais me pendre, d’main cet arbre
De vot’ crime portr’a le fruit !...
Sur le bord du tombeau je penche ;
J’ai choisi la plus grosse branche ;

Il essaie de s’y suspendre.

LA FÉE, dans l’intérieur de l’arbre.

Mais le branche cassera...

La branche se rompt.

JOSSELIN, par terre. Parlé.

Bon ! me v’là par terre...

LA FÉE, paraissant dans l’arbre qui s’ouvre.

Espérance,
Patience,
Et le bonheur te reviendra.
Tout s’arrange,
Le sort change,
Car ta marraine est escot là.

 

 

Scène VII

 

JOSSELIN, LA FÉE

 

JOSSELIN.

Une belle dame !...

LA FÉE.

Je suis la fée Miranda.

JOSSELIN.

Ma marraine !...

LA FÉE.

Je viens me mettre à ta disposition, et te dire qu’à ton âge, quand on a de bons bras, de bonnes jambes, on doit avoir du courage ; c’est une lâcheté de plier devant le malheur... Il faut que tu vives !

JOSSELIN.

Est-ce qu’on peut vivre sans Julienne ?... Je n’avais qu’une Julienne, pour tout potage, on me la prend, on me l’enlève.

LA FÉE.

Je tâcherai de te la rendre.

JOSSELIN.

Son père est entêté comme une vache espagnole ; c’est un vieux mulet breton...

LA FÉE.

Oh ! ce que veut une femme... surtout quand elle est fée... Est-ce que tu crois que l’on peut me résister ?...

JOSSELIN.

À moins d’être aveugle... Moi, d’abord, je ne vous résisterais pas !

LA FÉE.

Il veut manquer à sa parole ; pour te séparer de celle que tu aimes, il va partir pour Paris...

JOSSELIN.

Dieux ! partir !... Vous voyez bien... à Paris, elle se perdra !...

LA FÉE.

Nous les suivrons.

JOSSELIN.

Oh ! tenez, je les ‘entends, parlez-leur, ma marraine, vous êtes si gentille, vous les emblèmerez.

LA FÉE.

Le moment n’est pas venu... ils ne me verront pas, je veux demeurer invisible à leurs yeux.

Jobardek, Floumann et Julienne sortent de l’auberge.

 

 

Scène VIII

 

JOSSELIN, LA FÉE, JOBARDEK, FLOUMANN, JULIENNE

 

JOBARDEK.

Ma sœur, gardez bien la maison...

JULIENNE.

Comment, mon père, c’est donc bien vrai que nous partons ?...

JOBARDEK.

Oui... les voyages forment la jeunesse... C’est assez pleurnicher... vite, en route... à Paris ! à Paris !...

FLOUMANN.

Je vous ai fait préparer une locomotive nouvelle, nous voyagerons par le chemin de fer atmosphérique.

JOBARDEK.

Celui dans lequel je prends des actions ?

FLOUMANN.

Oui.

JOBARDEK.

Avec prime ?

FLOUMANN.

Parbleu !

Il donne un coup de sifflet, la locomotive paraît. Ils montent dedans.

JULIENNE, pleurant.

Adieu, monsieur Josselin !

JOSSELIN, s’approchant de Julienne.

À bientôt, Julienne.

JOBARDEK.

Drôle, veux-tu bien t’en aller !

FLOUMANN, riant.

Laissez-le s’approcher, nous lui ferons passer la locomotive sur le corps.

La locomotive se met en mouvement.

JOSSELIN.

Les voilà partis !...

LA FÉE, agite sa baguette.

Mais voici notre équipage.

Paraît un char attelé de chevaux ailés.

JOSSELIN.

Oh ! oh ! voilà des chevaux qui n’ont besoin ni du fouet ni de l’éperon.

LA FÉE.

En selle, postillon !...

JOSSELIN.

Air : Mettons-nous vite en voyage.

Madam’, montez la première...

LA FÉE.

Viens, nous les devancerons.

JOSSELIN.

Nous d’vons aller ventre à terre,
Si dans l’air nous voyageons.

LA FÉE et JOSSELIN.

Sur { ma } monture légère
      { sa   }
Viens, } nous devancerons,
Oui,    }
Oui, } nous irons ventre à terre.
Là,  }
Dans les airs nous volerons.

Josselin et la Fée montent dans la voiture qui s’élève en l’air et passe par-dessus la locomotive qui est en marche.

 

 

DEUXIÈME RELAI

 

Une chambre d’auberge. Deux plans de profondeur. Portes latérales. Deux alcôves, l’une au fond, l’autre sur le coté droit. Les rideaux sont tirés. Une fenêtre à gauche. L’orchestre joue l’air : Hanneton, vole, vole. La scène est vide, tout-a-coup Josselin est jeté a reculons par la fenêtre dans la chambre, en criant.

 

 

Scène première

 

JOSSELIN, tombant sur son derrière

 

Eh ben !... eh ben !... Passarès !... Gare là-dessous !... Mais, marraine. vous me jetez-là comme un paquet de quèqu’ chose pour la blanchisseuse !...

Il regarde autour de lui.

Disparue ?... Oui, elle m’a quittée une demi-heure pour aller voir une de ses amies sur le mont Cocasse... Me voilà à Paris, dans l’hôtel où doit descendre M. Jobardek, ce vieux têtu féroce, elle m’a donné un moyen de le ramener à moi... et puis ceci...

Il tire une cravache de son haut de chausse.

C’est pour le faire marcher !... Pourvu que dans la route ce gredin de voyageur n’ait pas ensorcelé ma petite Julienne... Oh ! qu’il me tarde de la revoir... Si je pouvais me loger incoguenito... Tiens, mais dans l’alcôve, cette localité est ordinairement favorable à l’amour... et au repos... après un voyage comme celui que j’ai fait... de Concarneau ici, toujours en l’air... c’est fatigant... un vol de cent cinquante lieues... On en met aux galères qui n’ont pas volé tant que ça... Nous avons traversé des tas de nuages et toutes sortes de vents qui soufflaient d’ici et de là... Si je n’ai pas un coup d’air, je serai bien heureux... Et des peurs !... il y a en un moment où nous avons bien failli accrocher le soleil... il ne s’en est pas fallu de l’épaisseur d’un cheveu...

On entend en dehors Jobardek appelant : Ohé ! garçon ! la fille !... mon sac de nuit, mes pantoufles.

Dieu ! le père abhorré de mon objet adoré !... Filaverunt !...

Il entre dans l’alcôve à droite.

 

 

Scène II

 

FLOUMANN, JOBARDEK, JULIENNE

 

JULIENNE, refusant le bras de Floumann.

Merci, Monsieur, je marche toute seule, je ne vais plus à la lisière !

FLOUMANN, d’un air agréable.

Quand vous allez maçonnerie main... pourquoi me refuser le bras ?... ordinairement, ces choses-là se tiennent !

JULIENNE, à part.

J’espère qu’il n’aura ni l’un ni l’autre.

JOBARDEK.

Oh ! là, là... je suis rompu...

FLOUMANN.

Quelle erreur, homme vénérable... vous n’êtes point encore cassé...

Il offre des sièges. À Julienne qui refuse.

Vous n’êtes pas fatiguée, ma charmante ?

JOBARDEK.

Parbleu, je crois bien, elle n’a fait que dormir !...

JULIENNE, à part.

J’en faisais semblant pour penser à mon pauvre Josselin.

FLOUMANN.

Je me flatte qu’elle rêvait à moi, à mon bonheur...

JOBARDEK.

Ah ! ah ! je crois bien, je lui avais ordonné, et quand je veux une chose... j’ai du caractère, moi... je ne suis pas Breton pour des mirabelles !...

FLOUMANN.

En conséquence, nous n’aurons pas causé pour des prunes, et je serai votre gendre.

JOBARDEK.

Ah ! ah ! je crois bien !... aussitôt que vous aurez assuré cette fameuse entreprise qui doit faire ma fortune, la votre, et nous rendre tous les deux riches comme des marchands de...

FLOUMANN, l’interrompant.

Dindons, beau-père... dindons.

JOBARDEK.

Ça m’est égal... Quand ça sera-t-il fait ?

FLOUMANN.

Ma fortune ?...

À part.

Sitôt que j’aurai ton portefeuille.

Haut.

Quand vous voudrez souscrire les 2 315 actions que je vous ai réservées dans mon chemin de fer de Vaugirard à Constantinople... affaire d’or... dont les intérêts ne peuvent manquer d’aller en croissant.

JOBARDEK.

Je souscrirai des que vous serez nommé président.

FLOUMANN.

Je viens de recevoir ma nomination !...

JOBARDEK.

Vrai ?...

FLOUMANN, appuyant.

Parole d’honneur, père Jobardek, honorable Jobardek ; et, faut-il vous l’apprendre, je viens de découvrir un procédé, un secret !... Les locomotives n’ont plus besoin de chemins de fer, elles marchent partout, sur le sable, la terre, le pavé de pierre, le pavé de bois... elles vont comme sur des roulettes !

JOBARDEK.

Ah ! bah !

FLOUMANN.

Quelle économie ! plus de travaux à faire, plus de rails, plus de coussinets, mon cher !... tout est bénéfice !... Si vous me donniez vos cent mille francs, votre capital serait doublé !...

JOBARDEK.

Doublé !... Mais ça me va !... cent pour cent de bénéfice.

FLOUMANN.

Clair et net !... Quelle différence avec les chevaux... il faut les acheter, il faut les nourrir.

JOBARDEK.

C’est vrai.

FLOUMANN.

Tandis que mes locomotives, elles n’ont besoin que d’air !... que d’air, Monsieur... il ne leur faut ni son, ni avoine, ni foin !...

JOBARDEK.

Ah ! saprelotte !... et qu’est-ce qu’on en fera ?

FLOUMANN.

Les administrateurs le mettront dans leurs bottes.

JOBARDEK.

Et la paille... la malheureuse paille ?

FLOUMANN, à part.

Ça sera pour les souscripteurs.

JOBARDEK.

Eh bien, dites-moi donc, est-il encore temps d’avoir des actions ?

FLOUMANN.

Oui, mais il faut se dépêcher... on se les arrache.

JOBARDEK.

Si je vous remettais mon portefeuille, il contient des bons sur la Banque pour cent cinquante mille...

FLOUMANN.

Des bons... ce n’est pas mauvais... Donnez !

JOBARDEK.

Mais êtes-vous bien sûr de votre secret ?...

FLOUMANN.

Tous les chemins de fer vont se réunir au Champ-de-Mars pour faire l’épreuve de ces nouvelles locomotives ; j’y serai avec la mienne. Voyons, donnez-moi cela tout de suite, et je cours...

À part.

à Bruxelles.

Il serre le portefeuille.

JOBARDEK.

Comment, vous nous quitteriez sans dîner ?...

FLOUMANN, avec mystère.

Vous n’ignorez pas qu’on attend à Paris Méhémet-Ali...

JOBARDEK.

Ah ! nous verrons Mahomet au lit ?... N’est-ce pas celui qui est sous-préfet en Égypte ?

FLOUMANN.

Quelque chose comme ça... Il vient pour s’entendre avec moi, et me décorer de l’ordre du Nichtam-Iftihar, comme l’auteur de...

JOBARDEK.

Diable !... Tu entends, ma fille... ton époux sera décoré !... quel honneur !...

FLOUMANN.

J’y cours suivie-champ... Adieu !

JOBARDEK.

Restez encore un instant !

FLOUMANN.

Vous ne connaissez pas les Turcs !... Si je faisais attendre Sa Hautesse une seule minute, il m’enverrait le grand cordon...

JOBARDEK.

Pour vous décorer ?

FLOUMANN.

Pour me faire pendre !... et je ne désire pas qu’il m’élève aussi haut que cela.

JOBARDEK.

Oh ! Dieu, ma fille, vois-tu ton mari pendu... quelle vilaine figure il ferait ?...

JULIENNE.

Monsieur n’a pas besoin de cela !

FLOUMANN, à mi-voix.

Elle n’a pas l’air d’être folle de moi ?... Elle dissimule peut-être ?...

JOBARDEK.

Elle n’ose pas devant vous... mais quand vous ne serez plus là !...

À Julienne, à mi-voix.

Veux-tu bien, tout de suite ?...

JULIENNE.

Oh ! oui, j’aime bien mieux Monsieur quand je ne le vois pas !...

FLOUMANN.

Je m’en vais donc pour me faire adorer. Sans adieu chère future et cher beau-père !...

Il s’en va.

 

 

Scène III

 

JOBARDEK, JULIENNE, UNE SERVANTE, JOSSELIN, LA FÉE

 

JULIENNE.

Nous en voilà débarrassés... et je puis enfin vous supplier, mon père, de ne pas faire mon malheur...

JOBARDEK.

Je ne veux pas faire ton malheur, dans ce moment-ci, je veux faire ma couverture.

JULIENNE.

Écoutez-moi ?...

JOBARDEK.

Je dors debout... Mademoiselle... une fille bien élevée doit respecter le sommeil de son père !...

JULIENNE.

Est-ce que vous pourrez passer de bonnes nuits quand vous aurez fait le malheur de mes jours ?

JOBARDEK, criant.

Ma fille !...

UNE SERVANTE, paraissant.

Vous m’appelez, Monsieur ?

JOBARDEK.

Non, mais je suis bien aise de vous voir.

JULIENNE, insistant.

Mais ce pauvre Josselin qui m’aime ?... Jamais vous ne trouverez un garçon !...

UN DOMESTIQUE paraît.

Vous m’appelez, Mamzelle ?

JULIENNE.

Ah ! il n’y a pas moyen !...

JOBARDEK.

Elle demande un garçon, mais ce n’est pas toi.

Il le renvoie.

La fille, ouvrez mon sac et donnez-moi mon bonnet de coton. Les draps sont bien blancs, bien propres ?

LA SERVANTE.

Oh ! Monsieur, depuis cieux jours il n’est pas entré un chat ici !...

JOBARDEK.

Dans vos lits, on ne reçoit pas de visites ?... il n’y a pas de bêtes ? c’est que je n’aime pas à me trouver en compagnie...

Pendant ce temps Julienne a mis un bonnet de nuit, elle est allée près de son lit.

LA SERVANTE, riant.

Vous n’y trouverez personne !

JOSSELIN, paraissant dans l’alcôve de droite. Bas à Julienne.

Que moi !...

JULIENNE, sans le reconnaître, poussant un cri.

Ah !...

Elle se sauve.

JOBARDEK.

Hein !... qu’y a-t-il donc ?

JULIENNE, avec effroi, désignant l’alcôve.

Là !... là !... quelqu’un...

Josselin disparaît.

JOBARDEK.

Un homme ?...

LA SERVANTE, qui a couru voir.

Mais non, Monsieur.

JOBARDEK, à mi-voix.

Ne serait-ce pas un de tes amoureux, friponne ?

LA SERVANTE.

Oh ! Monsieur, je suis sage... et puis, je ne serais pas si bête !...

Elle s’en va.

JOBARDEK, à Julienne.

Ma fille... vous êtes toquée... couchez-vous... et suivez mon exemple.

JULIENNE.

Oui, mon père... Non, il n’y a personne.

JOBARDEK.

Quand je vous le disais...

Il va à son lit et aperçoit Josselin.

Oh !... à la garde ! au secours !...

JULIENNE.

Vous avez vu quelque chose ?...

JOBARDEK, tremblant.

Un... un monstre... ou un ani... mal !...

JOSSELIN, paraissant.

Non, monsieur Jobardek, ce n’est pas un monstre.

JULIENNE, avec joie.

Monsieur Josselin !...

JOBARDEK.

Si fait... c’est cet animal... Te voilà ici, toi !... qu’est-ce que tu veux ? qu’est-ce que tu réclames ?...

JOSSELIN.

Le cœur et la main de ma Julienne, qui m’appartiennent, et sur quoi je comptais...

JOBARDEK.

Je ne veux pas d’un raffalé comme toi.

JOSSELIN.

Mais je serai à mon aise, je serai riche.

JOBARDEK.

Laisse-moi tranquille... Morphée m’appelle dans son sein.

JOSSELIN.

Non, je veux vous ramener dans le sentier de la vérité... On vous a, fait croire que tous les chevaux étaient ruinés, enfoncés ; c’est un canard.

JOBARDEK.

Canard toi-même !

JOSSELIN.

Et pour vous le prouver, j’ai ma marraine, une grande dame, qui m’a dit que je pouvais vous faire voir Paris à cheval...

JULIENNE.

Alors, mon père, ce qu’on vous a dit n’était pas vrai !...

JOBARDEK.

Tu vas me soutenir que les chevaux sont remontés sur leur bête ?...

JOSSELIN.

Oui.

JOBARDEK.

Ces quadrupèdes auraient reconquis une position sociale et des droits politiques ?... Est-ce qu’ils auraient présenté un pétition a la chambre ?...

JOSSELIN.

Ah ! je n’en sais rien !

JOBARDEK.

Tu n’en sais rien ? Eh ben ! je te parie tout ce que tu voudras, ma tête... ou une bouteille de bière et des échaudés, que non !...

JOSSELIN.

Eh ben ! moi, je vous parie vot’ fille !

JOBARDEK.

Et comment t’y prendras-tu ?...

JULIENNE.

Comment ferez-vous ?...

JOSSELIN, à Julienne.

Soyez tranquille... avec ça... Clic ! clac !...

Musique. La muraille s’ouvre, la Fée paraît.

JOBARDEK.

Que veut ce petit galopin ?...

LA FÉE, en Jockey.

Servir Monsieur, a qui j’appartiens... tenir la parole qu’il vous a donnée... prouver ce qu’il a avancé... en un mot, vous faire voir Paris à cheval...

JULIENNE.

Oh ! que ça doit être beau !

JOBARDEK.

Permettez... cela peut être superbe... mais je ne comprends pas.

LA FÉE.

Écoutez-moi donc... Je vais vous montrer une revue générale de tout ce que l’année a offert de singulier, de fameux, de remarquable, de bizarre, d’excentrique, d’admirable ou de ridicule...

JOSSELIN.

Vous comprenez qu’il y a de quoi !

LA FÉE.

Je vais faire passer devant vos yeux tout Paris à cheval... afin de vous prouver que l’animal le plus noble de la création...

JOBARDEK.

Le plus noble... après moi !

JOSSELIN.

Après l’homme ! M. Bouffon l’a dit.

LA FÉE.

Bien loin d’être abandonné, vous allez voir qu’il tient encore une place plus grande que jamais dans les usages de la vie parisienne.

JOBARDEK.

La revue de Paris à cheval !...

JOSSELIN.

Heim ! en voilà une revue qui ne manquera pas de selle...

JULIENNE.

Elle doit distribuer de bons coups de fouet !

JOBARDEK.

Jeune homme, je ne suis pas curieux... mais si vous me faites voir cela...

LA FÉE.

À l’instant même...

Air : De la Meunière.

Oui, tout Paris sous ce rideau
À tes yeux se cache ;
Pour montrer un coin du tableau,
Il faut qu’on le sache,
Je n’emploierai point de sifflet,
C’est toujours d’un mauvais effet...
Un coup de cravache,
Et le tour est fait !...

TOUS.

Un coup de cravache, etc.

Le théâtre change et représente le Marché-aux-Chevaux.

 

 

TROISIÈME RELAI

 

 

Scène première

 

JOBARDEK, JOSSELIN, LA FÉE, DES MARCHANDS, des chevaux attachées, MAQUIGNONS, et successivement UN COURRIER, UN BRASSEUR, avec son baquet attelé, PAYSANS, LAITIÈRES, CHARRETIERS, tous les états qui emploient des chevaux

 

Cet aspect doit-être le tableau pantomime, très animé d’une place de Paris, qui s’exécute sur l’air du marché de la Muette, entremêlé des cris des cochets, des conducteurs : Gare donc !... Le vendeur de pains d’un sou, avec sa cloche, un charlatan en cabriolet, etc., etc. Jobardek entre et se trouve ébouriffé au milieu de tout cela.

LE BRASSEUR.

Allons, hu ! dia !... En v’là un de solide... au moins, avec ça not’ bière doit mousser !...

Il passe. Paraît à cheval une laitière, en costume de suissesse élégante.

JOBARDEK.

Air : de l’Apothicaire.

Quelle est cette enfant d’Appenzell ?...
Expliquez-moi, je vous en prie,
Cett’ fille de Guillaum’Tell...

LA FÉE.

D’après un’ nouvelle industrie,
La crème est un produit de l’art.
Nos villageoises peu novices,
Pour vendre du lait d’ Vaugirard,
S’ déguisent en laitières suisses.

JOBARDEK.

Tromper le y monde ! La laitière, c’est bien laid !... Ah ça ! où sommes-nous donc ?

LA FÉE.

Au Marché-aux-Chevaux.

JOBARDEK.

C’est vrai... En v’là-ty une ribambelle !...

JOSSELIN.

Tiens, en parlant de chevaux, voilà mon oncle !...

MONSIEUR TOUT-CRINS.

Mon neveu Josselin.

Ils s’embrassent.

Et par quel hasard dans la capitale ?...

JOSSELIN.

Une idée, en l’air...

À mi-voix.

Je vous expliquerai le pourquoi-t-est-ce.

MONSIEUR TOUT-CRINS.

Enchanté de te voir... Ah ça ! comment n’es-tu pas descendu loger chez moi ?...

JOSSELIN.

Vous êtes bien bon, mon domestique s’est chargé de ça.

Bas.

Excusez, marraine.

MONSIEUR TOUT-CRINS.

Je t’aurais hébergé, logé, nourri, et si tu as besoin d’argent...

JOSSELIN.

Merci, j’ai mon domestique !...

MONSIEUR TOUT-CRINS, riant.

Ah ! ton domestique t’en donne... C’est le monde à l’envers. Dans tous les cas, j’ai du quibus... le commerce va bien.

JOSSELIN, à Jobardek.

Vous l’entendez...

LE MARCHAND.

On n’a jamais plus vendu de chevaux qu’à présent.

JOSSELIN.

Je ne le lui fais pas dire.

JOBARDEK.

Vous m’étonnez... Alors, ce sont des amateurs de curiosités... pour mettre sur leurs cheminées... ou dans une ménagerie !

LA FÉE.

Donnez-vous la peine de rester une heure ici, et vous en verrez défiler...

MONSIEUR TOUT-CRINS.

Air du Château perdu.

Gris pommelés, alezan, Isabelle,
Lourds allemands ou légers limousins,
Fiers andalous à la croupe si belle,
Hauts carrossiers, anglaises ou tout-crins ;
Chevaux anglais, chevaux de Normandie,
Chevaux poneys avec des jarrets d’fer,
Et des arab’s dressés pour l’Algérie,
Qui f’ront la queue a ceux d’Ab-del-Kader.

J’en ai 300 dans mes écuries.

JOBARDEK.

300... Et ils ne sont pas empaillés... ils sont vivants ?

MONSIEUR TOUT-CRINS.

Ils sont vivants et ils ont des dents...

JOBARDEK.

C’est particulier... le baron Floumann disait que la race en était disparue de la surface du globe.

JOSSELIN.

Heim ! comme il se fichait de vous !...

MONSIEUR TOUT-CRINS.

Faites-moi l’honneur de visiter mes salons... Je suis comme ce riche amateur, bien connu, qui ne reçoit ses amis que dans ses écuries... ornées de stalles en palissandre... C’est leur boudoir... les uns prennent leur café, les autres prennent leur picotin... l’un fume une cigarette, l’autre mâche une botte de paille.

JOBARDEK.

Des chevaux dans des salons ?

LA FÉE.

Eh ! mon Dieu ! l’on y voit bien souvent des ânes...

MONSIEUR TOUT-CRINS.

Si vous voulez venir...

JOBARDEK.

Je vous suis, je veux m’en donner le coup d’œil...

Il sort.

JOSSELIN.

Il s’éloigne... Ma marraine, êtes-vous bien sûr de lui faire voir tout Paris... Vraiment ?...

LA FÉE.

Grâce à mon pouvoir, nous aiderons à la lettre !... Nous ajouterons à la réalité... Toi-même et sa fille vous aiderez à le convaincre, à son insu. Je vous destine plusieurs personnages.

JOSSELIN.

Ça y est... pourvu que vous m’en donniez l’esprit...

LA FÉE.

Ils n’auront pas besoin d’en avoir...

JOSSELIN.

Bravo !... ça me va encore mieux... 

LA FÉE.

Il revient... éloigne-toi.

 

 

Scène II

 

LES MÊMES, L’ÉTÉ, ensuite JOBARDEK qui rentre

 

L’Été conduisant, à la main, un cheval maigre et un âne. Il est recouvert d’une houppelande fourrée, à capuchon. Il a des bottes fourrées, un manchon et un parapluie.

L’ÉTÉ, frissonnant.

Ceci vous représente l’été de 1805... Brrrrrr, Brrrrrr.

JOBARDEK, rentrant.

C’est ma foi vrai, il en à 300, de tous les poils, de toutes les races !

L’Été bat la semelle sur ses pieds.

JOBARDEK, qui a tiré sa tabatière.

Que faites-vous donc là, mon ami ?

L’ÉTÉ.

Moi, Monsieur ? je grelotte. Auriez-vous un peu de réglisse, de pâte pectorale ?...

Il tousse.

JOBARDEK.

Non, c’est du caporal... En effet, vous toussez beaucoup.

L’ÉTÉ.

Il n’y a personne de plus enrhumé que moi, Monsieur... Je suis l’Été...

JOBARDEK.

Vous me faites de la peine !

L’ÉTÉ.

On m’a destitué, Monsieur, on m’a supprimé.

JOBARDEK.

Ah ! pauvre diable... Et vous a-t-on donné une retraite ?

L’ÉTÉ.

On m’a donné une chaufferette... J’ai eu le malheur de me brouiller avec le soleil et je suis devenu la proie des ouragans et des averses... Je suis tombé à plusieurs degrés au-dessous de zéro... J’ai le nez rouge, les pieds gelés ; un catarrhe et beaucoup de fluxions de poitrine, voilà l’état de ma santé. Oui, Monsieur, à Paris, voilà l’état de l’été...

JOBARDEK.

Ah ! c’est particulier...

L’ÉTÉ.

Voilà la vie que je mène... Je suis tout humide... je pleus... j’ai des vents... Voilà ma température et mon tempérament.

JOBARDEK.

Bah !... vous passez votre temps dans l’eau... Alors, cette année, vous n’avez en de l’été que les carpes !

L’ÉTÉ.

Oui, Monsieur, aussi l’on ne me voit guère que dans les almanachs.

JOBARDEK.

Et que venez-vous faire au Marché-aux-Chevaux ?

L’ÉTÉ.

Vendre mon cheval de campagne... Je l’avais mis chez Ravelet, à Saint-Germain... Il ne m’a rien rapporté...

JOBARDEK.

C’est un cheval ruiné... Voilà ce que m’a dit le baron Floumann... la déconfiture.

L’ÉTÉ.

Et puis, mes ânes de Montmorency... en voulez-vous... à bon marché ?

JOBARDEK.

Merci, mon cher, tout ça est enfoncé... J’ai une meilleure affaire...

DEUX PORTEURS DE L’ÉPOQUE, entrant.

Nous les prenons, nous.

JOBARDEK.

Tiens... voilà deux laquais de grands seigneurs.

PREMIER PORTEUR.

Oui, Monsieur de la plus grande puissance du jour, nous sommes porteurs de l’Époque.

JOBARDEK.

De quelle maison sortez-vous ?

LE PORTEUR.

Nous sortons du violon.

L’ÉTÉ.

Bah ! on vous avait mis au violon ?...

LE PORTEUR.

Oui, Monsieur, ils ne veulent pas que nous vendions notre feuille dans les rues de Paris, en nous promenant à pied... Alors, nous allons la vendre à cheval...

JOBARDEK.

C’est une idée élevée.

LE PORTEUR.

Nous avons été obligés de le mettre chez tous les charcutiers, chez tous les épiciers...

JOBARDEK.

Prenez garde... s’il commence chez l’épicier, il pourrait bien finir de même !

LE PORTEUR.

En voulez-vous un numéro...

Il le déploie.

C’est très commode, en se mettant deux... Aide donc à Monsieur...

L’ÉTÉ.

On peut le lire à huit ou dix personnes...

LE PORTEUR.

À trois sous !... Ça répond à tous les besoins... Tous les jours on donne trois sous pour du papier qui ne vaut pas ça...

JOBARDEK.

Si vous m’en faisiez pour un son...

LE PORTEUR.

Abonnez-vous, c’est moins cher...

JOBARDEK.

En effet, c’est un journal économique... en s’abonnant à deux numéros, on a de quoi lire un mois.

LE PORTEUR.

Vous n’entendez rien en littérature !...

À l’Été.

Voyons, vos Rossinantes... en voulez-vous 30 francs ?

L’ÉTÉ.

Donnez toujours... J’en vais acheter une voie de bois !... Brrr !...

LE PORTEUR, à l’autre.

Monte là-dessus... V’là not’ bannière.

Il attache son journal à son drapeau.

Avec ça, nous voilà sûrs de faire reculer le Soleil !...

Ils enfourchent et s’en vont.

JOBARDEK.

Encore un grand journal ?...

L’ÉTÉ.

Le Soleil... malheureux !... Il est toujours dans les nuages... Brrr !... Je vais allumer mon poêle !...

Il se sauve.

 

 

Scène III

 

JOBARDEK, JOSSELIN, LE MARCHAND DE CHEVAUX, MONSIEUR MAGAZIN-MONSTRE, LE CACHEMIRE, LA GUIPURE, MONSIEUR COTON-LAINÉ

 

MONSIEUR MAGASIN, porte un costume bariolé de toute espèce d’étoiles ; il a plusieurs parapluies et ombrelles sous le bras et des cabas et autres objets à la main. Il arrive à cheval au milieu des deux autres qui sont à pied, il tient une perche qu’il élève au-dessus de leurs têtes des pièces d’étoiles rouges, blanches, etc. comme les étalages des marchands de nouveautés.

Grrrrrand déballage ! Voulez-vous des soieries, des calicots, des foulards, des parapluies, des dentelles, des cabas, du mérinos, du caoutchouc, des parapluies ?... Je vends de tout, je tiens tout, je livre tout a soixante pour cent au des sous du prix de fabrique... Voyez, examinez, faites-vous servir... c’est solide, c’est bon teint ; le blanc surtout, très bon teint... Examinez mes échantillons... Vous faut-il autre chose ? J’ai amené avec moi quelques-uns de mes articles.

Remontant la scène, à la cantonade.

Holà ! vous autres ! arrivez donc, flâneurs et flanelles.

Entrent le Cachemire, vêtu de châles. La Guipure, toute habillée de dentelle. M. Coton-Lainé, habillé comme les mannequins chez les bonnetiers : il a un gilet de flanelle, un caleçon piqué en couleur sur le ventre ; grands bas, des jarretières élastiques, des gants de coton blanc, un faux col et sur la tête un de ces bonnets de coton de voyage, en couleur, qui encadrent le visage.

Voici un de mes meilleurs associés... M. Coton-Lainé... Il prouve l’inutilité du pantalon et la superfluité du paletot... La Guipure !... je l’ai mise à la portée de toutes les fortunes et même des marchandes des quatre saisons... Cela coûtait fort cher autrefois, maintenant cela se fabrique avec de vieilles serviettes. Le Cachemire... Il n’est pas si turc qu’il en a l’air. Tel que vous le voyez, c’est un grand séducteur près du beau sexe, pour les conquêtes, à lui la palme... Mais je ne dois pas oublier ce qui m’attire en ces lieux. Vous êtes marchand de chevaux ?

JOBARDEK.

Non, Monsieur, non...

JOSSELIN.

Mais mon oncle l’est.

JOBARDEK.

Ce monsieur laid ? ça se voit tout de suite.

LE MARCHAND.

Me voilà ; que désire Monsieur ?

MONSIEUR MAGAZIN.

Une cinquantaine de chevaux pour le service de mon établissement.

JOBARDEK.

Comment cela ?

MONSIEUR MAGAZIN.

Eh ! sans doute !... j’ai inventé le magasin-omnibus ; j’ai créé le magasin encyclopédique, le magasin-ville, avec ses rues, ses carrefours, ses places publiques... Enfoncé le petit commerce ! Au diable les petites boutiques de nos pères ! Voulez-vous avoir un aperçu de mon établissement ?... en voici le dessin.

Il déploie le plan d’un monument gigantesque.

Voilà le magasin-ville. Il y a la rue du Calicot, la place de la Lingerie, le passage de la Filoselle, le cul-de-sac de la Mousseline...

Air : Vaudeville de la chasse au renard.

Dans ces palais, qu’envieraient Rome et Sparte,
Sitôt qu’on entre, on se croit égaré,
Mais au public nous en donnons la carte.

À M. Coton.

Faite-la voir...

Coton déroule une carte.

Une lieue au degré.
De nos comptoirs, c’est la topographie.

JOBARDEK.

Ah ! ça, mon cher, comment diable fait-on,
S’il faut connaître la géographie,
Pour acheter un bonnet de coton.
Il faut connaître, etc.

MONSIEUR MAGAZIN.

Vous ne voyez ici qu’une faible portion de mon établissement ; je l’agrandis... Je veux qu’il soit aussi vaste que Paris, et pour cela, j’ai affermé les Catacombes. C’est une idée qui doit enterrer toutes les autres... « Aux Catacombes, magasin de nouveautés ! » Sept lieues de long sur six de large. Chaque article aura son quartier, son arrondissement, son maire et ses adjoints. Le chaland sera obligé de faire une demi-douzaine de kilomètres pour acheter un écheveau de fil ou une aune de ruban. Ce sera magnifique, admirable. Mais pour ne pas trop fatiguer ce même chaland et afin qu’il puisse faire plusieurs emplettes dans la même journée, nous tiendrons à sa disposition des voitures et des chevaux de selle qui circuleront dans notre magasin... Allons ! hop !...

TOUS TROIS.

Air.

Sur-le-champ il me faut, il me faut,
Des voitures
Et des moutures
Pour m’ner le commerce au grand trot,
Et qu’ la fortune aille au galop !

Ils sortent.

 

 

Scène IV

 

LES MÊMES, FRICOTEAU, à cheval avec des provisions

 

FRICOTEAU, qui est gris.

Tiens ! c’te frimousse... vous. v’là ici, M. Chose...

JOBARDEK.

Qu’est-ce qu’il a donc, celui-là ?...

FRICOTEAU.

Je vous connais bien !

JOBARDEK.

Je ressemble à un de ses fournisseurs, il se croit sur le quai de la Volaille. Vous êtes au marché aux chevaux.

FRICOTEAU.

Eh ! bien ! oui, je viens de faire mes provisions de viande.

Tapant sa bête.

Que dites-vous de ça ?

JOBARDEK.

Ce cheval me paraît un peu sec.

FRICOTEAU.

Il sera très bon quand nous l’aurons fait mariner.

JOBARDEK.

Vous voulez en faire un cheval marin ? mais c’est une rosse.

FRICOTEAU.

Eh ! ben, le bourgeois en fera du rosse bif... des biftecks ! il nous en faut trente pour ce soir, nous avons une noce.

JOBARDEK.

Ah !... en voilà un mystère de Paris ! Comment, on se permet ?...

FRICOTEAU.

Tiens ! vous croyez qu’on se gène... Mais c’est très bon quand on a un bon chef, et le nôtre est fameux. Il va vous faire avec ça des côtelettes de veau... du râble de lièvre, avec cela des oreilles frites... des pieds de cochon... et du civet.

Riant.

Ah ! non le civet, je l’ai là.

Il tire de son panier un chat qui se met a miauler.

JOBARDEK, indigné.

Quel brigand !

FRICOTEAU, voulant lui prouver.

Ah ça ! vous êtes donc bouché ?...

JOBARDEK.

Je voudrais l’être... je regorgerais.

FRICOTEAU.

Vous ne me reconnaissez donc pas, Fricoteau, aide de cuisine de chez l’hôtel du Cheval-Blanc.

JOBARDEK.

De mon hôtel... Ah ! scélérat ! c’est donc du cheval que tu m’as fait manger à mon déjeuner... Je ne m’étonne pas que c’était si dur... au lieu de bœuf !...

FRICOTEAU, riant.

Eh bien ! oui, ça vaut encore mieux que de la vache enragée.

JOBARDEK.

Air du Fleuve de la vie.

Du cheval ! il ose le vendre !

FRICOTEAU.

Oui ! c’est bon avec du cerfeuil...
Et mêm’ quand on sait bien s’y prendre
Le cheval devient du chevreuil !
Mon assertion n’est pas fausse.
Il est si bon, cet animal...
Ça prouve bien que le cheval
Se met à toute sauce !

En s’en allant.

Allons, hu !... Vot’ dîner, monsieur ?... il va bien, il va bien.

Il sort en battant sa bête.

 

 

Scène V

 

JOBARDEK, JOSSELIN, MONSIEUR TOUT-CRINS, L’AGIOTAGE, LA PRIME, CROQUE-EN-BOURSE, ACTIONNAIRES

 

L’Agiotage est vêtu de papier de toutes couleurs figurant des actions. Il a un jabot en dentelles d’or, des bottes dorées et des gants dorés. Il est coiffé d’une énorme perruque en fils d’argent. Croque-en-Bourse, costume de ville. La Prime, costume ridicule. Une foule d’actionnaires escorte l’Agiotage. Ils tendent les mains vers lui.

CHŒUR.

Air : Patapan.

Des actions,
Des savons,
Des coupons,
Des trois ponts,
D’ la montagne.
Du zinc d’Espagne,Des canaux,
Des bateaux,
Du lin,
Et du Romain,
Nous en voulons jusqu’à demain !

L’AGIOTAGE, leur distribuant des actions.

Tenez, prenez, et passez à la caisse pour faire vos versements.

Les actionnaires s’éloignent.

Il me faut des chevaux, chevaux de selle, de tilbury et de calèche, tout ce qu’il y a de plus cher, je ne regarde pas au prix... marchander ! fi donc !

JOSSELIN.

Ce Monsieur a l’air fort à son aise.

JOBARDEK.

Il doit être bien dans ses papiers.

L’AGIOTAGE.

Vous ne me connaissez pas ?... On m’appelle l’Agiotage.

Air : La Catacour.

Vrai spéculateur a la course
Je joue et trafique sur tout,
Sur le boulevard, a la Bourse,
Chez Tortoni... je vais partout,
Je vends, Je colporte à la ronde,
Des souscriptions
Des actions
Et comm’ je crois,
Je n’ sais pourquoi,
Qu’ ces chose-là sont très bonn’s sur ma foi.
J’en fais bien prendre à tout le monde,
Mais j’ n’en garde Jamais pour moi.

C’est ce qui fait que je suis le Dieu de l’époque.

JOBARDEK.

Encore une nouvelle religion !... ça aura remplacé les Saint-Simoniens.

L’AGIOTAGE.

Tout le monde m’adore, tout Paris me paie des contributions. C’est pour moi que le riche se dépouille et que la cuisinière fait danser l’anse du panier. L’argent ne me coute rien ; J’en puise dans toutes les caisses. Ainsi, servez-moi bien.

MONSIEUR TOUT-CRINS.

J’ai de très belles bêtes... si Monsieur veut se donner la peine de choisir ?...

L’AGIOTAGE.

Moi ? par exemple ! pour qui me prenez-vous ? Je laisse ce soin à mon factotum.

Il le montre.

Le sieur Croque-en-Bourse, la perle des courtiers marrons... un gaillard qui n’a pas les mains dans ses poches.

JOBARDEK.

Il les a peut-être dans celle des autres.

Croque-en-Bourse salue Jobardek.

Il est très poli, ce courtier... châtaigne.

Le Marchand et Croque-en-Bourse sortent.

JOSSELIN, à l’Agiotage, lui offrant une chaise.

Si vous voulez vous asseoir ?

L’AGIOTAGE.

L’Agiotage ne se repose jamais.

JOSSELIN, offrant la chaise à la Prime.

Mais peut-être que madame votre épouse ?...

L’AGIOTAGE.

Ceci est ma fille, la fille aînée de l’Agiotage ; on l’appelle la Prime, c’est elle qui donne de la valeur à mes actions... Comment la trouvez-vous ?

JOBARDEK.

Je la trouve un peu maigre.

L’AGIOTAGE.

Oui, depuis quelque temps ça ne va pas... elle baisse beaucoup.

JOBARDEK.

Ah ! tant pis, tant pis !...

Examinant de près le costume de l’Agiotage.

Mais, vous même, avec ce costume léger, ne craignez-vous pas de vous enrhumer ?...

L’AGIOTAGE.

Du tout ! Je n’en ai jamais porté que de la même étoile depuis 125 ans que j’existe.

JOBARDEK.

Vous avez 125 ans.

L’AGIOTAGE.

Je les ai eus aux prunes.

JOBARDEK.

Je ne vous aurais pas donné ça, malgré votre chevelure argentée.

L’AGIOTAGE.

Je naquis en 1720, dans la rue Quincampoix. Je suis fils du système de Law, d’autres disent de l’Eau.

JOBARDEK.

C’est ce qu’i y a de plus clair...

L’AGIOTAGE.

Mon premier habit était fait en actions du Mississipi. Plus tard, il y a cinquante ans, j’étais vêtu d’assignats...

JOBARDEK.

Mauvaise étoffe !

L’AGIOTAGE.

Oui, un peu piquée des vers... Aujourd’hui mon costume est varié.

Jobardek et Josselin, lisant ce qui est écrit sur les papiers qui composent le costume de l’Agiotage.

JOBARDEK.

Actions des mines de Saint-Frusquin.

JOSSELIN.

Asphalte... Bitume...

JOBARDEK, regardant sur les épaules de l’Agiotage.

Et là-haut... Zinc de la Jeune-Montagne...

JOSSELIN, regardant au bas du dos.

Et là-bas ? Chemin de fer du Bas-Rhin.

JOBARDEK.

Vous en avez plein le dos !

L’AGIOTAGE, montrant ses manches.

J’ai cent cinquante compagnies sur les bras.

Croque-en-Bourse, tenant un cheval sellé, et Tout-Crins, rentrent en scène.

MONSIEUR TOUT-CRINS.

L’affaire est faite... Monsieur m’a acheté mes douze chevaux, les plus fins ; il y en a onze qui sont en route pour se rendre chez vous, et le douzième est a vos ordres.

L’AGIOTAGE.

Très bien ! Sont-ils fringants ? J’ai l’habitude d’aller souvent en Belgique, et je vals très vite, très vite.

JOBARDEK, avec doute.

Oui, oui, mais, allez-vous longtemps ?

MONSIEUR TOUT-CRINS.

Monsieur, j’ai vendu au comptant... C’est vingt-cinq mille francs.

L’AGIOTAGE.

Bagatelle !

Il détache de son costume quelques coupons d’action et les offre au marchand.

MONSIEUR TOUT-CRINS.

Qu’est-ce que c’est que ça ?

L’AGIOTAGE.

Des actions de l’incomparable canal qui doit faire du Havre le faubourg de Paris.

Air : Je loge au quatrième étage.

C’est une entreprise immortelle,
Et qui, d’après des plans nouveaux,
Fera, dans la plain’ de Grenelle,
À la voile, entrer des vaisseaux.
Et vous sentez, que chacun penche,
Pour que l’ parti soit bientôt pris,
De fair’ faire un coude à la Manche,
Pour voir un bras d’mer a Paris.

JOBARDEK.

C’est pour ça qu’il y a déjà une frégate à Asnières ; je l’ai vue.

MONSIEUR TOUT-CRINS.

C’est possible, mais je ne veux pas de ces actions.

L’AGIOTAGE.

Préférez-vous des Bougies Cirorifuges, de la Compagnie Bilboquet ; du chemin de fer de la compagnie Wormspire ?...

MONSIEUR TOUT-CRINS.

Du tout, je veux de l’argent.

Les autres marchands et palefreniers s’approchent.

L’AGIOTAGE.

Mais c’est de l’or en barre, il y a cent pour cent de bénéfice. Je ne puis vous donner mieux. Adieu, mon cher.

MONSIEUR TOUT-CRINS.

Oh ! un instant... ou sinon !

LES AUTRES.

Oui, oui, payez-le.

L’AGIOTAGE.

Ah ! laissez-moi en repos... Croque-en-Bourse, débarrasse-moi de ces importuns.

MONSIEUR TOUT-CRINS, à Croque-en-Bourse, qui veut l’éloigner.

Méchant Gringalet ! Tiens voilà pour toi.

UN DES MARCHANDS.

Donnez-lui son argent.

Il saisit la Prime par le bras.

L’AGIOTAGE.

Laissez ma fille !... Vous ne toucherez pas la Prime !

La Prime et Croque-en-Bourse se sauvent.

LES ACTIONNAIRES, rentrant furieux, leurs papiers à la main.

Notre argent ! notre argent !

MONSIEUR TOUT-CRINS.

Ma chambrière !... où est donc ma chambrière ?...

JOBARDEK.

Votre femme de chambre, pour lui arracher les yeux ?

On entoure l’Agiotage, qui pour se soustraire à leurs menaces, s’élance sur le cheval qu’avais amené Croque-en-Bourse.

L’AGIOTAGE.

Voulez-vous bien me laisser, tas de gogos !

TOUS.

Misérable ! Canaille !...

Ils saisissent le cheval par la bride et l’arrêtent, malgré les efforts de l’Agiotage.

L’AGIOTAGE.

Je me fiche pas mal de vous !

Il monte debout sur la selle. Son costume de papier tombe, et le laisse voir vêtu en Mercure. Il a d’énormes ailes.

JOBARDEK.

Ah ! le gredin, il s’en tire par un vol !... C’est son habitude...

Il s’envole au milieu des cris de fureur des actionnaires.

 

 

Scène VI

 

LES MÊMES, UNE DAME PATRONESSE, vêtue en amazone, suivie d’un domestique en livrée tous deux à cheval

 

LA DAME.

John... arrêtez...

Elle descend.

JOBARDEK.

Voilà une charmante tournure.

LA DAME.

Monsieur, pardon si je vous arrête... mais à votre air aimable... je suppose que vous ne me refuserez pas un plaisir...

JOBARDEK.

Comment donc, Madame, un plaisir ? deux, trois, quatre, si j’en suis susceptible.

LA DAME.

Eh bien, Monsieur, prenez ceci...

Elle tire de petits papiers de sa poche.

JOBARDEK, à part.

Elle va me donner sa carte.

LA DAME.

Veuillez me remettre 20 francs.

JOBARDEK.

Par exemple !...

LA DAME.

C’est pour une bonne action.

JOBARDEK.

De chemin de fer ?...

LA DAME.

Non, Monsieur, de bienfaisance, c’est plus sûr.

JOBARDEK.

En voilà une farceuse !... Madame, passez votre chemin, on ne peut rien vous faire. Habillée comme vous l’êtes... avec un laquais... demander l’aumône !...

LA DAME.

Monsieur, je ne demande rien pour rien... je vous offre au contraire une excellente spéculation... Tout cela est détaillé dans mon prospectus...

Elle lui en donne un.

JOBARDEK, lisant.

Loterie de Strasbourg...

LA DAME.

Non. Monsieur... de Petit-Bourg.

JOBARDEK.

Comment, vous êtes la loterie personnifiée ?... Mais c’était une voleuse...

LA DAME.

Monsieur, les plus mauvaises choses peuvent avoir leur bon coté... Combien voulez-vous de billets ?

JOBARDEK.

Madame !... depuis 1830, la loterie est supprimée, défendue, prohibée... et l’on a bien fait... Est-ce qu’il n’y a pas un commissaire de police, par ici ?...

LA DAME.

Oh ! mais, Monsieur, je suis autorisée !...

JOBARDEK.

Air : Vaudeville de la Robe et les Bottes.

La loterie était une caverne,
Des ouvriers engloutissant le gain,
Où, pleins d’espoir, pour nourrir un quaterne,
Ils portaient tout, et puis mouraient de faim.

LA DAME.

Oh ! mais quelle différence...

Suite de l’air.

La loterie ou pour le pauvre on donne
Peut se montrer avec sécurité ;
Elle s’est mise, afin qu’on lui pardonne,
À cheval sur la Charité.

Musique. Entre une autre dame, sur son enseigne est écrit : Loterie de l’Asile Fénélon.

JOBARDEK.

Comment, de Fénélon ?... Il a inventé une loterie ?... Je croyais qu’il n’avait inventé que l’histoire de Télémaque.

LA DAME.

C’est un asile de bienfaisance pour élever les enfants du pauvre.

Air : Valse des Comédiens.

Nous le savons, dans le temps on nous sommes,
Les fils du noble et ceux des paysans,
Sont tous égaux... et pour avoir des hommes
Sachons d’abord élever les enfants.

Ne laissons pas à l’aveugle nature
Le seul destin des esprits et des cœurs :
Les mauvais fruits viennent seuls sans cultures
Bien cultivés, les hommes sont meilleurs.

Enseignons-leur, par la crainte du blâme,
L’amour du bien, qui doit les soutenir ;
L’espoir du ciel, ce noble pain de l’âme,
Qui nous console et nous aide à mourir.

Ils apprendront, dans leur pauvre chaumière,
Et la morale et l’histoire à la fois ;
Qu’il est des lois qui règnent sur la terre,
Qu’il est un Dieu qui règne sur les rois !

Le laboureur a bien droit qu’on l’éclaire !
À ses enfants montrons le bon chemin ;
Instruisons-les, et donnons la lumière
Aux fils de ceux qui nous donnent le pain.

Dans leur essaim, qui, sur l’herbe se roule,
Il est, peut-être, un grand homme au berceau !
Quelque Buffon, jouant près d’une poule,
Un Sixte-Quint qui garde son troupeau !

L’esprit humain est un champ bien immense,
Semez, pour lui, dans la bonne saison,
Quelques grains d’or... Et la reconnaissance
Vous donnera la plus douce moisson !

L’ORGANISTE, entre par le fond en jouant de l’orgue.

« Donnez, donnez, sur cette terre !... »

JOBARDEK.

Qu’est-ce qu’il me veut, celui-là qui me joue dans les oreilles !...,

L’ORGANISTE.

Je viens remercier le public de la capitale.

JOBARDEK.

Ah ! oui, j’ai vu votre image sur les affiches des rues... les Chansons populaires.

L’ORGANISTE.

Du tout !... Vous n’avez pas entendu parler du fameux incendie de la pointe Saint-Eustache ?... c’est à moi que le malheur arriva.

Air : Vaudeville de la Belle Fermière.

De père en fils je suis luthier,
Natif de la ville de Lorgues.
Après mon feu, j’ voulais m’ noyer,
Me j’ter dans l’ fin fond de la Sorgue ;
Pour remonter mes tuyaux,
La lot’rie offrit ses lots !...
Pour c’ moyen, qui vint à propos,
Si l’on eût en d’ la morgue,
Mon pauvre orgue
Allait à la Morgue,
Et j’aurais suivi mon pauvre orgue.

L’orchestre joue l’air du triomphe de la Muette. Entrée de paysans, hommes, femmes et enfants, en costume de Normands. Ils suivent une dame et portent un écriteau sur lequel on lit : Loterie de Monville.

CHŒUR.

Air de la Muette.

Honneur (bis) à notre bienfaitrice.
Quand l’ feu du ciel détruit à nos ateliers,
La Charité, divin’ réparatrice,
Vient, par ses dons, relever nos métiers.
Vot’ bonté protectrice
Nous rend nos ateliers ;
Qu’ notre voix vous bénisse,
Sauveur des ouvriers.

JOBARDEK.

Ah ! encore une loterie !... Il n’y en a donc jamais eu tant que depuis qu’il n’y en a plus ?... Et l’on donne à tout cela ?...

LE NORMAND.

Marchais ! marchais ! mon gros bonhomme !

Air : Le Dieu des bonnes gens.

Ne blâmez point la noble bienfaisance
Qui des Français vint remuer le cœur,
Chantons plutôt, dans not’ reconnaissance,
Tous les heureux qui soulag’nt le malheur.
Lorsque le ciel, lance dans sa colère
Sur not’ gagne’ pain les fléaux ravageants,
Le riche alors devient sur cette terre
Le Dieu des pauvres gens !

Tous reprennent en chœur en bénissant la dame de Monville.

JOBARDEK, ému.

Ah ! ma foi, ça me transporte... Jugez si je suis transporté... je risque mes cent sous. Mais donnez-moi un numéro qui gagne...

LES TROIS LOTERIES.

Voilà... à mai... à moi !...

JOBARDEK.

Ah ! vous aussi ?...

LA TROISIÈME DAME, vivement.

Prenez quatre billets, vous aurez un lot, pour sûr.

LA DEUXIÈME DAME, l’attirant.

Vous aurez deux lots.

LA TROISIÈME DAME.

Vous aurez cinq lots.

Toutes trois le pressent et l’entourent.

JOBARDEK, étourdi.

Un lot... deux lots... cinq lots... c’est donc la bataille des lots ?... Vous me direz ici, c’est de localité. Ma foi, ça m’est égal... je vous prends tous vos billets !...

Il tire de l’argent et leur en donne à toutes trois.

TOUS.

Bravo !... bravo !...

LE NORMAND.

Marchais, marchais !... il n’est tel qu’un vilain quand il se met en train !...

On escorte la loterie et l’on reprend le chœur.

LE CHŒUR.

Honneur (bis) à notre bienfaitrice, etc.

 

 

Scène VII

 

LES MÊMES, UN MÉDECIN petit-maître, entrant vivement

 

LE MÉDECIN, à Jobardek, qui va pour sortir.

Pardon, mon cher Monsieur, mes deux gris-pommelés sont blessés sur le garrot... Voyons, vite, un cheval, s’il vous plaît...

JOBARDEK.

Mais, Monsieur, je n’en tiens pas.

LE MÉDECIN.

Donnez-moi le premier venu, je l’essaierai...

Tirant sa montre.

Mon Dieu, une heure, et j’ai trente-cinq malades à voir avant d’aller dîner au Rocher-de-Cancale ; et il faut que je courre au congrès médical qui se tient dans ce moment.

JOBARDEK.

Vous êtes médecin, et il faut que vous alliez en équipage ?...

LE MÉDECIN.

Eh bien ! d’où arrivez-vous donc, Monsieur ?

JOBARDEK.

Monsieur, j’arrive de Concarneau.

LE MÉDECIN.

Ah ! très bien, je vous le passe... À Paris, mon cher, un médecin qui va sur ses jambes est un homme perdu dans la foule, et il ne peut pas arriver !

Air : Pégase est un cheval.

Un docteur qui veut qu’on l’honore,
Doit avoir au moins un cheval...
Souvent la maladie encore
Va plus grand train que son cheval.

JOBARDEK.

Mais, en galopant sur la route,
Si vous pratiquez à cheval,
Vous risquez de donner sans doute
Des médecines de cheval.

On entend des cris dans la coulisse à droite.

Un médecin !... allez chercher un médecin !...

UN GAMIN.

Mère saindoux, donnez-moi-z’en donc pour six blancs...

Il regarde la poêle.

Eh ben ! onsqua sont les pommes de terres... elles sont frites ?...

LA MÈRE SAINDOUX, tenant son réchaud et sa poêle.

Ah ! Jésus !... Dieux de dieux !... la pauvre femme !...

TOUS.

Qu’est-ce qu’il y a ?... un accident ?

LA MÈRE SAINDOUX.

Oui, et un fier malheur...

LE GAMIN, s’avançant.

J’en suis... je prends mon billet.

Il passe entre les jambes de ceux qui s’approchent.

LA MÈRE SAINDOUX.

Et dire qu’il n’y a pas un brigand de médecin pour la sauver.

JOBARDEK.

En voilà un.

LA MÈRE SAINDOUX.

Ah ! mon bon monsieur le sirugien, tâchez de la remettre !

JOBARDEK, poussé.

Va-t’en donc, gamin.

LE GAMIN.

Oh ! c’te balle !... V’lan !

Il lui donne un renfoncement ; Jobardek lui allonge un coup de pied, et le gamin tombe sur son derrière en riant.

LA MÈRE SAINDOUX.

Faites donc de la place pour monsieur le sirugien !... V’là qu’on l’apporte !...

UN HOMME DU PEUPLE.

Faut d’abord aller chercher le commissaire...

LE MÉDECIN.

Mais, non... c’est un préjugé populaire avec lequel on laisse les gens en péril... Quand quelqu’un doit mourir, ça nous regarde, c’est notre affaire.

On entr’ouvre le brancard fermé d’une toile rose et jaune, et l’on y voit sur un écriteau : la Pomme de terre malade.

CHŒUR DES GENS QUI L’ENTOURENT.

Air : Marlborough s’en va-t’en guerre.

C’est la pomme de terre
Qui s’en va (bis) dans la bière.
La pauvre pomm’ de terre,
Hélas ! court au trépas !
Hélas ! elle est bien bas,
N’ la guérira-t-on pas !

La Pomme de terre s’avance ; elle est en robe de chambre rose avec des taches brunes ; elle a la figure toute jaune, et une coiffure en feuilles ; des bas noirs qui figurent les racines.

TOUS.

La Pauvre créature, ah ! mon Dieu ! elle a la jaunisse !

LE GAMIN.

Ell’ me fait l’effet d’être fricassée !

LE MÉDECIN.

Elle aura pris un chaud et froid.

LA MÈRE SAINDOUX.

C’est pourquoi on l’a mise en robe de chambre... Une créature si méritante... ma mère nourricière... la meilleure pâte de femme... bonne à rôtir comme à bouillir... on pouvait la mettre à toute sauce, elle ne soufflait pas le mot !...

LE MÉDECIN.

Voyons, mu bonne... tâchez de vous lever... Là, là... qu’est-ce que vous avez ?

LA POMME DE TERRE.

Ah ! je n’en sais rien... je suis bien mal à mon aise.

LE GAMIN.

Tâtez-y le pouls !

LE MÉDECIN.

Très élevé !... Qu’est-ce que vous sentez ?

LA POMME DE TERRE.

Je ne sens pas bon.

LE MÉDECIN.

Le siège du mal est dans la racine...

LA POMME DE TERRE.

Des cheveux ?... Non, c’est dans la plante...

Elle montre ses pieds.

LE MÉDECIN.

Depuis quand êtes-vous comme cela ?

LA POMME DE TERRE.

C’est l’été dernier qui m’a mis dans cet état-là... il a été si froid avec moi...

LE MÉDECIN.

Et comment ça vous est-il venu ?

LA POMME DE TERRE.

Air de Richard.

Une fièvre brûlante
Un jour me dévorait,
Et de ma fleur chassait
La sève languissante...
Si Parmentier était ici,
Mon sang serait bien moins transi...
Sa science immortelle
Aurait fait, dans mon cœur,
À ce froid qui me gèle,
Succéder la chaleur.

LE MÉDECIN.

Ce sont, d’après les diagnostics, les matières admises qui, dans l’économie, par suite d’un ankylose...

LE GAMIN.

Ne pales pas latin et donnes-y quèque chose.

JOBARDEK.

Monsieur, si vous lui faisiez prendre un bain de pieds...

LA MÈRE SAINDOUX.

Oui, au bain-marie... à la vapeur... ça lui convient.

LE GAMIN, avec aplomb.

Ce qui lui faut, c’est du farineux.

LE MÉDECIN.

Paix donc, que diable ! Si tout le monde s’en mêle, on ne fera que des sottises... c’est assez de moi... Voyons si par l’homéopathie...

LE GAMIN.

Silence !...il cherche dans sa sorbonne !

UN ANGLAIS, vêtu de noir et tout effaré.

Oh ! god ! god !... c’était-il le vérité que cette pauvre légume il était aussi chez vos... à sa dernier... o’clok ?

LE GAMIN.

Nix, pas entendre.

L’ANGLAIS.

À son dernier heure... por l’expiration...

LE GAMIN.

Ah ! défunctis !... Ya... ya... Voilà la chose !...

Il la lui montre.

L’ANGLAIS.

Ho !... J’avais déjà vu lui indisposé à Brussels, et je vois ici dans le trépassement !...

LA MÈRE SAINDOUX.

Mon Dieu, oui, ce pauvre légume n’est pas blanc.

L’ANGLAIS.

C’était pourquoi je étais tout noir.

LE GAMIN.

C’est pour sa mort qu’il a fait des crêpes !...

L’ANGLAIS.

Yès... c’était à cause de la pomme de terre que j’étais en douil.

Air : À peine au sertir de l’enfance.

Dans les élections publiques
Quel malheur si lui nous manquait ;
Pour les opinions politiques
À la têt’ nous se les flanquait...

JOBARDEK.

Quoi, vous aussi, froid insulaire,
Vos yeux ne peuvent rester secs ?...

L’ANGLAIS.

Qui doit pleurer les pomm’ de terre
C’était bien les pauvres biftecks !

LA POMME DE TERRE.

Quoique Française... merci de votre intérêt... Je voudrais vous étonner de caresses...

LE GAMIN, à part, aux autres.

Il pleure... parce qu’il voudrait la manger, le glouton !

L’ANGLAIS, secouant la main de la Pomme de terre.

Oh ! yès !...

LE MÉDECIN, qui était resté rêveur.

Attendez, je tiens le moyen que je cherchais... je tiens son salut... Rassurez-vous.

LE GAMIN.

Si vous la tirez d’allure, vous rendrez un fameux service aux théâtres des boulevards.

JOBARDEK.

Comment ça ?...

LE GAMIN.

Eh ! oui, si la Pomme de terre était morte adieu l’agrément des entr’aques !

LE MÉDECIN, inspiré.

Non, non... elle n’est pas morte ; c’est un bruit que les truffes ont fait courir.

Il sort vivement.

LA TRUFFE NOIRE, c’est une négresse ; elle accourt en sautillant.

Qu’est-ce qui parle de moi ?... Ah ! ah ! vous savez la grande nouvelle, la maladie de ce tubercule ridicule qui n’est bon qu’en fécule. Oui, mes enfants, la Pomme de terre est morte... larilara !... Je viens prendre un cheval pour aller porter les billets de faire part : Vous êtes prié d’assister aux service et enterrement, etc., au nom de MM. Champignons et Mesdames Betteraves, ses oncles, cousines... Et allez donc !...

JOBARDEK.

Tenir des propos si atroces !...

LE GAMIN.

Faut que ça soit un héritier...

LA TRUFFE.

Petites gens, vous ne me reconnaissez pas, plébéiens, vil populaire !

Air nouveau de M. Hamet.

Vous voyez la Truffe !
Des mets le premier !...
Sans être un tartuffe,
Peut-on le nier ?

Noble fruit d’Espagne,
Pour bien me priser,
Avec du champagne
Il faut m’amuser !...
Célébrez la Truite,
Des mets le premier ;
Le plus grand tartuffe
Ne peut le nier.

Par mon goût, ma sève
L’homme fut perdu ;
Car la pomme d’Ève,
Ce fruit défendu...
C’était une Truffe, etc.

Au siècle où nous sommes
J’attendris les cœurs ;
Les dindons, les hommes,
Par moi sont meilleurs.
Mangez donc la Truffe, etc.

Mon pouvoir suprême
Gouverne les cours ;
Je commande même
Au dieu des amours.
Honorez la Truffe, etc.

JOBARDEK.

Madame !... il est inconvenant... de venir l’insulter à son chevet.

LA TRUFFE.

Qu’appelez-vous, chevet !... il n’y a que moi qui brillerai chez Chevet... Tiens, la voilà, c’te pauvre invalide !... Que veux-tu, fallait que tu finisses, tu ne pouvais pas durer... tu étais trop canaille !

LE GAMIN.

Dis-donc, la Truffe, tu vas taire ton mufle !

LA TRUFFE.

Tu ne vivais pas, tu végétais, toujours dans le fond d’une poêle, pour être vendue à un sou dans des morceaux de papier, et régaler les petites gens.

LA MÈRE SAINDOUX.

Ah ! finis tes magnières, ou tu vas te faire accommoder un œil au beurre noir !...

LA TRUFFE.

Tu devrais faire ton testament en ma faveur, heim !... me léguer tes champs et les nombreuses terres que tu possédais.

LE GAMIN.

Al’ vient mécaniser la pomme de terre et veut lui tirer une carotte !...

LE MÉDECIN, rentrant.

Elle est sauvée... elle est sauvée !...

Il est suivi de deux mitrons qui poussent un châssis représentant un four.

JOBARDEK.

Vous allez la faire rôtir ?...

LE MÉDECIN.

Oui, mes enfants... quelques minutes de chaleur vont la faire transpirer... serviront de réactif, de sudorifique, et en expulsant les causes morbifiques, la rendront à la vie. Entrez-la dedans, enfournez-la !

Musique. On enfourne la Pomme, qui passe dans le four qui se change en charrette de légumes. Elle reparaît vêtue en maillot rose, couronnée de sa propre fleur.

TOUS.

Ah !...

LA POMME DE TERRE.

Je me sens en état d’écraser toutes les truffes de la terre...

LA MÈRE SAINDOUX.

Bravo ! ma fille !... Et à cheval... en route pour le marché des Innocents !...

LE GAMIN.

Enfoncé, la Truffe !...

On lui donne la chasse ; elle crie à moi, et se, sauve accompagnée par un cochon.

Va donc !... le porc est payé !...

TOUS.

Ohé !... vive la joie et les pommes de terre !...

On lui fait un cortège et on la suit. Le théâtre change.

 

 

QUATRIÈME RELAI

 

La tente où se font les préparatifs des courses, avec les balances à peser les jockeys, et les accessoires d’usage.

 

 

Scène première

 

LA FÉE, JOBARDEK, puis LE GAMIN et DANDYS

 

LA FÉE.

Par ici, nous y voilà...

JOBARDEK, entrant.

Déjà... c’est ça que vous appelez le Champ-de-Mars... Ah ! oui, une tente guerrière... le dieu Mars...

LA FÉE.

Vous êtes dans la tente...

JOBARDEK.

Oui !...

LA FÉE.

Où se font les Courses... de Paris...

JOBARDEK.

Ah !... je croyais qu’à Paris on faisait faire les courses par les commissionnaires...

LA FÉE.

Erreur !... Les courses de chevaux... il y en a à Versailles, à Chantilly, à Rouen...

Air : des sept Merveilles.

Partout en France, on court, on court,
La méthode
Est fort à la mode.
Comme des fous ou court, on court,
Cherchant le chemin le plus court.
Personne ne va plus au pas,
De la vapeur on suit les traces ;
Au bal même on ne danse pas,
Mais on fait galoper les grâces.
Partout en France, etc.
Et fin courant... ce terme encor
Vous peint cette rage courante ;
Pour atteindre les pommes d’or,
Notre époque est une Atalante.
Partout en France, etc.

LE GAMIN, entre en faisant la roue.

Ohé ! j’en suis aussi, moi !

JOBARDEK.

Encore ce petit garnement !

LE GAMIN.

Le gamin de Paris se faufile partout où il y a comédie gratis... Tenez, v’là la cavalerie bourgeoise... et tous les courseurs.

Entrent plusieurs personnes parmi lesquelles on distingue les deux gentlemen.

TOUS.

Partout en France, en court, on court ;
La méthode
Est fort à la mode ;
Partout en France, on court, on court.
Cherchant le chemin le plus court.

Les trois gentlemen, en costume ridicule, pantalons a larges carreaux, petites redingotes blanches ou tweeds gris, petits chapeaux a la polka, énormes gilets descendant sur les cuisses, petites cannes, larges manchettes, cols de chemise rabattus, lorgnons incrustés dans l’œil, etc., etc.

LE GAMIN.

Ohé ! que balles ! ficelés ; les pantalons !... plus qu’çà de toile à matelas !... excusez !...

PREMIER GENTLEMAN.

Very, well, nous voici sur le turf.

DEUXIÈME GENTLEMAN.

Le temps est beautyful, et le handicap ira perfectly, perfectly...

TROISIÈME GENTLEMAN.

It is tru !... Le sport sera delightful !... positively, positively...

JOBARDEK, les saluant.

Ces messieurs sont des Anglais ?... ils arrivent de London ?...

LE GAMIN.

Allons donc !... ça, des Anglais ? merci !... des Anglais de la rue Jean-Pain-Mollet.

PREMIER GENTLEMAN.

Nous, Monsieur, nous sommes Français, goddem !

DEUXIÈME GENTLEMAN.

Very good Français... nous sommes dandys, mon cher... suprême fashion...

LE GAMIN.

Oui, sa faction... je l’lai vu... avec une aune à la main, dans sa boutique... v’là sa faction.

JOBARDEK.

Je suis de Concarneau... et à votre costume, j’aurais cru...

PREMIER GENTLEMAN.

Modes anglaises ; il n’y a que ça : chapeau de Regent’s-Street, vrai tweed de Piccadilly.

LE GAMIN.

Voilà leur truc, à ces modernes ! c’est des faux mylords, des similors !

PREMIER GENTLEMAN.

Veux-tu te taire, galopin ! Little dog, black-guard !

LE GAMIN.

Plaît-il, Monsieur ? Comment se porte mame vot’ épouse ?

JOBARDEK.

Cependant, monsieur parle un langage étranger.

PREMIER GENTLEMAN.

L’anglais, mon cher, l’anglais ; on ne peut parler que ça ici... C’est la langue du turf... l’anglais est la langue des chevaux... et nous autres sportsmen... nous sommes des gentlemen riders.

LE GAMIN.

Oui... gentilhomme ridé... ça se voit sur leur visage.

Il le montre.

TROISIÈME GENTLEMAN, agitant sa badine.

Drôle !... je vais te donner de ma canne...

LE GAMIN, le narguant.

Ça !... c’est une allumette chimique...

JOBARDEK.

Air : Tous un curé patriote.

Expliquez-moi, je vous prie,
Cette rage des Français !...
En fait d’arts et d’industrie,
Nous valons bien les Anglais.
S’ils parlent de leurs boxeurs,
Nos coups d’poing vaudraient les leurs !...
Eh ! que diable, à Paris,
Soyons de notre pays,
Restons toujours de not’ pays !

PREMIER GENTLEMAN.

Vous êtes une perruque ! mon cher.

DEUXIÈME GENTLEMAN.

Vous êtes rococo !

TROISIÈME GENTLEMAN.

Vous êtes Pompadour !

PREMIER GENTLEMAN.

Ah ! ça, occupons-nous de nos affaires...Mon pur sang est là... Je parie cent guinées pour miss Carlotta.

TROISIÈME GENTLEMAN.

Freely !... je tiens les cent guinées.

LE GAMIN.

Cent guinées, ça veut dire cent sous.

PREMIER GENTLEMAN.

Je ne vois pas mon petit jockey.

Il appelle.

Mon petit Bull Dog !... Hé ! Bull Dog !

Entre Bull Dog, un Jockey énorme, et qui est ivre.

BULL DOG.

Me voilà, sir... me voilà...

JOBARDEK.

C’est là son petit jockey ?...

LE GAMIN.

C’est ce qu’ils appellent un petit gro-om !

PREMIER GENTLEMAN.

Comment, drôle ! dans quel état ? et encore aussi gros... quand je t’avais ordonné de maigrir.

BULL DOG, trébuchant.

Est-ce que je suis encore gros ?... Pourtant j’ai été trouver Fitz-Peters, le maquignon de Newmarkett... il m’a dit qu’il allait me faire prendre un élixir... à preuve que nous l’avons bu ensemble...

PREMIER GENTLEMAN.

Un élixir de cabaret, animal ! Le voilà gris et gros.

BULL DOG.

Je ne suis pas gros... pour gris, je ne dis pas... – c’est l’élixir qui me travaille...

PREMIER GENTLEMAN.

Tu vas écraser – Carlotta.

BULL DOG, riant.

Si je l’écrase, nous le verrons bien... Je parie que je n’ai que le poids... Je veux qu’on me pèse.

JOBARDEK.

On pèse les hommes comme des veaux ?

Le pesage a lieu. Le poids du jockey fait tomber la balance.

BULL DOG.

Le marchand n’a pas mis le poids.

PREMIER GENTLEMAN.

Soixante kilos de plus qu’il ne faut... et je n’ai pas d’autre jockey !...

DEUXIÈME GENTLEMAN, tirant sa montre.

Eh ben ! mais... il te reste une demi-heure pour le faire maigrir !

JOBARDEK.

Maigrir en une demi-heure... Vous voulez réduire ce malheureux ?...

BULL DOG.

Monsieur, je vous en prie !...

PREMIER GENTLEMAN.

Allons ! allons ! dépêchons-nous...

LE GAMIN.

On va le faire cuire dans un’ marmite... ensuite, ça fera un jockey consommé...

DEUXIÈME GENTLEMAN.

Mettez-le dans les couvertures.

Deux palefreniers apportent des couvertures. Bull Dog résiste ; on l’enveloppe de force, après l’avoir couché par terre, on le roule dedans, et l’on entend ses hurlements.

JOBARDEK.

Dans des couvertures ? Il va perdre l’haleine.

LE GAMIN.

Ça fait suer... ma parole d’honneur... Il va être fondu.

On déroule les couvertures, et au lieu du gros Bull Dog, il sort un petit jockey très maigre.

JOBARDEK.

Oh !... en v’là du déchet !

LE GAMIN...

Il n’a plus que la peau et les os... En v’là d’la réjouissance !...

PREMIER GENTLEMAN.

À la bonne heure, c’est un jockey présentable. Je vous défie de me montrer le pareil.

DEUXIÈME GENTLEMAN.

Le mien est plus petit.

PREMIER GENTLEMAN.

Je parie que non !

On fait venir un second jockey ; c’est Tom Pouff qui paraît.

TOUS.

Air : Les gueux, les gueux.

Petit ! petit !
Chez nous ça suffit,
Quand on s’fait petit,
On réussit.

TOUS.

C’est le général Tom Pouff !

TOM, en costume du roi de Prusse.

Yes ! Yes !... Good by ! good by !

JOBARDEK.

Le voilà encore ?... on le disait parti...

DEUXIÈME GENTLEMAN.

Il est revenu rue Vivienne...

LE GAMIN.

En v’là un nain connu !

JOBARDEK.

Il ne faut pas le prendre pour un nain valide.

TOM.

Laissez donc, mon vieux... je suis un ingambe.

DEUXIÈME GENTLEMAN.

Ah ça ! mon petit, il faut te préparer ; je t’ai loué pour la course...

TOM POUFF.

Le plus souvent que je courrai pour vous ! Je suis habitué à ce qu’on courre pour moi...

TOUS.

Comment ?

TOM POUFF.

Eh ! oui ; je vous ai fait aller... Je fais aller les Parisiens, c’est mon état !

Il fait un signe, sa voiture paraît il se sauve dedans les dandys, le gamin et les jockeys le suivent.

 

 

Scène II

 

JOBARDEK, BESTIANI, LE SINGE, puis LES GARDIENS

 

BESTIANI, criant.

Couscoussou !... couscoussou.

Le Singe accourt vêtu en Arabe avec un burnous blanc, et monté sur un poney.

JOBARDEK.

Ah ! mon Dieu... c’est Abdel-Kader !...

BESTIANI.

Je le préférerais... mais ce n’est pas lui.

Le Singe fait des pieds de nez à Jobardek.

JOBARDEK.

Vrai... je ne risque rien ?...

BESTIANI.

Couscoussou... saluez monsieur.

Le Singe se gratte et donne la main à Jobardek : son burnous tombe.

JOBARDEK.

Un singe ! un simple singe, un misérable orang-outang !...

BESTIANI.

Un orang, venant d’Oran, en Afrique... Il fera ma fortune quand il paraîtra sur un théâtre.

JOBARDEK.

Un singe sur la scène ?

BESTIANI.

Il y en a bien d’autres !... Les théâtres de Paris affectionnent particulièrement les animaux ?

JOBARDEK.

Je l’ignorais.

BESTIANI.

Nous avons eu cette année, la Biche au Bois, aux Variétés un Chien de Contrebande, au Cirque des Champs-Élysées des Singes charmants, des chevaux merveilleux...

JOBARDEK.

N’y a-t-il pas eu aussi un certain Hippodrome ?

BESTIANI, baissant la voix.

Silence ! pas un mot là-dessus... je n’en dis rien ici... ne parlons pas politique !

Haut.

Eh bien, Monsieur, une école de déclamation admirable vient de s’ouvrir...

JOBARDEK.

Ah ! on m’en a parlé, rue de la Tour d’Auvergne ?

BESTIANI

Non, Monsieur, au Jardin-des-Plantes, à l’effet d’en tirer des sujets pour un théâtre spécial de bêtes...

JOBARDEK.

Il me semble qu’il y en a déjà quelques-uns.

BESTIANI.

Tous les acteurs seront sociétaires... il y aura des sociétaires à longues queues, d’autres à courtes queues... Les raisonneurs seront tenus par l’ours Martin, les innocentes par une chatte sauvage, les forts premiers rôles seront remplis par des éléphants que vous verrez bientôt chez nous...

JOBARDEK.

Vous comptez sur un éléphant, souvent ça trompe !...

BESTIANI.

Les nôtres feront de l’argent gros comme eux... et notre singe aura une vogue dans le genre de Jocko, son bisaïeul. – Allez !...

Musique. Le singe se livre aux exercices les plus prodigieux, et il se sauve en emportant la canne et le chapeau de Jobardek dont il s’est coiffé.

JOBARDEK.

Mon chapeau !... mon chapeau !...

LA FÉE, arrivant.

Soyez tranquille... il ne peut pas être perdu... il ne vient ici que des gens de la meilleure société...

On en entend une musique bruyante et sauvage. Entrée des Indiens Io-Ways.

TOUS.

Ké ! ké ! ké !...

JOBARDEK.

Rassurez-vous... ce sont les Indiens Io-Ways... sauvages de l’Amérique du Nord, qui ont attiré tout Paris dans la salle Valentino.

Même musique. Entrée des Indiens O-Ji-Be-Wa’s.

JOBARDEK, plus effrayé.

Encore...

LA FÉE.

Ceux-ci, ce sont les Indiens O-Ji-Be-Wa’s, qui se sont fait voir au boulevard Bonne-Nouvelle.

JOBARDEK.

J’en donnerais le choix pour une épingle... c’est toujours la même chose.

LA FÉE.

Oui, mais le nom est bien différent ; à Paris, vous changez le titre d’une chose très connue, et cela devient tout-à-fait nouveau.

JOBARDEK.

Les Parisiens sont donc aussi gobe-mouches que moi ?

LA FÉE.

Ils le sont davantage... car ils sont bien plus nombreux...

Montrant un Indien.

Admirez le sieur Miou-hu-shi-Khaou.

JOBARDEK.

Miaou... miaou... C’est le nom d’un chat.

LA FÉE.

On l’appelle en français le Nuage-Blanc.

JOBARDEK.

Et il est tout rouge !... Qu’est-ce que c’est que ces colliers qu’ils ont là ?

LA FÉE.

C’est leur argent... les Wampums, sortes de coquillages qui représentent leurs espèces...

JOBARBEK.

Ça ne vaut même pas des Monacos, on ne les leur changerait pas au bureau de la Monnaie.

LA FÉE.

Ce sont des gaillards qui ne donnent point leurs coquilles. – Voici leur médecin.

JOBARDEK.

Vétérinaire... ou homéopathe ?

LA FÉE.

Non, il est sorcier.

JOBARDEK.

Diable... ils sont plus avancés que nous, si leurs médecins sont sorciers...

LA FÉE.

On le nomme Si-None-Ti-Ya, c’est-à-dire les Pieds Ampoulés...

JOBARDEK.

Il devrait se les guérir... Ce Monsieur n’est peut-être pas pédicure ?...

LA FÉE.

Le fameux Ouá-Tane-Yi, ou celui qui est toujours en avant.

JOBARDEK.

Ah ! le dernier là-bas, c’est celui qui est toujours en avant ?... Ces dames sont aussi de leur société ?

LA FÉE.

Ce que nous avons.de plus joli en fait d’indienne. Voici Rutôné-Yé-Oué-Ma, ou le Pigeon qui se rengorge. Celle-ci, le Melon sous Cloche.

– L’autre, l’Asperge qui monte.

JOBARDEK.

Qué diables de noms... Vous me direz : nous en avons aussi... des lionnes, des tigresses !...

LA FÉE.

Pas beaucoup.

JOBARDEK.

Mais des dromadaires ?... Êtes-vous bien sûr que ccs dames soient réellement sauvages... Heim ?...

Il lui prend le menton.

Mon petit Pigeon... faisons joujou à pigeon-vole ? Drôle de teint... Est-ce qu’ils viennent au monde de cette couleur là ?...

LA FÉE.

Ils se peignent tous les matins.

JOBARDEK.

Oh ! cette autre, avec son moutard...

LA FÉE.

C’est l’usage... toutes les mères portent leurs enfants ainsi...

JOBARDEK.

Dans le dos ?... C’est le contraire de chez nous.

UN MONSIEUR de la salle, élevant la voix d’un ton important.

Pardon, Monsieur, une question physiologique !... Quelle est leur manière de donner les aliments à l’enfance ?

JOBARDEK, qui a parlé à l’oreille de la Fée.

La méthode française, exactement.

LE MONSIEUR.

Je vous suis fort obligé... Il était intéressant de savoir si le biberon Darbo, ou le biberon Breton avait pénétré dans le sein de ces peuplades !

JOBARDEK.

Ah ça ! et quelle est leur profession ?

LA FÉE.

Ils chantent, ils dansent, ils tirent de l’arc... Vous allez avoir un échantillon de leurs brillants exercices... Le Nuage-Blanc va vous dire le chant de guerre.

LES INDIENS, chantant.

Oh ! ha !... ô tapa ! ô tapa !

LA FÉE.

Les paroles sont de lui et la musique aussi.

JOBARDEK.

Ça lui fait honneur.

LA FÉE.

C’est la Marseillaise de leur pays, c’est avec ça qu’ils soulèvent les masses.

LE MONSIEUR de la salle, haut.

Pardon, mon ami, est-ce qu’il n’ont point d’orgue dans leur musique ? ils devraient en avoir.

LA FÉE.

Pourquoi ça, mon ami ?

LE MONSIEUR.

Parce qu’ils sont de Barbarie, mon ami.

Un Indien s’avance.

LA FÉE.

Il veut parler...

JOBARDEK.

Je ne lui répondrai rien.

L’INDIEN.

Howa tapa... Ke’ ! ké !... Pé-Pé-Cé.

JOBARDEK.

P. P. C... Ah ! pour prendre congé.

LA FÉE.

Ils vont en effet partir... Ils appartiennent, dans leurs montagnes rocheuses, aux plus hautes classes, ils sont tous éligibles.

JOBARDEK.

Ah ! leurs chambres vont s’ouvrir... Eh bien ! bon voyage.

LA FÉE.

Avant de nous quitter, ils désirent vous donner un échantillon de leur fameuse danse de l’aigle... Accaia !

Danse. Sortie. Pendant la sortie des Indiens, on entend une fanfare brillante et de grands cris de joie : Braro ! viva ! hurra ! et une fanfare.

 

 

Scène III

 

LES MÊMES, JOSSELIN, JULIENNE, TOUT-CRINS, un cheval qui vient de remporter le prix de course, DES JOCKEYS, DES PARISIENS

 

JOBARDEK.

Ah ! c’est vous, monsieur Tout-Crins !... Que diable allez-volts faire de ce cheval avec ses galons rouges et ses bouquets ?... est-ce pour le faire courir que vous l’avez habillé ainsi ?

TOUT-CRINS.

C’est fait, Monsieur, et ce cheval vient de me gagner cinquante mille francs en cinq minutes.

JOBARDEK.

Cinquante mille francs !...

TOUT-CRINS.

Dix mille francs de prix et quarante mille francs de paris... Et tout ça, ce sera la dot de mon neveu... si vous lui donnez votre fille.

JOBARDEK.

Vraiment !... Ah ! saprelotte !... mais ta fortune est faite.

JOSSELIN.

Eh bien ! direz-vous encore que les chevaux ne sont bons à rien ?

JOBARDEK.

Du tout, je recrois aux chevaux... je leur rends mon estime... Vive les chevaux... je les porte tous dans mon cœur, et je te donne ma fille. Au diable la vapeur !... Oh ! mais, sapristi !... et mon portefeuille !... Ah ! je me souviens...

TOUS.

Qu’est-ce qu’il a donc ?

JOBARDEK.

Oui, c’est ça, le tournoi des locomotives ; je le rattraperai, il faut que je  le rattrape.

JULIENNE.

Mon père !...

JOBARDEK.

Courons !

JULIENNE et JOSSELIN.

Où ?...

JOBARDEK.

Je n’en sais rien, courons toujours... Ah ! au Champ-de-Mars !... au Champ-de-Mars !...

Il sort en courant ; tout le monde le suit. Le théâtre change.

 

 

CINQUIÈME RELAI

 

Le Champ-de-Mars. Sur une marche brillante arrivent les chemins de fer : ce sont des hommes à cheval sur des locomotives, d’autres coiffés de tuyaux à vapeur, des cheminées qui marchent. Toutes ces machines portent le nom d’une ville. Au milieu de ce cortège, Jobardek entre tout effaré, les autres le suivent a distance. Jobardek va d’une locomotive à l’autre.

JOBARDEK.

Floumann ! Floumann ! Avez-vous vu Floumann ?

LES CHEMINS.

Connais pas ! connais pas !

JOBARDEK.

Mais sa locomotive ? où est sa locomotive ?... C’est à ne plus se reconnaître au milieu de tous ces chemin-là... Oh ! combien êtes-vous donc ?

UN CHEMIN.

Monsieur, nous sommes 729 pour une seule route.

JOBARDEK.

Et qu’est-ce que vous venez faire ici ?

LE CHEMIN.

Nous venons pour la fusion de toutes les compagnies... et vu la quantité, nous avons pris le Champ-de-Mars.

JOBARDEK.

Alors Floumann va venir aussi, ça me rassure.

On entend une cloche.

TOUS LES CHEMINS.

La cloche de l’adjudication !... Eh ! vite, courons, c’est à moi à passer ! Non, à moi !... Après ! Avant ! À moi !...

JOBARDEK.

Ah ! mon Dieu ! comme ils fument ! ils vont éclater, et la fusion deviendra une effusion de sang. Ah ! Floumann va venir, enfin !... Floumann ! Floumann !

LA FÉE, entrant, suivie d’un cheval.

Vous ne le verrez plus, vieux obstiné... le Floumann était un floueur !

JOBARDEK.

Mais je suis ruiné, alors !... Mon portefeuille !

LA FÉE.

Le voilà... je vous le rends pour cette fois... à l’avenir contentez-vous de bénéfices modestes... ne vous lancez plus dans les spéculations folles... il n’y a que les fripons qui gagnent à ce jeu-là.

JOBARDEK.

Ah ! ça ! mais comment l’avez-vous rattrapé, l’autre ?

LA FÉE.

À cheval.

Elle y monte.

JOBARDEK.

C’est donc cette pauvre bête qui nous sauve tous... Oh ! cette fois me revoilà pour le cheval à la vie, à la mort !

TOUS.

Vive les chevaux !...

Arrivent tous les personnages de la pièce, à cheval ; marche, évolution.

Vaudeville final.

CHŒUR.

Air des Cancans.

À cheval ! (bis)
On arrive bien ou mal ;
À cheval ! (bis)
L’univers marche à cheval.

LA TRUFFE.

Nous cherchons tous à monter,
Nous aimons à nous flatter !
Le genre humain en est là ;
Chaque homme est sur son dada
À cheval ! etc.

LA DAME.

Pour tacher de faire bien
Ne désespérons de rien ;
Sur la charité, l’amour,
Restons jusqu’au dernier jour
À cheval ! etc.

MAGAZIN.

Honnête solliciteur
Qui priez un protecteur,
Afin qu’il soit obligeant,
Montez sur un sac d’argent
À cheval ! etc.

BESTIANI.

Sur les arbres des boul’vards,
À ch’val on voit des gaillards,
Qui, les trouvant maladifs,
Mont’nt les écorcher tout vifs
À cheval ! etc.

JULIENNE.

Nous pourrions, en traits malins,
Railler les théâtr’s voisins ;
D’abord peut-être on rirait,
Mais ensuite on nous dirait :
À cheval ! (bis)
La critiqu’ vous irait mal ;
À cheval ! (bis)
Restez toujours à cheval.

UN INDIEN IOWAYS

Si les ch’vaux pouvaient un jour
Tenir la bride à leur tour,
Sur nous, du matin au soir,
Comme ils riraient de se voir
À cheval ! etc.

UN GENTLEMAN.

En calèche, en escargot,
Si l’on voit maint’ Camargo.
C’est qu’ ces nymph’s, sur leurs vertus,
Depuis longtemps ne sont plus
À cheval ! etc.

FRICOTEAU.

Des malins dis’nt comme cela
Que l’ Français n’est plus bon là ;
Qu’il nous vienn’ des tas d’ marsouins,
Prussiens, Kosacks ou Bédouins...
À cheval ! (bis)
Sera le cri général ;
À cheval ! (bis)
En avant, mon général !

JOSSELIN.

Nos soldats, vieux ou nouveaux,
En Afriqu’ sont des héros,
Et quand ils n’ont plus d’ chevaux
Ils se batt’nt sur des chameaux
À cheval ! etc.

L’AGIOTAGE.

On nomme les ch’vaux en faveur
Ficell’, Mercure ou Voleur ;
On ne trouv’ plus un coureur
Qui se tienne sur l’honneur
À cheval ! etc.

BULL DOG, encore gris.

Nos Bacchus marchands de vin
Devraient, pour enseigne enfin,
S’ fair’ peindre sur un tonneau...
Un tonneau de porteur d’eau
À cheval ! etc.

TOUT-CRINS.

Au Cirque, depuis vingt ans.
Si les succès sont constants,
C’est qu’il s’ tient en général
Sur le petit caporal
À cheval ! (bis)
Et vraiment il n’ fait pas mal,
À cheval ! (bis)
Viv’ le petit caporal !

JOBARDEK.

Le refrain que vous chantez
Me paraît diablement vrai,
Car je ne vois à Paris
Que les piétons qui n’ vont pas
À cheval, etc.

LA FÉE, au public.

Messieurs, faites-nous cadeau
Pour étrennes d’un bravo ;
Sur l’indulgence aujourd’hui
Ah ! daignez vous mettre ici
À cheval ! (bis)
Sauvez-nous d’un sort fatal ;
À cheval ! (bis)
Une chute fait grand mal !

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