Orante (Georges de SCUDÉRY)
Tragi-comédie en cinq actes et en vers.
Représenté pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Jeu de Paume de La Fontaine, en 1633
Personnages
ISIMANDRE, fils du gouverneur de Naples
ORANTE, dame Napolitaine
ROSIMOND, ami d’Isimandre
ORMIN, gouverneur de Pise
PALINICE, femme d’Ormin
LUCINDE, mère d’Orante
FLORANGE, gentilhomme Pisan
NÉRINE, demoiselle d’Orante
POLIANTE, père d’Isimandre
CLINDOR, écuyer d’Isimandre
LINDOMAN, valet de chambre d’Orante
LERISTE, page d’Ormin
ARGAMOR, brave
GERTIMANT, brave
À MADAME LA DUCHESSE DE LONGUEVILLE
MADAME,
J’avoue que ce que je présente à votre Grandeur est indigne d’elle : Mais si vous ne deviez recevoir que les choses qui méritent de l’être de vous, il est certain que vous auriez droit de refuser tout ce qu’on vous pourrait offrir. Cette faiblesse, qui m’est commune, avec tout le reste des hommes, ne me donne point d’affliction ; je sais qu’il est même des fuites, qui ne sont pas honteuses aux particuliers, parce qu’elles sont générales, et que ceux qui se sauvent de la perte d’une bataille n’étaient pas obligez d’y mourir. Mais quand ce raisonnement n’aurait pas été capable de me faire hardi, le favorable accueil que j’ai toujours reçu de V.E. m’eût aussi bien obligé de l’être.
Oui, MADAME, votre bonté fait ma hardiesse, et mon crime vient de votre vertu : mais quoi que l’on tienne pour assuré qu’une erreur en appelle une autre, je m’empêcherai bien d’ajouter à la faute que je commets, en vous donnant une chose de si peu d’importance, celle de vous louer de mauvaise grâce : que s’il faut toutefois que je le fasse, pour suivre la coutume que les autres ont établie, je pense avoir assez d’adresse pour m’en acquitter plus dignement sans éloquence, qu’ils ne feraient avec toutes les règles et toutes les beautés de leur art. Et cela, MADAME, en disant seulement que vous êtes l’illustre Sang de BOURBON, si Noble et si pur, qu’il a moins de taches que le Soleil ; de sorte que vous auriez plus de peine à faillir, que les autres n’en ont à bien faire : Et s’il faut encore ajouter à cette gloire essentielle une qui vous vienne d’ailleurs ; après avoir remarqué que vous avez l’honneur d’appartenir au plus grand Monarque de la terre : Je dirai que vous êtes Sœur d’un Prince, qui possède toutes les bonnes qualités que doit avoir un homme de la sienne, et femme d’un autre116, de qui le cœur et l’esprit disputent de grandeur avec sa naissance : C’est tout ce que peut vous dire,
MADAME,
Votre très humble et très obéissant serviteur,
DE SCUDÉRY.
AU LECTEUR
Je confesse ingénument que ma stérilité vient de l’abondance d’autrui : l’on a tant fait d’avant-propos, qu’il est comme impossible maintenant que mes pensées ne se rencontrent avec celles d’un autre ; et je ne veux point te donner sujet d’appeler larcin ce qui ne serait que concurrence. Contente-toi donc que je te prie seulement d’excuser mes fautes, et celles de l’impression.
Adieu.
ACTE I
Scène première
ROSIMOND, ISIMANDRE
ROSIMOND.
Malgré le vœu discret d’une bouche muette,
Enfin je vous connais amoureux et Poète :
Non, non, je vous y prends ; que sert de le celer ?
C’est trop en même temps, que se taire, et brûler ;
Voyons dans ce Sonnet, qu’on cache comme un crime ;
Des regrets mesurez, et des soupirs en rime.
ISIMANDRE.
Rends-le-moi cher Ami.
ROSIMOND.
J’y suis bien résolu,
Mais ce ne sera pas avant que l’avoir leu.
ISIMANDRE.
Comme tous mes plaisirs ont déjà fait naufrage,
Le désordre des sens en met en mon ouvrage,
Et mes vers sont confus, autant que mon humeur :
ROSIMOND.
Ici l’humilité ne sent point le Rimeur.
Il fallait préparer mes yeux et mes oreilles ;
Me dire qu’à genoux on doit voir des merveilles ;
Me réciter vos vers en accents relevés ;
C’est tout leur ornement, et vous les en privés :
Les Maîtres du métier ont bien une autre emphase ;
Pour vous ravir l’esprit, ils tombent en extase ;
À chaque fin de stance on les voit se pâmer,
Pour vous donner le temps qu’il faut à l’estimer ;
Et faisant les yeux doux, ils semblent vouloir dire,
Vous devez m’adorer, parce que je m’admire ;
Mais mon visage froid désespère un Auteur,
Et je le fais tomber d’une belle hauteur.
Or vous dont je connais, et l’adresse, et la force ;
Me faisant un refus, me jetez une amorce ;
En un mot, je veux voir, en voyant ce sonnet,
Ce que vous enfantez dans votre Cabinet.
Sonnet. Il lit.
Qu’on me fasse un Tombeau, je ne me puis promettre
De vivre désormais l’espace d’un moment :
Mille ans ont fait leur cours depuis l’éloignement,
De l’homme paresseux qui doit rendre ma lettre :
Dieux, Parques, et Destins, me voulez vous permettre,
Immortel comme vous, d’être éternellement ?
Si vous êtes puissants, faites-le-moi paraître,
Me donnant le repos qu’on trouve au monument.
Avoir vécu mille ans, n’est-ce pas un bel âge ?
Mais que l’impatience, hélas ! me rend peu sage,
Mon esprit agité, soi-même ne s’entend.
Depuis que j’écrivis, j’ai compté mille années,
Et tout considéré, ce n’est que six journées,
Dieux ! que le temps est long pour un bien qu’on attend.
Quoi donc, vous en tenez ? et cette humeur rebelle,
Enfin dans l’Univers, a pu voir une belle ?
Il se trouve un objet, qui mérite vos soins ?
Si ce discours est vrai, c’est Vénus pour le moins.
ISIMANDRE.
Celle dont le Berceau fut pris d’une Coquille,
Pourrait servir de lustre à cette belle fille ;
Et l’on doit confesser malgré ses cruautés,
Qu’on n’a vu qu’en ce temps la Reine des beautés :
La liberté s’enfuit, d’où la Belle se trouve ;
Pour les coups de ses yeux, il n’est rien à l’épreuve ;
Et bien qu’un arbre, un roc, s’en laissassent charmer,
Elle a plus fait encor, en me faisant aimer.
ROSIMOND.
De savoir quelle elle est, le désir vient de naître.
ISIMANDRE.
Sans te dire son nom tu la pourras connaître :
On ne voit rien d’égal au moindre de ses traits ;
Écoute-moi parler pour voir de ses Portraits.
Forme-toi dans l’esprit toutes les belles choses,
Mêle confusément, et des Lys, et des Roses ;
Que l’imaginative en soi figure encor,
L’albâtre, le corail, et les perles, et l’or ;
Feins toi deux cents Amours, qui vont baiser ses traces ;
Pense de voir un port, qui fait rougir les Grâces ;
Songe à tous les attraits, songe à tous les appas,
Telle est cette Beauté, ne la connais tu pas ?
ROSIMOND.
Mon âme en est ravie, et non moins ignorante.
ISIMANDRE.
Est-il besoin encor de te nommer Orante ?
Injurieux ami, confesse moi ce point,
Qu’à juger des portraits tu ne te connais point.
ROSIMOND.
Le moyen de la voir à travers la querelle,
Et cette inimitié qui vous est naturelle ?
ISIMANDRE.
Épouse qui voudra ses injustes fureurs ;
Je dois chérir mon père, et non pas ses erreurs :
Ces vieux ressentiments que la colère attise,
N’ont rien de généreux, et choquent la franchise :
Mon courroux tient du foudre, en ce qu’en un instant,
Il punit, ou pardonne un outrage important.
Et dut ma lâcheté me combler d’infamie,
Je baiserai les pas de ma belle ennemie,
Mon esprit ne saurait en être diverti ;
Malgré mon intérêt, il est de son parti.
ROSIMOND.
Êtes-vous assuré, que le sien est du vôtre ?
ISIMANDRE.
À quiconque aime bien qu’importe l’un ou l’autre ?
Le véritable amant ne doit rien espérer ;
Rien demander aux Dieux, c’est assez d’adorer :
Je me tiens satisfait, seulement quand j’y pense ;
L’amour qui fait ma peine en est la récompense ;
Les bonnes actions ont un certain plaisir,
Qui s’élève plus haut que ne fait le désir.
ROSIMOND.
Pourquoi donc désirer réponse d’une lettre ?
ISIMANDRE.
Ha ! que je hais ces vers, parce qu’un d’eux est traître :
Il apprend un secret qui me découvrira ;
Et le mettant au jour, ta voix m’en privera,
Pardonne Rosimond, à cette violence ;
Sache que pour cela, je craindrais le silence ;
Tout endormi qu’il est d’une froide vapeur ;
Son sommeil de pavots éveillerait ma peur.
ROSIMOND.
Que ma fidélité me pleige, et vous console ;
Sachez que mon devoir commande à ma parole ;
Un secret en mon âme, augmente son crédit ;
Ne le dire qu’à moi, c’est ne l’avoir point dit.
ISIMANDRE.
Je le crois, cher Ami, tu pleurerais ma perte :
C’est pour toi seul aussi que mon âme est ouverte ;
Je découvre à toi seul l’injustice du sort ;
Qui m’éloigne d’Orante, et me donne la mort.
Je te monstre une flamme à tout autre invisible :
Vois comme mon malheur se va rendre invincible :
Le pouvoir de mon père éloigne de ces lieux,
Celle qui mit au jour la merveille des yeux :
Car Orante et sa mère ont quitté la Contrée ;
Elles sont en des lieux où je n’ai point d’entrée ;
Elles sont chez Ormin, qui leur proche parent,
Mêle ses intérêts dans notre différent.
Mais si le Ciel permet qu’Orante puisse lire
Les termes pleins de feu qu’amour m’a fait écrire,
Et que ses volontés m’ordonnent de la voir,
En dépit du malheur je ferai mon devoir.
ROSIMOND.
Soyez Amant discret, ainsi qu’Amant fidèle ;
Puisqu’elle vous chérit, conservez vous pour elle ;
Si vous allez à Pise, où gît votre bonheur,
Souvenez-vous qu’Ormin en est le Gouverneur.
ISIMANDRE.
La force de l’Amour rendra la sienne vaine ;
Mon cœur tout généreux se moque de sa haine ;
Et sache que pour voir ce que j’aime le mieux,
J’attaquerais l’enfer et forcerais le Cieux.
Scène II
ORMIN
Rude et faible raison, abandonne mon âme :
Ta froideur ne saurait s’opposer à ma flamme :
L’amitié vient du sang ; et j’éprouve en ce jour,
Qu’elle n’est qu’un chemin qui conduit à l’amour.
J’aime (je le confesse) Orante me possède ;
Je suis homme, elle est belle, on m’attaque, et je cède :
Ses regards ont des traits qui percent jusqu’au cœur ;
Le mien est bon esclave, il aime son vainqueur.
Et pourrait-on blâmer ce qui n’est point blâmable ?
Pour être ma parente, est-elle moins aimable ?
Lois, qui nous défendez les plaisirs innocents,
Laissez nous l’esprit libre, ou nous ôtez les sens.
L’objet de mon désir lui peut servir d’excuse ;
Il arrache de force un cœur qu’on lui refuse ;
La raison et la crainte ont beau le secourir,
L’espérance le flatte, en le faisant mourir,
Et trouvant que l’amour est fille de l’estime,
Tout ce qu’on lui défend lui semble légitime :
Une conquête aisée est digne de mépris ;
La peine est une amorce aux généreux esprits ;
Et quoi qu’un sot discours en pareille aventure,
Oppose aux lois d’Amour celles de la Nature,
Il les faut mépriser, pour être possesseur ;
Si j’aime une cousine, un Dieu chérit sa sœur.
Oui, puis qu’Amour le veut, la sentence est donnée :
Allumons son flambeau par celui d’Hyménée ;
Laissons cueillir la fleur, pour recueillir le fruit ;
Et tirons cent bons jours d’une mauvaise nuit.
Orante sera mienne étant à ce Florange ;
Les défauts d’un mari la porteront au change ;
Et dedans son esprit toutes ses actions,
Pourront servir de lustre à mes perfections.
C’est de là que mon bien prendra son origine ;
Je bâtis sur l’espoir de sa mauvaise mine ;
L’entretien d’un brutal est capable d’aider
Au dessein que j’ai pris de la persuader :
J’ai le vent favorable, et j’aperçois la rive ;
Pour posséder Orante, il faut que je m’en prive ;
Le Ciel entend mes vœux, et mon bonheur s’y lit ;
Mais, Amour avec eux n’entre pas dans le lit.
Scène III
CLINDOR, NÉRINE
CLINDOR.
Nérine, qu’à propos je vous ai rencontrée !
Vous pouvez au Château me donner libre entrée ;
Mon maître vous en prie, et l’Amour comme lui,
Demande que vos soins l’assistent aujourd’hui.
NÉRINE.
Ha ! fidèle Clindor, un bon démon t’amène :
Si ton Maître pâtit, Orante est bien en peine ;
Florange la recherche, et sa Mère y consent ;
Juge par là des maux que son esprit ressent.
Mais que fait Isimandre en cette longue absence ?
CLINDOR.
Il désire la mort ; il maudit sa naissance ;
Il accuse le sort ; il attaque les Cieux ;
Et croit que pour pleurer Nature fit les yeux.
Son âme suit Orante, et n’a point d’autre idée ;
Son feu ne peut souffrir celui de Celidée ;
Il croit qu’auprès de l’œil, dont le sien est épris,
Une Déesse même, est digne de mépris.
Il rend les Bois témoins de son inquiétude,
Son unique recours est en la solitude ;
C’est là, que librement dans le mal qui le point :
Il se plaint à l’Amour, qui ne le quitte point,
C’est là que ce grand Dieu lui dicta les pensées,
Que garde ce papier, que sa main a tracées ;
Il lui baille une lettre.
Et qu’il adresse aux yeux qui lui font endurer
Un mal si violent, qu’il ne saurait durer.
NÉRINE.
Ma Maîtresse aujourd’hui n’est point accompagnée ;
Sa fièvre à ce matin, a voulu la saignée ;
Elle garde la Chambre, où je m’en vais courir ;
Mieux que le Médecin je la puis secourir ;
Son remède consiste au papier que je porte,
Dont je vais ranimer son espérance morte ;
Toi, fidèle Clindor suis moi dans le Château ;
Passe la basse court, le nez dans le manteau ;
Monte au grand escalier, où je m’en vais t’attendre.
CLINDOR.
J’ose tout, je fais tout, pour servir Isimandre.
Scène IV
LUCINDE, FLORANGE, PALINICE
LUCINDE.
Vous l’accusez à tort, elle a plus de bonté ;
Son cœur ne prend de loi que de ma volonté,
Son esprit est fort doux, j’en dispose absolue,
Florange, elle est à vous, si j’y suis résolue :
Et puis qu’Ormin l’agrée, et Palinice encor,
Quand vous auriez les ans, que l’on donne à Nestor ;
Quand plus de cent Hivers, horribles en tempête ;
Auraient ainsi qu’aux champs, neigé sur votre tête ;
Croyez (puisqu’il est vrai) que j’aurais le pouvoir
De la mettre en vos bras comme dans son devoir.
FLORANGE.
Mon âge lui fait peur, sa tristesse m’étonne ;
Et je pleins la douleur que mon plaisir lui donne :
Je ne la trouve point favorable à mes vœux ;
L’or ne saurait cacher l’argent de mes cheveux.
PALINICE.
La foi de mon mari vous assure la sienne.
LUCINDE.
Puisque je l’ai promis, il faut que je le tienne :
On ne peut vous l’ôter, Orante est votre bien ;
Espérez tout Florange, et ne craignez plus rien ;
Condamnez désormais cette plainte au silence,
Aussitôt que son mal perdra sa violence,
Guérissant la douleur par qui vous soupirez,
Je saurai bien la mettre où vous la désirez.
FLORANGE.
Ce discours me ravit ; n’en parlons plus Madame :
L’excès de ce plaisir me déroberait l’âme ;
Je mourrais à vos yeux, et mon cœur a dessein,
De prendre pour Tombeau l’albâtre de son sein.
Couronné des lauriers d’une victoire insigne,
Puisqu’il me faut mourir je veux je mourir en Cygne,
Et chante les beautés, et vanter les appas,
Que je trouve en ses yeux, que je goûte au trépas.
Scène V
ORANTE
Elle est dans sa chambre, le bras en écharpe.
Stances.
Amour, je veux suivre l’envie,
Qui me pousse à mourir ;
Et trouver pour me secourir,
La fin de mes malheurs, dans celle de ma vie :
Mais puisqu’il me faut un Tombeau,
Amour, fais au moins qu’il soit beau.
Invisible Démon de flamme,
Qui cause mon tourment ;
Parois dessus ce Monument ;
Mais aussi triomphant, que tu l’es dans mon âme :
Puis que je t’ai fait immortel,
Prends mon sépulcre pour autel.
Pour éterniser la mémoire
Des maux que j’ai soufferts,
Peints-y bien mes feux et mes fers,
Qui sont les seuls Tableaux qui font bien voir ta gloire :
Et fais y paraître mon cœur,
Dessous les pieds de son vainqueur.
Mais pour achever la structure,
D’un si noble dessein ;
Prends le trait qui m’ouvrit le sein,
Et grave ces deux vers dessus ma sépulture :
Sa constance a causé sa mort,
Passe, va-t’en, et pleins son sort.
Ce n’est pas tout ; fais qu’Isimandre,
En sa pâle couleur,
Y témoigne un peu de douleur,
Pour la perte d’un bien qu’il n’aura pu défendre :
Et qu’il semble dire à par soi,
Hélas ! elle est morte pour moi.
Fantastiques propos, songes, chimères vaines,
Vous irritez mes pleurs, vous augmentez mes peines,
Et le temps que je perds à discourir ici,
Ne doit être employé qu’à finir mon souci.
J’aspire après un bien qui n’a point d’apparence ;
C’est me nourrir de vent, que vivre d’espérance ;
Orante infortunée, et bien ne vivons plus :
Bornons avec nos jours ces regrets superflus :
Innocent criminel, vieil importun Florange,
Par mon triste dessein, vois où le tien me range :
Isimandre fidèle, apprends que je le suis ;
Sans partager ma mort, partage mes ennuis ;
Et juge par le sang que je m’en vais répandre,
Qu’Orante n’aima rien que le seul Isimandre.
Vivant en ton penser, je mourrai sans douleur :
Elle débande le bras.
Dieux, ce sang est de flamme, il en a la couleur ;
Reçois au lieu d’encens l’agréable fumée,
Qui sort parmi le sang de la personne aimée,
Ce sont là des esprits qui vont chercher le tien :
La mort n’est point un mal, à qui la connaît bien :
Mais puisque ce papier se trouve favorable,
Tâchons de consoler l’esprit d’un misérable ;
Faisons voir que la mort ne peut rien sur l’Amour :
Elle écrit de son sang.
Adieu cher Isimandre, adieu, je perds le jour.
Scène VI
ORANTE, NÉRINE
NÉRINE.
Que me donneriez-vous d’une bonne nouvelle ?
Madame, vous dormez ; c’est en vain que j’appelle :
Ha Ciel ! quel accident ? au secours mes amis ;
Dieux ! vous l’avez vu faire, et vous l’avez permis !
Elle nage en son sang : ô l’horrible spectacle !
Son funeste projet n’a point trouvé d’obstacle :
Et ce papier m’apprend, que sa fidélité,
Arrive par la mort à l’immortalité.
Scène VII
CLINDOR, NÉRINE, ORANTE
CLINDOR.
Il faut que je m’avance à la chambre voisine :
Quel prodige est-ce-là ? que faites vous Nérine ?
NÉRINE.
Retourne vers ton Maître, et va-t’en l’avertir,
Qu’Orante ne vit plus, qu’il est temps de partir :
Porte-lui ce papier.
CLINDOR.
Ô funeste message !
NÉRINE.
Qu’il punisse Florange auteur de ce dommage ;
On la voulait forcer de vivre sous sa Loi ;
Adieu, ne sois point vu, quelqu’un vient, sauve toi.
Scène VIII
LUCINDE, ORMIN, FLORANGE, PALINICE, NÉRINE, ORANTE
LUCINDE.
Quel bruit ai-je entendu ?
ORMIN.
Bons Dieux Orante est morte !
FLORANGE.
Quel homme, ou quel démon, l’a mise de la sorte ?
PALINICE.
Elle s’est fait saigner, et son bras s’est ouvert ;
Mais je vois qu’elle vit, par le sang qu’elle perd.
LUCINDE.
Ma fille.
PALINICE.
Ma Cousine.
ORMIN.
Orante.
FLORANGE.
Ma Maîtresse.
NÉRINE.
Qu’on lui jette de l’eau, remettons la compresse.
ORMIN.
Ha Ciel ! elle revient.
NÉRINE.
Oui mais c’est pour mourir,
Elle parle bas.
Si vous n’avez dessein de la mieux secourir ;
Florange lui déplaît, sa mère la martyre.
ORMIN.
Le bruit lui ferait mal, que chacun se retire,
Il parle bas.
Vivez aimable Orante, on ne vous peut forcer.
ORANTE.
Je conjure les Dieux de vous récompenser.
ACTE II
Scène première
PALINICE
Invisible serpent, cruelle jalousie,
Qui vomis ton venin dans notre fantaisie,
Bourreau de mon repos, vrai Monstre des enfers,
Qui mets l’âme à la gêne, et l’esprit dans les fers ;
Cesse de me montrer ta vaine, et pâle image ;
Cesse de me prédire un funeste dommage ;
Orante aime l’honneur, Ormin sait son devoir ;
Mais Amour est aveugle, il ne saurait rien voir.
La plus forte raison cède à cette manie ;
Et bien qu’elle soit Reine, elle est souvent bannie.
Le change a des attraits plus forts que la beauté :
Toujours l’esprit d’un homme aime la nouveauté ;
L’Hymen est un fardeau qu’il juge insupportable ;
Plus un bien est aisé, moins il est délectable ;
Ce que nous possédons, est presque sans plaisir ;
L’amour trouve sa fin en celle du désir ;
Lorsqu’il est au sommet, il commence à descendre ;
Et ce brasier s’éteint dedans sa propre cendre.
Dieux ! je l’expérimente en ma juste douleur :
Ormin est toujours triste, il change de couleur ;
Des soupirs continus découvrent sa folie ;
Son cœur suit par les yeux la belle qui le lie ;
Il ne me parle plus qu’en termes de mépris ;
Orante est un miracle entre les beaux esprits ;
Elle seule mérite une extrême louange ;
Il la peint des couleurs, dont on peindrait un Ange ;
Il lui donne l’encens qu’on offrirait aux Dieux ;
Il méprise la terre, et se moque des Cieux ;
Afin de l’obliger, il manque à sa promesse ;
Florange n’étant qu’homme offense sa Déesse ;
Pour posséder ce corps il faut être immortel,
Bref, pour avoir sa couche il lui dresse un Autel.
Il est vrai, je le vois, son âme en est blessée ;
Elle est l’unique objet qu’il a dans la pensée ;
Il méprise ma flamme aussi bien que sa foi ;
Pour rendre Orante à lui, l’ingrat n’est plus à moi.
Mais il manque d’amour, et non moi de courage ;
On connaît le Pilote au milieu de l’orage ;
Faisons agir l’esprit pour rompre ses desseins ;
Tâchons de lui donner des sentiments plus seins :
Qu’il prenne pour guérir la médecine amère,
Et que son pouvoir cède à celui d’une mère.
Scène II
ORMIN
Stances.
Je fais gloire de mes malheurs ;
Je me vante de mes douleurs ;
Tant je chéris ma servitude :
Et bien que dans mes maux l’espoir me soit ôté,
(Sans l’accuser d’ingratitude)
J’adore ma maîtresse, et haïs ma liberté.
Je la sers, mais c’est par devoir :
Qui peut n’aimer pas et la voir ?
À ses beaux yeux tout est possible :
Et qui n’est point touché par de si doux appas,
A la qualité d’insensible,
Où malgré ses rigueurs, mon cœur n’aspire pas.
La peine me semble un plaisir ;
Je fuis l’espoir et le désir,
Qui font aimer les âmes basses :
Un Tombeau glorieux ne peut être que doux ;
Et mourir pour une des Grâces,
Est un sort qui peut rendre, un Dieu même jaloux.
C’en est fait, j’y suis résolu ;
Le Ciel, et mon cœur l’ont voulu ;
Je suis content des destinées ;
Je quitte sans regret, la lumière du jour ;
Mais dans la fin de mes années,
On ne verra jamais celle de mon amour.
Les épines me sont des fleurs ;
Dans l’Oubli, comme dans les pleurs,
Je conserverai sa mémoire :
Et mon esprit sans corps, et sans légèreté,
Donnera mes feux, et sa gloire,
Dans l’Empire des morts à l’immortalité.
Oui, je la veux aimer jusqu’en la sépulture :
Elle mérite bien qu’on force la Nature ;
On doit à ses vertus un amour éternel ;
S’il était périssable il serait criminel.
On ne peut trop aimer un objet tant aimable,
Jamais l’excès du bien ne peut être blâmable,
(S’il est permis de mettre un excès dans le bien)
Il faut que mon esprit prenne la loi du sien ;
Et que ses volontés règnent sur mes pensées :
Que Florange n’ait plus ses flammes insensées
Puisqu’il déplaît à l’œil que je veux adorer,
Le respect qu’il me doit lui défend d’espérer ;
Et mes commandements l’obligent à se taire :
Ô toi de mes pensers, fidèle Secrétaire,
Amour ; qui les fais naître, et seul les vois au cœur ;
Viens rendre une visite au bel œil mon vainqueur ;
Et pour faire un miracle, en voyant ma Rebelle ;
Suis-moi dans mon retour, et demeure chez elle.
Scène III
ORANTE, NÉRINE
ORANTE.
M’empêchant de mourir, ton secours me conduit,
Du repos à la peine, et du silence au bruit.
NÉRINE.
Vous irez (si le sort calme sa violence)
De la peine au repos, et du bruit au silence.
ORANTE.
Ha ! ne me flatte pas d’un espoir décevant,
J’arrêterais plutôt les ondes, et le vent,
Que la suite des maux, dont je suis traversée ;
L’espérance est trop faible, elle en est renversée ;
La rigueur de ma mère, et celle de mon sort,
Ne laissent à mon choix, que Florange, ou la mort ;
Toutes mes volontés penchent vers la dernière :
Elle délivrera mon âme prisonnière ;
Et malgré tous vos soins, mon esprit enflammé,
Fera voir que le feu ne peut être enfermé :
Une âme généreuse a la clef de sa porte :
Rien ne peut empêcher que la mienne ne sorte ;
Je meurs sans désespoir, je finis par raison ;
La liberté vaut mieux que ne fait la prison.
NÉRINE.
La parole d’Ormin doit bannir cette crainte.
ORANTE.
La crois-tu véritable ?
NÉRINE.
Et la croyez-vous feinte ?
Non, espérez Madame, un traitement plus doux ;
Vivez pour Isimandre, ainsi qu’il vit pour vous ;
Et croyez que le Ciel, par ses Lois souveraines,
Mesurera vos biens aux grandeurs de vos peines ;
Il vous a fait un mal, dont il aura pitié.
Faîtes que le destin cède à votre amitié ;
Le sage (à ce qu’on dit) se fait ses destinées :
Le pilote se rit des vagues mutinées ;
C’est parmi les malheurs que paraît la vertu ;
La fortune méprise un courage abattu ;
On gagne ses faveurs avec la résistance ;
Elle est fille, elle est belle, on la vainc par constance.
ORANTE.
Et bien donc, je vivrai, puis qu’il te plaît ainsi :
Mais Nérine, mon cœur, tire moi de souci,
Quand la perte du sang (étant évanouie)
M’eût dérobé la vue aussi bien que l’ouïe ;
Apprends-moi que devint, un papier, un écrit,
Où l’Amour par ma plume avait peint mon esprit ;
Ne l’aperçus-tu point ? il était sur ma table :
NÉRINE.
Ha ! Madame pardon, ma mémoire est coupable :
Le soin de soulager votre corps affaibli,
A fait que mes pensers ont mis tout en oubli :
Oui Madame, je lus cette honorable marque,
Que laissait votre amour en dépit de la parque ;
Et Clindor la reçut à l’instant de ma main.
ORANTE.
Clindor est donc ici ?
NÉRINE.
Non, il partit soudain :
Et porta ce billet, et la mort à son Maître,
De qui j’avais reçu pour vous une autre lettre :
Mais ayant le dessein d’accompagner vos pas :
Je voulais que sa fin, suivit notre trépas.
ORANTE.
Ô malheur sans égal ! ô faute incomparable !
Voyons ce qu’écrivait cet Amant déplorable.
Lettre.
Je ne saurais plus endurer ;
Mon mal est trop grand pour durer
Votre absence me tyrannise :
Bornant mes jours ou mon souci ;
Permettez-moi d’aller à Pise,
Ou souffrez que je meure ici.
Faites Orante (au nom des Dieux)
Qu’un miroir vous monstre vos yeux ;
Sa glace vous rendant sensible,
Mes Soleils verront clairement,
Que sans doute il n’est pas possible,
De souffrir leur éloignement.
Naples me paraît un désert
Mon œil perd tout, quand il vous perd ;
Je ne me saurais plus défendre
D’aller voir ces Rois de mon cœur ;
Adieu, je suis Votre ISIMANDRE.
Au divin objet mon vainqueur[1].
Ha Ciel ! tout est perdu, si ton conseil ne m’aide.
NÉRINE.
Je vous ai fait un mal dont voici le remède :
Écrivez seulement trois mots de votre main ;
Que Lindoman les porte, et qu’il parte demain.
ORANTE.
Est-il assez discret pour lui montrer ma flamme ?
NÉRINE.
Un secret important, l’est toujours dans son âme :
Isimandre, sans doute, a besoin de cela :
ORANTE.
Je le veux : mais Floran...
NÉRINE.
Madame, le voilà.
Scène IV
FLORANGE, ORANTE, NÉRINE
FLORANGE.
Mon abord vous déplaît ; mon respect vous offense ;
Mais contre vos rigueurs, Amour prend ma défense :
Et promet à mon cœur, pour le réconforter,
La force de les vaincre, ou de les supporter.
ORANTE.
Mettez vous en repos, sans parler davantage ;
Elle lui offre un siège.
Je vous doit du respect, à cause de votre âge.
FLORANGE.
Mon feu ne peut souffrir un si froid compliment :
Vous me traitez en Père, et non pas en Amant !
Ha ! veuillez adoucir mes peines obstinées ;
Et compter mon argent plutôt que mes années ;
Pour faire que mon Astre, ait un aspect plus doux,
Songez que mon Amour est jeune comme vous.
ORANTE.
Songez que le Sépulcre est prés de votre couche,
Et qu’Ormin vous défend d’en ouvrir plus la bouche.
FLORANGE.
Ormin peut tout sur moi, mais rien sur mon amour :
Il ne peut me l’ôter, qu’en me privant du jour.
Sa foi me veut trahir, mais en cette aventure,
Mon Amour outragé s’adresse à la Nature :
Lucinde arrive.
Madame, c’est de vous que j’attends aujourd’hui,
Ou ma première joie, ou mon dernier ennui :
Ormin est sans parole ; Orante me méprise ;
Et ce jour pour mon âme, est bien un jour de crise.
Prononçant un arrêt, que j’attends à genoux,
Videz le différent, qui s’émeut entre nous.
Scène V
LUCINDE, ORANTE, FLORANGE, NÉRINE
LUCINDE.
Ma parole tiendra, puisque je l’ai donnée.
ORANTE.
Amour est bien un Dieu plus puissant qu’Hyménée.
Ah, Monsieur ! on me force, et les Cieux ennemis,
Ormin paraît.
Veulent m’ôter un bien que vous m’avez promis.
Scène VI
ORMIN, FLORANGE, ORANTE, LUCINDE, NÉRINE
ORMIN.
Qui vous fait si hardi, que de m’être rebelle ?
FLORANGE.
Fermez l’œil pour ma faute, et voyez cette Belle.
ORMIN.
Allez, si jamais plus vous procédez ainsi,
Je vous ferai bien voir, que je commande ici.
Madame, ce Mari n’est pas bon pour Orante ;
Leur âge est inégal, leur humeur différente ;
Pour agir là dessus avecque jugement,
Souffrez que je vous mène à votre Appartement.
ORANTE.
Servons nous du loisir qui nous vient sans l’attendre ;
Dépêchons Lindoman au fidèle Isimandre ;
Afin que son esprit, où règne la raison,
Tire le mien de peine, et mon corps de prison.
Scène VII
ISIMANDRE
Que l’attente est fâcheuse à l’Amant qui soupire !
Qu’un bien semble tardif alors qu’on le désire !
Le cours d’un Siècle entier a bien moins de moments,
Que la crainte et l’espoir ne donnent de tourments.
Paresseux Messager, qui fait languir mon âme,
Résous-toi de quitter les beaux yeux de ma Dame :
Vois mes maux, songe à moi, regarde ton devoir ;
Et sois prompt à venir, si tu me veux revoir.
Pense que ta longueur, m’assassine, et me tue ;
Toi seul peux relever ma pauvre âme abattue :
Souffre que mes désirs t’arrachent de ce Ciel ;
Voudrais-tu du Nectar, quand je n’ai que du fiel ?
Ton immortalité me coûterait la vie :
Hé ! sois plus pitoyable, en suivant mon envie :
Tu m’as cent fois promis d’aider à mon dessein ;
Ha bons Dieux ! le voici ; le cœur me bat au sein ;
Je tremble en remarquant, qu’il s’est peint le visage,
De la pâle couleur d’un funeste présage ;
La tristesse le suit, et marche sur ses pas ;
Je lis dedans ses yeux ce qu’il ne me dit pas ;
Et dans l’incertitude où me met son silence,
L’excès de mon supplice, accroît sa violence :
Mes pleurs suivent les siens, sans en voir le sujet ;
Toi qui fais ma douleur, monstre lui son objet.
Ne me le cèle point ; veut-on forcer Orante ?
As-tu vu les abois de sa vertu mourante ?
As-tu vu son esprit à travers son discours ?
Suis-je désespéré ? n’ai-je plus de secours ?
N’implore-t-elle point le pouvoir de mes armes ?
N’as-tu point vu ses pleurs, comme tu vois mes larmes ?
Ne m’écrit-elle pas ? que sert de le celer ?
Enfin, dois-je mourir ? Ou si tu dois parler ?
Scène VIII
CLINDOR, ISIMANDRE
CLINDOR.
Juste Ciel, je voudrais dans le mal qui me touche,
Qu’un silence éternel me vint fermer la bouche.
ISIMANDRE.
N’ajoute point aux miens, tes regrets superflus ;
Prononce mon arrêt.
CLINDOR.
Orante ne vit plus,
Elle a voulu mourir, plutôt qu’aller au change ;
Elle vous adorait, et n’aimait point Florange,
Que le pouvoir d’Ormin lui donnait pour Époux ;
Enfin, que vous dirai-je, elle est morte pour vous.
Et trouvant un remède aux rigueurs de ses peines,
Sa générosité s’est fait couper les veines :
Ce tragique Témoin vous dira mieux que moi,
Il lui baille le billet d’Orante.
Quelle fut son amour, sa constance, et sa foi.
ISIMANDRE.
Tout ce que tu me dis est rempli de mensonge :
Et ton cerveau débile a fait un mauvais songe.
Orante ne vit plus ! Orante est au cercueil !
Dois-je croire ta voix ? dois-je croire mon œil ?
C’est de toi cher papier que je le veux apprendre :
Billet. Il lit ce billet.
Tienne je meurs, mon Isimandre.
Il n’en faut plus douter ; par la rigueur du sort,
La vertu ne vit plus, et le Soleil est mort.
Il n’en faut plus douter, sa plume véritable,
Ne m’a que trop bien peint sa perte lamentable :
Il n’en faut plus douter ; elle abandonne aux vers,
Le plus rare trésor qui fût en l’Univers.
Orante ne vit plus ! Orante n’est que poudre :
Et moi je ne meurs pas après ce coup de foudre !
Après l’avoir souffert, je respire un moment :
Ha ! je ne me crois plus un véritable Amant :
Je flattais mon esprit, en l’estimant fidèle ;
S’il eut su bien aimer, il serait auprès d’elle ;
Quand la blessure est grande on finit sans parler ;
Et celui qui se plaint, tâche à se consoler.
Chère ombre, je te suis, si tu me veux attendre.
Billet. Il lit.
Tienne je meurs, mon Isimandre.
Hé n’est-ce pas répondre, à mon cœur, à ma voix ?
Disant ce qu’elle a fait, on dit ce que je dois.
Caractères sanglants, entrez dans ma pensée ;
Représentés y bien mon Orante blessée ;
Que le trait de la mort, la peigne en mon esprit,
En l’état qu’elle était, en traçant cet écrit ;
Ha ! je vois ce Fantôme, et sa main tâche à mettre,
Les derniers traits de l’âme en ceux de cette lettre ;
Et l’Amour semble dire à mon cœur prisonnier,
Tout le sang est sorti, j’y reste le dernier.
Suis-moi dans les Enfers, où je m’en vais descendre.
Billet. Il relit.
Tienne je meurs, mon Isimandre.
Attends, Orante, attends, mon âme qui te suit ;
Ne t’en va point sans elle en l’éternelle nuit ;
Juge de mon amour, juge de ta puissance ;
Remarque l’une et l’autre en mon obéissance ;
Mais souffre que je pousse en un même chemin,
Et le traître Florange, et le cruel Ormin :
Permets que nous goûtions ceste douce allégeance,
Que les cœurs irritez trouvent en la vengeance ;
Mon esprit au tombeau ne peut être endormi.
S’il ne mêle à mon sang celui de l’ennemi :
Ma Déesse demande un pareil sacrifice :
Partons Clindor, allons lui rendre cet office ;
Et quand j’aurai puni ces voleurs de mon bien,
Je répandrai mon sang sur les marques du sien.
ACTE III
Scène première
FLORANGE, ISIMANDRE, LINDOMAN, CLINDOR, PALINICE, LUCINDE, NÉRINE, ORMIN
FLORANGE.
La peine que je sens leur est indifférente :
Amour que dois-je faire ? on me ravit Orante ;
Ô toi qui le fais naître, assiste mon ennui ;
Ou si tu vis d’espoir, meurs aussi bien que lui.
Mon extrême douleur n’a rien qui la console ;
Orante est sans amour, Ormin est sans parole ;
Que dis-je malheureux ? Elle a donné sa foi ;
Elle est bien sans amour, mais ce n’est que pour moi.
J’ai su comme Isimandre occupe sa belle âme ;
Son cœur est consommé d’une secrète flamme ;
Mais croyant que mon œil ne le saurait ouvrir,
L’Amour qu’elle a caché me l’a fait découvrir.
Ha qu’on voit clairement, en dépit de la feinte,
Si le cœur est sans plaie, ou si l’âme est atteinte ;
L’œil d’un Amant jaloux, voit tout, peut tout percer ;
Et même dans l’esprit il surprend un penser :
Un souris, une larme, un soupir, une œillade,
Sont indices certains que l’esprit est malade,
Sur quoi l’homme subtil fonde son jugement :
Celui qui souffre un mal le connaît aisément.
Il n’est que trop certain qu’Orante aime Isimandre :
Mais puisqu’elle est à moi, je saurai la défendre ;
Naples n’est pas si loin, ni son bonheur si près ;
Tel cherche du Laurier, qui trouve du Cyprès.
Et bien que ce Rival ait la place occupée,
Il faudra qu’il la prenne au bout de mon épée ;
Ormin, la Mère, Orante, Isimandre, et le sort,
Ne peuvent me l’ôter, qu’en me donnant la mort.
Scène II
ISIMANDRE, LINDOMAN, CLINDOR
ISIMANDRE.
Orante n’est pas morte ! Orante vit encore !
Fidèle messager, il faut que je t’adore.
LINDOMAN.
Quoi Monsieur, doutez vous, d’un bonheur assuré ?
Vos yeux verront bientôt ce que j’ai tant juré ;
Nous approchons de Pise ; et dans l’heure où nous sommes,
Vous vous confesserez le plus heureux des hommes.
Cet habit de Marchand ravira vos esprits,
Dans un autre dessein que vous ne l’aviez pris :
Et sans vous en servir contre votre adversaire,
Pour approcher d’Orante, il vous est nécessaire.
ISIMANDRE.
Orante ! ce beau nom, me charme, et me ravit ;
Mais bienheureux papier, redis moi qu’elle vit.
Il lit. Lettre
L’espérance m’étant ôtée,
Le trépas me sembla fort doux ;
L’amour me fit mourir, et m’a ressuscitée
Mais je veux que ce soit pour vous.
Ha trop heureux Amant ! Ô trop fidèle Amante !
Dieux que le calme plaît, lorsqu’il suit la tourmente :
Miracle de nos jours, incomparable foi,
Que ne vous dois-je point ? vivre et mourir pour moi !
Il lit encore.
Mon sang a marqué mon courage ;
Mais apprenez de ce discours ;
Que pour sauver le reste, après ce grand orage,
J’ai besoin de votre secours.
Vous l’aurez chère Orante, et pour voir tant de charmes ;
Amour joindra sa force à celle de mes armes :
J’aurai pour obéir à ce divin écrit,
Autant de force au bras, comme vous en l’esprit.
Il achève de lire.
Soyez discret, soyez fidèle,
Sans être connu dans ce lieu :
Orante vous permet de venir auprès d’elle ;
Volez s’il est possible ; adieu.
Observons de tout point les lois de ma Maîtresse :
Aide par tes avis au désir qui me presse :
Apprends-moi Lindoman, par ton sage conseil,
Sans être vu d’aucun d’approcher du Soleil.
LINDOMAN.
La ruse d’un Démon ne verrait pas la nôtre :
Cet habit vous déguise, et vous fait tout un autre ;
Je vous laissais passer quand vous êtes venu,
Si Clindor par malheur ne m’eût pas reconnu.
Je vais marcher devant, afin qu’on ne soupçonne ;
Venez droit au Château sans parler à personne ;
Clindor vous conduira dans son Appartement.
CLINDOR.
J’en sais bien le chemin, quittez nous seulement.
ISIMANDRE.
Prépare mon Orante, apprends-lui ma venue ;
Allons voir le Soleil à travers cette nue ;
C’est ainsi que sans crime on peut être trompeur ;
Qu’Argus soit en ce lieu, je n’en ai point de peur ;
Comme le feu se cache en sa Sphère suprême,
Le mien plus pur que lui se cachera de même ;
Mon cœur est son vrai centre, où son éclat ne luit,
Que pour moi qui le sens, et pour qui l’a produit.
Scène III
PALINICE, LUCINDE, NÉRINE
PALINICE.
Ce n’est pas sans rougir que je me vois contrainte,
D’obliger votre esprit à partager ma crainte :
J’ai balancé long-temps avant que de parler ;
Et je souffrais un mal que je voulais celer.
J’en éloignais mes pas ; j’en détournais ma vue ;
J’accusais ma raison d’en être dépourvue ;
Je choquais ses avis, au lieu d’y consentir ;
Et flattais ma douleur, pour ne la pas sentir.
Mais enfin le péril est trop grand pour le taire :
On ne plaint pas un mal quand il est volontaire :
Nos intérêts communs se doivent conseiller ;
Et puis que vous dormez, je vous veux réveiller.
Ne remarquez vous point qu’Ormin n’aime qu’Orante ?
Mais vous me répondrez, c’est qu’elle est sa parente ;
On discerne aisément l’ardeur et la pitié ;
Les sentiments d’amour et ceux de l’amitié.
Le sang ne peut donner une si haute estime ;
Croyez moi, ses desseins n’ont rien de légitime ;
Je connais mieux que vous ses inclinations ;
J’ai lu dedans son cœur ses folles passions ;
Le feu le plus caché jette un peu de fumée ;
Orante n’aime point, mais elle est trop aimée :
J’estime son esprit ; j’adore sa vertu ;
Le vice qui l’attaque est toujours abattu ;
Mais songez que la force est une chose étrange ;
Voyez qu’il a manqué de parole à Florange ;
Il suit l’humeur d’Orante afin de l’obliger ;
Croyez que mon avis n’est pas à négliger.
LUCINDE.
Vos pensers et les miens ont de la sympathie :
Je prévoyais le mal dont je suis avertie ;
Et tâchais de trouver par mon raisonnement,
Dans la fin de ce feu celle de mon tourment :
Mais que peut toute seule une veuve affligée ?
Une femme sans force, une Mère outragée,
Qui trouve en son Asile un ennemi caché ;
Mon mal est sans remède, en vain j’en ai cherché ;
Pour moi le Ciel est sourd ; ma prière inutile,
Est un grain que je sème en un champ infertile ;
Elle s’adresse au Ciel qui ne la reçoit point ;
Il passe ; et mon malheur est toujours en un point.
PALINICE.
Suivrez-vous un moyen que l’esprit me suggère ?
LUCINDE.
Toute difficulté me paraîtra légère,
Proposez seulement.
PALINICE.
Ôtez-vous de ce lieu,
Ne voyez plus Ormin, partez sans dire adieu ;
Que Florange vous suive, et qu’après dans Florence,
Il reçoive le fruit de sa persévérance ;
Le temps qui change tout, pourra changer Ormin.
LUCINDE.
Dans six jours au plus tard je me mets en chemin.
PALINICE.
Vous serez en repos, et notre Amant en peine.
LUCINDE.
J’aime plus mon honneur que je ne crains sa haine.
NÉRINE.
Dieux ! on la veut forcer, je n’y puis consentir ;
Elle a écouté.
Mais ce mal est pressant, je vais l’en avertir.
Scène IV
ORANTE, LINDOMAN
ORANTE.
Je ne puis te payer, je le vois plus j’y pense.
LINDOMAN.
En faisant mon devoir, j’ai pris ma récompense.
ORANTE.
Je l’ai déjà présent, je crois le regarder.
LINDOMAN.
Madame, assurez vous qu’il ne saurait tarder.
ORANTE.
Mais s’il est reconnu, le danger est extrême.
LINDOMAN.
Il est si fort changé, que ce n’est plus lui-même :
Sous l’habit d’un Marchand qui cache ses appas,
Vous qui l’avez au cœur ne le connaîtrez pas.
ORANTE.
Sous un mauvais habit paraît sa bonne mine,
Ainsi que l’or éclate en l’obscur d’une mine.
Scène V
NÉRINE, ORANTE, LINDOMAN
Elle lui parle à l’oreille.
NÉRINE.
Ha Madame, écoutez...
ORANTE.
Je n’en ai point de peur :
Mon projet est certain, leur espoir est trompeur ;
Je verrai leur pratique aujourd’hui renversée ;
Si je suis Andromède, Isimandre est Persée ;
Son œil écartera le malheur qui me suit.
LINDOMAN.
Je l’aperçois Madame, et Clindor le conduit.
ORANTE.
Mon cœur nage en la joie, et rien ne l’importune ;
Il ne craint plus les traits que tire la fortune.
Scène VI
ISIMANDRE, ORANTE, NÉRINE, CLINDOR, LINDOMAN
ISIMANDRE.
Lisez dedans mes yeux, voyez en ma couleur,
Que l’extrême plaisir ressemble à la douleur :
Ma bouche en est muette, et mon esprit se pâme
Fermez-la d’un baiser, pour retenir mon âme.
ORANTE.
Vous me faites pitié, je veux vous secourir ;
Vivez cher Isimandre, où j’ai voulu mourir.
ISIMANDRE.
Lieux sacrez à l’Amour, pleins d’appas, et de charmes ;
Montrez-moi ce beau sang, que j’y mêle mes larmes ;
Mais non, je me repens de ma témérité ;
Conservez-le tout pur à la postérité.
Quand on vous couvrirait des richesses du Gange,
Cet émail est si beau que vous perdriez au change :
Puisse bientôt l’Aurore en orner ses habits ;
Et le mêler au Ciel avecque ses rubis.
Ce trésor est trop grand, pour rester sur la terre.
ORANTE.
On triomphe en la paix, et nous sommes en guerre,
On me veut enlever ; quel remède avons-nous ?
ISIMANDRE.
On vous veut enlever ! y consentirez vous ?
ORANTE.
Cherchez notre secours dedans votre industrie ?
ISIMANDRE.
Sur les ailes d’Amour volons en ma patrie :
Que Naples vous revoie en jeune Cavalier,
Ce remède est fâcheux, mais il est singulier ;
L’Amour s’est toujours plu dans les métamorphoses ;
Le temps en s’enfuyant amène toutes choses ;
Sous le nom d’un Ami mon père vous peut voir.
ORANTE.
Il se fait un combat d’amour et du devoir.
ISIMANDRE.
Le devoir et l’amour obligent ma Maîtresse,
À fuir sagement l’ennemi qui la presse.
ORANTE.
Mais se peut-il trouver un Amoureux constant ?
ISIMANDRE.
Ha ! si vous en doutez, que je meure à l’instant.
ORANTE.
Où prendre des habits ? le moyen ? l’apparence ?
ISIMANDRE.
Je ferai sourdement l’équipage à Florence ;
Et dans trois jours Clindor vous les apportera,
Sur le prétexte faux des Tableaux qu’il aura.
ORANTE.
Ne laissons pas Nérine, elle est de la querelle.
ISIMANDRE.
Et bien ; j’en ferai faire, et pour vous, et pour elle ;
Et les ayant vêtus, soyez le jour suivant,
Dans le temple de Mars, dés le Soleil levant.
Là vous me trouverez couvert d’une autre sorte ;
Les Chevaux seront prêts à cent pas de la porte ;
Et pourvu que le cœur ne vous manque au besoin,
Quand on vous cherchera, nous serons déjà loin.
ORANTE.
Vous avez dessus lui la puissance absolue :
Puis que vous le voulez, m’y voilà résolue.
Et dussé-je trouver la mort à mon chemin ;
Je vous suivrai partout.
NÉRINE.
Voici venir Ormin.
ISIMANDRE.
Madame, remarquez comme en cette peinture,
Il prend un Tableau.
L’Art plus divin qu’humain, imite la Nature :
Voyez comme Adonis semble admirer Vénus ;
Comme à travers le crêpe on voit ses membres nus ;
Cet autre est ravissant, où le Pinceau profane,
Offre aux yeux d’Actéon les beautés de Diane ;
Il prend le second.
Voyez que ce visage est en colère et beau ;
Et que ce corps plongé se fait un habit d’eau.
ORANTE.
Ha Monsieur, approchez, venez voir des merveilles ;
Ormin arrive.
Qui chez les plus grands Rois n’auraient point de pareilles ;
Tout ainsi que les miens, vos yeux seront charmés.
Scène VII
ORMIN, ISIMANDRE, ORANTE, NÉRINE, CLINDOR, LINDOMAN
ORMIN.
Elles valent beaucoup, si vous les estimez.
ISIMANDRE.
Voyez dans ce tableau, cette histoire connue,
Il prend le troisième.
Où le fol Ixion n’embrasse que la nue ;
Voyez de Jupiter le regard inhumain ;
Comme il hausse le bras, la foudre dans la main.
ORMIN.
Certes, Peintre, ou Marchand, ou tous les deux ensemble,
La langue et le pinceau, font très bien ce me semble.
ISIMANDRE.
Voyez comme Apollon court après sa Daphné,
Il prend le quatrième.
Elle devient un bois, dont il est couronné ;
Pour atteindre plutôt cette Nymphe superbe,
Il laisse choir sa lire, et son carquois sur l’herbe ;
Il la suit, elle fuit, et va de toutes parts,
La robe retroussée, et les cheveux espars.
ORANTE.
Que me demandez-vous de ces quatre Peintures ?
ORMIN.
Allez chercher ailleurs vos bonnes aventures ;
Déjà votre marché, sans marchander est fait ;
Qu’on le mène là bas, et qu’il soit satisfait ;
Le prix se mesurant avecque sa demande,
Qu’il ait ce qu’il dira, puis que je le commande ;
ORANTE.
Et cet autre Tableau ?
ISIMANDRE.
Je l’enverrai, ma foi.
ORANTE.
Adieu, n’y manquez pas, souvenez vous de moi.
ISIMANDRE.
Cet homme qui me sert l’apportera (Madame)
Il dit ce vers bas.
Ha ! que n’ai-je son cœur, ainsi qu’il a mon âme.
ORANTE tient le premier tableau.
Monsieur, cet Ixion me semble le plus beau.
ORMIN.
Il eut un haut dessein, et le Ciel pour Tombeau ;
Il fut heureux en songe, et je lui porte envie ;
Sa mort fut glorieuse aussi bien que sa vie.
ORANTE.
Mais le foudre punit ses projets orgueilleux.
ORMIN.
Les desseins élevés sont toujours périlleux :
Ce grand cœur rencontra la fortune irritée,
Il n’eut pas la couronne, et l’avait méritée ;
Mais si j’avais son sort, je mourrais sans regret ;
Il découvrit son mal, et le mien est secret.
ORANTE.
Que Diane me plaît ! que j’aime ce rivage !
Second Tableau.
ORMIN.
Dieux ! elle n’a pas seule un naturel sauvage :
Une autre haït mes yeux qui l’osent adorer,
Et fait que mes pensers me viennent dévorer :
Misérable Actéon, je l’éprouve rebelle ;
Mais n’importe mon cœur, mourons, car elle est belle.
ORANTE.
Cette Nymphe qui fuit me touche de pitié.
Troisième Tableau.
ORMIN.
Vous aimez un objet qui n’a point d’amitié :
Voyez qu’elle est aveugle en fuyant la lumière.
ORANTE.
Il faudra qu’un rideau couvre cette première.
Quatrième Tableau.
ORMIN.
Si les feux d’Adonis sont indignes du jour,
Laissez-les-moi couvrir, je sais cacher l’Amour.
ORANTE.
Vous prendriez trop de soin.
ORMIN.
Ha ! qu’elle est inhumaine ;
Elle plaint mon travail, et ne plaint pas ma peine.
ORANTE.
Je devais recevoir ce présent à genoux.
ORMIN.
Je ne puis rien donner, moi-même étant à vous.
ORANTE.
L’excès de vos bontés me rend toute confuse.
ORMIN.
Croyez Ormin sans cœur, si je vous le refuse.
Que vos commandements secondent mes désirs ;
Demandez quelque bien qui serve à vos plaisirs ;
Ordonnez-moi d’aller sur la terre et sur l’onde,
Avecque le Soleil faire le tour du monde.
Commandez à mon bras d’égorger un Lion ;
Ordonnez-lui de mettre Osse sur Pélion ;
J’attaquerai le Ciel, et dans cette escalade,
Je serai plus heureux que ne fut Encelade :
Si ces lambris d’azur peuvent plaire à vos yeux,
J’oserai vous placer dans le Trône des Dieux ;
Votre seule froideur a borné ma puissance ;
Éprouvez mon amour par mon obéissance.
ORANTE.
En m’obligeant (Monsieur) jusqu’en un si haut point,
Vous me croirez ingrate, et je ne la suis point.
ORMIN.
Je crois qu’une Déesse est toujours véritable.
Mais ce long entretien vous est insupportable ;
Et mon esprit grossier auprès de vos appas,
Goûte un contentement qu’il ne vous donne pas.
Adieu, voici la nuit, les objets se ternissent ;
Je souhaite à vos yeux un bien qu’ils me ravissent.
ORANTE.
De ce discours obscur j’ai l’esprit étonné,
Mais prenez le repos que vous m’avez donné.
Ormin s’en va.
Toujours quelque malheur le Destin me suscite :
Florange me poursuit, Ormin me sollicite ;
Sa femme veut ma perte ; et ma Mère y consent ;
Hélas ! que d’ennemis contre un cœur innocent.
Mais j’aperçois le port en dépit de l’orage ;
Je sortirai des fers si j’en ai le courage ;
Comment ! j’hésite encor ! sur un point assuré !
Non, non, il faut partir ; Orante l’a juré.
ACTE IV
Scène première
LUCINDE, PALINICE, ORANTE, NÉRINE
PALINICE.
Vous serez dans le calme, et rirez des tempêtes ;
Car pour votre départ toutes choses sont prêtes.
LUCINDE.
Demain sans différer m’éloignant de ce lieu,
Mon esprit affligé vous dérobe un Adieu.
ORANTE.
Ha ! je tremble Nérine.
Orante et Nérine en habit d’hommes les rencontrèrent.
NÉRINE.
Ô bonheur sans exemple ;
Madame, sauvons nous, entrons dedans le Temple ;
Sous cet habit trompeur on ne vous connaît pas.
ORANTE.
Veuille Amour, qu’Isimandre ait devancé mes pas.
Scène II
FLORANGE, ISIMANDRE, CLINDOR
FLORANGE.
C’est en vain qu’on me fuit, c’est en vain qu’on se cache ;
Je suis seul, ils sont deux, mais l’un et l’autre est lâche ;
Quelque mauvais dessein les oblige à courir ;
Téméraire Isimandre, apprends qu’il faut mourir.
ISIMANDRE.
Bons Dieux que d’accidents choquent mon entreprise ;
Si je ne me bats point, il me suivra dans Pise.
CLINDOR.
Ouvrons-nous par sa mort le chemin du bonheur.
ISIMANDRE.
Je suivrai ton conseil, et celui de l’honneur.
Cet arbre, et cette écharpe assureront Florange,
Que ma main sans second, sait bien comme on se venge.
Il le lie à un arbre.
FLORANGE.
Me montrez vous mes yeux ce que je pense voir ?
CLINDOR.
Monsieur, que faites-vous ?
ISIMANDRE.
Ce que veut mon devoir.
Ô toi que le malheur oppose à mon passage,
Vieux spectre que les ans n’ont pas rendu plus sage,
Souviens-toi du beau sang qu’Orante a répandu :
Et reçois de mon bras le loyer qui t’est dû.
FLORANGE.
Témérité sans force ! espérance trompée !
Il tombe.
ISIMANDRE.
Demande-moi la vie, et me rends ton épée.
FLORANGE.
Je fais l’un, prenez l’autre, et gloire des Guerriers,
Ne souillez point de sang l’éclat de vos lauriers.
CLINDOR.
Monsieur, punissez-le du travail qu’il vous donne.
FLORANGE.
Je vous cède mon droit.
ISIMANDRE.
Et moi je vous pardonne ;
Ciel ! de quelle douleur ai-je le cœur percé ?
Clindor, que ferons-nous ? je me trouve blessé ;
Le moyen que sanglant j’aille où l’Amour m’appelle ?
Ha chétif Isimandre ! Ô fortune infidèle !
Traverser cette ville en l’état où je suis,
Sans être reconnu, c’est ce que je ne puis :
On m’attend cependant ; hélas ! que dois-je faire ?
Il délie son écuyer.
CLINDOR.
Déchargez vous sur moi du poids de cette affaire ;
J’aurai par mon travail la fin de vos travaux ;
Allez vous reposer auprès de nos Chevaux ;
Mais de peur qu’il ne parle, il faut garder ce traître.
ISIMANDRE.
C’est au Temple de Mars que ma Vénus doit être.
CLINDOR.
Cachez vous dans le bois, et soyez sans effroi.
ISIMANDRE.
Tâche donc de voler, Florange, suivez-moi.
FLORANGE.
Que désirez-vous plus de mon obéissance ?
ISIMANDRE.
Ce secret est trop haut pour votre connaissance ;
Le vaincu doit ployer sous les lois du vainqueur ;
FLORANGE.
Que n’avais-je le bras aussi bon que le cœur.
Il parle bas.
Scène III
POLIANTE
Que n’es-tu le témoin de mon inquiétude ?
Je te ferais rougir de ton ingratitude ;
Fils sans obéissance, enfant sans amitié,
À qui mes cheveux blancs n’ont su faire pitié.
Quel exploit généreux, quelle belle aventure,
Oblige ton esprit à choquer la nature ?
Isimandre cruel, ton départ m’est suspect :
Le véritable amour n’est jamais sans respect :
Il s’impose lui-même une louable crainte ;
Il estime le joug qu’il porte sans contrainte ;
Et devant qu’entreprendre un dessein qu’il aura,
Sans songer s’il lui plaît, il pense s’il plaira.
Toutes ses volontés ne font rien en tumulte ;
L’Oracle paternel est le seul qu’il consulte ;
Il combat ses désirs, sans en être abattu ;
Et suit heureusement les pas de la Vertu.
Si son âme a des feux la raison les tempère ;
Il pense qu’il est fils, et qu’il doit être père ;
Et toujours l’amitié l’emportant sur l’amour,
Il rend le même honneur qu’on lui doit rendre un jour.
Ha ! que tu marches loin de cette heureuse trace ;
Ton esprit libertin ne craint point ma disgrâce ;
Tu pars sans mon congé, tu vas quittant ces lieux,
Sans songer que mes pleurs sont aperçus des Dieux,
Qui Pères comme moi prendront part à l’outrage,
Mais célestes cléments ! sauvez-le du naufrage ;
Et ne punissant point ses désirs mutinés,
Pardonnez-lui sa faute, et me le ramenez,
Que j’ai le sens troublé ! que j’ai l’esprit en guerre !
Il a déjà couru tous les coins de la terre ;
Ingénieux qu’il est, il feint mille dangers,
Que trouve ce cher fils aux climats étrangers ;
Je le crois voir aux mains avec un adversaire ;
Je le crois voir sur l’onde, et pris par un Corsaire,
Je crois que son argent tente les matelots ;
Je crains comme les vents, les rochers et les flots ;
Leur calme le plus doux dépend de la fortune ;
Et l’inconstante y règne aussi bien que Neptune.
Je le descends à terre avecque mes douleurs ;
Je le vois dans un bois attaqué des voleurs ;
Je l’aperçois combattre au milieu d’une armée ;
J’y crois voir sa valeur par le nombre opprimée ;
Je le vois tout sanglant, je le vois qui pâlit ;
Je le crois voir malade, et mourir dans un lit ;
Abandonné, tout seul, et privé d’assistance ;
Bref, tous les accidents éprouvent ma constance ;
Et pour lui mon amour se porte en un tel point,
Que je ressens les maux que peut-être il n’a point.
Grand Dieux, de qui les mains tiennent nos destinées ;
Pour allonger ses jours, retranchez mes années ;
Et bornant son voyage ainsi que mon ennui,
Que je meure en moi-même, et que je vive en lui.
Scène IV
ORANTE, NÉRINE
Elles sont dans le temple.
ORANTE.
Dieux ! il ne songe point au tourment qui me presse :
Pour avoir tant d’amour, il a trop de paresse.
Si ne me trouvant pas on se met à chercher,
Un lieu toujours ouvert, pourra-t-il me cacher ?
Et si par ces habits on connaît mon envie,
Rien me peut-il sauver et l’honneur, et la vie ?
NÉRINE.
Je ne sais que juger de son retardement ;
Mais qu’il manque d’amour, Madame, nullement.
ORANTE.
Quand Clindor te donna ces habillements d’hommes,
Ne te marqua-t-il pas ce lieu même où nous sommes ?
NÉRINE.
Il me marqua le lieu, le jour, et le matin.
ORANTE.
Sans doute que leur faute est celle du destin ;
Qui jaloux de mon aise, et l’ayant reconnue,
Pour me désespérer, empêche leur venue :
Quelque obstacle fâcheux leur défend de venir.
Mais je n’en aurai point quand je voudrai finir ;
Dans l’excès des malheurs, où personne ne m’aide,
J’ai toujours cru la mort un souverain remède ;
Qui l’a pris une fois, le prendra bien encore.
NÉRINE.
Ô Ciel ! voici venir le fidèle Clindor.
Scène V
CLINDOR, ORANTE, NÉRINE
CLINDOR.
Si vous me voyez seul, qu’il ne vous semble étrange ;
Mon Maître par malheur a rencontré Florange ;
Mais souffrez en fuyant la colère d’Ormin,
Que ce discours se fasse avec notre chemin.
ORANTE.
Prends pitié de mon cœur, en lui faisant connaître,
Si vainqueur ou blessé je dois revoir ton Maître.
CLINDOR.
Et vainqueur, et blessé, mais fort légèrement ;
Quelqu’un nous surprendra, sauvons nous vitement.
Scène VI
LUCINDE, PALINICE
LUCINDE.
Hélas ! de mon support je me trouve privée ;
Madame, c’en est fait, ma fille est enlevée ;
Elle n’est plus ici ; Nérine a disparu ;
En vain tout le Château j’ai quatre fois couru ;
Son Cabinet est vide ; et sa Chambre est ouverte ;
Ha ! je n’en doute plus, cela me dit ma perte !
Je suis au désespoir ; et je perds la raison,
Souffrez-vous des voleurs dedans votre maison ?
Soulagez ma douleur, puis qu’elle vous afflige ;
Un mal est incurable, alors qu’on le néglige ;
Il est encore temps, faites courir après.
PALINICE.
Ne cherchons pas si loin, les ennemis sont près :
Le principe du mal m’en fit prévoir l’issue
Ormin a fait ce coup, ou je suis fort déçue ;
Mais allons découvrir la route qu’elle a prise.
LUCINDE.
Vous redoublez encor la gêne à mes esprits.
Scène VII
ORMIN
Le feu de mon courroux se mêle avec ma flamme ;
On enlève mon cœur, on dérobe mon âme ;
Au moins cruel destin, fais voir à mes désirs,
L’invisible ennemi qui détruit mes plaisirs.
Découvre-moi le Ciel où mon Soleil demeure ;
Que je meure vengé puis qu’il faut que je meure ;
Et permets que son sang puisse effacer l’affront,
Qui me perce le cœur, et me rougit le front.
Mais à tort ce soupçon m’entre en la fantaisie ;
Et je donne à l’Amour un trait de jalousie :
Sans doute que ma femme a fait ce beau dessein ;
Mais un coup de poignard lui va percer le sein,
Si sa ruse entreprend de faire l’ignorante ;
Elle perdra le jour, si je perds mon Orante.
Scène VIII
FLORANGE, ISIMANDRE
FLORANGE.
La fortune a trahi tout l’espoir que j’avais.
ISIMANDRE.
Aussi vieux qu’un rocher, vous n’avez que la voix.
FLORANGE.
Il est vrai ; mais souffrez qu’elle me serve à plaindre.
ISIMANDRE.
Désormais vous ni moi n’avons plus rien à craindre.
FLORANGE.
Le plus grand des malheurs, enfin m’est advenu.
ISIMANDRE.
Le mal dont vous parlez ne vous est pas connu.
FLORANGE.
Que saurait ajouter la fortune à ma peine ?
ISIMANDRE.
L’inévitable fin d’une espérance vaine.
FLORANGE.
Donnez-moi cette fin en celle de mes jours.
ISIMANDRE.
Ce poil s’accorde mal avecque ce discours.
FLORANGE.
Et ce discours s’accorde mal avec mon aventure.
ISIMANDRE.
Par lui vous renversez l’ordre de la Nature.
FLORANGE.
Comment l’entendez-vous ? expliquez ce propos.
ISIMANDRE.
Songez que la vieillesse a besoin de repos.
FLORANGE.
L’âge dont vous parlez n’a rien qui soit infâme.
ISIMANDRE.
Mais l’Amour est aveugle, et la fortune est femme.
FLORANGE.
Déjà depuis longtemps j’en ai senti les coups.
ISIMANDRE.
Vous en verrez bientôt de plus heureux que vous.
FLORANGE.
Ne pouvant l’empêcher, il faudra m’y résoudre.
ISIMANDRE.
Que votre œil se prépare à voir tomber la foudre.
FLORANGE.
Que je ne meure point d’un coup inopiné ;
Orante vient ici.
ISIMANDRE.
Vous l’avez deviné.
Elle arrive.
Approche mon espoir.
Scène IX
ORANTE, ISIMANDRE, FLORANGE, CLINDOR, NÉRINE
ORANTE.
Fuyons, fuyons ma vie ;
Notre heur est assez grand, pour exciter l’envie.
ISIMANDRE.
Nous la tenons captive, elle est prise en ces lieux.
Il montre Florange.
ORANTE.
Ha ! chassez ce fantôme il déplaît à mes yeux.
FLORANGE, bas.
Que par l’ombre du bien l’âme est souvent trompée.
ISIMANDRE.
Allez, retirez vous, reprenez votre épée,
Et sur vos passions ayez plus de pouvoir.
FLORANGE.
Je meurs de voir Orante, et de ne la plus voir.
Il s’en va.
ISIMANDRE.
Ici la diligence est bien fort nécessaire ;
Ce vieux monstre amoureux, ce débile adversaire,
Va chercher du secours, et nous serons suivis,
Sitôt que de ma route on aura quelque avis.
Clindor, vole devant, et forme une chimère,
Qui puisse trouver place en l’esprit de mon père ;
Dis-lui qu’ayant quitté le logis paternel,
Je me suis repenti de me voir criminel ;
Et que par mes douleurs jugeant de sa souffrance,
J’ai rompu le dessein d’un voyage de France ;
Dis-lui que deux Guerriers m’ont tiré du danger,
Où mettent les voleurs l’un et l’autre étranger,
Dis-lui que je les mène, et qu’il fasse connaître,
En les bien recevant, la grandeur de mon être ;
La blessure que j’ai prouvera ton discours ;
Mais les meilleurs conseils sont ici les plus cours ;
Donne vite un cheval, que j’enlève ma proie ;
Elle vaut mieux qu’Hélène, et Naples moins que Troie ;
Et premier que je rende un bien que j’ai volé,
Brûle comme mon cœur mon pays désolé.
Scène X
ORMIN, PALINICE, LUCINDE, LERISTE
ORMIN.
La belle invention ! ô Dieux qu’elle est subtile !
PALINICE.
Mensonge bien pensé ! mais pourtant inutile.
ORMIN.
Toujours votre chagrin se plaît à me fâcher.
PALINICE.
Orante est en vos mains, que sert de la cacher ?
ORMIN.
Mon esprit affligé n’entend point raillerie.
PALINICE.
Est-elle au cabinet, ou dans la galerie ?
ORMIN.
Vous qui la retenez pouvez m’en éclaircir.
PALINICE.
Un dessein découvert ne saurait réussir.
ORMIN.
Vous me croyez aveugle, et j’ai fort bonne vue.
PALINICE.
Je ne m’étonne point, sa perte était prévue.
ORMIN.
Votre ruse paraît plus claire que le jour.
PALINICE.
Votre haine découvre, et fait voir votre amour.
ORMIN.
Découvre mon amour ! pour qui ? pour ma parente ?
PALINICE.
Vous n’aimez pas le sang, mais la beauté d’Orante.
ORMIN.
Et bien ; soit ; il est vrai ; mais je la veux avoir.
PALINICE.
Puisqu’elle est en tes mains, perfide, va la voir.
ORMIN.
Ha ! ne contestez plus, rendez-la moi, vous dis-je :
Quoi ! vous n’en ferez rien ?
Il la veut frapper d’un poignard.
LUCINDE.
Ô bons Dieux, quel prodige :
Page, secourez moi, je ne le puis tenir.
PALINICE.
Ciel ! peux-tu voir son crime, et ne le pas punir ?
Scène XI
FLORANGE, LUCINDE, ORMIN, PALINICE, LERISTE
FLORANGE.
Si vous cherchez Orante, elle n’est plus à Pise :
Et ses charmes ont pris un Amant qui la prise.
Isimandre l’emmène, après m’avoir vaincu.
LUCINDE.
Pour avoir moins de maux, que n’ai-je moins vécu !
ORMIN.
Résolvons nous mon cœur, ma perte est assurée ;
Orante la procure, et le Ciel l’a jurée ;
Un autre la possède : ô penser assassin !
Jamais voleur ne fit un si riche larcin.
Bienheureux Isimandre, en cette douce guerre,
Tu pilles les trésors du Ciel et de la Terre ;
Ce fameux Conquérant, qu’on a fait immortel,
Prit l’Univers entier, et ne prit rien de tel.
Mais quand Naples serait en ces Plages désertes,
Qui par les Matelots ne sont pas découvertes ;
Quand tu la cacherais en ces lieux retirés,
Que les rayons du jour n’ont jamais éclairés ;
Quand tu te logerais au milieu d’une armée ;
Quand tu disparaîtrais comme un corps de fumée ;
Quand tu pourrais voler, perfide assure toi,
Que tu me la rendrais, Leriste suivez-moi.
LUCINDE.
Ô combien d’accidents choquent notre famille !
Ses plus grands ennemis sont aimés de ma fille ;
Mais j’irai la trouver pour en avoir raison,
Dut mon pays natal devenir ma prison.
PALINICE.
Souffrez en ce dessein que je vous accompagne ;
Car sans doute qu’Ormin se va mettre en campagne ;
Mon intérêt au vôtre, ici se mêlera :
LUCINDE.
Pourvu que nous partions, tout ce qu’il vous plaira.
FLORANGE.
Comme j’avais des feux, il avait de la flamme :
L’excès de la douleur m’a fait lire en son âme ;
Et comme son esprit adorait mon vainqueur,
Il n’a pu retenir les sentiments du cœur.
Sa raison a perdu son ordinaire usage ;
Sa folle passion s’est peinte en son visage ;
Ses soupirs ont fait voir en même temps au jour,
Le feu de la colère, et celui de l’amour.
L’un et l’autre éclatait ; l’un et l’autre visible,
Me l’on fait reconnaître, amoureux et sensible.
Et j’ai vu par les pleurs que répandaient ses yeux,
Qu’il perdait comme moi, ce qu’il aimait le mieux.
Oui, j’ai vu clairement quelle est sa maladie :
L’amour qu’il a pour elle, a fait sa perfidie ;
Le traître a fait mon mal, pour établir son bien ;
Et rompu mon dessein pour achever le sien.
Ce coup est sans remède, et moi sans allégeance,
Si je ne la rencontre avecque la vengeance ;
Oui, vengeons-nous mon cœur des outrages soufferts,
Afin de t’exciter, vois le bien que tu pers ;
Figure toi les traits de la beauté d’Orante ;
Songe que le perfide a trompé ton attente ;
Qu’après t’avoir promis il t’a manqué de foi ;
Te ravissant un bien qu’il réservait pour soi ;
Voudrais-tu le souffrir ? réponds à ma demande ?
Non, non qu’il soit puni puis qu’Amour le commande.
Vengeant la foi rompue, et qu’il eut à mépris,
Qu’il n’ait point de retour au voyage entrepris.
Suivons, suivons ses pas, et loin de la patrie,
Faisons agir la force avecque l’industrie ;
Deux BRAVES employez seconderont mes coups ;
Ce sont là des exploits qui sont dignes de nous.
Aux combats inégaux la victoire est certaine ;
Quand on veut rompre en lice, ou court à la quintaine
L’égalité sied bien, car elle est sans danger :
Je ne veux point mourir, je cherche à me venger.
Je veux choisir le temps, et le moyen propice ;
Je veux qu’il tombe seul dedans le précipice ;
Je veux qu’après sa perte, en perdant les témoins,
Je sois celui de tous qu’on en soupçonne moins.
Ha ! je nage déjà dans le sang du perfide ;
J’obéis au courroux, je n’en tiens plus la bride ;
Il m’emporte, il m’entraîne, il me force à courir,
Je te suis, je te tiens, Ormin, il faut mourir.
ACTE V
Scène première
ISIMANDRE, LERISTE
ISIMANDRE.
Cartel. Il lit.
Isimandre, Orante trompée,
Oblige Ormin à te punir ;
Je t’attends avec une épée,
Souviens-toi que tu dois venir.
Si tu satisfais mon envie,
Autre que moi ne te nuira :
Viens m’ôter, ou perdre la vie,
Où ce Page te conduira.
Dures extrémités, où le destin m’engage :
Amour ôte le cœur, et non pas le courage :
Si je fais ce combat, je hasarde mon heur,
Et j’en serais indigne, en vivant sans honneur :
Ha ! mon affliction n’a rien qui la console.
Où me dois-tu mener ?
LERISTE.
Du côté de Pouzzole.
Mais sans vous désigner expressément le lieu,
Je vous y conduirai.
ISIMANDRE.
Je le veux bien ; adieu.
Séparons-nous, je crains que mon père ne sorte :
Je te suis pas à pas, va m’attendre à la porte.
Toujours l’homme est sujet aux caprices du sort ;
Et son premier repos est celui de la mort.
Si tu donnes ta vie au danger qui la presse,
Amant infortuné, que fera ta Maîtresse ?
Quoi ! la veux-tu laisser sous un habit trompeur ?
Ne mourra-t-elle pas ? n’en as tu point de peur ?
Veux tu que sans support elle soit (vagabonde)
L’opprobre, le mépris, et la fable du monde ?
Ô dangereux voisins, téméraires Gaulois.
Dont les mauvaises mœurs ont perverti nos lois,
Que par vous mon esprit souffre une peine amère,
Suivant ce point d’honneur qui n’est qu’une Chimère !
Il le faut cependant ; le destin l’a voulu,
Mon honneur le commande, et j’y suis résolu,
Ha ! voici mon Orante, et mon âme contrainte,
Aura peine à cacher sa douleur et sa crainte :
Mais je lui veux donner un conseil au besoin,
Afin si je péris que quelqu’un en ait soin.
Veux-tu pas te résoudre à parler à mon père ?
Tu sais bien comme un cœur souffre quand il espère.
Le danger nous talonne, et le mal va croissant ;
Fais agir sur le sien ton esprit tout puissant :
Force-le par raison, fléchis-le par des larmes,
Une âme de rocher céderait à ces armes ;
Fais combattre pour toi l’amour et la pitié,
Et fais lui voir qu’Orante a pris son amitié.
Quitte cette pudeur, elle nous est contraire ;
Ressuscite Isimandre, et fais mourir son frère ;
Que ce nom désormais soit banni d’entre nous ;
Veux-tu pour l’obtenir que je sois à genoux ?
Scène II
ORANTE, ISIMANDRE
ORANTE.
Cruel, que ne fais tu ce que ta voix m’ordonne ?
ISIMANDRE.
Le Ciel m’a refusé les grâces qu’il te donne ;
Et mon discours n’a point l’art de persuader :
Hélas ! je le vois bien, tu ne veux pas m’aider.
ORANTE.
Charmeur, tes volontés sont toujours souveraines ;
Elles tiennent sur moi la qualité de Reines.
ISIMANDRE.
L’épreuve en fera foi ; le voici, tu le vois,
Il dit ce vers bas.
Adieu, peut-être adieu, pour la dernière fois.
Scène III
POLIANTE, ORANTE
POLIANTE.
De quoi s’entretenait le brave Cléomire ?
ORANTE.
Des vertus d’un Seigneur que tout le monde admire ;
De ce fils que le Ciel accomplit de tout point ;
Et certes ce penser ne m’abandonne point.
POLIANTE.
L’amitié vous déçoit, ainsi qu’elle m’abuse ;
Les défauts d’un ami ne manquent pas d’excuse ;
L’œil flatte ce qu’il aime, et mon fils n’est parfait,
Désirant vous servir qu’au vœu qu’il en a fait.
ORANTE.
On ne saurait cacher une si belle vie,
Qui fait parler l’Histoire, et fait taire l’envie.
Mais comme sa valeur dés ses plus jeunes ans,
A mis la poudre aux yeux à tous les Courtisans ;
Et que suivant vos pas aux dangers de l’armée,
Il a pris bonne part à votre renommée,
Vous devriez désormais l’arrêter en ces lieux ;
Songez que la fortune est un monstre sans yeux,
Et qu’elle peut frapper ceux qu’elle favorise :
Donnons-lui des désirs que le vôtre autorise ;
Afin que l’arrêtant, comme il est à propos,
Les derniers de vos jours se coulent en repos.
POLIANTE.
Ce que vous proposez est le but où j’aspire ;
C’est un bien que je cherche, et pour qui je soupire ;
Mais je ne trouve point où borner ce désir.
ORANTE.
Peut-être en cet Hymen voulez vous trop choisir.
POLIANTE.
Nullement ; mon esprit n’a point cette faiblesse :
Pourvu que la vertu se joigne à la Noblesse,
Je serai satisfait, je ne cherche point l’or,
Ces qualités chez moi tiendront lieu de trésor.
ORANTE.
Vous oubliez un point d’une importance extrême.
POLIANTE.
Quel ?
ORANTE.
Qu’il aime une fille, et qu’une fille l’aime.
POLIANTE.
Je ne l’oubliais pas, j’y suis trop disposé ;
Mais étant nécessaire, il est présupposé.
Ces marchés d’intérêt, sont des maux qu’on doit craindre ;
Et j’aime trop mon fils pour le vouloir contraindre ;
Aussi loin d’y songer je blâme ces parents,
Qui pères comme moi deviennent des tyrans.
ORANTE.
Et si je vous nommais, une fille estimée ;
Honnête, noble, riche, et qui plus est, aimée ;
Y consentiriez-vous ?
POLIANTE.
N’en doutez nullement :
Mais Naples n’en a point, selon mon jugement ;
Et si vous la savez, mon âme est ignorante.
ORANTE.
Jugez si je me trompe, en vous nommant Orante.
POLIANTE.
Orante (à ce qu’on dit) a ces trois qualités :
Mais on ne peut finir ce que vous projetez.
La haine héréditaire (exécrable folie ;
Qui semble être fatale à toute l’Italie)
Bien que contre mon sens, et contre la raison,
A toujours divisé, les siens, et ma maison.
Et je ne puis penser, comme sans la connaître,
L’amour dont vous parlez aurait jamais pu naître.
ORANTE.
Il est né cependant : et s’est bien rendu tel,
Que d’une part et d’autre il doit être immortel.
Les haines des parents sont de faibles obstacles ;
Et l’amour est un Dieu, qui se plaît aux miracles.
Cette vieille querelle a déjà trop duré ;
Elle déplaît au Ciel ; soyez en assuré :
Il n’assemble les cœurs d’un fils et d’une fille,
Que pour mettre en repos l’une et l’autre famille.
Mais pourtant leurs esprits qui savent leur devoir,
Rangent leurs volontés, dessous votre pouvoir :
Tous prêts de se priver du jour qui les éclaire,
Plutôt que d’achever rien qui vous pût déplaire.
POLIANTE.
Pardonnez Cléomire, à mon étonnement ;
Mon esprit pense faire un beau songe en dormant.
Ce que vous m’apprenez est si plein de merveille,
Que même en vous parlant je doute si je veille.
Que ce penser profond ne vous soit pas suspect ;
J’estime cet amour autant que son respect ;
Et pour voir aujourd’hui ses peines terminées,
Ma volonté suivra celle des destinées :
Oui, dites à ce fils qui vous a fait parler,
Que j’approuve le feu dont il osa brûler.
ORANTE.
Ha ! formez quelques pas, que j’en baise les traces ;
Aussi bien que ce fils je vous dois rendre grâces :
C’est moi qui suis... qui suis...
Scène IV
CLINDOR, POLIANTE, ORANTE
CLINDOR.
Je viens vous avertir
Que mon maître a querelle, et qu’on l’a vu sortir
Avec sa longue épée, et sans nul équipage.
POLIANTE.
Quelqu’un le conduit-il ?
CLINDOR.
Oui Monseigneur, un Page,
De livrée inconnue, et qui nous fait juger,
Que celui qui l’envoie, est sans doute Étranger.
ORANTE.
Quelles sont ses couleurs ?
CLINDOR.
Si mon œil ne s’abuse,
Incarnat, blanc, et vert.
ORANTE, bas.
Dieux, que je suis confuse !
POLIANTE.
Que ne le suiviez-vous ?
CLINDOR.
En vain je l’ai tâché ;
Et contre mon devoir il a paru fâché.
POLIANTE.
Vite, vite, à cheval, qu’on batte la campagne ;
Empêchons ce duel.
ORANTE.
Quel malheur m’accompagne !
Sans doute c’est Ormin, car ce Page est à lui.
Reprenons nos habits, il est temps aujourd’hui ;
Afin que si du sort les lois me sont fatales,
Je les puisse changer en celui des Vestales :
C’est un port assuré qui s’offre à ma douleur :
Mes feux sont éternels aussi bien que le leur.
Scène V
ORMIN
C’est ici que ma main se va remplir de gloire ;
C’est ici qu’on verra le champ de ma victoire ;
Ici j’effacerai la marque d’un affront,
Par la rougeur du sang ôtant celle du front.
Le terrain est fort bon : dans l’ardeur qui me presse,
Que n’avons nous au moins, entre nous la Maîtresse ;
Pour la faire rester comme un prix amoureux,
Non pas au plus rusé, mais au plus généreux.
Afin que le péril plus aisément j’écarte,
Dois-je porter en tierce ? ou bien plus tôt en quarte ?
Non, par un autre coup, je prépare sa mort,
Je passerai sur lui, car je suis assez fort.
Scène VI
FLORANGE, ARGAMOR, GERTIMANT, ORMIN
FLORANGE.
Main basse, Compagnons.
ORMIN.
Que faites-vous Florange ?
FLORANGE.
Je fais ce que je dois ; je punis, je me venge.
ORMIN.
Oubliez-vous l’honneur ?
FLORANGE.
Je le trouve à punir,
Un qui donne sa foi, pour ne la pas tenir.
Scène VII
ISIMANDRE, LERISTE, GERTIMANT, ARGAMOR, FLORANGE, ORMIN
ISIMANDRE.
J’entends un bruit d’épée ; avançons.
LERISTE.
Ha ! le traître ;
Florange, Monseigneur, assassine mon Maître.
ISIMANDRE.
Je ne saurais souffrir ce complot inhumain :
Le Ciel te destinait à mourir de ma main ;
La seconde rencontre, achève la première.
ARGAMOR.
Fuyons.
FLORANGE.
Je perds l’espoir, avecque la lumière.
ISIMANDRE.
Le sort pour m’obliger, en ce jour a permis,
Qu’un ennemi pour vous combat vos ennemis ;
Afin que l’honneur sauf, sa voix vous fasse entendre,
Qu’Amour, et la raison ont conduit Isimandre :
Je suis ce malheureux que vous allez cherchant ;
Vous le voyez soldat, et l’avez vu Marchant.
ORMIN.
Pour un cœur généreux, les bienfaits ont des charmes ;
Et vous me désarmez en conservant mes armes :
Vous venez de me vaincre, en me rendant vainqueur ;
Au lieu d’en témoigner je manquerais de cœur,
Si je vous disputais une palme obtenue ;
Ma colère s’en va comme elle était venue ;
Elle s’évanouit ; et dedans ce moment,
Vous avez triomphé de mon ressentiment.
Je connais mon erreur, elle est toute apparente,
Mais ne vous souvenez que des beautés d’Orante :
Possédez-la paisible ; et m’accordez ce point,
(Au nom de votre amour) de ne me haïr point.
Bornons enfin le cours d’une haine ancienne,
Qui perd votre Maison, et qui détruit la mienne ;
Faites souscrire un père avecque mon désir :
ISIMANDRE.
Mon âme est dans mes yeux, jugez de son plaisir.
Je ne puis exprimer les transports de ma joie ;
Et mon cœur veut s’ouvrir, à dessein qu’on la voie.
Oui, Oui, soyons unis ; mon père est apaisé ;
Le chemin de son âme est un chemin aisé ;
Le repos est un bien que son esprit souhaite :
Mais Monsieur il est temps de faire la retraite ;
Naples vous peut revoir, y venant quant et moi.
ORMIN.
Je marche sans frayeur, marchant sur votre foi.
Scène VIII
LUCINDE, PALINICE
LUCINDE.
Voyant ce ravisseur, qui passait dans la rue,
J’ai quitté la fenêtre, et j’y suis accourue ;
Mais comme il se cachait, de peur d’être connu,
Je n’ai su dans trois pas, ce qu’il est devenu ;
Son extrême vitesse a trompé ma poursuite ;
A peine mes regards ont découvert sa fuite,
(Chose qui m’a fâchée, et qui l’a réjoui)
Qu’en éclair, en fantôme, il s’est évanoui.
PALINICE.
Patientez un peu, nous le verrons sans doute :
Je me moque d’un mal que votre esprit redoute ;
Puisqu’il paraît ici, je le tiens innocent ;
Votre fille est sa femme, et son père y consent :
Un nouveau possesseur est ardent et fidèle ;
S’il la tenait cachée il serait auprès d’elle ;
Ces plaisirs dérobés attachent tout le jour ;
Je la crois plus à lui, puis qu’il a moins d’amour.
LUCINDE.
Plut au Ciel que ce mal eut enfin bonne issue ;
Et qu’elle fut ainsi que vous l’avez conçue ;
Je me consolerais ; ma fille aurait bien fait ;
Il est notre ennemi, mais il est tout parfait.
PALINICE.
Mettons nous dans ce lieu qui regarde la porte ;
Nous le découvrirons, soit qu’il entre, ou qu’il sorte.
Scène IX
POLIANTE, CLINDOR
POLIANTE.
L’amitié m’abusait ; son conseil était faux ;
En le considérant j’en ai vu les défauts :
Si je suivais mon fils, en suivant mon envie,
Je perdrais son honneur pour lui sauver la vie :
Qu’il revienne vainqueur, ou qu’il reste vaincu,
Je désire qu’il meure ainsi qu’il a vécu.
C’est un juste tribut qu’on doit à la Nature :
En voyant son berceau, je vis sa sépulture ;
Je naquis pour mourir ; je l’ai fait naître tel ;
Mais une belle mort le peut rendre immortel.
CLINDOR.
Cette Philosophie est un peu trop austère.
POLIANTE.
Tu verrais dans mon cœur que je suis homme, et père :
J’en ai le sentiment ; mais il est combattu,
Des armes du discours que preste la vertu.
CLINDOR.
Ha Monsieur le voici !
POLIANTE.
N’ai-je pas bonne vue ?
Mon âme de raison est-elle bien pourvue ?
Je reconnais Ormin, ce n’est point une erreur ;
Je l’ai vu maintes fois auprès de l’Empereur.
Scène X
ORMIN, POLIANTE, ISIMANDRE, CLINDOR, LERISTE
ORMIN.
Il n’est rien d’éternel en la terre où nous sommes :
La haine doit finir aussi bien que les hommes ;
Le mérite d’un fils éteignant mon courroux,
Je viens vous assurer que je suis tout à vous.
POLIANTE.
Dans l’accommodement ainsi qu’à la Victoire,
Qui marche le premier, a la première gloire ;
Mais puis que vos bontés me la veulent ravir,
Je garderai pour moi celle de vous servir.
Scène XI
LUCINDE, PALINICE, POLIANTE, ORMIN, ISIMANDRE, CLINDOR, LERISTE
LUCINDE.
J’ai ma part à la paix aussi bien qu’à la guerre :
Je crois avoir acquis le reste de la terre,
Puisque par cet accord on me donne pouvoir,
D’habiter un pays que je n’osais revoir.
POLIANTE.
Madame, espérez tout de mon obéissance ;
Naples que je gouverne est en votre puissance ;
Et tant que j’y serai, votre commandement,
Aura toujours le droit d’agir absolument.
ORMIN.
Oublions le passé (mon cœur) je t’en conjure.
PALINICE.
Votre seul repentir efface mon injure.
ISIMANDRE.
Vous qui pouvez donner à mon cœur amoureux,
La fortune prospère, ou le sort malheureux,
Si vous avez pitié de me voir dans la flamme,
Commandez à ce corps d’aller querir son âme.
POLIANTE.
Il parle d’un Ami que la sienne chérit.
Allez ; qu’il vienne voir comme le Ciel nous rit :
Jamais deux volontés ne furent mieux unies ;
Leur accord va passant toutes les harmonies ;
Chaque jour l’un à l’autre ils parlent en secret ;
Et la nuit les sépare avec bien du regret.
ORMIN.
Je me doute à peu près quel ami ce peut être :
Ha ! sans faute c’est lui, car je le vois paraître ;
Mais sous un autre habit que vous ne l’avez vu.
POLIANTE.
Quel prodige nouveau m’attaque à l’imprévu ?
Scène XII
ISIMANDRE, LUCINDE, ORANTE, ORMIN, POLIANTE, PALINICE, NÉRINE, CLINDOR, LERISTE
ISIMANDRE.
Madame, je vous rends un bien inestimable ;
Moi seul ai fait la faute, elle n’est point blâmable.
LUCINDE.
Pour l’amour d’Isimandre il faut lui pardonner :
Et je ne la reprends que pour vous la donner.
ORANTE.
Mon silence, et mon teint vous parlent de ma honte.
LUCINDE.
Soyez désormais sage, ayant été trop prompte :
Oubliant le passé qui ne nous sert de rien,
Ne parlons plus d’un mal qui nous produit un bien.
ORMIN.
C’est de vous maintenant que ce couple fidèle,
Attend une faveur qu’il vient de prendre d’elle :
Monsieur, soyez bon père en exauçant leurs vœux.
POLIANTE.
Ce brave Cavalier sait bien que je le veux.
Il parle d’Orante.
Sous l’un et l’autre habit également j’admire,
Tantôt la belle Orante, et tantôt Cléomire ;
Mon cœur n’est pas un bien que je donne à demi ;
Je l’aime comme fille, et l’aimais comme ami.
ORANTE.
Et je vous servirai pour tous les deux ensemble.
POLIANTE.
On ne peut séparer ce que le Ciel assemble.
Il a certains ressorts qu’on ne peut découvrir :
C’est un livre fermé qu’on ne saurait ouvrir :
Et la fin des desseins, non plus que des années,
Ne se voit que des Dieux, qui font nos destinées :
C’est à nous d’obéir aux Maîtres des humains :
Aussi je tends vers eux, l’œil, le cœur, et les mains ;
Et demande pour vous une trame choisie ;
Une amour sans froideur, comme sans jalousie ;
Et pour comble de joie, et de prospérité,
Des Enfants aussi bons que vous l’aurez été.
[1] C’est le dessus de la lettre.