Ninette à la cour (Thomas SAUVAGE - Jean-Henri DUPIN)

Comédie en vers libres de Favart, mise en un acte et en vaudevilles, précédée d’un prologue.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le théâtre de la Porte Saint-Martin, le 26 novembre 1822.

 

Personnages du Prologue

 

LE RÉGISSEUR

MONSIEUR SAINT-MARTIN, habitué du théâtre

 

La scène se passe sur le théâtre ; les décorations sont encore en désordre.

 

Personnages de la Comédie

 

ALPHONSE, Duc de Ferrara

ÉMILIE

NINETTE, villageoise

COLAS, villageois, son amant

FABRICE, confident du Duc

DAMES et SEIGNEURS de la cour

VALETS, etc.

 

Le théâtre représente un salon du palais d’Alphonse ; trois grandes portes ferment au fond ; à droite, une table recouverte d’un tapis.

 

 

PROLOGUE

 

 

Scène première

 

LE RÉGISSEUR

 

Pierre, qu’on avertisse ! Apportez le bâton ;

Et tâchez d’éviter que l’entr’acte soit long.

Les duègnes surtout lassent ma patience ;

Lorsque chez la beauté la vieillesse commence,

On le sait, la toilette, hélas ! n’en finit plus.

 

 

Scène II

 

LE RÉGISSEUR, MONSIEUR SAINT-MARTIN

 

MONSIEUR SAINT-MARTIN, à la cantonade.

Oui, pour me retenir, vos soins sont superflus ;

Je prétends lui parler, et, sur cette matière

Avec lui m’expliquer de la bonne manière.

Au Régisseur.

Ah ! je vous trouve donc, monsieur le Régisseur,

Et puis vous dire enfin ce que j’ai sur le cœur !

Moi qui, dans le café, vous retiens une place ;

Moi, qui vous ai souvent offert la demi-tasse,

Et la bière, le soir ! c’est rire à mes dépens !

Et je prétends sévir contre ce guet-apens.

LE RÉGISSEUR.

Eh ! monsieur Saint-Martin, quelle colère étrange !

MONSIEUR SAINT-MARTIN, montrant un sifflet.

Je suis armé, Monsieur... il faut que je me venge.

LE RÉGISSEUR.

Mon cher habitué, pour vous tant émouvoir,

Que diable avez-vous vu ?

MONSIEUR SAINT-MARTIN.

L’affiche de ce soir !

Moi, monsieur Saint-Martin, spectateur qu’on signale,

Pour venir, chaque soir, respirer dans la salle,

Vous osez, derechef, me faire un pareil tour !

Et votre nouveauté, c’est Ninette à la Cour,

Avec des changements !

LE RÉGISSEUR.

Ah ! de votre colère,

Voilà donc le sujet ?

MONSIEUR SAINT-MARTIN.

Il est juste, j’espère !

Naguère, d’imiter l’auteur se consentait,

À présent, on prend tout, et c’est bien plutôt fait.

LE RÉGISSEUR.

Voyons, expliquons-nous...

MONSIEUR SAINT MARTIN.

C’est une frénésie ;

C’est un crime, à mon gré, de lèse-comédie !

Je sais que, dès longtemps, la plupart des auteurs

Ont, comme maint époux, des collaborateurs ;

Mais ils sont de leur choix, et, quand on s’associe,

On tâche d’être au moins en bonne compagnie.

Jadis, quant à Favart, s’accolait quelque nom,

C’était toujours celui de l’abbé Voisenon ;

Et le novice auteur d’un mince Vaudeville,

Que répétaient par fois les orgues de la ville,

Respectait le talent, se tenait à l’écart,

Et ne corrigeait pas les pièces de Favart.

LE RÉGISSEUR.

De grâce, permettez...

MONSIEUR SAINT-MARTIN.

Hélas ! ce qui m’afflige,

C’est la façon, Monsieur, dont on vous les corrige !

De ces reprises-là j’ai déjà vu plusieurs ;

Tout était dérangé par vos beaux arrangeurs.

Je puis vous en parler, mon cher, en conscience.

Hier, j’en fus voir deux dans la même séance.

Ces dialogues vrais et ces naïfs discours,

Ils étaient remplacés par de plats calembours.

Par un froid madrigal, Pierrot peignait sa flamme,

Et Thérèse, en faussant, lançait une épigramme.

C’est du neuf qu’il faudrait ; mais, mon pauvre garçon,

Vos auteurs d’à présent ne font plus rien de bon.

LE RÉGISSEUR.

Nous en voyons plus d’un qui, sur la double scène,

Encense, avec succès, Thalie et Melpomène.

MONSIEUR SAINT-MARTIN.

Leurs essais, j’en conviens, par fois furent heureux ;

Mais ce sont, entre nous, de petits glorieux,

Qui, parce qu’ils ont tous de l’esprit, du courage,

Pensent en savoir plus que la raison et l’âge ;

Frondent le temps passé ; sous de vives couleurs,

Présentent nos travers et critiquent nos mœurs.

Je voudrais que l’on fit de bonnes comédies,

Sans la moindre épigramme et sans plaisanteries.

Oui, si de composer un jour, il m’arrivait,

De mes moindres écrits ce serait le cachet ;

Et, comme dit Piron, dans sa fameuse pièce,

« La tante en prescrirait la lecture à sa nièce. »

Pour raison, j’ôterais, comme premier abus,

Sur les maris trompés ces éternels rebus ;

Je prendrais le parti des docteurs, des notaires,

Et ferais respecter jusqu’aux apothicaires.

LE RÉGISSEUR.

Quoi ! même ?... Ah ! c’est porter le zèle un peu trop loin.

MONSIEUR SAINT-MARTIN.

En mainte occasion n’en a-t-on pas besoin ?

LE RÉGISSEUR.

Revenons à Favart, sachons ce qui vous blesse.

Monsieur, apparemment, a déjà vu sa pièce ?

MONSIEUR SAINT-MARTIN.

Oui, oui ; j’avais un an quand Favart la donna,

Et maman me berçait avec ces refrains-là.

J’en fredonnais encor hier une ariette,

Qui finit par ce vers : Lon, lan, la, dérirette.

LE RÉGISSEUR.

Depuis l’avez-vous vue ?

MONSIEUR SAINT-MARTIN.

Oh ! point en vérité.

LE RÉGISSEUR.

Alors c’est donc pour vous presqu’une nouveauté ?

Et bien des gens ici sont dans un cas semblable.

MONSIEUR SAINT-MARTIN.

La pièce dans son temps passait pour agréable ;

Elle eut un grand succès et l’on louait beaucoup

Du rôle de Ninette et la grâce et le goût,

La facture des vers, la coupe du poème...

Mais vous l’aurez gâtée...

LE RÉGISSEUR.

Elle est presque la même ;

Nous avons seulement rajeuni quelques traits,

Et, sans y rien changer, ajouté des couplets.

MONSIEUR SAINT-MARTIN.

Vous n’avez pas mal fait. Alors, je me rétracte.

L’ouvrage était bien long.

LE RÉGISSEUR.

On l’a mis en un acte.

MONSIEUR SAINT-MARTIN.

La musique me plaît... mais tous ces vieux rondeaux...

LE RÉGISSEUR.

Ce soir seront chantés sur des airs plus nouveaux.

MONSIEUR SAINT-MARTIN.

C’est bien ; mais pour oser risquer un tel ouvrage,

Cela ne suffit pas... il faut bien davantage.

LE RÉGISSEUR.

Eh ! quoi donc ?

MONSIEUR SAINT-MARTIN.

Des acteurs. Enfin, vous n’avez pas

Un Cailleau pour jouer le rôle de Colas,

Et madame Favart pour celui de Ninette.

LE RÉGISSEUR.

Je dois en convenir, ces acteurs qu’on regrette,

Ont eu des successeurs, mais non des héritiers.

Cependant nous avons des sujets... les premiers...

MONSIEUR SAINT-MARTIN.

Ne sont pas sans talent ; moi-même qui me pique

De m’y connaître un peu, j’aime votre comique,

Le Blaizot de la Pie, il a du naturel.

LE RÉGISSEUR.

C’est lui qui fait Colas.

MONSIEUR SAINT-MARTIN.

Son mérite est réel.

Ninette ?

LE RÉGISSEUR.

C’est, Monsieur, une actrice nouvelle

Dont le public veut bien encourager le zèle ;

Dans Jeannette...

MONSIEUR SAINT-MARTIN.

Elle était, fort bien, en vérité.

Ah ! parbleu, vous piquez ma curiosité,

Je vais à les juger prendre un plaisir extrême.

LE RÉGISSEUR.

Du plaisir, dites-vous ?... vous n’êtes plus le même.

Quel changement soudain !... et votre grand courroux ?...

MONSIEUR SAINT-MARTIN.

Mais je n’y pensais plus.

LE RÉGISSEUR.

Avouez, entre-nous,

Que vous avez eu tort ; qu’on peut, quand elle est bonne

Remettre une pièce...

MONSIEUR SAINT-MARTIN.

Eh !...

LE RÉGISSEUR.

Car il faut qu’on raisonne :

Pourquoi voudriez-vous priver nos jeunes gens

D’ouvrages qui, jadis, charmèrent leurs parents ?

De les apprécier, croyez qu’ils sont capables.

Aux vieillards, ces tableaux doivent être agréables ;

Je suis sûr qu’à leur vue, il est plus d’un barbon

Qui se reporté aux jours de sa jeune saison,

À ses premiers amours... jadis, dans les coulisses,

N’alliez-vous pas, par fois, en conter aux actrices ?

MONSIEUR SAINT-MARTIN.

Eh ! eh ! eh ! dans le temps, au Théâtre Italien,

Certaine Sylvia nous traitait assez bien...

LE RÉGISSEUR.

Le souvenir, Monsieur, a bien aussi ses charmes.

MONSIEUR SAINT-MARTIN.

Je me rends, cher ami, ma foi, tu me désarmes.

Et, vois-tu, maintenant je pense qu’en effet

De reprendre Favart on n’a pas si mal fait.

Mais je vais me placer...

LE RÉGISSEUR.

Madame votre épouse ?

MONSIEUR SAINT-MARTIN.

Elle voulait venir pour faire voir sa blouse.

Mais, mon cher régisseur, d’après notre entretien,

D’être venu tout seul, va, je n’applaudis bien ;

Contre l’ouvrage enfin, que votre zèle apprête,

C’est elle qui m’avait si fort monté la tête.

Car ma femme à présent, par contrariété,

Ne veut plus, mon ami, que de la nouveauté.

LE RÉGISSEUR.

Vous êtes, en ce cas, un époux fort à plaindre.

MONSIEUR SAINT-MARTIN.

Oui, je le suis, hélas ! en vain je voudrais feindre.

Mais c’est assez causer... je m’en vais me placer ;

Et quand vous le voudrez, vous pourrez commencer.

LE RÉGISSEUR, lui montrant son sifflet.

Ceci, vous l’emportez ?

MONSIEUR SAINT-MARTIN, le jetant.

Ah ! cher Favart, pardonne !

C’est un moment d’erreur.

LE RÉGISSEUR, au public.

L’exemple que vous donne

Ici notre amateur, suivez le, s’il vous plaît ;

Par égard pour Favart, Messieurs, point de sifflet.

 

 

COMÉDIE

 

 

Scène première

 

ÉMILIE, ALPHONSE, FABRICE

 

FABRICE.

Oui, madame, l’on vous attend.

ALPHONSE.

J’ai fait préparer tout pour ce petit voyage ;

Un temps frais, un ciel sans nuage,

Promettent qu’il sera charmant.

ÉMILIE.

Je crois sans peine à ce présage,

Vous en serez, Alphonse ?

ALPHONSE.

Un fâcheux contretemps

Me retient à la cour.

ÉMILIE.

Eh ! quels soins si pressants ?...

ALPHONSE.

Vous ne pouvez douter qu’ils ne soient importants,

Puisqu’ici je leur sacrifie,

Le plaisir d’être auprès de la belle Émilie.

ÉMILIE.

Air : J’en guette un petit de mon âge.

Vous le dites, je dois vous croire,
Et me priver d’instants bien doux ;
Alphonse, en tout temps votre gloire
Me fut aussi chère qu’à vous.
Je sais quels devoirs sont les vôtres,
Et quoi qu’il en coûte à mon cœur,
Je dois différer mon bonheur
Pour faire le bonheur des autres.

ALPHONSE.

Avec regret, je m’éloigne de vous ;

Mais enfin il le faut... aussi, qu’il sera doux

Le moment da retour !... je prétends qu’une fête

Ce soir, dans mon palais s’apprête,

Afin de le mieux célébrer.

ÉMILIE.

Mais ne pourrait-on différer ?

ALPHONSE.

Air : Des plaisirs promis à la terre. (d’Aristippe.)

J’approuve trop le but de ce voyage
Pour en retarder le dessein ;
Vous allez selon votre usage
Pour consoler la veuve ou l’orphelin.
À nos côtés, dans le rang où nous sommes,
La bienfaisance doit s’asseoir.
C’est une vertu chez les hommes
Chez les princes c’est un devoir.

ÉMILIE.

Je saurai, comme je le dois

Reconnaître les soins que vous avez pour moi...

Peut-être bien une autre amante,

Un peu plus que moi défiante

Dans cet empressement, ne verrait qu’un détour

Pour l’éloigner, tandis qu’un objet plus aimable...

ALPHONSE.

Ô ciel ! me croyez-vous capable ?...

Ah ! madame...

ÉMILIE.

Mais moi, qui connais votre amour,

Moi qui suis votre fiancée,

Je ne puis accueillir une telle pensée.

ALPHONSE.

Jamais...

ÉMILIE.

C’est maintenant, Alphonse, à votre honneur

Que je me fie... adieu, seigneur.

Elle sort.

 

 

Scène II

 

ALPHONSE, FABRICE

 

FABRICE.

Nous voilà maîtres de la place !

Mais, pardon ! j’entrevois un secret là dessous,

Pour l’éloigner ainsi, monseigneur, entre nous,

Ici n’auriez-vous pas un galant rendez-vous ?

ALPHONSE.

Oui, je te l’avouerai : l’autre jour à la chasse ;

Je trouve un jeune objet qui m’aborde avec grâce...

Air : Ce mouchoir belle Raymonde.

De son teint la fleur naïve :
Confond les efforts de l’art ;
À la fois et simple et vive,
Elle enchante d’un regard.
Dans son cœur est l’innocence,
Dans ses yeux est la candeur,
Sa parure est la décence,
Et son fard est la pudeur.

FABRICE.

Quel est donc cet objet vainqueur ?

ALPHONSE.

C’est une villageoise, et son esprit m’enflamme,

Autant que la beauté.

FABRICE.

Le fait est curieux !

ALPHONSE.

On m’a dit qu’une vieille dame,

Contrainte par le sort d’habiter en ces lieux,

Et qui vivait comme une pauvre femme,

Avait, par une soin complaisant,

Formé l’esprit de cette belle enfant.

FABRICE.

Craignez, seigneur ; qu’on ne vous blâme.

ALPHONSE.

Qu’importe le sang dont on sort ?

Une belle est toujours au-dessus de son sort.

Oui, j’adore Ninette, et cependant ma bouche

N’a point encore osé lui déclarer mon feu.

FABRICE.

Cette petite fille est-elle si farouche ?

ALPHONSE.

Elle me voit sans crainte.

FABRICE.

Et quand on craint si peu...

Air : Vaudeville de Farinelli.

Ne soyez pas si confiant,
Cette apparente gaucherie
Est souvent le calcul prudent
D’une adroite coquetterie.
Se parant d’un masque étranger,
Oui, mainte beauté vive et tendre,
Ne semblé ignorer le danger
Qu’afin de s’y mieux laisser prendre.

Et monseigneur l’attend ?

ALPHONSE.

Hier après la chasse,

Je fus la voir ; un rustre avait l’audace

De la traiter fort durement,

Il allait jusqu’à la menace...

Je parais, et Ninette, implorant mon secours,

Me dit qu’elle voulait le quitter pour toujours...

À mon étoile rendant grâce,

J’offre, dans mon palais, le sort le plus brillant,

Elle hésite d’abord... le dépit, la colère,

Et peut-être l’amour, ah ! du moins, je l’espère,

À venir à la cour, la décident enfin...

Pour la chercher dès ce matin

À son hameau, mes gens ont du se rendre,

Elle ne peut tarder... quel bruit !... je crois l’entendre...

 

 

Scène III

 

NINETTE, ALPHONSE, FABRICE, FEMMES, VALETS

 

CHŒUR.

Air : Vaudeville de la Veuve du Malabar.

Rendons-lui tous hommage,
Tant de grâces et d’attraits
Inconnus au village,
Vont briller dans un palais.

ALPHONSE.

Rendez-lui tous hommage, etc.

CHŒUR et FABRICE.

Rendons-lui tous hommage, etc.

NINEITE, au prince.

Mais avec moi, seigneur, pourquoi tant de façons ?

ALPHONSE.

À ces égards, à ces attentions,

Ninette, vous avez des titres.

NINETTE.

J’étais dans un carrosse d’or

Tout entouré de belles vitres...

Il me semble m’y voir encor.

Air : En revenant d’Auvergne.

Là dedans qu’on est fière !
Que l’on fait de poussière !
On voit par la portière
Ses pages, ses laquais ;
Mais on n’a pas, je gage,
Un pareil attelage,
Un pareil équipage,
Pour rien... et je tremblais ;
J’avais raison, sans doute ;
Car lorsqu’on est en route,
On va coûte qui coûte,
Et jeune fille enfin
Sans qu’elle s’en doute
Fait bien du chemin.

ALPHONSE.

Si vous aimez le, luxe et tout ses avantages,

Vous contenter est en votre pouvoir ;

Oui, vous n’avez qu’à le vouloir,

Et vous aurez laquais, bijoux, beaux équipages.

NINETTE.

Eh ! mon dieu qui me donnera

Toutes ces belles choses-là ?

ALPHONSE.

Hélas ! quelqu’un qui vous adore,

Et qui n’a point osé vous en instruire encore.

NINETTE.

M’instruire encore ! et quelqu’un qui m’adore !...

Ce sont de trop grands mots pour moi.

ALPHONSE.

Je vous aime !

NINETTE.

Ah !

Eh bien ! voilà parler cela !

Air : Nouveau (de M. Doche.)

Chez les habitants du village
Dont le cœur n’a point de détour,
La nature est le seul langage
Pour exprimer leurs vœux et leur amour.
Ce que l’on sent faut-il qu’on le décore
De mots pompeux, de sublimes discours ;
Colas jamais ne me dit qu’il m’adore,
Mais j’en sûre, il m’aimera toujours.

ALPHONSE.

Eh ! quel est donc ce fortuné Colas ?

NINETTE.

Quoi ! vous ne le connaissez pas ?

Air : Il est vrai que Thibaut mérite. (Des deux Jaloux.)

Colas, est de notre village,
Le plus aimable pastoureau ;
C’est lui qui nous fait sous l’ombrage
Danser au son du chalumeau.
Près de lui ma joie est extrême,
Avec lui s’en va mon bonheur.
Oui, c’est Colas enfin que j’aime...
Sous vot’ bon plaisir, monseigneur.

Mais, Monsieur, Colas est jaloux ;

Il nous a vu causer, et s’est mis en courroux.

Même air.

Porter si loin la défiance
Devenait trop injurieux !
Je devais en tirer vengeance...
C’est ce qui m’amène en ces lieux,
Si, calmant son humeur jalouse,
L’épreuve détruit son erreur,
Ninette dès demain l’épouse...
Sous vot’ bon plaisir, monseigneur.

ALPHONSE.

Ninette, croyez-moi, placez mieux votre amour :

Le sort le plus brillant vous attend à ma cour ;

Et la parure et la toilette,

Rendront votre beauté, s’il se peut, plus parfaite.

NINETTE.

À la cour, je m’embellirais ?

Ah ! je le voudrais bien ! Si j’avais plus d’attraits,

Colas m’aimerait mieux.

 

 

Scène IV

 

LES PRÉCÉDENTS, COLAS

 

COLAS, se disputant avec les valets.

Diantre soit des valets !

Je demande Ninette, une beauté que j’aime.

Elle est ici, j’en suis certain.

FABRICE.

Que vient faire ici ce vilain ?

COLAS.

Vilain ! Vilain toi-même.

Il faut qu’on m’la rende à l’instant.

T’nez, j’vais vous fair’ son signal’ment.

Air : Lucette est une bergère. (De la Bergère Châtelaine.)

Ce n’est qu’une simple bergère...
Pour plaire a-t-on besoin d’aïeux ?
Sa démarche est vive et légère,
Et son sourire est gracieux.
Si vous voyez sa main blanchette,
Son pied mignon... et cætera ;
Bref, c’est un ange, elle est parfaite...

L’apercevant.

Eh ! mais c’est elle... C’est Ninette !
Tenez, tenez la voilà
Plus bell’ cent fois que c’ portrait là.

Ensemble.

ALPHONSE, à part.

Je vois bien que sa Ninette
Avec peine l’oubliera.

FABRICE.

Pour un prince, la coquette
Sans peine le quittera.

COLAS.

C’est bien mal à vous, Ninette,
Ainsi de me planter là.

NINETTE, à part.

Faisons encor la coquette,
La leçon profitera.

D’après un ordre du duc, Fabrice fait éloigner la suite, à l’exception de deux dames.

COLAS.

Comment as-tu bien pu, Ninette,

Abandonner ainsi Colas ?

Si tu savais la pein’ que ta fuite m’a faite !...

Tout d’suite j’ai suivi tes pas.

J’étais au labourage, hélas !

Quand sont v’nus ces laquais et leur bel équipage.

Ça n’se s’rait pas ainsi passé...

Plus d’un, morguenne, aurait été rossé...

Enfin, je te retrouve, oublions le passé,

Et regagnons notre village :

L’air ici pour nous n’est pas bon.

Viens... Eh bien, qu’est-ce donc ?

NINETTE.

Je me plais ici davantage ;

J’y reste.

COLAS.

Oui dà ! Quel langage !

Marchons !

NINETTE.

Aye ! aye ! ô le vilain brutal !

ALPHONSE.

C’est donc là ce digne rival ?

NINETTE.

Ah ! ne lui faites pas de mal !

ALPHONSE.

Ne craignez-rien.

NINETTE, à Colas.

Va-t’en.

COLAS, furieux.

Tredame !

ALPHONSE.

Si Colas vous est cher, je deviens son ami.

COLAS.

On n’est guère ami du mari

Quand on veut l’être de la femme.

Au diable soit l’amitié du renard,

Qui vient nous caresser, pour croquer la poulette.

Oh ! s’il vous faut une tendre fillette

Allez la chercher autre part.

ALPHONSE.

Mais je crois vraiment qu’il raisonne ;

Je l’avouerai, tant d’audace m’étonne.

COLAS.

Nous sommes fiancés... par ainsi, laissez-nous.

FABRICE.

Mon ami, c’est le duc.

COLAS.

Ô ciel !

FABRICE.

Modérez-vous.

ALPHONSE.

Air : Beaux damoiseaux et damoiselles, (Prince troubadour.)

Lorsque chacun vous rend hommage
Quand sur les cœurs vous avez tant de droits,
Regretteriez-vous ce village
Où l’on veut vous dicter des lois ?
Dans ces lieux, qu’elle différence !
On suivra votre volonté.
Car le sceptre de la puissance
Est dans les mains de la beauté.

CHŒUR.

Est dans les mains de la beauté.

 

 

Scène V

 

NINETTE, COLAS, FABRICE, DEUX FEMMES

 

COLAS.

Voudrais-tu me jouer ce tour ?

NINETTE.

Oui... j’y consens... tu pourras mieux connaître

Ce que je vaux.

COLAS.

Morgué ! rien n’est pus traître !

NINETTE, à part.

Je veux lui faire peur ; sans trahir notre amour.

Air : Il sait tout. (des Joueurs.)

Ah ! pauvre Colas,
Colas !
Ninette
Pour toi n’est pas faite ;
Loin d’ici porte tes pas,
Adieu, pauvre Colas.
J’aurai de brillants équipages,
Des meubles, de riches bijoux,
De grands laquais, de petits pages,
Des dentelles, des marabouts.
Et puis les jours de fête,
J’aurai, selon mon goût,
Des pierres sur ma tête,
Une horloge à mon cou.
Ah ! pauvre Colas, etc.
Pour me présenter son hommage
La foule assiégera mes pas ;
Peut-être bien sur mon passage
Quelque jour tu te trouveras.
Confondu dans la presse,
En t’inclinant bien bas,
Tu me diras : Duchesse,
N’oubliez Colas.
Ah ! pauvre Colas,
Colas !
Ninette
Pour toi n’est pas faite,
Loin d’ici porte tes pas ;
Adieu, pauvre Colas.

Elle sort, suivie des femmes.

 

 

Scène VI

 

COLAS, FABRICE

 

COLAS.

Je suis tout stupéfait ! ce coup me désespère !

Ah ! malheureux ! que vas-tu faire ?

FABRICE.

Ce qu’en pareil cas, mon ami,

L’on fait toujours : te taire,

Et prendre gaîment ton parti.

COLAS.

Oh ! la traîtresse ! l’infidèle !

Je n’aurais pas cru cela d’elle.

C’est qu’j’étais presque son mari...

Air : Ma belle est la belle des belles.

Quelle brillante perspective !
Ninette plaît à monseigneur ;
Honneurs et place lucrative
Ici prouveront ta faveur.
Mais puisqu’enfin tu n’y vois goutte,
Laisse-toi guider par la main ;
Ta femme est dans la bonne route,
Et tu vas faire ton chemin.

COLAS.

Mais je veux la revoir.

FABRICE.

Mon cher, on n’entre pas.

COLAS.

Eh ! quoi, vous arrêtez mes pas ?

FABRICE.

Mais regarde donc ta toilette,

Peux-tu te présenter ?... c’est blesser l’étiquette.

COLAS.

Bah !

FABRICE.

Quand tu reviendras, mets-toi plus décemment,

Si tu veux qu’ici l’on t’admette.

Fabrice sort en riant.

 

 

Scène VII

 

COLAS, seul

 

Est-c’ que j’ peux me mettre autrement ?

C’est mon habit de dimanche et de fête.

Il est bien difficil’, monsieur le courtisan !

Air : d’Azémia. 

Contr’ces messieurs tout m’indispose ;
Il paraît que dans ce pays,
On compt’ les homm’s pour peu de chose,
Et l’on n’reçoit que les habits ?
Mon costum’ qui les blesse
N’annonc’pas la richesse,
Il annonc’ c’qui vaut mieux
L’homm’ laborieux
N’y a pas d’ssus d’l’or, je le confesse,
Mais d’ssous ya c’qui n’peut être ach’té,
C’est de la gaité,
C’est de la santé,  
De la loyauté,
De la probité,
Oui, morbleu de la probité !

Parlant.

Mesdames et Messieurs, riez à votre guise,

Je pourrais bien avoir mon tour.

Moi, je n’ai rien qui me déguise :

Je puis me montrer au grand jour.

Tandis que sous tous vos panaches,

Vos clinquants et vos falbalas...

Reprenant le chant.

Que d’taches (bis.)
Que l’on n’aperçoit pas !

 

 

Scène VIII

 

COLAS, ÉMILIE

 

ÉMILIE.

De loin j’ai vu sortir Fabrice,

Je puis entrer... Voilà donc le sujet

Qui me fait éloigner ?... De ce nouveau caprice,

Une villageoise est l’objet !

COLAS, regardant du côté où est sortie Ninette.

Tâchons d ‘ l’apercevoir... j’ai beau lever la tête,

Pour ne rien voir je m’ crèv’ les yeux,

Allons, regagnons ma retraite ;

Que n ‘ puis-je laisser dans ces lieux,

Le souvenir de la coquette !

Il s’éloigne en regardant toujours s’il apercevra Ninette, et va heurter Émilie.

Ah ! Madame, pardon !... je pensais à Ninette.

ÉMILIE.

À Ninette ?

COLAS.

Oui... je suis bien malheureux !

ÉMILIE.

Vous connaissez Ninette ?

COLAS.

Ah ! je crois ben, morguenne !

C’est moi qui suis Colas, son amoureux.

ÉMILIE.

Vous !

COLAS.

C’est ben là vraiment ce qui m’fait de la peine.

Air : Du vaudeville de Psyché.

Elle avait toute ma tendresse,
Je croyais posséder son cœur ;
Mais v’là qu’tout-à-coupla traitresse
Me quitte pour un grand seigneur.
L’ingrate qui me sacrifie
Plus que moi perd au changement ;
Je trouverai maîtresse aussi jolie,
Trouvera-t-elle aussi fidèle amant ?

ÉMILIE, à part.

Nous éprouvons le même sort,

Et comme lui je suis trahie.

COLAS.

Convenez qu’Ninette a grand tort

De me fair’ cette perfidie.

Air : de Ninon chez madame de Sévigné.

Ces biaux messieurs parlent en maître,
Ils sont chez eux, ils n’craignent rien ;
Mais ailleurs on pourrait peut-être
Leur faire voir qu’on les vaut bien.
Oui, malgré leur tournure aimable,
Je puis le dir’, sans me vanter :
Y’en a pas un qui soit capable
De pouvoir me la disputer.

Ah ! madam’ ! si je lui parlais,

J’suis sûr que j’ la ramènerais.

Ell’ sent p’têtr’ déjà des regrets ?

ÉMILIE.

Mais l’on t’éloigne, je parie ?

COLAS.

Certainement.

ÉMILIE.

Peut-être qu’en effet,

Si sa maîtresse le voyait,

L’amour l’emporterait sur la coquetterie.

Essayons,

À Colas.

écoute je veux...

On vient ! sortons ; ailleurs je m’expliquerai mieux.

Elle emmène Colas.

 

 

Scène IX

 

NINETTE, FEMMES

 

NINETTE.

Elle est parée, les femmes portent une riche corbeille qu’elles posent sur une table. Deux domestiques apportent des flambeaux.

Air : valse du Barbier de Séville. (de Rossini.)

Ah ! quelle gêne !
Ah ! quelle peine !
Cette lourde robe m’entraîne ;
Cessez, de grâce,
Cela me lasse,
Je ne puis supporter cela.
Je sens combien la parure incommode !
Cette ceinture, hélas, m’étouffera ;
Ah ! quel tourment !

UNE FEMME.

Madame, c’est la mode. 

NINETTE.

Je ne vois rien à répondre à cela.

NINETTE et LE CHŒUR.

Ah ! quelle gêne, etc.

LES FEMMES.

D’un peu de gêne (bis.)
Il faut bien supporter la peine ;
À cette grâce,
Que rien n’efface,
La toilette ajoutera. (ter.)

 

 

Scène X

 

NINETTE, ALPHONSE, FEMMES

 

NINETTE.

Ah ! monseigneur, venez, de grâce,

On me fatigue, on m’embarrasse...

ALPHONSE.

Vous avez du chagrin ?

NINETTE.

Oui, je n’en aurais pas,

Si je voyais ici Colas,

Vous m’aviez promis...

ALPHONSE.

Quoi ! vous y pensez encore !

Souvenez-vous qu’Alphonse vous adore,

Laissez-lui du moins quelqu’espoir,

Songez bien qu’il pourrait user de son pouvoir,

Et cependant il vous implore.

Guidez ses pas, Fabrice, et surtout qu’en ce jour,

On étale à la pompe ses yeux de.ma cour.

FABRICE.

Madame...

NINETTE.

Quoi ?

FABRICE.

Mon bras.

NINETTE.

Que veut-on que j’en fasse !

Je vais bien toute seule, et ne suis jamais lasse.

ALPHONSE.

Cela donne meilleure grâce.

NINETTE.

Non, je marcherai bien malgré cet attirail,

Daignez seulement me conduire.

FABRICE.

Madame va sortir ?

ALPHONSE.

Prenez cet éventail.

NINETTE.

À quoi cela sert-il ?

ALPHONSE.

Je vais vous en instruire.

NINETTE.

Voyons.

ALPHONSE.

Pour la décence et pour la volupté,

C’est le meuble le plus utile :

Sur les yeux ce rempart fragile,

À la pudeur semble ouvrir un asile,

Et sert la curiosité.

En glissant un regard entre ses intervalles,

D’un coup d’œil juste, on peut en sûreté

Observer un amant, critiquer ses rivales ;

On peut, par son secours, en jouant la pudeur,

Tout examiner, tout entendre,

Rire de tout, sans alarmer l’honneur.

Son exercice est ce qu’il faut apprendre :

Son bruit sait exprimer le dépit, la fureur,

Son mouvement léger un sentiment plus tendre.

L’éventail sert souvent de signal à l’amour,

Met un beau bras dans tout son jour,

Donne un maintien, quand on sait prendre

Des aires nobles et naturels ;

Enfin, entre les mains d’une femme jolie,

C’est le sceptre de la folie,

Qui commande à tous les mortels.

NINETTE.

Tout cela fort peu m’intéresse,

Allons voir la Cour... seulement

N’oubliez pas Colas.

ALPHONSE.

Vous avez ma promesse.

À Fabrice.

Qu’on l’amène à l’instant.

Fabrice sort

 

 

Scène XI

 

ÉMILIE, au fond, ALPHONSE, NINETTE

 

ALPHONSE.

Vous allez voir chacun plein d’ardeur et de zèle

Inventer pour vous des plaisirs,

Dans vos yeux chercher vos désirs...

Je leur servirai de modèle.

ÉMILIE, s’avançant.

C’est un triomphe digne d’elle !

Je dois rendre moi-même hommage à ses appas.

ALPHONSE.

Émilie !

NINETTE.

Ah ! Madame, ici vous voulez rire.

ALPHONSE, embarrassé.

Madame...

ÉMILIE.

Ne vous gênez pas,

Si j’importune ici, Seigneur, je me retire.

NINETTE.

Restez, nous n’avons point de secrets entre nous.

ALPHONSE.

Rien ne peut démentir mes sentiments pour vous.

NINETTE.

Le Duc a des bontés dont je ne suis pas digne.

ALPHONSE, bas à Ninette.

Ninette !...

NINETTE.

Quoi ?

ALPHONSE, à Émilie.

Madame...

ÉMILIE.

Eh ! laissez-la parler.

Eh bien ?

NINETTE.

Oh ! non... l’on me fait signe.

ALPHONSE.

Qui, moi ?...

ÉMILIE.

Cessez de vous troubler :

Je ne viens point vous traiter de volage.

NINETTE.

Ah ! le Duc est son amoureux !

Je le vois bien. Ici l’on a donc l’avantage

De partager son cœur à deux ?

C’est encor un plaisant usage !

Le prince m’aime aussi, vraiment.

Il ne l’a bien juré.

ÉMILIE, au prince.

Ce n’était qu’une feinte,

Une plaisanterie ?

ALPHONSE, embarrassé.

Eh ! mais... assurément.

NINETTE, à Émilie.

Allez, n’ayez aucune crainte

De mon côté j’aime Colas.

ALPHONSE, regardant Ninette et Émilie.

Oui, je le fais venir... ainsi ne croyez pas...

ÉMILIE.

Je ne crois rien, je vous rends trop justice

Pour vous soupçonner...

ALPHONSE.

Quel supplice !

Bas à Émilie.

Je pensais que ces paysans

Par leur simplicité rustique,

Feraient avec nos courtisans

Des contrastes assez plaisants.

Bas à Ninette.

Ne dites mot.

ÉMILIE.

Ah ! la chose est unique !

Nous allons bien nous amuser ;

Voyons, voyons, faisons-la donc jaser...

Aimez-vous bien la Cour, mon petit cœur ?

Hein ?

NINETTE.

Faut-il répondre, Seigneur ?

ALPHONSE, d’un air inquiet.

Eh ! comme vous voudrez.

NINETTE.

Eh ! bien, je suis très lasse

Puisqu’il faut parler net, de ce pays maudit,

Où sans affaire on se tracasse

Où l’on mange sans appétit ;

Où sans dormir on reste au lit,

Où pour s’étouffer on s’embrasse

Où poliment on se détruit.

À Émilie qui rit.

Où d’un air triomphant on rit

Pour cacher un secret dépit,

Où la gaîté n’est que grimace,

Où le plaisir n’est que du bruit.

Air : Dans ma Chaumière. (de Koulouf.)

Dans mon village
L’on n’a pas tant d’civilité ;
Mais ce qui vaut bien davantage,
C’est la franchise et la gaité
De mon village.

Même air.

Ô mon village !
Je n’aurais pas dû te quitter ;
Je crois que de peur de naufrage,
Fillette sage doit rester
Dans son village.

ÉMILIE, avec dépit.

Elle a de l’esprit comme un ange !

Cette fleur vous ya mal, venez, que je l’arrange.

NINETTE.

Aye ! qu’elle aille bien ou mal,

Madame, cela m’est égal,

Et je ne cherche point à plaire.

ÉMILIE.

Elle est divine !

Voyons donc que je l’examine.

Elle la fait tourner devant elle.

Air : Ah ! vous avez des droits. (du Nouveau Seigneur.)

Vraiment, madame nous efface
Par ses attraits, cet air vainqueur ;
Ah ! que d’aisance ! que de grâce !
Dans son maintien que de grandeur !

Au prince.

Lorsque l’on a dans son village
Je conçois qu’on tienne à l’usage
Du plus joli droit du seigneur.

ALPHONSE.

Épargnons-la, Madame.

ÉMILIE, avec mépris.

Oui, c’est pourtant dommage

Qu’elle s’en retourne au village.

N’est-ce pas demain qu’elle part ?

NINETTE.

Non, non, ce soir tout au plus tard.

ÉMILIE.

Laissez-la donc songer à son voyage,

Surtout à son ami Colas...

Au Duc, qui paraît plongé dans la rêverie.

Sortons ; j’accepte votre bras...

Adieu, ma petite... ah ! ah ! ah !

Elle sort avec le Duc.

 

 

Scène XII

 

NINETTE, seule

 

La contrefaisant.

Adieu, ma petite !... ah ! ah ! ah !

Le beau sujet de rire que voilà !

Qu’elle garde son Duc, on n’en a point envie,

On ne l’a pas été chercher ;

Pleurant.

Je n’ai rien à me reprocher,

Qu’on me laisse partir, et j’en serai ravie.

Voyez, est-ce ma faute à moi ?

Si Colas me manquait de foi,

Au lieu de plaisanter comme elle,

Et d’aller rire au nez des gens,

J’en mourrais de douleur !... mais qu’est-ce que j’entends ?

Ah ! c’est lui ! c’est Colas ! qu’il va me trouver belle !

Voyons s’il me reconnaîtra Sous ces beaux ajustements-là.

Elle se retire dans le fond, pour observer Colas.

 

 

Scène XIII

 

NINETTE, COLAS

 

On entend des éclats de rire.

COLAS, à la cantonade.

Allez au diable ! Ô la maudite race !

Messieurs, ne pouvez-vous, de grâce ;

Laisser aller les gens en paix ?

Ah ! quel désordre !

Ils sont un tas de freluquets

Qui, comme des petits roquets

Après les gens cherchent à mordre...

L’un tire mon habit, un autre mon manteau ;

Le premier qui s’y frotte aura sur le museau.

Après moi, pourquoi donc tant rire ?

Comme les autres je suis mis ;

J’ai du clinquant, comme eux, sur mes habits,

Il se regarde.

Je n’y vois vraiment rien à dire.

NINETTE.

Tiens ! comme il fait de l’embarras !

Quels beaux habits ! quelle tournure !

Qu’il est plaisant ! la drôle de figure !

Approchons-nous... Colas, Colas.

COLAS.

Hein ?

NINETTE.

Il ne me reconnait pas !

COLAS.

Que me veut cette belle dame ?

NINETTE.

Je vais éprouver son amour.

Elle se couvre le visage de son éventail, et joue cette scène en contrefaisant sa voix.

Quel secret, s’il vous plaît, vous amène à la cour ?

COLAS.

J’y viens chercher Ninette.

NINETTE.

Hein ! Ninette !

COLAS.

Oui, madame.

Une fille d’honneur qui doit être ma femme,

Et qui m’a planté là.

NINETTE.

Cela ne convient pas.

COLAS.

Nenni, morgué !

NINETTE.

Mais ce doit être

Le moindre de vos embarras ;

Fait comme vous, on est toujours le maître

De faire un meilleur choix.

COLAS.

Mais... chacun vaut son prix.

NINETTE.

Beaucoup vous traiteraient avec moins de mépris,

Et je vous le dis en amie...

COLAS.

Oh ! c’est trop !...

NINETTE.

Je vous veux du bien.

COLAS.

Comment, sans me connaître ?

NINETTE.

Oh ! cela n’y fait rien ;

Vous avez un certain air de physionomie.

COLAS.

Madame, en vérité...

NINETTE.

Qui s’annonce très bien.

COLAS.

Oh ! quand à c’t’égard là... tredame !

NINETTE.

Beaucoup de politesse...

COLAS.

Oh ! ventregué, madame...

Air : Vaudeville de l’Intérieur d’une Étude.

Pour ce qu’est de la politesse,
Je ne fais rien que mon devoir ;
Là d’ssus j’ n’ai pas besoin qu’on m’ presse,
Au près du sex’ faut en avoir.
Avec les ſemm’s c’est ma manière,
J’suis un gaillard entreprenant,
La parole n’me manque guère
Quand il faut faire un compliment.

NINETTE.

Je veux vous avancer, mon cher, je vous assure.

COLAS.

On m’avait bien dit qu’à la cour,

Quand on savait présenter sa figure,

On faisait bien du chemin en un jour...

NINETTE.

Si vous voulez, votre fortune est faite.

COLAS.

Vraiment ! Que faut-il faire ?

NINETTE.

Il faut... m’aimer un peu.

En rougissant, je vous en fais l’aveu...

COLAS, à part.

Faisons semblant d’aimer cette coquette.

NINETTE, à part.

Il hésite !

COLAS, à part.

Morgué ! ça fera’ de l’éclat...

NINETTE, à part.

Je commence à douter de ton amour, ingrat !

Haut.

Eh bien ! consentez-vous à ce que je propose ?

Donnez-moi votre main...

COLAS.

Ah ! Madame, je n’ose.

NINETTE.

Quoi ! vous faites l’enfant... Allons...

COLAS.

Morgué ! la v’là.

NINETTE, se montrant et lui donnant un soufflet.

Ah ! traître ! je t’attendais là.

COLAS.

Quoi ! c’est Ninette que voilà !

Duo.

NINETTE.

Air : De la bourrée des deux Forçats.

Ingrat, désormais
Ninette t’abandonne ;
Autant que j’t’aimais
Maintenant je te hais.

COLAS.

Tiens, faisons la paix,
Ma Ninette, pardonne ;
Je te le promets,
Tu n’ te plaindras jamais.

NINETTE.

Porte ailleurs ta flamme
Bientôt, sur mon âme,
Quelque belle dame
Deviendra ta femme.

Ensemble.

NINETTE.

Ingrat, désormais, etc.

COLAS.

Tiens, faisons la paix, etc.

Ninette sort.

COLAS.

Ciel ! Monseigneur, cachons-nous vite.

Il se cache derrière une colonne.

 

 

Scène XIV

 

ALPHONSE, COLAS caché

 

Ah ! Ninette, arrêtez... la cruelle m’évite,

Et n’a pour moi que des rigueurs !...

Que je viens de souffrir du tourment d’Émilie !

Je l’ai vu soupirer et dévorer des pleurs,

Lui causerai-je encor de nouvelles douleurs ?

Mais, si je perds Ninette, il y va de ma vie...

Ah ! l’amour, à son gré, dispose de nos cours.

Air : Simple, innocente, etc. (de la Fête de village.)

En vain la raison me répète
Et mes serments, Émilie, et ton nom ;
J’aime... et plus fort que la raison,
L’amour dit toujours Ninette.
Hélas ! Émilie
Sera-t-elle donc trahie ?
Non, je dois écouter l’honneur
Et quitter Ninette...
Mais l’amour toujours répète
Ce nom plein de douceur. (bis.)
Hélas ! je le sens dans mon cœur,
L’amour l’emporte sur l’honneur.

 

 

Scène XV

 

ALPHONSE, FABRICE, COLAS

 

FABRICE.

Seigneur, Seigneur, bonne nouvelle !

À la gentille pastourelle

J’ai proposé le rendez-vous ;

Et vous pouvez, grâce à mon zèle,

Compter sur un instant si doux.

ALPHONSE.

Quoi ! Ninette viendra ?

COLAS, à part.

Serait-elle coupable ?

ALPHONSE.

Je puis espérer que ce soir ?

FABRICE.

Dans l’instant vous allez la voir.

COLAS, à part.

Le moment est favorable.

Avant de faire aucun éclat,

Cachons-nous là-dessous... Comme le cœur me bat !

Il se met sous la table.

ALPHONSE.

Et comment se fait-il ?...

FABRICE.

S’il faut être sincère,

Je dois l’avouer, Monseigneur,

Le dépit pour beaucoup entre dans cette affaire ;

Vous lui devez cette faveur.

Mais qu’importe, après tout, vous touchez au bonheur...

Elle s’approche ; je vous laisse.

Il sort, en faisant à Ninette des signes d’intelligence.

 

 

Scène XVI

 

COLAS, caché, NINETTE, ALPHONSE

 

NINETTE.

Me voici, Seigneur.

ALPHONSE.

Quel plaisir !

Vous vous rendez à ma tendresse !...

NINNETTE, à part.

Je n’ai pas vu Colas sortir...

COLAS, sous la table.

Des yeux suivons bien la traîtresse.

NINETTE, l’apercevant.

C’est lui !... De ses soupçons faisons-le repentir.

Au Duc.

Vous êtes inquiet ?

ALPHONSE.

Je crains que la Comtesse...

Je ne vous cache pas qu’elle sait m’attendrir.

NINETTE.

Vraiment !

Elle éteint les bougies. Nuit complète.

COLAS.

Ô ciel ! elle éteint les bougies !

Pauvre Colas ! Ah ! je suis mort.

Pour séduire son cour, on a jeté queuqu’ sort,

Car c’est ici le pays des magies.

NINETTE, au Duc.

Sans contrainte, à présent, nous pouvons nous parler ;

Personne, je le crois, ne viendra nous troubler.

Voyons, qu’avez-vous à me dire ?

ALPHONSE.

Vous connaissez mon amour et mes vœux,

Vous vous plaisez à causer mon martyre.

NINETTE.

Non, je voudrais vous voir heureux ;

Il ne tiendrait qu’à vous.

ALPHONSE.

Qu’à moi ? que faut-il faire ?

NINETTE.

Attendez un moment.

Elle s’éloigne.

 

 

Scène XVII

 

COLAS, ALPHONSE

 

ALPHONSE.

Eh bien ! pourquoi vous taire ?

Vous me quittez ! vous trompez mon espoir ?

Où donc êtes-vous ?

 

 

Scène XVIII

 

COLAS, NINETTE, ÉMILIE, ALPHONSE

 

NINETTE, bas à Émilie, qu’elle amène doucement.

Chut ! venez on n’y voit goutte.

ALPHONSE.

Ninette !

NINETTE.

Me voici, Monseigneur ; je vais voir

Si tout est bien fermé, je crains que l’on n’écoute.

COLAS, sous la table.

Nous voilà dans la crise !

NINETTE, plaçant Émilie près du duc.

Avancez doucement.

ALPHONSE.

Plaît-il ?... je vous retrouve.

Il prend la main d’Émilie.

COLAS.

Ah ! queu cruel moment !

ALPHONSE, à Émilie, croyant parler à Ninette.

J’ai désiré longtemps, un cœur sans imposture,

Un cœur simple, ingénu, trésor de la nature,

Ce bonheur qu’à la cour on n’a point éprouvé,

Ce bien si pur...

NINETTE, par dessus l’épaule d’Émilie.

Monseigneur l’a trouvé.

ALPHONSE.

Eh quoi ! vous partagez mon amour, mon ivresse ?

Voilà le plus beau de mes jours !

Et cette main que sur mon cœur je presse...

NINETTE.

Elle est à vous et pour toujours.

Morceau d’ensemble.

Air : Quand on attend sa belle. (de Joconde.)

ALPHONSE.

Mon bonheur est extrême !
Auprès de ce que j’aime,
J’obtiens, loin des jaloux,
Un secret rendez-vous.

ÉMILIE

Ma douleur est extrême
C’est une autre qu’il aime.
Ah ! pour un cœur jaloux,
Le fâcheux rendez-vous.

COLAS.

Ah ! quelle peine extrême,
C’est un autre qu’elle aime !
Et je suis là-dessous
Témoin du rendez-vous.

ALPHONSE.

Je le jure
Ma flamme est pure,
Mon cœur est sans détours,
Et vous serez toujours
L’objet de mes amours.

ÉMILIE.

Le parjure !
Ah ! quelle injure !
Voilà bien ses discours.
Ils devaient nos amours
Aussi durer toujours.

ALPHONSE.

Vous couronnez ma tendresse,
Quel bonheur inattendu ! (bis.)

NINETTE.

Mon Colas est confondu.

COLAS.

Elle se tait... la traitresse !
Ah ! je suis... je suis perdu.

ALPHONSE.

Vous n’êtes pas insensible
Vous croyez à mes serments ;
Vraiment il m’est impossible
D’exprimer ce que je sens.
Ah ! quel bonheur
J’ai su toucher son cœur.

ÉMILIE.

Ah ! mon rôle est trop pénible !
Il a trahi ses serments !
Vraiment il m’est impossible
De demeurer plus longtemps.
Et je ne dois qu’à son erreur
Son cœur.

NINETTE.

Je ris !... il est impossible
Que j’y tienne plus longtemps.
Vraiment, il m’est impossible
D’y résister plus longtemps.
Je ris !...il croit toucher mon cœur.
Ah ! détruisons son erreur.

COLAS.

Ô ciel ! moment terrible !
C’est un baiser que j’entends.
Impossible, impossible
Que je reste plus longtemps.
Sortons, j’suis au combl’ du malheur,
Ah ! j’enrage de bon cœur,
Oui, de bon cœur.

À la fin du morceau, Ninette va au fond du théâtre donner un signal ; aussitôt les portes s’ouvrent, et l’on voit les jardins illuminés ; toute la cour s’avance. Des valets avec des flambeaux éclairent la scène.

 

 

Scène XIX

 

COLAS, NINETTE, ÉMILIE, ALPHONSE, FABRICE, SEIGNEURS et DAMES

 

ALPHONSE, aux pieds d’Émilie.

Ô ciel ! qui s’offre à ma vue ?

COLAS.

Ah ! morguenne ! ai-je la berlue !

NINETTE.

Nous venons prendre part à votre heureux destin.

COLAS.

Jarni ! que voilà bien un tour féminin !

ÉMILIE, au duc.

Je dois vous épargner...

ALPHONSE.

Demeurez, Émilie.

Nos cœurs ne sont point faits pour être séparés ;

En rappelant mes sens trop longtemps égarés

Ninette a décidé du bonheur de ma vie.

NINETTE, à Colas.

Toi, ne sois plus jaloux, songe à te corriger,

Touche là... C’est ainsi que je sais me venger.

ALPHONSE.

Puisque ce soir, au gré de mon envie,

J’obtiens enfin ce prix flatteur,

Que chacun en ces lieux célèbre mon bonheur.

 

 

Divertissement

 

Vaudeville.

COLAS.

Air Ronde de la Bergère châtelaine.

Je r’gagnons not’ retraite,
Monseigneur à son tour
Viendra p’t’être en cachette
Nous visiter queuqu’ jour ; 
Ma Ninette est bien sage,
J’ comptons sur votre honneur,
Mais on jase au village,
Et des caquets j’ons peur...
Pour la paix du ménage,
Monseigneur, voyez-vous,
Restons chacun chez nous.

NINETTE.

Il nous faut à la ronde,
Avant d’ quitter ces lieux,
Colas, à tout le monde
Faire ici nos adieux.

Au Public.

Ô vous, dont la prudence,
Pour servir son courroux,
Port’ c’t instrument d’ vengeance,
De grâce, éloignez-vous.
Mais vous, dont l’indulgence
Donn’ ces bravos si doux,
Restez toujours chez nous.

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