Molière avec ses amis (Jacques-André JACQUELIN - Antoine-François RIGAUD)

Comédie historique en deux actes et en vaudevilles.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre des Jeunes-Artistes, le 28 janvier 1801.

 

Personnages

 

BOILEAU DESPRÉAUX

MOLIÈRE

LA FONTAINE

BARON

CHAPELLE

MONDORGE, aveugle

ANTOINE, jardinier de Boileau

MATHURINE, fiancée à Antoine

MAGISTER

PAYSANS

PAYSANNES

 

La scène se passe à Auteuil, dans la maison de Boileau. 

 

COUPLET D’ANNONCE

 

Air : La bonne chose que le Vin.

Le Théâtre est un repas ; mais,
Chacun, au gré de son envie,
En payant, y choisit ses mets :
Le premier, c’est la Comédie,
Et le second la Tragédie ;
Les Couplets en sont le dessert,
Après avoir goûté des nôtres ;
Ne renversez pas le couvert,
Pour aller manger des deux autres.

 

 

ACTE I

 

Le Théâtre représente un jardin, des arbres et des fleurs. Au fond, une grille, et à gauche du Spectateur, la maison de Boileau.

 

 

Scène première

 

ANTOINE, MATHURINE

 

ANTOINE.

Enfin, Mathurine, c’est donc demain que j’allons être unis ?

MATHURINE.

Hélas !

ANTOINE.

Qu’ veux-tu dire avec ton hélas ! est-ce que tu ne serais pas ben aise de devenir not’ femme ?

MATHURINE.

Tu ne m’ comprends pas, Antoine ; c’est, qu’ vois-tu, quoiqu’ d’ici à demain matin, il n’y ait pas grand temps à attendre, j’ trouvons que c’est encore ben long et j’ voudrions qu’ça fut déjà bâclé.

ANTOINE, en riant.

Pour me faire endéver pus à ton aise, n’est-ce pas ?

MATHURINE.

Monsieur Antoine, qu’vous êtes méchant ! vous prêtez toujours de mauvaises intentions au monde.

ANTOINE.

Allons, Mathurine, fi ! que c’est vilain d’ vous fâcher ! n’ vois-tu pas que c’est pour rire ? tu sais ben toi-même que j’sis aussi désireux qu’toi que st’ affaire-là soit terminée, mais ça ne peut pas aller pus vite ; quoique j’ soyong fiancés toi et moi, y faut encore une p’tite çarimonie par d’ssus le marché. M’est avis qu’y faut prendre le temps en patience, nous attrister, ça ne nous servirait de rien, par ainsi pour nous égayer tous les deux, viens m’embrasser ; p’tite boudeuse.

Mathurine l’embrasse.

Oh ! comme c’est bon, un baiser, la veille d’un mariage.

MATHURINE.

Plus que l’lendemain, n’est-ce pas ?

Air : Que mon âge et mes cheveux blancs.

L’amour qui fait notre bonheur
L’ plus souvent n’est qu’une chimère
Ah ! c’te délicieuse erreur
Passe comme une ombre légère ;
N’ voit-on pas toujours le désir
S’éteindre par la jouissance ?
Car, en donnant tout au plaisir,
On ôte tout à l’espérance.
(bis.)

ANTOINE.

Oh, dans mon fortuné destin
Dont l’aurore à luire commence
Heureux un jour... du lendemain
Je conserverai l’espérance.
(bis.)

MATHURINE.

J’ vois qu’tas raison, il n’y a que moi qui ait tort.

ANTOINE.

Mais, à propos de not’ mariage, j’allons avoir un fier honneur, va.

MATHURINE.

Que veux-tu dire ?

ANTOINE.

J’ n’ sommes qu’un pauvr’ jardinier d’Auteuil, mais j’ suis sûr et certain que ça f’ra du bruit dans le monde.

MATHURINE.

Eh bien ! qu’est-ce ?

ANTOINE.

Ah oui, fort bien ! qu’est-ce ?... déjà de la curiosité.

MATHURINE.

Dam’ ! aussi c’est toi qui l’as fait venir.

ANTOINE.

Tiens, laisse-moi, j’aimons mieux t’ ménager une surprise.

MATHURINE, lui passant la main sous le menton.

Mon cher petit Antoine, j’ ten prie, dis-le-moi.

ANTOINE.

Mon cher petit Antoine ! par ma fine, il faudrait avoir l’ cœur plus dur qu’un vrai caillou pour résister à ça. Les filles ! ça vous a un secret pour enjôler les hommes : eh ben ! écoute : Tu connais ben ces messieurs qui v’nons si souvent ici, voir monsieur Boileau mon maître ?

MATHURINE.

J’ les ons vu queuqu’ fois.

ANTOINE.

Apprends donc qu’ils s’ront de not’ noce.

MATHURINE.

Ils seront de not’ noce ?

ANTOINE.

Eh oui ! palsanguienne, ils en seront ; not’ maître l’eux a dit comme ça que j’ devions t’épouser, et eux ils ont répondu tout d’ suite qu’ils voulions en être, qu’ils voulions voir comment qu’ça se passait, une noce de campagne.

MATHURINE.

M’est avis que ça se passe comme à la ville.

ANTOINE.

Eh bien ! c’est ce qui te trompe.

Air : De la contredanse la Chimène.

Car dans ce pays-là, Mathureine,
C’est pour l’argent que l’cœur fait tic-tac ;
Quand on se marie, on s’ connait à peine,
Et ce qu’on épouse, c’est un sac.

Aussi dans c’ vilain mariage,
On n’saime pas du tout, vraiment ;
D’un côté, l’époux est volage,
Du sien, la femme en fait autant.

Oui, dans ce pays-là, Mathureine, etc.

MATHURINE.

Serait-il bien possible que les habitants de la ville soyons tous comme ça ?

ANTOINE.

C’est comme je te l’ dis.

MATHURINE.

En ce cas, je te défends d’y remettre les pieds.

ANTOINE.

Pourquoi donc ?

MATHURINE.

J’ n’ voulons pas qu’t’y retournes, tu n’aurais qu’à leur ressembler et ne plus aimer que l’argent.

ANTOINE.

Tes appas s’ront toujours le tarif ousque je verrai ma richesse.

MATHURINE.

Tu me rassures. – Dis-moi donc une chose, Antoine, comment que ça s’appelle le commerce de ces braves gens qui se sont invités à not’ noce ?

ANTOINE.

Le commerce ?

MATHURINE.

Oui, leux métier ?

ANTOINE.

Attends un peu que j’ m’avise, ça s’ nomme... tiens ils font comme mon maîtr’ ; ils lisont aussi dans l’ grimoire... ils sont poëtres, à ce que j’ crois.

MATHURINE.

Et qu’est-ce que c’est que d’être poëtre ?

ANTOINE.

Oh ! qu’est-ce que c’est... qu’est-ce que c’est ? ça n’est pas ben malin, va... c’est... c’est... c’est d’ faire comme si on était fou. Tu n’entends p’t’être pas, mais tu en sauras tout à l’heure tout autant que moi ; regarde et écoute-moi ben seulement.

Air : Nouveau de la composition du cit. Robineau.

St’ila qui fait des volumes,
Il l’y faut du papier,
Un’ table, un encrier,
Un canif avec des plumes,
Alors, il s’ met à son métier :
Quand quelque chose l’arrête,
Tout d’suite il s’ gratte la tête,
Il s’lève, il s’assied,
Il frappe du pied,
Et puis il s’ mord vingt fois,
Les doigts.
Il est content
Un instant
Et puis après
Sur nouveaux frais,
Quitt’ sa place,
Et fait la grimace ;
Enfin il écrit...
Eh bien ! je t’ai dit,
Comme on fait de l’esprit.

MATHURINE.

Quoi ! ça n’est pas plus difficile que ça ? tu pourrais donc être poëtre, si tu voulais ?

ANTOINE.

Ma fine ! tout comme, un autre, si j’ savais seulement lire et écrire, ah mon dieu ! que j’ frais de belles choses !

MATHURINE.

Et s’ront-ils beaucoup, ces messieurs poëtres, qui v’nons à not’ noce ?

ANTOINE.

J’ crois qu’ils s’ront quatre.

MATHURINE.

Que quatr’ ? c’ n’est guères.

ANTOINE.

Tatigué, Mathurine, comm’ t’y vas ; combien t’en faut-il donc ? tu n’ sais donc pas que c’ sont les plus fiars esprits de toute la France.

MATHURINE.

Voyez-vous, ça ?

ANTOINE.

Déjà d’abord et d’un, il y aura monsieur Molière, qui fait des comédies ; monsieur Baron, qui joue la tragédie ; nous aurons de plus monsieur Chapelle, c’ bon vivant à qui il arrive quelquefois d’bouter not’ bon maît’ tellement en train que ma fine...

Il fait le geste d’un homme qui est gris et qui chancelle.

et c’ bon monsieur La Fontaine, à qui les autres font toujours un tas de niches.

MATHURINE.

Ah, mon dieu ! queu plaisir j’allons avoir ! Antoine, il m’ vient une idée.

ANTOINE.

La queule ?

MATHURINE.

J’allons trouver l’ Magister de not’ endroit et j’ le prierons de nous faire un p’tit compliment pour ces messieurs, à seule fin d’ les remercier de l’honneur qui nous font... à cause du plaisir...

ANTOINE.

C’est ben penser ; tu l’y en d’mand’ras un aussi pour moi. V’là l’heure où monsieur Boileau, vient s’promener dans ce jardin tout en travaillant, adieu Mathurine ; songe que d’main j’aurons ben d’ la joie, et tu trouv’ras l’ temps moins long.

MATHURINE.

Bonsoir, mon cher Antoine.

ANTOINE.

Bonsoir, ma chère petite Mathurine.

Mathurine sort en le regardant.

 

 

Scène II

 

ANTOINE, seul

 

Jarnigoi ! que j’ sis un gaillard ben avisé ! j’épousons une jeune fille toute gentille, c’est sage, c’est range ; ça n’quitt’rait pas l’ bon chemin pour tout l’or du monde, jamais elle ne batifole avec d’aut’ garçon du village qu’avec moi ; elle m’aime comme ses yeux, qui, par parenthèse, sont ben beaux ; moi j’ l’aime itou comme j’ n’ peux pas dire, et par dessus tout ça, j’ vais avoir à ma noce, des savants, des biaux esprits, des poëtres !... Antoine ! mon ami Antoine, qu’ vous êtes heureux ! comme les aut’ garçons d’Auteuil vont être jaloux d’ moi ; comme il vont me respecter... j’ vas être le plus brave de l’endroit ! Mathurine et 600 francs, c’est tout autant que not’ maître me donne demain ; après la noce, chacun s’en vient à moi et m’ fait des compliments des falicitations... des... que sais-je moi ?

Air : Ah ! que je sens d’impatience.

Serviteur, à monsieur Antoine
L’ jardinier de monsieur Boileau,
Moi, content, joyeux comme un moine,
J’ vous tire aussitôt mon chapeau ;
Car maugré la richesse,
Y faut d’ la politesse,
Quoiqu’ ben des gens ma foi,
N’ pens’ pas comm’ moi.
Après vient la panse,
Et la danse,
On vous met son plus bel habit,
Et jusqu’à la nuit,
On s’amuse, ont rit :
Mais j’ dis qu’à minuit,
L’amour s’introduit,
Dans mon p’tit réduit,
Sans suite et sans bruit,

Ah mon dieu !... mon dieu ! quand j’ songe à c’te journée de d’main.

D’avance, (ter.) j’perds l’esprit. (ter.)

Mais, chut ! voici mon maître qui vient retrouver le sien dans les allées de son jardin... justement il paraît ben occupé... il a l’œil hagard : peste ! у n’ ferait pas bon l’aborder. Allumons ces lampions, quand ces messieurs, ses amis, v’nons ici ils aimont à souper en plein air, surtout quand l’ temps est aussi beau que ce soir.

Antoine allume lentement les lumières qui sont suspendues aux arbres du jardin.

 

 

Scène III

 

ANTOINE, BOILEAU, sortant de sa maison, un papier et un crayon à la main, et marchant d’un pas grave

 

BOILEAU.

Ce début ne me paraît pas mauvais, relisons-le :

« De tous les animaux qui s’élèvent dans l’air,

« Qui marchent sur la terre, ou nagent dans la mer,

« De Paris au Pérou, du Japon jusqu’à Rome,

« Le plus sot animal, à mon avis, c’est l’homme.

J’ai eu bien longtemps envie de changer mon dernier vers, peut-être eut-il été plus vrai de dire que l’homme est le plus méchant de tous les animaux.

Air : Que d’orgueil prompt à s’enivrer.

Des hommes, dans tous les climats,
La conduite est vraiment affreuse,
Partout où l’on porte ses pas,
On voit la vertu malheureuse ;
Je songe à nos premiers parents,
Ils n’étaient que trois sur la terre ;
C’était l’âge d’or, l’heureux temps,
Et Caïn égorge son frère.

ANTOINE, dans le fond du théâtre.

Le v’là joliment en gaité pour recevoir son monde.

BOILEAU.

C’est toujours lorsque la sottise domine que se commettent les plus grands crimes ; ainsi, laissons le plus sot animal, à mon avis, c’est l’homme.

ANTOINE, en s’approchant un peu.

Pourquoi le ciel ne m’a-t-il pas fait riche, là, seulement comme mon maître, je m’ gobarg’rais Itou des aut’shommes j’ crois que j’en dirions pis qu’ pendre ; car, au fait, ils ne valons pas grand’chose.

BOILEAU.

C’est toi, Antoine, avec qui parlais-tu donc ?

ANTOINE.

Par ma fine ! not’ maître avec moi tout seul, et si vous l’ voulez, j’ m’en vas vous dégoiser d’bout en bout la conversation que j’ nous tenions par forme d’entretien ; j’ vous ons entendu débiter queuqu’une de ces p’tites drôleries qu’ vous faites ordinairement, vous y disiez du mal des autres hommes, suivant vot’ usage, et ça nous a fait faire eune réflexion.

BOILEAU.

Quelle est-elle ?

ANTOINE.

Air : Lucas un jour en son chemin.

C’est qu’c’est un grand bonheur pour vous,
De ne dépendre de parsonne,
Et de n’ pas travailler comm’ nous,
L’été, l’hiver, l’ printemps, l’automne.
(bis.)
Et comm’ désirer n’coute rien,
Excusez mon audace
Je souhaitions d’avoir vot’ bien
Et d’vous voir à ma place...
(bis.)

BOILEAU.

Va, mon ami, tu ne sais pas ce que tu désire ; crois moi, si je pouvais changer mon sort avec le tien, je le ferais volontiers.

Air : De l’Opéra comique, je vous comprendrai toujours bien.

Ah ! je t’en donne ici ma foi,
Tu quitterais bien ce langage,
S’il te fallait ainsi que moi,
Pâlir six mois sur un ouvrage :
En vers avoués d’Apollon,
Embellir jusqu’aux moindres choses,
Et du plus aride chardon,
Faire des œillets et des roses.

ANTOINE.

Eh ben ! moi qui suis de l’état du jardinage, je n’ me vant’rais pas de faire ce que vous dites-là.

BOILEAU.

Et si tu savais le courage qu’il faut avoir, les efforts qu’il faut employer pour soutenir le bon goût ?

ANTOINE.

Non, v’là qu’est fini, j’ n’ voulons plus nous en mêler.

BOILEAU.

Un critique sévère, mais juste, fait-il voir que dans ces nombreux et mauvais ouvrages qui paraissent de nos jours, on choque le bon sens, on blesse la vérité ; la haine et les injures des sots, voilà le prix qui l’attend.

ANTOINE.

Not bon maît’, prenais que je n’ai rien dit ; ne m’ faites pas poëtre, j’ vous en conjure, et laissez-moi, de grâce, ma bêche et mon ratiau.

BOILEAU.

Eh oui, mon ami ! continue de faire pousser des arbres et des fleurs ; les fleurs, par exemple, ne sont-elles pas une source continuelle de réflexions gaies et philosophiques ?

ANTOINE.

Comment donc ça, not’ maître ?

BOILEAU.

Air : La fuite en Égypte jadis.

Dans ce jardin sur chaque fleur,
En me promenant je raisonne ;
Le pavot m’offre maint auteur,
Je vois un fat dans l’anémone ;
Ici j’aperçois des soucis,
Des gueules de loup magnifiques ;
Je laisse les uns aux maris,
Et les autres aux politiques.

Avec orgueil, mais sans odeur,
La tulipe élève sa tête ;
Un brillant habit fait honneur,
Fût-il porté par une bête.
Le lys me peint la majesté,
Et l’immortelle la constance,
La tubéreuse la fierté,
La sensitive, l’innocence.

ANTOINE.

Moi, je n’ai jamais vu dans les fleurs un tentinet de ce que vous y trouvez ; ah ! s’tapendant, v’là que j’me ravise.

Il va cueillir une rose.

Air : Nous sommes précepteurs d’amour.

La rose à mes yeux satisfaits,
Offre l’image de ma belle,
J’y trouve avec tous ses attraits,
L’ parfum que j’ respire auprès d’elle.

BOILEAU.

Tu l’épouses demain, ta Mathurine ; elle t’aidera à supporter les peines de la vie ; tu auras des enfants, ils seront bons et honnêtes comme toi et feront ta consolation ; dis encore que tu n’es pas heureux.

ANTOINE.

Ah ! rien que d’y penser, ça m’fait un plaisir, ça m’ boute une joie au cœur !... pour être heureux itou, not’ cher maître, pourquoi qu’vous n’ faites pas comm’ moi, pour quoi qu’ vous vous mariez pas, ça vous empêcherait p’t’être de dire du mal des femmes, comm’ c’ que vous m’avez lu l’aut’ jour.

Boileau poussé un long soupir.

Mais j’entends du bruit, serais-ce ces messieurs de Paris ?

BOILEAU, tirant sa montre.

Cela pourrait bien être, sais-tu qu’il est près de neuf heures ?

ANTOINE.

Je n’ me trompe pas, j’entends la voix de monsieur Chapelle, oh dam’ ! c’est un gaillard qui n’engendre pas de mélancolie c’tilà. Je m’ retire, au milieu de tant d’ biaux esprits j’ sens ben que je n’ serais qu’un sot. Si vous avez besoin de moi, vous m’appellerez.

Il sort.

 

 

Scène IV

 

BOILEAU, MOLIÈRE, CHAPELLE, BARON

 

CHAPELLE.

Tiens, mon cher Baron, je t’en conjure, cesse de me parler de tragédies.

Air : Mon père était pot.

Il est assez d’occasions,
De pleurer dans la vie,
Sans chercher des afflictions,
Dans une tragédie ;
Vive la gaité,
Car c’est la santé.
Ainsi donc je puis dire,
Qu’il est très certain,
Qu’un bon médecin
Est l’Auteur qui fait rire.

N’est-il pas vrai, Molière ? 

MOLIÈRE.

Je suis de ton avis, Chapelle.

BARON.

Allons, Molière, vous ne pouvez pas être juge et partie.

CHAPELLE, à Boileau.

Bonsoir, notre ami ; eh bien ! nous feras-tu faire bonne chère, dis-moi ?

MOLIÈRE.

Quoique Chapelle ait diné copieusement, je t’annonce qu’il a un appétit formidable.

CHAPELLE.

Est-ce que mon estomac a de la mémoire ?

BOILEAU.

Nous tâcherons de te satisfaire.

MOLIÈRE, à Boileau.

Et tu feras bien, si tu neveux pas encourir le reproche que Chapelle fit ces jours derniers à un fesse-mathieu de sa connaissance, qui l’avait invité à dîner, et qui le fit mourir de faim.

CHAPELLE.

Aussi, ai-je fait contre lui une épigramme !...

MOLIÈRE.

Une épigramme ? bravo ! Chapelle : on ne doit se venger d’un avare, que par le ridicule... et le mépris.

CHAPELLE.

Air : Du vaudeville de l’Opéra Comique.

Les avares, je te le dis,
Craignent les traits du ridicule,
Peu leur importe le mépris...

MOLIÈRE, l’interrompant.

Le mépris est une pilule,
On l’avale sans se fâcher,
Mais quoiqu’on dise on bien qu’on fasse,
On ne peut guères la mâcher,
Sans faire la grimace.

CHAPELLE, à Boileau.

Ah ça, nous amuserons-nous bien aujourd’hui chez toi ?

BOILEAU.

Mais, Chapelle, je ne crois pas que la tristesse soit jamais aux lieux où tu te trouves.

BARON.

Il est vrai qu’il est souvent d’une folie !...

CHAPELLE.

Mille fois préférable à la sagesse, mon cher Baron.

Air : Du Défi.

La jeunesse de la nature,
Se renouvelle tous les ans ;
À la saison de la froidure,
On voit succéder le printemps ;
Mais les hommes, dans leur vieillesse,
Doivent dire avec un soupir :
Tu nous as fui, belle jeunesse,
Hélas ! pour ne plus revenir.

Ainsi, jouissons de la vie,
Quand on la perd c’est pour toujours :
Amis, le temps nous y convie,
Mettons à profit nos beaux jours ;
Conduisant Bacchus à Cythère,
Faisons envier notre sort ;
Plus l’on prend de plaisirs sur terre,
Plus on se dérobe à la mort.

BOILEAU, à Chapelle.

C’est bien penser.

À Molière.

La Fontaine est-il revenu de Château-Thierry ?

MOLIÈRE.

Ce matin.

BOILEAU.

Et vous ne l’avez point amené avec vous ? je vous en veux beaucoup.

BARON, à Molière.

Ne nous grondez pas, le voici.

 

 

Scène V

 

BOILEAU, MOLIÈRE, CHAPELLE, BARON, LA FONTAINE, la tête baissée

 

BOILEAU.

Pourquoi donc arriver si tard, mon ami ?

MOLIÈRE.

Oui : pourquoi ne t’ès-tu pas trouvé au rendez-vous, pour venir chez Boileau tous ensemble.

LA FONTAINE.

J’ai oublié l’heure.

CHAPELLE, en riant.

Mais tu arrives bien tard, sais-tu bien que nous allions nous mettre à table, sans toi ?

LA FONTAINE.

Ah ! voyez-vous, c’est que j’ai pris le plus long.

BOILEAU.

Pour aller à l’académie, à la bonne heure ; mais pour venir chez tes amis, cela n’est pas bien.

CHAPELLE.

Dis-nous, La Fontaine, ton voyage en Champagne a-t-il produit un bon effet ?

LA FONTAINE.

J’ai suivi votre conseil.

BARON.

En sorte que la paix est faite avec madame La Fontaine ?

LA FONTAINE.

Air : Du petit Vaudeville.

Le repentir dans l’âme,
Hier, en bon mari,
Je fus pour voir ma femme,
Jusqu’à Château-Thierry :
Mais jugez de ma peine,
Ô chagrin, s’il en fut !
Madame La Fontaine...

TOUS.

Eh bien !

LA FONTAINE.

Elle était au salut.

Ils se mettent à rire.

Oh ! ce sera comme si je l’avais vue, lorsqu’elle apprendra le motif de mon voyage.

Air : Contentons nous d’une simple bouteille.

Il suffira, pour calmer sa colère,
Ainsi que moi, je sais qu’elle est sans fiel :
Mais, répondez, pouvais-je la distraire,
Lorsqu’à genoux elle implorait le ciel ?
À votre avis, pour lui prouver mon zèle,
Fallait-il donc l’arracher du saint lieu ?
Et désirant me bien mettre avec elle,
Devais-je, enfin, la brouiller avec Dieu ?

MOLIÈRE.

Non, non ; mais dis nous donc, La Fontaine, quelle est la cause de la grande colère de ta femme contre toi ?

CHAPELLE.

Il n’oserait pas vous le dire, je vais parler pour lui : c’est une infidélité que La Fontaine lui à faite.

BARON et BOILEAU.

Serait-il vrai ?

LA FONTAINE.

Ah ! mon dieu, oui.

CHAPELLE.

Elle vit habituellement à Château-Thierry, et La Fontaine à Paris, en conscience peut-elle se plaindre ?

MOLIÈRE.

C’est que de près comme de loin, les femmes se montrent jalouses de leurs droits.

LA FONTAINE.

En cela, elles sont à peu près comme nous autres hommes.

MOLIÈRE.

La Fontaine a raison.

Air : Du vaudeville de Champagnac et Suzette.

L’hymen est un dieu délicat,
Au-dessus de ce qu’on peut dire,
Il prétend entamer le plat,
Dont chacun en secret désire,
Et considérez à quel point,
Son injustice est manifeste,
Ne mangeant plus, il ne veut point,
Souffrir qu’on tâte de son reste.
(bis.)

LA FONTAINE.

À propos, Molière, ta santé comment va-t-elle ?

MOLIÈRE.

Elle est toujours bien délabrée.

BARON.

Tu travailles trop.

BOILEAU.

Tu dois te ménager davantage ; car enfin, si nous avions le malheur de te perdre, qui pourrait jamais te remplacer ?

MOLIÈRE.

Tous ceux qui, comme moi, voudront étudier le cœur humain, l’homme est toujours le même en tout temps ; mais le vice en son âme se reproduit sous mille formes différentes, et dans cent ans, mes successeurs pourront trouver des ridicules à combattre et des vices à déraciner.

CHAPELLE.

C’est fort bien raisonné ; mais à table on raisonne encore mieux.

MOLIÈRE.

Mes amis, je suis au régime, et ma santé ne me permet pas de rester avec vous : amusez-vous bien ; mon plus grand regret est de ne pouvoir pas prendre part à un festin aussi agréable. Un peu de lait, voilà tout ce que je veux.

BARON.

Eh mais ! que ne le prends-tu à notre table ?

MOLIÈRE.

Non, je me sens en train de travailler, je veux avancer mon Avare : j’ai un théâtre à soutenir ; sans moi, que deviendraient mes camarades, je me reprocherais d’avoir négligé un seul jour de leur être utile.

CHAPELLE, le retenant.

Tu travailleras demain, ne songe qu’à t’amuser aujourd’hui.

MOLIÈRE.

Air : La foi que vous m’avez promise.

Je ne puis vous être agréable ;
Sans moi, faites votre soupé :
On n’aime point, surtout à table,
Quelqu’un toujours préoccupé.

CHAPELLE.

Mon ami, quelle erreur t’égare :
Allons donc, demeure avec nous.

MOLIÈRE, affectueusement.

Mon esprit est dans mon Avare,
Mais mon cœur reste parmi vous.

Il rentre dans la maison.

 

 

Scène VI

 

BOILEAU, CHAPELLE, BARON, LA FONTAINE

 

BOILEAU.

Le mauvais état de sa santé me fait vraiment de la peine.

LA FONTAINE.

Ah mon dieu ! s’il allait mourir.

BOILEAU.

Quelle perte pour les lettres !...

BARON.

Je trouve que Boileau a raison.

CHAPELLE.

Pour moi, je trouve qu’il se fait tard.

BOILEAU.

Je t’entends. Chapelle, et je vais faire servir le soupé. Ah ça, vous respecterez le sommeil de ce pauvre Molière ?

LA FONTAINE.

Oui, oui ; nous serons bien tranquilles.

CHAPELLE.

Je le promets.

BOILEAU.

Voilà une promesse sur laquelle il faut bien compter, mais n’importe, j’aurai soin de te tempérer.

Il appelle.

Antoine ?

 

 

Scène VII

 

BOILEAU, CHAPELLE, BARON, LA FONTAINE, ANTOINE

 

ANTOINE.

Me v’là, not’ maître ; qu’y a-t-il pour vot’ service ?

BOILEAU.

Dis qu’on nous apporte à souper.

ANTOINE.

Oui, not’ maître.

BOILEAU, lui parlant à l’oreille.

Tu auras soin aussi...

ANTOINE.

C’est par-là que j’ons commencé ; j’ n’avons pas oublié qu’c’est la coutume à monsieur Molière de ne boire que du lait, quand il vient ici.

BARON.

Tu vas donc te marier, Antoine ?

ANTOINE.

Oui, monsieur.

LA FONTAINE.

Air : Un mouvement de curiosité.

De prendre femme, ah ! tu fais la folie.

ANTOINE.

Est-c’ qu’on est fou de chercher le bonheur ?

MOLIÈRE et BARON.

Dis-nous, Antoine, est-elle bien jolie ?

ANTOINE.

Certainement, car j’ l’y trouve un bon cœur.

CHAPELLE, lui faisant les cornes.

Ne crains-tu pas... réponds-moi, je t’en prie.

ANTOINE, qui n’a pas vu le geste de Chapelle.

Assurément, monsieur, c’est ben d’ l’honneur.

BOILEAU, à Chapelle.

Laisse-le donc aller.

ANTOINE, en s’en allant.

Je n’ savons ma fine, pas l’air que j’respirons avec tous ces biaux esprits, mais quand je m’trouve avec moi tout seul, je n’sis pas si bête.

Il va pour s’en aller du côté opposé à celui où il doit sortir.

BOILEAU, à ses amis.

Vous l’avez tellement étourdi... Antoine, où vas-tu donc ?

ANTOINE.

Mais, où vous m’avez commandé, j’ pense ?

BOILEAU.

Ce n’est pas-là ton chemin ?

ANTOINE.

Eh ben ! ne v’là-t’y pas que je n’ sais pas pus ce que j’ fais, que ce que j’ dis. Excusez au moins, not’ maître ; mais ces messieux m’ont tant par-troublé, avec leux demandes... morguienne ! qu’on est sot, quand on s’ trouve avec pus habiles que soi.

Il entre dans la maison.

 

 

Scène VIII

 

BOILEAU, CHAPELLE, BARON, LA FONTAINE

 

BOILEAU.

Cet Antoine est un brave garçon ; quand vous êtes arrivés, j’avais avec lui un singulier entretien ; il voulait’ être poète plutôt que jardinier.

CHAPELLE.

Antoine ?

BOILEAU.

Lui-même.

LA FONTAINE.

Il ne connaît pas le fond du métier, voilà pourquoi.

BOILEAU.

J’espère bien un jour lui adresser une Épître à ce sujet, à il m’a fourni une ample matière : mais, voici le souper, Chapelle n’en sera pas fâché.

On apporte une table servie, et on la place sur le bord de la scène.

CHAPELLE.

C’est vrai.

Air : Eh ! le cœur à la danse.

Amis, aux plaisirs de Bacchus,
Non, rien n’est comparable :
Buvons tous de son divin jus,
Et mettons-nous à table :
Par le vin rendu content,
L’esprit devient plus piquant :
La gaité se ranime,
Et le favori d’Apollon,
Bientôt trouve la rime
En perdant la raison.

Il verse à boire à chacun, et tous reprennent les quatre derniers vers en chœur et avec lui.

Ne pas se livrer au plaisir,
Selon moi, c’est mal faire :
Oui, mes amis, c’est pour jouir
Que nous sommes sur terre ;
Je ne connais que cela.

Versant à boire à chacun.

Allons, encor celui-là ;
Ce n’est point un mensonge.
Le bon vin seul nous rend heureux ;
Si la vie est un songe,
Tâchons qu’il soit joyeux.

Tous reprennent les quatre derniers vers en chœur.

LA FONTAINE.

Doucement, Chapelle, doucement donc, est-ce que tu veux me griser.

BOILEAU, à Chapelle.

Pour moi, je t’avertis que je ne suis pas d’humeur à te laisser faire comme à l’ordinaire.

CHAPELLE.

Mon cher Boileau, tu ne saurais t’imaginer le plaisir que j’ai à dérider ce front sévère. 

Air : Du vaudeville du Valdevire.

Quand, dans mon joyeux délire,
Je dissipe ton chag
rin,
Et lorsque je te fais rire,
Avec nous, le verre en main
Que je bénis mon destin.
(bis.)
Aux hommes je suis utile,
Oui, c’est un fait bien certain ;
Car, à tout le genre humain,
Ah ! combien j’épargne de bile :
À ce pauvre genre humain,
Oh ! combien j’épargne de bile.

BOILEAU.

Le pauvre genre humain ! plains-le, je te le conseille ; dans quel siècle vivons-nous ?

CHAPELLE.

Air : On doit soixante mille francs.

Oublions le siècle et buvons.

BOILEAU.

Vit-on jamais plus de fripons ?
C’est ce qui me désole.
(bis.)

LA FONTAINE.

Moi, j’ai vu de la probité,
Même au sein de la pauvreté,
C’est ce qui me console.
(ter.)

BOILEAU.

Vit-on jamais surtout plus d’égoïstes ?

CHAPELLE.

Comme tu t’échauffes !

BOILEAU.

Oui, j’entre en mon humeur noire à l’aspect du vice ; oui, je suis saisi d’indignation quand je vois la morale pervertie ; mes amis, j’ai fini ma satyre sur l’homme, je ne l’ai point épargné, je vous en réponds ; il faut que je vous en récite un des plus vigoureux morceaux, c’est sur sa cruauté.

CHAPELLE.

Non, non, buvons, mes amis, buvons.

BOILEAU, avec humeur, à Chapelle.

Tais-toi, Chapelle, tu es ivre.

CHAPELLE, vivement.

Je ne suis pas autant ivre de vin, que toi de tes vers.

LA FONTAINE.

Ah ! si ce que Chapelle dit est vrai, Boileau à tort, mes amis, oui certainement qu’il a tort.

Air : Prenons d’abord l’air bien méchant.

Jamais l’orgueil ne fut permis,
Pas même aux hommes de génie ;
Si ce vice les rend petits,
Ils sont grands par la modestie ;
Oui, son charme toujours puissant,
À des droits certains sur nos âmes,
La modestie est au talent,
Ce que la pudeur est aux femmes.
(bis.)

BARON.

Il est bien question de cela ma foi ! mes amis, les arts dans quel état sont-ils ?

BOILEAU.

Ils marchent à grands pas vers leur décadence.

BARON.

Le théâtre se perd inévitablement.

LA FONTAINE.

C’est vraiment malheureux.

BARON.

Racine l’abandonne dans la force de l’âge et du talent.

BOILEAU.

Pradon et Boyer le remplacent.

CHAPELLE.

Toutes les grâces et les faveurs de la cour, tombent sur Chapelin.

BOILEAU.

Et Corneille est presque dans l’indigence.

CHAPELLE, se levant.

Scudéri, est de l’Académie, et Molière n’en est point !

Air : Mon petit cœur à chaque instant soupire.

Mes chers amis, quoique cela vous fâche,
Écoutez bien ce reproche important,
Ainsi que vous, Chapelle n’est qu’un lâche,
Nous ne cessons de vivre en murmurant ;
Agissons plus, ne discourons pas tant
De noirs forfaits, lorsque ce siècle abonde,
Un seul instant, qui peut vous arrêter ?

TOUS.

Quoi ?

CHAPELLE.

La rivière, est-elle à tout le monde ?

TOUS.

Oui.

CHAPELLE.

Courons tous nous y précipiter,
On n’est heureux, qu’en cessant d’exister.

TOUS.

Il a raison.

BOILEAU.

Oui, terminons nos jours, nous ne serons plus témoins de la dépravation et de l’injustice des hommes.

TOUS.

Oui, oui, c’est vrai.

LA FONTAINE.

La rivière est à cent pas d’ici, nous n’aurons pas loin à aller ; enseignons solennellement combien le sage fait peu de cas de la vie.

CHAPELLE.

Air : Aussitôt que la lumière.

Quelle couronne immortelle,
S’élève sur nos cyprès ?
Mes amis, la vie est-elle,
Un bien digne de regrets ?
Ah ! de tous quatre il me semble,
Le sort doit être envié ;
Nous allons mourir ensemble,
Dans le sein de l’amitié.

Tous reprennent en chœur les quatre derniers vers, et se serrent étroitement, dans les bras l’un de l’autre.

 

 

Scène IX

 

BOILEAU, CHAPELLE, BARON, LA FONTAINE, MOLIÈRE, paraissant du milieu d’eux, en robe-de-chambre

 

MOLIÈRE.

Eh quoi ! mes amis, vous avez conçu le projet le plus beau et le plus sage, et vous voudriez l’exécuter sans moi ?... Est-ce donc pour moi seul que la vie a des charmes, et suis-je fait pour la mépriser moins que vous ?

CHAPELLE, vivement.

Molière a raison, il nous manquait, qu’il vienne avec nous, partons nous précipiter...

MOLIÈRE.

La résolution est belle sans doute.

CHAPELLE.

Eh bien ! il faut la mettre à exécution.

TOUS.

Certainement.

MOLIÈRE.

Permettez : ne l’abandonnons point aux fausses interprétations qu’on peut lui donner.

TOUS.

Que veux-tu dire ?

MOLIÈRE.

Air : Lubin a la préférence.

Craignez que la calomnie,
Ne répande à plaisir ;
Que tous cinq au sortir,
D’un long repas, d’une orgie ;
Nous résolûmes de mourir :
On dira que c’est l’ivresse,
Et point du tout la sagesse,
Qui nous inspira,
Ce projet là ;
Il faut donc éviter cela.
Attendons tous à demain,
Le retour prochain,
Du matin ;
C’est alors que, fendant la presse,
Nous nous embrassons.
(ter.)

TOUS.

Nous nous embrassons.

MOLIÈRE.

Et puis nous nous noyons.

CHAPELLE.

Air : Aux grands il faut déplaire.

Cet avis de Molière
Est rempli de bon sens.

LA FONTAINE.

D’aller à la rivière,
Demain il sera temps.

BARON.

C’est bien dit :
Allons dans notre lit,
Passer tout le reste de la nuit.

BOILEAU.

Au jour, notre courage
Brillera davantage.

MOLIÈRE.

Oui, suivez ce dessein.

Ensemble.

TOUS.

Nous irons nous noyer demain.

MOLIÈRE, à part.

Je vous attends tous, à demain,

Ils sortent en chancelant, et en se soutenant l’un l’autre ; Molière sort derrière eux, et fait un jeu de scène.

 

 

ACTE II

 

Au lever du Rideau, l’Orchestre exécutera le Lever de l’Aurore, Opéra de Lisbeth, musique de Grétry.

 

 

Scène première

 

ANTOINE, seul et paré pour la noce

 

On a biau dire, c’est pourtant une chose tarrible que l’amour, je n’ons pas fermé la moitié de l’œil pendant toute la nuit, si ça durait, j’ s’erais bientôt mort.

Air : Fatigué d’un si long voyage.

Il est un moyen, j’imagine,
D’empêcher c’ petit accident,
C’est d’aller trouver Mathurine,
Et d’ l’épouser au même instant ;
J’ sens mon cœur bondir d’allégresse,
Quand j’pense au plaisir que j’aurai,
Le jour m’ livrant à la tendresse,
La nuit, mieux qu’ jamais, j’ dormirai.
(bis.)

Morguienne ! allons voir si elle est prête... Mais la voici, jarnigoi ! qu’elle est gentille ! elle vous a une figure qui vous met tout je n’ sais comment.

 

 

Scène II

 

ANTOINE, MATHURINE

 

ANTOINE.

Comment ! c’est toi, Mathurine, j’allions t’ charcher ; comme t’es matineuse, aujourd’hui !

MATHURINE.

Et toi même, Antoine, il faut que tu t’ sois levé de bon matin, comme te v’là brave ?

ANTOINE.

Oh dame ! un jour d’noce, n’met-on pas ce qu’on a d’ plus biau ? tu vois bien c’t’ habit là, c’est not’ bon maît qui m’ l’a donné ; on m’offrirait d’ l’or en échange, on ne l’aurait pas.

Air : Ah ! oui, l’amant le plus parfait.

C’t’ habit là, je le parierions
À queuqu’ vartu particulière,

Car morguienn’, drès que j’ l’endossons,
J’ons plus d’esprit qu’à l’ordinaire ;
De mettre aujourd’hui cet habi
t
N’ai-j’ pas raison, ma bonne amie ?
Si l’on doit fair’ preuve d’esprit,
J’ crois ben qu’c’est l’ jour qu’on se marie.

Mais toi, qui parles, c’ n’est pas pour dire, mais te v’là fièrement parée itou : ah ça, Mathureine, dis-moi, as-tu bien fait tes réflexions ?

MATHURINE.

Eh ! queules réflexions veux-tu que j’ fasse ?

ANTOINE.

C’est que c’est du sérieux, prends-y garde au moins, une fois qu’t’auras dit oui, n’y aura pas à dire non.

MATHURINE.

Mais, je l’ savons ben.

ANTOINE.

Ainsi, vois un peu, avant de t’ décider, il est encore temps.

MATHURINE.

Tu serais ben attrapé, si j’ te prenais au mot.

ANTOINE.

Je t’en défie.

MATHURINE.

Tu m’en défies ?

ANTOINE.

Tu m’aimes trop.

MATHURINE.

Eh bien ! quoique j’ t’aime trop, je m’donnerai pourtant l’ plaisir de n’ pas t’épouser.

À part.

Faisons-le enrager un peu.

ANTOINE.

C’est par badinerie que tu dis ça ?

MATHURINE.

C’est très sérieusement.

ANTOINE.

J’ gage que non.

MATHURINE.

J’ gage que si, moi, et tiens, pour t’ le prouver, j’ te quittons et j’ te défendons d’ nous parler jamais.

Elle feint de s’en aller.

ANTOINE, la ramenant.

Mais, écoute un peu.

MATHURINE.

Je n’écoute rien.

ANTOINE

Queu mouche t’a piquée ?

MATHURINE.

C’est mon himeur à présent, d’ faire comme ça.

ANTOINE.

V’là une himeur ben chanseuse, comme ça t’a pris subitement tout d’un coup.

MATHURINE.

J’ai suivi l’conseil que tu’ m’as donné, j’ai réfléchi.

ANTOINE, à part.

Peste soit de ma langue !

Haut.

Tiens, Mathureine, tu m’ désoles véritablement.

MATHURINE.

Tu te consoleras.

ANTOINE.

Jamais.

MATHURINE.

Air : Elle m’apporte en mariage ; du Mariage de Scarron.

Tu m’aimes donc, au fond de l’âme ?

ANTOINE.

Je t’aim ’si tarriblement fort,
Que si tu n’ deviens pas ma femme,
J’ serai malheureux, jusqu’à la mort.

MATHURINE.

Allons, dissipe le nuage,
Qui vient d’attrister ton visage ;
Toi seul peux faire mon bonheur,
Et je veux t’prouver, bientôt en mariage ;
Que si pour moi, t’as ben d’ l’ardeur,
Je t’aime davantage.

ANTOINE.

Comment as-tu pu m’ causer tant d’ peine, méchante que tu es ?

MATHURINE.

Mais toi, comment as-tu pu me sarmoner comme tu l’as fait ?

ANTOINE.

T’as biau dire, c’est ta faute.

MATHURINE.

C’est la tienne, ben pus tôt.

ANTOINE.

Oh ! mon dieu non.

MATHURINE.

Ne vas-tu pas recommencer à disputer ?

ANTOINE.

Allons n’y pensons plus, songeons au contraire comme quoi nous serons heureux.

Air : De l’ouverture du jeune Henri.

Ah ! Mathureine, et nos enfants !
J’ veux en avoir un chaque année,
Les petits marmots s’ront charmants ;
À leur mère ils s’ront ressemblants.
D’ ma destinée, Je crois que je deviendrai fou,
Tout’ la journée,
Ils viennent me sauter au cou ;
Ben loin que j’ les en empêche,
Je n’ puis suffire à c’ plaisir là ;
Mon aîné m’ prenant ma bêche,
S’en fait aussitôt un dada,
Ta ta ta, ta ta ta, ta ta ta.
Mais avec moi, tiens, vois donc le cadet,
Qui tout de suit’, derrièr’ l’autre se met,
Au doux tableau des jeux de leur enfance ;
Non, rien ne peut égaler ma jouissance,
Je dis à chaque instant,
C’est charmant.
(quater.)
J’ sis heureux, Mathureine,
Rien seul’ment que d’y penser,
Il faut que pour ta peine,
Tu te laiss’ embrasser.

Il l’embrasse.

 

 

Scène III

 

ANTOINE, MATHURINE, MOLIÈRE

 

MOLIÈRE.

Air : De la pipe de tabac.

Mes chers amis, c’est à merveille !

ANTOINE.

Ah, monsieur ! c’est que je voulais,
Lui dire queuqu’ chose à l’oreille.

MOLIÈRE.

Pourquoi lui parler de si près. (bis.)

ANTOINE, embarrassé.

C’est que... certainement... oh dame !
Mon cher monsieux... c’est qu’ voyez-vous ;
On peut ben embrasser sa femme,
Le jour que l’on d’vient son époux.

MOLIÈRE.

Je ne vous blâme point, au contraire ; j’ai entendu une partie de votre conversation, et j’en ai été vraiment charmé.

MATHURINE.

Comment ! monsieux, vous nous écoutiaiz ; savez-vous qu’ ça n’est pas bian ?

MOLIÈRE.

Ah ! lorsqu’ainsi que vous, on a le cœur naïf comme la nature, on ne doit pas rougir d’en suivre la douce impulsion.

ANTOINE.

Allons, Mathureine, monsieux Molière a raison, n’y à pas d’ mal à ça ; voyez donc un peu queu train, parce que c’ brave homme a entendu c’ que j’ nous disions et qu’il nous a surpris quand j’ te prenions un baiser, ne v’là-ty pas un beau v’nez-y-voir, pour faire tant de bruit ?

MATHURINE.

Excusais, monsieux, si j’ vous ons parlé si franc.

MOLIÈRE.

C’est-moi, qui bien plutôt dois vous prier de me pardonner mon indiscrétion.

ANTOINE.

V’là qu’est fini, elle n’y pense plus. Mathureine, il est temps d’ partir, la noce nous attend, monsieux permettra...

MOLIÈRE.

Allez, mes amis, allez et revenez bientôt.

ANTOINE.

Oh ! drès qu’ ça s’ra fini, vous nous reverrais.

Ils sortent en saluant Molière.

 

 

Scène IV

 

MOLIÈRE, seul

 

Quelle simplicité dans leurs discours ; quelle naïveté dans leurs mœurs, j’aurais été bien fâché de ne pas avoir été témoin de la scène qui vient de se passer entr’eux, et j’espère en profiter ; voilà cependant ceux qu’on m’a reproché plus d’une fois de choisir pour modèles. Ah ! censeurs injustes...

Air : Des fleurettes.

Dans quel lieu plus fertile,
Chercher la vérité ;
À la cour, à la ville,
Où tout est apprêté ?
Où l’on ne voit qu’impostures,
Qu’amis obligeants, par des mots ;
Où les cœurs sont aussi faux,
Que les figures.

Mais qu’est-ce que j’entends ?...

On entend un prélude d’instrument.

 

 

Scène V

 

MOLIÈRE, MONDORGE, aveugle, conduit par UN ENFANT

 

L’ENFANT.

N’oubliez pas ce pauvre aveugle, s’il vous plaît.

MOLIÈRE, sur le devant de la scène.

C’est un aveugle, il faut le secourir. Tenez mon ami.

MONDORGE.

Je prierai dieu, qu’il vous le rende.

Il sort

 

 

Scène VI

 

MOLIÈRE, seul

 

Nos philosophes tardent bien à paraître. Je ne doute pas que mon projet n’ait réussi parfaitement, ils ont bien dormi, ils ne songeront plus au dessein extravagant qu’ils avoient formé, hier au soir. J’entends du bruit, ce sont eux, amusons-nous un peu à leurs dépends.

 

 

Scène VII

 

MOLIÈRE, CHAPELLE, BOILEAU, LA FONTAINE et BARON, entrant tous quatre en disputant

 

BOILEAU.

Non morbleu ! cela n’est pas soutenable.

LA FONTAINE.

Eh !... eh ! cela se pourrait bien.

CHAPELLE.

Je suis de l’avis de Boileau.

BARON.

C’est être bien entêtés.

MOLIÈRE.

Comme vous vous échauffez de bonne heure, de quoi s’agit-il donc ?

BOILEAU.

Voici le fait : nons étions tous les quatre sur le balcon qui donne dans la campagne, nous y respirions la fraîcheur du matin, quand tout à coup Baron aperçoit sur la grande route, près la grille de mon jardin, aveugle, et s’écrie qu’il le connait, sans cependant pouvoir dire où il l’a vu.

BARON.

Je le soutiens encore.

LA FONTAINE.

Parbleu ! voilà Molière, qu’il prononce dans cette affaire.

MOLIÈRE.

Je ne puis rien décider là-dessus, il n’y a que l’aveugle lui-même qui puisse...

 

 

Scène VIII

 

MOLIÈRE, CHAPELLE, BOILEAU, LA FONTAINE, BARON, MONDORGE, accourant

 

MONDORGE.

Où est-il ? où est-il ?

TOUS, étonnés.

Qui ?

MONDORGE.

Celui qui m’a donné cet argent tout à l’heure ?

CHAPELLE, prenant vivement Mondorge par le bras et le menant à Molière.

Le voilà. Il n’y avait que Molière ici, ce ne peut-être que lui.

MONDORGE, à Molière.

À deux pas de cette maison, en vous quittant, j’entends crier : qui veut acheter mes petits pains de seigle ? c’est moi, dis-je aussitôt, et je présentai ceci pour en payer un : oh ! me répond le petit marchand, je n’ai pas la monnaie d’une si grosse pièce, depuis que je suis au monde, je n’ai jamais eu un louis comptant.

Air : Décacheter sur ma porte.

Lorsqu’il parla de la sorte
Ma surprise fut bien forte ;
Vous vous êtes mépris,
Monsieur, en me donnant ce louis,
Tenez, je vous le rapporte.
(ter.)

MOLIÈRE.

Tiens, en voici un second,

À part.

où la vertu, va-t-elle se nicher ?

BARON, qui depuis l’arrivée de Mondorge, a été occupé à le considérer, s’écrie.

Je n’en puis plus douter, c’est lui !

TOUS, étonnés.

Qui lui ?

BARON.

Mondorge !

MONDORGE.

Qui prononce ici mon nom ?

BARON.

Avec lequel j’ai joué longtemps la comédie en province.

MONDORGE.

Ce son de voix ne m’est pas étranger.

BARON, se jetant dans les bras de Mondorge.

Reconnais Baron.

MONDORGE.

Baron !

BARON.

Oui, Baron.

MONDORGE, le serrant contre son sein.

C’est toi, mon brave camarade ?

BARON, le serrant dans ses bras.

Mon vieux camarade, mon cher Mondorge.

CHAPELLE, à part et désignant Baron.

S’il est souvent fier, il a bon cœur quelquefois.

BARON.

Mon cher ami, dans quelle situation faut-il que je te retrouve, et qui donc t’y a réduit ?

MONDORGE.

Un accident arrivé au théâtre où j’étais engagé, m’a privé de la vue ; n’étant plus utile à rien, je fus réformé, Ne sachant que jouer la comédie, et de cet instrument, je fus obligé de quitter l’une et de voyager avec l’autre en demandant l’aumône pour soutenir ma malheureuse existence.

BARON, à demi-voix.

Mes amis, il faut le secourir.

TOUS.

Oui, oui.

MOLIÈRE, à Baron.

Combien faut-il lui donner ?

BARON, répondant au hasard.

Quatre pistoles.

LA FONTAINE, se tâtant.

Ah, diable ! et moi qui ai encore oublié ma bourse.

MOLIÈRE, à Baron.

Donne-lui quatre pistoles pour moi.

À La Fontaine.

En voilà vingt que tu lui donneras pour toi.

LA FONTAINE.

C’est très bien cela, Molière.

Il met la bourse dans la poche de Mondorge.

BARON.

Ce pauvre Mondorge ! que son sort est à plaindre !

MOLIÈRE.

Vous avouez donc, messieurs, qu’il est des êtres plus malheureux que vous ?

CHAPELLE et BOILEAU.

Oui, certainement.

LA FONTAINE.

À quoi sert la vie, quand on n’y voit goute ?

MOLIÈRE, gaiement.

Ah ça, mais, messieurs, vous qui voyez très clair, dans une heure, à peu près...

Air : De la cosa rara.

Si, d’après votre envie,
Vous n’étiez plus envie ?

LA FONTAINE et CHAPELLE.

Molière, je t’en prie,
Point de plaisanterie.

MOLIÈRE.

Chacun de vous oublie,
J’en ai l’âme ravie ;
Qu’il a fait la partie,
D’abandonner la vie...

TOUS.

Oh bon ! quelle folie !

MOLIÈRE.

Vous avez tous grand tort,
Cette plaisanterie,
Doit vous amuser fort.

CHAPELLE.

Il faut, moi, que j’en rie.

MOLIÈRE.

Que Boileau s’humilie.

BOILEAU.

Oh ! je te remercie !

MOLIÈRE.

Lorsqu’on se glorifie,
D’être homme de génie ;
Et de l’académie !
Il faut que l’on défie,
La fortune ennemie.

MONDORGE.

Ayons l’âme aguerrie,
Contre les coups du sort ;
Car c’est une infamie,
De se donner la mort.

TOUS, l’un après l’autre.

D’accord.

MOLIÈRE.

Eh bien, messieurs, vous entendez Mondorge, proposez lui de s’aller noyer avec vous, et vous verrez s’il acceptera.

MONDORGE.

Non parbleu pas !

MOLIÈRE.

Et vous autres, messieurs, voulez vous encore ?...

TOUS.

Non, non.

BOILEAU.

Air : Ainsi jadis un grand Prophète.

Aux mauvais auteurs de la France,
Je veux encor donner le fouet.

LA FONTAINE, à Molière.

Accepte ma reconnaissance,
Je pourrai consoler Fouquet.

CHAPELLE.

La mienne doit être éternelle,
Car sans toi, le fait est certain ;
Pour la première fois, Chapelle,
Aurait mis de l’eau dans son vin !

MOLIÈRE.

Ce que c’est pourtant que d’avoir un bon génie qui veille pour vous, et qui ne boit que du lait.

CHAPELLE.

Remercions notre libérateur.

Air : Tout est charmant chez Aspasie.

Mes chers amis, c’est à Molière
Que nous devons de nouveaux jours ;
Il est maintenant notre père,
Jurons donc de l’aimer toujours.

TOUS.

Oui, j’en fais le serment sincère,
Et je m’en souviendrai toujours.

On entend une ritournelle.

 

 

Scène IX

 

MOLIÈRE, CHAPELLE, BOILEAU, LA FONTAINE, BARON, MONDORGE, ANTOINE, MATHURINE, LA MÈRE de Mathurine, PAYSANS et PAYSANNES, conduits par LE MAGISTER

 

CHŒUR DE PAYSANS et PAYSANNES.

Air : De la contre-danse des petits pâtés.

D’Antoine, vive le destin,
De Mathurine il a la main ;
En leur honneur, jusqu’à demain,
Buvons et chantons en refrain.

ANTOINE, à Boileau.

Voudriez-vous bien lire
Ce p’tit remerciement,
Que monsieur vient d’écrire

Le Magister salue.

Pour vous, au même instant.
S’il n’est pas de mon style,
N’allez pas me blâmer ;
C’est qu’il est plus facile

La main sur le cœur.

D’ sentir que d’s’exprimer.

CHŒUR.

D’Antoine, vive le destin, etc.

LA FONTAINE.

Quel dommage, pourtant, si nous nous étions noyés hier.

CHAPELLE.

Nous n’aurions pas été à la noce.

ANTOINE, à Boileau.

Pardon, excuse, not’ maît’ ;  j’ s’rais d’avis d’ nous amuser un p’tit brin avant de nous mettre à table.

BOILEAU.

C’est bien pensé, Antoine.

ANTOINE.

Ah ça ! mais, à quoi allons-nous nous divartir ?... Eh ! voilà mosieu Molière et mosieu Baron, qui sont dit-on, act... acteux ; s’ils jouaient devant nous d’ ces p’tites drôleries que j’ voyons ici queuqu’fois les jours de dimanche ? m’est avis ben putôt de vous chanter une ronde ben gaie, ça fait que tout le monde chantera et dansera à la fois.

MONDORGE.

Moi, je vais vous accompagner.

ANTOINE.

Attention ; à votre place, tout le monde.

LA FONTAINE.

Dansez, dansez ; pour moi, je vais m’asseoir et vous regarder.

ANTOINE.

Je suis prêt.

Il monte sur une chaise.

Écoutez bien : le moine et la jeune fille.

On forme plusieurs ronds ; Molière, Baron, Chapelle et Boileau, en conduisent chacun un.

LE MAGISTER.

Ça promet.

ANTOINE, avec gravité.

Faites attention à la morale ; vous allez voir comme quoi les moines devraient tous se marier...

LE MAGISTER.

C’est vrai.

ANTOINE.

Et comme quoi une jeune fille ne doit jamais aller seule au bois.

LE MAGISTER.

C’est encore vrai.

ANTOINE.

M’y voici : silence, mesdames ?

Air : Dans la paix et l’innocence ; Club des bonnes Gens.

On raconte que Thérèse,
Au minois vif et piquant,
Sous l’herbe cueillait la fraise,
Pour les moines d’un couvent.
De sa main blanche et vermeille,
Elle allait en tapinois
Leur présenter sa corbeille,
Et s’en revenait au bois.
(bis.)

Tous répètent le dernier vers de chaque couplet en dansant.

Les moines, comme nous autres,
Aiment assez deux beaux yeux :
Or, l’un de ces bons apôtres,
De Thérèse est amoureux.
Il veut avouer sa flamme ;
Il sent expirer sa voix :
Enfin, pour calmer son âme,
Il s’enfonce dans un bois.
(bis.)

Vous saurez que c’est le même
Où Thérèse allait souvent ;
Il voit la beauté qu’il aime,
Il devient entreprenant.
Aye, aye, dit la pauvrette,
Mourante et presque aux abois,
Je promets bien que seulette
Je ne viendrai plus au bois.
(bis.)

On dit qu’à la jeune fille,
Le moine avait fait grand’ peur :
Mais, comme il était bon drille,
Vite, il calme sa frayeur ;
Cessez, dit-elle, bien aise...
Et lui serrant les cinq doigts :
Souvenez-vous que Thérèse
Reviendra demain au bois.
(bis.)

BOILEAU.

C’est bien, mes amis, livrez-vous à la joie.

MOLIÈRE.

Et nous, souvenons-nous toujours de ce qu’a dit La Fontaine.

« Le trépas vient tout guérir ;
« Mais ne bougeons d’où nous sommes.
« Plutôt souffrir que mourir ;
« C’est la devise des hommes. »

Vaudeville.

Air : Du Défi.

MOLIÈRE.

Que par nous, elle soit suivie ;
Pour trouver le bonheur, il faut
Que chacun de nous, dans la vie,
Porte avec plaisir son fagot.
L’homme froid, qui vit solitaire,
N’attache à ses jours aucun prix.
Peut-on vouloir quitter la terre,   }
Lorsqu’on possède des amis ?     }
(bis.)

ANTOINE, à Mathurine.

Pendant tout l’ cours de notre vie,
L’un par l’autre, soyons heureux ;
Peines et plaisirs, mon amie,
Nous les partag’rons à nous deux :
Et lorsque, par l’hiver de l’âge,
Nos sens, hélas ! s’ront engourdis,
Pour trouver l’bonheur en ménage,
Nous resterons toujours amis.

LA FONTAINE.

J’ai dit qu’une chose fort rare
Était de trouver un ami ;
C’est un accès d’humeur bizarre,
Qui me faisait parler ainsi :
Écoutez-moi bien, je vous prie,
Et vous ne serez plus surpris ;
En épousant femme jolie,
On a toujours beaucoup d’amis.

CHAPELLE.

Vins de Bourgogne et de Champagne,
Je vous trouve délicieux ;
Qu’un bon repas vous accompagne,
Voilà la volupté des dieux !
Eh bien ! le vin, la bonne chère,
Pour mon cœur, ne sont d’aucun prix ;
Si je ne puis trinquer mon verre
Contre celui de bons amis.

MATHURINE, au Public.

Prendre Molière pour son thème,
Par ma fin’, c’était imprudent ;
Il fallait qu’il parlât l’y-même,
Pour qu’il s’exprimât dignement.
Mais si l’Auteur fut téméraire ;
Par bonté, suivez mon avis,
Prouvez-lui qu’avec vous, Molière
Est, ce soir, avec ses amis.

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