L’Île des talents (Christophe-Barthélémy FAGAN DE LUGNY)

Comédie en un acte et en vers.

Représentée, pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de l’Hôtel de Bourgogne, le 19 mars 1743.

 

Personnages

 

LA FÉE URGANDINA

FARACARDIN, Génie

DAMON

LÉONORE

VALÈRE

AGATHE

FLORINE

PASQUIN

ARLEQUIN

PEUPLES de l’Île

SUIVANTS de la Fée

 

La Scène est dans une île.

 

Le Théâtre représente la Mer dans l’enfoncement, et un Vaisseau démâté ; l’Orchestre joue une tempête.

 

 

AVERTISSEMENT

 

La scène des trois Méropes qui fut représentée le premier jour, à la suite de cette Pièce, n’est pas de M. Fa gan, c’est pourquoi on ne la trouvera pas ici. Cette Scène avait été ajoutée par un autre Auteur, qui a quelquefois donné au Public des Parodies et des Critiques qui lui ont été agréables.

 

 

Scène première

 

LE GÉNIE, seul

 

Je vois des mortels indiscrets

S’avancer le long du rivage,

Échappés du naufrage,

Cet asile leur semble un séjour plein d’attraits.

Ils ignorent de cet Empire

Quelle est la rigoureuse loi.

Bientôt à leurs transports va succéder l’effroi.

Ils s’approchent, je dois, au plutôt, en instruire

La redoutable Fée, à qui, dans ces climats,

Tout obéit, courons, et volons sur ses pas.

Il sort.

 

 

Scène II

 

LÉONORE, VALÈRE, FLORINE, AGATHE, DAMON, ARLEQUIN, PASQUIN

 

Ils restent au fond du Théâtre, excepté Arlequin qui s’avance un peu plus.

ARLEQUIN.

Je viens d’avoir une pour bien terrible ;

Mais, nous voilà sauvés.

LÉONORE.

Dans ce séjour paisible,

Tous nos malheurs sont effacés ;

Lorsque les dangers sont passés,

Un tranquille bonheur en devient plus sensible.

Témoignons nos soins empressés,

Et qu’aux Dieux protecteurs nos veux soient adressés,

Cherchons un Temple...

ARLEQUIN.

Allez, si vous êtes pressés,

Allez, allez toujours, car pour moi, je demeure.

 

 

Scène III

 

ARLEQUIN, seul

 

Respirons.

Il contrefait les vagues et les vents.

Pfi, pfou, pfi, les vagues et les vents,

 Un abîme entr’ouvert, les rochers menaçants,

Le vaisseau ballotté ! quel diable de quart-d’heure !

Nous avons fort bien fait de relâcher ici.

Asseyons-nous, goûtons cet aimable Zéphire.

Le bon air ! le beau temps ! ce bois charmant inspire

L’amour... et l’appétit ; l’appétit oui... voici

Un petit restaurant dans notre pacotille,

Je l’avais mis à part, mangeons, c’est où je brille :

Fort bon, ma foi, fort bon !

Le Théâtre s’obscurcit.

Qu’ai-je donc sur les yeux ?

Plaît-il ? où sommes-nous ? quelle frayeur mortelle ?

La nuit vient, je me meurs, et tout mon sang se gèle ?

Il tonne.

C’en est fait...

Il tombe.

 

 

Scène IV

 

LA FÉE, ARLEQUIN

 

LA FÉE.

Reconnais, mortel audacieux,

Celle qui règne en ces contrées,

La Fée Urgandina, Reine des autres Fées,

C’est moi, qui les forçant d’exercer leurs talents,

Leur fait produire au jour cent chefs-d’œuvre brillants.

ARLEQUIN.

Gour... gan... ourgandina...

LA FÉE.

Tu railles, ce me semble ?

ARLEQUIN.

Non, on ne raille pas, Madame, quand on tremble.

LA FÉE.

Tes compagnons sont arrêtés :

Ils doivent m’être présentés,

Nous verrons ce qu’ils savent bien faire.

Lorsque dans ces lieux écartés,

Un imprudent mortel porte un pied téméraire,

Aux rigueurs de nos Lois rien ne le peut soustraire,

S’il ne se distingue en quelqu’art,

Ou ne possède, par hasard,

Quelque don singulier au-dessus du Vulgaire.

ARLEQUIN, à part.

Pour moi, méchante affaire !

LA FÉE.

Je ne sais si je me méprends,

Mais quand je t’examine,

Tu m’as toute la mine

D’être un balourd, un ignorant.

ARLEQUIN.

De cela, je vous suis garant,

Et Madame au mieux me devine.

LA FÉE.

Tant pis pour toi.

ARLEQUIN.

Tant pis... ?

LA FÉE.

Tant pis, assurément.

ARLEQUIN.

Comme mes compagnons, je vis tout bonnement.

Léonore, Valère, et Damon, et Florine,

Pasquin, Agathe et moi, tous jeunes gens dispos,

Voici notre histoire, en deux mots.

Nous avons voulu prendre une route commune,

Et nous avons vogué vers l’Île de Paphos,

Laissant, sur les côtés, l’île de la Fortune.

En allant, Monseigneur Neptune

A très bien gouverné les flots,

Mais au retour, ce n’était que chaos.

Par une tempête importune,

Tourmentés fort mal à propos,

Nous avons cru devoir nous échapper des eaux,

Et nous sommes venus, Madame, sur vos terres.

Mais des beaux arts, des talents,

Des chefs-d’œuvre, des dons brillants,

Et semblables mystères,

Si nous en possédons, nous n’en possédons guères.

LA FÉE.

Il suffit ; en ce cas, il faut, dans ce séjour,

Qu’un spectacle affreux se prépare :

Au traitement le plus barbare

Vous serez tous livrés, avant la fin du jour.

ARLEQUIN.

Eh ! comment diable !...

LA FÉE.

Oui, des peines infinies

Rabaisseront tant de témérité.

Devant la Reine des Génies,

On n’est point ignorant, avec impunité.

 

 

Scène V

 

LE GÉNIE, LA FÉE, ARLEQUIN

 

LA FÉE.

Eh ! bien, Faracardin ?

LE GÉNIE.

Reine savante et sages

Je viens à ces mortels d’annoncer vos décrets.

Ils ont d’abord frémi : mais un instant après ;

Ils ont rappelé leur courage,

L’un sait un peu chanter, l’autre d’un instrument

S’est offert de jouer assez passablement.

En faveur de ces deux, toute la troupe espère...

LA FÉE.

Non, chacun fait pour soi.

ARLEQUIN.

Hoï mé !

LE GÉNIE.

Pour vous plaire,

Les autres ont promis de faire leurs efforts.

Pour montrer, devant vous, le talent nécessaire,

Ils vont de leur esprit employer les ressorts.

LA FÉE.

Mais n’avez-vous pas dit qu’il faut que l’on excelle ?

Car, dans tous mes États,

Qui ne sait acquérir une gloire immortelle,

Est semblable à celui qui rampe le plus bas.

LE GÉNIE.

Oui, je l’ai dit, mais...

LA FÉE.

Ah ! je le vois, leur supplice

Ne pourra jamais s’éviter ;

N’importe, il les faut écouter ;

Je saurai leur rendre justice.

Tous ont sujet de redouter.

Que celui qui le plus a droit de se flatter,

Jusqu’au dernier moment frémisse.

Elle rentre.

ARLEQUIN.

Pour le coup, c’en est fait, quel malheur est le mien !

Car... tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien.

 

 

Scène VI

 

LE GÉNIE, ARLEQUIN

 

ARLEQUIN.

Seigneur Faracardin, un mot, je vous en prie.

LE GÉNIE.

Que voulez-vous ?

ARLEQUIN.

Quel est donc ce tourment ?

Qu’est-ce que cela signifie ?

LE GÉNIE.

Ce n’est qu’une badinerie,

Un homme reconnu pour être sans génie,

Ici, tombe immanquablement

Dans une caverne profonde,

Où deux Dragons incessamment

Tout autour de lui font la ronde ;

L’un des Dragons l’empêche de manger,

Et l’autre le darde sans cesse ;

L’un le fait tomber de faiblesse,

Et l’autre le fait enrager.

Il meurt de faim, on le déchire,

Indigence et douleur l’assiègent tour à tour,

Dans la caverne, enfin, enfoncé sans retour,

Au bout d’un certain temps, le pauvre diable expire.

ARLEQUIN.

Si l’on n’y mange pas, je n’y vivrai qu’un jour.

Deux Dragons !...

D’un ton pleureur.

C’est beaucoup.

LE GÉNIE.

Comme vos camarades,

Cherchez, imaginez quelque chose de goût.

ARLEQUIN.

Eux ? Ce qu’ils vous ont dit, ce n’est que gasconnades,

Car ils ne savent rien du tout...

LE GÉNIE.

On le verra.

ARLEQUIN.

Chercher !... que dans l’instant j’abîme

Si ce ne sont soins superflus,

Car je suis ignorant, mais ignorantissime.

LE GÉNIE.

Venez donc, et n’en parlons plus.

ARLEQUIN.

Je verrai, mais j’en désespère,

Ah ! comme un sot, me voilà pris !

Pleurant.

Ô ! mon père ! et ma mère !

Pourquoi ne m’avoir rien appris.

 

 

Scène VII

 

VALÈRE, LÉONORE, LA FÉE et SA SUITE, ARLEQUIN, LE GÉNIE

 

Une fanfare annonce que l’épreuve des Talents va commencer.

Marche des sujets de la Fée.

LA FÉE.

Voici mes Sujets assemblés.

Qu’un tel aspect vous intimide ;

Étrangers malheureux, tremblez

Que contre vous on ne décide.

À Valère.

Vous, qui vous piquez de chanter,

Voici l’instant de vous en acquitter.

Elle s’éloigne un peu.

VALÈRE, chante.

Amour, sois-moi favorable,
Toi seul fais naître les talents,
Amour, sois-moi favorable,
Élève, attendris mes accents.
Ton feu divin m’est secourable,
Au fond de mon cœur je te sens.
Amour, sois-moi favorable,
Toi seul fais naître les talents,
Amour, sois-moi favorable,
Élève, attendris-mes accents.

Que l’on adore
Deux beaux yeux,
Partout on est victorieux,
Et ce sentiment fait éclore
Mille dons précieux :
Que l’on adore
Deux beaux yeux,
La voix s’anime et se ranime encore ;
Il suffit pour former des sons mélodieux ;
Que l’on adore
Deux beaux yeux.
Amour, sois-moi favorable,
Toi seul fais naître les talents,
Amour, fois-moi favorable,
Élève, attendris mes accents.

LA FÉE, à Valère.

Vous apprendrez si vous avez su plaire

 

 

Scène VIII

 

LA FÉE, LÉONORE

 

LA FÉE, à Léonore.

C’est à vous à nous satisfaire,

Faites briller votre talent.

LÉONORE.

Moi, je sais tout au plus, (je le dis avec honte,)

Réciter quelque petit conte,

D’un style naïf et galant.

La Fée s’éloigne un peu.

Conte

Nanette était une Bergère
D’une humeur tout-à fait sévère ;
Colin était simple, innocent,
Mais amoureux... amoureux comme cent,
Colin n’osait envisager la Belle,
Il pâlissait,
Il rougissait,
Il baissait la prunelle
Aussitôt qu’elle paraissait.
Nanette un jour dormait sous un feuillage,
Voilà Colin au comble du plaisir !
De celle qui fait son désir,
Il peut tout à loisir.
Contempler le charmant visage,
Les belles mains, le beau corsage.
Près d’elle, il vient donc pas à pas,
Il admire longtemps la beauté qu’il adore,
Tout va bien jusques-là, Nanette dort encore,
En admirant de si parfaits appas,
Le Spectateur Colin sent une envie extrême,
De soupirer, grand embarras !
Il voudrait, mais il n’ose pas :
Et voici comme il raisonne en lui-même.
Un soupir me soulagera,
Mais je crains bien qu’il ne m’en coûte,
Ce soupir sera fort sans doute ;
Nanette se réveillera,
Et le vrai plaisir que je goûte
À la contempler se perdra :
Je suis bien, demeurons-en là.
Pressé du feu qui le dévore,
Il se détermine pourtant,
Il risque le soupir, Nanette dort encore.
Glorieux d’en avoir fait tant :
Vient à Colin une autre fantaisie.
Il dit, voyons, je m’avise d’un tour,
À Nanette parlons d’amour ;
Car, quoiqu’elle soit endormie,
Je lui dirai mainte chose jolie,
Je parlerai de mon tourment,
C’est un nouveau soulagement.
Colin pour bas se déclare à Nanette :
Il lui dit, je vous aime, et cent fois le répète ;
Il lui semble que ses discours
Sont pour son cœur d’un grand secours,
Mais voici la fin du mystère,
Quoique Colin parlât très bas,
Nanette se réveille, et se met en colère.
Pourquoi Colin alors ne réussit-il pas ?
Je le sais. Murmurer tout auprès de l’oreille
De quelqu’un qui sommeille,
(De grands Philosophes l’ont dit,)
Plus aisément cela réveille,
Que si l’on faisait un grand bruit,
Colin fut donc une pécore,
Il en agit comme un nigaud.
Si Colin eût parlé plus haut,
Nanette dormirait encore.

LA FÉE.

Votre sort sera décidé,

Quand il en sera temps vous en serez instruite.

 

 

Scène IX

 

LA FÉE, ARLEQUIN, LE GÉNIE

 

ARLEQUIN.

En vain je cherche, je médite,

En vain mon esprit est guindé,

Je ne puis rien trouver, ou le diable n’emporte.

Me voilà bien accommodé !

Faudra-t-il périr de la sorte ?

LA FÉE.

Allons, s’il ne sait rien, qu’il sorte.

LE GÉNIE.

Allons, sortez l’ami.

ARLEQUIN.

Ô ! Poveretto mi !

Il sort.

 

 

Scène X

 

DAMON, LA FÉE, PASQUIN qui est au fond

 

LA FÉE.

Que quelqu’autre s’avance,

À Damon.

C’est à vous à vous présenter.

DAMON.

Plein d’une juste défiance,

Je suis facile à déconcerter,

Je demande de l’indulgence.

LA FÉE.

Soit, qu’allez-vous exécuter ?

DAMON.

C’est un morceau nouveau.

LA FÉE.

Le titre ?

DAMON.

L’espérance.

Il joue une Pièce qui caractérise la crainte et l’espérance.

LA FÉE.

C’est assez, vous saurez quel est votre destin.

PASQUIN, à part.

Je n’en sais guères plus que le pauvre Arlequin.

Par bonheur, nous avons de l’imaginative,

Il faut y recourir, allons, mon tour arrive.

LA FÉE, à Pasquin.

Et vous, que savez-vous ?

PASQUIN.

Je m’appelle Pasquin.

LA FÉE.

Votre nom est peu nécessaire,

Il faut parler de votre savoir faire.

PASQUIN.

Ah ! mon savoir faire, entre nous,

Sur cet article là, j’ai de quoi satisfaire.

LA FÉE.

Hé ! bien ?

PASQUIN.

Je sais... toutes les langues.

LA FÉE.

Vous ?

PASQUIN.

Moi, moi, rien n’est plus véritable.

LA FÉE.

Toutes les langues !

PASQUIN.

Oui.

LA FÉE.

Ce talent respectable

Ne saurait trop se rechercher.

Pour vous, ma joie en est extrême,

À ce sujet, je ne puis m’empêcher

De vous complimenter moi-même.

PASQUIN.

Madame...

LA FÉE.

Quoi ! le Grec, l’Arabe ?

PASQUIN.

Oui.

LA FÉE.

L’Indien,

Le Chinois, l’Espagnol, l’Anglais, l’Italien !

PASQUIN.

Oui... toutes les Langues du monde.

Je ne devrais pas me louer,

Mais je suis forcé d’avouer

Que là-dessus, ma science est profonde ;

Le fait est avéré.

LA FÉE.

Des langages aucun de nous n’est ignoré.

En qualité de Fées,

Les sciences les plus cachées

Nous sont développées.

Voyons, parlez-moi Grec ?

PASQUIN.

Grec ?

LA FÉE.

Grec.

PASQUIN.

Eh ! eh ! oui-dà.

Mais... pourquoi commencer par-là ?

Il ne tient qu’à moi ; mais, par exemple, l’Arabe ?

Oh ! cette langue-là n’a pas une syllabe

Qui n’inspire l’amour !

Ce sont tous mots perlés, c’est le plus joli tour...

Toujours expressions fleuries ;

Je l’aime en toutes ses parties.

LA FÉE.

Si vous vous у sentez porté :

Eh ! bien, l’Arabe, allons.

PASQUIN.

Que cette langue est belle !

Je m’y plais, j’en suis enchanté.

Il est vrai qu’une plus nouvelle

Semblerait l’emporter sur elle,

Par le vif, la légèreté ;

C’est celle d’Italie,

Je l’aime encor, qu’elle est jolie !

LA FÉE.

Eh ! bien, parlons Italien.

PASQUIN.

Elle est faite pour peindre une amoureuse flamme ;

C’est, si l’on veut, un petit rien,

Mais, qu’auprès d’une femme

Cette langue réussit bien !

LA FÉE.

Oui, parlons...

PASQUIN.

Mais, cependant des gens savants prétendent

Qu’elle manque de majesté ;

Ils estiment la gravité,

Et pour l’Espagnol ils se rendent.

LA FÉE.

Eh ! bien, l’Espagnol...

PASQUIN.

Car vous devez convenir,

Madame, que la grande affaire,

Ce n’est pas de parler, c’est-là... de définir,

Oui, de sentir, d’approfondir

D’une langue le caractère,

Et le vrai goût : c’est-là le beau !

Voilà ce qui distingue, et nous rend admirables.

C’est ce qu’on peut nommer des dons incomparables ;

C’est, par ce grand savoir, qu’au de-là du tombeau

Nous conservons encore une gloire immortelle ;

C’est là... c’est là... Madame, voudrait-elle

Désavouer ce que je dis ?

Non, d’un pareil mérite elle sait trop le prix.

Mais, j’abuse... je vois que je vous importune.

Il veut s’en aller.

LA FÉE.

Un moment, vous vous en allez ?

La défaite n’est pas commune :

Sur les langues vous me parlez,

Mais vous ne m’en parlez aucune ;

C’est plaisanter hors de saison.

PASQUIN.

Comment vous croyez que je n’ose ?

À part.

Elle prendra sûrement bien la chose ;

Car je suis sur d’avoir raison.

À la Fée.

Je suis né chez un peuple, en qui la politesse,

L’esprit et le savoir ont brillé de tous temps ;

Aux lieux les plus lointains, il puise sa richesse,

Il n’y porte jamais que son goût, ses talents.

Son langage et son nom savent partout s’étendre.

Enfin, je suis Français : vous devez me comprendre,

Je ne prétends point vous surprendre ;

 Oui, la langue dont je me sers,

Est la langue de l’Univers :

Qui sait parler Français, se fait partout entendre.

LA FÉE.

Vous vous servez, par un tour séducteur,

D’un fait constant qu’on ne peut contredire.

Ce trait ingénieux parle en votre faveur ;

Je n’en dirai pas plus. Et Monsieur le Docteur

Saura, dans peu, si cela doit suffire.

PASQUIN.

Je suis votre humble serviteur,

Et plein d’espoir, je me retire.

Il sort.

 

 

Scène XI

 

LA FÉE, SA SUITE, ARLEQUIN

 

ARLEQUIN.

Comment diable font-ils pour pouvoir se sauver ?

Et moi toujours avec constance,

Pour couvrir mon ignorance,

Je ne pourrai donc rien trouver ?

Cependant le moment s’avance.

LA FÉE.

Que n’as-tu du moins de l’esprit ?

ARLEQUIN, pleurant.

Eh ! mais je n’en ai point, Madame ;

Je n’ai point d’esprit, moi, j’en enrage dans l’âme !

LA FÉE.

N’espère donc plus rien, on te l’a déjà dit ;

Tu dois frémir du fort que l’on t’apprête.

ARLEQUIN.

Le compliment est tout-à-fait honnête : 

Quoi ! moi, qui suis un si joli garçon,

Vous me condamneriez, sans aucune façon ?

Quoi ! sans avoir égard à mon air, ma figure ?...

Vous ne répondez rien, ah ! quel mauvais augure !...

Voulez-vous, par hasard, voir de mon écriture ?

C’est un talent :

Il montre un papier gribouillé.

Rien ne la peut toucher.

De ses pattes, comment pourrai-je m’arracher !

Il sort.

 

 

Scène XII

 

LA FÉE, FLORINE, AGATHE

 

FLORINE, en chantant.

Air : Quoi ! Fanchon, tu n’es donc plus pucelle ?

Que j’aille à l’instant
Dans la caverne,
Mais, que j’y sois avec mon amant.
Pour moi, le tourment
Le plus grand
N’est que baliverne,
Près l’objet charmant,
Que j’aime tant,
Si tendrement.
Que j’aille, etc.

LA FÉE.

Difficilement j’imagine

Quel est ce chant, et cette humeur badine.

FLORINE.

Air : le Cotillon couleur de Rosé.

Mon amant s’appelle Damon,
C’est lui qui, par sa symphonie,
Exprime sur un si beau ton,
La plus agréable harmonie.
Si ses succès
Sont imparfaits,
Avec lui que je sois punie,
Mais
Plein d’attraits
Je le connais,
Son talent ne manque jamais.

LA FÉE.

Quoi donc ?

FLORINE.

Pour abréger des discours inutiles ;

(Je le dis naturellement)

Ce que je sais, c’est de chanter gaiment,

Et de faire, dans le moment,

Des couplets, oui, des vaudevilles,

Ce qu’on appelle des Ponts-Neufs.

LA FÉE.

Vous ?...

FLORINE.

Des Juges les moins faciles,

Je crois, par mon talent, pouvoir remplir les vœux.

LA FÉE.

Mais...

FLORINE.

Point de mais, je vous supplie,

Il est bon de vous avertir

Rue j’ai vu très longtemps nombreuse compagnie,

Qui de mes chants daignait se divertir.

Voudriez-vous, par aventure,

Du vrai Pont-Neuf ? c’est la pure nature.

Voici donc l’entretien d’un jeune Marinier,

Et de Manon la beauté du quartier :

Il finit par une rupture.

Air : mon père aussi m’a mariée,

Manon, je veux vous épouser,
Dans la ville nous en faut aller,
Là, vous aurez à qui parler,
Dans la ville, villette,
Dans la ville, allons donc, violons, violette ;
Dans la ville nous en faut aller.

Air : la Sombre Dondaine.

Non, ce n’est pas la peine,
La si, la fon, la sombre dondaine ;
Non, ce n’est pas la peine,
Chacun sait sa raison,
Patati pataton,
Le gentil, le mignon.

Air : En revenant du Mont Saint-Michel.

Un beau jour comme
J’men allais au marché,
Voyez.
Un Gentil-Homme,
De moi s’est approché,
Voyez,
Il me fit une histoire,
Que je n’osais pas croire :
Eh ! voire, voire, voire !
Ah ! qu’il était fâché !

Air : Il m’a mené au bal, mon Cousin.

Il m’a menée au bal, mon Cousin,
Rien n’est plus magnifique :
Quand le bal fut fini, mon Cousin,
Son cœur à moi s’explique,
Jean, mon cousin, tire lire, Jean,
Jean, mon cousin, tire lire.

À présent, c’est la mère,
Qui trouve le garçon, et se met en colère.

Air : J’ai passé, repassé pardevant.

Tu veux rire, eh ! ouidà !
Voyez la belle chance !
Conte-nous donc cela,
As-tu de la finance ?
Tu veux faire bombance,
Tredame ! il nous faudra
Faire la révérence
À ce biau garçon-là.

Elle fait la révérence en poissarde.

À cela le garçon,
En deux mots lui répond.

Air : Adieu, mon hôte et mon hôtesse.

Adieu donc, ma chère Madame,
Je n’emporte rien.
Votre fille n’est pas ma femme,
Je m’en trouve bien.

À la Fée.

Ce ton-là vous surprend, vous trouvez la manière
Peut-être un peu grossière.
Mais le Vaudeville n’est pas
Toujours astreint à des sujets si bas,
Il sait chanter Bacchus, les Héros et les Belles :
Et ses productions semblent toujours nouvelles.

Air : Tambourin de Rebel.

Il sait régner en tous lieux,
De l’heureux Vaudeville
Le sort glorieux
S’élève aux Cieux.
Il peut même chanter les Dieux.
Il fait régner en tous lieux,
À la Cour, à la Ville
Il fait les plaisirs,
Il réveille les désirs,
Bannit les soupirs.
Père des ris et des jeux,
Des traits, des refrains joyeux,
Momus répond à mes vœux ;
Viens,
C’est toi seul qui m’inspire,
Viens,
Ton goût fait le mien.
Dans le tien
On trouve un vrai bien ;
Je vis sous ton empire,
Viens, viens,
Je jure ma foi,
Je mourrais sans toi.
La vive et légère humeur
De la vie est la douceur,
Le véritable bonheur
Est d’aimer, chanter et rire,
Ah ! ah ! tes faveurs
Raniment tous les cœurs.

LA FÉE.

Cette gaité, Florine, vous annonce,

En apparence, un fort heureux,

De mes sujets, vous saurez la réponse ;

Il est encor douteux

Qu’en votre faveur on prononce.

FLORINE.

Fin de l’air, en s’en allant.

La vive et légère humeur
De la vie est la douceur,
Le véritable bonheur
Est d’aimer, chanter et rire,
Ah ! ah ! tes faveurs
Raniment tous les cours.

Elle sort.

 

 

Scène XIII

 

LA FÉE, AGATHE qui affecte un air extrêmement simple

 

LA FÉE, ironiquement.

Et vous, l’aimable Bergère,

Sur quoi fondez-vous vos succès !

AGATHE.

Moi, Madame ? je sais faire

Des Épigrammes.

LA FÉE.

Vous ? avec votre air Agnès !

AGATHE.

Ce sont des remarques malignes,

Que je fais en très peu de lignes,

On ne s’en douterait jamais :

Cependant, Madame, j’en fais.

 

SUR LES AUTEURS.

Bien des Auteurs, dans leurs ouvrages,

Exposent des riants portraits ;

Ils peignent tous leurs personnages

Sous les plus agréables traits ;

C’est une chose remarquable

Que des gens qui savent si bien

 Tout ce qu’il faut pour être aimable,

Pour eux, souvent n’en sachent rien.

 

SUR L’OPÉRA DE DOM-QUICHOTTE.

Pourquoi vouloir estropier

Dom-Quichotte et son Écuyer ?

C’est témérité pure.

Au Théâtre, jamais, ce fameux Chevalier

N’est bien sorti de l’aventure,

Malgré son air maigre, have et menaçant,

Il paraît, et ne fait point rire ;

Et Dom-Quichotte n’est plaisant,

Que pour les gens qui savent lire.

 

SUR LES PETITS MAÎTRES.

On a souvent d’un petit Maître,

Voulu crayonner le portrait :

À tous les traits qu’on peut connaître,

Je n’ajouterai qu’un seul trait :

Fait pour vivre au milieu des Dames,

Dans ses progrès, qu’elle diversité !

Il se fait adorer par trois ou quatre femmes,

Des autres il est détesté.

À la Fée.

Je ne sais si je puis vous plaire.

Dame, voilà tout ce que je sais faire.

LA FÉE.

À votre air simple et doux,

Je l’avouerai, j’espérais moins de vous :

Au surplus, tel qui sait médire,

Doit craindre à son tour la Satire.

Agathe sort.

 

 

Scène XIV

 

LA FÉE, ARLEQUIN

 

LA FÉE.

Enfin de tous ces étrangers,

Arlequin est le seul qui, sans rien entreprendre,

Commence par se rendre,

Et lui seul brave les dangers.

ARLEQUIN.

Je viens de rassembler mes talents, ma science,

À la Fée.

J’avais grand tort d’avoir autant de défiance.

Oui, Madame, il est étonnant,

Combien je suis savant ;

Je suis surpris de ma propre abondance,

Je sais... regardez bien, je sais mille lazzis.

Il fait des lazzis.

Voyez-vous... je sais faire aussi la Capriole,

Est-elle bien ? je sais répondre aux clis, clis clis,

Enfin, je suis d’un très grand prix.

Il ne me manque rien, si ce n’est la parole.

LA FÉE, se mettant à rire.

Que répondre ? allons donc, en ces derniers instants,

Qu’on ne parle plus de supplice,

L’esprit et la gaité valent bien les talents,

À tous ces Étrangers il faut rendre justice.

Je vois, dans mes sujets, leur Arrêt prononcé.

C’est mériter assez que de s’être efforcé.

Que la danse et le chant célèbrent cette fête,

Et que de chacun d’eux la liberté s’apprête.

 

 

Divertissement

 

On danse.

VALÈRE, chante.

Que les riants plaisirs
Succèdent aux soupirs,
Ô bonheur suprême !
Dans ce séjour j’obtiens ma liberté.
Je vais fuir ce lieu redouté,
Pour comble de félicité,
Je vais fuir avec ce que j’aime.

On danse.

Vaudeville

Une simple Bergère,
Sans art, sans ornements,
Dans la taille légère,
Dans son humeur sincère,
Fait voir mille agréments,
Le premier des talents
Et le talent de plaire.

Lise est une Étrangère ;
Ses discours sont charmants ;
Quoique sa bouche altère
Tant soit peu la Grammaire
Ses tours sont séduisants.
Le premier des talents
Et le talent de plaire.

Colin tendre et sincère,
M’offre des feux constants,
Comment être sévère ?
Par une ardeur trop chère,
Il enchante mes sens.
Le premier des talents,
Est le talent de plaire.

Les avis du Parterre,
Sont toujours excellents ;
Indulgent, ou sévère,
Un goût certain éclaire
Ses divers jugements.

Au Parterre.

Le premier des talents,
Est celui de vous plaire.

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