L’Oncle rival (MÉLESVILLE)

Comédie-vaudeville en un acte.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Gymnase-Dramatique, le 14 décembre 1830.

 

Personnages

 

LE BARON

CHARLES, son neveu

JULIE, femme de Charles

ROBERT, vieux brigadier

GUILLAUME, concierge

 

La scène se passe dans un château appartenant au baron.

 

Le théâtre représente un salon de vieux château. À droite de l’acteur, une table et un grand fauteuil. À gauche, quelques chaises. Porte au fond, et portes latérales.

 

 

Scène première

 

CHARLES, en uniforme négligé, assis près de la table et lisant, ROBERT, entrant par le fond

 

ROBERT, à la cantonade.

Eh ! oui, vous dis-je, il me suit : vous le verrez à l’instant... bonne chère, grand feu, et le plus tôt possible.

CHARLES, se levant.

C’est toi, Robert ?

ROBERT.

Monsieur Charles !

CHARLES.

Par quel hasard ?

ROBERT.

Un hasard, ventrebleu ! c’est bien un ordre de mon colonel qui fait courir la poste à son vieux brigadier !

CHARLES.

Comment ?

ROBERT.

Pour faire préparer les relais, et annoncer son arrivée.

CHARLES.

Que dis-tu ? mon oncle viendrait dans ce château, qu’il n’a pas visité depuis dix ans ?

ROBERT.

Air de Préville et Taconnet.

D’une heure au plus je le devance.

CHARLES.

Dans quel embarras me voici !

ROBERT.

Et pourquoi donc ? De votre obéissance,
Mon colonel sera ravi.
Il s’attend bien à vous trouver ici.

CHARLES, souriant.

L’air de Paris me devenait contraire...
De créanciers j’avais, pour le moment,
De tous côtés, un tel assortiment,
Que j’aurais pu, sans peine, en temps de guerre,
Avec eux seuls, lever un régiment.

ROBERT.

Laissez, laissez... un bon mariage raccommodera tout cela.

CHARLES.

Tu crois ?

ROBERT.

Monsieur le baron a pour vous un parti excellent ; et si vous vous prêtez à ses vues, il paiera encore une fois vos dettes.

CHARLES, souriant.

Il faudra bien qu’il les paie sans cela, car je ne profiterai pas de son parti excellent.

ROBERT.

Oh ! oh ! jeune homme, il faut pourtant songer à l’avenir... prenez-y garde, votre oncle est si bizarre... le premier minois chiffonné lui fait tourner la tête... j’ai toujours peur qu’il ne me fasse quelque sottise ! et une fois marié, adieu la succession ! Croyez-moi, épousez toujours celle qu’il vous destine.

CHARLES.

Épousez, épousez... tu en parles bien à ton aise.

À mi-voix.

Je suis marié.

ROBERT.

Marié... vous !... quelle folie

CHARLES, se frottant les mains.

Que veux-tu, mon ami ? la folie est faite.

ROBERT.

Ah ! bon Dieu !... et dites-moi, auriez-vous épousé cette jeune personne, à laquelle monsieur le baron vous avait défendu de penser ? dont la famille était en procès avec lui ?

CHARLES.

Précisément.

ROBERT.

Qui n’a aucune fortune ?

CHARLES.

Pas un écu.

ROBERT.

Vous avez tort !

CHARLES.

Pourquoi m’ordonne-t-il des choses impossibles ? croit-il que j’aurais pu vivre ici, seulement une semaine, si j’y étais venu seul ?... on n’y rencontre pas une figure humaine.

ROBERT.

Comment ! madame est avec vous ?

CHARLES.

Certainement.

ROBERT.

Votre oncle ne vous le pardonnera jamais... et s’il la rencontre, vous êtes perdu.

CHARLES.

Tu crois ? eh bien ! voyons... cherchons ensemble ce que je vais faire de ma femme.

ROBERT.

Il faut la cacher dans quelque chambre écartée... ce château est si grand.

CHARLES.

Elle n’y consentirait pas ! elle a une petite tête... Ne voulait-elle pas aller à Paris, descendre chez mon oncle ?... elle riait de sa colère, et prétendait qu’elle saurait en triompher.

ROBERT.

Elle ne le connaît pas ! il faut au moins trouver le moyen de cacher qui elle est... Attendez ! si j’ai bonne mémoire... Guillaume, le concierge du château, doit avoir une fille de seize à dix-sept ans.

CHARLES.

Je ne l’ai pas encore vue.

ROBERT.

Elle est dans le Midi, chez une vieille tante... Ne peut-on pas supposer qu’elle est de retour ?

CHARLES.

À merveille ! quand mon oncle la connaîtra, sans savoir que c’est ma femme, je sais sûr qu’il en sera enchanté... c’est qu’elle est si aimable... tant d’esprit, tant de grâces !... il n’y a que huit jours que nous sommes mariés.

ROBERT.

Je le vois bien, monsieur... Ah ça ! quelle raison donnerons-nous, pour faire revenir cet enfant ?

CHARLES.

La raison ? sa tante vient de mourir.

ROBERT.

Ah ! nous la tuons !... et de quelle mort ?

CHARLES.

Subite.

ROBERT.

C’est cela.

 

 

Scène II

 

CHARLES, JULIE, ROBERT

 

JULIE, entrant par le fond et accourant.

Ah ! Charles ! que viens-je d’apprendre ?... ton oncle...

CHARLES.

Que veux-tu, chère amie, il a juré de me désespérer ! mais nous venons de former contre lui une conjuration.

JULIE, vivement.

Une conjuration ? j’en veux être.

ROBERT.

Vous avez raison, monsieur, il serait fâcheux de ne pas montrer cette figure-là au colonel... il est amateur.

CHARLES, à Julie.

Tu vois, Julie, ce bon Robert dont je t’ai parlé, et qui m’a si souvent endormi avec ses vieux contes ! il consent à nous seconder. D’abord, pour éviter les premiers effets de la colère de mon oncle, nous ne voulons pas que tu paraisses devant lui sous le nom de ma femme...

JULIE.

J’entends.

ROBERT.

Guillaume a une fille qui doit être à-peu-près de votre âge... elle habite les environs d’Arles.

CHARLES.

Personne ne la connaît.

JULIE.

Je devine... vous voulez me faire passer pour la fille de Guillaume... c’est charmant !

Air : Ah ! vous avez des droits superbes.

D’avance, ce projet m’enchante,
Ce rôle me conviendra bien ;
D’une paysanne ignorante,
J’aurai l’air gauche et le maintien.
Simple et naïve en mon langage,
Je prendrai même, si je puis,
Cette innocence de Village    } (bis.)
Qui vaut bien celle de Paris. }
J’aurai toujours en mon langage,
Cette innocence de village...
On y croit encor (bis.) à Paris.

Mais votre concierge est un imbécile, qui ne pourra jamais soutenir son personnage.

ROBERT.

On le soufflera... reposez-vous sur moi du soin de le faire marcher.

CHARLES, à Julie.

Et le patois du pays !

JULIE.

Ne craignez rien : ma vieille gouvernante était dé Draguignan... et quand elle me fâchait, j’imitais

L’imitant.

Son acent avec uné vérité qui la désespérait.

CHARLES.

Très bien.

JULIE.

Enfin, je vais donc le voir cet oncle terrible... qui me méconnaît, qui me repousse... moi, qui étais si disposée à l’aimer !

ROBERT.

Vous n’avez pas l’air bien effrayé, madame.

JULIE.

Air : Ah ! si ma dame me voyait.

Pourquoi craindrais-je ce moment ?
Je puis bien braver sa colère...
Cet oncle chagrin et sévère,
Doit s’adoucir en me voyant ;
Il fut, dit-on, tendre, aimable et galant.
On dit qu’au déclin de sa vie,
Il sent encor battre son cœur
Auprès d’une femme jolie !...

En souriant.

Ah ! c’est lui qui doit avoir peur.

CHARLES.

Ainsi, tu es sûre de ton triomphe ?

JULIE.

Sans doute, mon père a toujours dit que j’étais étonnante ; il m’a prédit cent fois que je réussirais dans tout ce que je voudrais entreprendre.

CHARLES.

Oh ! ton père...

JULIE.

Mon père, monsieur, est reconnu pour avoir un excellent jugement.

CHARLES.

Tu vois, Robert, c’est un enfant gâté, une petite folle.

JULIE.

Point du tout, monsieur, je suis plus raisonnable que vous. Qui de nous deux a épousé une petite fille sans fortune, à qui l’on vous défendait de songer ? hein ?... ce n’est pas moi, peut-être ? et cependant, je vais employer tout mon esprit pour vous faire pardonner votre faute ! je cours préparer mon costume.

CHARLES.

Et moi, donner le mot au concierge.

ROBERT.

C’est cela.

CHARLES.

Air d’une Nuit au château.

À notre honnête Guillaume,
Je cours faire la leçon ;
Et lui donner un diplôme
De père... d’occasion.
Il nous servira, je pense ;
Je promettrai, pour cela,
Une bonne récompense...
Que mon cher oncle paiera.

On entend le bruit d’une voiture.

ROBERT.

Eh ! mon Dieu !... j’entends une voiture.

CHARLES.

C’est mon oncle !

JULIE.

Je me sauve.

CHARLES.

Et moi je cours lui offrir mon bras.

Fin de l’air.

ENSEMBLE.

De l’adresse et du silence,
Notre plan réussira :
J’en suis certaine       } d’avance,
Oui, j’en suis certain  }
Mon    } oncle pardonnera.
Votre  }

Julie sort par la porte à droite, Charles par le fond, pour aller au-devant de son oncle.

ROBERT, seul.

Il était temps !... Allons, allons, la bataille va s’engager... attention... et soutenons le choc avec fermeté.

 

 

Scène III

 

ROBERT, LE BARON et CHARLES

 

LE BARON, s’appuyant sur son neveu et parlant à la cantonade.

Eh ! morbleu, laissez-moi... je vous dis que je me porte bien...

Entrant.

La peste des imbéciles, avec leur empressement ! ils ont failli m’étouffer.

Il voit Robert.

Ah ! te voilà, Robert ?

ROBERT.

J’arrive, mon colonel.

LE BARON.

Ainsi donc, monsieur mon neveu, vous me vous attendiez pas à me voir ici ?

CHARLES.

J’en conviens, ce voyage...

LE BARON.

Est assez pénible ! mais ma foi, cela regarde ma goutte.

Il examine la chambre.

Eh ! mais, ce château n’est pas dans un si mauvais état.

CHARLES.

Comment !... c’est un lieu de délices... des fossés, de vieilles tourelles... des rochers, des précipices !...

LE BARON, avec ironie.

Fort bien ! puisque vous aimez la solitude, vous pourrez y réfléchir tout à votre aise à vos sottises passées, et Dieu merci...

CHARLES.

Ah ! mon oncle !... allez-vous encore me faire de la morale ?... Tenez, je suis charmé de vous voir ; j’oublie toutes vos remontrances, faites de même... pardonnons-nous mutuellement nos petits torts, et vivons bien ensemble.

LE BARON.

Ah ! vous faites le plaisant !... je ne plaisante pas moi, monsieur ! D’abord, j’exige que vous renonciez au mariage ridicule dont vous m’avez si souvent parlé.

CHARLES.

Vous êtes pressant.

LE BARON.

Et surtout fort pressé de voir finir vos désordres.

CHARLES.

Mes désordres !...

LE BARON.

Oui, monsieur... et si vous me poussez à bout, c’est moi qui finirai par me marier.

CHARLES.

Vous, mon oncle !

LE BARON.

Moi-même.

CHARLES.

Pourquoi faire ?...Bon ! vous tenez trop à votre tranquillité.

LE BARON.

Vous verrez, monsieur, vous verrez, si c’est une menace vaine.

Air d’Aristippe.

J’ai fui longtemps les nœuds du mariage,
Dans les combats je trouvais le bonheur ;
Mais aujourd’hui, des glaces de mon âge,
L’hymen saura tempérer la rigueur. (bis.)
D’une compagne aimable, jeune et bonne,
Le seul aspect me rendra mes vingt ans,
Comme un beau ciel, aux derniers jours d’automne,
Rappelle encor le soleil du printemps.

D’ailleurs, il me faut une société... vous monsieur, vous me négligez ; je vous vois à peine.

CHARLES.

Ah ! mon oncle, quelle idée : mes visites assidues...

LE BARON.

Oui, vous paraissez chez moi quand vous n’avez plus le sou.

CHARLES.

Vous voyez bien que j’y vais souvent.

LE BARON.

Mais quand je serai marié, nous verrons comment vous vous tirerez d’affaire !... je parie que vous êtes encore criblé de dettes.

CHARLES.

Parbleu, mon oncle, il le faut bien, vous ne les payez jamais.

LE BARON.

J’ai tort, je devrais m’empresser...

CHARLES.

Sans doute ; votre arrivée dans ce château est un coup du ciel, et je veux vous convaincre...

LE BARON.

Laissons cela... faites avertir mon régisseur que j’ai à lui parler.

CHARLES.

Je vous le disais bien : vous voilà déjà attendri !... vous demandez votre régisseur pour lui ordonner de me compter de l’argent.

LE BARON.

Hein !...

CHARLES.

J’y cours, mon cher oncle, et je vous remercie d’avance de toutes vos bontés.

Bas à Robert, qui est un peu dans le fond à droite.

Robert, pendant qu’il est de bonne humeur, parle un peu de ma femme ; il ne faut pas le laisser respirer.

Il sort par la porte du fond.

 

 

Scène IV

 

ROBERT, LE BARON

 

LE BARON, souriant, et le regardant sortir.

Mauvais sujet !...

À mi-voix.

Absolument comme j’étais à son âge !...

Haut.

Robert.

ROBERT.

Mon colonel.

LE BARON.

Approche-moi ce fauteuil... cette chambre me plaît, et j’en veux faire mon appartement.

S’asseyant.

Ah ! quel voyage !

ROBERT, passant à la gauche du baron.

Aussi, mon colonel, pourquoi ce brusque départ ?

LE BARON.

Le changement d’air me fera du bien... d’ailleurs, je veux un peu surveiller cette terre... on m’a prévenu que mon régisseur me volait.

ROBERT.

Que voulez-vous donc qu’il fasse ?

LE BARON.

Le coquin ne m’attendait pas sitôt.

ROBERT.

Comment diable ! allez-vous passer le temps dans ce désert ?... point de société... aucune distraction... je gage qu’il n’y a pas seulement une bonne cave.

LE BARON, à mi-voix.

Aucune société... qu’est-ce que tu dis donc ?... j’ai fait une découverte...

Air de l’Écu de six francs.

Une femme !... la plus jolie,
Minois charmant, regard fripon ;
Près d’elle, mon âme ravie...

ROBERT, brusquement.

Avez-vous perdu la raison ?...
Joli minois, grâces timides
Ne sont plus faits pour nous, morbleu !
Peut-on se présenter au feu,
Lorsque l’on a les invalides ?

LE BARON, riant.

Invalides !... ah ! parle pour toi.

ROBERT.

Enfin ?...

LE BARON, souffrant par degrés.

En descendant de voiture, j’ai aperçu à travers une croisée, une jeune fille... ah... une taille charmante ; un air tout à fait...

Portant la main à sa jambe.

Ouf !...

ROBERT.

Qu’avez-vous ?...

LE BARON.

Rien... rien...

ROBERT, riant.

Invalides !... ah ! parle pour toi.

LE BARON.

Mauvais plaisant !... et sais-tu quelle est cette beauté ?

ROBERT.

Ma foi non... à moins que ce ne soit la fille du concierge... la petite Marie, qu’il a fait revenir du Midi.

LE BARON.

Ah !... Guillaume a une jolie fille ?...

Il se lève.

C’est un bon serviteur que ce Guillaume !... Il faudra que je voie ce qu’on pourra faire pour cette petite... tu lui diras de me l’amener.

ROBERT, secouant la tête.

Hum... mon colonel...

LE BARON.

Parbleu ! je ne peux pas courir après elle... Ah ! dame, autrefois...

ROBERT.

Ah ! autrefois... n’en parlons plus... c’est le chapitre des regrets.

LE BARON.

Eh !... eh !... c’est que j’étais un gaillard... en 85...

ROBERT, souriant.

Eh bien !... est-ce que le souvenir de vos fredaines ne devrait pas vous rendre indulgent pour celles de votre neveu ?

LE BARON, vivement.

Du tout ! il y a des choses que je ne puis passer... et M. Charles, avec son amour ridicule...

ROBERT.

Bah ! vous aurez beau pester, jurer... vous ne me ferez pas croire que ce pauvre jeune homme ne pourra jamais vous fléchir.

LE BARON, en colère.

C’est pourtant ma volonté irrévocable ! Que Charles accepte la main de celle que je lui destine, et je lui pardonne... mais monsieur a une passion ! il donne dans les grands sentiments ! et pour qui ?... pour une petite fille dont le nom seul... Corbleu ! s’il se jouait de moi, s’il l’épousait jamais !

ROBERT.

Eh bien ! eh bien ! s’il l’épousait... ce serait une grande imprudence ! mais, après tout, les honnêtes gens épousent les filles qu’ils aiment... il n’y a que les libertins qui les abandonnent.

LE BARON, en colère.

S’il l’épousait, je le déshériterais.

ROBERT.

Déshériter ? lui ?...

LE BARON.

Oui.

ROBERT.

Votre neveu ?

LE BARON.

Mon neveu !

ROBERT.

Allons donc.

LE BARON.

Ah ! ne disputons pas là-dessus ! vous commencez à m’échauffer la bile, et vous me donneriez la goutte, si je ne l’avais pas.

Il s’assied brusquement.

ROBERT, s’échauffant.

C’est que je ne puis supporter de vous voir malheureux par votre faute.

LE BARON, se récriant.

Par ma faute ?

ROBERT, vivement.

Oui, morbleu, par votre faute ! si votre neveu commettait une erreur, devrait-il en être puni éternellement ? Si vous le priviez de vos bienfaits, la misère serait donc son partage ?

LE BARON, très ému.

Finirez-vous ?...

ROBERT.

Et ces enfants infortunés n’auraient donc...

LE BARON, furieux.

Encore une fois, finirez-vous ?...

ROBERT.

Eh ! mon colonel, suivez mes conseils ; et pendant qu’il en est temps, sauvez-vous des remords qui vous poursuivraient dans votre vieillesse.

LE BARON, exaspéré.

Silence !... il ne convient pas à un valet de donner des leçons à son maître.

ROBERT, stupéfait.

Un valet !...

Air : Époux imprudent, fils rebelle.

Un valet !... que viens-je d’entendre !
De mes soins, est-ce là le prix ?
Un valet !... Devais-je m’attendre
À supporter de tels mépris ?
Quoi ! mon colonel me dégrade !...
Quand près de lui j’affrontais mille morts,
Quand je le couvrais de mon corps,

Avec sentiment.

Il m’appelait son camarade !

LE BARON, à part.

Maudite vivacité !...

Haut.

Robert !

ROBERT, s’essuyant les yeux.

Je puis supporter votre humeur brusque, votre colère... mais jamais une humiliation.

LE BARON.

Tu pleures.

ROBERT.

Ce sont des larmes de rage ! et si vous n’étiez pas mon colonel ! morbleu !...

LE BARON, lui tendant la main.

Allons, allons... donne-moi la main.

ROBERT, lui tournant le dos.

Hum !...

LE BARON, se levant vivement.

Comment ! tu refuses !... Mauvaise tête ! vous verrez qu’il faudra nous battre pour nous raccommoder.

ROBERT, ému.

Nous battre !

LE BARON, vivement et lui ouvrant les bras.

Eh ! parbleu, il faudra bien en venir là, si tu refuses d’embrasser ton vieil ami.

ROBERT, dans ses bras.

Ah ! mon colonel ! Pardon, pardon !

LE BARON, ému et après un silence.

Robert, promets-moi d’oublier ce qui vient de se passer.

ROBERT.

L’oublier !

LE BARON.

J’ai eu tort.

ROBERT, vivement.

C’était moi.

LE BARON.

Non, je te dis que c’était moi.

ROBERT, s’animant.

Morbleu ! je soutiens...

LE BARON, de même.

Vas-tu recommencer ?... diable d’entêté ! Ne t’avise plus de me parler de mon neveu... tu vois où cela nous mène... à oublier... Allons,

Avec émotion.

tu ne m’en parleras plus, n’est-ce pas ? tu me le promets ?

ROBERT.

Tout ce que vous voudrez.

LE BARON.

Touche-là ! j’ai besoin de prendre l’air un moment...

Robert lui offre son bras et veut le conduire.

Non, laisse-moi, mon ami.

Il sort par la porte à gauche.

 

 

Scène V

 

ROBERT, seul

 

Hum ! me voilà déjà hors de combat ! aussi je vais m’attendrir comme un nigaud ! et quand je pleure, je suis plus gauche qu’un hussard démonté.

 

 

Scène VI

 

ROBERT, JULIE, vêtue en paysanne provençale, GUILLAUME

 

JULIE, en dehors, à la porte du fond.

St, st... Robert !

ROBERT.

Venez, venez... il n’y est pas. Ah ! c’est toi, Guillaume ! Peste, quelle tenue !

GUILLAUME.

Vous voyez... nous v’là sous les armes.

Montrant Julie.

Hein ! est-on fier d’avoir une fille comme celle-là !

JULIE, à Robert.

Vous avez parlé au baron, est-il bien disposé ?

ROBERT.

Inflexible.

JULIE.

Comment, vous n’avez pu l’attendrir ?

ROBERT.

L’attendrir !... il était d’une colère épouvantable ! nous avons été sur le point de nous brûler la cervelle.

GUILLAUME, effrayé.

Hein !... est-ce que ça lui prend souvent ces envies-là ?

ROBERT, à Julie.

Je lui ai promis de ne plus m’en mêler ; ainsi vous voilà abandonnée à vous-même.

JULIE.

Tant mieux ! les obstacles ne font qu’augmenter mon courage. Ah ! ah ! mon cher oncle, c’est à moi que la victoire est réservée.

GUILLAUME.

C’est cela, faut être pus ostiné que lui.

ROBERT.

Et toi, Guillaume, es-tu bien préparé ?

GUILLAUME.

Ah ! vous savez que quand on me charge de quelque chose, je m’en acquitte...

ROBERT.

Assez mal.

GUILLAUME.

Bah ! dès qu’il ne s’agit que de mentir, ça va aller tout seul.

ROBERT, regardant vers la gauche.

Chut... je crois qu’on ouvre la porte du jardin... c’est votre oncle qui revient... je vous laisse.

JULIE.

Dites à Charles de ne pas m’abandonner.

ROBERT.

Soyez tranquille...je vous l’enverrai quand il en sera temps.

Il sort par le fond.

 

 

Scène VII

 

GUILLAUME, JULIE

 

GUILLAUME, regardant à gauche.

C’est bien lui... voilà déjà la peur qui me galope.

JULIE.

Eh bien ! ne vas-tu pas trembler maintenant ?

GUILLAUME.

Oh non... c’est qu’il est si vif !... et puis, il porte toujours une canne... ça me trouble les idées. Le v’là !

Il la pousse de côté.

 

 

Scène VIII

 

GUILLAUME, JULIE, LE BARON

 

LE BARON, rentrant par la porte à gauche, et se parlant à lui-même.

Oui, c’est monsieur Charles qui avait arrangé tout cela... il a mis Robert dans ses intérêts...

Il va vers la droite.

Air : Tout vient redoubler ma tristesse. (Une Faute.)

Ensemble.

LE BARON, sans voir Julie et Guillaume.

Oui, de cette attaque imprévue,
Charles est le seul auteur, je crois ;
Mais son espérance est déçue,
Il ne peut l’emporter sur moi.

GUILLAUME et JULIE.

Ma frayeur augmente à sa vue,
Mon cœur s’agite malgré moi ;
Et sa voix, dans mon âme émue,
Apporte le trouble et l’effroi.

GUILLAUME, à Julie.

Approchez.

JULIE, bas.

Devant lui, je n’ose plus paraître.

LE BARON, la voyant.

Mais que vois-je en ces lieux ?

GUILLAUME.

J’vous dérange peut-être.
Avec ma fille, ici, j’venais saluer not’ maître...

LE BARON, la regardant.

C’est fort bien.

JULIE, à part.

Mais vraiment,
Son regard n’a rien d’effrayant.

Ensemble.

LE BARON, à part.

Mais quel objets offre a ma vue !
Jamais des attraits si piquants
N’ont porté dans mon âme émue
Le trouble heureux que je ressens.

JULIE et GUILLAUME, à part.

Oui, déjà je crois que  { ma vue
                                   { sa
Rend ses regards moins effrayants ;
Et sa voix, dans mon âme émue,
Calme le trouble que je sens.

LE BARON.

Ah ! c’est là ta fille, Guillaume ?

GUILLAUME.

Oui, monsieur le baron.

LE BARON.

Tu l’as donc fait revenir de Provence ?

GUILLAUMIE.

Ah ! dame... je vas vous dire, sa tante est morte ; et ça l’a empêchée de la garder plus longtemps... je venais pour la présenter à monsieur le baron ; mais vous êtes occupé, nous reviendrons dans un autre moment...

LE BARON.

Du tout, du tout, reste donc.

À Julie.

Approchez, mon enfant.

GUILLAUME, à Julie.

Eh bien, approche donc.

Julie fait un pas en arrière.

Eh bien ! elle recule !... mon Dieu, que ça devient gauche en grandissant.

LE BARON, la regardant.

Air : Je n’ai point vu ces bosquets de lauriers.

Que de grâce !... que de fraîcheur !
Eh ! quoi, mon cher, vraiment, c’est là ta fille ?
Tu t’es trompé, sur mon honneur ;
Car vous n’avez aucun air de famille...

GUILLAUME.

Oui, sa figur’, c’est étonnant,
De la mienne en tous points diffère ;
Mais je m’en console aisément.
Ce n’est pas le premier enfant
Qui n’ait rien du tout de son père. (Bis.)

LE BARON.

Elle est charmante ! un air modeste, ingénu !

Bas à Guillaume.

Eh ! dis-moi, mon neveu ne l’a pas vue ?

GUILLAUME, à mi-voix.

Oh que non... j’ai pris mes précautions, parce que monsieur Charles a une réputation...

LE BARON.

Détestable.

GUILLAUME.

Comme vous dites, détestable ! et puis, voyez-vous, une jeune fille à cet âge-là... c’est jeune.

LE BARON, souriant.

Parbleu !

GUILLAUME.

Il y a tant de mauvaises langues... il ne faut que quelques propos... « Elle a écouté celui-ci, – elle s’est laissé embrasser par celui-là. » Ça suffit pour faire croire... ils sont bêtes comme tout dans ce village-ci.

LE BARON, le regardant.

Je m’en aperçois. Mais tu ne dois pas redouter ma réputation, à moi ?

GUILLAUME.

Certainement, M. le baron, que je ne vous crains pas du tout... Un homme d’âge ! Je suis bien sûr que... Allons, parlez donc, petite fille.

Il la fait passer auprès du baron.

vous me laissez faire tout les frais de la conversation.

JULIE, avec l’accent provençal qu’elle conserve toujours dans cette scène, et dans les scènes suivantes.

Mon père, que voulez-vous qué zé dise ?

GUILLAUME.

Pardi ! c’est bien aisé. Dites à M. le baron que vous êtes sensible à l’honneur qu’il a... d’avoir la bonté... d’être assez complaisant... pour... Dites-lui toujours ça, en attendant le reste.

JULIE.

Vous dités mieux qué moi.

GUILLAUME, l’imitant.

Vous dités mieux qué moi...

Au baron.

Excusez-là, M. le baron, c’est que, voyez-vous, chez sa tante, elle a appris à parler iroquois.

LE BARON.

Ne la tourmente pas. Quel âge a-t-elle, Guillaume ?

GUILLAUME.

Elle a à-peu-près...

À part.

Ah ! mon Dieu : ils ne m’ont pas prévenu de cela.

Bas à Julie.

Quel âge avez-vous ?

JULIE, faisant la révérence.

Zai dix-huit ans, moussu lé baron.

GUILLAUME.

Oui... all’ a dix-huit ans ! je me rappelle à présent... parce que la veille de la Saint-Médard se trouvait un lundi... et alors, comme elle est née le lendemain... ça doit faire juste dix-huit ans.

Passant entre Julie et le baron.

Ah ! ça, M. le baron, nous ne voulons pas abuser de vos moments, j’ai à ranger dans le château.

LE BARON.

Eh ! bien, ne te gêne pas pour moi... vas à tes affaires, mon ami, ta fille me tiendra compagnie.

GUILLAUME.

Comment, vous voulez que cette petite...

LE BARON.

Elle m’intéresse... je veux savoir ses petits secrets... elle ne te les dirait pas à toi, et ça m’amusera ! et puis, c’est à moi de veiller au bonheur de tout ce qui m’entoure.

GUILLAUME.

Oh ! il est de fait que si elle se met une fois à babiller, elle vous contera un tas d’histoires, que vous ne vous y reconnaîtrez plus ! et puis, dès qu’elle vous ennuiera, vous n’aurez qu’à faire çà... brrrt...

Indiquant du geste de s’éloigner.

Allez ! all’ y est habituée avec moi.

LE BARON.

Ne t’inquiète pas.

GUILLAUME.

Alors je m’en vais.

JULIE, cherchant à le retenir.

Comment, mon païré, vous mé laissez ?

GUILLAUME.

Allons, ne vas-tu pas faire la niaise ? toi, qui désirais tant voir M. le baron... restez là, et tenez-vous droite.

Prêt à sortir et voyant le baron qui a les yeux fixés sur Julie.

Comme il la regarde ! tout de même, si j’étais son père... je ne m’en irais pas.

Il rentre dans la chambre à droite.

 

 

Scène IX

 

LE BARON, JULIE

 

LE BARON, à part.

C’est que je n’ai jamais rencontré de minois plus séduisant !

Haut.

Approchez donc, mon enfant.

JULIE, s’approchant.

Zé n’ose pas, moussu lé baron.

LE BARON.

Est-ce que je vous fais peur ?

JULIE, jouant l’embarras.

Un peu, moussu lé baron.

Air : Agnès la jouvencelle (de Fra Diavolo).

Au sortir du village,
Fillette de mon âge,
Manque un peu de courage,
Et tremble à chaque pas.
Prends gard’, s’dit-elle tout bas,
Le mond’ te guette, hélas !
Prends gard’, s’dit-elle tout bas,
Car du moindre faux pas,
Bien souvent la plus sage
Ne se relève pas.

LE BARON, d’un air aimable.

Voilà pourquoi il lui faut un guide, un conseil ! que n’ai-je deviné que vous étiez ici ? je serais venu plutôt tenir compagnie à cette chère petite ! Vous devez bien vous ennuyer dans ce vieux château ? seule avec votre père ?... et puis, nous avons laissé peut-être quelque bon ami, là bas, dans la Provence ?

JULIE.

Un bon ami ?... oh ! point du tout.

LE BARON.

Est-il possible !

JULIE.

Zé suis difficile, moi.

LE BARON.

Oui dà.

JULIE.

Beaucoup me faisaient la cour... et des rissards encore... zé les ai pas écoutés.

LE BARON.

Et pourquoi ?

JULIE.

Pourquoi ? je suis pas affamée d’arzent... et puis j’aime pas tout lé monde, voyez-vous.

LE BARON.

Parbleu, je le crois bien.

JULIE.

Z’ai compris que les hommes souvent ils ne voulaient que rire, zé mé suis dit : Prends-y garde, Marie, tu seras attrapée, si tu les écoutes... pécaïre, tu n’as pas dé malice, toi.

LE BARON.

Cette chère enfant ! c’est qu’elle a une raison au-dessus de son âge.

Duo.

Air : Fragment d’un duo des Artistes par occasion (de Catel).

JULIE.

L’un mé parlait de sa richesse,
Et m’offrait le plus beau destin ;
L’autre, pour gag’ de ma tendresse,
Voulait un baiser... mais soudain,
Je répondais à chaqu’ blondin :
Vous repasserez l’an prochain.

LE BARON.

Que de grâce et de gentillesse !
Mais à votre âge, mon enfant,
Pour mieux conserver sa sagesse,
Il faut aimer quelqu’un pourtant.

JULIE.

Lé choix est bien embarrassant.

LE BARON.

Il vous faudrait un homme aimable,
Mais pas trop jeune.

JULIE.

Oh ! je le crois.

LE BARON.

Un homme mûr... et raisonnable,
Enfin un homme... comme moi.

JULIE.

Vous voulez vous moquer de moi.

LE BARON.

Non vraiment, je me donne au diable,
Ce doux regard, cette candeur,
Pour jamais enchaînent mon cœur.

JULIE.

Voilà les discours qu’au village,
On me tenait soir et matin ;
Mais je n’ crains pas ce beau langage
Qui chang’ du jour au lendemain...
Et comm’ aux autr’s j’vous dis enfin :
Moussu, repassez l’an prochain.

Ensemble.

LE BARON.

De toi mon bonheur dépendra.
Que m’importe que l’on me blâme,
Mon projet réussira.
À ses regards je vois déjà
Que mon projet réussira.

JULIE, à part.

Je le sens au fond de l’âme,
Mon projet réussira.
À ses regards je vois déjà
Que mon projet réussira.

LE BARON.

Eh bien ! Marie ?

JULIE, avec bonté.

Eh bien !... zé conviens qu’à présent qué zé vous connais, il mé ferait grand peine dé vous quitter.

LE BARON, transporté.

Adorable enfant !... voilà qui est fini, je ne quitte plus ce château ! D’abord, je renvoie mon neveu...

Regardant Julie.

Ce ne serait pas la première fois...

JULIE, avec mystère.

Ah ! votre neveu !... ci vous voulez né rien dire... zé vous apprendrai un grand secret.

LE BARON.

Quoi donc ? il te fait la cour peut-être, le drôle... je ne souffrirai pas...

JULIE, à mi-voix.

C’est pas ça.

LE BARON.

Comment !

JULIE.

Promettez-moi dé né pas vous fasser.

LE BARON.

Je te le promets.

JULIE, bas.

Z’ai entendu l’autre soir qu’il contait à mon père son mariage avec celle qu’il aime.

LE BARON, avec colère.

Son mariage !... il aurait osé...

JULIE.

Sut... sut donc !

LE BARON.

Le misérable ! le coquin : je vais le chasser à l’instant de chez moi, et après...

JULIE, de même.

Et après !... voilà comme vous tenez votre parole ?

LE BARON.

Ah corbleu ! j’enrage.

JULIE.

Eh bien ! faut-il s’inquiéter pour cela ? C’est bon... zé vas mé fasser aussi, moi... et zé croirai pus tout ce que vous m’avez dit.

LE BARON, lui prenant la main.

Crois que tu es charmante ; que je t’adore !... mais monsieur mon neveu, c’est une autre affaire ! Oser me désobéir ! me braver à ce point !... je me vengerai... oui, morbleu !... dans ma colère, je suis capable...

La regardant.

Oh ! la bonne idée !

Air : Traitant l’amour sans pitié.

Oui, Charles sera puni ;
Et pour venger cet outrage,
Moi-même du mariage
Je ferai l’épreuve aussi.

JULIE.

Comment ?

LE BARON.

Écoute, Marie,
De toi mon âme est ravie,
Je te plais... je le parie,
Je t’épouse...

JULIE, très étonnée.

Eh ! quoi, monsieur !...

LE BARON.

Sans doute il est doux, je pense,
De savourer la vengeance,

Lui baisant la main.

Quand elle mène au bonheur !

JULIE.

Comment ! vous m’épousez !

LE BARON, vivement.

Oui, oui ! c’est une revanche ! nous nous convenons... nous nous aimons... je l’ai vu tout de suite ! nous ferons le couple le mieux assorti, et Charles enragera... Ah ! ah !... monsieur le drôle, vous ne vous attendez pas à celui-là ?

JULIE.

Oh ! non, il ne s’y attend pas...

LE BARON.

Hein ! quand il saura que tu vas être sa tante... cela ne sera-t-il pas plaisant ?-

JULIE.

Il voudra pas le croire.

LE BARON.

Il faudra bien qu’il le croie ; car rien ne me fera changer.

JULIE.

Il pourrait prévenir des ostacles.

LE BARON.

Impossible ! ne suis-je pas mon maître ? Les préjugés... je m’en moque ; d’ailleurs, je renonce au monde ; je vivrai dans cette terre ; je ne verrai personne.

JULIE.

C’est une soze drôle que l’amour !... Si on vous avait dit hier que vous alliez vous marier, peut-être vous auriez dit que non.

LE BARON.

Mon Dieu ! il y a une heure seulement... Pouvais-je deviner que je rencontrerais ici un trésor ?

JULIE,

Votre neveu aimait-il depuis longtemps celle qu’il vient d’épouser ?

LE BARON.

Depuis deux ans au moins ! il m’en a rompu la tête !

JULIE.

Il dit zé crois que sa femme est bonne, et qu’elle a été bien élevée.

LE BARON, vivement.

Qu’est-ce que cela me fait ? une fille de rien... qui n’a un sou !... je lui avais d’y penser, et... Eh ! mais qu’as-tu donc ? tu parais toute rêveuse ?...

JULIE, baissant les yeux.

Moussu le baron, zé suis aussi une fille de rien, moi... z’ai pas du tout de l’arzent.

LA BARON.

Charmante, en vérité ! rassure-toi, Marie, je ne dépends de personne, moi. À mon âge, je puis faire ce qui me plaît.

JULIE.

Ah ! zé comprends, zé crois. Votre neveu il fait une folie en prenant une femme de son aze, et qu’il aime depuis longtemps ! Vous,. au contraire, en en prenant une qui vous tombe des nues, et dont vous seriez le grand’père, vous

faites une soze raisonnable...

LE BARON, embarrassé.

Hein ? qu’est-ce qu’elle dit donc ?...

À Julie.

Mais, oui, tout dépend des circonstances.

JULIE.

À la bonne heure ; mais moi j’ai des escrupules, et si zé vous épouse, il faut me promettre...

LE BARON.

Tout ce que tu voudras.

JULIE, hésitant.

Moussu Charles y doit beaucoup de l’arzent.

LE BARON.

Encore Charles !... sans doute, il est perdu de dettes ; mais je sais bien qui est-ce qui ne les payera pas !

JULIE, câlinant.

Si fait ! vous les payerez... ce sera le présent de noces.

LE BARON.

Ah ! tu es trop raisonnable pour exiger...

JULIE, vivement.

Zé suis pas raisonnable... et si vous payez pas tout, zé veux plus de vous ! Comment ! zé deviendrais risse et brave ; z’aurais de belles robes, zé ferais la dame... et votre neveu y serait malheureux !... c’est pas possible, ça.

LE BARON.

Excellente fille ! tu es encore meilleure que tu n’es jolie !... Allons je, ferai ce que tu demandes. L’ingrat ne le mérite pas ; mais n’importe, ce sera pour toi seule.

JULIE, vivement.

Et vous permettez à sa femme de venir vivre près de vous ?

LE BARON.

Oh ! pour cela, non, qu’on ne me parle jamais d’elle.

JULIE.

Eh ! bien, moi, zé vous en parlerai toujours.

LE BARON, étonné.

Que signifie cet acharnement ?

JULIE.

Y signifie qué zé vous aime ; qué zé veux pas qu’on se moque de vous... et que vous passeriez pour un fou de punir moussu Sarles, et de faire pis que lui.

LE BARON.

Mais réfléchis donc...

JULIE, frappant du pied.

Zé réfléchis jamais !

Le baron veut parler, elle lui met la main sur la bouche.

D’abord, vous parlerez pas, que pour dire : oui... Zé l’ai mis dans ma tête ! Dites-vous oui ?

LE BARON.

Allons, allons, modère-toi ; nous verrons.

JULIE.

Ah ! vous allez dire oui... zé lé vois dans vos yeux.

LE BARON.

Il faut bien vouloir tout ce que tu veux.

JULIE se précipite sur sa main et la baise.

Ah ! mon cher...

Se remettant.

Moussu le baron, vous êtes bon, z’en zure, et votre nièce sera reconnaissante.

Air : Aimable, douce et gentille.

Je veux qu’elle soit mon amie,
Je veux qu’elle habite avec nous,
Et que vous passiez votre vie,
Entouré des soins les plus doux.

Avec âme.

Vous aimer et vous plaire
Sera son unique loi.
Si votre cœur lui fut contraire,
Il changera bientôt, je crois ;

Le baron hoche la tête.

Oui, dans quelques jours, je l’espère,
Vous l’aimerez autant que moi.

Ensemble.

LE BARON.

D’honneur, elle est charmante.
Tant de grâce m’enchante ;
Et sa bonté touchante
Promet à mes vieux ans
Les plus heureux instants :
Je n’ai plus que vingt ans !

JULIE.

Ah ! sa bonté touchante
Surpasse mon attente ;
Oui, sa bonté touchante
Promet à ses enfants
Les plus heureux instants :
Quel bonheur je ressens !

LE BARON, voyant Charles qui entre.

Ah ! diable ! c’est mon neveu... Ne dis rien.

 

 

Scène X

 

LE BARON, JULIE, CHARLES

 

CHARLES, entrant par la porte à gauche, à part.

Je n’y puis tenir plus longtemps ; il faut absolument que je sache...

Julie lui fait des signes.

Il paraît que tout va bien...

Haut.

N’y a-t-il pas d’indiscrétion, mon cher oncle, à troubler un tête-à-tête ?

LE BARON.

Eh ! eh ! peut-être.

CHARLES.

En ce cas, je me retire.

LE BARON.

Non, non, restez ; aussi bien, j’ai à vous parler. D’abord, saluez mademoiselle, et traitez-la avec tout le respect...

CHARLES.

Du respect !... mon oncle veut plaisanter.

LE BARON.

Non, monsieur, je le répète, traitez mademoiselle avec respect...

Se redressant.

J’en vais faire mon épouse.

CHARLES, éclatant de rire.

Oh ! oh ! oh !... votre épouse...

LE BARON.

Qu’est-ce à dire, monsieur ?... savez-vous que vous êtes un impertinent ?

Julie lui fait signe de se modérer.

CHARLES, se retenant à peine.

C’est malgré moi... pardonnez-moi ; mais...

À part.

Épouser ma femme !... ceci passe la plaisanterie.

JULIE, au baron.

Zé vous disais bien que cela ne lui ferait pas plaisir.

LE BARON, bas.

Qu’est-ce que cela me fait ?... ne faudra-t-il pas que je lui demande la permission ?

Il s’assied.

CHARLES.

Ah ça ! mon oncle, ce n’est pas sérieusement...

Les regardant.

Si, ma foi... j’aperçois des signes d’intelligence...

Allant auprès de son oncle.

Comment ! ii n’y a pas une heure que vous la connaissez...

LE BARON, offensé.

Que vous la connaissez... Qu’est-ce que c’est monsieur ? je vous ai dit d’avoir un ton décent et respectueux... je le répète, je l’ordonne.

CHARLES.

Eh bien ! mon oncle, j’obéirai.

LE BARON.

À la bonne heure.

CHARLES, s’approchant de Julie.

Ma petite tante voudra-t-elle bien m’accorder son amitié ? je tâcherai de n’en être pas indigne.

LE BARON.

C’est bien cela !

CHARLES.

Vous trouvez que c’est bien.

Il prend la main de Julie et la baise.

Ma chère tante...

LE BARON, se levant et l’arrêtant.

C’est trop bien cela.

CHARLES, de même.

Oh ! pour vous plaire rien ne me coûtera.

LE BARON.

En voilà assez, monsieur !

JULIE.

Monsieur le baron, zé crois que mon père il m’attend.

LE BARON.

Va, mon enfant, va...

À part.

Cet étourdi l’intimide et l’embarrasse.

Il va se rasseoir.

Dis donc, Marie !

Charles et Julie qui pendant ce temps se parlaient bas, se séparent.

JULIE, allant auprès de lui.

Moussu le baron

LE BARON, lui prenant la main.

Ne sois pas trop longtemps... tu vas revenir, n’est-ce pas ?

Il lui baise la main, pendant que son neveu a le dos tourné, et fredonne.

Adieu, Marie.

JULIE, sortant.

Adieu, monsieur le baron.

Elle sort.

 

 

Scène XI

 

LE BARON, CHARLES

 

LE BARON, fredonnant aussi, se lève et se promène d’un air triomphant.

Tra, la, la, la, la.

CHARLES.

Eh ! mon Dieu ! quel air conquérant !... Ah ça ! mon oncle, c’est donc pour tout de bon ?

LE BARON.

Comment, si c’est pour de bon ! pouvais-je faire un meilleur choix ? de la douceur, de l’esprit, une naïveté touchante...

CHARLES.

Quel feu ! oh ! c’est plus grave que je ne pensais... écoutez moi, mon oncle.

LE BARON.

Qu’est-ce que c’est ?

CHARLES, d’un air grave, et s’appuyant sur le dos d’une chaise.

Je vois que vous vous conduisez en jeune homme... et c’est à un homme grave, un homme revenu de toutes les erreurs... comme moi, à vous montrer les dangers d’une alliance disproportionnée...

LE BARON.

Hein...

CHARLES.

C’est tiré d’un de vos derniers discours, mon oncle ; d’une alliance...

Reprenant son ton naturel.

Franchement, votre belle ne mérite pas de fixer un homme de goût.

LE BARON, ironiquement.

Vous croyez cela ?

CHARLES.

Une tournure commune... des manières gauches.

LE BARON.

Vous êtes connaisseur !

CHARLES.

Et, malgré son air d’innocence, je suis sûr qu’elle a employé de l’art pour vous captiver.

LE BARON.

Eh bien ! non... c’est un ange ! et quand tu sauras ce qu’elle a fait pour toi, pour toi qui la juges si mal, et cherches à la perdre dans mon esprit...

CHARLES, vivement.

Eh bien ! mon oncle ?

LE BARON.

Eh bien ! quand tu le sauras, tu baiseras la trace de ses pas, ou tu as le plus mauvais cœur.

CHARLES.

Ah ! parlez, je vous en conjure.

LE BARON.

Elle m’a appris ton mariage.

CHARLES, embarrassé.

Ah ! elle vous a appris...

LE BARON,

Oui ! dans un autre moment, j’aurais bien reçu une pareille nouvelle !... mais la pauvre enfant a employé tous les moyens pour me fléchir, jusqu’aux menaces !

CHARLES.

Aux menaces !

LE BARON.

Sans doute : elle n’a voulu consentir à devenir ma femme que sous la condition expresse que je paierais tes dettes...

CHARLES.

Oh ! la charmante fille !

LE BARON.

Et que je consentirais à vous donner à tous deux un asile chez moi.

CHARLES, se jetant au cou de son oncle.

Ah ! mon oncle ! est-il possible ! quelle joie pour ma femme ! je cours lui écrire de venir à l’instant ; elle est près d’ici, chez une parente...

LE BARON.

C’est bien, écris-lui... mais vous voyez, monsieur, les obligations que vous avez à cette fille, d’une tournure commune, à manières gauches.

CHARLES.

Ah ! je reconnais mes torts.

LE BARON.

Je vous déclare qu’elle sera la seule maîtresse chez moi.

CHARLES.

Oui, mon oncle.

LE BARON.

Et que vous ne resterez dans ma maison qu’autant qu’elle le voudra bien.

CHARLES.

Voilà qui est convenu ! nous n’aurons pas de disputes là-dessus, et j’adore votre prétendue.

Air : Restez donc, mon enfant (de la Veste et la Livrée).

Quel jour pour un époux !
Ah ! croyez que pour vous,
Quand le sort le plus doux
Ici s’apprête,
Sans en être envieux,
Mon cœur bénit ces nœuds ;
Et de nous deux
Je suis le plus heureux.

LE BARON.

Je suis fier de ma conquête.

CHARLES.

Et vous avez bien raison.

LE BARON.

Dès ce soir, que pour la fête,
Tout soit prêt dans la maison.

CHARLES.

Le premier, j’y veux paraître,
Et sitôt qu’il sera né,
Mon cher oncle, je veux être
Le parrain de votre aîné.

LE BARON, parlant.

Eh ! eh ! monsieur, ce sera plutôt que vous ne croyez !

CHARLES, de même.

Eh bien ! tant mieux, mon oncle !

Reprise de l’air.

Ensemble.

CHARLES.

Quel jour pour un époux !

Etc., etc., etc.

LE BARON.

Quel jour pour un époux !
Ah ! je sens que pour nous,
Quand le sort le plus doux
Ici s’apprête,
Tous souvenirs fâcheux
S’effacent à mes yeux ;
Et de nous deux
Je suis le plus heureux.

Charles embrasse son oncle et sort.

 

 

Scène XII

 

LE BARON, seul

 

À propos, il faut que je voie Guillaume... car, au fait, encore faut-il que je demande le consentement du père.

À lui-même.

Eh ! bien, il a mieux pris la chose que je ne croyais ; et cela me prouve que ce jeune homme a du bon ! car enfin, mon mariage lui fait un tort réel... Charles devait compter sur ma fortune ; et maintenant, elle va passer à mes enfants...

Souffrant et portant la main à sa jambe.

Hein ! qu’est-ce que c’est ?... Encore cette diable de jambe...Ah ! ah !... je te ferai marcher à présent, toi.

Il s’assied.

 

 

Scène XIII

 

LE BARON, GUILLAUME

 

LE BARON.

Ah ! c’est toi, Guillaume ! tu arrives à propos.

GUILLAUME.

Je venais chercher cette petite ; mais vous l’avez renvoyée... vous avez bien fait.

LE BARON.

Il ne s’agit pas de cela. Viens ici, viens t’asseoir près de moi.

GUILLAUME.

Moi, monsieur le baron, m’asseoir devant vous !... Oh ! jamais.

LE BARON, brusquement.

Assieds-toi vite, imbécile.

GUILLAUME.

Vous êtes bien honnête, M. le baron...

Il prend une chaise et s’assied.

Me v’là assis.

LE BARON,

Écoute... ta fille est charmante.

GUILLAUME.

Dam ! vous devez vous y connaître mieux que moi.

LE BARON.

Sage, spirituelle.

GUILLAUME.

Oui ; ça vous a de petites raisons toutes drôlettes.

LE BARON.

Enfin, elle me plaît... et je l’épouse.

GUILLAUME, stupéfait.

Vous l’épousez !... ma fille !

LE BARON.

Oui, ta fille... quand tu ouvriras de grands yeux.

GUILLAUME, à part.

Ah ! mon Dieu ! ils ne m’ont pas encore prévenu de ça.

LE BARON.

Tout est déjà arrangé dans ma tête : ce soir, les fiançailles ; demain on publie les bans, après-demain...

GUILLAUME.

Comme il y va !

LE BARON.

Tu y consens, n’est-ce pas ?

GUILLAUME, étourdi.

Tiens ! est-ce que cela me regarde, moi ?

LE BARON.

Comment, si cela te regarde.

GUILLAUME.

Non... oui... je veux dire que ça la regarde plus que moi.

LE BARON.

Sois tranquille, nous sommes d’accord.

GUILLAUME, très étonné.

Ah ! vous êtes d’accord !... et M. Charles, qu’est-ce qu’il va dire de ça ?

LE BARON.

Charles n’a pas le droit de se mêler de mes affaires ! mais au surplus, que cela ne t’inquiète pas ; il approuve mon choix, et il est très content.

GUILLAUME, plus étonné.

Ah ! il est content !

LE BARON.

Oui, sa femme va venir habiter avec nous.

GUILLAUME.

Sa femme ? Eh ! bien, alors...

À part.

ils vont s’embrouiller, qu’ils ne s’y reconnaîtront plus.

LE BARON.

Ah ! ça, voyons, est-ce que cela ne te plaît pas ?

GUILLAUME.

Moi ? si fait. Dès que M. Charles est content, vous de même, et puis tout le monde...je le suis aussi.

LE BARON.

Je pensais bien que tu ne serais pas difficile à décider.

Ils se lèvent.

Mais je prétends que tu te ressentes du bien que je veux faire à ta fille, je t’assurerai un sort convenable ; et pour commencer... comme nous aurons grand monde ;

Lui donnant une bourse.

Voici pour tes habits de noce.

GUILLAUME.

Est-il possible !

LE BARON.

Air du vaudeville du Charlatanisme.

Dès aujourd’hui, je te fais don
De quinze ou vingt arpents de terre.
J’y joindrai même une maison.

GUILLAUME.

Comment ! j’ n’aurai plus rien à faire ?

LE BARON.

Tu seras riche, heureux, content !

GUILLAUME.

Et tout ça, je l’ dois à ma fille ?

LE BARON.

Sans doute.

GUILLAUME, prenant la bourse, et à part.

Ah ! quel désagrément !
D’ n’avoir, hélas ! que cet enfant,
Et qu’il n’soit pas de ma famille.

Regardant la bourse.

Dieux ! et ils sont jaunes encore !...

Haut.

Ah ! ça... je voulais dire, M. le baron... une réflexion... Si par hasard, vous changiez d’avis ; si vous n’épousiez pas mamz’elle... ma fille, faudrait-il rendre... les habits de noce ?

LE BARON.

Quelle supposition ! peux-tu craindre ?...

GUILLAUME.

C’est égal... dites toujours... pour voir si vous avez du cœur.

LE BARON.

Non, mon ami, je ne reprends jamais ce que j’ai donné.

GUILLAUME, mettant la bourse dans sa poche.

À la bonne heure, au moins... parce qu’on ne sait ni qui vit, ni qui meurt... et ma foi...

 

 

Scène XIV

 

LE BARON, GUILLAUME, ROBERT

 

ROBERT, accourant.

Mon colonel... mon colonel !... madame votre nièce vient d’arriver à l’instant.

LE BARON.

Déjà.

GUILLAUME.

V’là ce que je craignais ! Ah ! ben, si madame est arrivée, j’ parie qu’ ma fille est partie.

LE BARON.

Du tout, oh ! elle ne la craint pas, va... Eh ! bien, Robert, que penses-tu de cette beauté ?

ROBERT.

Ma foi, mon colonel, elle est fort bien... mais vous allez en juger vous-même.

LE BARON, ironiquement.

Oh ! fort bien ! je crois que nous avons mieux que cela... et la piquante Marie... Où diable ai-je donc fourré mes lunettes ?

Il cherche sur lui.

ROBERT.

Voici votre nièce.

 

 

Scène XV

 

LE BARON, ROBERT, CHARLES, JULIE, en costume de ville simple et élégant, GUILLAUME

 

Ensemble.

Air : Fragment du premier final de la Fiancée.

LE BARON.

À mes yeux, elle va paraître,
Allons, n’ayons plus de rigueur ;
La pauvre enfant tremble peut-être,
Tâchons de calmer sa frayeur.

CHARLES et JULIE, à part.

À ses yeux, il faut donc paraître,
Ah ! quel trouble agite mon cœur !
Car cette ruse va peut-être
Redoubler encor sa fureur.

ROBERT et GUILLAUMIE.

À vos yeux, elle va paraître,
Allons, n’ayez plus de rigueur ;
Votre nièce tremble peut-être,
Tâchez de calmer sa frayeur.

CHARLES, timidement.

Mon cher oncle, voici ma femme.

LE BARON, cherchant ses lunettes.

Approchez... venez, madame,
Oublions tout... ne craignez rien.

JULIE.

Monsieur...

À part.

Que mon âme est émue !

ROBERT, bas.

Allons, courage !

GUILLAUME, bas.

Ça va bien.

JULIE.

Vous nous pardonnez ce lien.

LE BARON, s’avançant vers elle.

Eh ! mais cette voix m’est connue.
Oui... oui...

CHARLES.

Qu’avez-vous donc, mon oncle ?

LE BARON, ses lunettes à la main.

Rien.
Ta femme me paraît fort bien.

JULIE, passant auprès du baron, et reprenant son accent.

Mon oncle, zé lé zure..... oh ! vous êtes si bon !
Vous nous pardonnérez.

LE BARON.

Ah ! quelle trahison !

TOUS.

Pardon !

Charles passe de l’autre côté.

LE BARON, furieux.

Non, non, { redoutez ma vengeance.

TOUS.

                { Écoutez la clémence.

JULIE, tendrement.

Air : Une robe légère (de Marie).

Punissez votre nièce
D’un détour innocent ;
Gardez votre richesse,
J’y renonce aisément...
Ces biens que l’on envie
Ne sauraient me charmer ;
Mais laissez à Marie
Le droit de vous aimer.

Le baron la reçoit dans ses bras, et l’embrasse tendrement.

Ensemble.

LE BARON, ému.

Comment conserver sa colère,
Sa voix a pénétré mon cœur :
Cédons, cédons à leur prière ;
Abjurons enfin ma rigueur.

TOUS.

Calmez, calmez votre colère,
Daignez écouter votre cœur ;
Ne repoussez point ma prière,
Et rendez-nous tous au bonheur.

CHARLES et JULIE, avec joie.

Mon oncle !

ROBERT et GUILLAUME.

Monsieur le baron !

LE BARON.

Non, je crois que tout l’enfer s’est réuni contre moi.

JULIE, timidement et avec l’accent.

Vous vouliez pas me connaître, et moi, je languissais de vous voir... y fallait bien trouver un arranzement, pecaïré !

LE BARON, l’imitant.

Un arranzement, pecaïré... Mais c’est qu’elle jouait si bien son rôle !

JULIE.

Ah ! mon oncle !

LE BARON.

Non, vrai ; Charles, méfie-toi de cette petite femme-là... elle te fera croire tout ce qu’elle voudra.

GUILLAUME.

Je garde les habits de noce, M. le baron ?

LE BARON, souriant.

Drôle, tu avais pris tes précautions.

GUILLAUME.

Grand merci !

À Julie.

Si vous avez encore besoin d’un père ?...

JULIE, dans les bras du baron.

Oh ! non, maintenant j’ai retrouvé le mien.

Chœur.

Air : C’est la sonnette qui vous appelle.

TOUS.

Plus de chagrin, plus de contrainte,
Heureux désormais dans les bras de  { mes deux enfants,
                                                            { ses
Je pourrais  } défier sans crainte
Il pourra       }
Les maux de la vie, et la goutte et  { mes soixante ans.
                                                        { ses

JULIE, seule.

Enfin, à notre tendresse,
Notre oncle cède aujourd’hui,
Pour le conserver sans cesse,
Pressons-nous autour de lui.
De ses jours éloignons la souffrance,
Soutenons ses pas, prodiguons-lui des soins si doux ;
Mais pour prolonger son existence,

Au parterre.

Messieurs, aidez-nous,
Car nous ne pouvons rien sans vous

On reprend en chœur.

TOUS.

De ses jours éloignons la souffrance,

Etc., etc., etc.

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