L’Inventeur de la poudre (Eugène LABICHE - Auguste LEFRANC - Eugène NYON)

Comédie-vaudeville en un acte.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Palais-Royal, le 17 juin 1846.

 

Personnages

 

LE PRINCE DE PIOMBINO

FORMOSO, perruquier

TAGLIARINI, maître du palais

LA DUCHESSE DE NORINO, favorite

FLORETTA, fiancée de Formoso

UN VALET

 

La scène se passe à Piombino, sur la fin du dix-septième siècle.

 

Le théâtre représente un salon. Trois portes au fond. À droite, au premier plan, une porte communiquant à l’appartement de la Duchesse ; au deuxième plan, un secrétaire ; au troisième plan, une croisée. À gauche, premier plan, une croisée ; au deuxième plan, une toilette à la Duchesse, avec miroir ; une porte au troisième plan.

 

 

Scène première

 

LA DUCHESSE, seule

 

Personne !... il faut absolument que je m’assure... Depuis la mort de ce pauvre Cadamento, je n’ai pas osé pénétrer dans cette chambre... la sienne !... Oui, c’est ici qu’il me recevait tous les matins, avant le lever du prince, qui était bien loin de se douter que sa favorite... C’est ici, qu’il y a trois jours encore...

Soupirant.

Hélas ! comment le remplacer ?... pauvre ami !... J’ai chargé Tagliarini, mon agent secret, de m’amener ce jeune homme... le neveu de Cadamento, qui a reçu en héritage les secrets de son oncle... Et encore, qui me répondra de la discrétion de cet étranger ? Mon Dieu ! toujours craindre, toujours trembler !...

Après réflexion.

Visitons avec soin les meubles, les tiroirs... il suffirait d’un papier oublié...

Elle ouvre tous les tiroirs du secrétaire et paraît chercher.

 

 

Scène II

 

LE PRINCE, LA DUCHESSE

 

LE PRINCE, arrivant par le fond à gauche et sans voir la Duchesse.

Je suis dans une impatience difficile à décrire... Depuis longtemps, un objet de première nécessité manquait à ma cour... à chaque instant, je me disais : C’est drôle !... il me manque quelque chose... je ne sais pas quoi, mais il me manque quelque chose... Enfin, je l’ai découvert !... ce qui me manquait, c’était un bravo !... un de ces gaillards qui, au premier ordre... dzing !...

Il fait le geste de poignarder.

Tous mes aïeux en possédaient, j’ai même eu un grand-oncle qui en avait deux... ses moyens le lui permettaient... Ma foi ! je m’en suis commandé un, qui ne doit pas tarder à arriver. J’ai chargé Tagliarini, mon agent secret...

LA DUCHESSE, à elle-même.

Rien !... absolument rien !...

LE PRINCE, à part, l’apercevant.

La duchesse !... dans la chambre de Cadamento, mon défunt rival...

LA DUCHESSE, se retournant.

Le prince !

LE PRINCE, à part.

Dissimulons !...

Haut.

Vous ici, duchesse ?

LA DUCHESSE.

Je... je me rendais à votre appartement... et pour abréger...

LE PRINCE, lui baisant la main.

Vous êtes charmante !...

À part.

Elle est très rouée, ma bien-aimée

LA DUCHESSE.

J’allais vous faire des reproches... vous gronder...

LE PRINCE.

Moi, duchesse !...

LA DUCHESSE.

Ne m’a-t-on pas dit que vous aviez confisqué les biens de l’infortuné

Cadamento ?

LE PRINCE.

Ma foi, oui... des motifs graves... des raisons d’État... Et puis, je n’étais pas fâché de rentrer dans ces petits biens-là.

LA DUCHESSE, avec reproche.

Et c’est le jour même de sa mort...

LE PRINCE, avec conviction.

J’ai eu tort... c’est vrai... j’aurais dû m’y prendre plus tôt.

LA DUCHESSE.

Ah ! prince !... un seigneur si aimable !... un de vos favoris...

LE PRINCE, vivement.

C’est-à-dire, le vôtre !... c’est vous qui l’aviez introduit à ma cour... qui l’aviez fait grand écuyer.

LA DUCHESSE.

Jaloux !

LE PRINCE.

Eh bien, oui... j’avais de l’ombrage, j’en avais... je vous aime tant, duchesse... vos yeux sont si vifs... vos dents si blanches... vos cheveux...

LA DUCHESSE, l’interrompant vivement.

Flatteur !...

LE PRINCE, continuant.

C’est pourtant avec cette chevelure si noire... que vous m’avez subjugué...

Mouvement d’inquiétude de la duchesse.

Je n’oublierai jamais le premier jour où je vous vis... c’était un soir... à un bal que je donnais pour me désennuyer... vous étiez venue en visiteuse... en voisine... on était en pleine monaco, l’on chassait et l’on déchassait... c’est fort triste !

Air : De la Monaco.

Ah ! grands dieux comme
Je m’ennuyais !
Je me disais :
Cette fête m’assomme
Faisons un somme,
Et, près du seuil,
Pour fermer l’œil
Je guettais un fauteuil.
Tout à coup, sans qu’on les contraigne,
Vos cheveux flottent à foison,
Vous aviez perdu votre peigne
Et j’avais perdu ma raison !
Je chasse vite
L’affreux pavot,
Pour un galop
Mon regard vous invite,
Et je vous quitte
Encor trop tôt,
Fier de mon lot,
Mais soûl de monaco.

Et... vous savez le reste.

LA DUCHESSE, avec reconnaissance.

Vous m’avez comblé de biens... élevée au premier rang... mais que d’ennemis cette faveur ne m’a-t-elle pas attirés !

LE PRINCE, indigné.

Des calomniateurs... qui osèrent prétendre que l’ébène de votre chevelure était empruntée à des procédés chimiques... que sa véritable couleur était... j’en rougis pour eux !... une couleur que j’abhorre !...

Avec triomphe.

Mais, comme je les ai confondus !... Je rassemble à l’instant, en concile extraordinaire, trois chimistes, quelques teinturiers et un nombre illimité de peintres en bâtiments, qui, après avoir essayé sur plusieurs de mes conseillers, des têtes à perruque, décidèrent, à l’unanimité... que la science... l’expérience... enfin, que ça ne se pouvait pas !...

LA DUCHESSE, à part, au comble de l’inquiétude.

Mon Dieu ! pourvu que Tagliarini...

LE PRINCE, continuant.

Et les calomniateurs... exilés... tous... Ah ! si je n’avais pas eu une charge vacante à ma cour, j’aurais fait plus pour eux !...

À part.

J’aurais eu du plaisir à les faire dzinguer !

Il fait le geste.

Décidément, ça me manquait... j’espère que Tagliarini... mon agent secret...

On entend le bruit d’une voiture.

LE PRINCE et LA DUCHESSE, vivement.

Une voiture !

LE PRINCE, à lui-même.

Ce doit être lui, avec mon gaillard !

 

 

Scène III

 

LE PRINCE, TAGLIARINI, LA DUCHESSE

 

TAGLIARINI, entrant joyeux par le fond.

Je le tiens ! je le tiens !...

LA DUCHESSE, vivement, bas.

Chut !

TAGLIARINI, étonné.

Comment ?

LE PRINCE, bas.

Tais-toi donc, maladroit !

TAGLIARINI, effrayé.

Ah !...

À lui-même.

Le prince !

LE PRINCE, bas.

Tu m’en as donc trouvé un ?

TAGLIARINI, troublé.

Quoi ?

LE PRINCE, bas.

Dzing !...

Il fait le geste.

LA DUCHESSE, bas.

Où est-il ?

TAGLIARINI, bas.

En bas.

LE PRINCE, bas.

Où l’as-tu laissé ?

TAGLIARINI, bas.

Dans la voiture.

LA DUCHESSE, bas.

Amène-le ici.

LE PRINCE, bas.

Fais-le monter.

TAGLIARINI, les regardant tous deux avec un embarras comique, et à part.

Je dois avoir l’air bête !...

Il passe à gauche.

LA DUCHESSE, avec intention.

Venez-vous faire un tour dans le parc, mon prince...

LE PRINCE, même jeu.

J’allais vous le proposer, ma reine.

LE PRINCE et LA DUCHESSE.

Air : Quadrille de Paris la nuit. Poule.

Au jardin
Rendons-nous ce matin,
Du bocage
Le feuillage
Nous invite, par sa fraîcheur,
À goûter un calme enchanteur.

LA DUCHESSE, à part.

Bientôt, sous la feuillée,
Je le quitte sans l’avertir !

LE PRINCE, à part.

Au coin de la première allée,
Je la plante... pour reverdir !

Ensemble.

LE PRINCE et LA DUCHESSE.

Au jardin
Rendons-nous ce matin, etc.

TAGLIARINI.

Au jardin
Ils se rendent soudain,
Du bocage
Le feuillage
Les invite, par sa fraîcheur,
À goûter un calme enchanteur !

Le prince et la duchesse sortent par le fond.

 

 

Scène IV

 

TAGLIARINI, seul

 

Ce que c’est, pourtant, que de mettre plusieurs cordes à son arc... d’une part, confident de la favorite, je lève de jeunes recrues pour le service secret de son altesse... de l’autre, confident du prince, je passe ma vie à lui promettre un bravo, que je ne lui amènerai jamais !... C’est très dangereux ce que je fais là !... heureusement que le quiproquo m’a sauvé... il croit que c’est son homme... Ma foi, qu’ils s’arrangent tous deux, je ne fournirai jamais l’article bravo à un prince aussi peu caressant.

 

 

Scène V

 

TAGLIARINI, FORMOSO, entrant par le fond, et conduit par un valet, qui sort après l’avoir introduit.

 

Formoso a les yeux bandés et une petite boîte sous le bras.

FORMOSO, se cognant à un meuble.

Bon ! encore une torgnole !... Que diable ! criez-moi : Casse-cou ! ou procurez-moi un caniche... j’aime mieux ça !... Oh ! une idée !...

TAGLIARINI.

Quoi donc ?

FORMOSO.

Ôtez-moi mon bandeau... opérez-moi de la cataracte.

TAGLIARINI.

Soit...

Il lui ôte le bandeau.

FORMOSO, reconnaissant Tagliarini.

Tiens !... mon compagnon de voyage... le petit vieux... Ça va bien, petit vieux ?

TAGLIARINI.

Silence !

FORMOSO.

Ah ! oui... tenez, petit vieux, je ne sais pas si nous sommes destinés à vivre ensemble... mais vous avez une mauvaise habitude, c’est de répondre à tout ce qu’on vous demande : Chut ! Silence !... exemple :

Criant.

Quelle heure est-il ?

TAGLIARINI.

Chut ! Silence !...

FORMOSO.

Voilà ! je vous déclare que ces explications me paraissent insuffisantes. Si vous êtes muet... dites-le... Si j’étais muet, je...

Par réflexion.

Ah ! non !... Car enfin... on ne met pas un homme dans la position de feu Colin-Maillard et on ne l’enlève pas sans lui dire le motif... Ah ! si j’étais un jeune tendron... je ne vous le demanderais pas... mais je suis perruquier... je perruquais tranquillement ce matin dans ma boutique... située... Mais, d’abord, sous quel degré de longitude sommes-nous ici ?... j’éprouve le besoin de m’orienter, et je n’ai pas de boussole... Voyons, où suis-je ?

TAGLIARINI.

À Piombino.

FORMOSO.

Piombino... je connais ça... ça doit être à quatre lieues de mon établissement ! J’étais donc dans ma boutique, située à deux lieues d’ici, en train de raser un bossu... j’avais fini le côté droit et j’allais entamer le gauche... quand vous entrez comme un vent du nord. – Il signor Formoso, s’il vous plaît ?... – Voilà ! que je réponds... c’est-y pour la barbe ou la frisure ? – Ni l’un ni l’autre... Et aussitôt, trois grands escogriffes de laquais se précipitent sur mon individu et le transvasent dans un magnifique carrosse qui se met à rouler, mais à rouler... et me voilà !

TAGLIARINI.

Eh bien ?

FORMOSO.

Eh bien ?... il est charmant avec son Eh bien ?

Air : Frères de lait.

Lorsque Pluton enleva Proserpine,
Le beau Pâris, la femme à Ménélas,
Quand le Romain enleva la Sabine
Et, lorsqu’une baleine, hélas !
Par mégarde a humé Jonas,
Tout en usant d’un droit illégitime,
Ces ravisseurs étaient de bonne foi,
Ils ne faisaient pas languir leur victime,
Car le soir même, elle savait pourquoi.
Vous m’enlevez, je veux savoir pourquoi !

TAGLIARINI, mystérieusement.

Elle vous dira tout !

FORMOSO.

Elle ?... qui ça, elle ?

TAGLIARINI.

La duchesse.

FORMOSO.

Une duchesse ! une femme écussonnée !... ah ! bien, non !... ne jouons pas avec ces choses-là... vous allez me monter la tête... et puis, après... eh ! eh ! eh !

TAGLIARINI, continuant.

Presque une reine !

FORMOSO, vivement.

Une reine... mère ?

TAGLIARINI.

Non.

FORMOSO.

Vrai ?... jeune et de qualité ?

TAGLIARINI.

Première qualité !

FORMOSO, se frottant les mains.

Diavolo !... allons-y !... hein ?... allons-y !

TAGLIARINI.

Elle va venir.

FORMOSO.

Bah !

TAGLIARINI.

Ici... chez vous !

FORMOSO.

Comment ! à domicile ?... comme les bains.

TAGLIARINI, remontant.

Adieu !

FORMOSO, l’accompagnant.

Bonjour !

Tagliarini sort à gauche.

 

 

Scène VI

 

FORMOSO, seul, il s’avance jusqu’à la rampe

 

Au public.

Eh bien ! vous me croirez si vous voulez... un ami intime, un frère de lait, viendrait me conter cette anecdote, que je lui dirais : As-tu fini !... et, pourtant, ça y est !... enlevé par une grande dame, installé au milieu de la cour... Allons, allons, je tourne à l’Amadis de Gaule... moins la gaule !

Air : De la Goélette. (D’Alfred Quidant.)

Je vais enflammer des duchesses,
Incendier de nobles cœurs ;
Faire connaître à des altesses
De l’amour les tendres fureurs !
Je dois, avec un peu d’adresse,
Puisque je suis joli garçon,
Prendre mes quartiers de noblesse
Dans le carquois de Cupidon ! (bis.)

Vingt beautés de race princière
M’ouvrent le chemin des honneurs !
Et piloté par l’art de plaire,
J’arrive au faîte des grandeurs...
Je dispense toutes les grâces,
Je suis le pivot des faveurs...
Et, cumulant toutes les places,
Je coiffe tous les grands seigneurs !
Je fais la queue aux grands seigneurs !

Je vais enflammer des duchesses, etc.

Et, entre un soupir et un autre, je toucherai un mot de mon invention... découverte sublime !... qui n’a encore obtenu qu’un succès... de rire... La voilà dans cette boîte qui me suit partout... nous ne nous quittons pas... comme saint Antoine et son... carlin... C’est ça ! je la vanterai, je la prônerai, je la... J’ai remarqué que toute les fois que je rasais un bossu, il m’arrivait quelque chose de très heureux... Dernièrement... non, c’était un borgne !... Ah ! c’est Floretta qui va être un peu étonnée quand elle saura... Pauvre Floretta !... je lui avais fait espérer ma main... Ah ! bah ! soyons volage !

 

 

Scène VII

 

LA DUCHESSE, FORMOSO

 

LA DUCHESSE, entrant par la porte du fond, à gauche.

Un étranger ! c’est lui !

FORMOSO, l’apercevant.

Ma duchesse, sans doute...

L’observant.

C’est qu’elle est très bien, cette femme-là ! Eh ! eh !

LA DUCHESSE, avec un peu d’embarras.

J’espère, monsieur, que vous me pardonnerez la manière un peu brusque...

FORMOSO.

Ah ! Duchesse... j’adore le brusque...

À part.

Soyons gentilhomme, ventre-saint-gris !

LA DUCHESSE.

Mais, les jours se passaient... je ne pouvais plus attendre... Il fallait que je vous obtinsse à tout prix !

FORMOSO, à part.

Ah ! obtinsse ! Ce que c’est que la passion !

LA DUCHESSE.

Et je vous ai fait enlever, arracher à vos occupations...

FORMOSO, vivement.

Oh ! je ne les regrette pas...

Galamment.

Je ne les regrette pas... Je rasais un bossu...

LA DUCHESSE, vivement.

Maintenant que je vous tiens, vous ne me quitterez plus.

FORMOSO, pudibond.

Oh ! madame... vous êtes bien bonne !

LA DUCHESSE.

Écoutez-moi, Formoso. Quand votre oncle est mort... il y a trois jours... je me trouvais fort en peine pour le remplacer...

FORMOSO.

Comment ! Est-ce que mon oncle...

À part.

À son âge !...

LA DUCHESSE.

Il occupait, près de moi, la place que je vous destine...

FORMOSO.

Ah ! il occupait...

À part.

Elle ne veut pas que ça sorte de la famille... Je la trouve légère !

LA DUCHESSE.

Mais, jugez de ma joie, lorsque j’appris par un mot tracé de sa main mourante qu’il vous faisait son héritier.

FORMOSO.

Moi... son héritier !... Ah ! le grand gueux !

LA DUCHESSE.

Respectez sa mémoire !

FORMOSO.

Je la respecte, Duchesse... Je dis : Ah ! le grand gueux ! mais je respecte sa mémoire... Son héritage m’a coûté un demi-florin de port... et ne m’a rapporté que cette dépense.

LA DUCHESSE, inquiète.

Que voulez-vous dire ?

FORMOSO.

Une lettre... une énorme lettre... qui ne contenait que sa bénédiction... non affranchie, et un petit papier... une recette de famille...

LA DUCHESSE, à part, avec joie.

Il l’a !

FORMOSO.

Une drogue.

À part, avec indignation.

Un purgatif, sans doute...

Haut et avec éclat.

dont je n’avais pas besoin.

LA DUCHESSE.

Qu’en savez-vous ?

FORMOSO.

Comment ! Duchesse, vous croyez...

LA DUCHESSE.

Votre oncle n’a pu vous laisser ses biens... ils ont été confisqués par le prince ;

Avec intention.

mais je veux tout réparer, si vous êtes pour moi dans de bonnes dispositions.

FORMOSO...

J’y suis... oh ! j’y suis !

LA DUCHESSE.

Il vous faut d’abord un emploi... aux yeux du monde !

FORMOSO.

Oui... une frime... pour la civilisation.

LA DUCHESSE.

J’avais nommé votre oncle...

FORMOSO.

Grand écuyer... Eh ! eh ! grand écuyer... ça m’irait assez... mais je dois vous avouer que je ne monte pas à cheval... au contraire, j’en descends.

LA DUCHESSE.

Il avait 6 000 florins de traitement...

FORMOSO, vivement.

Six mille... à ce prix-là, je descendrais d’un sixième... La fortune se présente, je la prends par les cheveux...

LA DUCHESSE, vivement.

Je vois que nous nous comprenons, c’est bien... De la discrétion, sur tout !... Cet appartement est à vous... il communique au mien par cette petite porte, dont j’ai seule la clef...

FORMOSO.

Ah ! c’est par là...

LA DUCHESSE

Que je viendrai vous visiter tous les matins.

FORMOSO, à lui-même.

Diavolo !

LA DUCHESSE.

À bientôt !... préparez-vous, et n’oubliez pas que je vous confie le sort de ma tête...

Elle sort à droite premier plan.

 

 

Scène VIII

 

FORMOSO, puis FLORETTA

 

FORMOSO.

Comment ?... Est-ce que la tête serait en jeu ?

Après un instant.

Bast !

Marchant à grands pas.

Grand écuyer !... 6 000 florins !... Quant à Floretta, je la plains, mais je la plante là... Ah ! si elle me découvrait !... elle serait capable de se porter à des extrémités... et le nez en est une... heureusement qu’elle ignore ma nouvelle adresse... et...

FLORETTA, au dehors.

Je vous dis que j’entrerai !

FORMOSO, stupéfait.

Hein ? sa voix !...

FLORETTA, en dehors.

Il est ici, j’en suis sûre !

Elle entre par le fond.

FORMOSO, l’apercevant, à part.

C’est elle !... je suis gobé !

FLORETTA, se posant devant lui.

Vous voilà donc ! monstre ! trompeur ! grigou !

FORMOSO, voulant l’embrasser.

Ah ! c’est toi !... permets que je dépose...

FLORETTA, le repoussant.

Plus souvent ! perfide !... je sais tout !

FORMOSO.

Tout... quoi ?

FLORETTA.

Je sais que vous vous êtes fait enlever par une duchesse !

FORMOSO.

Moi !... ah ! Floretta !... quel est le jardinier qui a pu cultiver, à ton intention, un ragot aussi saugrenu ?

FLORETTA.

Oui... ce matin, je venais, comme d’habitude, vous dire un petit bon jour, en passant...

FORMOSO.

Ah ! c’est gentil, ça !

Voulant l’embrasser.

Permets que je dépose...

Floretta le repousse.

FLORETTA, continuant.

Qu’est-ce que je vois ?... votre boutique abandonnée... un petit bossu... avec une moitié de barbe... qui disait à la foule... qu’une voiture de son altesse...

FORMOSO.

Son altesse... le prince... une altesse mâle... nous avons des altesses mâles... il éprouvait le besoin de me nommer...

FLORETTA, vivement.

Ta, ta, ta !... je ne suis pas ta dupe !... je suis venue trouver mon parrain, Antonio, le concierge du palais... il m’a fait entrer, et...

Air : Les brodeuses de la reine.

J’irai voir cette duchesse,
Et je lui dirai : Milz yeux !
Vous manquez d’délicatesse
En m’chipant mon amoureux !
C’ n’est vraiment pas que j’y tienne,
V’là-t-y pas l’beau phénomène ?
Il est laid, je n’comprends pas
Qu’vous lui trouviez des appas !

FORMOSO, voulant l’embrasser.

Ah ! permets que je dépose
Sur ta bouche demi-close...

FLORETTA, le repoussant.

Ailleurs, va-t’en déposer
L’hommage de ton baiser !

Ensemble.

FLORETTA.

Ah ! je sens que la colère
En ce moment m’exaspère !
Il faudra filer doux
Ou redouter mon courroux !
Tu sais que rien ne m’étonne,
Que je puis, sur ta personne,
Me porter à des excès,
Même au milieu d’un palais !

FORMOSO.

Prenons garde ! la colère
En ce moment l’exaspère,
J’aime mieux filer doux
Que d’augmenter son courroux !
Je sais que rien ne l’étonne
Ell’ pourrait, sur ma personne,
Se porter à des excès,
Même au milieu d’un palais !

FLORETTA.

Le prince aussi, faut qu’je l’trouve !
Je lui cont’rai ton forfait,
Nous verrons bien s’il approuve
Ce que la duchesse a fait !
Instruit de ton entreprise,
Je vois d’ici sa surprise
En apprenant qu’pour rival,
On lui donn’ cet animal !

FORMOSO, voulant l’embrasser.

Ah ! permets que je dépose
Sur ta bouche demi-close...

FLORETTA, furieuse.

Attends ! je vais déposer
Sur ta jou’ mieux qu’un baiser !

Elle lui donne un soufflet.

Ensemble.

Ah, je sens que la colère, etc.

FORMOSO.

Ah ! je vois que la colère
En ce moment l’exaspère !
J’aurais beau filer doux,
Je crains tout de son courroux !
Floretta, que rien n’étonne,
Oserait, sur ma personne,
Se porter à des excès
Même au milieu du palais !

CODA.

Elle pourrait sur ma } personne,
Je pourrais sur ta    }
Se  } porter à des excès !
Me }

FORMOSO, se posant.

Ah ! mais... modérez vos gestes !... modérez, modérez, ma bonne ! ou je serais forcé de vous faire reconduire par mes gens !

FLORETTA.

Vos gens ?

FORMOSO, fièrement.

Depuis un quart d’heure, vous vous oubliez avec un grand écuyer !

FLORETTA.

Grand écuyer !...

FORMOSO.

Cavalcadour... je le suis, petite... en plein... Je n’ai pas encore les bottes à l’écuyère, mais on est en train de les cirer... Ainsi, vous concevez que je ne puis plus... mais j’aurai soin de toi... Tiens, je te cède mon fonds... grâce à mes leçons, tu barbifies déjà d’une façon assez distinguée... Oh ! mieux que ça ! Floretta ! je veux te faire un sort...

Il va prendre sa boîte.

Cette découverte admirable qui devait faire rayonner mon nom chez les races futures, je t’en investis... Tu m’as vu opérer... tu sais la manière de t’en servir, prends cette boîte, exploites-en toi même le contenu... Je t’abandonne ma place dans l’histoire et tous mes droits au Panthéon... Adieu !

FLORETTA, pleurant.

C’est-à-dire que vous m’avez trompée, abusée indignement !... que vous ne voulez plus m’épouser...

FORMOSO.

Mais si !... mais si !... je t’accorderai la main gauche... Le favori d’un prince peut bien se permettre d’être un peu gaucher.

FLORETTA, tout à coup.

Eh bien ! non ! ça ne sera pas !... Vous allez retourner à la boutique... vous allez...

FORMOSO.

Moi, raser !... Ah ! voilà qui serait curieux par exemple... Un favori ne rase pas... on le rase... Ah ! on vient !

FLORETTA, s’asseyant.

Eh bien ! tant mieux... je reste... et je fais une scène !...

FORMOSO.

Mais c’est fatigant d’être aimé comme ça !

À part.

Si c’est la duchesse, je suis dégommé !

UN HUISSIER, annonçant, au fond, à gauche.

Le prince !

FORMOSO.

Tu vois bien... tu ne peux pas rester... Nous avons nos petits secrets, le prince et moi, nos petites affaires à tripoter ensemble...

 Lui remettant la boîte.

Tiens, emporte ça, d’un moment à l’autre, tu peux en trouver le placement... File ! file !

FLORETTA, passant à droite.

Je m’en vais...

À part.

mais je ne le quitte pas de l’œil !

FORMOSO, la poussant au fond, à droite.

Mais va donc ! va donc !...

Floretta disparaît. À lui-même.

Il était temps !

 

 

Scène IX

 

LE PRINCE, FORMOSO

 

LE PRINCE, entrant par le fond, à gauche.

Ah ! ah ! voilà mon homme.

FORMOSO, à part, inquiet.

Que peut me vouloir cette puissante altesse ?... Dans tous les cas, soyons prudent.

LE PRINCE, bas.

Est-ce toi ?

FORMOSO, de même.

Je ne sais pas.

LE PRINCE.

Tu ne sais pas si c’est toi ?... Voilà qui est bizarre !...

À lui-même comme par réflexion.

Ah ! il ne me connaît pas... il ne peut pas aller dire au premier venu : C’est moi... c’est un malin !...

Bas, se rapprochant de lui.

Je suis Hector XXXVI, prince de Piombino... et c’est moi qui t’ai fait ravir.

FORMOSO, à part.

Bah ! aussi !...

Haut.

Comment... prince ?...

LE PRINCE.

Depuis longtemps, j’avais envie de posséder à ma cour un homme comme toi.

FORMOSO.

Hein ?

LE PRINCE.

Et, n’étant pas sûr de ton consentement, j’ai employé la violence... Que diable ! on n’est pas potentat pour ne rien se permettre !

FORMOSO.

Qu’est-ce qu’il me chante là, ce gros couronné ?

LE PRINCE.

Ah çà, voyons... combien me demanderas-tu par an ?

FORMOSO.

Pourquoi faire ?... mais pourquoi faire ?

LE PRINCE, un peu impatienté.

Eh ! parbleu !... pour travailler de ton état... Pourquoi faire !

FORMOSO, à part.

Ah ! je vois ce que c’est... Pour coiffer...

Il fait sonner l’r.

Il veut que je le coiffe... Pour coiffer...

Haut.

Prince, je mets à vos ordres tous mes petits talents.

LE PRINCE.

Et moi, je te donne 6 000 florins par an... Ça te va-t-il ?

FORMOSO, vivement.

Ça me va... Mais ça me va très bien !...

À part.

Ça fait douze.

LE PRINCE.

Ainsi, c’est entendu... à ce prix-là, tu m’appartiens ?

FORMOSO.

De pied en cap !

TOUS DEUX, en même temps, à eux-mêmes, et s’éloignant un peu l’un de l’autre.

Eh bien... je suis très content... je suis très joyeux... et je lui donnerais une poignée de main... s’il n’était pas... ce qu’il est !

LE PRINCE.

Y a-t-il longtemps que tu as commencé ton état ?

FORMOSO.

Dès l’âge heureux de quatorze ans.

LE PRINCE.

Dès l’âge heureux de quatorze ans !...

À part.

Ah ! il me fait frissonner ce gaillard-là !

FORMOSO.

Du reste, prince, j’espère que vous me verrez bientôt le fer à la main !

LE PRINCE, à part.

C’est un tigre !...

Haut.

Je n’ai encore personne à te confier, bon ami... si tu étais venu seulement trois jours plus tôt, tu aurais pu exécuter un tour de ta façon !...

FORMOSO.

Ah !... il y avait un tour à faire ?

LE PRINCE, prenant une prise de tabac.

Mais, la personne est morte !...

FORMOSO, prenant familièrement une prise dans la tabatière du prince.

Et n’a plus besoin de moi, par conséquent !

Il rit.

LE PRINCE, gaiement.

Ca va sans dire... Mais ça se retrouvera.

FORMOSO.

Espérons-le... espérons-le !

LE PRINCE, riant.

Espérons-le !...

À part.

Il est très gai !

Formoso éternue.

Ah ! tu as de la chance... tu as de la chance d’être arrivé le premier... je viens de recevoir avis que mon voisin... le podestat de Padoue... m’en expédie un.

FORMOSO.

Un quoi ?

LE PRINCE, avec intelligence.

Un... comme toi... à l’occasion de ma fête... la Saint-Hector.

FORMOSO, à part.

Comment !... il lui souhaite sa fête avec... un perruquier !...

Haut.

Ah ! bien ! je le trouve cocasse, votre podestat !

LE PRINCE.

Rassure-toi... je te donne la préférence !

FORMOSO.

Ah ! merci !... Prince, si vous vouliez me permettre d’essayer mon petit savoir-faire sur vous-même...

LE PRINCE, très effrayé, et reculant.

Hein !... du tout !... du tout !...

Formoso veut se rapprocher.

Ne m’approche pas !... ce n’est pas pour moi que je t’ai demandé... c’est pour d’autres !...

À lui-même.

Mais, je remarque une chose... je suis très imprudent de rester seul avec cette bête féroce !...

Haut, et toujours à distance.

Aujourd’hui, tu entreras en fonctions...

FORMOSO, se frottant les mains.

Bravo !

LE PRINCE, vivement.

Chut !... il ne faut pas dire...

Mouvement de Formoso.

Ne m’approche pas !... J’espère te donner bientôt de la besogne... prépare-toi...

Il remonte, et s’arrête au milieu du théâtre.

Et n’oublie pas qu’il y va de la tête !

Il remonte.

FORMOSO, à part.

Ah ! bah !

Remontant.

Mais, prince...

LE PRINCE, vivement.

Ne m’approche pas !...

Près de la porte du fond, à droite, et bas.

De la tête !

Il sort.

 

 

Scène X

 

FORMOSO, puis TAGLIARINI, puis FLORETTA

 

FORMOSO, descendant la scène.

Ah çà... il paraît, décidément, que la tête est en jeu.

TAGLIARINI, à la porte de droite, premier plan, et sans être vu.

Pst !... Formoso !

Formoso étonné cherche d’où vient la voix. Tagliarini paraît sur le seuil ; bas.

Vous êtes seul ?

FORMOSO.

Tout seul.

TAGLIARINI, mystérieusement.

C’est moi !

FORMOSO, de même.

Je le vois bien que c’est vous.

TAGLIARINI, s’approchant et lui remettant un petit paquet et un billet.

De la part de la duchesse.

FORMOSO, vivement.

Ah ! donnez !... donnez !...

À lui-même.

Quelque cadeau...

Sentant le paquet.

O che gusto !... Ça sent la pommade...

Ouvrant le paquet.

Des cheveux... une mèche de cheveux... un gage d’amour...

Regardant le billet.

et un mot d’écrit...

Lisant.

« Voici ma nuance. »

Regardant la mèche.

Ta nuance est charmante, délirante duchesse !...

À part.

Une honnêteté en vaut une autre... où sont mes ciseaux ?...

Il les cherche dans ses poches. À Tagliarini qui, après avoir guetté dans le fond, est redescendu.

Vous n’avez pas de ciseaux...

Trouvant les siens.

Ah ! voilà !

Il remonte près de la toilette, à gauche, et se coupe une mèche de cheveux. Pendant ce temps, Floretta entre, sans être rue, par la porte du fond, à droite, et se cache derrière le secrétaire. Formoso revenant à Tagliarini.

Tenez, vous direz à madame la duchesse que j’ai vu sa nuance et que je lui envoie la mienne.

FLORETTA, à part.

Oh ! le monstre !

UN DOMESTIQUE, entrant par le fond, à gauche.

Le déjeuner de monseigneur est prêt.

FORMOSO.

Agréable nouvelle !

À Tagliarini.

Allez !...

Au domestique.

Monseigneur va déjeuner.

Tagliarini sort à droite, premier plan ; Formoso et le domestique disparaissent par le fond, à gauche.

 

 

Scène XI

 

FLORETTA, puis LE PRINCE

 

FLORETTA.

Et moi, je vais me venger !... je tiens la preuve de ton infidélité et de la trahison de la duchesse... je vais tout dévoiler au prince.

Elle va pour sortir, le prince entre par le fond à droite.

Le voilà !

Au prince.

Ah ! monseigneur !

LE PRINCE.

Qu’est-ce que c’est que cette petite ?

FLORETTA.

C’est une pauvre fille... que l’on trompe, ainsi que vous...

LE PRINCE.

Explique-toi.

FLORETTA.

J’avais un fiancé, monseigneur... Formoso... On me l’a enlevé... pour le compte d’une grande dame...

LE PRINCE.

Ah ! ah !... tu m’intéresses... et, cette grande dame ?...

FLORETTA, hésitant.

C’est que... je ne sais si je dois...

LE PRINCE.

Parle !

FLORETTA, hésitant encore davantage.

C’est... la duchesse...

LE PRINCE.

La duchesse ?...

FLORETTA, vivement.

De Norino !... Oui, monseigneur, ils s’aiment... j’en ai la preuve !... Elle vient, tout à l’heure, de lui envoyer une boucle de cheveux... ici même !

LE PRINCE.

Une boucle !... et elle m’en a toujours refusé, à moi !

Air : Femmes, voulez-vous éprouver.

Cette forêt de beaux cheveux
Que je cultive et que j’héberge,
Je me faisais, malgré mes vœux,
Un devoir de la laisser vierge :
N’y cueillons pas même un bouquet ;
Disais-je... ce bien, c’est le nôtre...
Et voilà que cette forêt
Est mise en coupe pour un autre !

Se frottant les mains.

Ah ! ah !... voilà enfin de l’ouvrage pour mon homme !

FLORETTA.

Monseigneur... vous me vengerez ?...

LE PRINCE.

Jeune étrangère, tu peux compter sur moi !...

FLORETTA.

Et vous me le rendrez ?...

LE PRINCE.

Oui... je te le rendrai...

À part.

après la chose.

Haut.

On vient !... la duchesse...

À Floretta.

Laisse-nous !

Floretta sort à gauche.

 

 

Scène XII

 

LE PRINCE, LA DUCHESSE

 

LA DUCHESSE, entrant par la droite, premier plan.

Ah ! c’est vous, prince... Je viens vous demander une faveur...

LE PRINCE, sournoisement.

N’êtes-vous pas la reine ?

LA DUCHIESSE, continuant.

Cette charge de grand écuyer, vacante depuis trois jours, je voudrais la donner...

LE PRINCE, vivement.

À qui ?

LA DUCHESSE.

À un de mes protégés... un nommé Formoso.

LE PRINCE.

Formoso !

À part.

L’homme à la boucle !... Oh ! oh ! oh !...

LA DUCHESSE.

Qu’avez-vous donc ?

LE PRINCE, à part.

Dissimulons !...

Haut.

Je n’ai rien, duchesse... j’approuve tout à fait... j’approuve d’autant plus, qu’on le dit fait au tour...

LA DUCHESSE.

Qui ça ?

LE PRINCE.

Eh bien ! ce jeune truand... Formoso.

LA DUCHESSE.

Je n’ai pas remarqué.

LE PRINCE.

Vraiment ?

LA DUCHESSE, appuyant ses deux bras sur l’épaule du prince, et tendrement.

Vous savez bien que tous mes regards sont pour vous... vilain !

LE PRINCE.

Ah ! charmante !... divine !...

À part.

Quel truc !

LA DUCHESSE.

Et comment ne serais-je pas reconnaissante... quand vous avez tant fait pour moi... quand vous voulez tant faire encore !

LE PRINCE.

Quoi donc ?

LA DUCHESSE.

Ces bruits de mariage que vous avez pris soin d’accréditer vous même...

LE PRINCE.

Ah ! oui, c’est vrai... j’avais songé... mais, en y réfléchissant, j’hésite encore... oui, je ballotte de temps à autre...

LA DUCHESSE.

Comment ?

LE PRINCE.

À mon âge, épouser une femme du vôtre, c’est bien vétilleux !...

LA DUCHESSE.

Ah ! prince !...

LE PRINCE.

C’est de l’égoïsme, c’est vrai... mais...

Air : Le joli rêve que j’ai fait.

Vous le dirai-je... eh bien... souvent...
Un désir insensé m’obsède ;
Oui, je voudrais vous rendre laide !
Tenez, encor dernièrement,
Je rêvais l’affreux changement
De tout ce visage charmant :
Votre bouche était éraillée,
Votre nez était contrefait,
Votre chevelure affectait
Une nuance... pommelée...
Le joli rêve que j’ai fait !
Que cette bouche avait d’attraits,
Que ce nez me semblait parfait,
Que ce chignon était coquet !...

LA DUCHESSE.

Prince, douteriez-vous de ma tendresse ?

LE PRINCE.

Oh !... Duchesse... ce n’est qu’un scrupule ; je vacille, voilà tout !... je vacille.

LA DUCHESSE.

J’attendrai votre bon plaisir, prince.

On entend Formoso chanter en dehors : On va lui percer le flanc, etc.

LE PRINCE, à part.

J’entends les accents de mon tigre ordinaire...

Haut.

C’est bien, duchesse ; je vais m’occuper de votre protégé, de son avenir : je vais le faire grand écuyer...

À part, avec férocité.

Dzing !...

LA DUCHESSE, à part, très inquiète.

Comme il me dit cela !

LE PRINCE, à part.

Comme je dissimule !...

Haut.

On vient... adieu, ma reine...

Appuyant.

aux beaux cheveux !...

LA DUCHESSE, se dirigeant vers la droite.

Adieu, mon prince.

Près de la porte de droite, premier plan, à part.

Oh ! mon Dieu... se serait-il aperçu...

Elle sort.

LE PRINCE, à lui-même.

Ah ! tu donnes des boucles, toi !...

 

 

Scène XIII

 

FORMOSO, LE PRINCE

 

FORMOSO, entrant par le fond à gauche.

Ah ! on est bien nourri ici... j’ai mangé de tout !

LE PRINCE, l’apercevant.

Psitt !... approche...

FORMOSO, s’approchant.

Mon prince...

LE PRINCE.

Pas si près...

Bas et de loin.

J’ai de l’occupation pour toi... Je brûle de t’essayer... je suis comme un enfant... vrai, je suis comme un enfant !

FORMOSO, retroussant ses manches.

Parlez... j’ai déjeuné... ainsi...

LE PRINCE.

Le moment est venu de montrer ton savoir-faire...

Riant.

Eh ! eh ! eh !

FORMOSO, riant.

Eh ! eh ! eh !

À part.

Eh bien ! il est bonhomme !

LE PRINCE.

Où sont tes armes ?

FORMOSO, tirant son rasoir de sa poche et l’ouvrant.

Voilà !

LE PRINCE.

C’est avec ça ?... mais comment prends-tu ton monde ?

FORMOSO.

Par le nez, mon prince, par le nez... comme ça...

Il se prend par le nez et fuit mine de se raser le dessous du menton.

Crac, c’est fait.

LE PRINCE, riant.

Eh ! eh ! eh !... C’est une manière comme une autre de faire la barbe.

FORMOSO, repassant le rasoir sur la main.

Je la crois bonne... qui faut-il raser ?

LE PRINCE, riant.

Ah ! raser !... ah ! ah ! ah !... j’aime ce mot : raser ! c’est... féroce, et, en même temps...

FORMOSO, simplement.

Féroce...

LE PRINCE, souriant.

Féroce, c’est cela...

À part.

Il est très gai... il gagne ma confiance...

Haut.

Ah çà, tu es sûr de toi, au moins ?... c’est que, souvent... on va... et, au moment... la main tremble...

FORMOSO.

Trembler ?... jamais !... je gâterais l’ouvrage.

LE PRINCE.

Tu es donc tout à fait blasé sur cette opération ?

FORMOSO.

Moi !... c’est comme si j’avalais un œuf... J’ai tant joué de cet instrument dans ma vie !... Tel que vous me voyez, j’ai souvent expédié mes cinq petites pratiques en attendant le déjeuner.

LE PRINCE.

Et tu déjeunais ?

FORMOSO.

Tiens ! ça ouvre l’appétit... c’est mon absinthe.

LE PRINCE, à lui-même, avec amertume.

C’est son absinthe... ah !...

Gaiement.

Au fait, tout ça, c’est l’habitude... quand j’en aurai Fait raser un ou deux... prout ! prout !... voilà le cœur humain !

Montrant Formoso.

Cet animal est instructif...

Haut.

Psitt !... écoute...

FORMOSO, s’approchant.

Prince...

LE PRINCE.

J’ai des peines de cœur... je suis contrarié dans mes amours... je peux te dire ça, à toi ma créature... Eh bien ! la duchesse me trompe !

FORMOSO, à part.

Hein !...

Haut.

Comment !... vous croyez... une si belle femme !...

LE PRINCE.

Précisément... elle est trop belle... et moi, trop avarié... elle ne peut pas m’aimer.

FORMOSO.

Allons donc !

LE PRINCE.

C’est une idée qui m’est venue, tout à l’heure, en me promenant dans mon jardin... une observation botanique...

Vivement.

Tiens, ouvre la fenêtre...

Formoso ouvre la fenêtre du premier plan de gauche.

Regarde à droite... qu’est-ce que tu vois ?

FORMOSO.

Un cèdre.

LE PRINCE.

Comment le trouves-tu ?

FORMOSO.

Vert, touffu, magnifique !...

LE PRINCE.

Magnifique !... ah ! regarde à gauche... qu’est-ce que tu vois ?

FORMOSO.

Un sycomore...

LE PRINCE.

Comment le trouves-tu ?

FORMOSO.

Vieux, dépouillé, fort laid !

LE PRINCE.

Vieux, dépouillé, fort laid !... je retiens le mot.

Air : Je n’ai pas vu ces bosquets de lauriers.

Eh bien ! le cèdre aux rameaux verdoyants,
De la duchesse ici m’offre l’emblème ;
Le sycomore, accablé par les ans,
Me fait l’effet d’être un autre moi-même ;
L’un, c’est l’été, quand l’autre c’est l’hiver :
À les confondre il faut bien qu’on renonce ;
Unir le vieux et le jeune, à quoi sert ?
L’arbre sec, avec l’arbre vert,
Font toujours un vilain quinconce.

FORMOSO.

Je l’ai remarqué.

LE PRINCE.

Or, vois-tu, quand une duchesse n’aime pas son prince, c’est qu’elle en aime un autre... et cet autre, je le connais, et je te l’abandonne.

FORMOSO.

Dans quel but ?

LE PRINCE, bas, et d’un air féroce.

Pour le raser !

FORMOSO.

Tiens !

LE PRINCE, plus bas, et d’un ton tragique.

Quant au cadavre...

FORMOSO.

Plaît-il ?

LE PRINCE, de même.

Je dis : quant au cadavre...

FORMOSO, imitant le prince.

Au cadavre...

LE PRINCE.

Tu le feras disparaître !... frappe juste... et fort !... lui donnant de petites tapes sur la joue.

Avec douceur.

Prends ton absinthe... prends ton absinthe...

Il remonte.

FORMOSO, à part.

Mais c’est un assassinat !...

Il remonte. Haut.

Permettez...

LE PRINCE, se retournant.

Ah ! j’oubliais !... celui que tu dois frapper se nomme...

FORMOSO.

Se nomme ?

LE PRINCE, près de la porte du fond à droite.

Formoso... Adieu !...

Il sort vivement.

 

 

Scène XIV

 

FORMOSO, puis LA DUCHESSE

 

FORMOSO, reculant effrayé.

Hein ?... Formo... mon nom !... Mais alors le particulier, c’est moi !... Le prince est jaloux de sa duchesse !... jaloux comme un sanglier !... Si je m’en allais...

Regardant la croisée.

Tiens ! il neige !

Il la referme, se retournant.

Hein ?... la duchesse !... ah ! mais j’y renonce !

LA DUCHESSE, à elle-même, entrant par la droite, premier plan.

Il n’y a pas un moment à perdre !...

Apercevant Formoso.

Ah !... je vous ai fait attendre...

FORMOSO.

Du tout !... du tout !... si vous avez affaire...

LA DUCHESSE.

C’est bien...

Indiquant la porte du fond.

Fermez cette porte...

Elle va près de sa toilette.

FORMOSO.

Ah ! mais, non !... Si on nous surprenait... tous les deux... Ah ! mais, non !

LA DUCHESSE.

Allons, obéissez !

FORMOSO, à part, allant fermer la porte.

Est-elle passionnée, mon Dieu ! est-elle passionnée !...

LA DUCHESSE, assise près de la toilette, arrangeant sa chevelure.

Personne ne peut nous troubler ?

FORMOSO.

Personne.

LA DUCHESSE.

Maintenant, nous pouvons commencer...

FORMOSO, à part.

Commencer !... et le prince qui, d’un moment à l’autre...

Haut.

Madame, je dois vous dire une chose... Ne comptez pas sur moi !

LA DUCHESSE, se retournant très vivement.

Et pourquoi ?

FORMOSO.

Parce que... parce que j’aime... parce que j’idolâtre une jeune fille...

LA DUCHESSE, impatiente.

Qu’importe ?... le temps passe... Voyons, commençons, commençons !

FORMOSO, à part.

Elle en revient toujours à ses petits moutons !

LA DUCHESSE.

Il me semble vous avoir donné tout le temps de composer...

FORMOSO.

Quoi ?

LA DUCHESSE.

Votre préparation... cette eau... cette liqueur... Chaque jour le péril augmente... chaque minute fait disparaître de ma chevelure... un peu de cette couleur factice...

FORMOSO, haut avec éclat.

Ah ! bah !... c’est peint !...

LA DUCHESSE, très vivement.

Silence !...

FORMOSO, examinant les cheveux de la duchesse, très bas.

Ah ! bah ! c’est peint ! Eh bien !... c’est bien peint... Moi, qui suis de la partie... allons, allons, c’est d’un bon maître !

LA DUCHESSE, se levant.

C’est l’invention d’un homme dont j’ai fait la fortune, comme je ferai la vôtre, puisque vous avez hérité de son secret.

FORMOSO.

Moi ?

LA DUCHESSE.

Mais, oui... ce papier... que votre oncle, avant de mourir...

FORMOSO.

Comment ! c’était... Allons, bon !

LA DUCHESSE.

Eh bien ?

FORMOSO.

Allons, bon !... mais ce papier... je ne l’ai plus !

LA DUCHESSE.

Malheureux !

FORMOSO.

J’y tenais si peu !... Je m’en serai servi pour essuyer mes fers...

LA DUCHESSE, à elle-même.

Mais je suis à la merci de cet homme !... Un mot de lui peut me trahir !... Il faut qu’il disparaisse !

À Formoso qui remontait la scène.

Où vas-tu ?...

FORMOSO.

À ma boutique... J’ai un côté de bossu qui m’attend...

LA DUCHESSE.

Le hasard t’a rendu maître de mon secret... Tu n’es plus de ce monde... Une voiture de la cour va t’emmener.

FORMOSO, avec joie.

Ah ! où ?

LA DUCHESSE.

Dans une prison, dont les murs me répondront de ton silence !

Elle sort à droite, premier plan. Floretta entre par la gauche et entend ces derniers mots.

 

 

Scène XV

 

FLORETTA, FORMOSO

 

FORMOSO, troublé.

Hein ?...

FLORETTA.

Une prison !... Ah ! mon Dieu ! quelle figure bouleversée !...

FORMOSO.

Je crois bien !... Partir pour finir mes jours dans un château fort... embêtant !

FLORETTA.

Pour quel motif ?...

FORMOSO.

Et ce n’est pas tout !... Obligé de se couper la gorge... ça bouleverse !

FLORETTA.

Te couper la gorge ! Avec qui ?...

FORMOSO.

Avec mon rasoir.

FLORETTA.

C’est bien fait !... Pourquoi te frottes-tu à des duchesses ?

FORMOSO.

La duchesse !... allons donc !... Une femme atroce !...

FLORETTA.

Qui t’envoie de ses cheveux...

FORMOSO.

Pour les teindre !... Oh !... au fait, je peux te le dire à toi... Tu la crois

noire ? eh bien !...

Il lui parle bas à l’oreille.

FLORETTA.

Bah !

FORMOSO.

Comme la belle aux cheveux d’or !... Elle avait compté sur moi pour perpétuer, sur son chef, l’imposture capillaire à laquelle est attachée sa fortune... et comme je ne peux pas... elle veut me verrouiller !

FLORETTA, à part.

Et moi qui ai révélé au prince !...

Haut.

Mais tout n’est pas perdu... Je cours me jeter aux pieds du monarque...

FORMOSO.

Très bien !... mais la duchesse... je ne puis me sauver qu’en la sauvant... et le moyen ?

FLORETTA, à part.

Oh ! quelle idée !... si je pouvais...

Haut.

Formoso... je cours chez la duchesse !...

FORMOSO.

Que vas-tu faire ?

FLORETTA.

Je ne sais... mais j’espère... adieu ! adieu !

Elle entre à droite, premier plan.

 

 

Scène XVI

 

FORMOSO, puis LE PRINCE

 

FORMOSO.

Et moi qui croyais que ça portait bonheur de raser un bossu ! que préjugé !... mais, j’y pense, je ne l’ai pas achevé... voilà d’où vient le guignon !... C’est égal... j’ai de l’inquiétude... pas du côté du prince... entre nous, je m’en moque un peu... il veut ma tête, c’est vrai ; mais comme c’est moi qui suis chargé de la lui fournir... j’y mettrai des lenteurs.

LE PRINCE, entrant par le fond, à gauche.

Ah !... je te cherchais !...

FORMOSO, à part.

Le prince !...

LE PRINCE.

As-tu perpétré le... dzing ?

Il fait le mouvement.

FORMOSO, à part.

Allons !... de l’aplomb !...

Haut.

Oui, prince... Formoso n’existe plus !... il est révolu !

LE PRINCE.

Déjà !... et... sa dépouille ?

FORMOSO.

Les petits morceaux ?... je les ai enfouis sous la fougère.

LE PRINCE, défaillant.

Ah ! voilà qui est particulier !... j’éprouve là... un... je ne sais quoi !... ça me picote extrêmement !... et toi ?

FORMOSO.

À vous dire vrai... ça me picote aussi... et, si vous m’en croyez, nous ne parlerons plus de cet étranger... oublions-le !

LE PRINCE.

Oublions-le !

FLORETTA, entrant vivement par la droite, premier plan.

Formoso !... Formoso !...

FORMOSO.

On y va !... On y va !...

LE PRINCE.

Hein ?

FORMOSO.

Oh !...

À part.

Je me suis coupé !

LE PRINCE, stupéfait.

Comment !... tu es Formoso ?... tu es...

FORMOSO.

Eh bien !... eh bien, oui !... je le suis !... mais...

LE PRINCE, avec fureur.

Corbœuf !... Holà ! gardes !...

Ici entrent plusieurs gardes, et des seigneurs et dames de la cour, qui restent au fond.

Qu’on lève les ponts-levis !... qu’on baisse les herses !... toutes mes troupes sur pied !... Quant à la duchesse... Oh ! il va se passer quelque chose de formidable !...

Allant à la porte de droite, premier plan.

Ouvrez, madame la duchesse... ouvrez ! ou je fais enfoncer la porte.

 

 

Scène XVII

 

FORMOSO, LE PRINCE, LA DUCHESSE, FLORETTA, GARDES, SEIGNEURS et DAMES DE LA COUR, au fond

 

LA DUCHESSE, paraissant poudrée.

Ce bruit !... qu’y a-t-il ?

LE PRINCE.

Ces cheveux... que signifie ?...

FORMOSO.

Mon invention...

Comprenant, sur un signe de Floretta.

ah !...

LE PRINCE

Mais c’est affreux !... mais c’est horrible !... ôtez ça ! ôtez ça !

LA DUCHESSE.

Ces reproches... cette colère... Ah ! prince ! quand je croyais me rendre à vos vœux, à vos désirs, une pareille ingratitude ! c’est mal, c’est... moi qui, pour vous plaire, allais jusqu’à m’enlaidir !

FORMOSO, à lui-même, comprenant.

Tiens ! mais... tiens, mais...

Il ouvre la fenêtre de gauche.

LE PRINCE.

Mais qu’est-ce que ça veut dire ?

FORMOSO.

Comment, prince, vous ne comprenez pas ?... à votre tour, regardez ces deux arbres.

LA DUCHESSE.

Que va-t-il faire ?

LE PRINCE, regardant du côté de la croisée.

Tiens !... ils sont blancs tous les deux... c’est la neige...

FORMOSO.

Eh bien ?...

LE PRINCE.

Eh bien ?...

FORMOSO.

Air : Je n’ai pas vu ces bosquets de lauriers.

Vous les avez observés, ce matin,
L’un, balançant sa verte chevelure,
Semblait tout fier... et l’autre tout chagrin
De ne pouvoir des ans cacher l’injure...
Mais un nuage, en passant, s’est ouvert,
Entr’eux, il a rétabli la balance ;
L’un n’est plus sombre, et l’autre n’est plus vert,
Et, grâce au manteau de l’hiver,
Pour eux l’égalité commence !

Voilà pourquoi madame la duchesse est blanche.

LE PRINCE, tout à coup.

Ah ! je comprends !... ah ! je comprends !... Ah ! duchesse !... un tel sacrifice !... pour moi !... c’est d’une délicatesse !... Eulalie... tu n’as pas craint de partager ma nuance, tu partageras ma couronne !

LA DUCHESSE, à elle-même.

Sauvée !...

LE PRINCE.

Mais par quel procédé ?...

LA DUCHESSE, indiquant Formoso.

Permettez-moi de vous présenter l’inventeur.

LE PRINCE, joyeusement.

Ah ! bah !... tu n’étais donc réellement qu’un vil perruquier... une savonnette !... un linge à barbe !... j’étais jaloux d’un linge à barbe !... Ah ! mais, je fais une réflexion... comment appellerons-nous cette ?...

LA DUCHESSE.

Ah ! oui, voyons, comment appellerons-nous cette...

FLORETTA.

C’est vrai, comment appellerons-nous...

FORMOSO.

Cette poudre... Eh bien ! la poudre !

LE PRINCE.

J’aime assez la poudre... c’est martial et en même temps...

FORMOSO,

Guerrier !... Décidément, j’ai inventé la poudre.

FLORETTA.

Qui est-ce qui se serait douté de ça ?... Et tu comptes sur la postérité ?...

FORMOSO.

Mais, oui, toi aidant... Épouse-moi un peu, tu verras que j’ai encore des idées !

LE PRINCE.

Pardieu !... il m’en vient une... si je faisais adopter cette poussière par mon peuple...

LA DUCHESSE, avec joie.

Il ne tient qu’à vous.

LE PRINCE, à Formoso.

Tu me poudreras demain.

LA DUCHESSE, bas à Formoso.

Et moi, toujours !

LE PRINCE, remontant, aux seigneurs.

Oui, je veux lui servir de trompette, de clarinette et de castagnettes. Tiens !j e vais rendre un décret... méfiez-vous !... « Nous, Hector XXXVI, mandons et ordonnons... à dater de ce jour, tous ceux qui voudront prendre la poudre seront parfaitement libres... »

FORMOSO l’interrompant.

De se poudrer...

LE PRINCE.

Non !

Reprenant.

« Tous ceux qui voudront se poudrer... seront parfaitement libres...

FORMOSO, de même.

De prendre la poudre.

LE PRINCE.

C’est ça... voilà mon décret.

LE PRINCE et FORMOSO, ensemble, chacun à part.

Eh bien ! je suis très content, je suis très joyeux... et je lui donnerais une poignée de main... s’il n’était pas... ce qu’il est.

CHŒUR.

Air de la Monaco.

Plus de tristesse ;
Dans ce palais,
Qu’à tout jamais
L’allégresse
Renaisse !
À { ma } noblesse,
   { sa   }
Je } donne un bal,
Il   }
Et j’y } professe un galop infernal !
Il y    }

LE PRINCE, au public.

Air de l’Apothicaire.

Le parterre, dans ses arrêts,
Est parfos vif comme...

Il reste court.

FORMOSO, le soufflant.

Lapoudre ;

LE PRINCE.

Aussi, pour ce soir, je voudrais,
Aux yex, vous jeter de...

Même jeu.

FORMOSO, le soufflant.

La oudre ;

LE PRINCE.

Frapper cet uvrage innocent,
C’est aux moineaux brûler...

Même jeu.

FORMOSO, le soufflant.

Sa poure ;

LE PRINCE.

L’auteur sait bien qu’en l’inventant,
Il n’a pas iventé...

Même jeu.

FORMOSO, le soufflant.

La oudre.

CHŒUR, reprise.

Plus de trstesse, etc.

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