L’Hymen et le dieu jaune (DE BEAUNOIR)

Comédie en un acte.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre des Élèves de l’Opéra, le 19 juin 1779.

 

Personnages

 

L’HYMEN

LE DIEU JAUNE

MADAME BARBARA, maîtresse de pension

URSULE, pensionnaire de Madame Barbara

AGNÈS, pensionnaire de Madame Barbara

BRIGITTE, pensionnaire de Madame Barbara

TROUPE DE JEUNES PENSIONNAIRES

 

La Scène se passe devant la Maison de Madame Barbara.

 

Le Théâtre représente le devant de la maison de Madame Barbara. Il y au milieu du Théâtre une petite table, sur laquelle est un brasier ardent.

 

 

Scène première
 

MADAME BARBARA, URSULE, AGNÈS, BRIGITTE, TROUPE DE JEUNES PENSIONNAIRES

 

MADAME BARBARA, tenant le cordon de l’Amour à la main.

Mesdemoiselles, depuis l’instant fatal que l’Amour est entré dans ma maison, chaque jour a amené de nouveaux troubles et de nouveaux malheurs ; il vous a ravi les anneaux précieux que je vous avais donnés : je ne puis que vous plaindre ; j’ai perdu le droit de vous faire des reproches, puisque je fus aussi faible que vous. Le cruel, en nous quittant, nous a laissé un gage plus funeste mille fois que sa présence ! Ce cordon a troublé la douce union, l’heureuse paix qui régnaient dans cette maison ; la discorde et la haine ont pris leur place. Il n’est qu’un seul moyen de rétablir ici le calme ; faisons toutes un généreux effort, et que ces flammes dévorent ce trop fatal cordon.

URSULE.

Ah ! Madame, en aurez-vous le courage ?

BRIGITTE.

Brûlez-le sans pitié, puisque le traître qui nous l’avait laissé comme un gage de son retour, n’est pas revenu.

AGNÈS.

Quel dommage !

TROUPE DE JEUNES PENSIONNAIRES.

Brûlez-le, Madame, brûlez-le.

MADAME BARBARA, jetant dans le brasier ardent le cordon que les flammes dévorent en un instant.

Il n’est plus, et je reprends mon empire...

Aux jeunes Pensionnaires.

Rentrez.

Aux trois autres.

Ursule, Brigitte, et vous aussi, Agnès, restez et m’écoutez.

Les jeunes Pensionnaires rentrent, et remportent la table et le brasier.

 

 

Scène II

 

MADAME BARBARA, URSULE, AGNÈS, BRIGITTE

 

MADAME BARBARA.

Mes enfants, pour trouver dans le monde un établissement honnête, rien n’est plus nécessaire, sans doute, que la vertu. On n’est pas toujours maîtresse de conserver son innocence ; je le sais : il est des moments de faiblesse où la plus sage succombe ; mais cette perte est peu de chose, tant qu’elle reste ignorée : le scandale fait plus de tort que la chute. Les hommes, tout clairvoyants qu’ils croient être sur ce chapitre, y sont tous les jours trompés. Je ne puis vous donner de nouveaux anneaux ; le Ciel même ne peut vous les rendre ; une fois brisés, tout est dit ; mais, à leur place, recevez ces ceintures.

Elle leur donne à chacune un large ruban, couleur de rose, dont elle leur serre la ceinture.

Puissiez-vous les garder plus longtemps que vos anneaux ! Les hommes s’y méprennent souvent. Conservez-les donc bien précieusement : tout votre bonheur en dépend... Et, surtout, déguisez, vous, Ursule, votre sensibilité ; vous, Brigitte, votre gaieté, sous l’air simple et innocent d’Agnès : c’est un piège certain auquel tous les hommes se laissent prendre.

URSULE.

Ah ! Madame, effacez, donc de mon cœur le souvenir trop tendre et trop funeste du charmant séducteur que je regretterai toute ma vie !

BRIGITTE.

Qu’il s’en présente un nouveau, et je vous réponds que le premier sera bientôt oublié.

AGNÈS.

Je n’ai point de volonté, Madame ; et s’il faut l’oublier, j’y ferai mon possible.

MADAME BARBARA.

C’est assez vous occuper, mes enfants, d’une vaine illusion que je viens de détruire ; rentrez, et profitez mieux de mes secondes leçons que vous n’avez fait des premières... Je vous suis.

Ursule, Brigitte et Agnès rentrent.

 

 

Scène III

 

MADAME BARBARA, seule

 

Toi, qui détruisis le bonheur de ces trois charmantes créatures, Amour, c’est toi que j’implore ! Ne troubles plus leurs jeunes cœurs ; permets qu’elles puissent réparer leur faiblesse, et sortir de chez moi, sinon avec leur innocence, du moins avec l’apparence, qui seule suffit au bonheur... Mais j’entends quelqu’un qui vient de ce côté. Rentrons, et veillons mieux que je n’ai fait, et sur elles et sur moi-même.

Elle rentre.

 

 

Scène IV

 

L’HYMEN, couronné de roses, un flambeau à la main et paré d’une écharpe brillante de pierreries, LE DIEU JAUNE, habillé tout en jaune, un bonnet en forme de croissant sur sa tête, ayant sous ses pieds deux petits soufflets qui répètent, coucou, coucou.

 

L’HYMEN.

Pour Dieu ! Seigneur, ne me quitterez-vous donc jamais ?

LE DIEU JAUNE.

Seigneur Hymen : en vous couvrant d’une écharpe de Financier, en avez-vous donc pris l’esprit ?

L’HYMEN.

Que voulez-vous dire ?

LE DIEU JAUNE.

Que vous méconnaissez vos bienfaiteurs et vos amis.

L’HYMEN.

Cessons la plaisanterie, Seigneur. Il y a sept mille ans et plus que je suis fatigué d’entendre toujours à mes oreilles vos maudits coucous. Jamais vous n’avez été mon bienfaiteur ; jamais vous ne serez mon ami.

LE DIEU JAUNE.

Je l’ai bien deviné ; cette brillante écharpe cause votre ingratitude. Vous vous plaignez de ce que sans cesse je suis vos pas : vous devriez bien plutôt m’en remercier ; car, avouez-le, sans le Dieu jaune que serait l’Hymen ? Toujours fade et langoureux, la tristesse et l’ennui formeraient seuls votre Cour. C’est moi, oui, moi seul qui amène chez vous les Ris, les Jeux et souvent l’Abondance ; c’est moi qui aiguillonne vos désirs, qui les rends plus vifs et plus pressants. Vous me devez vos beaux jours, et même vos plaisirs.

L’HYMEN.

Vous ne voulez donc pas me quitter ?

LE DIEU JAUNE.

Je vous aime trop pour vous abandonner.

L’HYMEN.

Eh bien, dès aujourd’hui Jupiter entendra mes plaintes, et me vengera.

LE DIEU JAUNE.

Jupiter !... Y pensez-vous ?... Pauvre Hymen ! avez-vous donc oublié que le Maître des Dieux nous a unis lui-même de liens indissolubles ?

L’HYMEN.

Soit... Mais, vous voyez cette maison ?

LE DIEU JEAUNE.

Eh ! bien ?

L’HYMEN.

Oserez-vous m’y suivre.

LE DIEU JAUNE.

Quoi ! vous voulez y entrer ?

L’HYMEN.

Oui, Seigneur.

LE DIEU JAUNE.

Y pensez-vous ? Qu’y trouverez-vous ? Une vieille radoteuse, qui sans cesse tonne contre le plaisir, de jeunes niaises, qui bâillent en l’écoutant.

L’HYMEN.

J’y trouverai l’innocence et la vertu, mon cher, et c’est-ce que je cherche, depuis trop longtemps... Eh bien, puissant Dieu jaune, mon bienfaiteur et mon ami, vous m’abandonnez donc enfin ?

LE DIEU JAUNE.

Oui, Seigneur Hymen, mais pas pour longtemps, j’espère. Je vous attends à la porte ; vous n’aurez peut-être pas toujours les rieurs pour vous... Au revoir.

L’HYMEN.

Au revoir.

LE DIEU JAUNE.

L’Amour nous réunira bientôt.

Il sort.

 

 

Scène V

 

L’HYMEN, seul

 

M’en voilà donc enfin débarrassé !... Tâchons maintenant, s’il se peut, de nous introduire dans cette maison. J’ai résolu de ne confier le soin de mes Autels qu’a l’Innocence, et je risque fort de voir bientôt mes Temples déserts. Cette maison peut enfin remplir mon espoir ; heureux si j’y puis pénétrer. Madame Barbara, dit-on, n’y laisse jamais entrer d’hommes ; toutes les fenêtres en sont grillées, de forts verrous défendent toutes les portes ; mais Plutus, Plutus, qui seul aujourd’hui allume mon flambeau, m’a juré, en me prêtant cette écharpe brillante, que devant elle et grilles et verrous se brisaient sur-le-champ, et que jamais en France un Financier n’avait trouvé de cruelles. Faisons-en donc l’essai.

Il frappe doucement à l’une des croisées de Madame Barbara.

 

 

Scène VI

 

URSULE, L’HYMEN

 

URSULE, dans la maison.

Qui frappe ?

L’HYMEN.

Ouvrez, ma belle Demoiselle ; ouvrez sans crainte.

URSULE, à la fenêtre.

Qui est là ?

L’HYMEN.

Un mortel qui vous adore.

URSULE, fermant brusquement sa fenêtre.

Ah ! Ciel ! un homme !

 

 

Scène VII

 

L’HYMEN, seul

 

Que sa crainte m’enchante !... Heureuse maison ! J’ai donc enfin trouvé ce que je cherchais, depuis si longtemps !... Ne chantons pas cependant encore victoire, et voyons si quelqu’autre ne sera pas moins farouche.

Il frappe à une autre fenêtre.

 

 

Scène VIII

 

BRIGITTE, L’HYMEN

 

BRIGITTE, à sa fenêtre.

Ah ! c’est un homme !

L’HYMEN.

Oui, charmante enfant, et un homme qui vous adore.

BRIGITTE.

Vous me connaissez donc beaucoup ?

L’HYMEN.

Il suffit de vous voir un instant pour vous aimer toute sa vie.

BRIGITTE.

Et que me voulez-vous ?

L’HYMEN.

Je ne puis m’expliquer ici ; mais daignez m’ouvrir la porte, et je vous ferai connaître quelles sont mes intentions.

BRIGITTE.

À quoi cela m’avancera-t-il ?

L’HYMEN.

Je ferai votre bonheur.

BRIGITTE.

Comment cela ?

L’HYMEN.

Je suis riche, et je mettrai toute ma fortune à vos pieds... Vous voyez bien cette écharpe brillante dont je suis paré ?

BRIGITTE.

Oui.

L’HYMEN.

Elle est belle ?

BRIGITTE.

Très belle.

L’HYMEN.

Ouvrez-moi la porte, et je vous la donnerai.

BRIGITTE.

D’honneur ?

L’HYMEN.

Oui, d’honneur !

BRIGITTE.

Vous ne me trompez pas ?

L’HYMEN.

Non, je vous le jure !... Eh ! bien ?

BRIGITTE.

Eh ! bien, croyez-moi, passez tranquillement votre chemin ; car je me moque de votre écharpe comme de vous. Bonne renommée vaut mieux que ceinture dorée... Ah ! ah ! ah !

Elle ferme sa fenêtre, en lui riant au nez.

 

 

Scène IX

 

L’HYMEN, seul

 

Elle se moque de moi... Plutus m’a trompé. Son écharpe, et j’en bénis le Ciel, son écharpe ne produit pas ici l’effet qu’il m’avait tant vanté. J’ai beau promettre et faire briller tous mes bijoux, rien ne me réussit... Faisons cependant une troisième tentative.

Il frappe encore à une autre fenêtre.

 

 

Scène X

 

AGNÈS, L’HYMEN

 

AGNÈS, ouvrant sa fenêtre.

C’est un homme, je crois.

L’HYMEN.

Oui, ma belle Demoiselle.

AGNÈS.

Que voulez-vous, Monsieur ?

L’HYMEN.

Daignez, s’il vous plaît, m’ouvrir la porte, je vous en conjure !

AGNÈS.

Ah ! vraiment, je m’en garderai bien.

L’HYMEN.

Pourquoi ?

AGNÈS.

Oh ! que je connais trop bien les hommes pour vous laisser entrer ici.

L’HYMEN.

Vous connaissez les hommes ?

AGNÈS.

Beaucoup.

L’HYMEN.

Eh ! comment les connaissez-vous ?

AGNÈS.

Madame Barbara nous en parle tous les jours.

L’HYMEN.

Que vous en dit-elle ?

AGNÈS.

Oh, dame ! bien de vilaines choses.

L’HYMEN.

Mais encore ?

AGNÈS.

Dame ! elle nous dit comme ça, que tous les hommes sont des monstres, qui n’en veulent qu’à notre honneur, et qui ne cherchent qu’à nous faire perdre, notre vertu, pour se moquer ensuite de nous ; parce que, voyez-vous bien, une fille qui a perdu sa vertu, devient la risée de tout le monde. C’est vrai, ça !

L’HYMEN.

Pouvez-vous me croire capable d’une pareille perfidie ? moi, qui vous adore ! moi, qui pour vous donnerais et mon sang et ma vie !... Rendez-moi plus de justice.

AGNÈS.

Allez, allez, vous voulez me tromper ; mais je ne suis pas si sotte que je le parais. Cherchez vos dupes ailleurs.

L’HYMEN.

Daignez m’écouter un moment.

AGNÈS.

Eh ! que non, que non ! Si Madame Barbara savait que j’ai parlé seulement à un homme, je serais mise en pénitence pour toute la semaine... Adieu, Monsieur, adieu, Monsieur.

Elle lui fait deux grandes révérences, et ferme sa fenêtre.

 

 

Scène XI

 

L’HYMEN, seul

 

Son innocence l’embellit encore et lui prête de nouveaux charmes. Hélas ! il y a bien longtemps que je n’ai trouvé une porte aussi difficile à forcer. Je le vois, c’est vraiment ici le temple de l’Innocence. C’est en vain que je voudrais apprivoiser ces timides colombes, je ne réussis qu’à les effaroucher. Renonçons donc au funeste projet de les tromper, et sans faire encore de nouvelles et d’inutiles tentatives, déclarons-nous à Madame Barbara elle-même.

Il frappe hardiment à la porte.

 

 

Scène XII

 

MADAME BARBARA, L’HYMEN

 

MADAME BARBARA, ouvre une petite grille qui est à la porte.

Qui frappe ?

L’HYMEN.

C’est moi.

MADAME BARBARA.

Que voulez-vous ?

L’HYMEN.

Entrer.

MADAME BARBARA.

Entrer ?... Jamais aucun homme n’entre ici.

L’HYMEN.

Vous ne me connaissez pas ?

MADAME BARBARA.

Et je n’ai nulle envie de vous connaître.

L’HYMEN.

Mais ne puis-je parler à Madame Barbara ?

MADAME BARBARA.

C’est moi ; que me voulez-vous ?

L’HYMEN.

J’ai des choses très intéressantes à vous communiquer, et qui vous feront certainement plaisir.

MADAME BARBARA.

Parlez : je vous écoute.

L’HYMEN.

Ne pouvez-vous m’accorder un entretien particulier ?

MADAME BARBARA.

Eh bien, attendez-moi, je vais sortir.

L’HYMEN.

Que ne m’ouvrez-vous plutôt ?

MADAME BARBARA.

Vous ouvrir ! je m’en garderai bien. Ah ! que je ne laisse pas ainsi entrer les hommes chez moi ! Et mes Pensionnaires ?...

L’HYMEN.

Que craignez-vous ?

MADAME BARBARA.

Monsieur, dès qu’une fille a fixé l’ombre d’un homme, adieu son innocence : elle est perdue... Je suis à vous.

Après un grand bruit de serrures et de verrous, elle paraît.

Eh bien, Monsieur, qu’y a-t-il pour votre service ?

L’HYMEN.

Connaissez-moi, Madame Barbara ; je suis l’Hymen. J’ai voulu, de tout temps, confier le soin de mes Autels à l’Innocence ; mais depuis trop longtemps je n’ai pu parvenir à la trouver réunie à la Jeunesse et à la Beauté. Je ne devais rencontrer ce prodige que dans votre maison ; elle renferme tout ce que je cherchais : permettez-moi donc d’emmener avec moi ces charmantes créatures, que vos leçons, vos conseils, et surtout vos exemples, ont si bien formées à la vertu, et daignez vous même les accompagner.

MADAME BARBARA.

Vous me faites beaucoup trop d’honneur, et vous m’en voyez confuse. Mais, Seigneur, permettez-moi de vous dire qu’il ne faut pas toujours se fier aux apparences ; et tout Dieu que vous êtes, je gagerais que vous y avez été plus d’une fois trompé. Qui peut répondre du cœur d’une jeune fille ? Qui peut saisir son premier battement sous la main de l’Amour ? J’ai mis tout mon zélé, et c’était mon devoir, à élever mes jeunes Pensionnaires dans la vertu : je n’ai rien épargné pour conserver précieusement leur innocence : mais qui sait si mes soins n’ont pas été trompés ? qui sait... Les hommes sont si fourbes, si trompeurs ; les filles sont faibles. Ne vous en rapportez donc qu’à vous-même ; je vais faire venir ici celles que le Printemps a vu couronner seize fois de ses fleurs. Toutes sont parées d’une légère ceinture, symbole de leur innocence : celle qui serait assez faible pour se la laisser ravir, n’aura pas, sans doute, mieux conservé son honneur. Tentez donc de la leur prendre, et soyez bien persuada que cette épreuve est immanquable.

L’HYMEN.

Elle est inutile, Madame Barbara ; je suis certain de leur vertu comme de leur sagesse. Puis-je douter d’une innocence confiée à votre garde ?

MADAME BARBARA.

Vous en serez plus sûr encore après l’épreuve.

L’HYMEN.

Vous le voulez absolument. Je ne la tenterai que pour vous contenter.

MADAME BARBARA, appelant.

Ursule, Brigitte, Agnès ! Venez.

 

 

Scène XIII

 

MADAME BARBARA, L’HYMEN, URSULE, BRIGITTE, AGNÈS

 

URSULE.

Nous voilà, Madame.

MADAME BARBARA.

Avancez, Mesdemoiselles ; avancez sans crainte. Monsieur peut et veut faire votre bonheur. Je vous permets ; je sais plus, je vous ordonne de rester avec lui, de le regarder, de lui parler même.

URSULE.

Quoi ! vous nous quittez, Madame Barbara ? vous nous abandonnez ?

BRIGITTE.

Vous nous laissez seules avec un homme, Madame Barbara ?

AGNÈS.

Madame Barbara, ne vous en allez pas !

MADAME BARBARA.

Cet homme est un homme honnête ; vous pouvez vous y fier... Au reste, soyez tranquilles, je veillerai toujours sur vous, et reviendrai bientôt.

Elle sort.

 

 

Scène XIV

 

L’HYMEN, URSULE, BRIGITTE, AGNÈS

 

L’HYMEN, à part.

Elles sont toutes les trois aimables, elles ont, avec des caractères différents, l’air également innocent, et je ne sais laquelle je dois attaquer la première.

Haut.

Rassurez-vous, jeunes Beautés, rassurez-vous ; mon dessein n’est pas de vous faire aucune peine, encore moins aucun mal ; je veux faire le bonheur de celle qui m’aimera.

URSULE, lui faisant la révérence.

Vous êtes bien bon, Monsieur.

L’HYMEN.

Vous êtes toutes les trois charmantes.

BRIGITTE, lui faisant la révérence.

Oh ! Monsieur, cela vous plaît à dire.

L’HYMEN.

Et, sans doute, aussi sages que belles ?

AGNÈS, lui faisant la révérence.

Point du tout, Monsieur.

L’HYMEN.

Quelle innocence ! quelle heureuse simplicité !... Je voudrais bien vous entretenir chacune en particulier. Que deux d’entre vous daignent s’éloigner un peu, pour un moment.

Elles se serrent toutes les trois étroitement l’une contre l’autre.

URSULE.

Oh ! que non, Monsieur ; oh ! que non.

BRIGITTE.

Nous ne nous quittons pas.

AGNÈS.

Nous ne restons pas seules avec un homme.

L’HYMEN.

Eh ! bien, écoutez-moi donc toutes les trois. Je possède tout, je puis tout vous donner, bijoux, diamants, maisons, équipages, tout ce que vous pouvez désirer de plus précieux, vous pouvez l’avoir sur l’heure ; vous n’aurez que la peine de désirer. Je peux vous tendre heureuses. Qui de vous veut l’être ?

URSULE, BRIGITTE, AGNÈS, ensemble, en lui faisant une profonde révérence.

C’est moi, Monsieur.

L’HYMEN.

Mais ce n’est qu’à une certaine condition que je veux faire votre bonheur.

URSULE, BRIGITTE, AGNÈS, ensemble, en lui faisant une révérence plus basse.

Et quelle est cette condition, Monsieur ?

L’HYMEN.

Je ne puis rendre heureuse que celle qui me donnera sa ceinture.

URSULE, BRIGITTE, AGNÈS, ensemble, en lui faisant une révérence encore plus basse.

Ce n’est pas moi, Monsieur.

Elles feignent de vouloir se retirer.

L’HYMEN, les arrêtant.

Arrêtez, charmantes créatures, arrêtez. Pourquoi donc être si farouches ? pourquoi me craindre ? moi, qui vous adore, moi, qui ne veux que votre bonheur. Je vous offre tout, je mets tout à vos pieds, et mon cœur et mes richesses ; et quand je borne mes vœux, à vous demander un léger gage de votre reconnaissance, vous me le refusez. Et quel si grand prix pouvez-vous donc attacher à cette simple ceinture ? Mon écharpe est mille fois plus brillante. Eh ! bien, je vous l’offre en échange ; pouvez-vous balancer ?

URSULE.

Nous le voyons bien, Monsieur ; vous êtes un homme comme tous les autres : vous voulez nous tromper. Nous n’avons que nos ceintures, mais nous ne les donnerions pas pour tous les bijoux de la terre ; nous en connaissons trop bien tout le prix.

BRIGITTE.

Sitôt que vous nous les auriez ravies, nous deviendrions laides... laides, à faire peur !

AGNÈS.

Et puis vous vous moqueriez de nous.

Elles feignent encore de vouloir se retirer.

L’HYMEN, les poursuivant, arrêtant Agnès et la ramenant de force sur le devant du Théâtre.

Eh bien, puisque vous ne voulez pas me la donner de bon gré, je l’aurai de force.

AGNÈS, appelant.

Défendez-moi, mes bonnes amies ; à moi, je suis morte !... Madame Barbara !... Monstre ! tu m’ôteras plutôt la vie !... Madame Barbara !...

URSULE, BRIGITTE, appelant ensemble.

Madame Barbara !... Madame Barbara !...

L’HYMEN.

Vos cris sont superflus.

 

 

Scène XV

 

MADAME BARBARA, L’HYMEN, URSULE, BRIGITTE, AGNÈS, TROUPE DE JEUNES PENSIONNAIRES

 

MADAME BARBARA, apercevant Agnès qui se débat dans les bras de l’Hymen, et volant à son secours.

Qu’y a-t-il donc ?... Ah, Ciel, que vois-je ?... Que dois-je penser, Seigneur, d’un pareil procédé ?... Vous osez employer la force et la violence contre cette jeune innocente !

L’HYMEN.

Rassurez-vous, Madame Barbara ; rassurez cette aimable enfant : j’étais bien loin de lui faire aucun mal ; mais j’ai voulu conduire mon triomphe jusqu’à son dernier période. Vous voyez en moi le plus heureux de tous les Dieux... Rapprochez-vous, charmantes créatures, rapprochez-vous, et ne craignez plus rien de moi. Je ne suis ni ce que je parais à vos yeux, ni le Dieu des richesses ; je suis l’Hymen : je cherchais partout l’Innocence unie à la Beauté, pour lui confier le soin de mes Autels. Je trouve en vous ce précieux trésor ; soyez donc mes Prêtresses, allumez dans mes Temples un feu aussi pur que le fond de vos cœurs... Et vous, Madame Barbara, servez-leur toujours de guide et de modèle : que ces tendres fleurs, cultivées par vos mains, s’épanouissent sous vos yeux, et que leur éclat soit la juste récompense de vos soins. N’y consentez-vous pas ?

MADAME BARBARA.

Comblées de l’honneur que vous nous faites à toutes, notre silence peut seul exprimer nos sentiments et notre reconnaissance.

L’HYMEN.

Mon bonheur est parfait, et rien ne manque à mon triomphe...

 

 

Scène XVI

 

LE DIEU JAUNE, L’HYMEN, MADAME BARBARA, URSULE, BRIGITTE, AGNÈS, TROUPE DE JEUNES PENSIONNAIRES

 

LE DIEU JAUNE.

Qu’un témoin.

L’HYMEN.

Comment ! c’est vous ? vous, ici ! vous, chez Madame Barbara !... Et qu’y venez-vous donc faire ?

LE DIEU JAUNE.

Vous remettre, de la part de l’Amour, ces trois anneaux et ce martinet ; il les tient de la tendresse de ces trois jeunes Beautés, et des bontés de Madame Barbara.

L’HYMEN.

Est-il bien possible ?

MADAME BARBARA.

Très possible, Seigneur... Que ne veniez-vous plutôt ?

LE DIEU JAUNE.

Puisqu’elles sont sous vos lois, l’Amour, en bon frère, vous renvoie ces gages de leur tendresse.

L’HYMEN.

Peut-on être trompé aussi cruellement !

LE DIEU JAUNE.

Consolez-vous, Seigneur Hymen, consolez-vous ; en cherchant un cœur encore novice, vous cherchiez la Pierre philosophale. L’Amour, depuis longtemps, a moissonné tous les champs de Cythère ; l’Hymen doit se contenter d’y glaner... Mais afin de calmer à jamais vos chagrins, ce Dieu m’a chargé pour vous d’un nouveau présent, dans lequel vous reconnaîtrez l’amitié d’un bon frère. Il vient de partager son bandeau en deux ; il vous en envoie la moitié : la voilà. Croyez-moi, l’Hymen pour être heureux, a besoin de le porter comme l’Amour.

L’HYMEN.

Je l’accepte avec joie ; oui, je le porterai désormais, et vous serez toujours mon Compagnon et mon Conducteur. Je renonce à l’espoir trompeur dont je m’étais flatté... Et vous, Madame Barbara... Et vous, charmantes, mais trompeuses Beautés, je vous confie le soin d’entretenir à jamais le feu de mes Autels... Au défaut de l’innocence, la Beauté désormais allumera le Flambeau de l’Hymen.

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