Lucienne (Jacques-François ANCELOT - Pierre CARMOUCHE)

Sous-titre : dix heures du soir

Comédie-vaudeville en deux actes.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre des Variétés, le 8 décembre 1841.

 

Personnages

 

LE COMTE DE TILLY

LE BARON DE LA TORTAMPIERRE

LA VICOMTESSE ARMANDE DES ORMEAUX

LUCIENNE, sa nièce

MADAME DE MONTRICOURT

MARIANNE, servante de la vicomtesse

UN VALET

 

L’action se passe en 1779, au premier acte, à Versailles, chez la vicomtesse ; au deuxième acte, à Poitiers.

 

 

ACTE I

 

Le théâtre représente un salon. Porte au fond ; une à droite, une autre à gauche ; à la droite du public, une fenêtre ; à la gauche, une table et tout ce qu’il faut pour écrire, une ottomane ; et cheminée avec pendule, vis-à-vis de la fenêtre.

 

 

Scène première

 

LUCIENNE, seule, assise, une lettre non achevée à la main

 

« Versailles, le 17 avril 1779. Ma chère amie, tu veux que je te rende compte de ma vie, depuis que nous nous sommes séparées, et que tu as quitté le couvent où nous fûmes élevées ensemble ?... Tu n’ignores pas que, par suite d’arrangements de famille, je fus mariée à l’âge de dix ans... Mon époux, brave marin, m’a-t-on dit, était allé gouverner le Sénégal, pendant que je grandissais au couvent ; et, lorsqu’il revenait en France pour y chercher sa femme, il est mort sur les vaisseaux du roi... Tu me demandes si j’ai conservé ma grande passion pour le comte de Tilly, que j’ai vu plusieurs fois au parloir, lorsqu’il y accompagnât ton frère. Oui, ma chère Gabrielle, toujours ! Je l’ai aperçu deux fois dans les jardins de Versailles ; mais sans qu’il ait semblé me reconnaître. Son nom est bien souvent prononcé devant moi, car il n’est bruit que de ses succès, et ma tante parle sans cesse de lui !... Elle est loin de soupçonner ce que j’éprouve à ce nom... Ah ! pourquoi tout vient-il le rappeler à ma pensée ! Tu sembles te défier de ma tête méridionale, et t’attendre à me voir faire quelques extravagances !... Je ne sais pas si l’avenir ne justifiera point tes prévisions, car on me persécute pour me contraindre à une nouvelle union... et... » Ah ! du bruit ! c’est ma tante qui rentre... Cachons ma lettre... je la finirai plus tard !

 

 

Scène II

 

LUCIENNE, LA VICOMTESSE

 

LA VICOMTESSE, entrant.

Air : Ah ! quel plaisir d’être en voyage.

Ah ! quel plaisir d’être à Versailles !
De parler gloire, amours, batailles !...
Des galants de toutes les tailles,
Princes, marquis et généraux...
Ah ! quel plaisir d’être à Versailles !
De parler gloire, amours, batailles !
Des galants de toutes les tailles,
Vous adressent des madrigaux,
Toujours, toujours des plaisirs nouveaux !

Oh ! la cour ! la cour ! quel tableau magique !... Comment ai-je pu vivre en province ?

LUCIENNE, souriant.

Mais tout annonce que vous y avez vécu... et même très bien !

LA VICOMTESSE.

Dis donc que j’ai végété.

LUCIENNE.

Il n’y paraît pas.

LA VICOMTESSE.

Et quelles conversations ! que d’esprit ! quel langage ! Ah ! c’est à la cour seulement qu’on parle !... hors de là... on glousse !

LUCIENNE.

Ah ! ma tante !

LA VICOMTESSE.

J’en suis bien fâchée... mais c’est le mot ! Et tu seras de mon avis, car tu la verras bientôt, dès que ton mariage sera conclu avec le baron de la Tortampierre !

LUCIENNE.

S’il faut que j’attende ce moment-là, je risque fort de ne la voir jamais !

LA VICOMTESSE.

Qu’est-ce à dire, Lucienne ?

LUCIENNE.

Vous savez bien, ma tante, que je ne veux pas épouser le baron de la Tortampierre !

LA VICOMTESSE.

Encore ! un mariage arrangé depuis plus d’une année ; promis par toi-même au couvent !

LUCIENNE.

Savais-je alors ce que je faisais ?... Il y a dix-huit mois, un monsieur conduit par vous arrive en cérémonie, et me dit après de grands saluts : « Madame, vous êtes veuve !... » Je fais une profonde révérence, et je réponds : « Monsieur, je vous remercie !... » Je ne comprenais pas.

LA VICOMTESSE.

Pardon, pardon... cette réponse prouvait ta précoce intelligence !

LUCIENNE.

Alors, ce monsieur m’explique qu’il est le frère du mari que je n’ai jamais connu... que celui-ci, en mourant, m’a instituée sa légataire universelle ; mais que ne voulant pas dépouiller son frère, il a mis pour condition à ce don qu’il me fait de sa fortune, que j’épouserai cet autre lui-même !

LA VICOMTESSE.

Eh bien ! tu n’as pas refusé, alors...

LUCIENNE.

Oh ! alors, Mme la supérieure et vous, qui étiez présentes, vous me dites de répondre : « Monsieur, vous me faites beaucoup d’honneur. » Et moi, je répondis : « Monsieur, vous me faites beaucoup d’honneur... » sans trop savoir ce que je faisais... Ce n’est pas là un engagement !

LA VICOMTESSE.

Peut-être !... Mais, ma chère amie, ce qui en est un, c’est ma promesse formelle, comme ta tutrice... c’est notre établissement dans le domaine du Poitou... appartenant au défunt, pendant que son frère allait au Sénégal, liquider une partie de votre succession ! Ce domaine est magnifique !... hôtel à Poitiers, château aux environs.

LUCIENNE.

Cela n’empêche pas que je m’y suis fort ennuyée.

LA VICOMTESSE.

La question n’est pas là... Il y a eu prise de possession... nous avons touché des revenus... j’ai administré, dépensé des sommes considérables... On me demanderait des comptes !... Ton père ne m’a rien laissé ; ma fortune déjà fort mince, vient encore d’être amoindrie par le procès que j’ai perdu... et si tu refuses obstinément de conclure ce mariage... tu réduis aux plus dures extrémités la noble vicomtesse Armande des Ormeaux, la tante !

LUCIENNE.

Vous qui m’avez entourée de soins et de tendresse !... vous qui m’avez tenu lieu de mère !...

LA VICOMTESSE.

Tu peux me mettre sur la paille !

LUCIENNE.

Oh ! plutôt mourir !

LA VICOMTESSE.

Mais non !... on se marie et on n’en meurt pas... Ton futur époux est débarqué au Havre, j’en ai reçu l’avis ce matin, et aujourd’hui même il sera à Versailles.

LUCIENNE.

Ah ! mon Dieu ! aujourd’hui !...

LA VICOMTESSE.

Il me dit dans sa lettre, et en termes du dernier galant, que tu es pour lui la plus chère portion de l’héritage de son frère...

LUCIENNE.

Son frère avait bien besoin de faire un testament !...

LA VICOMTESSE.

Ah ! il est formel !... Si tu refuses d’épouser le baron, toute la fortune lui appartient ! Il n’y aurait que le cas où ce serait lui qui te refuserait...

LUCIENNE, vivement.

Que dites-vous ?... Il se pourrait ?...

LA VICOMTESSE.

Oui, la clause est positive... Mais à quoi peut-elle te servir ?...

LUCIENNE.

Que sait-on ?... S’il ne voulait pas de moi !...

LA VICOMTESSE.

Allons donc !

LUCIENNE.

Mais, ma tante, il y a des femmes plus nobles !

LA VICOMTESSE.

Je ne conviendrai jamais de cela !

LUCIENNE.

Il y en a de plus jolies !

LA VICOMTESSE, se regardant au miroir.

Ah ! je ne peux pas dire le contraire...

LUCIENNE.

Et je sens qu’il m’est impossible de l’aimer...

LA VICOMTESSE.

Qu’est-ce qui te le demande ?

LUCIENNE.

Comment ?... n’est-on pas obligée...

LA VICOMTESSE.

Il n’est pas question de cela dans le testament.

LUCIENNE.

Oh ! moi, je veux pouvoir aimer mon mari.

LA VICOMTESSE.

Où vas-tu prendre une phrase pareille ?... Tiens, regarde : moi, ma chère, est-ce que j’aimais feu M. le vicomte des Ormeaux ?

LUCIENNE.

Quoi ! ma tante !...

LA VICOMTESSE, passant à gauche.

Jamais, ma nièce, jamais... Ah bien ! on n’aurait qu’à les accoutumer à cela !

Air de Léocadie.

Un mari, vois-tu bien, ma chère,
C’est un fermier... un intendant...
Qui pour remplir son ministère,
Doit se montrer accommodant,
Et que l’on gâte en lui cédant !
De nos plaisirs sans qu’il se mêle,
À tous nos vœux il se soumet...
Quand il faut payer, on l’appelle,
Et voilà, oui, voilà, tout ce que l’on en fait !...

LUCIENNE.

Je ne comprends pas le mariage ainsi, et je veux encore espérer, car, voyez-vous, je ne sais pas de quoi je serais capable !

LA VICOMTESSE.

Oui, oui... je sais !... Mais, là, là... modérons-nous, ma nièce !... Née comme moi à Carcassonne, tu as une tête du Midi... une tête... comme la mienne !... mais un bon cœur... Et tu ne voudras pas ruiner ta tante ! Allons ! allons ! va te préparer à recevoir le baron... tu es dans un négligé !

LUCIENNE.

Faire de la toilette pour lui ?

LA VICOMTESSE.

Mais non, pas pour lui ! pour toi... pour les autres... pour tout le monde !... Mon Dieu ! que tu es encore enfant !

LUCIENNE.

J’y vais, puisque vous le voulez... mais je tâcherai bien de n’être pas sa femme !

Elle sort par la porte à gauche.

 

 

Scène III

 

LA VICOMTESSE, seule

 

C’est ce que nous verrons !... La petite folle ! mais je la laissais faire, Dieu sait où elle nous mènerait !... Tout beau, ma nièce ! tout beau ! Mais j’y songe !... aurait-elle quelque inclination secrète ? Nous sommes si inflammables, nous autres jeunes femmes du Midi... Hélas ! je sais ce que c’est, depuis ce bal masqué où le héros des boudoirs et des ruelles, ce séduisant comte de Tilly ne s’est occupé que de moi !... comme il semblait heureux !... comme il riait de bon cœur !... Et tantôt, à la cour, dans la galerie des Magots de la Chine, où je lui avais fait savoir qu’il me verrait, n’a-t-il pas ri encore en passant devant le groupe où j’étais ?... Ah ! sa joie, à mon aspect, est un signe certain de son amour... Il est vrai que je lui ai déjà écrit seize billets parfumés au benjoin... et qu’il n’a pas encore répondu... Mais c’est par discrétion !... ses regards me l’ont dit... et j’ai compris leur langage !... Quelle gloire pour moi de l’enlever à toutes ces coquettes qui se le disputent !... Oh ! oui, oui, ma nièce va se marier !... alors, plus de soucis ! plus d’inquiétudes ! À toi, mon noble comte... à toi seul ! et pour toujours !

 

 

Scène IV

 

LA VICOMTESSE, LE BARON

 

UN VALET, annonçant du fond.

M. le baron de la Tortampierre !

LA VICOMTESSE.

Déjà !... Dans cinq minutes, vous avertirez ma nièce.

Le valet sort.

LA BARON.

Mme la Vicomtesse me permettra-t-elle de déposer mon humble hommage à ses pieds et un respectueux baiser sur sa main !

LA VICOMTESSE.

Vous voilà donc, M. le Baron ! Nous vous attendions avec une impatience !

LE BARON.

Qui certes n’égalait pas la mienne !... Mais que voulez-vous ?... le Sénégal est un peu loin de Versailles !

LA VICOMTESSE.

Et vous êtes content de votre voyage ?

LE BARON.

Très content ! Le Sénégal est un merveilleux pays...

Air de Téniers.

De cette terre si fertile,
Je désirais vous offrir des produits ;
Une panthère, un singe, un crocodile,
Dans mon vaisseau furent conduits.
Une tempête éclate !... que devins-je ?
Lorsque la vague, hélas ! les emporta !...
J’aurais voulu, du moins, sauver le singe...

LA VICOMTESSE.

Qu’importe ? puisque vous voilà !
L’essentiel, c’est que vous êtes là.

LE BARON.

Mille fois trop bonne !... J’ai travaillé comme un nègre pour liquider toute la fortune de mon frère... et j’arrive le cœur plein d’amour, et le portefeuille garni de traites excellentes !

LA VICOMTESSE.

Ainsi, vos intentions sont toujours les mêmes ?

LE BARON.

Comment donc !... Une immense fortune et une jolie femme, léguées par testament... Qui refuserait un legs pareil ?...

LA VICOMTESSE.

De sorte que, si ma nièce ne vous paraissait pas aussi décidée que vous l’êtes, vous ne vous décourageriez point.

LE BARON.

Qu’est-ce ?... Voudrait-elle, par hasard, renoncer à la succession de mon frère.

LA VICOMTESSE.

Je ne dis pas cela !...

LE BARON.

Refuser un homme comme moi ! Baron de la Tortampierre ! officier des eaux et forêts ! capitaine de vénerie, grand-louvetier de la province de Poitou !

LA VICOMTESSE.

Je ne dis pas cela !

LE BARON, à part.

Moi, qui ai déjà manqué douze mariages !... me faire encore manquer le treizième ?...

LA VICOMTESSE, d’un air de confidence.

Voyez-vous, elle a peut-être des idées romanesques.

LE BARON.

Ah ! oui-dà !

LA VICOMTESSE.

Et dans notre famille, nous tenons à être aimées pour nous-mêmes.

LE BARON.

Prétention merveilleusement justifiée par la nièce comme par la tante.

LA VICOMTESSE.

Vous êtes bien bon !

LE BARON.

Mais non !... je vous regarde !

À part.

Elle est encore très bien, cette femme-là.

LA VICOMTESSE.

On n’est pas plus galant ! Mais, entre nous, je crains que ma nièce ne veuille vous éprouver.

LE BARON.

Ah ! ah !... les Épreuves de sentiment ! je connais ça... M. Darnaud Baculard a fait un livre là-dessus !

LA VICOMTESSE.

Dès lors, vous comprenez qu’elle pourrait essayer de vous tendre un piège !

LE BARON.

Un piège ! à un chasseur comme moi ! à un grand-louvetier !

LA VICOMTESSE.

Mais vous vous tiendrez ferme ? vous ne vous laisserez pas démonter.

LE BARON.

Un cavalier comme moi ! palsambleu ! Soyez tranquille !

LA VICOMTESSE.

D’abord, quoi qu’elle vous dise, soyez convaincu qu’elle est charmée de devenir votre femme !

LE BARON.

À la bonne heure !

LA VICOMTESSE.

Ainsi, vous êtes prêt au combat ?

LE BARON.

Armé de pied en cap !... Mais, une réflexion ! Je n’aurais pas un rival, par hasard ?

LA VICOMTESSE.

Un rival !... Est-ce que c’est possible ?... un homme comme vous !...

LE BARON.

Je sais bien que c’est impossible... mais, à la rigueur, ça pourrait être... Et maugrebleu ! j’en serais fâché pour ce gaillard-là !... car je le tuerais bien et beau... Une lame comme moi !

LA VICOMTESSE.

Ne craignez rien, et profitez de mon avertissement !

LE BARON.

Je vous en remercie !

LA VICOMTESSE.

Ne me trahissez pas... et, quoi qu’elle fasse, marchez droit devant vous !

LE BARON.

C’est ainsi qu’ont toujours marché les la Tortampierre !... Et, pour vous le prouver, je vous déclare que, ce soir même, le contrat sera signé ici...

LA VICOMTESSE.

À merveille !

LE BARON.

Que, demain, je serai marié !...

LA VICOMTESSE.

C’est cela !... Et après demain ?...

LE BARON.

Après demain ?... je serai le plus heureux des hommes !

LA VICOMTESSE.

C’est ce que je voulais dire.

LE BARON.

Maintenant, ne pourrais-je pas voir ma charmante prétendue ?...

LA VICOMTESSE.

Silence !... pas un mot !... La voici !...

 

 

Scène V

 

LA VICOMTESSE, LE BARON, LUCIENNE, venant de la gauche

 

LE BARON, à la vicomtesse.

Elle est ravissante !

LUCIENNE, à part, en entrant.

Ah ! mon Dieu ! c’est lui !

LA VICOMTESSE, à part.

À présent, elle peut dire tout ce qu’elle voudra, il est préparé.

LE BARON.

Mon adorable fiancée daignera-t-elle accueillir avec quelque bienveillance le plus soumis et le plus tendre de ses serviteurs ?

LUCIENNE.

Plaît-il, Monsieur ?...

LA VICOMTESSE.

Ma nièce, Monsieur est le baron de la Tortampierre, qui arrive du Sénégal pour vous épouser.

LE BARON.

Mon Dieu ! tout exprès.

LUCIENNE.

J’ai bien l’honneur de saluer M. le Baron !

LE BARON.

Peut-être me trouverez-vous un peu exigeant et un peu pressé, si, à peine arrivé, je sollicite une grâce ?

LUCIENNE.

De quoi s’agit-il, Monsieur ?

LE BARON.

Serais-je trop téméraire en vous demandant un moment d’entretien ?... Ne pensez-vous pas qu’aux termes où nous en sommes nous avons bien des choses à nous dire ?...

LA VICOMTESSE, passant entre eux.

À quoi bon ?... N’aurez-vous pas tout le temps après le mariage ?...

LUCIENNE.

Pardonnez-moi, ma tante !... Monsieur a raison... Et ce qu’il souhaite, j’allais le lui demander...

LE BARON.

Commencement de sympathie !

LUCIENNE, souriant.

Aussi, ma tante, j’oserai vous supplier...

LA VICOMTESSE.

D’aller me promener ?...

Air du vaudeville de Folie et Raison.

Adieu donc, je vous laisse.
Restez, heureux époux !
Et savourez l’ivresse
D’un premier rendez-vous !

Bas, au baron.

Veillez ! L’épreuve est importante.

LE BARON, bas.

Votre nièce m’épousera !

LA VICOMTESSE, bas, à Lucienne.

Songe à mes conseils...

LUCIENNE.

Oui, ma tante !

À part.

C’est lui qui me refusera !

Ensemble.

LA VICOMTESSE.

Adieu donc, je vous laisse, etc.

LUCIENNE.

J’espère, avec adresse,
De mon futur époux,
Refroidir la tendresse,
Au premier rendez-vous !

LE BARON, bas, à la vicomtesse.

De votre aimable nièce,
Je deviendrai l’époux :
Comptez sur mon adresse,
Au premier rendez-vous !

La vicomtesse sort.

 

 

Scène VI

 

LE BARON, LUCIENNE

 

LE BARON.

En sollicitant cet entretien, j’ai agi seulement dans mon intérêt... c’est un à-compte que je prends sur mon bonheur futur...

LUCIENNE.

Vous vous pressez beaucoup d’appeler cela un bonheur !...

LE BARON.

Je ne sais pas de mot qui rende mieux ma pensée.

LUCIENNE.

Vous ne me connaissez pas, Monsieur, et si j’ai désiré vous voir seul quelques moments, c’est pour me montrer à vous telle que je suis !...

LE BARON.

Je ne peux qu’y gagner !

LUCIENNE.

Peut-être pas tant que vous voulez bien le croire !... car j’ai de nombreux défauts.

LE BARON.

Je ne m’en serais pas douté !

LUCIENNE.

Voilà pourquoi j’ai jugé convenable de vous en instruire.

LE BARON.

On n’a pas plus de précaution !...

À part.

Nous y voilà ! Les épreuves annoncées !... mais je suis cuirassé !

LUCIENNE.

C’est donc tout un examen de conscience ? c’est presque une confession que je vais vous faire !

LE BARON.

La confession d’une jolie femme ne peut être qu’une chose fort agréable...

LUCIENNE.

Même pour un futur mari ?...

LE BARON.

Quand il est philosophe !

LUCIENNE.

Prenez garde !... ce sera peut-être un peu long !

LE BARON.

Eh bien ! asseyons-nous.

LUCIENNE.

Il n’est pas nécessaire.

LE BARON.

Je vous écoute.

LUCIENNE.

En me voyant, Monsieur, vous vous êtes figuré, je parie, que je suis douce et bonne ?...

LE BARON, avec malice.

Allons donc... J’en serais bien fâché.

LUCIENNE, étonnée.

Comment ?...

LE BARON, avec malice.

Oui !... Ne me parlez pas de ces natures apathiques, de ces eaux dormantes dont rien ne peut agiter l’immuable tranquillité !... tandis qu’une femme vive, animée, pétulante...

LUCIENNE.

Mais je suis colère, Monsieur !...

LE BARON.

Bravo !... Une femme colère vous réveille, vous stimule, vous fait sentir la vie ! J’adore une femme colère !

LUCIENNE.

Ah !... dites-moi, Monsieur, vous plaisez-vous dans les bals, les fêtes, les nombreuses réunions ? aimez-vous la danse ?...

LE BARON.

Si je l’aime !... Eh ! palsambleu ! je suis expert dans ce bel art où se sont distingués le roi David et le grand Louis XIV !... Sans ma naissance, qui me le défendait, je crois que j’aurais débuté à l’Opéra. Voulez-vous que j’exécute une courante ?

LUCIENNE.

C’est inutile.

LE BARON.

Oh ! rassurez-vous... Nous danserons, nous courrons les bals, les fêtes, les assemblées !

LUCIENNE, avec dépit.

Très bien ! Mais, dans ces fêtes, vous serez mécontent, sans doute, si vous me voyez entourée de nombreux adorateurs, accueillir leurs hommages, sourire à leurs galanteries ?

LE BARON.

J’en serai ravi !

LUCIENNE.

Ah bah !

LE BARON.

Pensez-vous donc que je veuille être seul à vous adorer ?... Non point, pardieu !... J’entends qu’on vous trouve belle, aimable... qu’on vous le dise... qu’on vous le répète, afin que je puisse m’enorgueillir de mon bonheur !

LUCIENNE, à part.

Ah ça ! mais, est-ce que je ne trouverai pas un défaut qui lui déplaise ?

LE BARON, à part.

Elle ne sait plus de quel bois faire flèche !... Je suis prodigieusement adroit !

LUCIENNE, piquée.

Vous paraissez doué, Monsieur, d’une indulgence bien robuste ?...

LE BARON.

Mettez-la à l’épreuve. Est-ce que c’est déjà fini ?... est-ce que vous n’avez pas encore à vous accuser de quelques bons gros défauts ?... Voulez-vous que je vous aide ? voyons !... N’aimeriez-vous point le faste, les riches toilettes, les somptueux ameublements, les brillants équipages ?

LUCIENNE.

S’il en était ainsi ?...

LE BARON.

Eh bien ! nous sommes riches, et le luxe fait aller le commerce.

LUCIENNE, à part.

Cet homme-là est impatientant au dernier point !

LE BARON.

Vous êtes peut-être aussi un peu joueuse, un peu gourmande... un peu jalouse... un peu...

LUCIENNE.

Monsieur, Monsieur...

LE BARON.

Eh ! pourquoi pas ?... Le jeu fouette le sang et procure de salutaires distractions... Pendant qu’on mange, on ne dit pas de mal de son prochain... et la jalousie prouve qu’on aime !...

LUCIENNE, à part.

Oh ! mais, c’est à donner des attaques de nerfs.

LE BARON.

Est-ce tout ?... y a-t-il encore autre chose ?

LUCIENNE.

Dame ! Monsieur...

À part.

Je ne sais plus où j’en suis !

LE BARON.

Allons... pendant que nous sommes entrain...

LUCIENNE, à part.

Voyons donc !

Haut.

Monsieur, que répondriez-vous, si je vous disais : Je ne vous aime pas !

LE BARON.

Je répondrais : Ça viendra.

LUCIENNE.

Vraiment ! Et... si je disais que j’en aime un autre ?...

LE BARON.

Je répondrais : Ça se passera.

LUCIENNE, impatientée.

Ah ! vous avez un sang-froid...

LE BARON.

Que vous n’attendiez pas chez un homme qui arrive du Sénégal ?...

LUCIENNE.

Quoi ! Monsieur... si vous étiez bien convaincu, bien certain que j’ai un amour dans le cœur ; que cet amour est partagé ; que je n’y renoncerai point ?... si vous en aviez la preuve ? si vous le voyiez de vos propres yeux ?...

LE BARON.

De mes propres yeux ?...

LUCIENNE.

Oui !...

LE BARON.

Ah ! mais, écoutez donc, vous m’en direz tant !

LUCIENNE, vivement et joyeuse.

Ah !... Alors, vous réfléchiriez ?... vous ne voudriez plus m’épouser... n’est-ce pas ?...

LE BARON, à part.

Oh ! maladroit !... j’allais me laisser prendre !

LUCIENNE.

Eh bien ?

LE BARON.

Eh bien ! Il n’y a à cela qu’une petite difficulté.

LUCIENNE.

Laquelle ?...

LE BARON.

C’est que c’est impossible.

LUCIENNE, à part.

Il ne dit que trop vrai !

LE BARON.

Et, pour vous prouver que rien ne m’arrête, que vos prétendus défauts sont, à mes yeux, de charmantes qualités, je vous prie de vouloir bien recevoir de ma main ce médaillon, comme gage de mon amour et garant de notre union prochaine...

LUCIENNE.

Qu’est-ce que cela ?...

LE BARON.

Notre chiffre tressé avec mes cheveux. C’est un ravissant travail, exécuté par une négresse, au Sénégal. Voyez... un L et un A... Je me nomme Aristippe.

Il lui met le médaillon dans la main droite, et se recule.

LUCIENNE.

Mais, Monsieur, je ne puis...

LE BARON, refusant de le reprendre.

Allons, allons, vous l’avez pris, vous le garderez... Et moi, je cours chez le notaire, pour hâter l’instant de mon bonheur...

LUCIENNE.

Ainsi, Monsieur, vous êtes décidé, malgré tout ce que je vous ai dit...

LE BARON.

Irrévocablement décidé... à cause de tout ce que vous m’avez dit !...

À part, en sortant.

Palsambleu ! je crois que je m’en suis tiré galamment !

 

 

Scène VII

 

LUCIENNE, seule, et jetant le médaillon sur la table

 

Oh ! j’étouffe ! Que faire, maintenant ?... Quel moyen employer avec un homme qui épouserait les sept péchés capitaux ! Et pourtant je ne peux pas, je ne veux pas être sa femme !... Le refuser... tout rompre, et demeurer pauvre... Ah ! je le ferais avec joie, si mon avenir seul était engagé... Mais, ma tante, dont la fortune serait compromise ?... Non, non... Il faut qu’il me refuse, alors !... Mais pour l’amener là, comment m’y prendre ?... Une seule chose l’a ému... La pensée que je pourrais aimer un autre homme !... Et, encore, faudrait-il qu’il en eût la preuve positive ; qu’il pût s’en convaincre par ses yeux ! Oh ! les idées les plus folles, les résolutions les plus extravagantes s’offrent à mon esprit !... Oui... si j’osais... Non, non... Chassons ce rêve insensé... Et cependant.

Elle réfléchit à droite.

 

 

Scène VIII

 

LUCIENNE, MARIANNE

 

MARIANNE, entrant du fond avec un flambeau à deux branches.

Eh bien ! Mademoiselle, il n’y a donc plus à s’en dédire ?... Recevez mes compliments ; vous allez être mariée, cette fois... Tout le monde va arriver... C’est pour dix heures !

LUCIENNE, à elle-même.

Ce soir... à dix heures !... Non, je ne résiste plus !

MARIANNE, plaçant le flambeau sur la table.

Il est pressé, M. le baron !... Se marier comme ça, au débotté.

LUCIENNE, à elle-même, et réfléchissant.

Oui !... demain, nous quitterons Versailles... pour n’y plus revenir... Et alors, qui saura jamais !...

Ici l’orchestre joue en sourdine l’air suivant.

MARIANNE.

Vous n’avez plus besoin de rien ?...

LUCIENNE, vivement, et l’arrêtant.

Marianne... écoute... Une chaise à porteur est dans la cour ?...

MARIANNE.

Oui, celle de Mme votre tante !

LUCIENNE.

Eh bien !...

Elle lui parle bas.

CHŒUR en dehors.

Air : Qu’il est beau de courir le monde.

Cupidon veut des nuits stériles,
Que Bacchus doit seul occuper.
Adieu, belles, pleurs inutiles ;
Chez vous, nous n’irons pas frapper.
Vieux maris, dormez bien tranquilles :
Les mousquetaires vont souper !...

MARIANNE, très étonné.

Oh !... Mademoiselle ?...

LUCIENNE.

Écoute donc !...

Elle parle bas.

MARIANNE.

Comment ?... C’est-il Dieu possible ?...

LUCIENNE, lui donnant une bourse.

Fais ce que je te dis... Mais pas un mot de plus... Ceci aux porteurs... Trois fois le tour de la maison... Va... obéis... et silence !... Tout mon avenir est entre tes mains !

MARIANNE.

Allons !... Mais je ne comprends pas !...

Elle sort par la droite.

 

 

Scène IX

 

LUCIENNE, puis MARIANNE

 

LUCIENNE, seule.

Mon Dieu ! réussira-t-elle ? Oh ! c’est une incroyable témérité... Une démarche extravagante !... Une extrémité terrible !... Eh bien ! on m’y a forcée !... Seule, j’en serai victime ! seule, j’en souffrirai !... Épouser un homme qu’on ne peut aimer, quand le cœur est rempli d’un autre... C’est un crime... C’est promettre ce qu’on ne peut tenir... C’est jouer deux destinées ! Ah ! il m’a semblé entendre dans la rue...

Elle va à la fenêtre.

Oui... malgré l’obscurité, je crois apercevoir... Je ne me trompe pas... Un homme est avec elle ! Elle lui parle mystérieusement... Il a l’air d’hésiter... Oh ! elle le prend par la main... Il entre dans la chaise...

Revenant sur le devant.

Le sort en est jeté !... Allons !... du calme ! du sang-froid !

Air : Claire, Claire, as-tu donc bien peur ?

L’heure approche, et sur ma pendule,
Les yeux fixés avec effroi,
Devant sa marche je recule,
Et je lui crie : Arrête-toi.
Mais non... Chassons un vain scrupule !
Elle m’amène un protecteur...
Marche ! marche ! Et pourtant j’ai peur !
Et pourtant j’ai peur :
Et pourtant j’ai peur !
Hélas ! j’ai bien peur !

N’entends-je point des pas ?...

Elle court éteindre les lumières.

MARIANNE, entrant de la droite.

Le voici... Un mouchoir sur les yeux... Faut-il qu’il monte ?...

LUCIENNE.

Oui... Qu’il entre ici... et qu’il attende !

MARIANNE.

Bien !

LUCIENNE.

Que les porteurs restent sous cette fenêtre ; puis... tu sais...

MARIANNE.

Ça suffit !

LUCIENNE.

Va...

Marianne disparaît.

Ah ! toute ma résolution m’abandonne... On approche... Allons reprendre un peu d’assurance !

Elle entre dans sa chambre à gauche.

 

 

Scène X

 

MARIANNE, LE COMTE DE TILLY

 

MARIANNE, à la cantonade.

Par ici... Avancez... Là... vous y êtes !...

LE COMTE, qui a ôté son bandeau.

Pardieu ! ce mouchoir était bien inutile. Il fait noir ici comme dans un four. Chez qui suis-je donc ? Rien... Du diable, si je m’en doute... Vous m’avez fait tourner trois ou quatre fois... Et cela, joint au vin de Champagne...

MARIANNE.

Attendez... Et ne vous impatientez pas... On va venir...

Elle sort et referme la porte du fond.

 

 

Scène XI

 

LE COMTE, seul, en homme un peu en train

 

Ne pas m’impatienter ?... Soit ! mais qu’on se dépêche, pourtant !... La singulière aventure ! Ma foi, la journée est bonne ! Deux duels... un délicieux souper... de joyeuses chansons, le champagne à flots... et un enlèvement ! Mais où suis-je ?... Ces diables de porteurs ont fait détours sur détours...

Il marche en tâtonnant.

Ah ! ah ! une table !

Il tâte sur la table et y trouve le médaillon que Lucienne y a déposé quand le baron le lui a remis.

Qu’est-ce que je sens là ?... C’est un médaillon ! Un portrait, sans doute ! très bien ! je m’en empare !... Si par hasard la belle qui m’a fait conduire ici voulait garder l’incognito, je tiens un moyen de reconnaissance !... Mais qui diantre ce peut-il être ?... La présidente d’Esparville ?... Non... elle déteste l’épée... Elle n’a jamais vu l’amour qu’en robe et en bonnet carré !... La vidame de Chartres ?... Ah ! ah ! bon !... Quelle apparence !... Elle ne prendrait pas tant de précautions !... ne me connaît-elle pas ? Ne sait-elle pas que le comte de Tilly est à ses ordres ?... Puis, comme Ajax, elle aime le grand jour !... Pardieu, je m’y perds. Voyez pourtant ce que c’est que de nous !...Voyez, si l’on peut répondre de soi un seul jour... Mme voilà embarqué dans une nouvelle aventure, moi, qui fais souvent les plus beaux plans de réforme ; moi, qui de temps en temps me surprends à me rappeler avec une émotion involontaire cette charmante pensionnaire du couvent de l’Annonciation, qui accompagnait quelquefois au parloir la sœur de mon ami... Elle était bien jolie ! Qu’est-elle devenue ? La reverrai-je jamais ? Et quand je la reverrais, la reconnaîtrais-je ? Deux années, à son âge, amènent tant de changements.

Il se lève.

Ah ! ça, mais on tarde bien à venir !

Il prête l’oreille.

Oh ! oh ! j’entends ouvrir une porte... des pas légers glissent sur le parquet... C’est mon inconnue !...

 

 

Scène XII

 

LUCIENNE, avec un voile, LE COMTE

 

Ensemble.

Air : Tout bas, dis-moi, mon âme.

LUCIENNE, à part.

Mon Dieu ! quelle imprudence !
C’est là que l’on m’attend.
Vers lui... j’avance,
Et tremble en avançant !...

LE COMTE, à part.

Je crois que l’on s’avance,
On marche en hésitant.
Espoir ! prudence !
Voici l’heureux instant.

LE COMTE, à lui-même.

Au frôlement indécis de la robe de soie, je devine qu’on hésite... Est-ce qu’on manquerait d’habitude ?

LUCIENNE, à part.

Du courage !...

Haut, mais timidement.

Monsieur, êtes-vous là ?

LE COMTE.

Oui, Madame... ou Mademoiselle... Car j’ignore lequel de ces deux titres je dois vous donner.

LUCIENNE.

Celui que vous voudrez, Monsieur...

LE COMTE, à part.

Ah ça ! se moque-t-elle de moi !... Ma foi, demoiselle ou dame, qu’importe ?

LUCIENNE.

Je dois commencer par m’excuser...

LE COMTE, s’avançant.

De m’avoir fait attendre cet heureux moment ?... Oui... mais devant le présent tout le passé disparaît... et c’est au présent seul que je veux songer !

LUCIENNE, reculant.

Monsieur...

LE COMTE, s’approchant.

Oh ! permettez... Ce n’est pas pour me fuir que vous m’avez engagé à me rendre près de vous !

LUCIENNE, reculant toujours.

Non... Mais je veux...

LE COMTE, la saisissant par la main.

Et moi aussi, je veux...

LUCIENNE, se dégageant et passant de l’autre côté de la scène.

Ah !

LE COMTE, à lui-même.

Eh bien ! elle m’échappe !

LUCIENNE.

Monsieur, écoutez-moi !

LE COMTE.

Trop heureux de vous entendre !... Mais j’ai l’oreille un peu dure, et si je ne m’approche...

Il fait un pas.

LUCIENNE, vivement.

Si vous approchez, je pars !... et ces mots seront les derniers que vous m’entendrez prononcer.

LE COMTE.

Comment !... Vous exigez...

LUCIENNE.

Que vous restiez là... à cette place, où vous êtes.

LE COMTE.

Si loin de vous ?... Toujours ?...

LUCIENNE.

Toujours ?... Non.

LE COMTE.

Ah !...

LUCIENNE.

Jusqu’à l’instant où la pendule sonnera dix heures !

LE COMTE.

Dix heures !

LUCIENNE.

Oui !...

LE COMTE.

Et alors ?...

LUCIENNE.

Alors... vous verrez...

LE COMTE, à part.

Oh !... il est neuf heures et demie !...

LUCIENNE.

Mme donnez-vous votre parole ?...

LE COMTE.

Allons !... je vous la donne !...

LUCIENNE.

Je la reçois, et j’y compte...

LE COMTE, à part.

Il paraît qu’il y a du danger pour elle jusqu’à dix heures... Résignons-nous !

LUCIENNE.

Vous avez été bien étonné, sans doute, de la démarche qui vient d’être faite près de vous, Monsieur ?

LE COMTE.

Dans ce monde, le bonheur est assez rare pour qu’on s’étonne quand il arrive.

LUCIENNE.

Et vous avez imaginé...

LE COMTE.

Rien qui ne m’est ravi d’avance.

LUCIENNE, sérieusement.

Ah ! c’est que vous êtes loin de soupçonner la cause !...

LE COMTE, prétentieux.

Eh ! qu’importe la cause ?... À la fleur dont le parfum nous enivre, demandons-nous qui l’a semée ?

LUCIENNE, à part.

Il est aimable ! Marianne a eu la main heureuse !

Haut.

Pour me rassurer un peu, j’ai besoin de songer que j’ai votre parole et que vous êtes gentilhomme !

LE COMTE.

Pour vous rassurer tout à fait, dois-je ajouter que je suis mousquetaire ?

LUCIENNE.

Grand Dieu !... mousquetaire !

LE COMTE.

Cela vous effraie ?...

LUCIENNE.

Dame ! la réputation de ces messieurs...

LE COMTE.

Et s’ils valent mieux que leur réputation ?

LUCIENNE.

Vous me le prouverez...

LE COMTE.

Il me semble que j’ai déjà commencé !

LUCIENNE.

Ma démarche vous montre ma confiance.

LE COMTE.

Jusqu’à un certain point... Car, que dois-je penser de cette obscurité profonde ?...

LUCIENNE.

Que je ne veux pas que vous me voyiez !

LE COMTE.

Alors, la partie n’est pas égale entre nous ; car je ne vous connais pas... et, sans doute, vous me connaissez ?

LUCIENNE, à part.

S’il savait que je ne l’ai jamais vu !...

LE COMTE.

Mais n’avez-vous pas songé aux inconvénients que cela peut avoir ?

LUCIENNE.

Lesquels ?

LE COMTE.

Mais... si j’allais croire que vous êtes... laide !

LUCIENNE.

Croyez, Monsieur, croyez... je ne vous en empêche pas.

LE COMTE.

Heureusement, c’est impossible.

LUCIENNE.

Qu’en savez-vous ?

LE COMTE.

Cette voix qui arrive si douce à mon oreille, que parfois il me semble avoir entendue déjà, et qui, sans que je m’en rende bien compte, vient éveiller un écho dans mon cœur... Cette voix ne peut appartenir qu’à une jolie femme !

LUCIENNE.

Vous pensez cela ?...

LE COMTE.

L’expérience m’a donné là-dessus des notions certaines.

LUCIENNE.

Elle vous trompe peut-être aujourd’hui !

LE COMTE.

Si c’est une erreur, je la conserverai jusqu’à ce que vous la détruisiez en vous montrant !

LUCIENNE, à part.

Je m’en garderai bien !

LE COMTE.

Ainsi, voilà qui est convenu... Vous êtes jolie !

LUCIENNE.

Si vous le voulez absolument !

LE COMTE.

Je sais aussi que vous êtes jeune.

LUCIENNE.

Qui vous l’a dit ?

LE COMTE.

Oh ! Je crois vous voir... vous êtes blonde... vous avez les yeux bleus...[1]

LUCIENNE, à part, souriant.

Comme il devine !... Tant mieux !

LE COMTE.

Aux charmes de la jeunesse, à tout l’attrait de la beauté, vous joignez la séduction d’une taille délicieuse !

LUCIENNE.

Ah ! ma voix ne peut pas vous avoir dit cela...

LE COMTE, à part.

Diable ! Elle est peut-être bossue !...

LUCIENNE.

Ceci, du moins, vous reste à deviner...

LE COMTE, s’avançant vivement pour lui prendre la taille.

Non... car je vais m’en assurer !

LUCIENNE, reculant.

Monsieur... J’ai reçu la parole du gentilhomme... et vous m’aviez promis de réhabiliter le mousquetaire !

LE COMTE.

C’est vrai !...

À part.

Il y a dans son accent une puissance qui m’impose et m’arrête... En vérité, je ne me reconnais plus...

LUCIENNE.

Mme ferez-vous repentir de ma confiance !...

LE COMTE, riant.

Vous voulez que je vous adore, les yeux fermés ?

LUCIENNE.

Je ne veux pas que vous m’adoriez du tout !...

LE COMTE.

Vous aviez pourtant un projet, en me faisant amener ici !

LUCIENNE.

Sans doute...

LE COMTE.

Que désirez-vous donc ?...

LUCIENNE.

Causer quelques moments avec vous.

LE COMTE.

Causer ?... Et de quoi ?...

LUCIENNE, cherchant.

De tout ce qu’il vous plaira ! On dit que M. de la Harpe vient de faire jouer une nouvelle tragédie...

LE COMTE.

Plaît-il ?

LUCIENNE.

Est-ce que vous n’avez pas entendu ?

LE COMTE.

Pardon !... Il m’a semblé que vous parliez des tragédies de M. de la Harpe.

LUCIENNE.

Oui... vous les connaissez ?

LE COMTE.

C’est possible... mais je fais comme le public, je les oublie !

LUCIENNE.

Quel dommage !... j’avais espéré...

LE COMTE.

Que je vous les réciterais, peut-être ?... Ah ! si c’est pour parler littérature que vous m’avez mandé.

LUCIENNE.

Eh bien ?...

LE COMTE, passant à droite, par devant, à tâtons.

Vous trouverez bon que je prenne congé de vous !...

LUCIENNE, vivement, passant à gauche.

Non pas, Monsieur, non pas !... Il faut rester encore...

LE COMTE, s’apercevant qu’elle est à gauche.

Rester !... sans comprendre ce que vous voulez de moi ?...

LUCIENNE.

Où serait le mérite, si vous compreniez ?

LE COMTE, à part.

Au fait, l’heure n’est pas venue.

Haut.

J’obéis !... mais, du moins, plus de littérature.

LUCIENNE, la tête du côté de la cheminée.

C’est convenu !...

À part.

Mon Dieu ! mon Dieu, que cette pendule marche lentement.

LE COMTE, à part.

Le diable m’emporte si j’y comprends un mot !

LUCIENNE, d’un ton de gravité.

Monsieur, que dit-on à la cour du rappel des parlements.

LE COMTE.

Hein ?...

LUCIENNE.

Hier, on assurait, devant moi, que cette mesure...

LE COMTE.

Ah ! nous allons parler politique, à présent !...

LUCIENNE.

Est-ce que ce sujet ne vous convient pas non plus ?

LE COMTE, furieux.

Eh ! Madame, c’est pousser un peu loin la plaisanterie...

LUCIENNE.

Mais je ne plaisante pas, Monsieur.

LE COMTE.

Que faites-vous donc ?... Savez-vous que si l’on apprenait que j’ai passé, seul, dans l’obscurité, avec une jeune et jolie femme, une demi-heure entière à causer de M. de la Harpe et des parlements, je serais montré au doigt dans tout Versailles ? Savez-vous que je mériterais d’être cassé à la tête de mon régiment ?...

LUCIENNE, à part.

Oh ! il se fâche !... Et cette pendule qui ne sonne pas !

LE COMTE.

Enchaîné, subjugué par ce pouvoir étrange que vous exercez sur moi, je vous ai obéi, je me suis montré soumis, respectueux...

LUCIENNE.

Vous en repentez-vous ?

LE COMTE.

Ma foi, oui !...

LUCIENNE.

Ah ! Monsieur...

LE COMTE.

Car je commence à croire que c’est une mystification.

LUCIENNE.

Eh bien ! si, parlant sérieusement à mon tour, je vous disais, Monsieur, qu’en agissant ainsi vous rendez le plus éclatant service à une pauvre femme qui en conservera dans son cœur une éternelle reconnaissance ! Si je vous suppliais de me promettre que vous ne raconterez jamais cette aventure !

LE COMTE.

Jusqu’à présent, il n’y a pas de quoi me vanter.

Dix heures sonnent à la pendule.

Ah ! dix heures !

LUCIENNE.

Enfin !

LE COMTE.

La voilà donc arrivée, cette heure si impatiemment attendue !

LUCIENNE.

Oh ! oui... bien impatiemment !

LE COMTE.

Par vous aussi ?... Ah ! ce mot efface tout !... Et je suis trop heureux !...

LUCIENNE, à part.

On ne vient pas !

LE COMTE, s’avançant.

Je peux vous approcher, je peux vous dire tout ce que cette demi-heure passée près de vous a porté d’émotions et de trouble dans mon cœur et dans ma raison.

LUCIENNE, reculant.

Monsieur !

À part.

Mon Dieu ! arriveront-ils ?

LE COMTE.

Je peux vous dire : cet homme que vous avez voulu éprouver, sans doute, il vous consacre toute une existence de dévouement et d’amour !

Musique en sourdine.

LUCIENNE, à part.

Ah ! du bruit !

LE COMTE, à genoux.

Il est à vos pieds... Et vous ne le repousserez plus... car vous lui avez promis qu’au moment où dix heures sonneraient, vous lui diriez...

LUCIENNE.

Allez-vous-en !

LE COMTE, se levant avec impétuosité.

Comment ? que je m’en aille ?...

LUCIENNE, au fond, à droite.

Il le faut... L’instant est venu !

LE COMTE.

De m’en aller ?... Ah ! c’est trop fort !

LUCIENNE.

Je vous le demande, en grâce !

LE COMTE.

Non pas, vraiment, Madame !... Je suis ici, parce que vous avez voulu que j’y fusse... et je ne crains pas, moi, de laisser voir mon visage !

LUCIENNE, vivement.

Il faut pourtant que personne ne le voie, pas même la pauvre femme qui vous conjure de vous laisser guider par elle et qui vous crie : Il y va du bonheur de toute ma vie !... La refuserez-vous ?

LE COMTE.

Quoi ! sans avoir obtenu ?...

LUCIENNE.

Rien... que l’assurance de ma profonde gratitude...

LE COMTE.

Mais, Madame...

LUCIENNE.

Oh ! vous ne voudrez pas qu’une femme vous prie à genoux !... vous ne le voudrez pas !...

LE COMTE, à lui-même.

Malgré moi, je me sens ému... entraîné...

LUCIENNE, prêtant l’oreille.

On approche... on va ouvrir cette porte...

Elle le saisit vivement par la main et l’entraîne.

Venez, Monsieur, venez !...

LE COMTE.

Où me conduisez-vous ?

LUCIENNE.

À une fenêtre.

Elle l’attire à la fenêtre à droite.

LE COMTE, reculant.

Il n’y a que les voleurs ou les amants heureux qui passent par les fenêtres.

LUCIENNE.

Un treillage vous permet de descendre sans danger.

LE COMTE.

Croyez-vous que ce soit le danger qui m’arrête ?

LUCIENNE.

Le mien ne vous décidera-t-il pas ?

LE COMTE, passant devant elle.

Le vôtre ?... Allons !

Il enjambe.

LUCIENNE.

Ah ! vous êtes brave et bon ! merci !

LA VICOMTESSE, entrant par une porte latérale.

J’attendais mon beau comte de Tilly... l’ingrat n’est pas venu ! Mais quelle obscurité, ici !...

LE COMTE, en dehors, mais la tête à la fenêtre.

Et rien ? rien ?...

LUCIENNE, baissant son voile, détournant la tête et lui tendant la main.

Eh bien !...

LE COMTE, baisant sa main.

C’est toujours cela de pris !... Voilà un singulier rendez-vous !...

 

 

Scène XIII

 

LUCIENNE, LE COMTE, LA VICOMTESSE, puis LE BARON, LE NOTAIRE, DES TÉMOINS et DES VALETS

 

On apporte des flambeaux.

LE BARON, à la porte du fond qui s’ouvre et où paraissent le notaire et les valets.

Oh ! oh !

LUCIENNE, au comte.

Partez !

Le comte disparaît.

LE BARON, s’avançant.

Qu’ai-je vu ?...

ARMANDE, à qui Lucienne cachait le comte par la façon dont elle était placée.

Qu’y a-t-il ?

LE BARON.

Ce qu’il y a ?... Un homme qui se sauve par la fenêtre !...

ARMANDE.

Un homme !...

LE BARON.

C’est un voleur !... Holà ! hé ! Labrie ! Comtois !...

ARMANDE.

Un voleur ! un voleur !...

LUCIENNE.

Pas tant de bruit !... Cet homme n’est pas un voleur !...

LE BARON.

Qu’est-ce que c’est donc ?

LUCIENNE.

Un homme...

LE BARON.

Parbleu ! je l’ai bien vu !

LUCIENNE.

Un homme... que j’aime !

LE BARON.

Vous ?... Est-ce possible ?...

Air : Fragment du final de la Lune de miel.

ARMANDE et LE BARON.

Un amant ! ah ! quelle aventure !

LE BARON.

Quelle horreur !

ARMANDE.

Bon ! la croyez-vous ?

À mi-voix.

C’est une épreuve, j’en suis sûre,
Pour voir si vous êtes jaloux.

LUCIENNE.

Non ! non !...

LE BARON.

Morbleu la chose est assez claire.

ARMANDE, troublée.

Mais elle est folle... elle a menti !

LE BARON, s’avançant du côté droit.

Je vais punir le téméraire !...

LUCIENNE, se jetant vers la fenêtre.

Ah ! grâce au ciel, il est parti !

LE BARON et ARMANDE, la pressant.

Son nom ! parlez... Point de réponse !

LUCIENNE.

Le nommer... je ne le puis pas !

LE BARON, renfonçant son épée.

Eh bien ! je ne le tuerai pas !
Mais c’en est fait, dans tous les cas,
Pour jamais, à vous, je renonce !

LUCIENNE, à part.

Ô sort heureux ! ô joie extrême !
Enfin, cet hymen est rompu !...

ARMANDE.

Mais quel est donc celui qu’elle aime ?

LUCIENNE, à part.

Grâce au ciel, il est inconnu !...

Ensemble.

LE BARON.

Ah ! quel affront ! ô rage extrême !
Heureusement que je l’ai vu !...
Ce mariage est le treizième,
Depuis dix ans, qui s’est rompu !

ARMANDE.

Je suis vraiment hors de moi-même !
Quoi cet hymen, il est rompu !...
Ce que j’entends tient du problème,
Et quel est donc cet inconnu ?

LUCIENNE.

Ô sort heureux ! ô joie extrême !
Enfin, cet hymen est rompu !
Pour me sauver, le ciel lui-même
À fait venir cet inconnu !

LES VALETS.

Que disent-ils ? quel trouble extrême !
Il a raison, le prétendu,
Un amant vient, sous ses yeux même :
Tout doit alors être rompu !

 

 

ACTE II

 

Un riche salon de l’époque. Portes à droite et à gauche. Ameublement au grand complet ; deux canapés, tapis, fauteuils, etc. Une table à droite du public, sur laquelle se trouve une écritoire d’une forme élevée et légère.

 

 

Scène première

 

LE BARON, ARMANDE

 

Au lever du rideau, le baron est aux genoux d’Armande.

ARMANDE.

Eh bien ! Baron, quoi ?...

LE BARON.

Eh bien ! Vicomtesse, quand ?

ARMANDE.

Quand quoi ?... que voulez vous dire ?... J’attends !

LE BARON.

Inhumaine ! c’est moi qui attends... cet hymen que vous m’avez promis...

ARMANDE.

Mon Dieu ! promis !... c’est vrai ... par délicatesse pour ne pas consommer votre ruine...

Appuyant.

Car, enfin, toute la fortune de votre frère revenait de droit à ma nièce... puisque c’est vous qui avez refusé, il y a six mois, de l’épouser.

LE BARON.

Par la sambleu, Vicomtesse, le pouvais-je ? Une jeune fille qui, le jour même de son mariage, ose avouer un amant ! Après ce malheur conjugal... votre belle âme comprit que je ne pouvais encore en payer les frais...

ARMANDE.

Sachez-m’en gré... je pouvais plaider.

LE BARON.

Votre nièce plaida seule pour moi... Elle proposa ce mariage au moyen duquel la fortune de mon frère se partager entre nous... Depuis six mois que je vous ai suivie dans ce domaine, toute la province du Poitou a connu ma tendresse, et il ne vous reste plus à fixer que l’heure, car c’est aujourd’hui...

ARMANDE.

Aujourd’hui !... Ah ! non ! non !...

Elle fuit.

Cette idée seule fait palpiter mon cœur !

LE BARON.

Songez que toute la ville est grosse de cet événement... qu’elle attend vos invitations !...

ARMANDE.

Nous les ferons ensemble... Il y a telle personne que je ne consentirai jamais à recevoir... Pas un seul militaire, d’abord... Après ce qui est arrivé à ma pauvre nièce... La crainte de rencontrer jamais ce malheureux inconnu !

LE BARON, à part, avec ironie.

Un inconnu !... Sa nièce lui aura fait une histoire !

Haut.

Vous oubliez que vous êtes restée seule quinze jours à Versailles, tandis que Lucienne était partie précipitamment...

ARMANDE.

Une heure après cet accident... je sais bien.

LE BARON.

Mais jetez les yeux, je vous prie, sur la liste des invités... J’avais cru devoir mettre en tête le nouveau commandant de notre garnison, le jeune comte de Tilly.

ARMANDE, à part.

Un monstre pareil, à qui j’ai écrit trente-deux lettres, et qui ne m’a pas répondu... Aussi, maintenant, guerre à mort !

Haut.

M. le comte de Tilly ?... jamais ! jamais !... Vous n’ignorez pas qu’on a voulu me le présenter, et que je lui ai refusé ma porte... net !

LE BARON.

C’est une de vos antipathies... Vous ne m’avez jamais dit pourquoi ?

ARMANDE.

Le mousquetaire le plus immoral, qui, dernièrement, a eu l’audace d’enlever une conquête à M. de Maurepas... Mais on l’a écrit au Ministre...

LE BARON.

Vous ne savez donc pas ?... On ne parle que de sa réforme... Il va se marier... mais tout-à-fait... pour tout de bon !...

ARMANDE.

Ah ! le comte de Tilly va se marier !...

On entend, dans la coulisse, Lucienne qui dit : Ciel !... et on voit une porte, à droite, qui était entr’ouverte, et qui se referme.

LE BARON.

Hein ?... quoi ?...

ARMANDE, qui était absorbée.

Rien.

LE BARON.

Je croyais avoir entendu un : Ciel !

ARMANDE.

Du tout !... Qui donc a-t-il le front d’épouser ?

LE BARON.

Je ne sais pas... On assure que c’est par la volonté du roi... qu’il en a reçu l’ordre !

ARMANDE.

Ah ! on l’y a forcé ?...

À part.

Le ministre a suivi mon conseil !

LE BARON.

Vous devez être enchantée, dans l’intérêt de la morale... puisque vous-même allez suivre un si bel exemple !

ARMANDE.

Moi ! le suivre !... j’espère bien le lui donner, et être mariée avant lui !

LE BARON, transporté.

Air : Je sais attacher des rubans.

Vous parlez d’or ! vous comblez mon espoir...

Il veut lui prendre la main.

ARMANDE.

Voyons, finissez, Aristippe ;
Tout n’est-il pas préparé pour ce soir ?
Et je défends qu’on anticipe.

Le baron minaude pour lui prendre un baiser.

Soyez donc sage, usurpateur !

Petit coup d’éventail.

LE BARON.

Toujours attendre, ô cruelle Baronne !

ARMANDE.

Ah ! croyez-moi, n’ôtez pas une fleur
Au bouquet que l’hymen vous donne.

Vivement.

Songeons plutôt aux ordres nécessaires.

Elle remonte et sonne.

LE BARON, joyeux.

Enfin, je puis prévenir utilement le garde-notes !...

ARMANDE.

Holà ! mes gens !...

LE BARON, à part.

Ce sera la quatorzième fois ! Depuis que je me connais, j’ai passé ma vie à déranger des notaires.

ARMANDE, sonnant, des valets entrent.

Appelez ma nièce !

Un valet entre à droite.

LE BARON, à son valet.

L’Orange, chez mon tailleur... J’attends mon habit de noces !... pour demain matin !

ARMANDE, vivement.

Je recevrai ce soir... Vous suivrez les ordres que vous donnera M. le Baron !

LE BARON, de même, à ses gens.

Vous obéirez à Mme la Vicomtesse !

L’Orange salue et sort par le fond.

 

 

Scène II

 

LE BARON, ARMANDE, LUCIENNE, venant de droite

 

LUCIENNE.

Mme la Vicomtesse m’a fait demander ?

ARMANDE.

Oui, ma chère... Demain, vous ne m’appellerez plus que Mme la Baronne.

LUCIENNE.

Est-il possible ?

LE BARON.

Oui, Mademoiselle ; j’épouse enfin Madame.

ARMANDE, à elle-même, le regardant.

Au lieu de ce que j’avais rêvé !

À mi-voix.

Tu vois quel sacrifice !...

LUCIENNE, à mi-voix.

Oh ! merci ! merci !...

LE BARON, à Lucienne.

Vous allez être satisfaite et heureuse !

LUCIENNE, à part, sur le devant.

Heureuse ! moi !... après ce que je viens d’apprendre... Ah ! maintenant, moins que jamais !

L’ORANGE, rentrant.

Un valet de pied de la compagnie des mousquetaires.

ARMANDE, échangeant un regard avec Lucienne, vivement.

Qui donc, ici, connaît des mousquetaires ?

L’ORANGE.

Il demande l’honneur de parler à M. le Baron.

LE BARON.

À moi ?

LUCIENNE, à part.

Je respire !

ARMANDE, à elle-même.

Le nom seul de ce corps me donne des émotions !

L’ORANGE.

C’est à propos du mariage de M. le Baron...

Bas, s’approchant.

De la part de...

Il achève tout bas.

LE BARON, tout haut, et surpris.

M. le comte de Tilly !...

ARMANDE.

Que signifie, Baron ?... Seriez-vous en relation avec un pareil homme ?...

LE BARON.

Mon Dieu ! je ne vous l’avais pas dit, il s’est fait écrire chez moi... À cause de vous, je ne lui ai pas rendu sa visite...

D’un air de bravade.

Il vient peut-être me demander raison ?... Mais, par la sambleu !... D’ailleurs, je lui dirai que c’est vous, Madame...

ARMANDE.

Je vous défends de lui dire mon nom !... Venez, ma nièce... Je ne veux pas même voir quelqu’un qui appartienne à ce...

LUCIENNE, naïvement.

Mon Dieu ! ma tante ! pourquoi donc cette haine ?... Autrefois, vous disiez que M. le comte de Tilly était si aimable !...

ARMANDE.

Autrefois !... Le plus grossier de tous les hommes !... un manant ! un pandour !...

Ensemble.

Air : Sans pitié, qu’on le chasse.

Dites-lui, je vous prie,
Je m’en suis fait la loi,
Que jamais, de sa vie,
Il n’entrera chez moi !

LE BARON, la conduisant.

Vous serez obéie...
Vos vœux sont une loi :
Sa présence est bannie
De chez vous, de chez moi.

LUCIENNE, à part.

Ô rêve de ma vie !...
À mon cœur, je le vois,
L’espérance est ravie,
Il est perdu pour moi !...

Elle sort avec sa tante par la gauche.

LE BARON, prenant la lettre que lui apporte l’Orange.

Voyons, ce qu’il peut m’écrire ?...

Le valet va au fond.

 

 

Scène III

 

LE BARON, seul, lisant d’abord en marmottant

 

« Monsieur le Baron... Mme rendre la visite que j’ai eu l’honneur de vous faire... »

Parlant.

Oh ! oh ! il est piqué !...

Continuant.

« J’apprends que votre mariage doit enfin être conclu ce soir. Je serai charmé de signer à votre contrat. Par suite de recherches d’un grand intérêt pour moi, j’ai voulu être admis dans tous les salons de la ville. La maison de Mme la vicomtesse des Ormeaux est la seule où, malgré plusieurs démarches, je n’ai pu me faire recevoir. Je me flatte donc que vous voudrez bien me faciliter le moyen d’être admis près des dames avec lesquelles vous habitez. Assurez-les de mes hommages, et dites-leur qu’un ordre de sa Majesté m’oblige à les voir. J’espère être assez heureux pour vous rendre en haut lieu le service que j’attends de vous, ici. » En voici bien d’une autre !... Mais un personnage aussi important... en ma qualité de grand-louvetier des forêts royales... je ne puis pas le refuser...

Il écrit.

« M. le Comte, je serai pour ma part on ne peut plus flatté de l’honneur que vous voulez bien me faire. La réunion, pour la signature de mon contrat, aura lieu vers les neuf heures, ce soir. Agréez, etc. »

Il plie la lettre.

Elle sera furieuse !... tant pis !... D’ailleurs, il a un ordre du roi !... La vicomtesse s’arrangera avec Sa Majesté !... Voici la réponse...

L’Orange sort.

Mais à qui ce diable d’homme en veut-il ici ?...

LUCIENNE, entrant du côté gauche.

Eh bien ! M. le Baron... vous n’êtes pas encore à vos derniers apprêts ?... Ma tante est à sa toilette... Le nom seul du comte de Tilly l’a mise d’une humeur !... Que voulait-il donc ?... Je suis peut-être bien indiscrète...

LE BARON.

Il demandait l’honneur de me voir.

LUCIENNE, naïvement.

Ah !... rien que ça...

LE BARON, à part.

Hum !... la petite sournoise !... si c’était pour elle !...

Haut.

Mais, pardon... je suis en retard, et je cours hâter mon bonheur !...

Il sort.

 

 

Scène IV

 

LUCIENNE, seule, s’asseyant

 

Folle que j’étais, de penser... Quelle apparence... qu’il se fût souvenu d’une pauvre petite pensionnaire du couvent de l’Annonciation !... L’amour seul peut deviner l’amour... et qui sait s’il m’avait seulement remarqué ?... Tout à l’heure, à son nom seul, le cœur me battait involontairement... je me suis dit : Il se souvient de moi... il a découvert la retraite où je vis cachée, il veut me revoir !... Et tout cet édifice de trouble et de joie vient de tomber... par un seul mot qui détruit tout : Il va se marier !... C’est-à-dire qu’il est perdu pour moi... que je ne le reverrai jamais !... Ah !... tant mieux !... qu’il ne reparaisse plus... tout sera fini dans ce monde... Et ce parti que j’hésitais encore à prendre... il sera décidé... Ce couvent où commença mon amour, ma folie... On vient !... cachons mes larmes !...

 

 

Scène V

 

LUCIENNE, ARMANDE, puis MADAME DE MONTRICOURT et LE BARON

 

ARMANDE.

Ah ! ma chère enfant, je te cherchais... Crois-tu que j’aie assez de mouches ?... et mon rouge te paraît-il assez incarnat ?... Avance-moi un peu cette nonpareille...

Elle s’approche, Lucienne retouche son nœud de rubans.

Mais, pourquoi cet air dolent ?... J’espère que tu es contente...

LUCIENNE, se faisant violence.

Moi, ma tante ?... je suis très joyeuse, très satisfaite !...

ARMANDE.

À la bonne heure !... Quand tu vois se parer ta victime !...

LUCIENNE.

Oh ! ma victime !... Vous paraissez assez résignée !...

ARMANDE.

Bah !... quand on prend un mari, on se résigne toujours... D’ailleurs, après le tour que tu avais joué à ce malheureux baron, nous lui devions un dédommagement... la délicatesse nous le commandait... et je me suis immolée !...

UN VALET, annonçant.

Mme la comtesse de Montricourt !...

ARMANDE.

Ah !... déjà du monde...

Mme de Montricourt entre et vient au milieu.

ARMANDE.

Oh ! madame... comme c’est aimable à vous...

MADAME DE MONTRICOURT.

Bonjour, chère belle !... J’ai voulu être des premiers à vous embrasser... Eh bien ! ce mariage ?... c’est donc aujourd’hui, enfin !...

ARMANDE.

Je voulais remettre encore à un an ou deux !... mais ce pauvre baron est si amoureux... Et nous ne voulons pas la mort des hommes !...

MADAME DE MONTRICOURT.

Oh !... vous êtes incapable de causer une telle catastrophe... Belle et bonne !...

ARMANDE.

Mais, quelle toilette !... Des frais pour moi...

À part.

Elle est d’un provincial !...

MADAME DE MONTRICOURT, à part.

Elle doit avoir emprunté des diamants...

Haut.

Je vous conseille de parler, ma divine !... vous êtes comme un soleil !... on ne peut pas vous regarder !...

ARMANDE.

Vous êtes éclatante !...

MADAME DE MONTRICOURT.

Vous êtes écrasante !...

LE BARON, en grande tenue, entrant avec éclat.

Et moi, Mesdames, comment me trouvez-vous ?...

Il se pose.

MADAME DE MONTRICOURT, riant, à part.

Le grand-louvetier a l’air du valet de carreau !...

Haut.

Baron, vous êtes du dernier merveilleux !...

ARMANDE, minaudant.

Vous êtes un beau dangereux !...

LE BARON.

Ah ! ah ! vous flattez votre vaincu... Mais nos invités n’arrivent pas !...

MADAME DE MONTRICOURT, à la vicomtesse.

Ils font de grandes toilettes, car le bruit s’est bien vite répandu que vous auriez ce soir l’homme à la mode, le Moncade des mousquetaires, le fameux comte de Tilly !...

LUCIENNE, à part.

Encore ce nom !...

ARMANDE.

Mais on s’est trompé... Qui donc a pu vous dire ?... Je n’entends pas qu’il mette les pieds chez moi...

LE BARON, vivement, et embarrassé.

Ah ! oui, oui... je l’oubliais... Auprès de vous, on oublie tout !... Vous êtes forcée de le voir...

ARMANDE et LES AUTRES.

Forcée ?...

LE BARON.

Le comte de Tilly a un ordre du roi...

ARMANDE.

D’assister à mon mariage ?... Sa Majesté me ferait l’honneur de m’envoyer... un envoyé !...

MADAME DE MONTRICOURT, raillant.

Elle ne pouvait pas y manquer !...

LE BARON.

Vous êtes d’assez bonne race...

ARMANDE.

Je ne puis pas désobliger Sa Majesté... mais...

UN VALET, annonçant.

M. le comte de Tilly descend de voiture !...

Ensemble.

ARMANDE, à part.

Air : Allons bien vite.

Ciel ! en personne
Venir ce soir...
Ah ! je frissonne
De le revoir !...

LE BARON et MADAME DE MONTRICOURT.

Il faut, baronne,
Le recevoir...
Le roi l’ordonne,
C’est un devoir.

LUCIENNE, à part.

Ce nom me donne
Frayeur... espoir...
Mon cœur frissonne :
Je vais le voir !

Le comte arrive noblement, vêtu d’un brillant uniforme.

 

 

Scène VI

 

LE BARON, MADAME DE MONTRICOURT, LE COMTE, LUCIENNE, ARMANDE

 

LUCIENNE, troublée, à part, baissant les yeux.

Je n’ose le regarder...

MADAME DE MONTRICOURT, au baron.

Air du vaudeville de la Somnambule.

Il est magnifique !...

LE BARON.

Je gage
Que son habit vaut bien deux mille écus !...

LE COMTE.

Je dois d’abord présenter mon hommage...

Il s’avance près de Lucienne.

LUCIENNE, troublée, sans le regarder, et reculant.

Ce n’est pas moi...

Il s’avance à Mme de Montricourt.

MADAME DE MONTRICOURT, riant.

Ce n’est pas moi, non plus !

ARMANDE, à part.

Ne pas me voir !...

Elle s’avance.

LE COMTE, sans la regarder, à Mme de Montricourt.

Oh ! plaignez mes disgrâces...
Ici l’erreur a de quoi vous flatter...
Car, entre tant de noblesse et de grâces,
Il est permis, Mesdames, d’hésiter !...

Armande s’avance avec raideur.

LE COMTE.

Agréez, je vous prie...

Il la regarde, et coupe court.

mon profond respect...

ARMANDE, pincée et revêche pendant toute la scène.

M. le Comte, je ne puis le refuser.

LE COMTE.

M. le Baron, mes compliments sur votre mariage... Je ne pensais pas qu’il fût aussi heureux !

LE BARON et ARMANDE.

Monsieur...

LE COMTE, à part, riant.

Il était difficile de mieux s’assortir !

LUCIENNE, à part.

Ô mes souvenirs du couvent !

MADAME DE MONTRICOURT, à part.

On ne se moque pas mieux des gens.

LE BARON, bas.

Il faut le remercier.

Haut.

M. le Comte, je vous souhaite, dans votre prochain mariage, le même bonheur qu’à moi.

Mme de Montricourt se détourne pour rire.

LE COMTE, à part.

Oh ! oh ! je crois qu’il se venge !...

Haut.

De peur de ne pas rencontrer aussi bien que vous, M. le Baron... je ne me marierai pas !...

TOUS.

Ah !...

LUCIENNE, à part.

Qu’entends-je ?...

ARMANDE, vivement, au baron.

Ah ! que m’aviez-vous donc dit ?... Je croyais que M. de Maurepas...

LE COMTE, étonné.

Comment se fait-il, Madame, qu’une chose tout-à-fait secrète ?...

ARMANDE, à part.

J’allais me trahir...

Haut.

Une lettre d’une amie qui tient à la cour...

Gravement.

Mais, M. le Comte, on m’a dit que votre présence chez moi était motivée sur un ordre...

LE COMTE.

Du roi... en effet, Madame. Vous êtes surprise de me voir ici... C’est un général qui pénètre enfin dans la citadelle qu’il assiégeait depuis longtemps !...

LE BARON.

Ces dames vivaient dans une retraite...

LE COMTE, galamment.

Aujourd’hui, plus que jamais, je vois combien j’avais lieu de m’en plaindre !...

Il regarde Lucienne, à part.

Quelle charmante personne !... Il me semble avoir déjà vu cette figure...

ARMANDE, à part.

C’est Lucienne qu’il a regardée...

Haut.

Ma nièce, allez achever votre toilette...

LUCIENNE.

Ma toilette, elle est finie !...

LE COMTE, vivement.

Je vous demande pardon, Mademoiselle n’est point étrangère à ma présence ici...

ARMANDE.

Ma nièce ?...

LUCIENNE, à part.

Ô ciel ! que veut-il dire ?...

LE COMTE.

Pas plus que vous, Madame !...

LE BARON, étonné.

Ainsi que Madame ?...

ARMANDE, cherchant.

Mme sera-t-il donné de comprendre ?...

LE COMTE.

Par suite de petites calomnies, de vengeances mesquines, dont Madame paraît avoir connaissance, M. de Maurepas, et d’autres bons ennemis, se sont plu à me peindre comme un homme dangereux pour les mœurs...

ARMANDE.

Pour les mœurs ?... Ma nièce, éloignez-vous.

LE COMTE.

Oh ! Madame, pas un mot de ma part ne donnera gain de cause à de pareilles accusations !... Je passerai les crimes qu’on me reproche... Bref, on a décidé que je mésusais des privilèges et de la liberté du célibat, et, trompant la justice du roi, les bontés de la reine pour leur sujet le plus soumis, on a fulminé contre moi un édit conjugal, aux fins de me contraindre à me marier dans le délai d’un mois, sous peine de me voir privé des faveurs de la cour et d’être condamné à mourir... d’ennui, exilé dans mes terres... Il y a trois semaines que cette agréable missive m’est parvenue, et c’est ce soir qu’expire le délai de rigueur qui m’était accordé.

ARMANDE, à part.

Aurait-il attendu de me revoir ?...

LE BARON.

Et vous n’êtes pas encore marié ?...

LE COMTE.

J’espère bien ne pas l’être aujourd’hui... car, pour cela, il me faudrait retrouver...

TOUS.

Mais, cependant...

LE COMTE.

Je vous vois frémir sur les conséquences de ma révolte matrimoniale ?... Vous êtes bien bons !... Il s’agissait d’être aussi adroit que le ministre... M. de Maurepas est très spirituel, et cela m’a longtemps embarrassé... Enfin, il y a huit jours, je me suis dit : Ah ! ça, mais, pourtant, si je ne trouvais pas une seule femme qui me jugeât assez bon pour faire un mari ?

LUCIENNE, timidement.

Pas une...

TOUS.

Oh ! oh !

LE BARON.

Voilà qui est bien invraisemblable.

LE COMTE.

D’accord... C’était difficile !... Or, voici : je me suis adressé à M. l’échevin, aux recenseurs du personnel de la ville, pour avoir le relevé exact de toutes les dames veuves, ou demoiselles, susceptibles d’être taxées dans l’impôt conjugal dont j’étais frappé... Je me suis présenté chez elles humblement, ma supplique à la main... les assurant toutes, qu’une fois en liberté d’agir selon mon cœur, je serais trop heureux de briguer leur choix et leur main !... Toutes ont parfaitement compris qu’il ne convenait pas à leur dignité d’être enrôlées sous les drapeaux de l’hyménée comme des soldats de la milice, et par ordre du roi... L’amour-propre du beau sexe a fait droit à ma requête... Plusieurs manants en ont souri, et quelques jeunes filles en ont soupiré !...

Ici Lucienne se détourne.

Oh ! je dois le dire pour être exact, et pour me consoler un peu : chaque maison s’était ouverte à ma demande... la vôtre seule m’était restée fermée... Il faut donc me pardonner, Madame la Vicomtesse, et plaindre mon malheur, car je vais partout, et je viens ici chercher encore des femmes qui ne veuillent point de moi !...

MADAME DE MONTRICOURT et LE BARON.

Ah ! c’est charmant.

ARMANDE, à elle-même.

Le fat !... Peut-on être plus fat !...

LE BARON.

Et vous en avez trouvé beaucoup, Monsieur le Comte ?

ARMANDE, avec amertume.

Oh ! probablement !

LE COMTE.

Mais, vous êtes bien bonne... Jusqu’ici, je suis assez content !...

LE BARON, riant.

Ah ! ah !... et vous sollicitez la protestation de toutes les filles ou femmes... La noblesse, la robe, la finance !...

LE COMTE.

Et même un peu de bonne bourgeoisie, pour m’avoir rien à me reprocher !

LE BARON.

Quant au peuple !...

MADAME DE MONTRICOURT, avec dédain.

Oh ! il n’y a pas de femmes dans le peuple !

LE COMTE, à Mme de Montricourt.

Mme de Montricourt est mariée, je crois ?

MADAME DE MONTRICOURT, avec un soupir.

Hélas ! oui ! Monsieur.

LE BARON.

Je serais bien curieux de connaître tous les noms !

LE COMTE.

Ils sont assez nombreux... J’ai déjà 583 signatures...

Tirant un grand papier.

Voici ma quatrième et dernière liste... Il ne me manque que deux noms pour la compléter.

MADAME DE MONTRICOURT.

Lesquels ?

LE COMTE.

Celui de Mme la Vicomtesse...

LE BARON.

Comment ?... Mais elle m’épouse !...

LE COMTE.

Elle ne peut être exceptée jusqu’à ce qu’elle ait signé son contrat... Oh ! je tiens à être exact... Et puis celui de Mademoiselle sa nièce...

LE BARON.

C’est juste ! c’est juste... L’idée est fort curieuse.

LE COMTE, s’approchant.

Il n’y a point de surprise... Vous pouvez voir, il est écrit que les dames comprises dans cette liste n° 4, déclarent refuser volontairement le comte de Tilly susnommé, et attester ne point vouloir le prendre pour mari... Suivent les signatures...

LUCIENNE, à part.

Oh ! grands dieux !... s’il pouvait lire dans mon âme...

LE COMTE.

Voulez-vous être assez bienveillantes ?

ARMANDE.

Oh ! oui, certainement, Monsieur le Comte... et avec un grand plaisir.

Elle passe à la table.

LUCIENNE, à part.

Quelle situation !... Refuser ce qui me rendrait si heureuse !...

LE COMTE.

Doucement, Madame... Là... ici !... Dans votre précipitation... Je vous remercie infiniment !...

ARMANDE, à part, en revenant.

Il ne pourra pas dire, j’espère, que j’aie voulu de lui !...

LE COMTE.

Allons, j’avance !...

S’approchant.

Il ne me reste plus que l’adhésion de Mademoiselle...

LUCIENNE, à part.

Mon cœur s’en va !

Le comte s’approche et lui présente la plume.

LUCIENNE, troublée.

Comment !... Mais il n’est pas nécessaire...

LE COMTE.

Oh ! Mademoiselle... On ne m’excuserait pas... si j’étais libre de vous choisir !

LUCIENNE, à part.

Quel supplice !

LE BARON.

C’est clair... Mesure générale !

LUCIENNE, émue.

Mais... puisque ma tante a signé... il me semble...

LE COMTE, à part.

Que vois-je ?... Elle pâlit !...

Haut.

Votre hésitation serait trop flatteuse...

MADAME DE MONTRICOURT.

Elle croit qu’une signature engage... Ces jeunes filles !...

LUCIENNE.

Mon Dieu... Mais je ne sais... tout le monde qui me regarde...

ARMANDE.

Allons donc, Lucienne...

LE COMTE, à part.

Où ai-je vu ces yeux charmants ?...

ARMANDE.

Voyons ! faut-il vous tenir la main ?...

LUCIENNE, à part.

Ah !... quelle idée...

Haut.

Non, non... Je vais, puisqu’on le veut... Donnez...

Musique en sourdine. Tremblante, elle s’approche, et, au moment de tremper sa plume, elle verse l’écritoire, qui couvre d’encre la liste qu’elle devait signer.

Oh ! mon Dieu !...

TOUS.

Oh !

LE BARON.

Bon ! le papier perdu d’encre !...

ARMANDE, en colère.

Vous êtes donc folle ?... Quand vous l’auriez fait exprès !...

LUCIENNE.

Eh bien ! c’est une maladresse... si vous voulez... mais... je vous l’assure... ce n’est pas ma faute !...

ARMANDE.

Une pareille gaucherie !

LE COMTE.

Oh ! Mesdames ! une douzaine de noms d’effacés ; c’est l’affaire de mon secrétaire... Cela me fournira l’occasion de vous revoir.

Il regarde Lucienne en disant cela.

LE BARON.

Les cadres ne sont plus complets... Vous voilà en danger jusqu’à demain !...

LUCIENNE, à part.

Oh ! mon Dieu ! s’il avait pu me deviner !...

LE BARON.

Mais j’entends, je crois, nos invités...

 

 

Scène VII

 

LE BARON, MADAME DE MONTRICOURT, LE COMTE, LUCIENNE, ARMANDE, entrée des TÉMOINS, INVITÉS, NOTABILITÉS de la ville, en costumes outrés

 

L’orchestre joue l’air du deuxième acte de Cosimo.

CHŒUR.

Air : Honneur, honneur, à Son Altesse.

Enfin, ô belle Vicomtesse !
L’amour a triomphé de vous...
Du Poitou, voici la noblesse
Qui vient fêter des nœuds si doux.

LE BARON.

Quelle brillante assemblée !... Je ne vois pas mon notaire... Il ne peut tarder ; mais il avait un testament à faire, son grand-oncle, qui est en train de mourir... Vous concevez, il faut aller aux plus pressés.

TOUS.

Ah ! ah !...

En riant ils se placent, se font des civilités, surtout au comte de Tilly.

MADAME DE MONTRICOURT, à Armande.

Mon cher cœur, puisque nous avons le bonheur de posséder M. de Tilly, prions-le de nous dire une de ses charmantes aventures, qu’il raconte si bien !...

LE BARON.

Bonne idée !... Le notaire sera comme le rôti de Mme de Sévigné... ou de Mme de Maintenon. Puisqu’il nous manque... une histoire de M. de Tilly.

TOUS.

Oui, oui, une histoire !

LE BARON.

Une légende de mousquetaires... Quelque chose de naïf.

MADAME DE MONTRICOURT.

Contez-nous l’aventure qui vous a tenu le plus au cœur !...

LE BARON, bas.

Sur quelqu’un de la ville, hein ?

ARMANDE, à part.

Pourvu qu’il n’aille pas raconter mes lettres !

LE COMTE, à part.

Voyons, essayons encore... peut-être ici découvrirai-je quelque chose...

Haut.

Vous me demandez l’aventure qui a fait sur moi l’impression la plus vive... la plus durable...

TOUS.

Oui, oui.

LE COMTE.

Je vais donc vous la dire : La scène se passe à Versailles... Et ce roman, qui est de l’histoire, sera intitulé : Mon Inconnue.

LE BARON.

Votre inconnue... Je ne la connais pas, celle-là !

ARMANDE, à mi-voix, allant à Lucienne.

Ma nièce, vous ferez bien de vous retirer.

Les autres personnes se placent et se rangent.

LUCIENNE.

Mais, ma tante, puisque ces dames et vous...

ARMANDE.

Ces dames et moi pouvons entendre beaucoup de choses qu’il ne sied pas à une jeune personne... Allons, sortez... sortez !

LUCIENNE, à part, avec humeur.

Je m’en vais, mais j’écouterai malgré elle...

Elle sort par la droite.

 

 

Scène VIII

 

LES MÊMES, excepté LUCIENNE

 

LE COMTE, à part, s’asseyant[2].

Je perds l’auditeur qui m’intéressait le plus !

LE BARON.

Maintenant qu’elle est partie, parlez-nous de l’inconnue de Versailles.

LE COMTE.

L’aventure remonte à six mois environ... C’était le 17 avril, et...

LE BARON, de loin, à Armande.

Tiens, nous y étions.

Elle lui fait signe de se taire.

LE COMTE.

Il y avait eu grande présentation chez la reine... la journée avait commencé fort gaîment pour moi, j’avais reçu la déclaration la plus bouffonne de je ne sais quelle antique folle provinciale, qui m’avait fait savoir que je pourrais jouir de sa vue dans la grande galerie, près des magots de la Chine...

TOUS, riant.

Ah ! ah !

MADAME DE MONTRICOURT.

Le rapprochement est heureux.

ARMANDE, à part.

C’est de moi qu’il parle !

LE COMTE.

La soirée s’était passée dans un joyeux souper de mousquetaires...

Toutes les dames lèvent leurs éventails.

Je supprimerai les détails... En sortant des Armes de Franée, je n’ai jamais su quel chemin j’avais pris, il y avait pour cela des raison... champenoises... c’était la rue de Maurepas... ou de Noailles, ou de l’Orangerie...

En se tournant il se trouve du côté d’Armande.

Vous connaissez Versailles, Mme la Vicomtesse ?

ARMANDE, sèchement.

Fort peu, Monsieur !

LE COMTE.

Enfin, dans une rue assez isolée, le diable m’apparut...

TOUS.

Le diable ?...

LE COMTE.

Le diable ou une vieille femme ! je ne sais pas bien lequel, qui me dit à peu près ces mots :

Bas.

« Beau mousquetaire, voulez-vous rendre un éminent service à une belle dame ?... »

ARMANDE, à part.

Ce n’est plus de moi qu’il parle !

LE BARON.

Ah ! ah ! ceci devient intéressant.

TOUS.

Chut !...

LE COMTE.

Messagère des dieux, lui dis-je, à vous, corps et âme !... « Laissez-vous placer un bandeau sur les yeux et conduire aveuglément, sans chercher à savoir où vous serez... »

MADAME DE MONTRICOURT.

C’est fort mystérieux !...

ARMANDE, à part.

Le 17 avril... Serait-ce l’aventure de ma nièce ?

LE COMTE.

Quand on me rendit la vue, j’étais dans un boudoir élégant, mais sans lumière, et près d’une femme charmante, du moins je le crois, car elle était voilée...

ARMANDE, à part, troublée.

Voilée... ah ! mon Dieu, c’était lui !... je suis palpitante...

LE BARON.

Que de précautions !

MADAME DE MONTRICOURT et LES AUTRES.

Et puis ?...

LE COMTE.

Sa taille me parut élégante, son pied, sa main très distingués, sa voix d’un son doux et pénétrant... Ma déclaration fut soudaine et d’une éloquence très vive !... elle n’y répondit que timidement... elle paraissait inquiète et me suppliait de la respecter...

ARMANDE, agitée.

Oh !... sans doute...

LE BARON.

Le moment était bien choisi !...

ARMANDE, très attentionnée.

Pourquoi pas !... Et ?... et ?...

LE COMTE.

Son émotion était grande, elle paraissait craindre quelque événement important... la marche de la pendule la préoccupait vivement... et elle semblait attendre...

ARMANDE, attentionnée et s’oubliant.

Dix heures ?...

LE COMTE, vivement, surpris.

Comment le savez-vous, Madame ?

MADAME DE MONTRICOURT.

Vous connaîtriez l’héroïne ?...

ARMANDE.

Moi... non, non... je ne sais pas...

LE COMTE, vivement.

Cependant, Madame, c’était dix heures qu’elle attendait !...

LE BARON.

Et vous avez dit : Dix heures !... et ça m’a rappelé... que le soir où je devais...

ARMANDE, troublée.

Mon Dieu, c’est le hasard... j’aurais dit aussi bien douze heures, treize heures !...

MADAME DE MONTRICOURT.

Continuez !...

LE COMTE, toujours étonné.

Vous êtes la première qui ayez rencontré si juste... Enfin, dix heures sonnèrent, et alors elle me supplia à genoux de m’enfuir, de me sauver...

ARMANDE, avec joie.

Et... sans rien vous avoir accordé ?...

LE COMTE, surpris, la regardant fixement.

Sans m’avoir rien accordé !

TOUS, étonnés.

Ah !

ARMANDE, laissant voir un mouvement de joie, à part.

Je respire !...

LE BARON, à part.

Serait-ce lui qui a fait manqué mon treizième mariage !

Haut.

Et vous vous en allâtes ?...

LE COMTE.

Je m’en allai !

À part, regardant Armande.

C’est singulier !... Quel mensonge pourrais-je dire pour la forcer à parler ?...

LE BARON, préoccupé.

Sortîtes-vous par la porte ?...

Armande va pour se lever.

LE COMTE, avec intention.

Patience !... un instant, Madame... l’aventure n’est pas finie !...

MADAME DE MONTRICOURT et LES AUTRES.

À la bonne heure !...

ARMANDE, à part.

Je suis sur les épines !...

Elle jette les yeux à sa gauche et voit remuer la porte du cabinet qui s’ouvre en dehors.

Ciel !... la malheureuse qui écoute !...

LE COMTE.

Cette soirée me semblait un rêve des Mille et une Nuits... Mon inconnue avait laissé en moi le germe d’une passion... Bref, je l’aimais, je l’adorais !...

ARMANDE, aigrement.

Adorer une femme qu’on n’a pas vue !...

LE COMTE, l’observant.

Aucun indice ne pouvait me faire retrouver le lieu de la scène mystérieuse... on m’avait demandé le plus grand secret ; mais j’étais trop amoureux pour me taire... j’en parlai à tout le monde !...

ARMANDE.

Quelle horreur !...

LE COMTE, l’observant.

C’était une ruse pour que la colère la fit se trahir !... j’eus beau raconter cela à tout Versailles, en parler même aux petits soupers de Trianon... pas une femme ne se troubla !... pas une femme ne rougit !...

MADAME DE MONTRICOURT, avec malice.

On ne met du rouge que pour ça !...

ARMANDE, à part.

À Trianon !... elle en était fort loin !

LE COMTE, très attentif à regarder.

Enfin, un beau jour... je crus découvrir que cette belle était de la province...

ARMANDE, à part.

Il aurait su !...

LE COMTE, à part.

Encore un mouvement !... c’est unique ! Ah ! m’y voici ! je la forcerai bien à s’expliquer.

LE BARON.

Ah !... quelle province ?... Elle était repartie ?...

LE COMTE.

Pas encore !... car un billet mystérieux m’indiqua de nouveaux rendez-vous.

ARMANDE, qui n’y est plus, à part.

De nouveaux rendez-vous ?...

LE BARON, à part.

Ce n’est plus cela !

Haut.

Elle y prenait goût, à ce qu’il paraît ?

LE COMTE.

Vous concevez avec quel empressement j’y courus... conduit de la même manière !... j’y fus d’abord un peu moins maltraité... je devins de plus en plus épris... et enfin, au dix-septième rendez-vous que j’eus avec la belle...

ARMANDE, furieuse et ne se contenant plus, à part.

Vous en avez menti, Monsieur !...

LE COMTE, se levant.

Madame !

TOUS, se levant en désordre.

Ah ! mon Dieu !...

ARMANDE.

La femme que vous accusez...

LE BARON, très agité, bas, à Armande.

Mais ce n’est plus votre nièce, et vous étiez restée à Versailles !...

MADAME DE MONTRICOURT.

Oh ! nommez-nous-la, chère amie !... nommez-nous-la ?...

LE COMTE, à part.

Serais-je au moment de savoir ?...

LE BARON.

Il faut que cela s’explique !...

MADAME DE MONTRICOURT.

Il est question d’une dame de la province, et nous sommes toutes intéressées !...

LE BARON.

Et moi aussi !... Nommez-la, Madame !

TOUS.

Oui ! oui !...

ARMANDE, hésitant.

Vous le voulez... Eh bien !...

En ce moment elle voit Lucienne qui paraît sur le seuil ; elle a les mains jointes et le regard suppliant. À part.

Oh ! la pauvre enfant !

TOUS.

Eh bien ?...

ARMANDE, avec effort.

Eh bien ! Monsieur... Non... non !... je n’en conviendrai jamais !

LE BARON.

Qu’entends-je ?... C’est donc vous, Madame ?...

LE COMTE, à part, stupéfait.

Elle ! grands dieux !

LE BARON, hors de lui, et criant.

Oh ! par exemple... c’est trop fort... Je ne l’épouse pas... mon mariage est rompu.

TOUS LES INVITÉS.

Air : Je me contiens à peine.

Ah ! l’aventure est piquante,
Pour ces deux nouveaux époux ;
Mais la scène est trop plaisante,
Par égard, retirons-nous !

ARMANDE et LE BARON.

Ah ! quelle scène outrageante !
J’en étouffe de courroux !
La chose est trop insultante,
Non, plus d’hymen entre nous !

LE COMTE.

L’aventure est peu galante,
J’en étouffe de courroux !
Avec cette noble tante,
Quoi ! j’étais en rendez-vous ?

 

 

Scène IX

 

LE COMTE, seul

 

Quel éclat !... Je reste seul... Le mariage est rompu... Comment ! cette espèce de précieuse ridicule... aurait été mon inconnue ?... depuis six mois l’objet de mes pensées ?... et cependant il me semblait avoir deviné une taille svelte, une tournure de fée...

Confus.

Oh ! oh ! moi, un connaisseur... je sais bien que la nuit est une terrible faiseuse de quiproquos !... mais celui-là est affreux !... et il n’y a pas à en douter... Si elle avait pu citer le nom de sa meilleure amie, loin d’hésiter... elle s’en serait fait un plaisir !

Joignant ses mains.

Ah ! M. le Comte de Tilly, pendez-vous, vous étiez là !... Après une telle ambassade, il faut aller se cacher dans ses terres...

Il va prendre son chapeau pour sortir. Lucienne sort de sa chambre et s’avance vivement.

 

 

Scène X

 

LE COMTE, LUCIENNE

 

LUCIENNE, d’un ton égaré.

Monsieur... j’étais là... Monsieur !...

LE COMTE, à lui-même.

La nièce de la maison...

LUCIENNE.

J’ai tout entendu !

LE COMTE, à part.

Défendez donc d’écouter aux jeunes personnes !...

LUCIENNE.

Ah ! M. le Comte... qu’avez-vous dit !... Votre conduite a été infâme !

LE COMTE, à part.

Ah !... c’est sa tante qui me l’envoie !

Haut.

J’ai été un peu loin, il est vrai... mais quand on joue le rôle d’un écolier... car, enfin, cette dame m’a compromis !...

LUCIENNE.

Vous, Monsieur ?...

LE COMTE.

Vous ne pouvez pas comprendre... mais un homme qui à sa réputation à conserver !...

LUCIENNE.

Mais la sienne, Monsieur, celle d’une femme...

LE COMTE.

Comme vous êtes émue...

LUCIENNE.

Après cet affreux éclat !...

LE COMTE.

Vous me parlez de cette dame, de sa réputation... Mais, de bonne foi, quand on agit avec aussi peu de réserve... on en fait bon marché soi-même !...

LUCIENNE, à part.

Oh ! mon Dieu !...

LE COMTE.

Quel motif pourrait colorer une pareille inconséquence ?... ce ne peut pas être une étourderie !... ce n’a pas pu être de l’amour non plus... il ne pouvait pas exister !...

LUCIENNE, baissant les yeux.

Mais... mais... il aurait pu venir !...

LE COMTE.

Alors, Mademoiselle, il aurait eu grand tort !

LUCIENNE, d’un ton grave.

Oh ! ne raillez pas... mais, écoutez-moi, M. le Comte !

LE COMTE, à part, et s’inclinant.

Fâché seulement qu’elle parle pour sa tante...

LUCIENNE, avec une profonde émotion.

M. le Comte, par une réunion de circonstances qui ne peuvent en rien ternir l’honneur, si une femme... coupable seulement de son malheur, avait voulu... pour y échapper... mon Dieu ! je ne sais comment vous dire... être obligée... Mais vous me comprenez, M. le Comte ?

LE COMTE, écoutant.

Oui, Mademoiselle, ou du moins j’essaye.

ARMANDE, sortant de la chambre de Lucienne qu’elle cherche, à voix basse.

Où est-elle donc ? Que vois-je ?

Elle reste immobile et écoute.

LUCIENNE.

Si pour éviter un mariage qui lui était... impossible... cruel... odieux !...

LE COMTE.

Ah ! comme celui que mon cher ministre...

LUCIENNE.

Vous, au moins, vous pouviez choisir une femme... mais elle, par des raisons de famille, de fortune... on lui imposait un homme... presque ridicule... plus âgé qu’elle...

LE COMTE.

Oui !... comme le vieux baron, n’est-ce pas ?...

À part.

C’est bien cela !...

LUCIENNE.

Si cette femme, à bout de son courage, au désespoir, la tête perdue, folle de chagrin... avait eu la pensée bizarre, extravagante, coupable même... comme vous voudrez ! de se compromettre elle-même... de supposer un amant qui n’existait pas... qu’elle n’avait jamais eu, afin d’épouvanter le mari qu’elle devait avoir... dites-moi, M. le Comte, cette femme serait-elle perdue d’honneur à tout jamais ?...

LE COMTE.

Non, Mademoiselle...

À part.

Du moins, pour cette fois...

LUCIENNE.

Eh bien ! si par un jeu du hasard... cet homme se fût trouvé être précisément celui pour qui cette femme nourrissait un amour secret ?...

LE COMTE, à part.

Serait-ce ma femme aux trente-deux lettres ?...

LUCIENNE.

Amour non partagé, sans doute, mais alimenté sans cesse par le récit de sa bravoure, de ses succès, de ses qualités brillantes !

ARMANDE, à part, soupirant.

Il n’est que trop vrai.

LE COMTE, saluant.

Épargnez ma modestie !...

À part, apercevant Armande.

Ah ! mon Dieu, elle écoute...

LUCIENNE.

Et si, restée libre après un longtemps, elle l’eût retrouvé enfin, et que cet homme, entraîné par je ne sais quel mouvement de vanité, se fût mis en sa présence et tout haut à fabriquer le conte le plus calomnieux... à inventer les circonstances les plus outrageantes... car enfin il sait bien que cette femme n’eût rien à se reprocher, il le sait bien, n’est-ce pas ? M. le Comte, il doit se le rappeler !...

LE COMTE.

Oui, Mademoiselle...

À part.

Heureusement pour lui !... grâce aux parlements !

LUCIENNE.

Et cependant il l’a flétrie, perdue à plaisir... Répondez, M. le Comte, cet homme devrait-il réparer ses torts ? devrait-il l’épouser ?

ARMANDE, à part.

Parfait !...

Elle s’avance un peu.

LE COMTE, qui l’aperçoit.

Dieux !... l’épouser !...

Vivement.

Oh ! pour cela... non, Mademoiselle !

LUCIENNE, éperdue.

Vous avez dit non ?...

ARMANDE, à part.

Ah ! le monstre !...

LUCIENNE, qui chancelle, d’une voix affaiblie.

Il suffit !... retirez-vous !... Ah ! les forces m’abandonnent...

Elle s’appuie sur un fauteuil.

ARMANDE.

Ah ! la pauvre victime !...

Elle s’avance.

LE COMTE, à part, en la voyant.

Elle était là !... elle attendait l’issue... ah ! c’est clair !...

ARMANDE.

Cœur de tigre !... quand une pauvre enfant vient plaider.

LE COMTE, à lui-même.

Oh ! ma foi, Madame, c’est qu’il y a des causes perdues d’avance !...

Ensemble.

Air : C’est elle.

ARMANDE, soutenant sa nièce.

Surprise cruelle !
L’ingrat la refuse aujourd’hui.
Si jeune, si belle,
Se voir traitée ainsi !

LUCIENNE.

Surprise cruelle !
De mon cœur, l’espérance a fui.
Injure mortelle !...
Pour moi tout est fini !

LE COMTE, à part.

Surprise nouvelle !...
À mes yeux quel espoir a lui ?
Est-ce elle, si belle,
Que je retrouve ici ?

 

 

Scène XI

 

LE COMTE, seul d’abord, puis LE BARON

 

LE COMTE, regardant à droite.

Elle s’évanouit... je ne sais plus où j’en suis... On aurait cru, vraiment, qu’elle parlait pour son propre compte... Oh ! si cela pouvait être !... Mais cette autre folle, dont le mariage était retardé depuis si longtemps, et qui semblait attendre ?... Est-ce l’une ?... est-ce l’autre ?... Quelle énigme !...

Air : J’aime Agnès et j’ai su lui plaire.

Mais à qui donc faut-il que je m’adresse ?...
Le futur vient !... Oh ! mais, quel air altier ?...

LE BARON, qui s’avance gravement du fond.

Je viens ici venger la vicomtesse ;
Je viens ici, comme grand-louvetier...

LE COMTE, surpris.

Comment cela ?...

LE BARON.

Par devoir, par métier.
Les séducteurs sont de la pire sorte
Des animaux qu’en tous lieux je poursuis !...
Et, loup cruel, d’une femme aussi forte
Vous avez fait une faible brebis !

LE COMTE, à droite.

Si cela était, je serais plus malheureux que coupable.

LE BARON.

Après qu’un homme de ma qualité a vu sa fiancée compromise... vous concevez qu’une explication...

LE COMTE.

Ah ! ah !... je vous entends... de ces explications à bout portant... qui n’expliquent rien ?

LE BARON.

Il y a une réparation toute naturelle... Malgré vos listes de femmes qui ont l’air de vous refuser, M. de Maurepas a raison, et il faut que vous vous décidiez à vous marier... J’y tiens, Monsieur, j’y tiens.

LE COMTE.

Ah ! ce serait possible... si je pénétrais le mystère qui m’occupe depuis si longtemps... Oh ! oui...

À lui-même.

si c’était elle,

Il montre la chambre de Lucienne.

la réparation serait trop heureuse pour moi !...

LE BARON, à part, l’examinant.

Cela me sauvera des brocards... et je me rejetterai sur la nièce.

Haut.

Ainsi, M. le Comte, vous acceptez ?

LE COMTE.

Hein ?... Un instant, n’allons pas si vite, je voudrais d’abord...

LE BARON.

Songez qu’il y a imminence, et qu’autrement je serais forcé de vous appeler en combat singulier.

Il montre son épée.

Et, d’honneur, cela me contrarierait...

LE COMTE.

Je n’ai aucune envie de me mesurer avec vous.

LE BARON, à part.

Ça me fait cet effet-là...

Haut.

En conséquence, vous épouserez la malheureuse victime de vos déportements ?

LE COMTE.

Cela pourrait arriver... si vous n’avez pas l’air de me l’ordonner... et moyennant deux conditions très importantes...

LE BARON.

Des conditions ?...

LE COMTE, impatienté.

Mais, tenez, Baron, avant de pousser plus loin ce discours ; pour sortir d’une anxiété cruelle, je demande à comprendre nettement ma position ; je demande à revoir la femme mystérieuse que vous gratifiez du nom de ma victime...

LE BARON, passant à droite.

Elle n’est plus mystérieuse ; je vais la chercher, et vous pourrez l’épouser à l’instant même... Sans cela !...

Il le regarde et attend. Le comte, impatienté, lui tourne le dos. Pendant ce temps, Armande sort, pensive, de la chambre de Lucienne.

 

 

Scène XII

 

LE COMTE, LE BARON, ARMANDE, qui ne les aperçoit pas

 

ARMANDE.

La pauvre enfant est au désespoir... elle veut prendre un parti qui me désole... Elle aimait aussi ce petit Lovelace.

Les apercevant, à part.

Tous les deux ici !

LE BARON, près d’elle, à mi-voix.

Vous voici donc, Madame... Une vicomtesse qui fait recruter des mousquetaires !

ARMANDE.

Des ?... Il n’y en avait qu’un... Et qui vous dit que ce fût pour moi ?

LE BARON, avec colère.

Quant au premier rendez-vous, je flottais... mais les dix-sept autres... votre nièce était partie... Dix-sept rendez-vous en huit jours !

ARMANDE, d’un ton léger.

Vous êtes fou, Baron, allez prendre de l’ellébore !

LE COMTE, les regardant de loin.

Il y a séance au conseil des anciens...

LE BARON, à la vicomtesse.

Moi, qui vous croyais de la plus antique vertu !

ARMANDE.

À quoi bon faire le maussade ? Cela m’empêchera-t-il de vous donner ma main ?

LE BARON.

Bien reconnaissant... Je ne vous épouserai jamais !... mais je vous vengerai noblement.

ARMANDE, élevant le ton.

À la bonne heure... Et, dans tous les cas, nous nous vengerons bien nous-même !

LE BARON, toussant pour se raffermir, et s’avançant.

Hum ! hum !...

ARMANDE, de même, de son côté.

Hem ! hem !...

LE COMTE, à lui-même.

J’espère qu’elle va convenir que ce n’était pas elle...

Haut.

Eh bien ! M. le Baron, vais-je enfin toucher au terme de toutes mes incertitudes ?...

LE BARON.

Oui, M. le Comte, me voici avec mes arguments... Épée d’un côté... vicomtesse de l’autre... Avancez, Madame.

ARMANDE, s’avançant.

Très bien... voilà.

LE COMTE, à part, haut.

Comment ! c’est Madame ?...

ARMANDE, l’interrompant.

Oui, certainement, c’est moi qui...

LE COMTE, l’interrompant.

Oh !...

À part.

Il est impossible que j’aie passé une demi-heure avec cette victime-là !...

ARMANDE, avec hauteur.

Je le répète, c’est moi qui viens chercher une éclatante réparation... Épousez-vous, Monsieur, ou n’épousez-vous pas ?...

LE BARON, vivement.

J’ai la parole de M. de Tilly... voici le moment de vous décider...

Murmurant.

Épée... vicomtesse !...

LE COMTE, au baron, à part.

Avant d’épouser, je vous ai dit que j’y mettais deux conditions importantes, et les voici : La première, c’était que ma prétendue victime serait jeune... jolie...

LE BARON, désignant Armande.

Eh bien ! Monsieur, il me semble...

LE COMTE.

Pardon, nous n’avons pas la même manière de voir.

ARMANDE, agacée.

Messieurs, j’ai infiniment de peine à me contenir... Je suis de Carcassonne, et ma patience...

LE BARON, voulant la calmer.

M. le comte pose ses conditions...

ARMANDE.

Qu’est-ce ?...

LE BARON, entre eux deux.

Parlez !...

LE COMTE, à lui-même.

Mon Dieu ! j’ai une peur horrible !...

Haut.

Vous l’exigez ?...

Mesurant ses mots.

Eh bien ! dans le cas seulement où j’aurais trouvé les qualités indispensables qui existent, j’en suis sûr, chez la personne objet de mes recherches... ma deuxième condition, c’était que la personne objet de mes vœux, la femme encore mystérieuse que j’adore, reconnût, comme à elle appartenant, les cheveux enlacés dans un médaillon...

Il a tiré son portefeuille, l’ouvre, et en tire le médaillon du premier acte.

LE BARON, regardant la vicomtesse.

Eh bien ! Madame a peut-être donné de ses cheveux à M. le comte ?...

ARMANDE, révoltée.

Quel tissu d’horreur !... Une pareille question...

LE BARON, regardant le médaillon que tient le comte.

Il y a des moments où ces choses-là se donnent !... Que vois-je ?... Ce médaillon... je le reconnais !... À Versailles, le jour où je devais signer...

Il le prend.

Vous avez de mes cheveux, Monsieur ?

LE COMTE, riant.

Est-il possible ?

LE BARON.

Une L et un A... Vous possédez de mes cheveux, Monsieur !...

LE COMTE.

Je conviens que je ne les ai pas reçus de vous !... Et, malheureusement, je n’en sais pas davantage !...

LE BARON.

Quelle affreuse complication !...

ARMANDE, passant au milieu.

Messieurs, ma renommée ne peut se payer de tous vos alibiforains.

LE COMTE et LE BARON.

Mais...

ARMANDE, s’échauffant graduellement.

On ne marchande point ainsi l’honneur d’une famille... on ne ballotte pas ainsi une femme vertueuse... car, enfin, je suis ballottée !...

Au baron.

Et vous restez là, comme un terme !...

LE BARON, se fâchant.

Eh ! Madame...

ARMANDE.

Et vous vous appelez de la Tortampierre !... À votre place, je serais déjà sur le terrain !...

LE COMTE.

Mon Dieu ! s’il ne tient qu’à brûler la cervelle à M. le baron, j’y consens avec plaisir ; mais je voudrais savoir pourquoi.

ARMANDE, avec emportement.

Eh ! vous le saurez après !...

LE BARON.

Après ? je vous baise les mains !...

ARMANDE.

Il ne s’agit plus de M. le grand-louvetier... mais d’une femme bien intéressante, dont vous avez bouleversé la destinée.

LE COMTE.

Moi !... que dites-vous ?

ARMANDE.

Je dis, mort de ma vie ! que vous paierez vos équipées, que c’est une femme qui vengera cette femme... et que vous aurez affaire à moi... Ah ! ah ! nous verrons... ah ! ah !

LE COMTE, riant.

Une dame... avoir un duel ! cela ne s’est jamais vu !...

ARMANDE.

Tarare !... Mme de Nesle s’est battue avec Mme de Polignac, et la vicomtesse des Ormeaux les vaut bien !... Donnez !...

Par un mouvement brusque, elle tire l’épée du baron et se pose.

En garde, Monsieur !...

LE BARON, criant.

En garde !... Prenez donc garde !... Holà ! Comtois, l’Orange, le portier, le cocher, au secours !

ARMANDE.

C’est trop tarder... défendez-vous, Monsieur.

Elle se pose héroïquement en garde. Les valets accourent du fond ; Lucienne sort de sa chambre.

 

 

Scène XIII

 

LE COMTE, LE BARON, ARMANDE, LUCIENNE.

 

LUCIENNE, se précipitant près de sa tante.

Arrêtez !... arrêtez... Qu’allez-vous faire ?...

ARMANDE.

Vous venger, ma nièce !...

LE COMTE.

Quoi ?...

LUCIENNE.

Ah ! ne vous occupez plus de mon sort, désormais il est fixé... Je renonce au monde, aux rêves d’un amour dont l’espoir était dans mon cœur, plutôt que dans ma raison.

LE BARON, à sa gauche.

Cependant, Mademoiselle, mon mariage avec vous... le testament...

LUCIENNE.

Monsieur, pour vous obliger à renoncer à ma main, j’ai commis, il y a six mois, une de ces imprudences qu’il faut expier toute sa vie... C’est moi qui seule avais appelé la présence de M. le comte à mon secours !...

LE COMTE, à gauche.

Qu’entends-je ?...

LUCIENNE.

Seule, je fus coupable... seule, je dois être punie...

Baissant les yeux.

en renonçant pour jamais à l’espoir du seul mariage qui aurait pu faire mon bonheur !...

LE COMTE.

Que dites-vous ?...

LUCIENNE.

Ce bonheur... je l’irai désormais demander au couvent, où de folles illusions me l’avait fait entrevoir...

LE COMTE.

Au couvent ? Que dit-elle ?

LUCIENNE.

Et surtout au repentir, qui, je l’espère, me fera tout oublier !...

ARMANDE, passant à droite.

Digne de moi, ma nièce !... vous oublierez un monde pervers... et des hommes... bien petits !

LE COMTE, dans le plus grand trouble.

Oh ! mais... c’est impossible... Attendez... laissez-moi rassembler mes idées... Vous, Mademoiselle, vous étiez cette mystérieuse inconnue... que mes vœux poursuivaient depuis si longtemps...

LUCIENNE.

Je vous ai tout dit ; vous savez tout, maintenant.

LE COMTE.

Mais, alors, ce médaillon... que je dérobai dans ce boudoir...

LUCIENNE.

Il était à moi, Monsieur me l’avait offert.

LE BARON, à l’extrême droite.

Oui, je l’avais fait faire exprès... pour mes présents de noces.

LE COMTE.

Ah ! je m’explique, maintenant, tout ce qui était confus dans mon âme !... Je me rappelais la jeune personne du couvent... j’adorais l’inconnue dont je ne pouvais découvrir le nom... vous voyez bien qu’au travers de tous ces mystères, c’est mon cœur seul qui vous reconnaissait, qui vous cherchait toujours !

LUCIENNE, faiblement.

Ô ciel !... Mais, maintenant, il est trop tard !

LE COMTE, se mettant à genoux.

Ah ! Mademoiselle... puisque vous, innocente, vous alliez vous consacrer à prier pour les coupables, vous devez les absoudre et leur accorder le pardon de leurs injures !

LE BARON, à genoux.

Ah ! vicomtesse innocente, c’est ce que j’allais vous dire !

ARMANDE, au Comte.

Relevez-vous !... on vous pardonne, M. le Comte...

Au baron.

et vous aussi, être pusillanime !

Le comte regarde Lucienne d’un air suppliant

LUCIENNE, lui tendant la main.

Eh bien ! tenez, Monsieur...

Montrant la pendule.

Il est bientôt dix heures... et à ce moment-là vous m’obéissiez, autrefois !

LE COMTE, lui baisant la main.

Ah ! encore, et toujours !

LE BARON.

Voilà votre honneur réparé.

LE COMTE, avec finesse.

Grâce à une écritoire renversée !...

LUCIENNE, avec un geste.

Et à l’ordre du roi !...

LE COMTE.

Ce cher ministre ! avec quel plaisir je vais lui obéir... Ah ! que je le remercie ! Je le bénirai même... et il sera bien attrapé, car ces messieurs n’y sont pas habitués.

Ici dix heures sonnent à la pendule.

LE COMTE.

Air du Domino.

Pendule traîtresse
Qui fis mon espoir...
Enfin ta promesse,
Tu la tiens ce soir !

LE BARON.

L’hymen au port jette l’ancre,
C’est un grand palliatif !
Il reste une tache d’encre...

ARMANDE, lui lançant un regard fier.

C’est moins qu’un coup de canif !

TOUS.

La pendule sonne...
Souvenir flatteur !
Enfin elle ordonne,
Ce soir, mon bonheur !


[1] Le contraire de cela si l’actrice est blonde.

[2] Mme de Montricourt, le Baron, le Comte, Armande. Les dames invitées, assises ; par derrière, les hommes debout et groupés pour écouter.

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