Les Vendanges de Suresne (Pierre DU RYER)

Comédie en cinq actes et en vers.

Représentée pour la première fois, en 1633.

 

Personnages

 

TIRSIS, Amoureux de Dorimène

PHILÉMON, Ami de Tirsis

POLIDOR, Amoureux de Dorimène

DORIMÈNE, Amoureuse de Polidor

FLORICE, Bourgeoise de Paris

LISETTE, Villageoise de Suresnes, confidente de Florice

GUILLAUME, Vigneron de Polidor

OLÉNIE, Bourgeoise de Paris, amie de Dorimène

CRISÈRE, Bourgeois de Paris, Père de Dorimène

DORIPE, Mère de Dorimène

ORMIN, Villageois

 

Le Théâtre représente Suresnes.

 

 

À TRÈS HAUT ET TRÈS PUISSANT PRINCE CÉSAR

DUC DE VENDÔME, DE MERCŒUR, PENTHIÈVRE, de Beaufort et d’Étampes, Prince d’Anet et de Martigues, etc. Pair de France.

 

Monseigneur,

 

J’aurai fait de bonnes vendanges si vous en pouvez seulement supporter l’odeur, et mes vendangeurs seront trop bien récompensés de leur travail si vous leur permettez de prendre un peu de repos auprès de votre grandeur. Il est vrai que j’ai peu de jugement alors que je vous demande tant d’honneur pour des si basses ; Et l’on dira sans doute que cette passion qui me presse de vous faire une demande si présomptueuse est encore un reste des maladies qui m’ont persécuté depuis cinq mois entiers. Mais quand l’on considèrera que les vendangeurs pour qui je parle sont sortis de moi je m’imagine facilement que l’on excusera l’ambition d’un père qui veut avancer ses enfants et après tout, Monseigneur, puisqu’ils sont frères de cet Alcimédon qui reçut il n’y a pas longtemps un si glorieux accueil de votre grandeur, je crois que vous ne les rejetterez pas, et que la fortune de l’aîné sera cause de celle des cadets. Vous les avez déjà regardés d’une façon qui me fait dire à leur avantage qu’ils auront bientôt des envieux, et que toute basse que soit leur condition, les plus honnêtes gens la choisiraient bientôt s’ils croyaient qu’elle leur dût faire obtenir les mêmes honneurs. Et véritablement ce ne serait pas sans raison qu’ils feraient ce choix puis qu’il est assuré qu’en quelque qualité que ce soit, il y a plus de gloire à servir un Prince vertueux qu’à commander autre part. Ainsi des personnes de peu que j’ose vous adresser se relèveront et deviendront illustres, ceux qui les eussent méprisées à cause de leur bassesse, les respecteront comme vos créatures et pour moi je n’aurai point de honte d’avouer des vendangeurs pour mes enfants. Enfin Monseigneur cet ouvrage est un divertissement que j’ai tâché de vous préparer durant ces fâcheuses journées où la fièvre me rendait inutile au service de votre grandeur. Je sais qu’il est de peu de conséquence, aussi n’eussé-je eu garde de vous le présenter, si je n’eusse en même temps su que des petites choses, les plus grands hommes font quelquefois leurs divertissements. Sur cette assurance j’ai fondé mon dessein, et je veux croire que s’il ne réussit pas entièrement, vous le considérerez au moins comme un effet de cette passion qui me fera toujours moins chérir la vie, que les occasions de paraître,

 

Monseigneur,

 

De votre grandeur,

 

Le très humble, très obéissant, et très fidèle serviteur.

 

DU RYER.

 

 

ACTE I

 

 

Scène première

 

PHILÉMON, TIRSIS

 

PHILÉMON.

N’as-tu quitté Paris pour venir à Suresnes

Qu’à dessein d’y mourir ou d’y vivre à la gêne ?

Autrefois l’entretien que l’on avait de toi

Eût pu même augmenter les délices d’un Roi,

Cependant aujourd’hui la tristesse la plus forte

A vaincu cette humeur qui charmait de la sorte,

À te voir maintenant si morne et si rassis

On dirait que tu n’es qu’un portrait de Tirsis.

TIRSIS.

Que n’es-tu véritable, et que n’est-il possible

Que je sois un portrait afin d’être insensible !

PHILÉMON.

L’Amour te fait parler.

TIRSIS.

Et me fera mourir

Si l’œil qui m’a blessé ne me veut secourir.

PHILÉMON.

Tu m’as dit tant de fois que ta chère Florice

N’a jamais rejeté tes vœux et ton service,

On t’aime, et tu te plains ! qui t’affligerait tant ?

Te faut-il maltraiter pour te rendre content ?

TIRSIS.

Il est vrai que longtemps l’amour que j’eus pour elle

Me rendit plus content qu’on ne la trouvait belle,

Mais comme toute fille est sujette à changer

Par sa légèreté je me rendis léger :

Florice n’est donc plus la cause de ma peine

Depuis le jour fatal que je vis Dorimène.

C’est elle que j’adore, et de qui les rigueurs

Ont donné la naissance à toutes mes langueurs.

Hélas depuis ce temps j’ignore les délices,

Les meilleurs entretiens me semblent des supplices,

Et quelques voluptés que m’offrent leurs appas,

Mon enfer est partout où sa beauté n’est pas.

Toutefois mes amis n’en savent rien encore

J’ai couvert jusqu’ici le feu qui me dévore,

Mon humeur et mon front qui changent chaque jour

Font bien voir mes soucis et non pas mon amour,

Et comme si c’était un défaut en mon âme

Je n’ose découvrir la grandeur de ma flamme.

Mais enfin cher ami, c’est à toi que j’accours,

Je te montre mon mal, donne-moi ton secours.

PHILÉMON.

Ne me demande point ce que j’offre à ta peine

Mais dis-moi si ton mal est su de Dorimène.

TIRSIS.

Elle sait mes tourments, et son œil obstiné

Cent fois a reconnu l’amour qu’il m’a donné ;

Mais de peur que l’amour ne retourne chez elle

Alors que je le montre elle fuit la cruelle.

PHILÉMON.

Si l’une t’a guéri par sa légèreté

Que l’autre te guérisse avec sa cruauté.

TIRSIS.

Lorsque sa cruauté me chasse d’auprès d’elle

En dépit qu’elle en ait sa beauté me rappelle.

PHILÉMON.

Puisqu’elle est si contraire à tes jeunes désirs

Va rechercher ailleurs de solides plaisirs.

Peut-être que le Ciel te la rend si sauvage

Pour te donner sujet d’éviter ton servage.

Si les filles aimaient ceux qui l’ont mérité

Tu pourrais espérer d’en être mieux traité,

Mais ce sexe volage et rempli d’artifice

N’aime le plus souvent que selon son caprice,

Aussi n’en est-on pas moins parfait estimé

Alors que l’on se plaint qu’on n’en est pas aimé.

Écoute néanmoins des leçons fort gentilles

Afin de parvenir à l’amitié des filles.

Il faut être d’accord de tous leurs sentiments,

Approuver et louer leurs moindres ornements,

Respecter un collet, pour lui prendre querelle,

Avoir toujours en poche une chanson nouvelle,

Savoir bien à propos ajuster un mimi

Distinguer promptement le galant de l’ami,

Dire quelle couleur est ou fut à la mode,

Voilà pour être aimé le chemin plus commode.

Un homme de néant bien poli, bien frisé

Par ces rares moyens se voit favorisé,

Pourvu qu’il sache un mot des livres de l’Astrée

C’est le plus grand esprit de toute une contrée.

Si tu peux te résoudre à tant de lâcheté

Tu prendras le chemin de ta félicité.

TIRSIS.

C’est assez Philémon, la passion t’emporte.

PHILÉMON.

Dis plutôt le regret de te voir de la sorte.

Il me déplaît enfin de te voir adorer

Un sexe qui n’est fait que pour nous honorer.

TIRSIS.

Si tu m’aimes encor, par ta seule entremise

J’obtiendrai la faveur que je me suis promise,

Dorimène m’a dit qu’elle sait son devoir,

Que son père a sur elle un absolu pouvoir,

Et que son amitié n’obligera personne

Qu’elle ne sache bien que son père l’ordonne.

PHILÉMON.

Veux-tu que de ce pas je l’aille voir pour toi.

TIRSIS.

Tu me peux obliger en lui parlant de moi

Aussitôt que le Ciel à mes vœux favorable

Te donneras le temps de m’être secourable.

PHILÉMON.

Ami, je le vais voir, espère du secours,

Si le bien que tu veux dépend de mes discours :

Il est sur ce coteau qui voit faire vendanges.

TIRSIS.

Que ton bon naturel mérite de louanges !

PHILÉMON.

Je ne veux mériter que ton affection

Si je mets ton amour à sa perfection.

Va m’attendre chez toi.

TIRSIS.

S’il faut longtemps attendre

Brûlant comme je fais, je me vais mettre en cendre.

PHILÉMON.

Mais voilà Polidor que j’aperçois venir

Attendant mon retour tu peux l’entretenir.

TIRSIS.

D’où viens-tu Polidor ?

 

 

Scène II

 

POLIDOR, TIRSIS

 

POLIDOR.

Je viens de voir Sylvie.

TIRSIS.

Donne-t-elle des lois à ton âme asservie ?

POLIDOR.

Tirsis, je le confesse ; elle a beaucoup d’appas,

Mais je puis t’assurer qu’ils ne m’arrêtent pas.

Parmi tant de beautés qui font naître nos flammes

Les unes touchent l’œil et les autres les âmes,

Les unes ont des traits qui savent contenter,

Et les autres en ont qui savent arrêter.

Il est vrai toutefois que j’aime, que j’adore,

Et que tu peux aider un ami qui t’implore.

Tu t’es offert à moi par tant et tant de fois,

Que je te ferais tort si je ne t’employais.

Je me rends trop hardi, mais si je m’en accuse

Ta bonne volonté me servira d’excuse.

TIRSIS.

Ami, si je t’accuse au lieu de t’assister,

Je ne t’accuserai que de complimenter,

Je fuis les compliments, j’en déteste l’usage

Et principalement quand je suis au village.

Quiconque en inventa le discours affecté

Fut sans doute ennemi de notre liberté,

Et je crois qu’aux enfers on ajoute à ses peines

Qu’il entendra toujours de ces paroles vaines.

Cependant aujourd’hui mille petits esprits

Pensent beaucoup savoir quand ils en ont appris.

Les polis de ce temps s’en font une science

Qui s’acquiert aux dépens de notre patience,

Et croiraient faire tort à leurs beaux jugements

Si tous leurs entretiens n’étaient des compliments.

POLIDOR.

Tirsis, n’en parlons plus.

TIRSIS.

Mais quelle est ta Maîtresse ?

POLIDOR.

Dorimène, qu’as-tu ? quelle prompte tristesse,

Quel accident nouveau t’aurait si tôt changé ?

TIRSIS.

Un petit mal de cœur, mais j’en suis allégé.

Est-elle à ton amour favorable ou cruelle ?

POLIDOR.

Je serais indiscret si je me plaignais d’elle.

TIRSIS.

T’aime-t-elle ?

POLIDOR.

Ha Tirsis ! jusqu’à ce triste jour

Ma timidité seule a caché mon amour.

J’ose lui dire tout, excepté que je l’aime :

Mais plus mon feu se cache et plus il est extrême,

Et lorsqu’il entretient ma secrète douleur,

Bien qu’il soit sans éclat il n’est pas sans chaleur.

Peut-être, cher Ami, qu’en aimant Dorimène

Il ne tient qu’à parler pour alourdir ma peine.

Je ne l’ose pourtant, la crainte m’en distrait,

Et je suis trop heureux d’adorer son portrait.

TIRSIS.

Son portrait ! l’as-tu donc ?

POLIDOR.

Oui.

TIRSIS.

De qui.

POLIDOR.

D’elle-même.

TIRSIS.

D’elle-même, comment, il faut donc qu’elle t’aime.

POLIDOR.

Sur mon cœur amoureux ses yeux l’ont crayonné,

Et c’est ainsi, Tirsis, qu’elle me l’a donné.

TIRSIS.

À la fin je t’entends, mais fort peu d’apparence

De sa possession te donne l’espérance.

Son père moins ami des vertus que de l’or

Donnerait-il pour rien ce qu’il croit un trésor ?

Tu connais son humeur, tu sais que l’avarice

Des hommes de son âge est l’ordinaire vice,

Et qu’il semble aujourd’hui qu’il veuille seulement

La marier à l’or qu’il aime uniquement,

Comme si ce métal où l’on met son attente

Pouvait rendre en tout point une fille contente,

Je ne veux point ici te parler à demi,

Si c’est trop franchement au moins c’est en ami ;

Je crois que tu m’entends, toutefois considère

Ce que je puis pour toi, parlerai-je à son père ?

Veux-tu que mon discours fasse éclater l’amour

Que ta timidité n’ose montrer au jour.

POLIDOR.

Si tu voulais pour moi montrer à Dorimène

Que ses yeux ont été les auteurs de ma peine.

TIRSIS.

Ami, je te promets de t’aider au besoin,

Et je veux que ton œil t’en serve de témoin,

Mais quel fruit attends-tu de cette amour extrême.

POLIDOR.

Ami j’en aurai trop si l’on souffre, que j’aime,

Si je puis posséder un bien si précieux,

Je dirai que Tirsis m’a conduit dans les Cieux.

TIRSIS.

Polidor, allons voir si la saison propice

M’offrira les moyens de te rendre service.

POLIDOR.

Tout à l’heure Tirsis.

TIRSIS.

Allons-y de ce pas

J’ai pour toi des desseins que tu n’espères pas.

 

 

Scène III

 

DORIMÈNE, seule

 

Que je reconnais bien en l’ardeur qui m’enflamme,

Que ce qui plaît à l’œil ne déplaît pas à l’âme ;

Polidor à mes yeux s’est montré si parfait

Que mon cœur en ressent le merveilleux effet.

C’est à lui seulement que toutes mes pensées,

Comme au bien que j’attends sont toujours adressées :

C’est pour lui que l’amour a changé mes humeurs,

C’est pour lui que je vis, c’est pour lui que je meurs,

Partout où me conduit ma fortune amoureuse

Si je ne pense à lui je ne suis pas heureuse,

Et j’ai beaucoup de peine à croire que les Cieux

Donnent de plus grands biens que j’en trouve en ses yeux.

Je souffre toutefois et mon plus grand martyre

Me vient de trop aimer, et de ne l’oser dire,

Hélas que c’est un mal bien digne de pitié

Que de n’oser montrer une ardente amitié.

Quand je veux découvrir une amitié si ferme

L’Amour ouvre ma bouche et la honte la ferme :

L’une et l’autre à son tour, l’amour et la pudeur

Me brûlent tous les jours d’une contraire ardeur,

Et dans ce triste état où je suis en servage

L’un m’enflamme le cœur, et l’autre le visage,

Si bien que pour me perdre et l’esprit et le corps

L’un me brûle au-dedans et l’autre par dehors.

Hélas que cet amour dont la force me dompte,

N’est-il dessus mon front aussi bien que la honte,

Pour le moins Polidor, mon aimable vainqueur,

Y lirait aisément ce qu’il fait dans mon cœur.

Triste condition d’une fille amoureuse

Qui pour n’oser le dire est souvent malheureuse !

Dieux qui m’avez conduite en ce triste séjour

Permettez que je sois sans honte ou sans Amour.

 

 

Scène IV

 

TIRSIS, POLIDOR, DORIMÈNE

 

TIRSIS.

Polidor la voilà.

POLIDOR.

Porte-lui ma prière,

Va vite.

TIRSIS.

Cache-toi seulement là derrière.

Il se cache derrière une haie.

Je prépare un discours qui la pourrait toucher

Quand même au lieu d’un cœur elle aurait un rocher.

POLIDOR.

Je puis sans être vu la voir de cette place

Mais je n’entendrai pas ma grâce ou ma disgrâce.

TIRSIS.

Vois ce qu’elle fera, ses seules actions

Te pourront témoigner de ses intentions ;

Je te rapporterai si ta maîtresse t’aime

Aussi fidèlement que ton oreille même.

POLIDOR.

Que l’amour, et tes soins me conduisent si bien

Que j’entre dans son cœur comme elle est dans le mien.

DORIMÈNE voit venir Tirsis.

Ferai-je donc toujours la rencontre importune

D’un qui mène avec lui ma mauvaise fortune ?

TIRSIS.

Que lisez-vous ainsi ?

DORIMÈNE.

Le plus beau des Romans.

TIRSIS.

Si vous voulez savoir la peine des Amants,

Et l’état où les met une belle inhumaine,

Considérez Tirsis, aimable Dorimène.

Si les feintes douleurs qu’un Roman vous fait voir

Vous peuvent jusqu’aux pleurs bien souvent émouvoir,

Et puisqu’en les pleurant vous pleurez pour des fables       

Vous pouvez bien pleurer pour mes maux véritables.

DORIMÈNE.

Je vous ai tant de fois opposé ma rigueur,

Que si vous aimiez bien, vous mourriez de langueur.

TIRSIS.

Porterez-vous toujours le titre de cruelle

Accompagné des noms d’adorable et de belle ?

DORIMÈNE.

Je vous puis assurer qu’il me sera commun

Tant que vous porterez celui-là d’importun.

TIRSIS.

Pour gagner votre amour, dites que faut-il faire.

DORIMÈNE.

Il faut être rien moins que Tirsis pour me plaire.

POLIDOR.

Je n’entends rien, bons Dieux qui voyez mes soucis,

Que son cœur soit touché des discours de Tirsis

DORIMÈNE.

En vain vous espérez en la persévérance.

POLIDOR.

Hélas ! ses actions m’ôtent toute espérance.

Je remarque en son geste, et je vois dans son port

Les signes assurés de ma prochaine mort.

TIRSIS.

Voulez-vous donc enfin commettre une injustice

En privant de loyer mon fidèle service ?

DORIMÈNE.

N’ayant jamais en rien voulu vous employer,

Tirsis, je ne crois pas vous devoir un loyer.

TIRSIS.

Je vois votre dessein, vous voulez que j’apprenne

Que bien souvent l’amour s’achète par la peine.

Hé bien nous souffrirons, et vous direz un jour

Qu’à beaucoup de constance on doit un peu d’amour.

DORIMÈNE.

Ce sera donc alors que les eaux de la Seine

Cesseront de laver les rives de Suresnes ;

Devant que je vous donne un sujet d’espérer

Vous aurez tout loisir d’apprendre à soupirer.

TIRSIS.

Depuis que vos rigueurs font voir ma patience

Vous m’avez bien appris cette triste science,

Et si je devais être à qui la saura mieux

Il prend Dorimène par la main.

Je serais assuré d’un prix si glorieux.

DORIMÈNE.

Cessez de me toucher, ou je quitte la place,

Souffrant un importun on lui fait trop de grâce.

POLIDOR.

Je ne sais que juger d’un si long entretien,

Tirsis parle beaucoup, et je n’espère rien.

TIRSIS.

Faut-il que ce regard m’ôte encore la vie,

Que vos cruels discours m’ont mille fois ravie.

DORIMÈNE, s’en allant.

Si mon regard vous tue et vous met en danger

Je n’ai qu’à vous quitter pour vous en dégager.

TIRSIS.

Ha cruelle !

POLIDOR.

Tirsis, tu fuis sans me rien dire.

TIRSIS.

C’est de peur seulement d’accroître ton martyre.

POLIDOR.

Ami, prononce-moi l’arrêt de mon trépas,

Je le trouverai doux s’il vient de ses appas.

Parle, parle Tirsis.

TIRSIS.

Sache que la cruelle

Si j’excepte les yeux, n’a rien de doux en elle,

La haine toutefois qu’elle conçoit pour nous

Semble lui dérober si peu qu’elle a de doux

J’approuve qu’une fille en pareille partie,

Ajoute à ses beautés un peu de modestie,

Mais je n’approuve point qu’un aspect rigoureux

Fasse du premier coup un Amant malheureux,

Comme un peu de pudeur la peut rendre louable

Trop de rigueur aussi la rend désagréable.

POLIDOR.

Mais que t’a-t-elle dit.

TIRSIS.

Tout ce que peut l’orgueil

Pour blesser un Amant, et le mettre au cercueil.

Tirsis, m’a-t-elle dit, s’il m’aime de la sorte

Il pourra bien mourir de l’amour qu’il me porte.

POLIDOR.

Ha Tirsis ! ha cruelle, un si cruel rapport

Pour te plaire une fois me va donner la mort.

TIRSIS.

J’ai parlé des vertus qui te rendent aimable,

J’ai parlé des rigueurs qui la rendent blâmable

J’ai fait ce que j’ai pu.

POLIDOR.

Cher ami, je le crois.

TIRSIS.

Sache que j’ai parlé de même que pour moi.

Mais elle est insensible, et presque aussi cruelle,

Que ton œil amoureux te l’a fait trouver belle.

Quitte donc cette ingrate, et tu diras un jour

Qu’il vaut souvent mieux croire un ami que l’amour.

POLIDOR.

Je sais que ton conseil me serait profitable,

Mais excuse, Tirsis, l’amour est indomptable.

TIRSIS.

Puisque de ton amour tu veux un autre effet,

Je m’offre à te servir comme j’ai déjà fait.

POLIDOR.

Ha ! tu m’obliges trop, crois qu’en pareille affaire

J’entreprendrai pour toi ce que tu viens de faire.

Et si.

TIRSIS.

Sans compliment, demeurons-en ici,

Tu ne m’obliges point en me parlant ainsi.

POLIDOR.

Si jamais un bel œil te rend son tributaire,

Qu’amour te favorise autant qu’il m’est contraire.

Adieu n’épargne point ce qui dépend de moi.

TIRSIS.

Je ne mérite rien n’ayant rien fait pour toi.

POLIDOR, en s’en allant.

Ta bonne volonté mérite des Empires.

TIRSIS, seul.

C’est pourtant le sujet qui fait que tu soupires.

Si le pauvre abusé savait ce que j’ai fait

Il ne me ferait pas un semblable souhait.

Mais voici Philémon, que dois-je faire ?

 

 

Scène V

 

PHILÉMON, TIRSIS

 

PHILÉMON.

Espère ;

Ta recherche amoureuse est au gré de son père.

Le bonhomme a montré par son ressentiment

Que ton affection lui plaît infiniment.

TIRSIS.

Que je suis redevable au soin que tu veux prendre.

PHILÉMON.

C’est le moindre plaisir que je te voudrais rendre.

TIRSIS.

Tu relèves enfin mon espoir abattu,

Et je me promets tout de ta seule vertu.

Mais pour te divertir, il faut que je te die

Un trait assez plaisant pour une comédie.

PHILÉMON.

De qui.

TIRSIS.

De Polidor ; depuis que je t’attends

C’est à quoi son amour m’a fait passer le temps.

PHILÉMON.

Il est donc amoureux ! de qui ? le peux-tu dire ?

TIRSIS.

Allons nous promener, et je t’en ferai rire,

La peine que tu prends pour moi mérite bien

Que je te donne au moins un plaisant entretien.

 

 

Scène VI

 

LISETTE, FLORICE

 

LISETTE.

Florice, votre humeur un peu trop inconstante

Ne vous permettra pas d’être jamais contente.

C’était hier, Tirsis, aujourd’hui Polidor,

Et quelque autre demain vous plaira mieux encor.

Autrefois pour Tirsis vous fûtes toute en flamme,

Et vous l’aviez toujours dans la bouche et dans l’âme.

FLORICE.

Je le trouve si froid alors que je le vois

Qu’à la fin sa froideur a passé jusqu’à moi.

Lisette, si tout homme est amateur du change

Peux-tu trouver en moi la même chose étrange ?

Mais va voir Polidor, dis-lui que ses appas

Lui font gagner des cœurs lorsqu’il n’y pense pas.

Polidor, diras-tu, mais que lui peux-tu dire

Qui ne semble contraire au bien que je désire ?

Si tu vas maintenant à cet heureux vainqueur

Lui faire de ma part un présent de mon cœur,

Peut-être qu’il croira que cette amour extrême

M’aura fait oublier l’honneur comme moi-même.

LISETTE.

Sans m’employer ici, vous pouvez chaque jour

Par cent moyens divers lui montrer votre amour

Si votre voix ne peut vous rendre ce service

Vos gestes et vos yeux en feront bien l’office :

Florice croyez-moi, les yeux ont le pouvoir

En matière d’amour, de parler et de voir.

FLORICE.

J’ai fait cent fois parler, et mes yeux et mes gestes,

Ils sont de mon amour les signes manifestes ;

J’ai loué Polidor partout où j’ai connu

Que ses perfections le rendaient bien venu,

Tout cela néanmoins n’a rien qui me succède.

LISETTE.

Il faut donc recourir à quelque autre remède.

FLORICE.

Quel.

LISETTE.

Alors qu’il sera près de vous arrêté

Permettez-lui de prendre un peu de liberté.

Quand il voudra toucher ou le sein ou la bouche

Feignant de l’empêcher permettez qu’il les touche.

Pareille privauté que l’on souffrait jadis

Enflamme en moins de rien les cœurs plus refroidis.

Florice, c’est ainsi dans le temps où nous sommes

Que les filles d’esprit savent prendre les hommes.

Combien en voyons-nous partout dedans Paris

À qui ces privautés ont gagnés des maris.

FLORICE.

Pareilles privautés où tu fondes ma gloire

Font croire bien souvent ce qu’on ne doit pas croire.

LISETTE.

Hé bien que ferez-vous ?

FLORICE.

Hélas j’en ai trop fait,

Et de tous mes desseins je ne vois point d’effet.

Il te faut confesser ce que mon imprudence

Destine à Polidor aux jeux et dans la danse ;

Pour lui mieux découvrir mon amoureux ennui.

Si l’on baise en dansant, je ne baise que lui,

Je le choisis toujours, et ma bouche de flamme

Tâche à pousser l’amour jusques dans son âme :

Mais si tu vois par là que je pèche en l’aimant

Sa cruelle froideur m’en sert de châtiment,

Et si mes actions lui montrent que je l’aime

Les siennes me font voir qu’il ne fait pas de même.

LISETTE.

S’il est si difficile et si fort à gagner,

Feignez de vous en rire et de le dédaigner ;

Quand on n’est plus aimé c’est lors qu’on le veut être.

FLORICE.

Loin d’avoir des mépris et les faire paraître,

Je cherche à tout moment les moyens de le voir

Comme le plus grand bien que je saurais avoir.

LISETTE.

Hé bien, il le faut voir.

FLORICE.

Mais il te faut tout dire,

Mon aspect seulement lui donne du martyre,

Aussitôt qu’il me voit il détourne ses pas

De même que l’on fait de ceux qu’on n’aime pas.

LISETTE.

Quittez ce dédaigneux, il est trop insensible.

FLORICE.

Ne me conseille point une chose impossible.

Tâche à me secourir, songe, et je te promets

Le plus beau bavolet que tu portas jamais.

LISETTE.

Où se doit aujourd’hui trouver la compagnie ?

FLORICE.

Je crois que ce doit être aux vignes d’Olénie.

LISETTE.

Celui que vous aimez n’y vient-il pas toujours.

FLORICE.

Nous ne l’avons point vu depuis cinq ou six jours.

LISETTE.

Si je l’y fais venir, vous rendrai-je contente ?

FLORICE.

Tu m’auras mise au but, où vise mon attente.

LISETTE.

Il faut que dans une heure il croie assurément

Que quelque autre que vous en a fait son Amant,

Et que si sur le soir il vient dans cette vigne

De tous les beaux sujets il verra le plus digne.

Ainsi vous pourrez voir ce qui vous est si cher.

FLORICE.

Il faut donc dire un nom qui le puisse toucher,

Et de quelqu’une enfin qui n’y puisse pas être.

LISETTE.

En cela mon esprit se fera reconnaître,

Je ferai tout si bien qu’outre le bavolet

Vous m’offrirez encor de quoi faire un collet.

FLORICE.

Mais quel nom prendrons-nous.

LISETTE.

À propos Dorimène

Doit me semble aujourd’hui s’en aller de Suresnes :

Sa mère ce matin a pris congé de vous.

Servons-nous de son nom.

FLORICE.

Enfin je m’y résous.

LISETTE.

Elle a de si grands biens, elle paraît si belle

Qu’il serait sans esprit s’il n’y venait pour elle :

Ce n’est pas toutefois à parler franchement

Que vous n’ayez de quoi contenter un Amant.

Voici son vigneron. Adieu.

FLORICE.

Mais soit discrète.

 

 

Scène VII

 

LISETTE, GUILLAUME

 

LISETTE.

Guillaume, attends un peu.

GUILLAUME.

Que me veux-tu Lisette ?

LISETTE.

Je te voudrais charger d’un secret important

Qui regarde ton maître, et le rendra content.

GUILLAUME.

Je suis assez chargé des raisins que je porte

Sans qu’on me vienne encor charger d’une autre sorte.

LISETTE.

Les vendanges n’ont pas pour beaucoup t’occuper.

GUILLAUME.

On ne vendange pas, on ne fait que grapper.

Jamais la vigne ingrate aux soins d’une personne

Ne nous paya si mal des façons qu’on lui donne.

Mon ventre en un besoin servirait de tonneau

Pour être la prison de tout le vin nouveau.

 

 

ACTE II

 

 

Scène première

 

POLIDOR, GUILLAUME

 

POLIDOR.

N’aurais-tu point songé ce que tu viens de dire ?

GUILLAUME.

Ce n’est pas avec vous que je me voudrais rire.

Je dis la vérité, j’en lèverais la main,

Et je respecte ceux dont je mange le pain.

POLIDOR.

Le rapport de Tirsis m’empêche de te croire.

GUILLAUME.

Si je mens d’un seul mot je ne veux jamais boire,

Oui, Lisette m’a dit que cet objet divin

Vous aime cent fois plus que je n’aime le vin.

Et que pour vous montrer son amour infinie,

Dorimène doit être aux vignes d’Olénie.

POLIDOR.

Je te croirais, Guillaume, et Tirsis n’a rien fait !

GUILLAUME.

Ne vous étonnez point s’il n’a pas eu d’effet

Monsieur, du premier coup on ne fend pas les marbres,

Et du premier effort on n’abat pas les arbres.

POLIDOR.

Va, ne perds point le temps qui te peut rendre heureux.

GUILLAUME.

Pour le perdre, Monsieur, il faut être amoureux.

POLIDOR.

Retourne à ton travail.

GUILLAUME.

Gardez d’aller au vôtre,

Le métier d’amoureux vaut bien moins que le nôtre.

POLIDOR, seul.

Que j’ai peu d’espérance, et beaucoup de soucis,

Le moyen d’accorder, et Guillaume, et Tirsis ?

L’un me parle d’amour, l’autre parle de haine,

Et l’un et l’autre enfin me donnent de la peine.

L’on me fait espérer quand j’ai désespéré,

Mais je n’ai point de bien qui me soit assuré,

Et dans ce triste état où mon âme est contrainte,

Je n’ai rien de certain que les maux et la crainte.

J’approche de la vigne.

 

 

Scène II

 

FLORICE, OLÉNIE, POLIDOR

 

FLORICE.

Ha voici mon Amant !

Amour, fais lui sentir combien j’ai de tourment,

Et si pour le brûler tu n’as assez de flamme

Prends un peu de ces feux que tu mis dans mon âme.

OLÉNIE.

Est-ce donc Polidor qui paraît à nos yeux,

C’est miracle, Monsieur, de vous voir en ces lieux.

POLIDOR.

Si c’était un miracle, agréable Olénie,

J’en ferais tous les jours en votre compagnie,

Et le triste entretien en quoi je suis savant

Ferait dire bientôt que j’en fais trop souvent.

FLORICE.

Ceux qui de même vous sont remplis de mérites

Ne peuvent pas donner d’importunes visites.

POLIDOR.

Sachant qu’auprès de vous je n’ai rien mérité

Je dois ces bons discours à votre honnêteté.

FLORICE.

Mais n’aperçois-je pas Doripe et Dorimène ?

 

 

Scène III

 

OLÉNIE, DORIPE, DORIMÈNE, FLORICE, POLIDOR

 

OLÉNIE.

Je ne vous croyais plus bourgeoise de Suresnes :

Vous deviez ce matin retourner à Paris.

DORIPE.

Il nous faut recevoir la loi de nos maris.

Le mien un peu fâcheux a remis ce voyage

Qui nous eût pour deux jours éloignés du village,

Enfin nous revenons participer au bien

Que nous donne partout votre aimable entretien.

OLÉNIE.

Ne m’en dites pas tant, je suis sujette à croire

Ce qui me peut donner un peu de vaine gloire.

Mais entrons dans la vigne, et que secrètement

Je vous puisse parler l’espace d’un moment.

FLORICE.

Ô cruel accident, vers elle il s’achemine ;

Polidor s’approche de Dorimène.

Il parle, elle l’écoute, et se font bonne mine.

DORIPE, à sa fille.

Attendez-nous ici, ne vous éloignez pas.

FLORICE.

Ô terre, en ma faveur creuse-toi sous leurs pas.

Je ne puis plus les voir.

DORIMÈNE.

Quoi Florice !

FLORICE, en s’en allant.

Une affaire

M’appelle en un endroit où je suis nécessaire.

Je viens tout à propos de m’en ressouvenir :

Mais voilà Polidor pour vous entretenir.

POLIDOR.

Quand même par des vœux offerts en sacrifice

À me récompenser j’aurais contraint Florice,

Elle ne pourrait pas me récompenser mieux,

Qu’en me laissant tout seul en ces aimables lieux.

C’est ici qu’autrefois la divine Arténice

Du parfait Alcidor recevait le service,

Et c’est au même endroit que je suis glorieux

De vous offrir un cœur que gagnèrent vos yeux.

Ne vous étonnez pas d’un discours qui vous touche,

L’œil vous a cent fois dit ce que vous dit la bouche,

Et depuis que je sers vos attraits tous divins

L’on a serré deux fois et les blés et les vins.

Mais hélas ! vos rigueurs m’ont ôté l’espérance

Qui donnait de la force à ma persévérance,

Et vos perfections m’ont réduit à ce point

De vous aimer toujours et de n’espérer point.

DORIMÈNE.

Polidor, ces discours à quelque autre agréables

Sont bien plus obligeants qu’ils ne sont véritables,

Mais par quelles rigueurs ai-je empêché l’espoir

Que vos perfections vous permettent d’avoir.

De quelles cruautés pourrais-je être blâmée

Si je n’ai jamais su que vous m’ayez aimée ?

POLIDOR.

Tirsis vous a montré ce matin mes langueurs,

Et par vos actions j’ai connu vos rigueurs

DORIMÈNE.

Tirsis m’en a parlé ! cet importun qui m’aime

M’a tenu des discours seulement de lui-même.

POLIDOR.

Ô Dieux ! que dites-vous ? si j’ai reçu du mal

Fallait-il autre chose attendre d’un rival ?

Il s’en repentira, cet ami détestable

Dont la peine me cause un tourment véritable.

DORIMÈNE.

Si vous ne respirez que mon contentement

Vous feindrez d’ignorer ce triste événement.

Et si j’ai dessus vous une entière puissance

Faites en voir l’effet par votre obéissance.

Je ne veux pas qu’Amour votre commun vainqueur

Fasse éclater ses feux ailleurs qu’en votre cœur.

Tirsis est bien puni par l’excès de ma haine

Et je vous venge assez en le mettant en peine.

POLIDOR.

De même que le cœur vous me liez les mains,

Vous me vengez beaucoup avecques vos dédains :

Mais que cette vengeance à mon gré serait grande

Si vous m’aviez donné l’amour qu’il vous demande.

DORIMÈNE.

Il suffit Polidor, que vous ayez appris

Qu’on ne venge que ceux qu’on n’a pas à mépris.

POLIDOR.

Que mon secret tourment recevra d’allégeance

Si vous prenez longtemps le soin de ma vengeance.

DORIMÈNE.

Mais ma mère revient ; nous nous verrons ce soir.

POLIDOR.

N’ayant point d’autre bien que celui de vous voir,

Si je ne vous vois pas comme j’en ai envie

La seule impatience aura fini ma vie.

DORIPE.

L’on nous attend chez nous, il s’en faut retourner.

POLIDOR.

Serai-je assez heureux pour vous y ramener.

DORIPE.

Vous autres jeunes gens, qui cherchez les gentilles

Vous ne nous caressez qu’à cause de nos filles.

Et la vieille aujourd’hui qui le croit autrement

À mon opinion a peu de jugement.

 

 

Scène IV

 

FLORICE, LISETTE

 

FLORICE.

Que ferai-je Lisette, en ce malheur extrême,

Et qui pourra m’aider si je me nuis moi-même :

Polidor est venu, mais la rigueur du sort

A voulu que ce soit pour me donner la mort.

Toute notre industrie à moi seule fatale

Lui donne une maîtresse à nous une rivale,

Et notre invention n’a servi seulement

Qu’à le combler de bien comme moi de tourment.

Lisette, je l’ai vu caresser Dorimène,

Leurs gestes exprimaient une amoureuse peine,

Et leurs regards mourants par de douces langueurs

Faisaient voir en secret l’échange de leurs cœurs.

L’on eût dit que l’ingrat lui donnait des caresses

Seulement à dessein d’accroître mes tristesses,

Et que ces deux Amants ne se touchaient la main

Que pour faire un complot de me percer le sein.

Mais je me vengerai sans l’aide de personne

Et le priverai du bien que je lui donne.

LISETTE.

N’appelez point Amour ce peu de liberté,

Qui n’est qu’un pur effet de la civilité.

Puisqu’il venait pour elle, il était raisonnable

Qu’il tâchât pour le moins à se rendre agréable,

Et qu’enfin Dorimène en eût cet entretien

De qui vous espériez recevoir tout le bien.

FLORICE.

N’appelez point devoir une amour trop connue,

Leur âme malgré moi m’a paru toute nue ;

Ils s’aiment, cesse donc de flatter mon ennui,

Quiconque a de l’amour le connaît en autrui.

LISETTE.

Le trait serait plaisant s’il était véritable.

FLORICE.

Dis que s’il était vrai je serais misérable.

LISETTE.

Pour votre allégement croyez donc qu’il est faux

Souvent l’opinion fait ou finit nos maux.

Mais enfin s’il est vrai qu’au mépris de la peine,

Polidor amoureux adore Dorimène,

Ce n’est pas le moyen de l’attirer à vous

Que de lui dérober ce qu’il a de plus doux.

FLORICE.

Que je l’attire ou non, je serai soulagée

Alors que je saurai que je me suis vengée ;

Mais ne pourrais-je pas t’accuser justement

De n’avoir pas prévu ce triste événement !

LISETTE.

Pensez-vous qu’on prévoie une telle aventure,

De même qu’on prévoit le chaud ou la froidure ?

Vous avez désiré le plaisir de le voir,

Vous l’avez demandé, je vous l’ai fait avoir ;

Mais puisque de tout point l’affaire vous regarde

C’était à mon avis à vous d’y prendre garde

Pour moi je vous dirai ce que j’ai dans l’esprit

Et que dedans Paris une Dame m’apprit.

Lisette, me dit-elle, en ce temps où nous sommes

Pour te faire estimer, n’estime point les hommes ;

Si tu veux toutefois approuver leur amour,

Aime deux, trois amants, et fais-en chaque jour,

N’aie point d’autres soins que pour cet exercice.

Pour y mieux réussir emprunte l’artifice,

On ne peut trop avoir de ces biens inconstants

Dont la perte se fait toujours en peu de temps.

Florice, c’est ainsi que parlait cette Dame.

J’aime fort ses leçons.

FLORICE.

Et pour moi je les blâme,

Mais qu’en infères-tu ?

LISETTE.

Qu’il vous faut à ce coup

En abandonner un pour en avoir beaucoup.

Au lieu que vous cherchez vous serez recherchée.

FLORICE.

Laisse-moi dans les fers où je suis attachée,

Avoir beaucoup d’amants, ce n’est pas en avoir.

LISETTE.

Mais n’en avoir qu’un seul montre peu de pouvoir,

L’on juge qu’une fille a beaucoup de mérite

Par le nombre d’Amants que l’on voit à sa suite         

FLORICE.

Moi, je croirais avoir de parfaites beautés

Si je pouvais d’un seul gagner les volontés.

LISETTE.

Moi qui suis d’une humeur un peu plus difficile

Je n’en aurais pas trop quand j’en aurais dix mille.

Lorsqu’on a ce malheur de n’avoir qu’un Amant,

La crainte de le perdre afflige incessamment :

Enfin considérez sans vous mettre en colère

Que plus on a de mets, on fait meilleure chère.

Quoi que vous disiez du rare Polidor,

Avoir beaucoup d’Amants c’est avoir un trésor.

L’un nous fait des présents, l’autre nous rend service,

Un autre si l’on veut fait un autre exercice.

FLORICE.

Crois que ce n’est pas là le bonheur que j’attends,

Les discours que tu perds me font perdre le temps.

LISETTE.

Qu’avez-vous résolu.

FLORICE.

D’empêcher Dorimène

De chérir plus longtemps le sujet de ma peine.

Je vais faire une lettre où son père apprendra,

(S’il n’y songe bientôt) l’amour qui la perdra.

À la bien déguiser je serai si subtile

Que j’y veux méconnaître et ma main et mon style.

Elle sera sans nom.

LISETTE.

Florice je le crois.

FLORICE.

Mais qui la portera.

LISETTE.

Ce ne sera pas moi.

FLORICE.

Alors qu’en son jardin personne ne travaille

Nous la pourrons jeter par-dessus la muraille,

Si bien que le premier qui la rencontrera

La fera voir au père et nous obligera.

LISETTE.

Vous la cachetterez, vous y mettrez l’adresse.

FLORICE.

Où l’amour ne peut rien usons de la finesse.

 

 

Scène V

 

CRISÈRE, DORIPE

 

CRISÈRE.

Le parti me plaît fort, le bien qu’en dites-vous ?

Rejetez-vous Tirsis qui vient s’offrir à nous ?

Je n’ai pour aujourd’hui remis votre voyage

Qu’afin de vous parler touchant ce mariage.

DORIPE.

Tirsis est honnête homme, et les commodités

Accompagnent fort bien ses bonnes qualités,

Sa façon est aimable, il faut que je l’avoue,

Et sa gentille humeur mérite qu’on le loue,

Mais.

CRISÈRE.

Que voulez-vous dire avec votre mais ?

C’est un point arrêté ne m’en parlez jamais.

Ne quitterez-vous point cette humeur difficile ?

Mais c’est parler en vain ce sexe est indocile,

Et c’est avec raison qu’on dit communément

Qu’il n’est bon qu’en un lit et dans un monument.

Afin qu’en peu de temps notre bien se consomme

Vous désirez pour gendre avoir un gentilhomme ?

DORIPE.

Quoique vos sentiments soient opposés au mien,

Ce désir est permis alors qu’on a du bien.

On ne saurait trouver de plus grande richesse

Qu’en la possession de la seule noblesse.

Ce bien toujours aimable et toujours plein d’appas

Ne dépend pas du sort parce qu’il n’en vient pas.

Il élève nos noms bien plus haut que les nues,

Il donne de l’éclat aux maisons inconnues.

CRISÈRE.

Quel est le Courtisan qui vous fait ces leçons ?

Et qui vous entretient de ces belles chansons :

Vous ne dites cela que pour me faire rire.

DORIPE.

Comme je le voudrais, je viens de vous le dire.

CRISÈRE.

On verrait bien plutôt le Soleil sans clarté,

Que l’esprit d’une femme exempt de vanité.

DORIPE.

Sans doute Palmédor épousant notre fille

Serait un ornement pour toute la famille.

CRISÈRE.

Je ne permettrai point que ma fille ait d’amant

Qui n’ait jamais eu d’or qu’en son nom seulement.

Cette noblesse seule est un faible avantage,

On ne se nourrit pas d’un pareil héritage,

Et malgré les leçons que vous fait Palmédor

Un homme est assez noble alors qu’il a de l’or.

On l’aime, on le respecte, on souffre ce qu’il ose

S’il sait garder son or, il sait beaucoup de chose.

Enfin pour se parer de la nécessité

L’or en bourse vaut mieux que le fer au côté.

DORIPE.

Si vous n’aviez déjà l’âme préoccupée,

Vous diriez que les biens se gardent par l’épée.

CRISÈRE.

Puisque sans son secours je les ai su garder

Je les saurai sans elle encore posséder.

DORIPE.

C’est toujours un bonheur que nul autre n’efface,

Que de pouvoir nombrer des nobles en sa race.

CRISÈRE.

Sans nous entretenir de discours ennuyeux,

Il vaut bien mieux nombrer son or que ses aïeux.

Ne m’en parlez donc plus ; tout homme raisonnable

Ne se doit allier qu’avecque son semblable ;

La nature l’apprend, et nous montre ce point,

La colombe jamais à l’aigle ne se joint,

L’alliance d’un noble a fait souvent connaître

Qu’en le prenant pour gendre on se donne son maître.

DORIPE.

Pensez-vous que ma fille approuve votre choix ?

CRISÈRE.

Ne la cajolez point, ou si je le savais.

DORIPE.

C’est à vous d’ordonner, à moi de me soumettre.

 

 

Scène VI

 

DORIMÈNE, CRISÈRE, DORIPE

 

DORIMÈNE.

Passant par le jardin j’ai trouvé cette lettre.

Elle s’adresse à vous.

CRISÈRE.

Il faut voir ce que c’est.

Ne la détournez point d’un dessein qui me plaît.

DORIPE.

Ne craignez point cela, je parle des vendanges,

Que l’âge met un homme en des humeurs étranges !

CRISÈRE.

Dorimène approchez, et voyez cet écrit.

DORIMÈNE.

Hé Dieux !

CRISÈRE.

Enfin je vois jusques dans son esprit,

Elle aime Polidor cette jeune indiscrète,

Et voici le témoin de leur amour secrète.

DORIPE.

Qui l’eût jamais jugé !

DORIMÈNE.

Mais qui pourrait juger

Que n’étant pas à moi je me pusse engager ?

Je dépends trop de vous, et je suis trop heureuse

D’être de vos conseils seulement amoureuse.

CRISÈRE.

Aimer sans notre avis, et choisir un muguet

Qui n’a pour tout son bien que beaucoup de caquet !

Ha que ces cajoleurs de femmes et de filles

Apportent d’infamie aux meilleures familles !

Ce sont de vrais serpents en hommes transformés

Qui donnent de beaux fruits qui sont envenimés.

Ne le voyez jamais, détestez son approche

De même qu’un vaisseau fuit celle d’une roche,

Ne hantez plus les siens, je saurai mieux que vous

Alors qu’il sera temps vous choisir un époux.

Songez à m’obéir, et mettez votre étude

À chasser votre amour, et mon inquiétude,

Ou j’apprendrai bientôt à votre esprit blessé

Que Longchamp est plus près que vous n’avez pensé.

DORIMÈNE.

Ô fille infortunée, infidèle à moi-même

De qui me dois-je plaindre en ce malheur extrême ?

Et qui dois-je accuser de mes maux inhumains

Si le coup qui me blesse est venu de mes mains ?

Je me suis de liens moi-même revêtue ?

J’ai donné le poignard à celui qui me tue,

J’ai forgé, j’ai bâti mes fers et ma prison,

Et je me suis moi-même apprêté le poison.

Ô funeste jardin, ô jardin redoutable

Qui me fais recueillir un fruit si détestable,

Hélas je puis bien dire en me noyant de pleurs

Que je viens de trouver un serpent sous les fleurs.

Mais quel est le Démon qui découvre ma flamme ?

Mon discours, ou mes yeux ont-ils trahi mon âme,

Ou par mes actions ai-je montré l’Amour,

À qui jusques ici j’ai refusé le jour ?

Mais dois-je m’étonner d’apprendre qu’on le sache,

Si l’Amour est un feu le moyen qu’il se cache !

Ha voici Polidor, qui vient m’entretenir,

Dieux fuirai-je mon bien quand je le vois venir.

 

 

Scène VII

 

POLIDOR, CRISÈRE, DORIMÈNE

 

POLIDOR.

Hé bien ! Mais qu’avez-vous ? ma visite importune

Vous est-elle un sujet de mauvaise fortune ?

Si je vous ai déplu, je suis prêt à périr,

Commandez-moi mon cœur de vivre ou de mourir,

D’une ou d’autre façon il est en ma puissance

De montrer mon Amour par mon obéissance.

DORIMÈNE.

Hélas si vous m’aimez, que mon triste discours

Va joindre de tourments avecques vos Amours !

Mais pour vous témoignez que votre Dorimène

N’a jamais consenti que vous fussiez en peine,

Je jure Polidor que depuis douze mois

Sans que vous l’ayez su, j’ai vécu sous vos lois.

Et si je ne voulais vous conserver encore

Je ne vous dirais pas que ce cœur vous adore,

Je ne vous dirais pas que ce cœur enflammé

Fut heureux jusqu’ici de vous avoir aimé ;

La honte maintenant sur mon visage peinte

Défendrait à l’Amour et les pleurs et la plainte,

Mon discours est hardi : mais la nécessité

M’excuse devant vous de cette liberté.

POLIDOR.

Vous qui tenez un rang entre les plus parfaites

Ne vous excusez point du bien que vous me faites.

Mais puisque vos discours ont disposé mon cœur

À recevoir les coups de la même rigueur,

Parlez, ne feignez plus seul objet que j’adore,

Mes maux seront légers, si vous m’aimez encore,

Votre seule amitié me donne plus de biens

Que l’Enfer ne pourrait me faire de liens.

DORIMÈNE.

Je ne vous dois plus voir : mon père impitoyable

En vient de prononcer l’Arrêt irrévocable.

POLIDOR.

Vous voulez m’éprouver.

DORIMÈNE.

La tristesse où je suis

Sans feindre d’autres maux me donne assez d’ennuis.

POLIDOR.

Triste et cruel effet du sort qui m’accompagne

Faut-il que je vous perde au point que je vous gagne,

Ô bonheur sans pareil que j’ai si peu gardé

Qu’à peine il me souvient de l’avoir possédé !

Si je ne puis parler, ne puis-je pas écrire ?

DORIMÈNE.

Sa seconde défense augmente mon martyre,

Car les commandements qu’il m’a faits sans raison

Me défendent de voir ceux de votre maison.

Pour moi qui crains surtout d’allumer sa colère,

Je voudrais vous aimer et toutefois lui plaire.

POLIDOR.

Tirsis m’a fait sans doute un si perfide tour,

Et par lui votre père a connu mon Amour.

DORIMÈNE.

Sur peine de me perdre après cette disgrâce

Ne lui parlez jamais de tout ce qui se passe,

Feignez qu’il est toujours entre vos plus chéris,

On médit à Suresnes aussi bien qu’à Paris.

POLIDOR.

Permettez qu’un seul coup punisse un double outrage.

DORIMÈNE.

Montrez-moi de l’Amour plutôt que du courage.

POLIDOR.

Qui dispose du cœur peut disposer du bras.

DORIMÈNE.

Le Ciel qui venge tout ne vous oubliera pas.

POLIDOR.

Mais je viens de trouver un moyen pour écrire

Sans que les plus subtils y trouvent rien à dire.

DORIMÈNE.

Comment donc ?

POLIDOR.

Je feindrai d’aimer auprès d’Auteuil.

Une jeune beauté qui me fait bon accueil,

Philis sera son nom.

DORIMÈNE.

Je ne vous puis comprendre.

POLIDOR.

Quatre mots seulement me peuvent faire entendre,

Sous ce nom de Philis, je traiterai des vers

Que je saurai donner en mille endroits divers,

Tant de monde en aura partout dans le village

Que vous les pourrez voir sans donner de l’ombrage,

Là vous reconnaîtrez que ma fidélité

Semblable à vos beautés n’a rien de limité

Vous y verrez mes feux, vous y lirez les plaintes

Que fait pousser l’absence aux âmes bien atteintes :

Vous y verrez enfin que l’amour triomphant

Est si grand dans mon cœur qu’il cesse d’être enfant.

Mais servons-nous ici du secours de Lisette

Puisqu’elle sait déjà notre amitié secrète.

DORIMÈNE.

Elle la sait !

POLIDOR.

Au moins elle m’a fait savoir

Qu’aux vignes aujourd’hui vous désiriez me voir,

Et je vous ai montré par mon obéissance

Combien je fais état d’être en votre puissance.

DORIMÈNE.

De qui l’a-t-elle su ? vous m’étonnez.

POLIDOR.

Je crois.

Qu’elle l’a pu savoir de vous-même.

DORIMÈNE.

De moi !

Croyez qu’elle fait voir à beaucoup qu’elle abuse

Qu’aux champs comme à la ville on voit régner la ruse.

POLIDOR.

Je lui dois toutefois le bien que j’ai reçu

Puisque j’ai profité de ce que j’en ai su.

DORIMÈNE.

Ne lui parlez de rien, vous pourriez vous instruire

Qu’elle vous a servi seulement pour vous nuire.

POLIDOR.

Je vous croirai Madame, et serai satisfait

Si mon premier dessein rencontre un bon effet.

DORIMÈNE.

Que j’aurai de bonheur, si le Ciel secourable

Nous donne en ce dessein un succès favorable.

CRISÈRE.

Dorimène rentrez, il fait beau voir si tard

Avec ces cajoleurs une fille à l’écart

 

 

ACTE III

 

 

Scène première

 

TIRSIS, PHILÉMON

 

TIRSIS.

Que me sert Philémon, l’affection du père

Si la fille me perd lorsqu’il veut que j’espère ?

Hélas je suis réduit à ce malheureux point ;

Que je tourne sans cesse et je n’avance point ;

L’ingrate me condamne à mourir dans la flamme

Que l’éclat de ses yeux allume dans mon âme,

Et son dédain m’apprend que le nom d’Amoureux

N’est jamais éloigné du nom de malheureux.

Enfin elle me tue, et j’en suis idolâtre.

PHILÉMON.

Vous souffrez justement pour être opiniâtre ;

Vous l’allez appeler afin de vous guérir,

Et vous avez en vous de quoi vous secourir ;

Vous avez la raison servez-vous de son aide

Et n’allez pas ailleurs rechercher un remède.

L’on a toujours blâmé ces esprits dédaigneux

Qui vont chercher ailleurs ce qu’on trouve chez eux.

Considérez enfin ce secours véritable,

Il ne tiendra qu’à vous qu’il ne soit profitable.

TIRSIS.

En vain tes sentiments s’opposent à mes vœux,

Tes discours sont ses vents qui font croître mes feux,

Et non pas un remède à l’excès de ma peine.

PHILÉMON.

Pour guérir, vous voulez le cœur de Dorimène,

Vous désirez l’amour de ce sexe inconstant,

Comme le plus grand bien que votre esprit attend,

Mais si pour l’acquérir bien souvent on se gêne,

À se le conserver on n’a pas moins de peine,

Si bien qu’un pauvre Amant est toujours malheureux

Soit qu’un bel œil le flatte ou lui soit rigoureux.

TIRSIS.

L’Amour ingénieux à donner des supplices

Nous fait même en souffrant rencontrer des délices,

Et l’on ne trouva point de véritable Amant

Qui n’estime les fers qu’il supporte en aimant.

Dorimène est l’objet de ma flamme éternelle,

Pour elle j’ai souffert, je souffrirai pour elle.

PHILÉMON.

Mais que vous servira de vous gêner encor

Si vous n’ignorez pas qu’elle aime Polidor.

TIRSIS.

Son père l’a pour moi banni de sa famille.

PHILÉMON.

Il ne l’a pas banni de l’esprit de sa fille.

TIRSIS.

La défense d’aimer, qu’il lui fait tous les jours,

Surmontera bientôt de si faibles Amours.

PHILÉMON.

Apprenez aujourd’hui qu’en un jeune courage

La défense d’aimer fait aimer davantage,

Et qu’Amour qui retient la nature d’enfant

Demeure opiniâtre à ce qu’on lui défend.

TIRSIS.

Je sais que Polidor l’a depuis peu laissée,

Et qu’un autre sujet occupe sa pensée,

Ami, si Dorimène apprend ce changement

Je n’en puis espérer que du soulagement.

Mais je vois Polidor.

 

 

Scène II

 

POLIDOR, GUILLAUME, TIRSIS, PHILÉMON

 

POLIDOR.

Fais un tour dans Suresnes

Et ce que tu pourras pour y voir Dorimène.

Cours, vole.

GUILLAUME.

Que je vole ! à vous en bien parler

Les oiseaux comme moi ne sont pas pour voler.

POLIDOR.

Mets-lui ce mot en main, et faites en telle sorte

Qu’on ne surprenne point celui-là qui le porte.

GUILLAUME.

Que ma condition se relève en un jour

D’être de vigneron fait messager d’Amour !

POLIDOR.

N’ont-ils point entendu ce que nous devons taire ?

GUILLAUME.

Ils sont trop éloignés, adieu, laissez-moi faire.

TIRSIS.

Devons-nous l’accoster après ce que j’ai fait ?

PHILÉMON.

Il s’approche de nous.

POLIDOR.

Je les trouve à souhait.

PHILÉMON.

Où s’en va Polidor ?

POLIDOR.

Je vais voir.

PHILÉMON.

Dorimène.

POLIDOR.

Je ne plus d’humeur à me nourrir de peine.

Je déteste l’amour quand il donne des pleurs,

Et je ne le suis point s’il ne donne des fleurs.

L’Amour est autrement le supplice da l’âme

Son feu n’est dans les cœurs qu’une infernale flamme,

Enfin si le plaisir ne le suit en tout lieu

C’est un petit Démon et non pas un grand Dieu.

TIRSIS.

Vous êtes bien changé.

POLIDOR.

Je serais sans courage

Si j’aimais plus longtemps aux lieux où l’on m’outrage.

PHILÉMON.

Vous aimez toutefois.

POLIDOR.

Oui, mais j’aime en des lieux

Où je suis mieux reçu que ne seraient les Dieux.

J’aime devers Auteuil une beauté divine,

Et c’est là que la rose est pour moi sans épine,

Et c’est là que l’amour sans dessein de blesser

Ne se sert point des traits qui peuvent offenser.

Je veux sur ce sujet vous montrer quelques rimes

Qui sont de mon Amour les premières victimes.

Je les allais offrir à l’aimable beauté

Qui retient sous ses lois mon esprit arrêté.

TIRSIS.

Polidor est Poète.

POLIDOR.

Amour m’a fait connaître

Qu’un véritable Amant est tout ce qu’il veut être ;

Mais si je fais des vers c’est pour me faire aimer,

Et non pas Philémon pour me faire estimer,

Le nombre est assez grand de ces mélancoliques,

Qui cherchent par leurs vers des louanges publiques.

PHILÉMON.

Il est vrai qu’en ce temps où tout va de travers

On voit plus de rimeurs qu’on entend de bons vers,

Tel se croit habile homme en cet art qu’il embrasse

Qui tient plus du cheval que du Dieu de Parnasse.

TIRSIS.

Mais montre-nous tes vers.

POLIDOR.

S’ils ne sont excellents

Ils ne parlent pas mal de mes feux violents.

TIRSIS lit les vers de Polidor.

Philis, unique bien que mon âme souhaite,

Si mes vers n’ont point d’ornement,

Je n’affectai jamais le titre de Poète

Mais celui de parfait Amant.

Je trouve dans mes fers le comble de ma gloire,

Je me plais d’y perdre mon cœur,

Bien que je sois captif dessous votre victoire

Je crois pourtant être vainqueur.

Si souvent aux soupirs la passion m’engage

Ce n’est que pour vous assurer

Qu’ayant beaucoup d’Amour j’en sais tout le langage

Qui consiste à bien soupirer.

Un Dieu viendrait m’offrir sa divinité même

En échange de mon Amour,

Que mon cœur orgueilleux de savoir que l’on m’aime

Lui demanderait du retour.

Mais si je suis superbe en vous donnant des larmes

Et quand je me sens consumer,

Que j’aime mieux être homme en adorant vos charmes

Que d’être Dieu sans vous aimer.

J’aime mieux vous donner des vœux et des offrandes

Que d’en recevoir d’un mortel.

Soyez donc ma déesse écoutez mes demandes

Et mon cœur sera votre Autel.

POLIDOR.

Hé bien qu’en dites-vous ? Pour le moins je m’exprime

Et ne me contrains point pour aller à la rime.

TIRSIS.

Ces vers me semblent bons.

PHILÉMON.

Mais ce mot vous plaît-il ?

POLIDOR.

Ne me censurez point pour paraître subtil.

TIRSIS.

Il est de ces censeurs dont les langues hardies

Sont souvent le seul mal qu’on trouve aux comédies.

PHILÉMON.

À propos, l’autre jour je m’y trouvai surpris,

Et comme prisonnier entre ces beaux esprits :

La pièce qu’on jouait était incomparable,

Les plus judicieux la trouvaient admirable :

Toutefois ces rimeurs moins doctes qu’envieux

N’y pouvaient rien trouver qui ne fût ennuyeux

L’un faisait de l’habile (et pour moi je m’en moque)

L’autre disait tout haut cette rime me choque,

Ce mot n’est pas Français, et m’étonne comment

On lui vient de donner tant d’applaudissement

Ainsi parlent ces gens dont l’esprit populaire

Ne saurait rien souffrir comme il ne peut rien faire.

POLIDOR.

Tirsis, rend-moi ces vers.

TIRSIS.

Cher ami Polidor,

Je les veux conserver de même qu’un trésor.

POLIDOR.

Rends-les moi je te prie, il faut que je vous quitte,

Et qu’envers ma Philis cette rime m’acquitte.

TIRSIS.

S’ils n’étaient pas si bons, tu les pourrais avoir.

POLIDOR.

Il faut donc les récrire, adieu jusqu’au revoir.

TIRSIS.

Ami voici de quoi détromper Dorimène,

Et j’ai dans ce papier un remède à ma peine.

POLIDOR.

Pauvre Amant abusé tu n’as donc pas appris

Que je t’allais donner les vers que tu m’as pris,

Et qu’en les demandant, moi-même, j’appréhende

Que ta discrétion accorde ma demande.

S’il ne porte aujourd’hui son tourment dans le sein

Je suis bien assuré qu’il le porte en sa main,

Il va montrer ces vers à l’œil qui nous captive

Mais pour m’en assurer, il faut que je le suive,

Dieux qui pourrait me nuire et me désobliger,

Si même mon rival se rend mon messager.

 

 

Scène III

 

GUILLAUME, seul

 

Auprès de ce coteau Dorimène sommeille

Il faut que je l’aborde et que je la réveille,

Ou que secrètement poursuivant mon dessein

Je lui coule ce mot jusque dedans le sein,

Son père est dans sa vigne, ha que n’est-il possible

Que pour un seul instant je me rende invisible,

Je me contenterais et Polidor aussi,

Mais j’aperçois Tirsis qui s’approche d’ici.

Il faut que je me cache attendant qu’il s’en aille.

 

 

Scène IV

 

TIRSIS, GUILLAUME, POLIDOR

 

TIRSIS.

Ne souffre plus Amour qu’en vain je me travaille

Pour montrer un effet de ta divinité.

Change le cœur ingrat d’une pire beauté.

Mais je la vois qui dort, cette belle rétive,

Et j’ai sous mon pouvoir celle qui me captive :

À voir près des raisins l’œil qui nous a vaincus

L’on dirait que Cypris visite ici Bacchus.

Approche-toi Tirsis, ne redoute personne,

Chacun peut s’emparer d’un bien qui s’abandonne ;

D’un bien qui s’abandonne ! hélas, son seul aspect

Pour le garder ici fait naître le respect,

Et par les traits nouveaux, dont je sens la menace,

Je vois bien que l’Amour veille auprès tant de grâce.

GUILLAUME, caché dans une vigne.

Le pauvre homme ressemble à ce bon messager

Qui voyait de bons mets et qui n’osait manger.

TIRSIS.

Le Soleil endormi se fait ici paraître.

GUILLAUME.

Garde-toi d’y toucher, c’est le bien de mon maître.

TIRSIS.

Peut-être que l’Amour lassé de me blesser

La fait ici dormir pour me récompenser,

Mais que pourrais-je craindre en cette douce guerre,

Si je vois maintenant mon ennemi par terre.

Polidor doit avoir suivi Tirsis.

Baise, baise à ton gré sa bouche et son beau sein

Et de tes longs travaux paye-toi par ta main.

POLIDOR, caché.

Ha que viens-je de voir, il baise l’infidèle !

Et ce que je craignais est véritable en elle.

DORIMÈNE.

Que faites-vous Tirsis, impudent, effronté,

Est-ce ainsi qu’avec vous je suis en sûreté.

TIRSIS.

Qu’ai-je dit, qu’ai-je fait qui vous puisse déplaire ?

DORIMÈNE.

Pourrais-tu me nier ce que tu viens de faire ?

TIRSIS.

Je n’ai pris qu’une fleur qu’on doit laisser cueillir ;

Mais si ma passion m’a fait ici faillir,

Commettant à genoux cet agréable crime

J’en demandais ce semble un pardon légitime,

Et si votre douceur me le veut accorder

Je suis tout prêt à vous le demander.

De quoi vous plaignez-vous ?

DORIMÈNE.

De quoi ! voleur, infâme.

TIRSIS.

Vous m’avez dérobé ma franchise et mon âme,

Et vous voyez pourtant que je ne me plains pas

Du précieux larcin que m’ont fait vos appas.

Je vous ai pris un bien que vous donnez aux roses,

Comme à toutes les fleurs nouvellement écloses.

Quand vous baisez les fleurs dont la terre se peint

Vous montrer à baiser celles de votre teint.

Mais pourquoi blâmez-vous cette douce entreprise,

Si j’ai déjà perdu la faveur que j’ai prise ?

Les plus ardents baisers qu’on donne et que l’on rend

Sont des biens que l’on perd au point que l’on les prend.

GUILLAUME.

Pour n’être plus sujette à de semblables fièvres

Elle devrait dormir de même que les lièvres.

TIRSIS.

Nous avons tous deux tort.

DORIMÈNE.

En quoi puis-je l’avoir

Si je n’ai rien commis qui choque mon devoir ?

TIRSIS.

Moi d’avoir pris un bien que je devais attendre,

Et vous d’avoir donné l’occasion de prendre.

DORIMÈNE.

Tirsis, je saurai bien empêcher désormais

Que vous ne profitiez des fautes que je fais.

Demeurant seule ici j’en fais une trop grande,

Et vous en profitez, adieu.

TIRSIS.

Je ne demande

Que le juste loyer des maux que j’ai soufferts

Qu’un peu de votre temps pour regarder ces vers,

Ils sont de Polidor, voyez son artifice,

Souffrez que je vous rende un favorable office.

DORIMÈNE, un peu bas.

Il ne croit pas parler si véritablement.

Qu’ils soient de Polidor, qu’ils soient d’un autre Amant,

Je donnerai toujours une ferme assurance

Que je mets leur Amour dedans l’indifférence ;

Mais pour vous contenter, il faut voir ce que c’est.

TIRSIS.

Ces Stances vous plairont, si l’inconstance plaît.

Si l’on m’ôte le prix que mérite ma flamme ;

Je chasserai du moins Polidor de son âme.

DORIMÈNE, à l’écart.

Il venge Polidor en le servant ici.

Elle baise les vers de Polidor.

Que ne puis-je l’avoir, pour le traiter ainsi ?

TIRSIS.

Je crois qu’avec les dents son dépit les déchire.

Hé bien qu’en dites-vous ?

DORIMÈNE.

Je n’en saurais rien dire.

Sinon que Polidor m’oblige infiniment

De m’assurer ainsi de son contentement.

Qu’il aime à son plaisir Philis ou Dorimène,

Je n’en aurai jamais aucun sujet de peine.

TIRSIS.

Voyez son inconstance, et ma fidélité ;

Et jugez là-dessus ce que j’ai mérité

DORIMÈNE.

Je garderai ces vers pour votre récompense,

Et c’est là vous aimer bien plus que l’on ne pense.

Je fais voir mon Amour par des signes certains

Alors que je reçois ce qui vient de vos mains.

Mais quelque ardente Amour que vous fassiez paraître,

Si l’autre est inconstant, vous le pouvez bien être.

TIRSIS.

Si j’ai paru constant même dans les soupirs,

Que ne serais-je point au milieu des plaisirs ?

DORIMÈNE.

Non, non, pour être aimé rendez-vous infidèle.

TIRSIS.

En ce point seulement, je vous serai rebelle.

DORIMÈNE.

Mais il m’en faut aller.

TIRSIS.

Au moins en ce dessein.

Si le cœur vous déplaît je vous offre la main,

Et si votre rigueur m’en fait une défense

Votre civilité m’en donne la licence.

 

 

Scène V

 

POLIDOR, GUILLAUME

 

POLIDOR.

Hélas ! que ce départ me donne de soucis,

Et que j’ai peur de voir mes soupçons éclaircis.

GUILLAUME.

Qui vous croyait si près ?

POLIDOR.

As-tu donné ma lettre ?

GUILLAUME.

Tirsis trop tôt venu ne me l’a pu permettre.

POLIDOR.

Ha ! je l’ai vu baiser l’infidèle beauté,

Qui se rit devant moi de ma fidélité.

J’ai vu prendre le prix d’une amour sans seconde,

Je viens de voir piller les plus grands biens du monde.

GUILLAUME.

Comment ! quelques soldats en secret assemblés       

Sont-ils venus piller et nos vins et nos blés ?

Ce sont les plus grands biens que nous saurions attendre.

POLIDOR.

Je parle des baisers que Tirsis vient de prendre.

GUILLAUME.

Vous parlez de baisers, c’est un précieux fruit,

Cela mérite bien qu’on fasse tant de bruit.

Je préfère aux baisers des plus belles du monde

Les humides baisers d’une tasse profonde.

POLIDOR.

Les brutaux comme toi seront de ton côté.

GUILLAUME.

Votre raison vaut moins que ma brutalité.

POLIDOR.

L’infidèle !

GUILLAUME.

De quoi peut-elle être accusée ?

Dorimène dormait quand Tirsis l’a baisée,

Et j’ai pour bons témoins et mes yeux et le Ciel

Qu’il irrita l’abeille en recueillant le miel.

POLIDOR.

Elle dormait Guillaume !

GUILLAUME.

Elle dormait mon maître,

Si vous étiez ici, vous l’avez pu connaître.

POLIDOR.

Que tu me réjouis !

GUILLAUME.

Et ma foi si ma main

Eût pu cacher ce mot dans les lis de son sein,

Puisqu’un petit soupçon vous met en frénésie

Vous eussiez eu pour moi la même jalousie.

En baisant la beauté qui vous gêne si fort

Je me fusse payé moi-même de mon port.

POLIDOR.

Tu n’es pas dégoûté.

GUILLAUME.

Ma taille et mon visage

En donnent ce me semble un ample témoignage ;

Ne trouvez pas mauvais mes appétits nouveaux,

Toute sorte de gens aime les bons morceaux.

Mais je crains que Tirsis ait recours à la ruse

Pour gagner aujourd’hui l’amour qu’on lui refuse.

Il a montré.

POLIDOR.

Des vers.

GUILLAUME.

Dont il vous dit l’Auteur.

POLIDOR.

J’ai composé la pièce il n’en est que l’Acteur.

GUILLAUME.

Si Dorimène croit qu’un autre vous engage

Comme déjà le bruit en est dans le village ?

POLIDOR.

Ne crains point qu’en Amour je réussisse mal,

Je serais sans plaisir si j’étais sans rival.

Si Tirsis me trompa près de celle que j’aime ;

Il vient de me venger en se trompant lui-même.

Charitable rival, dont le soin diligent

Me console et m’oblige en me désobligeant.

Mais ce n’est pas assez, il faut voir Dorimène.

Il faut que son discours m’ôte un reste de peine,

Et s’il me confirmait le présent de son cœur

Je ne redouterais ni père ni rigueur.

 

 

ACTE IV

 

 

Scène première

 

LISETTE, FLORICE

 

LISETTE.

Non, je ne pense pas que l’inconstance même

Puisse en si peu de temps oublier ce qu’elle aime.

L’autre jour Polidor possédait votre cœur ;

Vous l’appeliez partout votre aimable vainqueur ;

Et vous brûliez d’un feu si vif qu’à vous entendre

J’appréhendais souvent de vous trouver en cendre.

Aujourd’hui cependant après tant de soucis

Votre cœur s’en retire et retourne à Tirsis.

FLORICE.

Ne t’imagine point que j’en serai blâmée,

Pourrais-tu bien aimer, et n’être pas aimée ?

Le plus grand des tourments que l’on souffre ici-bas

C’est d’aimer constamment et de ne l’être pas.

Peux-tu donc me blâmer de me voir inconstante

Si je ne veux changer que pour être contente,

Lisette, à ton avis, serait-ce avec raison,

Qu’on blâmerait celui qui suivrait sa prison.

Et qui s’efforcerait de sortir des supplices

À dessein de se mettre au chemin des délices ;

Puisque l’Amour est fait pour le contentement

Pourquoi le suivra-t-on s’il donne du tourment ?

LISETTE.

Tout ce que votre esprit pourrait mettre en usage

Ne vous ôtera pas le titre de volage ;

Recherche qui voudra vos légères Amours,

Vous n’êtes pas d’humeur d’aimer plus de trois jours.

Qu’on paraisse pour vous froid inconstant ou ferme,

Votre Amour est constant à n’avoir que ce terme.

Mais vous aimez Tirsis, sans toutefois savoir

S’il voudra seulement vous parler et vous voir.

FLORICE.

Je sais bien qu’il aime Dorimène,

Mais si je suis légère elle est plus inhumaine.

Si bien qu’un seul regard plein d’Amour et d’attraits

Me fera recouvrer la perte que j’en fais.

Un souris, un regard, tant soit peu de licence

Dessus l’esprit d’un homme ont beaucoup de puissance.

Se voyant caressé, Lisette, assure-toi

Qu’il sera trop heureux de revenir à moi.

LISETTE.

Et si vous le trouvez d’une humeur trop étrange

Vous savez au besoin faire valoir le change.

FLORICE.

Mais si je le vois qui vient ; irons-nous au-devant ?

Il s’approche de nous tout triste et tout rêvant.

N’y songez plus Tirsis.

 

 

Scène II

 

TIRSIS, LISETTE, FLORICE

 

TIRSIS.

Ha ! je jure Madame,

Qu’étant si près du corps vous étiez loin de l’âme.

FLORICE.

Et je jure Tirsis, que malgré nos discords

Vous êtes près du cœur beaucoup plus que du corps.

LISETTE.

Que vous faites du froid, hé Dieux que d’artifice !

Ne vous souvient-il plus d’avoir aimé Florice ?

TIRSIS.

Il me souvient de plus, de sa légèreté.

FLORICE.

Mais vous trouvez ailleurs bien plus de cruauté.

TIRSIS.

Il vaut mieux endurer auprès d’une cruelle,

Que de se réjouir auprès d’une infidèle.

Lorsqu’on endure ainsi, l’on espère toujours

Le bonheur d’adoucir l’objet de ses Amours ;

Mais quand on est aimé d’une fille changeante

On craint toujours le mal de la voir inconstante :

Florice après cela vous pouvez assurer

Lequel vaut mieux enfin de craindre ou d’espérer.

FLORICE.

Le bien présent vaut mieux que celui qu’on espère.

TIRSIS.

Ce n’est pas un grand bien qu’une amitié légère.

LISETTE.

J’ai plus porté pour vous de poulets chaque jour

Qu’il ne s’en trouverait dans notre basse-cour.

Vous cherchiez comme un bien ma seule confidence

Cependant aujourd’hui.

TIRSIS.

Je cherche le silence,

Et vos discours trop longs me font bien éprouver

Tirsis se retire.

Qu’où paraît votre sexe on ne le peut trouver.

LISETTE.

Hé ? bien que dites-vous de cette vaine gloire ?

L’avez-vous regardé ? Je ne le saurais croire,

Car vous disiez tantôt que vos regards plus doux

Le rendraient trop heureux de revenir à vous.

FLORICE.

N’as-tu pas reconnu qu’il parlait par contrainte,

Et qu’il veut m’éprouver avecque cette feinte ?

LISETTE.

Vous vouliez qu’il se feigne ! et le croyez ainsi ?

Mais de votre poursuite il a peu de souci.

FLORICE.

Tu n’as pas remarqué que son œil moins farouche

Démentait les discours que me faisait sa bouche ?

LISETTE.

Je n’ai point vu cela, mais j’ai vu des mépris

Capables d’ébranler les plus fermes esprits ;

Florice, les dédains seraient-ils les caresses

Que l’Amour de Tirsis réserve à ses maîtresses ?

FLORICE.

Mais j’aperçois quelqu’un, il se faut retirer.

LISETTE.

Que tous ces changements vous feront soupirer.

 

 

Scène III

 

GUILLAUME, POLIDOR

 

GUILLAUME.

À vous voir maintenant en cet habit fantasque

On s’imaginerait que vous allez en masque,

Et l’on ne pourrait pas en l’ordre où je vous vois.

Dire quel est le maître ou de vous ou de moi.

POLIDOR, habillé en vendangeur.

Guillaume en cet habit je verrai Dorimène,

Et je lui parlerai sans soupçon et sans peine.

GUILLAUME.

De même que l’amour vous change en villageois,

Que ne peut-il aussi me changer en Bourgeois.

POLIDOR.

Mais elle est dans sa vigne, il faut que je la voie ;

Va-t’en.

GUILLAUME.

Je vous souhaite une parfaite joie,

Puissiez-vous avec elle aux vignes de là-bas

Jusqu’à cent ans d’ici ficher des échalas.

 

 

Scène IV

 

DORIMÈNE, POLIDOR

 

Dorimène doit tenir un livre et ne prendre pas garde à Polidor.

DORIMÈNE, seule.

Polidor seul secours de mon âme blessée

Ne te puis-je plus voir qu’avecque la pensée ?

Et faut-il que mes yeux soient jaloux de mon cœur

Qui voit plus souvent qu’eux mon Amoureux vainqueur ?

Je ne sais si je l’aime, ou bien si je l’adore.

POLIDOR.

N’auriez-vous point besoin d’un vendangeur encore.

DORIMÈNE.

Nous en avons assez.

POLIDOR.

Croyez qu’en tous ces lieux

Il s’en trouvera peu, qui vous serviront mieux.

DORIMÈNE.

Étant presque à la fin de cette matinée,

Tu viens un peu trop tard commencer ta journée.

POLIDOR.

Madame, le travail est mon plus grand déduit,

Si le jour ne suffit j’y passerai la nuit.

DORIMÈNE.

N’est-ce pas Polidor.

POLIDOR.

C’est lui-même, Madame,

De qui le changement ne va pas jusqu’à l’âme.

DORIMÈNE.

J’ai toujours jusqu’ici blâmé le changement :

Mais de cette façon je l’aime infiniment.

POLIDOR.

Considérez, combien ma fortune est nouvelle

Il m’a fallu changer pour paraître fidèle,

L’action que je fais vous le peut témoigner.

DORIMÈNE.

Aimable vendangeur que voulez-vous gagner ?

POLIDOR.

De mon plus grand travail j’aurai trop de salaire

Si je puis seulement vous parler et vous plaire.

DORIMÈNE.

Si vous ne demandez que cela seulement

Vous en avez déjà reçu le payement :

Mais j’aperçois de loin l’Auteur de ma tristesse,

Feignez de vendanger jusqu’à ce qu’il me laisse.

Ma rigueur lui prépare un si mauvais accueil,

Que si l’on meut d’Amour, il est près du cercueil.

Ne m’apportez-vous point quelque rime nouvelle,

Qui charge Polidor du crime d’infidèle ?

 

 

Scène V

 

TIRSIS, DORIMÈNE, POLIDOR

 

TIRSIS.

Il ne mérite pas ce volage moqueur,

D’être dans votre bouche et moins dans votre cœur.

POLIDOR, à l’écart.

Si de cette façon il parle en ma présence

Croirai-je qu’un rival m’épargne en mon absence ?

DORIMÈNE.

Cette fille d’Auteuil ?

TIRSIS.

Il la voit chaque jour

Et peut-être à cette heure, il lui parle d’Amour.

POLIDOR.

Je serais bien trompé s’il était véritable.

TIRSIS.

Enfin au plus constant montrez-vous plus traitable.

POLIDOR.

Vous verrez que Tirsis touché de mon Amour

S’en va parler pour moi comme il fit l’autre jour.

DORIMÈNE.

Tirsis retirez-vous, et laissez- moi poursuivre,

J’aurai de l’entretien tant que j’aurai ce livre.

TIRSIS.

Le trouvez-vous si beau.

DORIMÈNE.

J’y trouve des appas

Qu’à mon opinion vos paroles n’ont pas.

TIRSIS.

Aussi ne veux-je pas me piquer de bien dire

Mais d’aimer constamment jusqu’à ce que j’expire.

DORIMÈNE, montre Polidor.

Quand vous seriez parfait au jugement de tous,

J’aimerais beaucoup mieux ce vendangeur que vous.

TIRSIS.

Et moi qui ne suis né que pour vous satisfaire,

Au moins par mon départ je pourrai bien vous plaire.

Tirsis se retire.

DORIMÈNE, à Polidor.

N’êtes-vous point jaloux de ce bon traitement

Dont j’ai favorisé ce malheureux Amant ?

POLIDOR.

Je crains peu son Amour, mais je crains sa richesse,

Et que son or enfin ne m’ôte une maîtresse.

Votre père peut-être à ce triste moment

Prémédite la fin de mon contentement :

Triste et fâcheux effet d’un père inexorable

Qui change mon Amour en un mal incurable ?

Et dont l’avare humeur me fait imaginer

Qu’il veut vendre sa fille et non pas la donner.

DORIMÈNE.

Ne crains rien Polidor ; quoi que Tirsis espère

J’écoute ton Amour et suis sourde à mon père,

Et devant que mon cœur brûle d’un feu nouveau

La vigne au lieu de vin nous donnera de l’eau.

Mais après les rigueurs d’une peine infinie

Sache que j’ai gagné l’amitié d’Olénie,

Et que même son cœur ouvert à nos travaux

Nous promet plus de bien que nous n’avons de maux.

Si tu veux aujourd’hui nous nous verrons chez elle

Malgré les volontés d’une mère cruelle,

Là pour un peu de temps affranchis de langueurs

Nous ferons voir l’Amour qui se cache en nos cœurs.

POLIDOR.

J’irai ma chère vie, et je ferai paraître.

DORIMÈNE.

Mais j’aperçois mon père.

POLIDOR.

Il ne me peut connaître,

Cet habit tromperait le plus judicieux.

DORIMÈNE.

Allez par ce sentier, je vous suivrai des yeux.

 

 

Scène VI

 

CRISÈRE, DORIPE

 

CRISÈRE.

Enfin la vanité, qui vous est naturelle,

Cède aux vives raisons que j’oppose contre elle.

Vous avez reconnu l’erreur où vous étiez

Que c’était un faux bien que vous vous promettiez.

Et que cette Noblesse, où l’on voit tant de pompe,

Ne jette assez souvent qu’un éclat qui nous trompe.

Pour moi qui désire être et mon maître et ma loi,

J’aime le Noble en guerre et le crains près de moi.

L’on sait comme il en prend au père d’Orasie

D’avoir joint la Noblesse avec la Bourgeoisie,

Et comme il est puni de cette ambition

Qu’on ne peut pardonner à sa condition.

Devant qu’il eût conçu cette maudite envie

Vous savez que tous biens accompagnaient sa vie.

Et que son revenu venait tous les trois mois

Le rendre plus heureux que ne sont pas les Rois.

Mais depuis que son gendre a trompé ses attentes

Il reçoit plus d’exploits qu’il ne reçoit de rentes.

On le plaint aujourd’hui chez les honnêtes gens,

Il n’est plus visité si ce n’est des Sergents,

Et dedans ce malheur qui surpasse l’extrême

L’on prendrait son logis pour leur barrière même.

Ainsi le juste ciel traite l’ambition

Pour nous en détourner par sa punition.

Je croirais donc avoir mal employé mon âge

Si le malheur d’autrui ne m’avait pas fait sage.

Depuis que Palmédor ne nous visite plus

Je n’ai plus dans l’esprit tant de soins superflus.

Alors que ses pareils recherchent nos familles

Ils font l’Amour à l’or, et non pas à nos filles.

DORIPE.

Quelqu’un m’a fait savoir qu’il s’est partout vanté

Qu’on se repentirait de l’avoir rejeté.

CRISÈRE.

Laissez-le murmurer, il ne nous peut atteindre,

S’il ne parlait pas tant, il serait plus à craindre,

Tous ces grands discoureurs inutiles et vains

Avec beaucoup de langue ont rarement des mains.

Méprisez cet esprit, et soulagez le vôtre,

Un vaisseau plein de vent fait plus de bruit qu’un autre.

Mais pour nous dégager d’un nombre de soucis

Demeurons-en au choix que j’ai fait de Tirsis.

DORIPE.

J’ai sondé là-dessus l’esprit de Dorimène.

CRISÈRE.

Hé bien qu’y trouvez-vous ?

DORIPE.

Seulement de la haine.

Tirsis est son tourment ainsi qu’elle est le sien.

CRISÈRE.

Pour moi qui le connais, je crois qu’il est son bien.

DORIPE.

Sans doute Polidor est dans sa fantaisie.

CRISÈRE.

Je viendrai bien à bout de cette frénésie,

Et contre ses désirs opposant ma rigueur

J’arracherai bientôt cet Amour de son cœur.

Je lui ferai savoir que je suis en puissance

De ranger son esprit sous mon obéissance.

DORIPE.

Je croirais néanmoins que la facilité

En viendrait mieux à bout que la sévérité.

CRISÈRE.

Et si sa passion passait jusqu’à l’extrême ?

DORIPE.

Il se faudrait servir d’un remède de même ;

Mais nous n’en viendrons pas à cette extrémité.

Je la connais trop bien.

CRISÈRE.

J’en ai toujours douté.

Une fille est étrange ayant l’Amour pour maître,

Et c’est un animal difficile à connaître.

Mais par quelle douceur la pourrions-nous avoir ?

DORIPE.

Dessus elle Olénie a beaucoup de pouvoir,

Elle lui fait aimer ou haïr toutes choses,

Elle fait de son cœur mille métamorphoses,

Et si nous la prions de parler pour Tirsis

Nous nous verrons bientôt au bout de nos soucis,

Ses puissantes raisons changeront Dorimène,

Et porteront l’Amour où j’ai trouvé la haine.

CRISÈRE.

Non, non, je puis moi seul la mettre en son devoir,

Je veux faire les lois qu’elle doit recevoir,

Ma femme, les amis sont des biens nécessaires

Qu’on ne peut employer qu’aux extrêmes affaires,

Et ce n’est qu’abuser de ceux que nous avons

Que de les occuper à ce que nous pouvons.

DORIPE.

Voulez-vous la contraindre au joug d’un Hyménée,

Où peut-être le Ciel ne l’a pas destinée ?

Montrez-vous en cela plus traitable et plus doux,

Le mal de nos enfants passe jusques à nous,

Si nous sommes Auteurs d’un triste mariage

Nous ressentons l’effet de leur mauvais ménage,

Et le Ciel nous punit par leurs adversités

D’avoir à ce lien forcé leurs volontés,

Cette action doit être aussi libre que sainte

La volonté la fait et non pas la contrainte ;

Enfin tel mariage à Dieu même odieux,

Est fait pour les enfers, et non pas dans les Cieux.

Mais puisque vos discours sont un vrai témoignage

Que les fautes d’autrui vous en rendu plus sage,

Après avoir tant vu de malheurs advenir

Par le même chemin que vous voulez tenir,

Pourquoi.

CRISÈRE.

Je vous entends, visitons cette Dame,

Il faut tout accorder au caquet d’une femme,

Et quiconque veut voir la paix en sa maison

Ne doit pas contredire à sa moindre raison.

 

 

Scène VII

 

DORIMÈNE, OLÉNIE

 

DORIMÈNE.

Excusez, Olénie, une Amour violente

Qui me rend incivile ou plutôt insolente.

Si vous en recevez de l’importunité

Il en faut accuser votre facilité :

Vous savez que l’Amour sans respect de personne

Abuse volontiers du pouvoir qu’on lui donne.

OLÉNIE.

À tant de compliments si beaux et si parfaits

Je ne répondrai point que par de bons effets.

Mais votre serviteur ne tient pas sa promesse ;

Avec beaucoup d’Amour a-t-on de la paresse ?

DORIMÈNE.

Que son retardement me donne de souci.

OLÉNIE.

Voici son vigneron.

 

 

Scène VIII

 

DORIMÈNE, GUILLAUME, OLÉNIE

 

DORIMÈNE.

Que viens-tu faire ici ?

GUILLAUME.

Je viens faire l’Amour au défaut de mon Maître.

DORIMÈNE.

Qui le peut maintenant empêcher de paraître.

GUILLAUME.

Comme il pensait venir selon vos volontés,

Recevoir en ce lieu, la loi de vos beautés,

Un homme survenant tout triste et hors d’haleine,

Pour aller à Paris le fait quitter Suresnes.

DORIMÈNE.

As-tu su le sujet qui le presse si fort ?

GUILLAUME.

Phillargire son oncle est au lit de la mort.

Cet avaricieux va revoir sous la terre

L’argent qu’il y cachait au seul bruit de la guerre.

Polidor et sa sœur sont ses deux héritiers

Et si l’on me croyait je ferais bien le tiers.

S’il n’est donc pas venu, son excuse est valable

Car toujours au plaisir l’utile est préférable.

Ainsi tous vos parents aimeront Polidor,

Et le croiront parfait lorsqu’il aura plus d’or.

DORIMÈNE.

Tu dis la vérité, dans le temps où nous sommes

L’argent est la vertu qui fait priser les hommes,

Il fait voir de l’esprit en ceux qui n’en ont pas,

À la même laideur il donne des appas,

Enfin pour réparer l’esprit et le visage

C’est le fard le plus sûr que l’on mette en usage.

OLÉNIE.

Si l’or peut tout au monde, il peut par son secours

Faire selon vos vœux réussir vos Amours.

DORIMÈNE entend tousser son père.

Hélas j’entends mon père, il m’avait fait défense

De voir ceux de chez vous.

GUILLAUME.

Est-ce là votre offense

J’ai dedans mon esprit de quoi vous excuser,

Et dans le même lieu j’ai de quoi l’abuser.

 

 

Scène IX

 

DORIMÈNE, GUILLAUME, CRISÈRE, DORIPE, OLÉNIE

 

DORIMÈNE.

Il entre ici dedans.

GUILLAUME se jette aux genoux d’Olénie.

Soyez-moi favorable,

Madame secourez un pauvre misérable

Monsieur parlez pour moi, montrez votre bonté,

Je me vois malheureux sans l’avoir mérité.

Polidor m’a chassé bien plutôt par caprice

Que pour avoir manqué de lui rendre service.

OLÉNIE, un peu bas.

Il le faut seconder, sa ruse le mérite,

On parlera pour toi.

GUILLAUME.

Je vous en sollicite.

OLÉNIE.

Je verrai Polidor, et dès le même jour

Que tu nous auras dit qu’il sera de retour.

CRISÈRE.

N’est-il pas à Suresnes.

GUILLAUME.

Hélas je l’y désire ?

Ne vous a-t-on pas dit l’état de Phillargire.

Il se meurt.

CRISÈRE.

Il se meurt.

GUILLAUME.

On vient de le mander,

Si bien que Polidor est allé succéder.

CRISÈRE.

Ha certes sa vertu qui passe la commune,

Méritait pour le moins cette bonne fortune.

Il a des qualités qui me le font vanter.

DORIMÈNE, à l’écart.

Il ne les aurait pas s’il n’allait hériter.

OLÉNIE, à Guillaume.

Va-t’en.

DORIMÈNE.

Que d’un grand soin sa feinte me dégage !

GUILLAUME, à Dorimène en s’en allant.

Hé bien, sais-je sortir hors d’un mauvais passage

Tout pesant que je suis je m’en suis retiré.

DORIPE.

Phillargire a de quoi, son bien est assuré,

Et si comme l’on dit Polidor en hérite

Cela relèvera de beaucoup son mérite.

CRISÈRE.

Son oncle n’est pas mort, jusqu’au dernier moment

On voit la volonté sujette au changement ;

Ne publions jamais que quelque bien est nôtre,

Lorsqu’il dépend encor des volontés d’un autre.

Ce qu’on possède ainsi ne se doit pas compter.

DORIPE.

Il vaudrait bien Tirsis s’il pouvait hériter.

OLÉNIE.

Est-il vrai que Tirsis recherche Dorimène ?

CRISÈRE.

Il lui fait trop d’honneur d’y prendre tant de peine.

Elle se doute bien pourquoi je viens chez vous,

Dorimène allez voir ce que l’on fait chez nous :

Dorimène se retire.

Au moindre mot qu’on dit en affaire pareille

Les filles de son âge ont la puce à l’oreille.

OLÉNIE.

Aime-t-elle Tirsis ?

CRISÈRE.

Comme on fait le poison

Et seule vous pouvez la mettre à la raison.

DORIPE.

N’aime-t-elle personne.

CRISÈRE.

Il faut que je la blâme

D’avoir fait Polidor possesseur de son âme.

OLÉNIE.

Lorsqu’un premier Amour a gagné notre cœur

Un autre a de la peine à s’en rendre vainqueur.

Vous me venez parler d’une chose impossible.

Contredire l’Amour c’est le rendre invincible ;

Mais laissez faire au temps, lui qui surmonte tout

De cette passion pourra venir à bout.

Bien qu’on donne à l’Amour des armes glorieuses

Toujours celles du temps en sont victorieuses.

L’Amour déplaît enfin lorsqu’il ne peut guérir,

Et les maux qu’il nous fait le font souvent mourir ;

Un esprit arrêté dans ses chaînes fatales,

De même que les fous à des bons intervalles,

Où s’étonnant des maux qu’il souffre chaque jour

Il peut heureusement triompher de l’amour.

DORIPE.

Madame dit fort bien, et tout ce qu’elle avance

Se peut bien confirmer par mon expérience ;

Étant jeune j’aimai, mais passionnément,

Et toutefois le temps m’ôta de ce tourment.

Peut-être qu’en ce point la fille un peu légère

Fera voir qu’elle tient de l’humeur de la mère.

CRISÈRE, à Olénie.

Madame quand l’Amour s’est rendu violent,

Le temps est ce me semble un remède trop lent ;

Devant qu’il puisse agir sur un cœur misérable,

Ce mal qui croit toujours se peut rendre incurable.

DORIPE.

Un Amour sans plaisir lasse enfin nos esprits.

CRISÈRE.

J’ai comme vous aimé : mais j’en ai plus appris :

Ma seule volonté guérira Dorimène

Si la sienne plutôt ne la tire de peine.

OLÉNIE.

Ne la contraignez point, la plus forte rigueur

Peut tout dessus le corps et rien dessus le cœur.

CRISÈRE.

Quoique vous en disiez, je veux qu’elle me plaise

Dans le dessein que j’ai de la mettre à son aise.

DORIPE.

Si Polidor hérite ?

CRISÈRE.

Et s’il n’hérite pas ?

DORIPE.

Mais supposons enfin qu’il hérite.

CRISÈRE.

En ce cas

Nous pourrions aviser à ce qu’il faudrait faire.

OLÉNIE.

Attendez donc encor rien ne presse l’affaire.

CRISÈRE.

Rien ne presse l’affaire ! on me doit accorder

Qu’une fille est toujours difficile à garder :

Les filles sont des fruits qui ne sont pas de garde

Et qui les veut garder, bien souvent les hasarde.

J’attendrai toutefois, mais il est déjà tard,

Et le jour qui s’en va presse notre départ.

 

 

ACTE V

 

 

Scène première

 

FLORICE, DORIMÈNE, LISETTE

 

FLORICE.

Oui je suis ta rivale, et si j’en suis blâmable

Accuse Polidor d’être partout aimable.

Si contre mon devoir j’ai chéri ses appas

Dorimène mon cœur, ne m’en accuse pas ;

Mais accuse la loi que la Nature a faite

Qui veut que nous aimions toute chose parfaite.

Tu l’as trouvé charmant et comblé de tous biens

Penses-tu qu’il soit autre à d’autres yeux qu’aux tiens ?

Ton cœur est fait de chair, il pleure, il brûle, il aime,

Et crois-tu que le mien ne soit pas fait de même ?

Si Polidor a pu se faire aimer de toi

Crois-tu que son pouvoir fut moindre dessus moi ?

Mais enfin ne crains plus, mon espérance est morte

Depuis que j’ai connu l’amitié qu’il te porte.

DORIMÈNE.

Tu ne peux en parler en des termes si doux

Sans me rendre aussitôt l’esprit un peu jaloux ;

Au lieu de le louer donne-lui quelque blâme,

Tâche par des mépris à l’ôter de mon âme,

Pour couvrir ses vertus invente des défauts,

Dis-moi que son Amour n’a rien qui ne soit faux,

Dis-moi que son esprit cache des maux étranges,

Ces discours me plairont plutôt que tes louanges ;

Tu me ferais juger en louant Polidor

Que si tu l’as aimé tu peux l’aimer encor.

FLORICE.

Je crois que cette Amour dont j’eus l’âme saisie,

A porté dans la tienne un trait de jalousie,

Mais si tu veux guérir du mal qu’elle te fait

Compare à mes défauts ton visage parfait.

LISETTE.

Quoique vous puissiez dire, oui je suis insensée,

Ou vous ne parlez pas selon votre pensée,

Florice toute fille a cette vanité

Qu’elle croit surpasser sa compagne en beauté,

La plus laide s’estime, elle juge pour elle

Et parce qu’elle s’aime, elle se trouve belle.

Vous connaissez Mélane à ses yeux de travers,

Elle dit que Damon les estime en ses vers,

Qu’il en a dans le cœur une atteinte reçue,

Qu’elle ménage bien le défaut de sa vue,

Mais enfin le moyen de croire ce moqueur,

Et qu’un œil de travers tire tout droit au cœur ?

DORIMÈNE.

Si l’Amour qu’elle donne est imparfait comme elle

Bientôt elle verra son Amant infidèle.

LISETTE.

Ainsi de tous côtés nous voyons chaque jour

Que celle qui fait peur croit donner de l’Amour,

Pour moi qui suis passable entre les villageoises

Je ne le cède pas aux plus belles bourgeoises.

FLORICE.

Sans nous entretenir de cette vanité,

Reprenons Polidor que nous avons quitté.

T’a-t-il fait demander depuis que Phillargire

Lui laissa tous les biens que ton père désire ?

DORIMÈNE.

Il a fait son devoir, mon père a fait le sien.

LISETTE.

Il l’aime moins pour lui qu’à cause de son bien.

Phillargire en mourant sans reproche et sans blâme

A fait beaucoup de bien pour celui de son âme.

Mais quand il n’aurait fait que mourir à propos

Je crois que son esprit en aurait du repos.

FLORICE.

Quand viendra donc l’hymen favorable à ta flamme,

Changer ton nom de fille à l’heureux nom de femme.

LISETTE.

Si cela dépendait seulement du souhait

On verrait dès demain ce mariage fait.

DORIMÈNE.

À peine a-t-on pleuré la mort de Phillargire

Et tu voudrais déjà qu’on commençât à rire,

À peine a-t-on fermé ses yeux et son cercueil

Et tu voudrais déjà qu’on en quittât le deuil.

Ainsi chère compagne on ferait sur sa fosse

Au lieu de son tombeau le lit de notre noce,

Mon père et Polidor l’ont remise au printemps.

LISETTE.

À cause que les fleurs se cueillent en ce temps.

DORIMÈNE.

Mais Florice est-il vrai ce qu’on dit chez Silvie.

FLORICE.

Qui dit-on ?

DORIMÈNE.

Que Tirsis t’a fort longtemps servie.

FLORICE.

Il est vrai que Tirsis fut le premier vainqueur

À qui l’Amour ouvrit les portes de mon cœur,

Bien que l’on m’ait donné ce titre de volage

J’ai toujours dans l’esprit conservé son image,

Et quiconque depuis dans mon cœur a passé,

L’a caché seulement, et ne l’a pas chassé :

Mais s’il a préféré tes beautés à la mienne

Mon infidélité sert d’excuse à la sienne.

DORIMÈNE.

Florice l’on voit bien qu’il ne tient pas à moi

Non plus qu’à mes rigueurs qu’il ne retourne à toi.

Mais enfin il est temps de sortir du village,

Pour gagner le chemin qui mène à l’ermitage.

Cloris s’y doit trouver avecque Philidor.

FLORICE.

Je crains de rencontrer en chemin Palmédor.

Depuis deux ou trois jours, il est sur le passage

De même qu’une borne au bout d’un paysage.

LISETTE.

S’il est comme une borne au passage planté,

Vous en avez à tort l’esprit épouvanté.

FLORICE.

Il a quelque dessein.

LISETTE.

Florice ce bravache

N’a rien d’un furieux si ce n’est sa moustache.

Je le ferais pleurer si je l’entreprenais.

DORIMÈNE.

Elle le connaît mieux que tu ne le connais.

N’appréhende donc rien, viens où je te convie

La beauté de ce jour t’en doit donner l’envie

Allons Florice allons, peut-être que demain

Le ciel nous cachera son visage serein

 

 

Scène II

 

TIRSIS, GUILLAUME

 

TIRSIS.

Si bien que Polidor est caressé du père.

GUILLAUME.

Si bien que c’est en vain que tout autre l’espère.

Monsieur vous m’entendez, mais pour votre repos

Caresser comme moi les verres et les pots,

Si vous voulez ouïr mes raisons sans pareilles

Vous serez mon rival en l’amour des bouteilles,

Et je suis assuré que sans être jaloux

Je pourrai bien aimer en même temps que vous.

Ce sont là les beautés qui seules me font plaindre

Quand mon argent trop court n’y saurait pas atteindre ;

Les attraits d’une fille en trois jours effacés

Ne retournent jamais alors qu’ils sont passés,

Si la bouteille perd sa grâce naturelle

On n’a qu’à la remplir pour la rendre plus belle,

Et vous m’accorderez pour le moins ce seul point

Qu’une fille en cela ne lui ressemble point

Mais si je vous semblais trop difficile à croire,

Écoute, là-dessus une chanson à boire.

Si quelque bouteille à l’écart

Perd ses beautés qui me ravissent

Ce n’est que pour en faire part

Aux bons enfants qui la chérissent,

Mais la fille orgueilleuse avecque ses appas

Les laisse prendre au temps, qui n’en fait point de cas.

Et puis tant de raisons ne nous feraient pas être

Le rival du valet bien plutôt que du maître.

TIRSIS.

Passe outre, et tiens ailleurs ces discours superflus.

GUILLAUME.

Qu’un Amoureux est sot quand il n’espère plus !

TIRSIS.

Après tant de soucis que faut-il que j’attende !

GUILLAUME.

Mais voici Polidor, si faut-il que j’entende.

 

 

Scène III

 

POLIDOR, TIRSIS, GUILLAUME, PHILÉMON

 

POLIDOR.

Où veut aller Tirsis ? que fait-il seul ici ?

TIRSIS.

Je vais chez Dorimène.

POLIDOR.

Et moi j’y vais aussi.

TIRSIS.

Son père te chérit.

POLIDOR.

La fille fait de même

Et bientôt les effets t’apprendront que l’on m’aime.

TIRSIS.

Ainsi l’expérience apprend à Polidor

Quel Amour peut beaucoup avec des flèches d’or.

POLIDOR.

Si la force de l’or était si souveraine

Vous qui n’en manquez point vous auriez Dorimène

TIRSIS.

De quelques ornements dont tu sois revêtu

Tu lui dois ton bonheur plutôt qu’à ta vertu.

POLIDOR.

Que m’importe Tirsis d’où mon bonheur s’élève       

L’Amour a commencé maintenant l’or achève.

TIRSIS.

L’on se trompe souvent aux comptes que l’on fait,

Et tel fait un dessein qui n’en voit point d’effet.

POLIDOR.

Lorsque l’or et l’Amour se mêlent d’une chose

On peut bien espérer tout ce qu’on s’en propose.

TIRSIS.

Cette Philis d’Auteuil qui te chérissait tant

Te verra donc porter le titre d’inconstant.

POLIDOR.

Sans me rendre inconstant ainsi qu’il te le semble

J’ai trouvé le secret d’en aimer deux ensemble.

TIRSIS.

Et moi je trouverai par un secret égal

Le moyen d’abaisser la gloire d’un rival.

POLIDOR.

Bien qu’en inventions ton esprit soit fertile

Tu chercheras longtemps ce secret inutile.

TIRSIS.

L’épée est ce secret.

POLIDOR.

Ne nous échauffons point,

Jusqu’à nous voir forcés à quitter le pourpoint.

Aussi bien ce secret inventé par ta rage

Ne réussirait pas qu’à ton désavantage.

TIRSIS.

Quittons là ce discours, et passons à l’effet.

POLIDOR.

Si ta perte te plaît tu seras satisfait.

Cherchons pour te tirer et du monde et de peine,

L’endroit le plus caché qui soit près de Suresnes.

Mais devant que d’aller il te sera permis

De prendre si tu veux congé de tes amis.

TIRSIS.

Dépêchons.

GUILLAUME.

Qui croirait que de la bourgeoisie

Se peut jamais porter à cette frénésie.

PHILÉMON.

N’as-tu point vu Tirsis.

GUILLAUME.

Monsieur courons après Polidor

Polidor et Tirsis se vont battre ici près

 

 

Scène IV

 

CRISÈRE, DORIPE

 

CRISÈRE.

Si Polidor est riche, il n’est pas sans mérite,

L’on remarque en ses yeux sa bonne humeur écrite,

Toutes ses actions conduites sagement

Partent moins de son corps que de son jugement ;

Ses bonnes qualités me font dire sans cesse

Que le bien de son oncle est sa moindre richesse,

Enfin il me ravit, et quand il n’aurait rien

Son esprit ce me semble est un assez grand bien.

DORIPE.

Vous n’avez pas toujours parlé de cette sorte

Il doit à ses grands biens l’amitié qu’on lui porte.

Cette succession vous le rendrait parfait,

Quand il aurait le corps et l’esprit contrefait,

Dirai-je librement ce que je me propose ?

Vous aimez trop le bien, pour aimer autre chose.

CRISÈRE.

Il est vrai qu’autrefois n’étant pas bien connu

Il ne fut pas chez moi toujours le bienvenu.

J’avais conçu pour lui quelque sorte de haine :

Mais enfin il me plaît autant qu’à Dorimène,

Et j’attendrai le temps que l’on les mariera

Avec autant d’ardeur que ma fille en aura.

DORIPE.

Tirsis l’espère encore, et son cœur trop fidèle

Ne peut quitter l’Amour qu’il a conçu pour elle.

CRISÈRE.

Hé ! quoi pour contenter un désir d’Amoureux

Voudrait-il pour jamais se rendre malheureux ?

Il vaut mieux épouser un serpent qu’une femme

Lorsqu’un contraire Amour est maître de son âme,

Se marier ainsi, c’est se jeter aux fers,

C’est se mettre en vivant au milieu des enfers,

C’est aller au-devant de cet outrage pire

Que tout homme appréhende, et que je n’ose dire.

Pour son bien et le nôtre il doit chercher ailleurs

Puisqu’il y peut trouver mille partis meilleurs.

Il a su là-dessus quelle était ma pensée,

Il a connu l’erreur dont son âme est blessée,

Et toutefois.

 

 

Scène V

 

LISETTE, DORIPE, CRISÈRE

 

LISETTE.

Monsieur que faites-vous ici ?

Hélas tout est perdu.

DORIPE.

Qui te travaille ainsi ?

LISETTE.

Palmédor épiant à cent pas de Suresnes

Vient à ce même instant d’enlever Dorimène.

DORIPE.

Hélas !

CRISÈRE.

Le sais-tu bien.

LISETTE.

Ha j’ai vu ce malheur !

CRISÈRE.

Sans tarder d’un moment poursuivons ce voleur.

 

 

Scène VI

 

POLIDOR, TIRSIS, FLORICE, DORIMÈNE

 

Polidor tient Tirsis renversé dessous lui.

POLIDOR.

Confesse maintenant que tu me dois la vie.

TIRSIS.

Use de ta victoire, et poursuis ton envie.

Et puisque je suis né seulement pour ton mal

Délivre-moi des soins que te donne un rival.

POLIDOR.

J’aime mieux désormais qu’un rival m’épouvante

Que le juste remords d’une action sanglante,

Demeurez mon rival, vivez, Tirsis, vivez,

Mais reconnaissez bien ce que vous me devez.

TIRSIS.

Ah ! cette courtoisie aura pour moi des charmes

Qui me vaincront bien mieux que ne feraient tes armes,

Et pour la reconnaître et me vaincre à mon tour

Je te cède aujourd’hui l’objet de notre Amour.

Dorimène est à toi, Tirsis est tout de même.

 

 

Scène VII

 

PHILÉMON, POLIDOR, TIRSIS, GUILLAUME, FLORICE, DORIMÈNE

 

PHILÉMON.

Amis d’où peut venir cette fureur extrême ?

GUILLAUME.

La mort vient assez tôt nous ravir d’ici-bas

Sans aller rechercher au milieu des combats.

TIRSIS.

Qui vous peut obliger à tenir ce langage,

Et quel étonnement change votre visage ?

PHILÉMON.

Guillaume m’avait dit qu’un furieux dessein

Vous mettait en ce lieu les armes à la main.

POLIDOR.

Ne vous y fiez pas ; alors qu’il vient de boire

À quiconque l’entend il en fait bien à croire,

En de certains moments il a des visions,

Il va faire caresse à des illusions,

Il prendrait pour du vin l’eau même de la Seine.

GUILLAUME.

Monsieur je n’eus jamais la raison si peu saine.

En me voyant à jeun, ce qu’on n’a guère vu,

On me ferait sans doute à croire que j’ai bu :

J’ai le ventre assez gros, et de taille assez forte

Pour porter tout mon vin sans que ma tête en porte.

PHILÉMON.

Afin qu’une autre fois on te croie un peu mieux

Prends de meilleurs témoins que ne sont pas tes yeux.

POLIDOR.

Mais j’entends quelque bruit.

FLORICE.

Secourez Dorimène,

Qui pleure qui se plaint, que Palmédor emmène.

DORIMÈNE.

Au secours, Polidor.

POLIDOR.

Ha voleurs nous l’aurons,

Traîtres vous périrez, ou bien nous périrons.

 

Scène VIII

 

DORIPE, CRISÈRE, POLIDOR, DORIMÈNE, TIRSIS, LISETTE, ORMIN, GUILLAUME

 

Doripe et Crisère, Lisette et Ormin arrivent au même temps que Polidor commence à suivre Palmédor.

DORIPE.

Ha ma fille !

CRISÈRE.

Ha voleurs vous connaîtrez que l’âge

En m’ôtant la vigueur m’a laissé le courage.

Polidor après avoir fait un tour derrière le théâtre revient avec Tirsis et Guillaume, et ramène Dorimène.

POLIDOR.

Enfin nous apprenons que des esprits si vains

Ont plus de force aux pieds qu’ils n’en ont dans leurs mains

GUILLAUME.

Que cette occasion m’a bien fait reconnaître

Que je suis plus vaillant que je ne pensais être !

Tout le bras me fait mal du coup que j’ai donné.

POLIDOR, à Dorimène.

Madame, rassurez votre esprit étonné.

CRISÈRE, à Polidor et Tirsis.

Comment puis-je payer des faveurs si certaines ?

Que selon mes désirs n’ai-je deux Dorimènes !

TIRSIS.

Quand je puis réussir en ce que j’entreprends

Je suis assez payé des peines que je prends ;

Que dessus ce sujet rien ne vous sollicite,

Polidor a sauvé le beau prix qu’il mérite,

Et Philémon et moi ne voulons aujourd’hui

Que l’honneur d’être aimé et de vous et de lui.

POLIDOR.

Cher Tirsis je te dois des grâces immortelles,

Puisque ces bons effets sortent de nos querelles.

CRISÈRE, voyant Polidor et Tirsis s’embrasser.

Je suis aussi troublé de voir ce que je vois

Que ce ravissement m’avait donné d’effroi.

GUILLAUME, voyant la même chose.

Je ne connais plus rien à leur façon de vivre,

Il faudra confesser enfin que je suis ivre.

DORIPE.

Rassurez-vous ma fille, et nous dites comment

Palmédor s’est conduit dans ce ravissement.

DORIMÈNE.

Je crois qu’hier au soir passant dans le village

Il sut que devions aller à l’ermitage,

Et que nous partirions aussitôt que le jour

Commence à faire voir sa clarté de retour !

Si bien qu’il m’attendait, et m’avait enlevée

Si de ces lâches mains vous ne m’eussiez sauvée,

Et parce qu’en ce lieu l’on passe rarement

Il m’y faisait passer pour fuir sûrement :

Ainsi sans y songer, il ne m’avait ravie

Que pour me rendre à ceux qui m’ont donné la vie.

CRISÈRE.

Lisette m’ayant dit, qu’il prenait ce chemin

J’y viens accompagné de Mélisse et d’Ormin.

ORMIN.

Il est temps d’accomplir un si juste hyménée

Sans le remettre encore à la prochaine année,

Je sais qu’il ne tient pas à ces jeunes Amants

Qu’ils entrent dès ce soir dans les contentements.

CRISÈRE.

Pour moi je suis d’avis sans tarder davantage

De croire ce qu’il dit touchant ce mariage,

Alors que Polidor la pourra posséder

Ce sera plus à lui qu’à nous de la garder

Nous serons déchargés du fardeau d’une fille

Qui n’est jamais léger aux pères de famille.

GUILLAUME.

Monsieur si vous croyez qu’il soit si peu léger,

Quelque pesant qu’il soit je m’offre à m’en charger.

DORIPE.

L’avis d’Ormin me plaît et me rendrait contente.

POLIDOR.

Je ne vous dirai point que c’est là notre attente,

Je crois que notre Amour vous montre clairement

Que nous ne serons pas d’un autre sentiment.

GUILLAUME.

Que je boirai de vin, si dedans cette fête

Mon ventre est trop petit j’en remplirai ma tête.

ORMIN.

Tirsis, vois-tu Florice, apprends ce que j’en crois,

Ce n’est pas un morceau fort indigne de toi.

TIRSIS.

Si j’étais plus parfait j’aurais bien l’assurance

De mettre en sa beauté ma plus chère espérance.

Et mon premier Amour qui me combla de biens

Lui rendrait un captif qui romprait ses liens.

FLORICE.

La volonté d’un père est la loi de la mienne

Et je n’ai point ici d’autre voix que la sienne.

CRISÈRE.

S’il ne tient qu’à sa voix, le mariage est fait,

Le bonhomme m’a dit que c’était son souhait,

Il parle à sa fille.

Mais puisque du danger qui vous avait atteinte,

Nous n’avons grâce aux Dieux ressenti que la crainte

N’attendons pas l’effet que l’on a redouté,

Et regagnons Paris pour notre sûreté.

Déjà cette saison un peu froide et malsaine

Semble avecques ces vents nous chasser de Suresnes,

Nous partirons demain ; vous voyez bien aussi,

Qu’il ne reste plus rien à vendanger ici.

Lisette et Guillaume demeurent.

LISETTE.

Enfin de toute peur j’ai l’âme délivrée,

Enfin nous danserons et j’aurai ma livrée.

GUILLAUME.

Marions-nous Lisette, et faisons de même eux,

En ce temps un peu froid il fait bon coucher deux.

LISETTE.

Cela m’est défendu, Guillaume que t’en semble

J’épouserais en toi quatre maris ensemble.

GUILLAUME.

Tout grossier que je sois n’ayant rien mérité,

L’on me caresserait si j’avais hérité.

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