Les Vacances (DANCOURT)

Comédie en un acte.          

Représentée, pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de la rue des Fossés Saint-Germain, le 31 octobre 1696.

 

Personnages

 

MONSIEUR GRIMAUDIN, Procureur

LÉPINE, Filleul de Monsieur Grimaudin

LE MAGISTER

ANGÉLIQUE, Fille de Monsieur Grimaudin

MADAME LA ROCHE, Domestique de Monsieur Grimaudin

MONSIEUR DE LA PARAPHARDIÈRE, Greffier

MADAME PERRINELLE, Bourgeoise

CLITANDRE, Capitaine de Cavalerie

MONSIEUR MAUGREBLEU, Fils de Monsieur Grimaudin

MARTINE, Paysanne

COLIN, petit Paysan

LE BARBIER du village

LA MEUNIÈRE

UN SUISSE

PLUSIEURS PROCUREURS

PLUSIEURS PAYSANS

PLUSIEURS DRAGONS

 

La scène est dans le Village de Grimaudin en Brie, proche du château.

 

 

Scène première

 

LE MAGISTER, LÉPINE

 

LE MAGISTER.

Non, palsanguenne ; vous avez biau dire, Monsieur de Lépine, je ne saurais m’accoutumer à stilà.

LÉPINE.

Mais qu’est-ce que cela vous fait, Monsieur le Magister : puisqu’il faut que nous ayons un Seigneur une fois, que nous importe qui le soit ?

LE MAGISTER.

Que nous importe ! morgué, ça est honteux que le cousin du Meunier de Rougemare, Monsieur Grimaudin, devianne Seigneur du Village de Gaillardin : je ne puis avaler cette pilule-là.

LÉPINE.

C’est un honnête homme, qui a gagné du bien, et...

LE MAGISTER.

Un Procureur honnête homme, et qui est devenu riche encore, en vela une belle marque.

LÉPINE.

Il a des amis, de bonnes connaissances, et nous nous trouverons bien de sa protection.

LE MAGISTER.

Ly ? il nous fera des procès à tous tant que je sommes : mais morgué je m’en gausse, je sommes quatre ou cinq dans le village qui ly taillerons de la besogne, sur ma parole.

LÉPINE.

Et que ferez-vous ?

LE MAGISTER.

Ce que je ferons ? il n’est morgué pas plus Gentilhomme que nous, je sis Collecteur, moi, Dieu marci, cette année, palsanguenne j’aurai le plaisir de mettre notre nouviau Seigneur à la Taille.

LÉPINE.

Qu’est-ce que cela produira ?

LE MAGISTER.

Que je le ferons enrager, et s’il ne veux avoir la paix, il a de petits droits que je ly ferons pardre ; oh ! je ne nous mouchons pas du pied, afin que vous le sachiais.

LÉPINE.

Vous êtes un homme entendu et entreprenant, je vois bien cela.

LE MAGISTER.

Morgué, vous avez itou un peu d’esprit ; gobargeons-nous ensemble de ce cousin de Meunier, qui viant être notre Seigneur, maugré que j’en ayons.

LÉPINE.

Mais je ne puis avec bienséance moi...

LE MAGISTER.

Quoi ? parce qu’il vous a fait Procureur Fiscal ? parguenne, il vous a baillé une belle Charge. Acoutez, n’y a que deux mots qui sarvent ? vous êtes nouviau venu dans le Village aussi bien que ly, ne vous brouillez point avec les habitants. C’est un petit avis que je vous baille, vous y ferez vos petites réflexions. Votre valet, Monsieur de Lépine.

 

 

Scène II

 

LÉPINE, seul

 

C’est une assez méchante engeance que la race paysanne, et notre Monsieur Grimaudin a toute la mine de n’être pas content dans la suite de l’acquisition qu’il vient de faire. Le voici, je pense. Le Magister a ma foi raison, voilà un fort vilain Seigneur de Paroisse.

 

 

Scène III

 

MONSIEUR GRIMAUDIN, LÉPINE

 

MONSIEUR GRIMAUDIN.

Hé bien, mon pauvre Lépine, je suis sur mes terres, et me voilà pourtant, en dépit de l’envie, propriétaire du Château et de la Seigneurie de Gaillardin.

LÉPINE.

Et à fort bon marché, n’est-ce pas ? on ne vous rapportera ni argent faux, ni vieilles espèces du paiement que vous avez fait.

MONSIEUR GRIMAUDIN.

Oh ! pour cela non, je t’en réponds ; je me la suis fait adjuger pour les frais d’une instances que j’ai eu l’esprit de faire durer dix-sept ans, et le fond du procès n’est pas jugé encore.

LÉPINE.

Quelle bénédiction ! vous tirerez encore de là de bonnes nippes.

MONSIEUR GRIMAUDIN.

Je l’espère. Quand des gens de notre profession ont un peu d’honneur et de conduite, ils font de bonnes maisons en bien peu de temps, n’est-il pas vrai ?

LÉPINE.

La peste, oui ; vous autres Procureurs de Cour Souveraine vous avez souvent de bonnes occasions : mais un pauvre diable comme moi...

MONSIEUR GRIMAUDIN.

Laisse-moi faire, j’achèverai ta fortune, va ; quoique je n’eusse encore cette Terre-ci qu’à bail judiciaire, quand tu revins de Flandres l’année passée, j’ai trouvé le moyen de t’en faire le Procureur Fiscal : m’en voilà maintenant Seigneur, par la grâce de Dieu et du Châtelet ; tu es mon filleul, tu as de bons principes, je te pousserai, tu iras loin sur ma parole.

LÉPINE.

Il ne tiendra pas à moi que je ne fasse quelque chose dans la Robe, j’ai des inclinations admirables.

MONSIEUR GRIMAUDIN.

Sur ce pied-là, je veux, avant qu’il soit dix ans que tu aies une petite Terre.

LÉPINE.

Je vous bien obligé, mon parrain.

MONSIEUR GRIMAUDIN.

Il y a plaisir, oui, de venir ainsi passer les Vacances dans ses petits États.

LÉPINE.

Assurément.

MONSIEUR GRIMAUDIN.

Il y a peu de mes Confrères qui en puisse faire autant.

LÉPINE.

Il n’y an aura jamais qui fasse son chemin si promptement que vous, et si ils aiment à aller vite ces Messieurs-là.

MONSIEUR GRIMAUDIN.

J’en attends ici trois ou quatre, que j’ai priés de me venir voir avec leurs familles pendant les Vacances.

LÉPINE.

Vous ne manquerez pas de compagnie.

MONSIEUR GRIMAUDIN.

Je veux les régaler de manière à les faire crever de dépit.

LÉPINE.

Ils seront tous bien fâchés de vous voir faire si bonne figure.

MONSIEUR GRIMAUDIN.

Je le crois comme cela.

LÉPINE.

N’est-ce pas aujourd’hui que vous faites la cérémonie de prendre possession...

MONSIEUR GRIMAUDIN.

Selon le monde qui viendra : je ne prétends pas que cela se fasse incognito, non : j’ai donné ordre que tout le Village se mît sous les armes, j’aime à faire parler de moi.

LÉPINE.

C’est la folie de tous les grands hommes.

MONSIEUR GRIMAUDIN.

Que je vais vivre heureux ! je suis veuf premièrement.

LÉPINE.

Oui : mais vous avez deux grands enfants.

MONSIEUR GRIMAUDIN.

Bon, le garçon s’est fait soldat, il n’oserait revenir ; et Dieu merci c’est un fripon que je suis en droit de déshériter, et de ne jamais voir.

LÉPINE.

Cela est bien heureux.

MONSIEUR GRIMAUDIN.

Et pour la fille, c’est une coquine qui ne vaudra pas mieux que son frère. Je veux la marier à un vieux Greffier, dont je suis sûr qu’elle ne voudra point, et je la gênerai tant, je la gênerai tant, qu’elle fera quelque sottise qui m’autorisera à la mettre dans un Couvent. Oh ! j’ai des vues bien judicieuses.

LÉPINE.

Oh ! pour cela, vous êtes né coiffé, d’avoir des enfants qui secondent si bien vos bonnes intentions.

MONSIEUR GRIMAUDIN.

Tout conspire à mon bonheur, et je m’en vais avoir le plaisir de faire la fortune d’une personne que j’aime.

LÉPINE.

Vous êtes amoureux ?

MONSIEUR GRIMAUDIN.

Oui, mon enfant. Est-ce que Madame la Roche ne t’a parlé de rien ?

LÉPINE.

Vous voulez épouser Madame la Roche.

MONSIEUR GRIMAUDIN.

Épouser Madame la Roche ! tu rêves, je pense.

LÉPINE.

Pourquoi non ? pour l’acquit de votre conscience peut-être. Il y a longtemps qu’elle est votre gouvernante ; et depuis la mort de la défunte il n’est pas que vous ne lui ayez promis quelquefois...

MONSIEUR GRIMAUDIN.

Cela était bon quand je n’étais que simple Procureur, mais à présent...

LÉPINE.

Ah ! le petit inconstant qui change avec la fortune !

MONSIEUR GRIMAUDIN.

Je veux te la faire épouser, à toi, laisse-moi ménager cela. La voici, je vais sur le champ lui proposer...

LÉPINE.

Non, non, mon parrain, si le cœur m’en dit, je ferai ma proposition moi-même.

 

 

Scène IV

 

MADAME LA ROCHE, MONSIEUR GRIMAUDIN, LÉPINE

 

MADAME LA ROCHE.

Qu’est-ce que c’est donc, Monsieur, est-ce vous qui faites venir ici une Compagnie de gens d’armes, pour prendre possession de votre Terre avec plus d’éclat ?

MONSIEUR GRIMAUDIN.

Comment donc : que veux-tu dire ?

MADAME LA ROCHE.

Ils sont plus de cinquante hommes à cheval, qui logeront cette nuit dans le Village : ils disent qu’ils se sont détournés de trois lieues pour passer par ici.

MONSIEUR GRIMAUDIN.

Ils prennent bien de la peine ; et pourquoi ne vont-ils pas leur chemin ?

LÉPINE.

C’est quelque Officier de votre connaissance apparemment qui vient vous rendre visite pour honorer votre prise de possession.

MONSIEUR GRIMAUDIN.

Oui : mais il ne fallait pas qu’il vînt avec tant de monde.

MADAME LA ROCHE.

Venez donc voir ce que vous en ferez ; ils veulent mettre leurs chevaux dans le Château, parce qu’il n’y a pas assez d’écuries dans le Village.

MONSIEUR GRIMAUDIN.

Leurs chevaux dans le Château ! ah, ah ! je leur ferai bien voir... Allons, allons, mon filleul, un bon procès-verbal de Dieu, commençons toujours par là.

LÉPINE.

Autant de papier timbré perdu, mon parrain : on ne gagne rien à plaider avec ces gens-là.

 

 

Scène V

 

MARTINE, MONSIEUR GRIMAUDIN, LÉPINE, MADAME LA ROCHE

 

MARTINE.

Eh vite, eh tôt, Monsieur dépêchez-vous.

MONSIEUR GRIMAUDIN.

Qu’est-ce qu’il y a ?

MARTINE.

Deux carrosses tout pleins de Madames, et une charretée de Procureux qui venont d’arriver dans la cour de la ferme. Ils sont pêle-mêle avec de grands soudards qui carressont les femmes, et qui battont les hommes. Ils disont tretous que vous leur faites pièce.

MONSIEUR GRIMAUDIN.

Mon pauvre filleul !

LÉPINE.

Vos petits États sont mal policés, mon parrain, il y faut mettre ordre.

MADAME LA ROCHE.

Il n’y a point de temps à perdre.

MONSIEUR GRIMAUDIN.

Tu as raison : je m’en vais leur faire donner assignation par mon Sergent, à ce qu’ils aient à se retirer, et à en venir par-devant le Bailli dans la huitaine, avec protestation de les prendre en partie en leur propre et privé nom en cas de désordre.

LÉPINE.

Leur signifiant que vous êtes Procureur, n’est-ce pas ?

MADAME LA ROCHE.

Hé Monsieur, vous n’y songez pas ; ces gens-là jetteront votre Sergent dans le puits, et ils mettront le feu à la maison, c’est moi qui vous le dis.

MONSIEUR GRIMAUDIN.

Mais voilà qui est extraordinaire ; des Cavaliers dans ce Village-ci ; ce n’est point un passage de troupes.

LÉPINE.

Il y a là-dessous quelque chose que je ne comprends pas bien : je m’en vais voir un peu ce que cela veut dire, et je viendrai vous en rendre compte, laissez-moi faire.

MONSIEUR GRIMAUDIN.

Oui, c’est bien dit, parle aux gens de Guerre, et je m’en vais recevoir les gens de Robe.

 

 

Scène VI

 

MADAME LA ROCHE, seule

 

Et je vais de mon côté moi lui préparer plus d’embarras que la Guerre et la Robe ne lui en peuvent faire.

 

 

Scène VII

 

ANGÉLIQUE, MADAME LA ROCHE

 

ANGÉLIQUE.

Hé bien, ma chère Madame la Roche, je ne me trompais point dans mes conjectures : ce vilain Greffier, que je t’ai dit qui me venait voir au Couvent, et qui faisait tant le radouci.

MADAME LA ROCHE.

Je n’en ai pas douté non plus que vous ; il est amoureux de vous sans contredit.

ANGÉLIQUE.

Son amour est autorisé de l’aveu de mon père, et il vient ici pour m’épouser : le voilà qui arrive.

MADAME LA ROCHE.

Cela ne se peut pas. Il est vrai pourtant que votre père est assez fou : mais il ne l’est point assez pour...

ANGÉLIQUE.

Quel homme, ma chère Madame la Roche ! avec quelle dureté il en a toujours agi avec mon frère et avec moi ! J’ai bien à me plaindre de la nature de m’avoir donné pour père...

MADAME LA ROCHE.

Mon Dieu ne vous plaignez point si fort, il n’est peut-être pas tant votre père que vous vous l’imaginez ; et la défunte... baste, le bon homme mérite assez d’avoir des héritiers de contrebande.

ANGÉLIQUE.

Je te l’ai déjà dit, Madame la Roche, son dessein est de me persécuter, pour m’obliger, comme mon frère, à prendre un parti.

MADAME LA ROCHE.

Oh ! je ne vous crois pas d’humeur à vous enrôler, quelque chose qu’il puisse faire.

ANGÉLIQUE.

Il veut que je fasse quelque extravagance, te dis-je.

MADAME LA ROCHE.

Hé bien, faites, ce sera sa faute ; et s’il ne faut que cela pour le contenter, je ne vois pas que la chose soit bien difficile.

ANGÉLIQUE.

Que tu es extravagante !

MADAME LA ROCHE.

Point, je vous parle sérieusement : à la vérité je comprends bien, que comme vous êtes peu entreprenant, vous ne hasarderez jamais la chose toute seule, et qu’il vous faut un associé.

ANGÉLIQUE.

Ah, ma chère Madame la Roche !

MADAME LA ROCHE.

Vous soupirez ? votre associé est tout trouvé, je gage, ce n’est plus que la résolution qui vous manque ? je vous en donnerai moi, ne vous mettez pas en peine.

ANGÉLIQUE.

Il n’y en aurait point que je ne fusse capable de prendre si je voyais jour à ne les pas prendre inutilement.

MADAME LA ROCHE.

Qu’est-ce à dire inutilement ? vous appréhendez qu’on ne veuille pas de vous ? Allez, allez, les jeunes gens d’à présent ont beau être ridicules et s’en faire accroire, il n’y en a point qui pousse la sottise jusque-là.

ANGÉLIQUE.

Ah ! qu’il y a peu de solidité dans le cœur des hommes, ma chère enfant.

MADAME LA ROCHE.

Est-ce que vous y avez déjà été attrapée ?

ANGÉLIQUE.

Non vraiment, je ne m’en plains pas : mais...

MADAME LA ROCHE.

Vous ne vous en plaignez pas : mais vous avez sujet de vous plaindre peut-être ? Allons, allons, dites-moi franchement vos petites affaires : vous avez quelque godelureau dans le cœur ou dans la cervelle, sur ma parole.

ANGÉLIQUE.

Hélas ! non ; c’est un jeune Officier, qui venait au Couvent où j’étais, voir une de ses parentes.

MADAME LA ROCHE.

Ah, ah ! ce jeune Officier-là est bien fait, je gage ?

ANGÉLIQUE.

Tout ce qu’on peut l’être.

MADAME LA ROCHE.

Il a de l’esprit ?

ANGÉLIQUE.

Au-delà de l’imagination.

MADAME LA ROCHE.

Vous vous aimez ?

ANGÉLIQUE.

Nous avions fait partie pour cela : mais il est parti pour l’armée, on m’a fait sortir du Couvent, j’ignore où il est, il ne sait ce que je suis devenue, je n’ai point de ses nouvelles.

MADAME LA ROCHE.

Voilà une partie d’amour assez dérangée, à ce qu’il me semble, et je ne vois pas que nous la puissions renouer à temps pour rompre celle du Greffier : vous verrez qu’il en faudra faire quelque autre.

ANGÉLIQUE.

Oh ! pour cela non : mais si celle que je te dis se trouvait faisable...

MADAME LA ROCHE.

Voici la femme du Substitut, Madame Perrinelle.

ANGÉLIQUE.

Ce Greffier de malheur est avec elle.

 

 

Scène VIII

 

MADAME PERRINELLE, LE GREFFIER, ANGÉLIQUE, MADAME LA ROCHE

 

MADAME PERRINELLE.

Qu’est-ce que cela veut donc dire, Madame la Roche ? Ah ! voilà aussi Mademoiselle Angélique Grimaudin. Vraiment, vous avez un plaisant original de père ; inviter d’honnêtes gens à venir le voir dans un Château dont il n’est pas le maître, et où le Roi met garnison de gens d’armes.

LE GREFFIER.

Et une garnison insolente, qui manque de respect à Madame Perrinelle.

MADAME PERRINELLE.

Oui des coquins qui ont l’audace de donner des croquignoles à Monsieur le Greffier.

LE GREFFIER.

Oh, ils n’y ont pas osé venir plus de trois ou quatre fois, et je leur ai bien dit que si cela continuait...

MADAME LA ROCHE.

Si vous leur aviez parlé d’abord un peu ferme...

LE GREFFIER.

Je ne prenais pas garde à moi dans les commencements, je ne songeais qu’à Madame Perrinelle. Quand on est avec des femmes...

MADAME PERRINELLE.

Ces brutaux-là n’ont plus de considération pour le beau sexe.

LE GREFFIER.

Ils vous trouvaient jolie, la peste, au retour d’une campagne ces drôles-là ne s’embarrassent non plus de honnir une femme de robe...

MADAME PERRINELLE.

Ils ont du goût dans leur brutalité, c’est dommage qu’ils manquent de savoir-vivre.

LE GREFFIER.

C’est la faute de Monsieur Grimaudin, de n’avoir pas prévu...

MADAME PERRINELLE.

Patience, patience, je ne lui laverai pas mal la tête.

ANGÉLIQUE.

Vous n’avez donc point encore vu mon père, Madame ?

MADAME PERRINELLE.

Non, Mademoiselle Grimaudin.

ANGÉLIQUE.

Je vais le faire chercher, Madame Perrinelle.

MADAME PERRINELLE.

Vous me ferez plaisir, Mademoiselle Grimaudin.

ANGÉLIQUE.

Il viendra vous recevoir comme vous le méritez, Madame Perrinelle.

MADAME PERRINELLE.

Je m’y attends bien, Mademoiselle Grimaudin.

ANGÉLIQUE, s’en allant.

Ne vous impatientez pas, Madame Perrinelle.

MADAME PERRINELLE.

Ce sont mes affaires, Mademoiselle Grimaudin, ce sont mes affaires.

MADAME LA ROCHE, s’en allant.

Je vous donne le bonjour, Madame Perrinelle.

 

 

Scène IX

 

MADAME PERRINELLE, LE GREFFIER

 

MADAME PERRINELLE.

C’est donc là la petite créature que vous vous destinez à épouser, Monsieur de la Paraphardière.

LE GREFFIER.

Oui, Madame, qu’en dites-vous ? comment vous semble-t-elle ?

MADAME PERRINELLE.

Fort ridicule, fort laide, fort sotte, fort bête, et fort impertinente.

LE GREFFIER.

Madame...

MADAME PERRINELLE.

La petite insolente ! Madame Perrinelle par-ci, madame Perrinelle par-là, elle a peur que j’oublie mon nom, je pense.

LE GREFFIER.

C’est un enfant, Madame, il ne faut pas prendre garde...

MADAME PERRINELLE.

Mais je voudrais bien savoir où cela peut prendre tout l’orgueil dont cela est pétri. Quoi ! parce que son père, que j’ai vu petit clerc chez mon oncle l’Auditeur, au sortir de calotin, a trouvé le secret de s’approprier un mauvais Château, qui dans le fonds n’est pas grand’chose ?

LE GREFFIER.

Non, vraiment, cela ne me paraît pas si joli que je l’avais ouï dire.

MADAME PERRINELLE.

Fi, ce ne sont que des masures. Vous avez vu ma petite maison de Clignancourt ?

LE GREFFIER.

Si je l’ai vue ? Il n’y a ni cour, ni jardin : mais à cela près pour une maison de campagne c’est bien la plus jolie chose...

MADAME PERRINELLE.

N’est-il pas vrai ? quelle vue ! c’est ma folie à moi que la vue.

LE GREFFIER.

Vous avez bien raison, il n’y a rien de plus nécessaire à la campagne. Et dites-moi un peu, n’êtes-vous pas venue chez moi au Pré Saint Gervais ?

MADAME PERRINELLE.

Oh tant de fois. J’étais si fort amie de la défunte.

LE GREFFIER.

C’est un petit endroit bien troussé, n’est-ce pas ? je n’y ai guères qu’un demi arpent d’enclos : mais cela est ménagé, cela est ménagé. Voilà ce qu’on appelle des maisons de campagne ?

MADAME PERRINELLE.

Assurément : mais des bâtiments du temps du Roi Guillemot, comme celui-ci. Oh ce que j’en ai déjà vu ne me plaît pas du tout.

LE GREFFIER.

Voici Monsieur Grimaudin, madame.

 

 

Scène X

 

MONSIEUR GRIMAUDIN, LE GREFFIER, MADAME PERRINELLE

 

MONSIEUR GRIMAUDIN.

Hé à quoi vous amusez-vous donc ? toute la compagnie est en peine de vous. Il y a déjà de ces Messieurs à la chasse, des Dames dans le Parc, le reste joue à l’Ombre dans la salle de mon Château, et vous voilà encore ici vous autres ?

LE GREFFIER.

Ma foi, Monsieur Grimaudin, nous avons trouvé en arrivant une compagnie qui nous a effarouchés franchement.

MADAME PERRINELLE.

Vous avez là de vilains hôtes, si vous voulez qu’on vous le dise.

MONSIEUR GRIMAUDIN.

Ce sont des troupes du Roi qui passent sur mes terres, Madame, je ne puis me dispenser de les recevoir. Entre Seigneurs Hauts Justiciers, on est obligé à certains devoirs l’un envers l’autre. Je relève de lui, au moins.

LE GREFFIER.

Je le crois bien vraiment.

 

 

Scène XI

 

MONSIEUR GRIMAUDIN, MADAME PERRINELLE, LÉPINE, LE GREFFIER

 

LÉPINE.

Ah ! Monsieur, voici de belles affaires.

MONSIEUR GRIMAUDIN.

Comment donc ?

LÉPINE.

Vos gens de Justice ont bien pris leur temps pour vous rendre visite.

MONSIEUR GRIMAUDIN.

Qu’est-il arrivé ?

LÉPINE.

Trois de ces Messieurs avaient pris des fusils pour aller tirer du côté du petit bois.

MONSIEUR GRIMAUDIN.

Je sais cela, hé bien ?

LÉPINE.

Cinq ou six de ces égrillards avec le Maréchal des Logis les ont rencontrés.

LE GREFFIER.

Ils ne les ont pas insultés, peut-être ?

LÉPINE.

Oh ! non, Monsieur, de toute la compagnie il n’y a eu que votre visage qui leur a déplu.

MADAME PERRINELLE.

Ils leur ont ôtés leurs fusils peut-être ?

LÉPINE.

Non, Madame, ils ont chassé avec eux-mêmes, et ils leur ont trouvé tant de disposition, l’air si noble, les armes si belles, qu’ils disent que ce serait dommage de ne pas mettre en œuvre de si bons hommes ; ils les ont enrôlés, et à l’heure que je vous parle...

MADAME PERRINELLE.

Comment enrôlés ?

LÉPINE.

Oui, vraiment, il n’y a pas de milieu, il faut qu’ils marchent.

LE GREFFIER.

Cela est épouvantable.

MONSIEUR GRIMAUDIN.

Ce sont des pièces qu’on me fait.

MADAME PERRINELLE.

Cela me paraît comme cela, oui : mais il n’y a pas de plaisir à être exposée...

 

 

Scène XII

 

MADAME LA ROCHE, MONSIEUR GRIMAUDIN, LÉPINE, MADAME PERRINELLE, LE GREFFIER

 

MADAME LA ROCHE.

Hé, Monsieur, quelle misère est-ce là ? on n’est pas en sûreté dans votre maison.

MONSIEUR GRIMAUDIN.

Est-il arrivé quelque chose de nouveau ?

MADAME LA ROCHE.

Oui, vraiment. Venez en empêcher les suites, s’il vous plaît.

MONSIEUR GRIMAUDIN.

Mais qu’est-ce que ce peut-être ?

MADAME LA ROCHE.

La femme de Monsieur le Commissaire, et celle de Monsieur l’Avocat sont entrées dans le parc ; le Sous-Lieutenant de cette Compagnie et le Cornette y étaient avant elles.

LÉPINE.

Ils ont voulu aussi les enrôler, peut-être ?

MADAME PERRINELLE.

Ils ne leur ont point fait d’insolence ?

MADAME LA ROCHE.

Non, vraiment, au contraire, beaucoup d’honnêtetés, et ils veulent à toute force les mener souper avec eux à la Croix blanche.

MONSIEUR GRIMAUDIN.

Vraiment, cela ne se fait point, et ces Officiers-là ne savent pas...

MADAME LA ROCHE.

Pardonnez-moi, ils savent bien que ce sont des bourgeoises ; ils disent qu’ils les aiment mieux que des femmes de qualité.

MONSIEUR GRIMAUDIN.

Ah ! je suis au désespoir.

MADAME LA ROCHE.

Cela est chagrinant : les maris sont à la chasse encore, s’ils allaient revenir...

LÉPINE.

Bon, revenir, les maris sont enrôlés aussi de leur côté. Je me donne au diable, il faudra que les femmes marchent.

MONSIEUR GRIMAUDIN.

Je vais parler à ces Messieurs-là, Madame la Roche.

MADAME LA ROCHE, s’en allant.

Dépêchez-vous au moins.

MONSIEUR GRIMAUDIN.

Entrez au Château, Madame Perrinelle.

MADAME PERRINELLE.

Que j’y entre, moi ? moi que j’y entre ? et si dans l’humeur où sont ces enrôleurs-là ils allaient aussi s’emparer de moi, Monsieur Grimaudin ?

LE GREFFIER.

Ne vous alarmez point, vous n’avez rien à craindre. Allons, Madame.

LÉPINE.

Oh ! pour cela non, je le garantis de tout, ils ont provision de vivandières.

 

 

Scène XIII

 

LÉPINE, seul

 

Ouais, qu’est-ce que tout cela veut dire ? on cherche à faire insulte à mon parrain le Procureur, sur ma parole ; et pour moi le cœur ne me dit rien de bon. Il me semble que j’ai vu quelques visages de ma connaissance.

 

 

Scène XIV

 

CLITANDRE, LÉPINE

 

CLITANDRE.

Les affaires prennent assez bon train, et la plupart des paysans sont disposés comme je le souhaite.

LÉPINE.

Je ne sais ce que cela veut dire, le temps présent ne va point trop mal, mais je crains diablement l’avenir à cause du passé.

CLITANDRE.

Oh ! palsanbleu, monsieur le Procureur, je vous ferai régaler de manière que vous vous repentirez d’être devenu Seigneur du Village aux dépends de mon oncle.

LÉPINE.

Ah ! ventrebleu j’avais bien raison.

CLITANDRE.

Voilà un visage qui ne m’est pas inconnu.

LÉPINE.

Je suis perdu, c’est mon dernier maître, c’est lui-même.

CLITANDRE.

C’est un coquin, qui m’a volé, je pense ?

LÉPINE.

Il pense mal, mais il pense vrai, c’est moi-même.

CLITANDRE.

Si je ne craignais point de me méprendre.

LÉPINE.

La conversation finirait mal, ne l’entamons point, tirons nos chausses.

CLITANDRE.

Monsieur, Monsieur de Lépine ?

LÉPINE.

Plaît-il, Monsieur ?

CLITANDRE.

Je ne me trompe point.

LÉPINE.

Pardonnez-moi, Monsieur, vous me prenez pour un autre, je ne me nomme pas Monsieur de Lépine.

CLITANDRE.

Tu ne te nommes pas Lépine, pendard ?

LÉPINE.

Non, Monsieur, ni Lépine, ni pendard, je vous assure.

CLITANDRE.

Ce n’est pas toi qui m’as quitté en Flandres l’année dernière au commencement de la Campagne ?

LÉPINE.

En Flandres, Monsieur ?

CLITANDRE.

Oui, coquin, en Flandres, oserais-tu dire le contraire ?

LÉPINE.

J’ai quelque idée confuse de vous avoir vu en ce pays-là.

CLITANDRE.

Quelque idée confuse ?

LÉPINE.

Oui, Monsieur, et en faveur de l’ancienne connaissance, s’il y a quelque chose pour votre service.

CLITANDRE.

Il y a pour mon service, que tu commences par me rendre...

LÉPINE.

Oh ! je me donne au diable, Monsieur, si c’est moi qui vous l’ai prise.

CLITANDRE.

Comment, quoi prise ?

LÉPINE.

Non, la peste m’étouffe, je ne sais ce que c’est. N’allez pas ici me redemander...

CLITANDRE.

Et si tu n’avais rien pris, qu’appréhendes-tu que je te demande ?

LÉPINE.

Ah ! que vous en savez long. Je vous vois venir, vous m’allez parler d’une bourse, d’un diamant, d’une boîte à portrait, je gage ?

CLITANDRE.

Pour un homme qui n’a pas fait le coup, tu es bien informé de ce qu’on m’a volé du moins.

LÉPINE.

Ce sont des idées confuses : mais dans le fonds...

CLITANDRE.

Oui, je le vois bien, tu n’as que des idées confuses : mais comme les miennes sont certaines, si tu ne me rends les soixante louis qui étaient dans ma bourse...

LÉPINE.

Ah, ah, ah, soixante louis ! il n’y en avait que trente neuf, ou le diable m’emporte.

CLITANDRE.

Trente neuf fois. Mon diamant de quatre cents écus ?

LÉPINE.

Comment, quatre cents écus ! ah Monsieur, il faut avoir de la conscience, ou l’Orfèvre ou vous vous êtes des fripons ; il n’y a pas de milieu. Je suis honnête garçon moi, si j’en ai eu plus de quatre cents trente cinq livres...

CLITANDRE.

Tu as vendu le diamant ? et la boîte ? le portrait ?

LÉPINE.

Oh ! pour le portrait, je vous le rendrai. Celui qui a acheté la boîte n’en a point voulu, il est d’une vieille.

CLITANDRE.

Il faut me rendre tout, autrement tu peux bien compter...

LÉPINE, se jetant à ses genoux.

Hé miséricorde, Monsieur, ne me perdez pas, je suis un enfant de famille ; mon grand-père est Sergent, mon père Cabaretier, mon oncle Fripier, et ma mère Sage-femme, ne déshonorez pas notre maison, je vous le demande en grâce.

CLITANDRE.

Lève-toi : que fais-tu ici ? y as-tu quelque connaissance ?

LÉPINE.

Si j’en ai ? je suis un des premiers Magistrats du village, Monsieur, Procureur Fiscal à votre service.

CLITANDRE.

Toi, Procureur ? et par quelle aventure ?

LÉPINE.

Ce n’est point par aventure, Monsieur, c’est par raison. Je me suis de tout temps senti les inclinations preneuses, comme vous l’avez éprouvé vous-même, et parce que ces petites inclinations-là ont quelquefois de mauvaises suites, tant pour le repos de ma conscience, que pour exercer ma passion dominante sans aucun risque, mes amis m’ont conseillé de me faire Procureur. Mais que venez-vous faire ici, Monsieur ? qui diantre vous y amène ?

CLITANDRE.

C’est ma Compagnie qui doit y passer le quartier d’hiver.

LÉPINE.

Votre Compagnie !

CLITANDRE.

Oui : j’ai demandé ce Village au Bureau, j’ai eu le crédit de l’obtenir, et j’y viens faire expirer sous le bâton, ou à force de persécutions du moins, un maraud de Procureur qui a eu l’insolence de se faire adjuger la Terre de mon oncle.

LÉPINE.

Je m’en étais bien douté, mon parrain ne sera pas tranquille dans ses petits États.

CLITANDRE.

Hem, que dis-tu ?

LÉPINE.

Je dis que ce maraud de Procureur est mon parrain, Monsieur.

 

 

Scène XV

 

LE MAGISTER, CLITANDRE, LÉPINE

 

LE MAGISTER.

Palsanguenne, Monsieur l’Officier, vous devez être bian content de nous : je venons de disposer les billets ; et en conséquence de vos bonnes intentions pour notre nouviau Seigneur, conformément à celles que j’avais itou pour ly dà, de vos cinquante hommes, j’en ont déjà logé trente cinq, tant dans son Château que dans sa Farme ; ils seront morgué là à bouche que veux-tu : c’est un fesse-mathieu qui a de quoi, ne vous boutez pas en peine.

LÉPINE.

C’est un petit Seigneur bien aimé que mon parrain.

CLITANDRE.

Voilà qui est bien. Et les autres qu’en avez-vous fait ? où sont-ils ?

LE MAGISTER.

Je les avons envoyés tous quinze chez un de ces nouviaux Monopoleux, qui a depuis peu acheté à nos dépends une petite métairie au bout du Village ; par ainsi je ne serons pas trop chargés, et comme vous ne nous incommodez pas, soyez les bienvenus.

CLITANDRE.

Vous me paraissez un homme de tête.

LE MAGISTER.

Oh ! palsanguenne oui, j’en ai une, et des plus têtues, je vous en réponds : quand je l’ai parfois chauffée d’une certaine manière... Et à propos de çà, j’ai une petite grâce à vous demander, s’il vous plaît, vous nous ferez l’honneur de demeurer ici tout l’hiver, peut-être ?

CLITANDRE.

Selon les affaires qui m’y retiendront, ou celles qui m’appelleront à Paris.

LE MAGISTER.

Morgué, n’importe, de près ou de loin ; comme note nouviau Seigneur est un vilain, un manant, un goujat de Robe, vous serez toujours le maître ; je vous demande votre protection contre li.

CLITANDRE.

À propos de quoi ?

LE MAGISTER.

À propos de ce que je veux li faire du dépit.

CLITANDRE.

Hé de quelle manière ?

LE MAGISTER.

Morgué, je voudrais bian ne li pas ôter mon chapiau, non plus que je fais à trois ou quatre filles qui m’avons fait pièce. Baillez-moi cette permission-là, Monsieur l’Officier, je vous en prie.

CLITANDRE.

Très volontiers, Monsieur la Magistrat, vous ferez tant de sottises qu’il vous plaira, je ne vous en empêcherai point, je vous assure.

LE MAGISTER.

Grand marci, Monsieur. Que j’allons voir de gens penauds ! Oh tatigué, je sis un fier compère.

LÉPINE.

Voilà un maître fou qui ne nuira pas aux bons desseins que vous avez pour le Procureur.

 

 

Scène XVI

 

MADAME PERRINELLE, CLITANDRE, LÉPINE

 

MADAME PERRINELLE, parlant à elle-même.

Oh pour cela non, je n’y demeurerai point ; voilà qui est résolu, je m’en retourne, oui, je m’en retourne.

CLITANDRE.

Qu’est-ce que c’est que cette honnête Bourgeoise-ci ?

MADAME PERRINELLE.

C’est une trop mauvaise compagnie pour passer les Vacances que la compagnie d’une Compagnie de Cavalerie.

LÉPINE.

Comment diable, Monsieur ? c’est l’original du portrait de vieille que je veux vous rendre.

CLITANDRE.

Madame Perrinelle ! quelle maudite rencontre !

MADAME PERRINELLE.

Clitandre en ce pays-ci ! hé par quelle heureuse destinée l’amour prend-il ainsi le soin de nous rassembler à la campagne, mon cher enfant ?

CLITANDRE.

Madame...

MADAME PERRINELLE.

Je ne vous attendais à Paris que dans quinze jours : mais je vous y attendais avec toutes les grâces.

LÉPINE.

Elle les a laissées en ce pays-là, sur ma parole.

MADAME PERRINELLE.

J’ai envoyé mon mari passer l’hiver à Bourges, il ne nous ennuiera pas tant cette année-ci que l’autre.

CLITANDRE.

Madame !

MADAME PERRINELLE.

À propos ne seriez-vous point un des Officiers de ces canailles qui sont ici, par parenthèse ?

CLITANDRE.

Oui, Madame, c’est ma Compagnie.

MADAME PERRINELLE.

Vous avez une Compagnie fort mal morigénée, fort mal instruite, fort mal élevée, je vous en avertis : mais puisque vous la commandez, nous en aurons raison. Je vais vous annoncer au Château. Vous y viendrez, je pense ? Au moins qu’on s’aperçoive un peu, je vous prie, que c’est à moi qu’on devra votre visite.

 

 

Scène XVII

 

CLITANDRE, LÉPINE

 

CLITANDRE.

Je ne m’attendais point à trouver ici cette vieille folle-là. Elle est des amies du Procureur, apparemment ? la connais-tu, dis ?

LÉPINE.

Oh pas tant que vous, Monsieur, à beaucoup près : mais c’est la vieille du portrait, je l’ai d’abord reconnue ; vous n’êtes pas mal en quartier d’hiver pour cette année. Un Procureur à la campagne, Madame Perrinelle à Paris, vous serez bien payé de vos ustensiles.

 

 

Scène XVIII

 

ANGÉLIQUE, MADAME LA ROCHE, CLITANDRE, LÉPINE

 

ANGÉLIQUE.

La compagnie que mon père a fait venir ici se divertira mal, et sa prise de possession ne sera pas tranquille.

MADAME LA ROCHE.

Il en ordonne la cérémonie burlesque avec grand soin, et il me semble qu’il s’en fait une belle affaire. Il a fait venir un Suisse de Gonesse avec toute sa famille.

CLITANDRE, apercevant Angélique.

Que vois-je, Lépine ?

LÉPINE.

Vous voyez une fort jolie fille, et une fort bonne femme, c’est un assortiment des plus commodes.

ANGÉLIQUE.

Ah ! Madame la Roche, voilà ce jeune Officier dont je te parlais, qui venait au Couvent.

MADAME LA ROCHE.

Cela n’est pas possible ?

CLITANDRE.

La jolie fille ne m’est pas inconnue, Lépine.

LÉPINE.

Bon, tant mieux, vous aurez bientôt fait connaissance avec la bonne femme.

CLITANDRE.

La surprise où je suis, Madame, de vous trouver à la campagne dans un temps...

ANGÉLIQUE.

Cette aventure est toute des plus imprévues pour moi, je vous l’avoue, et je ne m’attendais pas...

LÉPINE.

Je ne m’y attendais pas non plus, moi, la peste m’étouffe ; et je gage que Madame la Roche est aussi surprise de votre connaissance, que vous êtes surpris de vous rencontrer, et Monsieur votre père ne sera pas moins surpris d’une chose aussi surprenante. Oh diable, il y aura bien de la surprise dans tout ceci, sur ma parole.

MADAME LA ROCHE.

Mais que les surprises ne vous fassent perdre le jugement. Vous voilà à même de renouer la partie, mort de ma vie finissez-la, il n’y a point de temps à perdre.

CLITANDRE.

Par quelle heureuse destinée, Madame...

MADAME LA ROCHE.

On vous expliquera tout cela. C’est le même hasard qui l’a conduite ici, qui vous y amène. Vous vous aimez tous deux, vous vous retrouvez, vous ne vous séparerez pas sans boire.

ANGÉLIQUE.

Tu es vive, Madame la Roche, et tu prends les choses d’une manière...

MADAME LA ROCHE.

Aussi n’y a-t-il qu’un mot qui serve. Vous m’avez dit que Monsieur vous aime, et que vous ne le haïssez pas, je ne vois pas qu’on puisse être mieux d’accord. Hé ! que faut-il de plus pour un bon mariage ?

CLITANDRE.

Elle a raison, et je vous donne ma parole que le seul but de mon amour...

LÉPINE.

Allez, je le connais, je vous réponds de lui, il fera bien les choses.

 

 

Scène XIX

 

CLITANDRE, ANGÉLIQUE, MAUGREBLEU, LÉPINE, MADAME LA ROCHE

 

MAUGREBLEU, ivre.

Qu’est-ce que c’est donc que cela, mon Capitaine ? vous vous amusez à la moutarde pendant qu’on vous fait des recrues d’une distinction et d’une utilité...

CLITANDRE.

Oh ! que tu es ivre, mon pauvre garçon.

MAUGREBLEU.

Comme de coutume, je ne hausse, ni ne baisse ; chacun a ses petites talents dans ce monde, vous aimez le cotillon, moi j’aime la bouteille, et...

MADAME LA ROCHE.

Hé ! je crois, Dieu me pardonne, que c’est votre frère, Madame, dont il y a si longtemps qu’on a eu de nouvelles, ce pauvre Charlot.

CLITANDRE.

Comment son frère !

MAUGREBLEU.

Qui est l’animal qui parle de Charlot ? oh, réformez, réformez votre style, s’il vous plaît, je suis premier Maréchal des Logis de la Compagnie de ce Gentilhomme-là, afin que vous le sachiez.

MADAME LA ROCHE.

Je ne me trompe point, c’est lui-même.

ANGÉLIQUE.

Cet ivrogne-là serait mon frère ?

MAUGREBLEU.

Qu’est-ce à dire ivrogne, et votre frère encore ? vous me cajolez ! Vous me voulez attraper ; allons, mon Capitaine, ne nous amusons point à ces carognes-là.

LÉPINE.

Madame la Roche a parbleu raison, c’est le fils de mon parrain.

MAUGREBLEU.

Oh, pour toi je te remets, tu es Lépine, le filleul de mon père, un grand fripon, oui, je te reconnais : mais pour vous autres...

MADAME LA ROCHE.

Vous ne vous ressouvenez pas de Madame la Roche ?

MAUGREBLEU.

De Madame la Roche ? si fait parbleu, c’était une bonne diablesse. Ne serait-ce point vous ?

MADAME LA ROCHE.

C’est moi-même.

MAUGREBLEU.

Je crois, ma foi, qu’elle n’a point menti, et voici une vivante qui ressemble à ma sœur : mais non, si fait, le diable m’emporte, c’est elle-même. Parlez donc, ho, mon Capitaine, bride en main, s’il vous plaît. Pour Madame la Roche, vous irez le galop, si vous pouvez : mais pour ma sœur...

ANGÉLIQUE.

J’ai bien de la confusion que mon frère...

CLITANDRE.

N’en rougissez point, Madame, il est honnête homme, et je me fais honneur de son amitié.

MAUGREBLEU.

Mais je me donne au diable si je comprends rien à tout ceci. Vous vous connaissez tous, vous vous rencontrez tous ici, vous vous entendez tous comme larrons en Foire ; mon Capitaine, qu’est-ce que cela signifie ?

MADAME LA ROCHE.

Que votre Capitaine va devenir votre beau-frère.

MAUGREBLEU.

Il va le devenir ? ne l’est-il point déjà ? Il ne faut pas que je sache rien de çà au moins, je vous en avertis, car je suis un brutal.

MADAME LA ROCHE.

Au contraire, vraiment nous prétendons que tout le monde le sache, et que Monsieur votre père qui est ici en soit informé des premiers.

MAUGREBLEU.

Mon père qui est ici ? quel peste de conte ! hé qu’est-ce qu’il ferait ici mon père ?

LÉPINE.

Ce qu’il y ferait ? il y vient prendre possession de la Terre qu’il s’est fait adjuger depuis trois semaines.

MAUGREBLEU.

Comment possession de la terre, mon Capitaine ! Ce maroufle de Procureur à qui nous venons donner des étrivières, il se rencontre que c’est mon père, cela est par ma foi drôle.

CLITANDRE.

Quoi, Madame, c’est Monsieur votre père qui...

ANGÉLIQUE.

C’est lui qui est depuis peu Seigneur du Château que vous voyez.

MAUGREBLEU.

Cela change la thèse au moins, et je ne puis pas en conscience moi donner les étrivières à mon père.

MADAME LA ROCHE.

Que veut-il donc dire ?

CLITANDRE.

J’étais ici dans le dessein de troubler son acquisition : mais je vous assure que bien loin de faire la moindre démarche...

MAUGREBLEU.

Oh les choses s’accommoderont, je vois bien cela, l’acquisition demeurera à mon père, et ma sœur servira de pot de vin ; pourvu que je trouve aussi mon petit compte dans ce petit marché-là, moi.

CLITANDRE.

Vous l’y trouverez. Ma Lieutenance est vacante, je vous la donne.

MAUGREBLEU.

Bon, tant mieux, grand merci beau-frère : Il n’est morbleu rien tel pour faire fortune que le canal des femmes ; et combien de grands Officiers seraient très subalternes, s’ils n’avaient eu de jolies sœurs ou de jolies cousines ?

MADAME LA ROCHE.

La grande affaire est à présent de faire consentir votre père.

MAUGREBLEU.

Il consentira à tout, j’en donne sa parole, et le filleul et moi nous allons lui faire entendre...

CLITANDRE.

Monsieur de Lépine, au moins songez...

LÉPINE.

Je comprends, Monsieur, je suis payé d’avance, je travaillerai utilement, sur ma parole. Allez faire ensemble un petit tout de promenade seulement ; mais fort court surtout, je vous suis caution qu’à votre retour les affaires seront bien avancées.

CLITANDRE.

Laissons nos intérêts entre leurs mains : allons, Madame.

 

 

Scène XX

 

MAUGREBLEU, LÉPINE

 

MAUGREBLEU.

Allons, filleul, mène-moi voir mon père, j’ai impatience d’avoir cet honneur-là, il y a longtemps que je lui dois une visite.

LÉPINE.

Il ne s’attend à rien moins qu’à celle-ci, et il ne sera pas mal étonné.

MAUGREBLEU.

Je suis curieux de savoir comment il me recevra, il en usa mal avec moi la dernière fois que nous nous complimentâmes.

LÉPINE.

Le voici avec un de ses confrères, je pense.

 

 

Scène XXI

 

MONSIEUR GRIMAUDIN, LE GREFFIER, MAUGREBLEU, LÉPINE

 

LE GREFFIER.

Il faut parler au Capitaine, Monsieur Grimaudin. Il n’est pas naturel qu’on enrôle ainsi trois honnêtes bourgeois qui viennent de bonne foi chez vous pour...

MONSIEUR GRIMAUDIN.

Ne vous mettez pas en peine, on me les rendra, vous dis-je, ou je ferai sonner le tocsin sur tous ces gens-là. Mes paysans me prêteront main-forte, laissez faire.

MAUGREBLEU.

Présentez-moi donc, filleul, toi qui es en grâce.

LÉPINE.

Il ne sera pas nécessaire que vous en veniez à ces extrémités-là, mon parrain : Et voilà un des premiers Officiers de la Compagnie qui vient ici vous assurer...

MAUGREBLEU.

Je suis bien votre serviteur, Monsieur mon père, et j’ai bien de la joie...

MONSIEUR GRIMAUDIN.

Comment ? hé c’est mon fils, c’est ce fripon de Charlot...

MAUGREBLEU.

Fort à votre service, mon père : mais ne m’appelez plus comme cela, je vous prie, cela vous ferait peut-être reprendre avec moi des prérogatives que je supprime. Je m’appelle Monsieur Maugrebleu, Lieutenant de Cavalerie ; que cela vous suffise, et plus de familiarité, s’il vous plaît.

MONSIEUR GRIMAUDIN.

Tu as Lieutenant de Cavalerie ?

MAUGREBLEU.

Et vous, Seigneur de Paroisse ; vous vous poussez dans la robe, je me pousse dans l’épée, ma sœur se pousse... baste elle fait aussi fortune à l’heure qu’il est, chacun se pousse à sa manière. Oh nous sommes une famille bien fortunée nous autres.

MONSIEUR GRIMAUDIN.

Qu’est-ce à dire, ta sœur fait fortune ?

MAUGREBLEU.

Oui, mon Capitaine l’épouse, je la lui ai donnée en mariage ; l’Aumônier du Régiment, qui est ici, en va faire la cérémonie.

MONSIEUR GRIMAUDIN.

Ah, ah ! voici qui est admirable : mais j’ai promis ma fille à Monsieur que voilà moi.

MAUGREBLEU.

À ce visage-là ? cet animal-là serait mon beau-frère ? je n’en voudrais morbleu pas pour mon Palefrenier.

LE GREFFIER.

Monsieur Grimaudin.

LÉPINE.

La guerre donne des sentiments bien nobles et bien relevés au moins.

MONSIEUR GRIMAUDIN.

Mais sérieusement parlant.

MAUGREBLEU.

Couvrons-nous, mon père, et parlons doucement.

LÉPINE.

De peur de vous faire mal, mon parrain.

MONSIEUR GRIMAUDIN.

Ouais.

MAUGREBLEU.

Vous dites donc, Monsieur mon père, que...

MONSIEUR GRIMAUDIN.

Je dis qu’on n’aura pas ma fille malgré moi, et que je ne prétends pas...

LÉPINE.

Oh ! pour cela, mon parrain, vous êtes dans votre tort.

MONSIEUR GRIMAUDIN.

Je suis dans mon tort moi ?

MAUGREBLEU.

Oui sans contredit. Explique-lui la chose, filleul.

MONSIEUR GRIMAUDIN.

Je n’ai que faire d’explication, et je...

LÉPINE.

Pardonnez-moi, mon parrain, donnez-vous patience.

LE GREFFIER.

Votre fils et votre filleul se moquent de vous, je vous en avertis.

MONSIEUR GRIMAUDIN.

C’est ce qu’il me semble : mais...

MAUGREBLEU.

C’est le neveu et l’héritier de celui sur qui vous avez fait décréter cette Terre-ci que mon Capitaine.

MONSIEUR GRIMAUDIN.

Oui.

LÉPINE.

Vous comprenez bien, Monsieur ?

MONSIEUR GRIMAUDIN.

Quoi, je comprends bien ?

LÉPINE.

Vous venez prendre possession de la Terre sans la permission de l’oncle, remarquez bien cela.

MONSIEUR GRIMAUDIN.

Hé bien ?

MAUGREBLEU.

Hé bien le neveu prend possession de la fille sans votre permission. Voilà ce que fait le mauvais exemple.

MONSIEUR GRIMAUDIN.

Je me moque de cela, et je ne donnerai point les mains...

LÉPINE.

Si vous ne faites pas les choses de bonne grâce, vous ne jouirez pas tranquillement de la Terre, ils sont venus ici pour vous faire déguerpir, je vous avertis.

MONSIEUR GRIMAUDIN.

Est-il possible ? me dis-tu vrai ?

On entend un bruit de Hautbois.

MAUGREBLEU.

Qu’est-ce que c’est que cette musique-là ? nos Hautbois sont de la symphonie, je pense.

 

 

Scène XXII

 

MONSIEUR GRIMAUDIN, LE GREFFIER, MAUGREBLEU, LÉPINE, COLIN

 

COLIN.

Hé venez vite, Monsieur, tout le Village est dans la cour du Château, qui vient vous faire la révérence.

MONSIEUR GRIMAUDIN.

Mais j’avais dit qu’ils attendissent mes ordres pour...

COLIN.

C’est Mademoiselle votre fille, et le Capitaine de ces gens d’armes, qu’ils disont qui est votre gendre, qui les avont envoyés pour vous divartir, et pour commencer le prélude de leurs noces.

LÉPINE.

Cela est plus avancé que vous ne croyez au moins ; et tenez les voilà, ils vous diront ce qui en est, ils sont sincères.

 

 

Scène XXIII

 

MONSIEUR GRIMAUDIN, LE GREFFIER, MAUGREBLEU, CLITANDRE, ANGÉLIQUE, LÉPINE, MADAME LA ROCHE, COLIN

 

MONSIEUR GRIMAUDIN.

J’apprends ici de jolies choses, mademoiselle ma fille.

ANGÉLIQUE.

On vous l’a dit, mon père ? Je croyais vous en apporter la première nouvelle. Monsieur veut m’épouser, il a déjà le consentement de mon frère et le mien, nous venons vous prier d’y joindre le vôtre, et de...

CLITANDRE.

Si vous voulez jouir paisiblement de la Terre de Gaillardin, Monsieur, il faut, s’il vous plaît, souscrire aux conditions...

MONSIEUR GRIMAUDIN.

Je souscris à tout, Monsieur, pourvu que je demeure Seigneur de Paroisse, et qu’on me rende tous les honneurs dus à la qualité de...

MAUGREBLEU.

On vous les rendra. Je vous arme Chevalier, moi ; voilà mon ceinturon, mon épée et mon plumet par dessus le marché : il faut être Chevalier pour recevoir les hommages du Village.

MONSIEUR GRIMAUDIN.

Écoute, ne raille pas ici.

MAUGREBLEU.

Si je raille que la peste m’étouffe : voilà notre famille fort ennoblie. Mon Capitaine fera aussi ma sœur Chevalière, il lui donnera tantôt l’accolade.

MONSIEUR GRIMAUDIN.

Écoutez, mon gendre, puisque vous voulez l’être, je prétends...

CLITANDRE.

Vous serez content, et vous allez voir un échantillon de la complaisance qu’auront pour vous et les habitants du Village, et les Cavaliers de ma Compagnie. Qu’on fasse venir ces gens qui sont au Château.

MAUGREBLEU.

Les voici qui viennent d’eux-mêmes.

LE GREFFIER.

Et nos trois enrôlés que deviendront-ils ?

MAUGREBLEU.

Ils n’ont qu’à financer les frais de la noce et de la cérémonie, je les relâcherai moi, j’en fais mon affaire.

LÉPINE.

Et Monsieur le Greffier, qu’en ferons-nous ?

MAUGREBLEU.

Hé que diable faire d’un Greffier ? il prendra patience. Allons enfants, vive la joie. Honneur à votre nouveau Seigneur, et au beau-père de notre Capitaine.

 

 

Divertissement

 

Plusieurs Paysans et Paysannes, un Suisse, une Suissesse, des Procureurs, et des Cavaliers en bottes, viennent pour faire honneur à la prise de possession de Monsieur Grimaudin.

LA SUISSESSE chante.

Que chacun se prépare
À faire de son mieux
En ces lieux,
Fanfare, fanfare, fanfare.

LE CHŒUR répète.

Fanfare, fanfare, fanfare.

LA SUISSESSE.

Célébrons la victoire
D’un Procureur fameux,
Qui de son écritoire,
S’est fait un destin glorieux.
Que chacun se prépare
À faire de son mieux
En ces lieux,
Fanfare, fanfare, fanfare.

LE CHŒUR répète.

Fanfare, fanfare, fanfare.

LA SUISSESSE.

En dépit de l’envie,
Sans bombes et sans artillerie,
Il se rend maître d’un Château,
Entouré d’un fossé plein d’eau.
Que chacun se prépare
À faire de son mieux
En ces lieux,
Fanfare, fanfare, fanfare.

LE CHŒUR.

Fanfare, fanfare, fanfare.

Entrée de la Suissesse seule.

UN PROCUREUR chante.

Le Village
Vient rendre hommage,
Et faire honneur
À son nouveau Seigneur.
Tous à la fois,
À haute voix,
Chantons ce personnage,
Et ses fameux exploits.

Entrée du Suisse et de la Suissesse.

DEUX PROCUREURS chantent ensemble.

Nous sommes en vacances, Confrère,
Faisons bonne chère,
Passons le temps,
Laissons là toute affaire,
Procès, Inventaire,
Moquons-nous de nos clients.

L’affreuse chicane,
Qui rend diaphane
Le pauvre plaideur,
Rend la face
Bien grasse
Au Procureur.

Entrée de deux Procureurs qui sont insultés par deux Cavaliers, qui leurs ôtent leurs Robes, et les chassent du Théâtre.

UNE PETITE PAYSANNE chante.

Aimez ailleurs désormais,
Dit l’autre jour une Coquette
À des soupirants de Palais ;
Voici la Campagne faite,
Hors de Cours et de procès.

Jusqu’au temps de la verdure,
Les Guerriers de retour,
Nous vont apprendre en amour
Une nouvelle procédure.

Entrée de deux petits Paysans et d’une petite Paysanne.

UNE PAYSANNE chante.

Un jour
L’Amour
Eut un procès,
En plein Palais,
On lui fit rendre
Tous les cœurs qu’il avait su prendre.

Il a juré depuis ce temps
Que tous les gens
De chicane et de pratique
Qui plaideraient dans sa boutique,
Seraient condamnés aux dépens.

On apporte un fauteuil, dans lequel se place Monsieur Grimaudin sous un grand parasol, ayant à ses côtés deux Paysans qui lui servent de gardes, l’un avec un vieux mousquet, et l’autre avec une hallebarde rouillée, tous deux en baudrier et en épée.

UN PROCUREUR chante.

Compagnons, dansons tous un branle
Jusqu’à demain,
Et que partout on mette en branle
Cloche et tocsin.
Voici Monseigneur Grimaudin
Dans son Château du Gaillardin.

LE CHŒUR.

Voici Monseigneur Grimaudin
Dans son Château du Gaillardin.

LE MAGISTER.

Jamais le gros cheval de Troie
Fait de sapin,
N’entrit avec plus grande joie
Chez le Troyen,
Que Monseigneur de Grimaudin
Dans son Château du Gaillardin.

LE CHŒUR.

Que Monseigneur de Grimaudin
Dans son Château du Gaillardin.

LE BARBIER.

Je suis le Barbier du Village,
Nommé Mambrin,
Je raserai le gros visage
Et le groin
De Monseigneur de Grimaudin
Dans son Château du Gaillardin.

LE CHŒUR.

De Monseigneur de Grimaudin
Dans son Château du Gaillardin.

LA MEUNIÈRE.

Sur un bras de votre Rivière
J’avons du bien,
Et je viens offrir la Meunière
Et son Moulin
À Monseigneur de Grimaudin
Dans son Château du Gaillardin.

LE CHŒUR.

À Monseigneur de Grimaudin
Dans son Château du Gaillardin.

LE PROCUREUR FISCAL.

Il faut désormais que j’écrive
Sur parchemin,
En lettres d’or dans nos Archives
En beau Latin :
Vivat mon parrain Grimaudin
Dans son Château du Gaillardin.

LE CHŒUR.

Vivat son parrain Grimaudin
Dans son Château du Gaillardin.

MAUGREBLEU.

Amis, c’est trop chanter sans boire,
Allons, enfin,
Pour terminer gaiement l’histoire,
Fêter le vin
De mon papa de Grimaudin,
Dans son Château du Gaillardin.

LE CHŒUR.

De son papa de Grimaudin
Dans son Château du Gaillardin.

On porte Monsieur Grimaudin dans son Château, où il est suivi de tous les Acteurs et Actrices de la Comédie et du Divertissement.

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