Les Mascarades amoureuses (Michel GUYOT DE MERVILLE)

Comédie en un acte et en vers, avec un divertissement.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de l’Hôtel de Bourgogne, le 4 août 1736.

 

Personnages

 

DORIMONT

CLITANDRE, fils de Dorimont

MATHURIN

COLETTE, fille de Mathurin

FINETTE, nièce de Mathurin

ARLEQUIN, valet de Clitandre

NICOLE, servante de Mathurin

LE TABELLION

 

La Scène est dans un Jardin de Nanterre.

 

 

LETTRE À MONSIEUR M***

 

MONSIEUR,

 

Si j’ai lieu d’être satisfait du succès de mes Mascarades amoureuses, c’est surtout parce que cette comédie est un peu différente de la plupart des Pièces qui ont paru depuis quelques années, et qu’elle n’est point redevable de sa réussite aux applaudissements d’une Secte de beaux-Esprits, ligués pour l’abolition de l’ancien goût. J’ai vu avec un extrême plaisir, qu’au milieu du règne de l’affectation et du faux bel-esprit, la simplicité et le vrai avaient encore des Partisans. Des personnages ordinaires, avec la raison et le sentiment, qui font de tous les temps, de tous les pays et de toutes les conditions, ont plu et touché davantage, que si je leur avais prêté cet esprit colifichet, qui, dégradant la raison, semble avoir entrepris de renverser l’ordre de la Nature, et de détruire le génie fondamental du Théâtre. Car, quoiqu’on ne puisse faire d’ouvrage dramatique sans parler, il n’en est pas moins certain, que ce qu’on appelle la belle conversation n’est point du ressort de la Comédie, où tout doit être action, de quelque façon qu’elle existe. Et c’est ce que le plus grand de nos Poètes modernes a bien senti, et a judicieusement exprimé dans ces vers :

...L’esprit seul peut, sans doute,
Aux grands succès se frayer une route.
Ce que j’attaque est l’emploi vicieux
Que nous faisons de ce présent des cieux.
Son plus beau feu se convertit en glace,
Dès qu’une fois il luit hors de sa place ;
Et rien enfin n’est plus qu’un froid écrit,
Où l’esprit brille aux dépens de l’esprit.

ROUSS. Ep. VIII

C’est aussi le sentiment d’un homme qui entend parfaitement le Théâtre. « On ne cherche, dit-il, on ne demande aujourd’hui que ce qu’on appelle esprit, soit par la difficulté de faire ce beau simple... et cet élégant naturel, si recommandé par les Maîtres de l’art... soit par une corruption de goût, qui a passé insensiblement jusqu’aux Spectateurs ; et plus cet esprit vise à l’extraordinaire, et mieux il est reçu... C’est ce même genre d’écrire... qui révolte ceux qui ont su se préserver de la contagion. Ces esprits justes, ces esprits vrais ne souffrent qu’avec peine, que l’on préfère aujourd’hui des comédies composées simplement de saillies et d’épigrammes, aux comédies qui n’ont qu’une intrigue soutenue d’une diction simple et naturelle... La nature vraie et simple n’admet point dans ses expressions, quelque variée qu’elle soit ces gentillesses (ce clinquant, ces bluettes) qui ne vont qu’à la travestir. » M. RICCOBONI, Observations sur la Comédie.

Tels sont les égarements où l’esprit précipite, lorsqu’après avoir osé secouer le joug du bon sens, il a la folle hardiesse de marcher sans guide ; et tel est le fondement ruineux de la réputation équivoque de quelques-uns de nos Écrivains modernes.

Pour moi, je ne marcherai jamais sur leurs traces ; et après l’heureuse réussite de ce faible essai, je me flatte d’atteindre quelque jour au but où je tends, sur les pas de Terence, et surtout de Molière, Poètes admirables dont j’ai toujours fait mon étude et mes délices.

On peut juger, par-là, que je ne suis pas d’accord avec l’Auteur de certains vers répandus depuis peu dans le Monde, qui les méprise beaucoup, sous le titre de Réponse aux trois Épîtres nouvelles du Sr. Rousseau, et où l’on dit de Molière :

...Cet Auteur si vanté
Ne veut-il pas toujours être comique ?
Oui ; mais s’il faut qu’une fois on s’explique,
Souvent trop plein de cet unique objet,
Il choisit mal, ou gâte son sujet ;
Et pour charmer la vile populace,
Mauvais plaisant, il bouffonne et grimace.

Un passage de Boileau, mal entendu et mal expliqué, a fourni le sens et même les termes de cette décision, aussi téméraire qu’elle est grossièrement exprimée. Mais sans examiner en cet endroit si l’on doit juger du mérite réel de Molière, sur ce qu’il peut lui avoir échappé de défectueux soit par déférence pour quelques personnes, soit par indulgence pour son siècle, soit par quelque autre motif[1], et non sur ce qu’il a produit d’excellent et d’admirable par la force de son génie, par la solidité de son jugement, par la finesse de son goût, par la justesse de son discernement, et enfin par la parfaite intelligence qu’il avait de l’art dramatique ; sans discuter, dis-je, cette matière, « ne trouve-t-on pas toujours un Maître, soit dans l’intrigue des mêmes Pièces, soit dans la liaison et l’arrangement des scènes soit dans les idées, qui, pour être comiques, ne font ni baffes ni grossières, et qui tiennent toujours à une action simple ou vraisemblable ? Si l’esprit humain est borné,  et si un Écrivain semble n’être destiné en général par la Nature qu’à réussir dans un seul genre, combien est-il surprenant de voir un génie exceller en tous, et faire rire  le connaisseur et l’ignorant dans la farce du Médecin malgré lui, après avoir si pleinement satisfait l’homme d’esprit dans la comédie du Misanthrope ? » Observations sur la Comédie, pag. 92, 93.

Je me borne uniquement dans cette Préface, que je ne veux pas ériger en dissertation, à ces chefs-d’œuvre de la bonne Comédie, qui fondent principalement la réputation de Molière, et que l’Anonyme attaque avec le plus de vivacité et le moins de raison.

Pour faire tomber le reproche ridicule que ce Censeur peu éclairé fait à Molière, d’avoir mal choisi où gâté ses sujets, il me suffit d’emprunter encore les paroles du Critique que j’ai déjà cité. « Tout ce que nous avons de lui, dit-il, est si heureusement inventé et tellement achevé, qu’il sert encore au Théâtre moderne et de modèle et d’ornement tout ensemble... (Quant à l’imitation) Molière avait un génie supérieur en cette partie. Il a quelquefois tiré d’une bagatelle des choses sublimes ; et les sources qui auraient été stériles pour tout autre génie, font devenues abondantes entre ses mains. En effet, qui aurait jamais pensé que l’on eût pu tirer des Nouvelles de Bocace, dont il a fait usage des sujets propres à la Comédie ? Et se serait-on imaginé que ces mauvaises farces, jouées à l’impromptu par les Comédiens Italiens, eussent produit les chefs-d’œuvre de Molière ?... Quiconque connaîtra les originaux,, dont il a fait usage, admirera d’autant plus, l’art avec lequel il les a employés, qu’il a su se les rendre propres... Tout ce qu’il, emprunte d’ailleurs est tourné, disposé, traité de manière que l’imitation devient infiniment supérieure au modèle, et qu’en les comparant on ferait tenté de prendre l’ouvrage de Molière pour original, et l’original pour une imitation froide et mal rendue de l’ouvrage de Molière... C’est ce sentiment, ce jugement juste sur le choix d’un sujet, et sur l’effet d’un ouvrage dramatique, que Molière joignait dans un degré éminent à tous ses autres talents. Observat. sur la Comédie pag. 101, 144, 145, 150, 151, 166.

Cette décision, quelque poids qu’elle ait, eu égard à celui qui l’a rendue[2], paraîtrait peut-être vague, hasardée, superficielle, si elle n’était pas appuyée sur des preuves incontestables, tirées des sources mêmes où Molière a puisé ses sujets. M. Riccoboni raisonne, sur cela, avec toute la justesse et toute la sagacité possibles, dans son article VIII de l’imitation, pag. 143, 197, auquel le Lecteur me permettra de le renvoyer. On y verra, par exemple, avec quel art et quel succès Molière a embelli les sujets de la Princesse d’Élide et de l’Avare.

Qui ne ferait donc pas indigné d’une accusation si injuste et si frivole, formée étourdiment contre un Auteur tel que Molière, qui, d’ailleurs, rassemble en lui tant de rares qualités ; connaissant parfaitement tous les replis du cœur, et tous les ressorts de l’esprit ; toujours excellent dans l’économie de ses Pièces, dans la conduite de chaque scène, et dans la contexture de ses dialogues ; partout abondant en traits charmants de ce Comique sensé et naturel, que fournissent la situation et le sentiment ; vrai, ferré, énergique dans ses portraits ; admirable par la noble simplicité de son style, et par la facilité, la douceur et l’harmonie de sa versification ; en un mot, un Poète qu’on pourrait appeler, à juste titre, le Peintre et l’Interprète de la Nature.

Après tout, peut on s’étonner de voir Molière méprisé par un Écrivain, qui méprise M. Rousseau ? Mais est-ce à moi de prendre la défense de cet illustre Poète ? Il vit. D’ailleurs les trois fameuses Épîtres, qui ont donné lieu au torrent de bile et de fiel, qu’un inconnu vient de vomir contre sa personne, n’en ayant pas seulement été effleurées, elles conservent, aux yeux du Public, toute leur beauté. Cependant M. Rousseau, qui ne s’est jamais loué lui-même, laisse à tout le monde la liberté de le dédommager de tant d’injures, par les éloges qui lui sont dus, et celle de juger si son adversaire a eu raison de s’écrier :

Voltaire brille, il obscurcit Rousseau.

Pour le faire, il faudrait comparer ensemble ces deux Poètes ; et voici comment je le ferais, si je croyais que mon suffrage fût de quelque autorité. Je commencerais par voir quels sont les genres qui leur sont propres ; car nous avons chacun le nôtre, dans lequel la Nature nous a imposé la nécessité de travailler, sous peine de ne point réussir ; et je dirais d’abord, que M. Rousseau et son rival, courant une carrière toute différente, ne sauraient s’obscurcir l’un l’autre. Comment donc faire le parallèle de deux Poètes, qui ne se ressemblent en rien, sinon par la seule qualité de Poètes ? Pour pouvoir juger qui des deux est préférable à l’autre, j’examinerais comment M. Rousseau a réussi dans les différents genres qu’il a cultivés ; et trouvant que pour l’Ode il est égal à Horace, que dans l’Épigramme il est supérieur à Martial, et que pour l’Épître, l’Allégorie et la Cantate, personne ne lui est comparable, je déciderais qu’il est impossible de faire mieux, et que M. Rousseau est, et doit être le modèle de tous ceux qui auront de pareils talents. J’examinerais de même les progrès que l’autre a faits dans l’Épopée et dans la Tragédie, qui étant ceux de ses ouvrages qui lui ont fait le plus d’honneur, semblent être ses genres. Si donc la Henriade me paraissait égale à l’Iliade, à l’Énéide, et au Télémaque je le mettrais à côté d’Homère, de Virgile et de Fénelon : et de même, si je trouvais ses Tragédies aussi belles que celles de Corneille ou de Racine, je lui donnerais le même rang sur le Théâtre. Alors il serait aussi excellent dans ses genres que M. Rousseau l’est dans les siens ; mais, encore une fois, la gloire de l’un ne nuirait en aucune façon à celle de l’autre.

Je ne doute pas que ce que j’ose dire ici avec quelque ménagement que je le dise, ne m’attire un jour quelques élégances de la Halle de la part de l’inconnu ; mais je m’en ferai honneur. C’est le sort glorieux de tous ceux qui goûtent les poésies de M. Rousseau. Un Écrivain, généralement reconnu par le Public pour un Critique éclairé et pour un Logicien exact, dont le goût juste et solide et le style pur et élégant s’opposent tous les jours à la corruption du goût et du style, cet Écrivains est honoré par le Rimeur anonyme des épithètes les plus brutales et des injures les plus atroces. Pourquoi ? C’est qu’il estime et loue M. Rousseau. Pourquoi encore ? C’est que cet Auteur, à qui M. de Voltaire lui-même a donné autrefois les plus grands éloges,

Rappelle tout au goût du temps passé.

Cependant la dispute sur le mérite des Anciens, qui, du temps de Perrault, pouvait encore passer pour un point de droit, est présentement un point de fait souverainement décidé par l’expérience. Notre moderne Perrault aurait-il l’audace de nier que (sans compter Molière et M. Rousseau) ceux qui ont étudié et imité les Anciens, un Corneille, un Racine, un Boileau, un la Fontaine, un la Bruyère, un Fénelon, un Rollin, ne soient nos plus grands hommes, et n’aient fait des chefs-d’œuvre, tandis que les autres qui ont méprisé les Anciens, et qui ont évité toute ressemblance avec eux, sont à peine connus, ou, du moins, n’ont rien fait de beau ni de bon ? Qui n’imite personne ne fera jamais imité, dit fort bien l’Auteur des Observations sur les Écrits modernes.

Mais Boileau n’est pas plus respecté que Molière par notre Satyrique, qui insinue que ce père de la vraie Poésie Française, n’a plu que par son audace et son insolence, et qui dit que ce grand Poète

Fut détesté pour avoir bien écrit :

ce qui est faux, captieux et de mauvaise foi. Mais M. Rousseau reconnait Boileau pour son maître ; c’en est assez pour attirer à ce respectable Écrivain la haine et les outrages de notre fougueux Auteur.

C’est aussi parce que M. Gresset rend à M. Rousseau la justice qui lui est due, en l’appelant l’Horace de la France, (titre que le P. Sanadon, qui, sans doute, connaissait mieux Horace que le Censeur, lui avait déjà donné) que l’ingénieux Auteur de Ver-vert est traité de doux et d’hypocrite. Ô de quelles injures n’aurais-je donc pas été accablé, si mon obscurité n’avait pas dérobé à la connaissance du Censeur, une Ode que j’adressai a M. Rousseau il y a plus de dix ans, et qui commence ainsi ?

Sublime Auteur, que toujours suivent
Les Nymphes qu’en vain suit Nadal,
Rare génie, en qui revivent
Marot, Pindare et Martial.

Enfin il n’y a que M. de Voltaire et M. de Crébillon qu’il loue, et Racine dont il dit :

Ainsi Racine, après tant de merveilles,
Qu’il admira dans l’aîné des Corneilles,
En se faisant un nouveau coloris,
Sût de son art lui disputer le prix.

Cette remarque sur la différence de Racine à Corneille, dans la Tragédie, est faite pour autoriser les innovations de quelques modernes dans la Comédie, où ils veulent absolument faire pleurer ; et elle vient après l’exemple des différentes manières qui distinguent les Peintres. Sur quoi je remarquerai en passant, que le coloris étant à la Peinture ce que le style est à la Poésie, il semblerait d’abord que l’Auteur ne trouverait Racine différent de Corneille que par le style, si de ce qu’il a dit auparavant il n’y avait lieu d’inférer, que par le coloris il entend la manière des Peintres, dont le coloris n’est qu’une partie, comme le style n’est qu’une partie de la manière des Poètes. Mais avec tout cela, la comparaison porte à faux, et est entièrement étrangère à la question. Comme le Titien An. Carache, Rubens, le Brun, et Mrs Vanloo, ont chacun leur différente manière, de même Corneille, Racine, Campistron, la Motte, Crébillon, la Grange, M. de Voltaire, ont aussi chacun leur manière différente. Qui en doute ? Mais ces Poètes, différents dans la forme, s’accordent tous dans le fond, en tâchant d’exciter la terreur et la pitié, d’où naissent les larmes ; ce qui est le propre de la Tragédie. Il est vrai que Corneille et M. de Crébillon font quelquefois sortis de la nature du Tragique, l’un en donnant trop à l’admiration, et l’autre en poussant la terreur jusqu’à l’horrible ; mais en cela, les Connaisseur s les ont condamnés avec raison.

Il en est de même de la Comédie. Son caractère essentiel est le ridicule, dont le but est de faire rire. C’est par cela seul qu’elle est distinguée de la Tragédie[3]. Or si l’on donne à l’une ce qui appartient à l’autre, on change leur nature : et si la Comédie devient Tragédie en faisant pleurer, pourquoi la Tragédie ne pourrait-elle pas devenir Comédie en faisant rire ? Cela ne ferait pas plus bizarre que s’il avait pris fantaisie à Vateau de représenter en grotesque la mort d’Iphigénie, et au Poussin de mêler du touchant au bernement de Sancho.

Je n’ai garde, cependant, de vouloir exclure tout-à-fait les larmes de la Comédie. Je fais qu’elle est susceptible de situations capables d’en arracher ; et Terence même en a fait répandre plus d’une fois. Mais je crois, conformément à ce que j’ai avancé, que l’on ne doit pas faire d’un sujet larmoyant le fond, ni même l’épisode d’une comédie : et c’est sur quoi j’aurai, peut-être, quelque jour occasion de m’étendre davantage ; car je m’aperçois qu’insensiblement la matière m’a emporté plus loin que je ne l’aurais cru, quoique je ne l’aie pas, à beaucoup près, épuisée.

 

 

Scène première

 

CLITANDRE, ARLEQUIN, entrant par différents côtés

 

CLITANDRE.

C’est toi ? je te cherchais. Je suis charmé, vraiment,

Que le hasard ici t’amène en ce moment.

ARLEQUIN.

Un maître avec plaisir voit un valet fidèle.

CLITANDRE.

Des valets d’aujourd’hui le plus parfait modèle !

Droit, sage, réservé, prudent et si discret,

Qu’on ne peut de sa bouche arracher un secret !

ARLEQUIN.

Monsieur, tout doucement. Quels transports font les vôtres ?

Vous me louez de l’air dont on gronde les autres.

CLITANDRE.

Traître !

ARLEQUIN, à part.

Il change bien vite et de style et de ton.

L’éloge finira par des coups de bâton.

CLITANDRE.

Détestable coquin ! ta langue de vipère

Vient donc de découvrir mon amour à mon père ?

Il faut que je te tue.

ARLEQUIN, à genoux.

Ah ! vous auriez grand tort :

Vous me regretteriez, Monsieur, si j’étais mort.

CLITANDRE.

Hélas ! depuis deux mois que j’adore Colette,

N’était-ce pas assez de la honte secrète

Que me fait éprouver un tel attachement ?

Faut-il que ce bourreau me livre imprudemment

Aux reproches d’un père et si bon et si tendre ?

Que vais-je devenir ?

ARLEQUIN.

Pardon, Monsieur Clitandre ;

Je ne suis criminel que par zèle pour vous.

CLITANDRE.

Par zèle ?...

ARLEQUIN.

Assurément.

CLITANDRE.

Tu me portes ces coups !

ARLEQUIN.

Écoutez.

CLITANDRE.

C’est avoir une audace étonnante !

Parle.

ARLEQUIN.

Mais, pour parler, la posture est gênante.

CLITANDRE.

Lève-toi.

ARLEQUIN.

Vous savez l’étrange impression

Que fait, sur vous, l’ardeur de votre passion.

Vous étiez gras, content, d’un commerce agréable :

Vous voilà maigre, triste et presque insociable.

On ne vous connait plus, tant vous êtes changé.

Dorimont, qui dans l’âme en paraît affligé,

Et qui, plus d’une fois, vous en a fait la guerre,

Vous a cru dégoûté du séjour de Nanterre ;

Et dans cette pensée il avait entrepris

De nous faire au plutôt retourner à Paris.

CLITANDRE.

M’en préserve le ciel, Arlequin ! ce village,

Ce jardin, où j’ai vu la Beauté qui m’engage,

Et que l’art pour l’amour semble avoir fait exprès,

De Paris, à mes yeux, effacent les attraits.

ARLEQUIN.

Je l’ai tiré d’erreur ; mais je ne l’ai pu faire,

Sans laisser entrevoir certain air de mystère,

Qui n’a fait qu’éveiller sa curiosité.

J’ai bataillé longtemps, plein d’intrépidité ;

Mais il avait en main de trop puissantes armes :

Ses ordres, son courroux, ses prières, ses larmes,

Enfin, l’argent et l’or, qui brochaient sur le tout,

Ont poussé mon courage et mon silence à bout.

J’ai dit que pour Colette un amour invincible

Produisait le chagrin qui vous est si nuisible,

Et que, sans un secours avec art préparé,

Il pouvait vous compter mort, et presque enterré.

CLITANDRE.

Et, dans un pareil cas, penses-tu que mon père

Souffre que je demeure en ces lieux ?

ARLEQUIN.

Je l’espère.

CLITANDRE.

Que m’importe, après tout, si je n’ose la voir ?

ARLEQUIN.

Qui vous empêchera de l’oser ?

CLITANDRE.

Le devoir.

Mon père, par pitié pour le mal qui me ronge,

Cache en vain la douleur où mon amour le plonge.

Ses regards, au travers de sa compassion,

Me reprochent l’oubli de ma condition,

L’erreur de ma raison dans le piège engagée,

Et ma gloire avilie, et la sienne outragée...

Renonçons à Colette, et même à mon amour.

La bonté de mon père exige ce retour.

Quand un père offensé nous montre sa tendresse,

C’est alors que pour lui la nôtre s’intéresse,

Et fait le plus d’efforts, pour répondre à des soins

Qu’on ressent d’autant mieux qu’on les mérite moins.

ARLEQUIN.

Pour vous dédommager d’un si dur sacrifice

Si vous voulez, Monsieur, je vous rendrai service.

Les lettres, seul recours des amants trop gênés,

Sont un piège où souvent ils se cassent le nez.

Un confident vaut mieux. Hier, je vis Finette,

Nièce de Mathurin, le père de Colette.

J’en suis fou. Je m’apprête à lui faire ma cour.

Ainsi je pourrai voir Colette chaque jour ;

Et cachant vos ardeurs sous le voile des nôtres,

Vous porter ses soupirs, et lui rendre les vôtres,

Mais Finette est coquette, et voudrait à ses lois

Soumettre un Gentilhomme, ou quelque bon Bourgeois.

Nicole me l’a dit ; Nicole ma cousine,

Et qui de Mathurin gouverne la cuisine.

Comme, pour avoir fait à Paris plusieurs tours,

Je n’ai pas à Nanterre en tout passé huit jours,

Je ne suis pas connu de Finette, et Nicole

M’a promis de m’aider à tromper cette folle.

Daignez donc me prêter quelqu’un de vos habits,

Qui, de ce que je vaux, relève un peu le prix,

Et donnant à mon port une grâce nouvelle...

CLITANDRE.

L’amour assurément t’a troublé la cervelle.

ARLEQUIN.

Par pitié.

CLITANDRE.

Paix, tais-toi. Mon père vient à nous.

 

 

Scène II

 

DORIMONT, CLITANDRE, ARLEQUIN

 

DORIMONT.

Laisse-nous, Arlequin.

ARLEQUIN, bas à Clitandre.

Me le prêterez-vous ?

CLITANDRE.

Va-t’en.

ARLEQUIN, bas.

De mon amour gardez-vous de rien dire.

DORIMONT.

Hé bien ! finiras-tu ?

ARLEQUIN.

Monsieur, je me retire.

 

 

Scène III

 

DORIMONT, CLITANDRE

 

DORIMONT.

Avant que de m’ouvrir sur mes intentions,

J’ai voulu faire encor quelques réflexions.

Il me reste, mon fils, des doutes qui m’arrêtent

Et qu’il faut qu’à lever vos réponses s’apprêtent.

Vous aimez. Mais l’objet qui règne en votre cœur

Vous fait apparemment essuyer sa rigueur.

C’est un titre peu sûr, pour toucher une Belle,

Qu’un rang qui, de si loin, nous met au-dessus d’elle.

D’ordinaire l’amour nait de l’égalité,

Et l’amant ne plait pas, dès qu’il est respecté.

CLITANDRE.

C’est par cette raison, dont je sens l’évidence,

Qu’à Colette, avec soin, j’ai caché ma naissance

Prenant, en quelque lieu que je suive ses pas,

L’habit de paysan, et le nom de Lucas.

Livré sans défiance à mon ardeur pressante,

Son cœur a secondé cette ruse innocente,

Que d’ailleurs j’appuyais des charmes peu connus

De ces discours naïfs, simples, purs, ingénus,

Dictés par la Nature à des Mortels tranquilles,

Que n’a point corrompu le commerce des villes.

DORIMONT.

L’intrigue est amusante. On vous aime, et pourtant,

Mon fils, dans vos plaisirs vous n’êtes pas content.

Colette, que sans fruit votre amour sollicite,

Je le vois, se refuse aux désirs qu’elle excite.

CLITANDRE.

Ah ! je n’ai point, Monsieur, permis à mon ardeur

Des transports, qui pouvaient alarmer sa pudeur.

DORIMONT.

De ce commerce, enfin, quelle était l’espérance ?

CLITANDRE.

L’amour nous laisse-t-il la moindre prévoyance ?

Je la vis, et peut-être, en cet attachement,

Je ne cherchais d’abord qu’un simple amusement.

Mais quels liens charmants ont retenu mon âme,

Dont sa beauté déjà justifiait la flamme !

Un entretien aimable, où la sincérité

Brille de modestie et de simplicité ;

Un air, un port, ornés de grâces naturelles,

Les mêmes tous les jours, et tous les jours nouvelles :

Ignorant ses vertus, belle sans le savoir,

Elle est faite pour plaire, et plaît sans le vouloir ;

Bien différente en tout de ces filles du Monde,

Dont sur un faux éclat le mérite se fonde,

Qui déguisent leurs cœurs, et masquent leurs appas,

Pour paraître en public ce qu’elles ne sont pas ;

Et qui d’un art grossier empruntent l’imposture,

Pour corrompre à nos yeux les dons de la Nature.

DORIMONT.

Les traits de ce tableau, sans doute ressemblant,

Étincellent du feu d’un amour violent.

Mais dites-moi, mon fils, quand votre âme se livre

Au poison séducteur dont Colette l’enivre,

Lorsqu’à votre penchant vous vous abandonnez

Vos yeux découvrent-ils l’écueil où vous donnez

Et de combien l’objet, que votre cœur encense,

Est loin de votre rang et de votre naissance ?

Sentez-vous le chagrin et le saisissement

Que me cause l’excès de votre égarement ?

Vous, l’espoir de mon sang, l’appui de ma vieillesse,

Vous, que je n’ai pas cru capable de faiblesse,

Vous, dont je réservais la tendresse et la foi

Pour un parti plus digne et de vous et de moi.

CLITANDRE.

Ah ! mon père, arrêtez... Quelle image accablante !

Hé quoi tous mes chagrins, ma santé chancelante,

Mes ennuis éternels, mes douloureux transports,

Ne vous ont-ils donc pas instruit de mes remords,

Et jusques à quel point me tourmente et me gêne

L’amour que je condamne, et qui pourtant m’entraîne ?

DORIMONT.

Enfin, pour prendre ici des sentiments plus doux,

Sur un pareil amour que déterminez-vous ?

Votre raison, mon fils, s’il ne l’a pas séduite,

En a-t-elle pesé la nature et la suite ?

Et si de votre main vous pouviez disposer,

Vous résoudriez-vous, enfin, à l’épouser ?...

Vous ne répondez rien !

CLITANDRE.

Je vous jure, mon père,

Que je mourrais plutôt que d’oser vous déplaire.

DORIMONT.

Mais, si je condamnais un semblable trépas ;

Si de cette union je ne m’offensais pas ;

Si même je mettais mon plaisir et ma joie

À couronner l’amour dont vous êtes la proie ?

CLITANDRE, vivement.

Vous pourriez approuver ?... Excusez ce transport.

C’est faire en ma faveur un trop cruel effort.

DORIMONT.

Votre bonheur, mon fils, fait ma plus chère envie.

CLITANDRE.

Mon père, en ce moment vous me rendez la vie.

Oui, sur mes sentiments je me suis consulté.

Cet hymen est le sceau de ma félicité.

DORIMONT.

Je me rends. Votre amour, Clitandre, et son mérite,

Autorisant ce nœud, fondent sa réussite.

L’égalité des rangs fait moins d’heureux époux,

Que la conformité des esprits et des goûts...

Je connais Mathurin ; il faut que je le voie.

CLITANDRE.

Ah ! Monsieur, gardez-vous de prendre cette voie.

La proposition, bien loin de le toucher,

En le heurtant de front, pourrait l’effaroucher.

À son sens, à ses mœurs plus attaché qu’un autre,

Il chérit son état, et dédaigne le nôtre.

Il faut, pour captiver son estime et son choix,

Qu’à ses yeux votre fils paraisse villageois,

Et reprenne le nom, l’habit et les manières,

Qui déjà de Colette ont trompé les lumières.

C’est le plus sûr parti ; daignez y consentir.

DORIMONT.

Je le veux bien, mon fils ; allez vous travestir.

CLITANDRE.

Quelles grâces, Monsieur, n’ai-je pas à vous rendre ?

Et quoique vos bienfaits ne puissent me surprendre,

À de si hauts degrés vous les faites monter,

Que votre fils jamais ne peut les mériter.

DORIMONT.

Mon appui, cependant, vous sera nécessaire ;

Et, sous un titre faux, mon amitié sincère

Auprès de Mathurin va pour vous s’employer.

Qu’on le fasse venir.

CLITANDRE.

Je vais vous l’envoyer.

 

 

Scène IV

 

DORIMONT

 

De quelque poids que soit le motif qui m’animé

Pour un fils vertueux, que j’aime et que j’estime,

Peut-être plus d’un père, entêté de ses droits,

Au parti que je prends refusera sa voix.

Je sais des préjugés l’ascendant ordinaire,

Et le fatal abus d’un pouvoir arbitraire.

Mais je ne puis penser qu’à titre de tyrans

La Nature jamais ait donné les parents ;

Et qu’avec équité nos rigueurs sacrifient

De précieux dépôts que ses mains nous confient,

Dont nous sommes, au monde où nous les avons mis,

Les premiers protecteurs et les premiers amis.

Quoi qu’en puissent juger des esprits trop sévères,

C’est pour les rendre heureux que nous sommes leurs pères.

 

 

Scène V

 

DORIMONT, MATHURIN

 

DORIMONT.

Approchez, Mathurin.

MATHURIN.

Sans voute autorité,

Je n’aurais jamais pris pareille libarté.

Cheux les Grands comme vous je sais que c’est la mode

De faire des façons, et ça m’est incommode :

Entre nous je vivons, morgué, tout uniment.

DORIMONT.

Je ne veux, Mathurin, vous gêner nullement.

Mettez votre chapeau.

MATHURIN.

Vous êtes trop honnête...

Soit... et je parle mieux, quand je l’ai sur la tête.

J’en ai l’esprit pus libre, et les deux bras itou.

À présent dites-moi dans queu cas et par où

Je pourrai vous sarvir.

DORIMONT.

Vous avez une fille ?

MATHURIN.

Oui-dà, Colette ; et même alle est assez gentille.

DORIMONT.

Et jeune ?

MATHURIN.

Alle a, Monsieur, vingt et un ans passés.

DORIMONT.

À cet âge un mari lui conviendrait assez.

N’avez-vous sur personne encor jeté la vue ?

MATHURIN.

Alle aurait pu déjà deux fois être pourvue ;

Et j’en étais content : mais, tenez, en ce point,

Alle est d’un acabit comme on n’en trouve point.

Avec d’autres ça va tout seul ; on n’a qu’à dire,

Et le mot de mari seulement les fait rire.

Mais pour elle, néant ; un garçon li fait peur.

Le seul nom d’amoureux li cause une vapeur.

Jarnonbille, la chose est-elle naturelle ?

Il faut qu’on ait jeté queuque charme sur elle.

DORIMONT.

Ce dégoût passera, Mathurin : il ne vient

Que de n’avoir pas vu celui qui lui convient.

Je l’ai trouvé, je crois : un garçon bienfait, sage,

Jeune, mais qui n’a point les défauts de son âge,

Pour qui je m’intéresse enfin, et tellement

Qu’il a fondé sur moi son établissement.

De plus, dès qu’il sera l’époux de votre fille,

Je prends sous mon appui toute votre famille.

MATHURIN.

Vous me faites, Monsieur, bian de l’honneur. Comptez

Que... mon respect... je sis confus de vos bontés.

Je peux bian, pour ma part, vous donner ma parole.

Mais si de son côté Colette est assez folle

Pour rester ostinée en son opignion,

Je ne forcerai pas son inclination.

Je ne saurais, Monsieur, vous promettre autre chose.

DORIMONT.

Je ne l’exige point, et j’accepte la clause.

Je vous laisse, et je vais, par l’espoir excité,

Hâter leur entrevue et leur félicité.

MATHURIN.

Sarviteur.

 

 

Scène VI

 

MATHURIN

 

Pour le bian de ma pauvre Colette,

Je voudrais que déjà cette affaire fût faite.

Une fille a biau dire, et je ne pense pas

Que de rester pour telle en effet soit un cas

Qui li plaise biaucoup ; nennin, et je parie

Qu’alle a biau se fâcher de ce qu’on la marie

Qu’alle en a dans le fond pourtants.

 

 

Scène VII

 

MATHURIN, NICOLE

 

NICOLE.

Ah ! Monsieur Mathurin, grande et bonne nouvelle.

MATHURIN.

Tout bellement, Nicole. Hé bian donc ! quelle est-elle ?

NICOLE.

Vous allez, j’en suis sûre, être bien étonné.

Un Monsieur de Paris, (il est tout galonné,)

Va venir demander Finette en mariage.

MATHURIN.

Ma gniece ?

NICOLE.

Exprès pour elle il a fait le voyage.

MATHURIN.

Qui te l’a dit ?

NICOLE.

Lui-même. Il est chez un barbier

À se faire raser, poudrer, approprier.

Si Finette aime tant les airs de petit-Maître,

Cet amant est son fait ; il n’a plus qu’à paraître.

MATHURIN.

Le vent de mariage a donc soufflé cheux moi ;

Car l’on m’offre un mari pour Colette.

NICOLE.

Ma foi ?

MATHURIN.

Oui, c’est comme un complot.

NICOLE, à part.

À peu près.

MATHURIN.

Quoi, Nicole ?

NICOLE.

Ah ! que je vais danser ! J’aime qu’on batifole.

Mais voici votre fille et votre nièce. Allons,

Il faut faire au plutôt ronfler les violons.

 

 

Scène VIII

 

MATHURIN, COLETTE, FINETTE, NICOLE

 

FINETTE.

Je viens trop tard, sans doute, et cette bonne pièce

Vous aura tout appris... Qu’en pensez-vous ?

MATHURIN.

Ma gnièce,

Je pense que l’affaire est fort à voute gré,

Et que ce qu’une fille en sa tête a fourré

Y prend si bian racine, et croit si bian en elle,

Qu’il faudrait, pour l’ôter, emporter la çarvelle.

FINETTE.

Je n’ai point encor pris de résolutions.

Il faut auparavant que nous nous connaissions.

S’il me plaît...

MATHURIN.

Si j’en crois Nicole, il doit vous plaire ;

Car c’est queussi queumi que vous et voute mère,

Qui, pour avoir été sarvante d’un Marquis,

Croyait que le mérite était de biaux habits.

FINETTE.

Mais encor ?...

MATHURIN.

Mais encor, n’êtes-vous pas honteuse ?

Il vous sied bien, vrament, d’être si vaniteuse !

Je vous le dis tout net, et souvenez-vous-en,

Pour une paysanne il faut un paysan.

Qu’est-ce que ces grands airs que vous avez en tête,

Et tous ces biaux Monsieurs dont vous vous faites fête ?

Sans nous, tous tant qu’ils sont, ma gnièce, au lieu de vin,

Boiriont de l’iau, morguienne, et n’auriont pas de pain.

NICOLE.

Vous avez bien raison ; mais qu’à cela ne tienne :

Vous avez votre idée, et Finette a la sienne ;

Et si vous faites bien, elle fait bien aussi.

MATHURIN.

Oh ! qu’alle fasse donc.

NICOLE.

Sans doute.

FINETTE.

Grand merci,

Mon cher oncle. Je vais me mettre en équipage

Digne du Cavalier de qui j’attends l’hommage.

Elle sort.

 

 

Scène IX

 

MATHURIN, COLETTE, NICOLE

 

MATHURIN.

Alle deviendra folle. À parler franchement,

Tu l’es itou, Colette, un peu ; mais autrement.

Oh ! çà, n’est-il pas temps que tu fois raisonnable ?

Je viens de te trouver un parti convenable.

COLETTE.

Un mari ?

MATHURIN.

Dorimont me l’offre ; et, ce dit-on,

Il ne peut de sa main venir rian que de bon.

COLETTE.

Mais moi, je ne veux pas me marier encore.

NICOLE.

Encore est fort bien dit. Hé quand donc ?

COLETTE.

Je l’ignore.

MATHURIN.

Le garçon que je dis dans un moment viendra.

Peut-être qu’il le fait, et qu’il te l’apprendra.

COLETTE.

J’en doute.

NICOLE.

Il est honteux d’être dans l’ignorance.

MATHURIN.

Il pourra te guérir de ton indifférence.

COLETTE.

J’en doute, encore un coup ; car j’entends que tout bas

Mon cœur me dit que non, et mon cœur ne ment pas.

NICOLE.

Pourquoi l’écoutez-vous ?

COLETTE.

C’est lui seul qui m’inspire.

MATHURIN.

Il n’a pas de raison.

COLETTE.

Hélas !

NICOLE, à part.

Elle soupire.

Je comprends.

MATHURIN.

Ne va point, morgué, te chagriner,

Colette : mon dessein n’est pas de te gêner ;

Si je le fais jamais, que la peste me tue.

Mais, du moins, il faut voir ce jeune homme. Sa vue

Ne te coûtera rian.

NICOLE.

Qu’un peu d’ennui, je crois.

COLETTE.

Hé bien ! voyons-le donc ; mais une seule fois.

NICOLE.

S’il ne plaît pas, s’entend ?

MATHURIN.

Je ne crois pas qu’il tarde.

Adieu : c’est fait pour moi ; le reste te regarde.

 

 

Scène X

 

COLETTE, NICOLE

 

NICOLE.

Puisqu’il est si bon père, à votre place, moi,

J’avouerais franchement que mon cœur est pris.

COLETTE.

Quoi ?

NICOLE.

Que vous aimez.

COLETTE.

Moi, j’aime ! Hé qui donc ?

NICOLE.

Un jeune homme ;

(Je ne fais ce qu’il est, ni comment on le nomme.)

Avec qui je vous vis hier dans ce jardin,

Là, sous certain berceau qui du nôtre est voisin.

Mais je vois Dorimont.

COLETTE.

Ah ! sa démarche est vaine,

Nicole ; et c’est encore un surcroît à ma peine.

 

 

Scène XI

 

DORIMONT, COLETTE, NICOLE, qui, par respect, se retire au fond du Théâtre

 

DORIMONT.

Belle Colette, hé bien ! vous savez le projet

Que j’ai fait d’un hymen dont vous êtes l’objet.

COLETTE.

Mon père me l’a dit.

DORIMONT.

Et pour vous montrer même

Combien je vous estime, et combien je vous aime,

Je n’ai pas attendu qu’un entretien si doux

Vérifiât le bien que l’on m’a dit de vous.

COLETTE.

Votre bonté, Monsieur, ne sert qu’à me confondre.

Je suis au désespoir de n’y pouvoir répondre.

Jamais...

DORIMONT.

Votre équité, votre discernement

Me font porter de vous un meilleur jugement.

Quand de votre bonheur je me fais une étude,

Vous ne me paierez point par une ingratitude.

J’ai pénétré le fond de vos vrais sentiments,

Et je n’attends de vous que des remerciements.

COLETTE.

Je vous en dois, Monsieur, pour cette marque insigne

De votre affection dont je ne suis pas digne,

Et dont les mouvements me touchent d’autant plus

Qu’ils sont joints au regret de les voir superflus.

DORIMONT.

Colette, croyez-moi, mes démarches sont sûres,

Et je n’aurais pas pris d’inutiles mesures.

Je n’ose à vos regards faire briller des traits,

Qui rehaussent le prix du don que je vous fais.

Mais sachez que l’amant, qui va bientôt paraître,

Et que vous refusez, faute de le connaître,

A telles qualités, et même tels appas,

Que votre cœur charmé n’y résistera pas.

COLETTE.

C’est un amant parfait, sans doute : il doit suffire

Qu’il me vienne de vous, Monsieur, et c’est tout dire.

Mais je me connais trop ; et fût-il en effet

S’il se peut, d’un mérite encore plus parfait ;

Quand il posséderait la plus haute puissance

Par le bien, le crédit, le rang et la naissance ;

Pour prix de ses vertus, je saurais l’estimer

Mais je sens que jamais je ne pourrais l’aimer.

DORIMONT.

Combien, en ce moment, me ravit et m’enchante

De ces beaux sentiments l’expression touchante !

Mais avouez aussi qu’ils sont l’épanchement

D’un cœur déjà séduit par quelque attachement.

Vous aimez, généreuse et fidèle Colette ;

Vous brûlez pour quelqu’un d’une flamme secrète :

 Et c’est l’obstacle seul qui s’oppose à des nœuds

Où tendent à la fois mon espoir et mes vœux.

COLETTE.

Comme je ne veux point vous donner d’espérance,

Je vous laisse, Monsieur, juger sur l’apparence

Dans le trouble où se perd mon esprit égaré.

Mais rendez-moi justice, et soyez assuré

Que si jamais l’amour avait pu me surprendre,

Je n’aurais pas donné mon cœur pour le reprendre ;

Que ce ferait, pour moi, comme une trahison ;

Que la pure vertu, que la droite raison,

Seraient le fondement d’une flamme si belle ;

Et que, loin que ce cœur, devenant infidèle,

Se condamnât lui-même, en condamnant son choix,

Il aimerait toujours, s’il aimait une fois.

DORIMONT.

Ô tendresse charmante ! Ô constance admirable !

L’une et l’autre m’annonce un succès favorable ;

Tout répond, tout s’accorde à mes justes désirs.

Adieu : je ne veux plus retarder vos plaisirs.

Je vais vous envoyer... Il mérite, Colette,

Que pour lui vous sentiez une estime parfaite,

Et les tendres ardeurs de l’amour le plus doux,

Comme vous méritez qu’il les sente pour vous.

Il sort.

COLETTE.

Qu’est-ce donc qu’il veut dire ? À quoi peut-il s’attendre ?

NICOLE.

Dorimont fait semblant de ne vous pas entendre.

Cependant il se doute et pense comme moi

Que vous avez, Colette un amoureux.

COLETTE.

Tais-toi.

NICOLE.

Et tenez, le voilà qui vous cherche, ou je meure.

COLETTE, à part.

Que vient-il faire ici ? Ce n’est pas là notre heure.

 

 

Scène XII

 

CLITANDRE, en paysan, COLETTE, NICOLE

 

CLITANDRE, à part.

Quelqu’un est avec elle.

NICOLE.

Ai-je menti ?

COLETTE.

Non... Oui.

CLITANDRE, à part.

L’aborderai-je ?

NICOLE.

Il vient.

COLETTE.

Je n’ai que faire à lui.

Allons.

CLITANDRE, à part.

Elle me fait des signes de silence.

NICOLE, à Colette.

Demeurez.

CLITANDRE, bas à Colette.

Écoutez.

COLETTE, bas.

Paix.

CLITANDRE, à part.

Quelle violence !

COLETTE, à part.

Quelle gêne !

CLITANDRE, à part.

Après tout, que risqué-je ?

COLETTE, bas à Clitandre.

Sortez.

CLITANDRE, bas.

J’obéis.

NICOLE, à part.

Je le vois, je suis de trop.

COLETTE, bas à Clitandre.

Restez.

NICOLE, à part.

Ah ! les pauvres enfants ! Non, il n’est pas croyable

Comme au fond de leur cœur ils me donnent au diable.

Ils pensent que je cherche à les faire endéver.

Le mal que je leur veux puisse-t-il m’arriver !

Elle sort.

 

 

Scène XIII

 

CLITANDRE, COLETTE

 

COLETTE.

Vous me cherchez, Lucas ?

CLITANDRE.

Vous me fuyez, Colette !

COLETTE.

Je ne puis approuver votre ardeur indiscrète.

Nos plaisirs, cher Lucas, étaient d’autant plus doux

Qu’un mystère innocent les assaisonnait tous.

Et les voilà connus.

CLITANDRE.

Quoi ! vous êtes fâchée

Qu’on sache mon amour, et qu’il vous a touchée ?

COLETTE.

Si mon père, une fois, fait que nous nous aimons,

Je crains qu’il ne s’oppose aux vœux que nous formons,

Et qui, de votre part, trouvent de tels obstacles

Qu’il faut, pour les lever, peut-être des miracles.

De quel espoir mon cœur peut-il être flatté,

S’il vient quelque traverse aussi de mon côté ?

Que dis-je ? Elle est venue. Hélas ! le péril presse.

On veut vous enlever votre chère maîtresse.

Vous connaissez bien...

CLITANDRE.

Qui ?

COLETTE.

Dorimont ?

CLITANDRE.

Oui, vraiment.

COLETTE.

Il veut me marier.

CLITANDRE.

Quoi ! sérieusement ?

COLETTE.

Avec quelle gaieté vous voyez mes alarmes !

Est-ce ainsi...

CLITANDRE.

Que pour moi cette crainte a de charmes !

COLETTE.

À quoi tend ce discours ?

CLITANDRE.

Allez, vous aimerez

Le garçon qu’on vous offre, et vous l’épouserez.

COLETTE.

Vous m’impatientez.

CLITANDRE.

Qu’avec plaisir, Colette,

J’envisage le trouble où ce dessein vous jette !

COLETTE.

Oh ! je vous battrais bien.

CLITANDRE.

Ce dépit est charmant.

Pardonnez. Vous voyez à vos pieds cet amant,

Ce rival contre qui votre amour se mutine,

Ce mari qu’en un mot Dorimont vous destine.

COLETTE.

Vous ! cela se peut-il ?

CLITANDRE.

Je craignais d’offenser

Un bon père qui seul pouvait me traverser.

Mais enfin Dorimont, qui pour moi s’intéresse,

A fait en ma faveur incliner sa tendresse.

Oui, je vais être à vous ; vous allez être à moi.

COLETTE.

Le désir que j’en ai fait que je vous en crois.

CLITANDRE.

Ah ! Colette !

COLETTE.

Ah ! Lucas !

CLITANDRE.

Faites-moi bien connaître

Tout le plaisir...

COLETTE.

Je crains d’en faire trop paraître ;

Et cependant je sens que je le voudrais bien,

Pour que le vôtre fût aussi doux que le mien.

CLITANDRE.

Ne vous contraignez point.

COLETTE.

Ce mot doit vous suffire ;

Et je n’aurais pas dû, peut-être, vous le dire.

 

 

Scène XIV

 

CLITANDRE, COLETTE, FINETTE, en habit de ville, et NICOLE, qui les ont écoutés quelque temps

 

NICOLE, à Finette.

Les voilà bien contents. Vous aurez votre tour.

FINETTE.

Suis-je bien ?

CLITANDRE.

Vous voilà mise comme à la Cour.

NICOLE.

Nous savons tout, Colette.

FINETTE.

Et je vous félicite.

COLETTE.

Je vous souhaite à vous la même réussite.

NICOLE.

Finette n’aime pas encor son prétendu ;

Mais elle l’aimera, quand elle l’aura vu.

CLITANDRE.

Quand vient-il ?

FINETTE.

Je l’attends.

CLITANDRE.

Ne gênons point Finette.

COLETTE.

C’est fort bien dit. Adieu, Finette.

FINETTE.

Adieu, Colette.

 

 

Scène XV

 

FINETTE, NICOLE

 

FINETTE.

S’aimer et s’épouser ; hélas ! qu’ils font heureux !

NICOLE.

Vous êtes sur le point de l’être encor plus qu’eux ;

Car vous n’opposerez aucune résistance

À l’honneur que vous fait un Seigneur d’importance.

Puisque vous avez eu le don de le charmer,

Pour être unie à lui, vous n’avez qu’à l’aimer.

FINETTE.

J’y ferai mon possible.

NICOLE.

Et dans un besoin même,

On peut se marier fort bien sans que l’on aime.

FINETTE.

Je l’aimerai, Nicole.

NICOLE.

Il vient. Voyez quel air !

Quelle grâce ! Il faudrait avoir un cœur de fer,

Pour ne le pas aimer dès la première vue.

FINETTE.

Le cœur me bat, Nicole, et je fuis toute émue.

 

 

Scène XVI

 

ARLEQUIN, en petit-maître, FINETTE, NICOLE

 

ARLEQUIN.

Madame, lorsqu’en vous je vois tant de beauté,

Ces petits yeux fripons, ce minois moucheté,

Mon cœur qui... qui déjà vous aime à la folie,

Ne fait... En vérité, vous êtes bien jolie.

FINETTE.

Ah Monsieur...

À Nicole.

Je ne sais que lui dire à mon tour.

NICOLE.

Parlez toujours.

FINETTE.

Monsieur, je fais bien qu’à la Cour

Les hommes volontiers débitent des fleurettes ;

Et par ce compliment je vois que vous en êtes.

ARLEQUIN.

Si j’en suis ! moi, Madame ? Oh ! vraiment je le crois,

Et le pourrais prouver[4] par bien d’autres endroits.

Mais il faut à tantôt remettre la partie.

Je suis un peu confus de votre modestie.

Elle est si hérissée.

FINETTE.

Ah ! Monsieur, point du tout.

ARLEQUIN.

Un peu moins de rigueur serait plus de mon goût.

Cela viendra, ma Reine. Hé bien ! à quand la noce ?

FINETTE.

Mais, Monsieur...

ARLEQUIN.

Savez-vous que je roule carrosse ?

NICOLE, à part.

Il le mène, peut-être.

ARLEQUIN.

Hé !... Ce sont des marauds.

NICOLE.

Qui ?

ARLEQUIN.

Mes gens. Je voulais vous montrer mes chevaux.

NICOLE.

Vous n’avez pas besoin de vos chevaux pour plaire.

ARLEQUIN.

Je crois qu’elle dit vrai. Qu’en pensez-vous, ma chère ?

FINETTE.

Nicole n’a pas tort.

ARLEQUIN.

Répondez comme il faut.

FINETTE.

Vous êtes bien aimable.

ARLEQUIN.

Hem, plaît-il ? Parlez haut.

À part.

Que sa timidité me paraît estimable !

Que dites-vous ?

FINETTE.

Je dis que vous êtes aimable.

ARLEQUIN.

Et que vous m’aimez ?

FINETTE.

Moi ! Non, Monsieur.

ARLEQUIN.

Comment ! non !

FINETTE.

Non, je ne vous dis pas que je vous aime.

ARLEQUIN.

Ah ! bon.

Mais vous m’aimez pourtant... Vous vous taisez ? j’enrage.

Mignonne, il faut quitter ces façons de village.

Vous vous feriez siffler du plus petit Bourgeois.

FINETTE.

Doit-on se déclarer dès la première fois ?

Car enfin je suis fille, et les filles...

ARLEQUIN.

Dans l’âme

Je suis sûr que déjà vous êtes presque femme.

FINETTE.

Que vous êtes pressant !

ARLEQUIN.

Parbleu...

NICOLE.

Remettez-vous.

J’aperçois Mathurin qui s’approche de nous...

ARLEQUIN.

Ma charmante, allons faire un tour de promenade.

NICOLE.

Vous ne l’attendez pas ! Quelle est cette boutade ?

FINETTE.

Parlez-lui.

ARLEQUIN.

Jusques-là je ne puis m’avancer,

Que Nicole n’ait pris le soin de m’annoncer.

Il sort avec Finette.

 

 

Scène XVII

 

MATHURIN, NICOLE

 

MATHURIN.

Il s’en va ! quand je viens avec tant de vitesse

Pour li rendre un devoir...

NICOLE.

C’est une politesse.

MATHURIN.

Alle est drôle !

NICOLE.

Il s’en va, pour me donner le temps

De vous dire, Monsieur, qu’il va venir.

MATHURIN.

J’entends.

Belle çarimonie ! Il n’a donc qu’à se rendre

Au logis, où...

NICOLE.

Tenez.

MATHURIN.

Quoi ?

NICOLE.

Voici votre gendre.

 

 

Scène XVIII

 

CLITANDRE, MATHURIN, NICOLE

 

MATHURIN.

Ah ! bonjour.

CLITANDRE.

Serviteur. C’est moi qui fuis Lucas,

De qui vous a parlé Dorimont.

MATHURIN.

En ce cas,

Embrassons-nous. Hé bian ! avez-vous vu Colette ?

CLITANDRE.

Je la quitte à l’instant, et ma joie est parfaite.

MATHURIN.

Comment ! Espérez-vous qu’alle vous aimera ?

CLITANDRE.

Je me flatte, de plus, qu’elle m’épousera.

MATHURIN.

Colette ! Quoi ! sitôt ? Pargué, c’est un prodige.

Ne me trompez-vous point ?

CLITANDRE.

Rien n’est plus vrai, vous dis-je.

MATHURIN.

Nicole, queu compère ! il est retord.

NICOLE.

Beaucoup.

MATHURIN.

Avoir gagné Colette !

NICOLE.

Il a fait un grand coup.

MATHURIN.

Tu n’en es pas surprise ?

NICOLE.

Il a tant de mérite

Qu’on ne peut s’étonner de cette réussite.

MATHURIN.

Mais tu gausses, je crois.

NICOLE.

Si votre fille et lui

S’aiment, comme il est sûr, ce n’est pas d’aujourd’hui.

MATH.URIN.

Qu’est-ce qu’alle dit là, Lucas ?

CLITANDRE.

C’est un mystère,

Sur lequel maintenant je ne puis plus me taire,

Et que je vous aurais moi-même révélé,

Quand Nicole, avant moi, n’en aurait pas parlé.

Je viens d’en convenir avec Colette même.

Depuis plus de deux mois je la vois et je l’aime ;

Et cet amour sincère, aussi bien qu’innocent,

A surpris et touché son cœur reconnaissant.

C’est ici qu’en tenant des discours pleins de charmes,

Nous mêlions nos soupirs, et quelquefois nos larmes ;

Et qu’entre ces taillis, dont nous étions couverts,

Nous nous croyions souvent tous seuls dans l’univers.

MATHURIN.

Jarniguoi, finissez. Je pleure d’allégresse.

Et toi, Nicole ?

NICOLE.

Et moi, je pleure de tendresse.

CLITANDRE.

Je viens donc vous prier pour Colette et pour moi,

(Car un peu de pudeur la tient encor, je crois ;)

D’unir par le doux nœud où vos vœux doivent tendre,

Deux cœurs déjà liés par l’amour le plus tendre.

MATHURIN.

J’y consens de bon cœur, et vous me ravissez.

CLITANDRE.

Je vais faire dresser le Contrat.

Il sort.

MATHURIN.

C’est assez.

 

 

Scène XIX

 

MATHURIN, NICOLE

 

MATHURIN.

Je ne t’aurais, ma foi, jamais cru si secrète,

Nicole tu savais leur petite amourette.

Que ne me l’as-tu dit drès le commencement ?

NICOLE.

Qui ? moi ? Je ne le fais que d’hier seulement ;

Et même je croyais l’intrigue plus nouvelle.

MATHURIN.

Ma fille est bien tombée, heureusement pour elle.

Lucas est un garçon qui montre de l’honneur.

Ma gnièce n’aura pas, peut-être, un tel bonheur.

Mais je vois son amant.

 

 

Scène XX

 

MATHURIN, ARLEQUIN, NICOLE

 

ARLEQUIN.

Pardonnez ma retraite.

Avant que de venir vous demander Finette,

J’ai voulu sur son cœur établir tous mes droits.

C’en est fait ; mon amour l’a soumise à mes lois ;

Non pas sans peine, au moins : je sais ce qu’il m’en coûte.

MATHURIN.

Oh ! vous vous connaissiez depis longtemps, sans doute ?

ARLEQUIN.

Depuis une heure, au plus.

MATHURIN.

Jarni, quel enjôleur !

ARLEQUIN.

Si j’avais échoué, c’eût été grand malheur.

Votre nièce, entre nous, n’est pas des plus dociles ;

Mais j’en ai fait céder de bien plus difficiles.

MATHURIN.

Je le crois.

NICOLE, à part.

Le Gascon !

ARLEQUIN, à Nicole.

Tu ris ?

MATHURIN.

Pour aujourd’hui,

Son habit, j’en sis sûr, en a plus fait que lui.

ARLEQUIN.

Laissons-là cependant mes exploits sur les Belles,

Mon oncle. Dans le fond ce sont des bagatelles,

Qui ne doivent pas rendre un homme glorieux.

Examinons un peu des points plus sérieux.

MATHURIN.

Voyons.

NICOLE, à part.

Ce sérieux sera quelque sornette.

ARLEQUIN.

Un scrupule me tient sur le fait de Finette.

Sa dot est-elle forte ?

MATHURIN.

Ah ! bon ! y pensez-vous ?

Quand on charche du bian, on ne vient pas cheux nous.

Nos richesses, Monsieur, sont noute nécessaire.

Je vivons, pis c’est tout. J’avons le cœur sincère,

Un peu de jugement, de la tranquillité,

Point de ruse, surtout, et point de vanité.

Je laissons la forteune aux Seigneurs qu’alle abuse,

Et j’osons mépriser ce qu’alle nous refuse.

ARLEQUIN.

J’écoute avec plaisir ce que vous dites-là.

Je m’accommoderais fort bien de tout cela.

MATHURIN.

Finette a stanpandant queuque argent de son père,

Et d’assez biaux habits qu’alle tient de sa mère.

ARLEQUIN.

Tant pis. Quand je me fuis informé de son bien,

C’était pour être sûr, oui, qu’elle n’avait rien.

Ma générosité, vraiment, n’est pas commune.

J’aurais été ravi de faire sa fortune.

NICOLE.

Contentez-vous, Monsieur, et faites-moi présent

Des habits de Finette, et de tout son argent.

MATHURIN.

Je reçois volontiers l’honneur que vous me faites ;

Mais je devrais savoir stanpandant qui vous êtes.

ARLEQUIN.

Qui je suis, Mathurin ? Il vous convient, ma foi,

D’être si difficile avec gens tels que moi !

MATHURIN.

L’usage...

ARLEQUIN.

En ces détails me sied-il de descendre ?

Apprenez seulement qu’on m’appelle Alexandre.

MATHURIN.

Ce nom est manifique.

ARLEQUIN.

Il est d’un Conquérant.

NICOLE.

Oui !

ARLEQUIN.

Vous connaissez bien Alexandre le Grand,

Alexandre qui fit... tout ce que l’on peut faire.

MATHURIN.

De réputation.

ARLEQUIN.

Hé bien ! c’était mon père.

MATHURIN.

Ah !

NICOLE.

Voici Dorimont.

ARLEQUIN, à part.

Quel contretemps !

NICOLE, bas à Arlequin.

Partez.

ARLEQUIN, à part.

Que le diable l’emporte. Adieu mes dignités.

 

 

Scène XXI

 

DORIMONT, MATHURIN, ARLEQUIN, NICOLE

 

DORIMONT, reconnaissant Arlequin qui veut se sauver.

Ah ! ah !

ARLEQUIN, haut.

Cher Dorimont, quoi ! c’est vous !

Bas.

Prenez garde

De dire qui je suis : l’affaire vous regarde.

DORIMONT.

Quel est donc...

ARLEQUIN.

Parlez bas.

DORIMONT.

Ce beau déguisement ?

MATURIN, à Nicole.

Ils se parlont.

NICOLE.

Ils sont amis, apparemment.

ARLEQUIN, bas.

Je l’ai pris pour servir votre fils, et j’amuse

Mathurin, qui pourrait... C’est une contre ruse,

DORIMONT.

Mais je ne comprends pas...

ARLEQUIN, bas.

Je vous conterai tout.

Sans cela rien n’est fait ; attendez jusqu’au bout.

DORIMONT.

Soit.

ARLEQUIN, à part.

Je vais au plutôt, de crainte de rechute,

Faire de mon Contrat griffonner la minute.

Il sort.

 

 

Scène XXII

 

DORIMONT, MATHURIN, NICOLE

 

MATHURIN.

Vous le connaissez donc, Monsieur ?

DORIMONT.

Parfaitement.

MATHURIN.

Tant mieux.

DORIMONT.

Hé bien ! Lucas vous plaît ?

MATHURIN.

Certainement.

DORIMONT.

Son amour a gagné le cœur de votre fille.

N’avais-je pas raison ?

MATHURIN.

Vrament, c’est un bon drille.

Ils s’aimont tous les deux depis pus de deux mois.

DORIMONT.

Je le sais. Leur tendresse autorise mon choix.

Puissent-ils à jamais et s’aimer et se plaire !

Mais ils viennent à nous.

 

 

Scène XXIII

 

DORIMONT, CLITANDRE, MATHURIN, COLETTE, NICOLE

 

COLETTE.

Monsieur, et vous, mon père,

Pour Lucas et pour moi, quelle est votre bonté !

À Dorimont.

Vous me l’avez donné,

À Mathurin.

vous l’avez accepté.

Que vous dirai-je ? Hélas ! je sens mon impuissance

À vous en témoigner une reconnaissance

Conforme à mon bonheur, égale à mon amour.

Ils dureront tous trois jusqu’à mon dernier jour.

DORIMONT.

Vous ignorez combien votre union m’est chère.

MATHURIN.

J’ai voulu te montrer que je sis un bon père.

 

 

Scène XXIV

 

DORIMONT, CLITANDRE, MATHURIN, COLETTE, NICOLE, LE TABELLION

 

LE TABELLION.

Salut, Messieurs.

MATHURIN.

Ah ! ah ! c’est le Tabellion.

CLITANDRE.

Votre écrit répond-il à mon intention ?

LE TABELLION.

N’ayez sur ce sujet aucune inquiétude :

Vous ne connaissez pas l’ordre de mon Étude.

Pour la commodité des Futurs empressés,

J’ai soin d’avoir toujours des Contrats tout dressés,

Où sont, en blanc, leurs noms, qualités, domiciles.

J’en ai même à tout prix, suivant les divers styles.

Le lirai-je ? Il n’est pas nécessaire, je crois.

DORIMONT, à Mathurin.

Je l’ai lu vous pouvez vous en fier à moi.

Il est moins, je vous jure, à son profit qu’au vôtre.

MATHURIN.

Tout comme il vous plaira.

LE TABELLION, à Mathurin et à Colette.

Signez donc... Voici l’autre

Où les Conjoints d’avance ont déjà mis leur sein.

Reste à vous.

MATHURIN.

Donnez donc, pisque je sis en train.

CLITANDRE.

Halte-là...Vous, Monsieur, donnez-moi cette pièce.

LE TABELLION.

Cela suffit ; adieu.

 

 

Scène XXV

 

DORIMONT CLITANDRE, MATHURIN, COLETTE, NICOLE

 

MATHURIN.

Comment donc ?

CLITANDRE.

Votre nièce

Attendra bien encor pour avoir un époux.

MATHURIN.

Qu’est-ce à dire ?

CLITANDRE.

Ah ! beau-père, à qui la donniez-vous ?

DORIMONT.

Quel est donc le mari ?...

MATHURIN.

Le Seigneur Alexandre.

DORIMONT.

Ce nom m’est inconnu.

MATHURIN.

Vous m’avez fait entendre

Que vous le connaissiez ; vous li parliez tantôt.

CLITANDRE, bas à Dorimont.

C’est ce fou d’Arlequin.

DORIMONT, bas.

Arlequin ? Le maraud !

MATHURIN.

Tenez, il vient.

CLITANDRE, à Dorimont.

À voir sa mine résolue,

On peut juger qu’il croit que l’affaire est conclue.

 

 

Scène XXVI

 

DORIMONT, CLITANDRE, MATHURIN, COLETTE, FINETTE, ARLEQUIN, NICOLE

 

ARLEQUIN.

Mon oncle, serviteur ; car ce n’est plus un jeu,

Et tout de bon, enfin, je suis votre neveu.

DORIMONT.

Voilà donc la façon, coquin, dont tu m’abuses !

Et tu fais employer de belles contre ruses !

FINETTE.

Comme vous le traitez !

MATHURIN.

Plaît-il !

CLITANDRE.

Pendard !

ARLEQUIN.

Tout beau.

Le Destin et l’Amour nous ont mis de niveau.

DORIMONT.

Je ne puis revenir de ton extravagance.

MATHURIN.

Mais je ne comprends rian à voute manigance.

DORIMONT.

Ce mystère, par moi, va vous être expliqué.

Ce Seigneur prétendu n’est qu’un valet masqué.

MATHURIN.

Le fripon !

FINETTE.

Juste ciel !

MATHURIN.

Monseigneur Alexandre,

Pour honorer la noce, on va vous faire pendre.

FINETTE.

Il faut que je t’étrangle.

ARLEQUIN.

Aïe, aïe, doucement.

CLITANDRE.

Ma cousine, arrêtez. Que votre emportement

Tombe sur le Contrat de votre mariage.

Sans le sein de votre oncle il n’est d’aucun usage.

Le voici ; vous pouvez le déchirer.

FINETTE.

Oui-dà.

À Arlequin en lui en jetant les morceaux au visage.

Tiens.

MATHURIN.

L’honnête garçon de gendre que j’ai là !

FINETTE.

Combien, mon cher cousin, je vous suis obligée !

Ce fourbe me dupait ; mais me voilà vengée.

CLITANDRE.

Faquin, vous vouliez donc devenir mon cousin ?

ARLEQUIN.

Ah !

CLITANDRE.

Je me suis prêté, pour rire, à ce dessein.

Tu trouveras assez d’autres femmes sans elle ;

Et de ma bourse alors récompensant ton zèle,

J’aurai soin de te faire un sort assez heureux.

MATHURIN.

Mon gendre, il ne faut pas être si généreux.

ARLEQUIN.

Que vous avez pour moi de bonté, mon cher maître !

Je voudrais de bon cœur pouvoir les reconnaître.

MATHURIN.

Son maître !

ARLEQUIN.

Assurément. Ainsi le Monde va :

L’une veut un Seigneur, et c’est l’autre qui l’a.

COLETTE.

Qu’entends-je, juste ciel !

MATHURIN.

Qu’est-ce que ça veut dire ?

DORIMONT.

Vous voyez de l’amour les effets et l’empire.

Lucas n’est point Lucas ; c’est un nom qu’il a pris.

Il se nomme Clitandre, et Clitandre est mon fils.

MATHURIN.

Voute fils !

COLETTE.

Mon époux !

CLITANDRE.

Oui, charmante Colette,

Dorimont est mon père, et sa bonté parfaite

Éclate dans le prix qu’il donne à mon amour.

MATHURIN.

La forteune aujourd’hui nous a joué d’un tour.

COLETTE.

Vous m’aimez plus encor que je n’ai cru moi-même,

Clitandre : mais non pas plus que je ne vous aime.

Quel que soit votre rang, il vous doit être doux

D’être persuadé que je n’aime que vous.

MATHURIN.

Qui se ferait douté de cette tromperie ?

Mais cheux les gros Seigneurs ce n’est que tricherie.

COLETTE, à Dorimont.

Permettez qu’à vos pieds en cette occasion

Je montre mon respect et ma confusion.

Votre bonté, Monsieur, fait grâce à ma famille.

Vous avez bien voulu que je sois votre fille.

Comptez que je mettrai ma gloire et mon bonheur

À me rendre à vos yeux digne d’un tel honneur.

DORIMONT.

Vous le devez, ma fille, à des dons que j’estime.

La vertu peut atteindre au rang le plus sublime.

Que ses seules leçons règlent votre devoir,

Et vous aurez rempli mon choix et mon espoir.

CLITANDRE.

De Colette et de moi vous pouvez tout attendre :

Mais, mon père, il est temps et de voir et d’entendre

Les danses, la musique et les chants destinés

À célébrer des nœuds pour moi si fortunés.

 

 

Divertissement

 

PREMIER AIR.

L’amour dans ce champêtre asile,

Sincère, constant et tranquille,

Dirige nos plaisirs, et règle notre sort.

Sans cesse à notre oreille

Il bourdonne comme une abeille.

Le soir il nous endort,

Et le matin il nous réveille

DEUXIÈME AIR.

Sous les aimables lois de la simple Nature,

En ces lieux la Volupté pure

Répand à pleines mains ses dons les plus flatteurs.

Nos jours s’écoulent

Parmi les plaisirs enchanteurs,

Comme nos ruisseaux coulent

Dans les prés au milieu des fleurs.

Vaudeville.

Sous la feinte et la grimace

Le genre humain est caché,

Et quoi qu’on dise, ou qu’on fasse,

L’on triche, ou l’on est triché.

Auprès d’un ami fantasque,

Trop de franchise nous perd ;

On gagne plus sous le masque

Qu’à visage découvert.

 

Autrefois l’amour sincère

Avait un heureux destin :

L’Amant était sûr de plaire,

En allant le droit chemin.

Aujourd’hui malice et frasque

Sont, en amour, ce qui sert.

On gagne plus, etc.

 

La coquette surannée

Plaît par le secours de l’art,

Qui, lui cachant quelque année,

De quelque attrait lui fait part.

Sur ses pas court comme un Basque

Plus d’un vieillard encor vert.

On gagne plus, etc.

Au Parterre.

Si nos jeux font un mélange

Et de bon et de mauvais,

L’un mérite la louange,

L’autre est digne des sifflets.

Mais le calme et la bourrasque

Feraient un fâcheux concert ;

Critiquez donc sous le masque,

Et louez à découvert.


[1] Voyez sur tout cela les Observations sur la Comédie, p. 91, 118, 145, 146, 169, 170.

[2] C’est un Italien, qui, toute sa vie, a étudié et pratiqué l’art du Théâtre.

[3] Voyez la Poët. d’Arist. Ch. V. et les Rem. de M. Dacier.

[4] Il la caresse, et elle le repousse.

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