Les Manchettes d’un vilain (Eugène LABICHE - Auguste LEFRANC - Déaddé SAINT-YVES)

Comédie-vaudeville en deux actes.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Palais-Royal, le 3 février 1849.

 

Personnages

 

BARBARINI BARBARO, podestat de Bergame

HORACE D’AMALFI, capitaine des grades

SANGREDINO, ambassadeur de Brescia

PANARI, bibliothécaire

BEPPO, garde

UN GARDE parlant

HÉLÉNA, fille du podestat

BETTINA, soubrette d’Hénéna

GARDES

DOMESTIQUES

COURTISANS

 

La scène se passe, à Bergame, dans le palais du podestat. Costumes du temps de Louis XIII.

 

 

ACTE I

 

Le théâtre représente un parc ; à gauche, un perron conduisant au palais ; du même côté, premier plan, une petite porte donnant dans les appartements intérieurs ; à droite, un banc de jardin à couvercle.

 

 

Scène première

 

BETTINA, la voix de BARBARO

 

BETTINA, à la cantonade à droite.

Oui, Monseigneur, vos ordres seront exécutés.

La voix de BARBARO.

Je te donne huit jours.

BETTINA, redescendant la scène.

Huit jours !... Le podestat me donne huit jours pour me marier... avec n’importe qui, pourvu que ce soit un employé du palais, sinon je perds ma place de camériste auprès de la princesse Héléna sa fille, une très bonne princesse et une très bonne place !... Huit jours !... encore si j’avais là un amoureux sous la main ! mais Barbaro Barbarini, podestat de Bergame, n’entend pas raillerie sur le chapitre des mœurs... Bigot et cagot, il passe sa vie à distribuer des prix de chasteté, de moralité et de sobriété. Enfin, l’autre jour, je respirais... il m’a soutenu que je soupirais, et il m’a appelée petite créature ! Un mari !... voyons donc parmi les employés du palais !... Ah ! mon Dieu ! ils sont tous mariés... sauf un M. Panari, le nouveau bibliothécaire, et encore ce n’est pas un homme... c’est un premier prix de continence.

Air du Fleuve de la vie.

C’est même à sa vertu si rare
Qu’il doit sa place en ce palais.
Le podestat est trop bizarre,
Et ses courtisans trop niais.
Aussi voyez quelle est ma chance :
Avoir attendu si longtemps
Pour épouser, à vingt-deux ans,
Un prix de continence.

 

 

Scène II

 

BETTINA, PANARI, la voix de BARBARO

 

PANARI, à la cantonade.

Oui, Monseigneur, vos ordres seront exécutés.

BETTINA, à part.

C’est lui. Si je pouvais...

La voix de BARBARO.

Je te donne huit jours.

PANARI.

Ça suffira.

À lui-même, descendant la scène.

Le podestat m’a dit : Épouse le premier chien coiffé, pourvu que ce soit une femme du palais...

BETTINA, à part.

Il ne me voit pas.

Elle tousse.

Hum ! hum !

PANARI, à part.

Tiens, en voilà une... femme du palais...

BETTINA, toussant.

Hum ! hum !

PANARI.

Elle est enrhumée... ça peut faire mon affaire.

Appelant.

Psit !

BETTINA.

Hein ?

PANARI.

Psit !

BETTINA.

C’est à moi que ce discours s’adresse ?

PANARI.

Oui, j’ai à vous parler.

À part.

Il faudrait commencer par quelque chose de gracieux... voilà !

Haut.

Comment vous appelez-vous ?

BETTINA.

Bettina !

PANARI, à part.

Oh ! ce nom !

Haut.

Eh bien ! Bettina, ma chère Bettina... je crois que nous aurons des abricots cette année !

BETTINA.

Ah !

PANARI.

Oui, il y a une belle apparence, et s’il ne gèle pas...

À part.

Mais j’y pense, je fais des frais... elle est peut-être mariée.

Haut.

Petite !

BETTINA.

Monsieur ?

PANARI.

Êtes-vous demoiselle ?

BETTINA.

Oui.

PANARI.

Mais, là...

BETTINA.

Certainement.

PANARI.

Alors, très bien... C’est que, voyez-vous, j’aurais besoin de quelqu’un tout de suite... pour l’épouser... et puisque je vous rencontre, je vous l’offre...

BETTINA.

Quoi donc ?

PANARI.

Ma main... ne faites pas attention si elle est enfouie sous cette manchette.

Il retrousse sa manchette.

Voilà une mode fatigante.

Lui présentant la main.

Je vous l’offre...

BETTINA.

Comment, monsieur, vous m’aimez donc ?

PANARI.

Moi ? ah ben ! elle est bonne ! ah ! elle est bonne ! Farceuse, va !

BETTINA.

Alors, pourquoi m’épousez-vous ?

PANARI.

Ah ! voilà... Le podestat m’a dit : Panari, épouse le premier chien coiffé...

BETTINA.

Hein ?

PANARI.

Pourvu que ce soit une femme du palais.

BETTINA.

Ah !

PANARI.

Ou je te chasse !

BETTINA, à part.

Je le tiens !

Haut.

Oh ! c’est jouer de malheur... toutes les femmes du palais sont mariées, excepté moi.

PANARI.

Eh bien ?

BETTINA.

Vous n’avez pas le choix.

PANARI.

Oh ! ça m’est égal... vous ou une autre... je vous prends... c’est convenu... adieu !

BETTINA.

C’est qu’il y a un petit obstacle...

PANARI.

Lequel ?

BETTINA.

Il me faut, à moi, un mari qui m’aime, qui m’adore... J’y tiens.

PANARI.

Ah !

À part.

En v’là une embêtante !

Haut, brusquement.

Eh bien ! c’est bon ! on vous aimera... on vous aime, là !

BETTINA.

Alors, monsieur, faites-moi la cour, je veux qu’on me fasse la cour.

PANARI.

La cour ?

BETTINA.

Oui, dites-moi des choses agréables, voyons, parlez, je vous écoute.

PANARI.

Volontiers... Ah ! je crois que nous aurons des abricots cette année !

BETTINA.

C’est donc agréable, ce que vous me dites là ?

PANARI.

Dame ! si vous les aimez, les abricots !... Après ça, vous n’aimez peut-être pas ?...

BETTINA.

Mais non, monsieur.

PANARI.

C’est comme moi... mon fruit, c’est l’asperge.

BETTINA, à part.

Il est d’une niaiserie... et si je ne l’encourage pas un peu...

Haut.

Tenez, monsieur, voici ma main, on vous permet de l’embrasser.

PANARI, lui prenant la main.

Ah ! il faut que j’embrasse ça ?

À part.

Ah ! mais, elle est sciante, cette petite !

Embrassant la main.

Voilà !... c’est fait...

À Bettina qui lui laisse sa main.

C’est fait.

Avec brusquerie.

Mais reprenez donc votre main ! Avec ça qu’elle est chaude... Ça vous brûle les lèvres...

BETTINA, tout à coup.

Ah ! mon Dieu !

PANARI.

Quoi donc ?

BETTINA.

Ces arbres... il vient de me tomber quelque chose sur le cou.

PANARI.

Des bêtes à bon Dieu ?... ça chatouille, mais ça porte bonheur.

BETTINA.

Oh !... Monsieur Panari... je vous en prie... ôtez-la-moi...

PANARI, à part.

En v’là une besogne ! faut que je lui épluche le cou à présent...

BETTINA.

Air des Diamants.

Ah ! cherchez, monsieur, cherchez bien,
Je vous conjure.

PANARI.

Vous vous trompez, vous n’avez rien,
Soyez-en sûre.

BETTINA.

Mais la bête fait des progrès
À la sourdine.

PANARI.

Voyons donc... il faut de tout près
Que j’examine.

Il s’approche très près de son cou, l’embrasse et reste stupéfait.

Oh !

BETTINA.

Que faites-vous ?

PANARI, honteux.

Ce n’est pas ma faute... j’ai la vue basse... et en regardant...

Ensemble.

Pristi ! c’est peut-être bien mal,
J’ai, quand j’y pense,
Un prix de continence ;
Mais tant pis si c’est immoral,
C’est, au total,
Assez original.

BETTINA.

On pourrait attendre plus mal,
En conscience,
D’un prix de continence.
Oui, pour un homme aussi moral,
C’est, au total,
Assez original.

Deuxième couplet.

PANARI.

Mais si cette bête à bon Dieu
Courait encore !

BETTINA.

Je sens, en effet, comme un feu,
Qui me dévore.

PANARI.

Elle a fait le tour, j’en ai peur,
Mademoiselle.

BETTINA.

Eh bien ! monsieur, en bon chasseur,
Faites comme elle.

PANARI, passant de l’autre côté, et l’embrassant.

Oh ! et de deux !

BETTINA.

Eh ! mais... eh ! mais...

Ensemble.

PANARI.

Pristi ! c’est peut-être bien mal, etc.

BETTINA.

On pourrait attendre plus mal, etc.

PANARI, avec véhémence.

Mademoiselle, je vous en prie, fixons un jour, ah ! fixons un jour !

BETTINA.

Pour quoi ?

PANARI.

Pour nous marier. Dites donc, j’ai trois arpents en vigne et un oncle en boutique... Faut nous revoir ce soir, je vous montrerai mes titres de propriété...

BETTINA.

Vous n’y pensez pas, un homme dans les appartements de la princesse... Si le podestat apprenait... lui qui est si sévère.

PANARI.

Le podestat ? c’est une vieille ganache ! D’ailleurs, puisque je vous épouse...

BETTINA.

Au fait... Eh bien ! ce soir à huit heures, pendant que la princesse sera au bain...

PANARI.

À huit heures, c’est convenu ; où demeurez-vous ?

BETTINA.

Là, dans le palais, troisième couloir à droite, cinquième porte à gauche.

PANARI.

Ça suffit.

BETTINA.

Et surtout tâchez qu’on ne vous rencontre pas.

PANARI.

Je m’en garderai bien, sacrebleu !

S’arrêtant, à part.

Oh ! je viens de jurer !... Elle me démoralise, cette petite.

BETTINA.

Chut ! la princesse vient de ce côté. À ce soir !

PANARI.

J’y serai !

Ensemble, à voix basse.

Air de Gastibelza.

À ce soir (bis.)
En secret il faut nous voir,
Puisque, au gré de nos vœux,
On doit nous unir tous deux.

Panari se retire par la droite.

 

 

Scène III

 

BETTINA, HÉLÉNA

 

HÉLÉNA.

Tu es seule, Bettina ?

BETTINA.

Oui, mademoiselle.

HÉLÉNA.

Ah ! tant mieux ! croirais-tu que ce matin, malgré toutes les précautions de mon père, on a encore trouvé ce bouquet à la même place... Ah ! je suis furieuse !

BETTINA.

C’est bien fait pour ça.

HÉLÉNA.

Une pareille folie !... Je ne sais pas ce que je donnerais pour en connaître l’auteur... Tu ne soupçonnes personne !

BETTINA.

Personne !

HÉLÉNA.

C’est insupportable ! vous ne savez jamais rien... une camériste !

BETTINA.

Le moyen ?

HÉLÉNA.

On épie, on interroge, on questionne. Ce qui m’arrive est si extraordinaire ; un jour, il m’échappe de vanter devant la cour la violette de Parme, de la placer au-dessus de toutes les fleurs... un imprudent recueille ces paroles, et depuis... Sais-tu qu’il joue gros jeu, ce pauvre jeune homme !

BETTINA.

Ah ! vous croyez que c’est un jeune homme ?...

HÉLÉNA.

Il me semble que pour escalader...

BETTINA.

C’est juste !

HÉLÉNA.

Ah ! c’est bien audacieux !

BETTINA.

Et bien insolent...

HÉLÉNA, sèchement.

Je vous dispense, mademoiselle, de renchérir sur mes expressions... Il n’y a rien d’insolent à déposer un bouquet sur un balcon.

BETTINA, à part.

Tiens ! tiens ! est-ce que la princesse ?...

HÉLÉNA.

Ce pauvre gentilhomme... chacun prend à tâche de l’accabler... Certainement il m’est indifférent, parfaitement indifférent, mais cela ne m’empêche pas de rendre justice à son courage, à sa persévérance, à sa discrétion.

BETTINA.

Eh bien ! moi, mademoiselle, je n’osais pas l’avouer... mais je l’admire !

HÉLÉNA.

Toi ?

BETTINA.

Exposer sa liberté, ses jours peut-être, et sans espoir de récompense, c’est beau, c’est noble, c’est héroïque !

HÉLÉNA.

Voyez, comme ces petites filles se montent la tête... Mais je te pardonne...

BETTINA, à part.

Je crois bien !

HÉLÉNA.

Parce que tu es fidèle, dévouée, Bettina... Je ne porterai plus la mante que j’avais hier, tu la prendras.

BETTINA.

Merci, mademoiselle...

À part.

Merci, bel inconnu.

Haut.

Voici Monseigneur le podestat.

HÉLÉNA.

Mon père... Comme il est sombre !

 

 

Scène IV

 

BETTINA, HÉLÉNA, BARBARO

 

BARBARO, entrant d’un air sombre, à part.

Ça va mal, ça va mal, ça va très mal ! Ma cour se débauche, mon peuple se détraque et la morale dégringole dans mes États ! Ça va mal ! Ça va très mal !

HÉLÉNA.

Qu’y a-t-il ?

BARBARO.

Ce qu’il y a ? Apprends donc... non, baisse ton voile, je vais te raconter quelque chose de leste...

Il rabat le voile.

BETTINA, s’avançant.

Ah ! voyons...

BARBARO.

Bettina, tu vas te rendre dans la grande cour du château, tu en feras trois fois le tour et... et tu reviendras me dire l’heure qu’il est... Va.

BETTINA.

Tout de suite...

À part.

Comme c’est agréable...

Elle pousse un soupir.

Ah !

BARBARO.

Bettina, tu soupires !

BETTINA.

Non, Monseigneur, je respire.

Elle sort.

 

 

Scène V

 

HÉLÉNA, BARBARO

 

BARBARO.

Apprends donc une chose monstrueuse... Tout à l’heure, pendant le prêche, j’ai surpris le comte Della Roca qui faisait l’œil à la signora Della Piantura... Une femme mariée et grêlée ! C’est odieux ! Voilà maintenant que l’on fait l’œil aux femmes grêlées ! Moi, qui avais défendu la vaccine dans mes États, je me disais : Mon peuple sera si laid, si laid ! qu’il ne pourra plus se regarder en face. Ah ! bien, oui... la grêle n’y fait plus rien, au contraire...

HÉLÉNA.

Mon père, faire l’œil... qu’est-ce que ça veut dire ?

BARBARO.

Comment ! tu ne sais pas ?... Relève ton voile, je vais te l’expliquer... On appelle faire l’œil... C’est-à-dire, non, j’aime mieux ne pas te l’expliquer.

HÉLÉNA.

Et qu’avez-vous dit au comte Della Roca ?

BARBARO.

Moi ? rien. Mais je lui ai envoyé mon carrosse.

HÉLÉNA.

Pour quoi faire ?

BARBARO.

Pour le transporter au couvent de Montefeltro, un couvent de carmes que j’ai fait construire... en stuc ! Une fois l’édifice achevé, je me suis aperçu que je n’avais pas de carmes pour mettre dedans... Alors, je m’en procure tous les jours un peu... Quand un homme fait un écart, crac, je le fais carme.

Air.

Dès que brûlant d’une ardeur illicite,
Quelqu’un commet un péché libertin,
Pour le calmer je l’enfouis bien vite
Dans cet asile humide et fort malsain.
Sur maints seigneurs aux passions folâtres,
Ainsi, déjà, j’ai tiré les verrous :
Après avoir essuyé mon courroux,
Ils s’en vont essuyer... mes plâtres.

HÉLÉNA.

Mais s’ils n’ont pas de vocation ?

BARBARO.

Il paraît que ça vient là-bas.

HÉLÉNA.

Les malheureux doivent périr d’ennui.

BARBARO.

Tu crois ?... Je dirai à mon ministre des Travaux publics de leur construire un jeu de boules... Ah ! il y a quelqu’un que j’aurais du plaisir à faire jouer aux boules !

HÉLÉNA.

Qui donc ?

BARBARO.

Le gredin, le sacripant qui ose escalader ton balcon...

HÉLÉNA.

Pour me porter des fleurs, est-ce donc un si grand crime ?

BARBARO.

Mais il t’aime, le gueux !

HÉLÉNA.

Vous croyez ?

BARBARO.

Parbleu ! pourquoi ne m’apporte-t-il pas de bouquets, à moi ? Je suis son podestat, et j’aime la violette de Parme tout comme un autre... Surtout, ma fille, ferme bien tes rideaux... car si son regard devait profaner tes charmes, vois-tu ?... j’aimerais mieux voir tomber la foudre sur mon palais... quand je n’y suis pas.

HÉLÉNA.

Vous le prenez trop vivement.

BARBARO.

Mais je ne le prends pas du tout... c’est ce qui me désole. J’ai pourtant fait émailler la prairie de pièges charmants... on n’a qu’à souffler dessus, et ça vous casse la jambe, net ! J’ai fait venir ça de la Pouille.

HÉLÉNA.

C’est affreux !

BARBARO.

Oui, c’est affreux... Je n’ai encore pris que des jardiniers, et comme il faut leur faire une pension... ça m’ennuie. Cette nuit, j’avais essayé d’un autre moyen... toute la valetaille était postée dans le parc... avec des badines de cornouiller... de quoi assommer un bœuf.

HÉLÉNA.

Ah ! mon Dieu !

BARBARO.

Ils n’ont rien assommé du tout, qu’une de mes statues... une antique qu’ils ont prise dans l’ombre pour... Ils l’ont cassée, les crétins... Sais-tu que cet animal-là me coûte les yeux de la tête... mais je le pincerai... J’ai encore imaginé autre chose...

HÉLÉNA.

Quoi donc ?

BARBARO.

Une surprise... c’est pour la bonne bouche... tu verras...

 

 

Scène VI

 

HÉLÉNA, BARBARO, BETTINA

 

BETTINA, entrant essoufflée.

Ouf ! me voilà !

BARBARO.

Que veux-tu ?

BETTINA.

J’ai fait trois fois le tour de la grande cour.

BARBARO.

Eh bien ! qu’est-ce que ça nous fait ?

BETTINA.

Il est neuf heures.

BARBARO.

Qui est-ce qui lui demande l’heure ? Va me chercher le comte Horace, mon capitaine des gardes.

BETTINA.

Oui, Monseigneur.

Elle remonte.

BARBARO.

C’est un homme sûr, moral ; j’ai un secret d’État à lui confier.

BETTINA, s’approchant avec curiosité.

Ah ! un secret d’État, ça doit être curieux.

BARBARO.

Bettina !

BETTINA.

Monseigneur ?

BARBARO.

Tu vas monter tout en haut de la tour du nord.

BETTINA.

Comment ?

BARBARO.

Et quand tu y seras, tu regarderas... d’où vient le vent. Va, ma fille, va...

BETTINA.

J’y vais.

À part.

Il me renvoie toujours au bon moment.

Annonçant avant de sortir.

M. le comte Horace !

Elle sort.

 

 

Scène VII

 

HÉLÉNA, BARBARO, HORACE

 

BARBARO.

Arrivez donc, capitaine, voilà une heure que je vous attends.

HORACE.

Mille pardons, Monseigneur, mais je me suis oublié...

BARBARO.

Où ça ?

HORACE.

Dans votre oratoire, à faire une lecture édifiante.

HÉLÉNA, à part.

Quel air hypocrite !

BARBARO.

Une lecture édifiante ! ah ! capitaine, si tous mes soldats vous ressemblaient, j’en ferais des capitaines.

Bas à Héléna.

Remarques-tu comme il est bien, ce militaire ?

HÉLÉNA.

Oui, il ne lui manque qu’une chose.

BARBARO.

Laquelle ?

HÉLÉNA.

D’apprendre à saluer en entrant.

BARBARO.

Oh ! c’est un oubli... tu lui en veux.

Bas à Horace.

Capitaine, saluez ma fille.

HORACE, d’un air gourmé.

Mademoiselle, j’ai l’honneur d’être de Votre Altesse le très humble et très obéissant serviteur.

BARBARO.

Tiens, il salue comme une lettre !

HÉLÉNA.

Oui, il ne manque que la signature.

BARBARO, à part.

Décidément, ma fille ne le respire pas.

Haut.

Eh bien ! capitaine, vous savez... ils l’ont encore manqué cette nuit, encore un chou blanc.

HORACE.

Vous m’en voyez navré.

BARBARO.

Et moi, donc, sabre de bois !

HORACE.

Ah ! prince !

BARBARO.

Quoi donc ?

HORACE.

Vous jurez ?

BARBARO.

Du tout ! sabre de bois n’est point un juron, c’est une locution... j’ai consulté.

HÉLÉNA, à part.

Et c’est avec de pareilles grimaces !... pauvre père !

BARBARO.

Et ils m’ont cassé une statue.

HORACE.

Oh ! vous ne devez pas la regretter.

BARBARO.

Mais si !

HORACE.

Une Vénus... déesse immonde et profane !... mes mousquetaires et moi, nous ne pouvions passer devant elle sans rougir.

BARBARO.

Sans rougir ?... ah ! voilà des mousquetaires. À propos, vous ai-je décoré de l’ordre de Saint-Christophe ?

HORACE.

Non.

BARBARO.

Paf ! vous l’êtes !

HORACE.

Excusez-moi, je ne saurais accepter ces distinctions mondaines.

BARBARO.

Pourquoi ?

HORACE.

Elles sont contraires aux lois de l’humilité.

HÉLÉNA, à part.

Il refuse... c’est étrange... serait-il de bonne foi ?

BARBARO, à sa fille.

Vois, quelle onction ! ah ! qu’il est agréable d’avoir un capitaine onctueux !

Haut à Horace.

Mon cher comte, j’ai un secret d’État à vous confier.

HÉLÉNA.

Je me retire, mon père.

BARBARO.

Non, tu n’es pas de trop, au contraire, ça te concerne.

À Horace.

J’attends aujourd’hui le marquis de Sangredino, ambassadeur de Brescia.

HÉLÉNA.

Je ne vois pas en quoi cette visite...

BARBARO.

Tu ne devines pas ? un ambassadeur qui se présente avec des habits orange... et une figure idem...

HÉLÉNA.

Eh bien ?

BARBARO.

C’est pour un mariage...

HÉLÉNA.

Hein ?

BARBARO.

Le tien.

HORACE, s’oubliant.

Ah ! mon Dieu !

BARBARO.

Qu’avez-vous donc, capitaine ?

HORACE.

Rien... la joie, le plaisir de voir une union aussi inattendue...

BARBARO.

Un parti superbe ! et un prince ! Cinq pieds onze pouces ! je l’ai fait mesurer par mon bureau des longitudes.

HÉLÉNA.

Mais, mon père, vous savez bien que je ne tiens pas à me marier...

BARBARO.

Je le sais. Sangredino se présentera à midi. Comte Horace, je vous charge de faire les honneurs de Bergame à l’ambassadeur de Brescia. Promenez-le, nourrissez-le, amusez-le.

HORACE.

Je lui ferai voir les portes de la cathédrale.

BARBARO.

Pendant quinze jours... c’est ça. Quant à l’homme aux bouquets, nous saurons cette nuit à quoi nous en tenir... Avez-vous des Tyroliens dans votre compagnie ?

HORACE.

Quelques-uns.

BARBARO.

Très bien. Vous les posterez dans le petit parterre, sous le balcon, que je ferai illuminer.

HÉLÉNA.

Des Tyroliens ?

BARBARO.

Oui, on les appelle Tyroliens, parce qu’ils font ta la la hou hou

Il imite le chant des Tyroliens.

et qu’ils sont nés dans le Tyrol, qui est un pays, sur la carte... dit-on.

HÉLÉNA.

Mais pourquoi ceux-là plutôt que d’autres ?

BARBARO.

Oh ! c’est que ceux-là, avec leur carabine, vous cassent à cent pas un œuf à la coque si proprement, mais si proprement, qu’on n’a plus qu’à y tremper la mouillette. Tu comprends... aussitôt que notre homme se présentera avec son infâme bouquet, patapan ! pan ! pan ! rra !...

HÉLÉNA.

Oh ! c’est horrible !

HORACE.

Mes hommes seront à leur poste.

HÉLÉNA, à part.

Pauvre jeune homme !... c’est affreux !... il faut à tout prix que j’empêche...

BARBARO.

Rentre, ma fille, moi, je vais donner des ordres pour la réception de Sangredino.

 

 

Scène VIII

 

HÉLÉNA, BARBARO, HORACE, BETTINA

 

BETTINA, tout essoufflée.

Ouf ! me voilà !

BARBARO.

Que veux-tu ?

BETTINA.

Monseigneur, il vient du sud.

BARBARO.

Qui ça ?

BETTINA.

Le vent.

BARBARO.

Eh bien ! qu’est-ce que ça me fait ?

Il remonte.

HÉLÉNA, bas au capitaine.

Restez, il faut que je vous parle...

HORACE, de même.

À vos ordres.

BETTINA, qui a entendu, à part.

Tiens, la princesse qui retient le capitaine...

BARBARO, du fond.

Bettina !

BETTINA.

Monseigneur ?

BARBARO.

Tu connais bien ma perruche... ma grande perruche ?

BETTINA.

Oui.

BARBARO.

Eh bien ! tu vas aller la trouver ; tu lui diras mille choses de ma part, et tu lui chanteras seize fois l’air du Pâtre dans la montagne... j’aime cet air-là.

BETTINA.

Oui, Monseigneur.

Elle soupire.

Ah !

BARBARO.

Bettina ! voilà encore que tu soupires !...

BETTINA.

Eh ! non ! je respire !

Ensemble.

Air du Code noir.

BARBARO.

Voici l’instant suprême !
Je tiens ton union,
Et vais veiller moi-même
À ma réception.

HORACE.

Voici l’instant suprême !
Détestable union !
Et ne pouvoir fuir même
Cette réception.

HÉLÉNA.

Voici l’instant suprême !
Hélas ! quelle union !
Se peut-il que l’on s’aime
Par procuration !

BETTINA.

Voici l’instant suprême !
Quelle étrange union !
Il faut d’abord qu’on s’aime
Par procuration !

Bettina entre à gauche, le prince sort par le fond.

 

 

Scène IX

 

HÉLÉNA, HORACE

 

HÉLÉNA, à part, regardant Horace.

Un homme si rigide... Que faire pour le gagner ?

Haut.

Convenez, capitaine, que mon père vient de vous charger d’une bien affreuse mission.

HORACE.

Laquelle ?

HÉLÉNA.

Comment ?...

HORACE.

Ah ! oui... promener M. Sangredino !

HÉLÉNA.

Non...

Avec effort.

l’autre...

HORACE, froidement.

Oh ! celle-là regarde mes Tyroliens.

HÉLÉNA.

Est-ce qu’au moment de faire tirer sur un homme... un innocent ! Vous ne sentez pas... là... comme un remords ?

HORACE.

Je suis soldat, je dois exécuter ma consigne.

HÉLÉNA.

Capitaine, êtes-vous riche ?

HORACE.

Non.

HÉLÉNA.

Voulez-vous le devenir ?

HORACE.

Non.

HÉLÉNA.

Mais vous aimez le pouvoir, les honneurs ?

HORACE.

Non.

HÉLÉNA.

Oh ! mon Dieu !... Alors que puis-je vous offrir en échange du service que je vais vous demander... La reconnaissance d’une femme, fût-elle princesse... c’est bien peu.

HORACE.

Parlez !

HÉLÉNA, résolument.

Comte Horace, il ne faut pas que ce jeune homme meure, il ne le faut pas !

HORACE.

Comment !... Un tel intérêt ! pour un inconnu.

HÉLÉNA.

Capitaine... avez-vous jamais aimé ?

HORACE, vivement.

Moi ?

Froidement.

Non.

HÉLÉNA.

Oh ! alors vous ne me comprendrez pas... Vous ne comprendrez pas l’admiration qui vient au cœur d’une femme en face de cette noble audace... Tenez, je n’ai jamais vu cet homme... je ne sais s’il est gentilhomme ou vilain, mais c’est un noble cœur, et...

HORACE.

Achevez !

HÉLÉNA.

Épargnez ses jours... je vous en prie, je vous en conjure...

Air : Pauvre orpheline.

Lorsque dans l’ombre il joue ainsi sa vie,
Pour un bouquet, tribut mystérieux,
Ne faut-il pas qu’en son âme ravie,
Il ait formé bien des rêves heureux.
Les cœurs épris sont pleins de confiance,
Pourquoi vouloir leur fermer l’avenir...
Il a pour lui l’amour et l’espérance,
Vous le voyez, il ne doit pas mourir !

HORACE, à part.

Qu’elle est belle !

HÉLÉNA.

Il vous est si facile de tromper la surveillance de vos soldats : faites-les boire, faites-les jouer... Un instant suffit pour prendre leurs carabines, en retirer les balles...

HORACE.

Ah ! madame ! que me proposez-vous ? Vous voulez donc le déshonorer ?

HÉLÉNA.

Comment ?

HORACE.

Vous admirez son courage, son audace, et vous voulez qu’à l’aide d’un misérable subterfuge !... Oh ! madame, ne lui disputez pas le danger qui l’a fait grand à vos yeux, il n’a que cela à vous offrir, lui !

HÉLÉNA.

Mais ces balles peuvent l’atteindre.

HORACE.

Oh ! alors !... alors ne le plaignez pas ! c’est le seul moyen qu’il ait de se déclarer.

Même air que le précédent.

Quand d’une femme on a l’âme remplie,
Et qu’on ne peut l’adorer au grand jour,
Ne faut-il pas renoncer à la vie
Pour avoir droit d’avouer son amour...
Sous ce balcon, que sa mort sera belle !
Ses derniers vœux, et son dernier soupir,
Pourront du moins monter, monter vers elle !...
Vous le voyez, madame, il doit mourir !

HÉLÉNA.

Comte Horace... vous me trompez... l’homme qui parle ainsi... Vous avez aimé, vous aimez encore !...

Bruit dans la coulisse.

HORACE.

Silence ! madame, on vient !

HÉLÉNA.

Il faut que je vous revoie... il faut que j’éclaircisse... Et d’abord sauvez cet homme... quel qu’il soit...

De la porte.

Vous m’entendez, quel qu’il soit !

HORACE.

C’est impossible !

HÉLÉNA, à part.

Alors c’est moi qui le sauverai !

Elle entre à gauche.

 

 

Scène X

 

HORACE, puis BEPPO, GARDES

 

HORACE, seul.

Elle a dit : Cet homme est un noble cœur... Elle l’aime !... que m’importe la vie, maintenant !

Allant au fond.

Holà, camarades !

Entrée des gardes.

CHŒUR.

Air de la Mascarade (des Mousquetaires de la Reine).

À votre voix, mon capitaine,
Nous voilà tous !
Pour aujourd’hui, plaisir ou peine,
Qu’ordonnez-vous ?

HORACE.

Ah !... mes amis !... je suis heureux de vous voir... Tenez, voici de l’or, buvez et chantez, morbleu ! car c’est aujourd’hui fête... Trinquez à vos amours !... nous trinquerons ensemble, mais bien bas... car le bruit de nos verres pourrait réveiller le podestat.

BEPPO, aux autres.

Qu’est-ce qu’il a donc, le capitaine ?

À Horace.

Quelle est la consigne pour ce soir ?

HORACE.

Ah ! la consigne ?

À part.

Je l’avais oubliée... c’est le réveil.

Haut.

À dix heures, vous vous placerez sans bruit dans le petit parterre sous le balcon de la princesse.

BEPPO.

Et après ?

HORACE.

Après... vous chargerez vos armes... un homme montera sur le balcon et... vous tirerez.

BEPPO.

Très bien ! son affaire est faite.

HORACE.

Ah !

BEPPO.

Je décroche un pigeon à soixante pas.

HORACE, lui serrant la main.

Mon compliment.

UN GARDE.

Oh ! nous sommes tous de la même force.

LES AUTRES GARDES.

Oui, tous.

HORACE.

C’est bien... faites votre devoir.

BEPPO.

Est-ce tout, capitaine ?

HORACE, qui est remonté.

Silence ! Messieurs, le podestat s’avance pour recevoir l’ambassadeur de Brescia.

Ils se rangent.

 

 

Scène XI

 

HORACE, BEPPO, GARDES, BARBARO, HÉLÉNA, BETTINA, PANARI, COURTISANS

 

CHŒUR.

Air : Chantons laetamini.

Puisque aujourd’hui c’est fête,
Chantons joyeusement,
Et que chacun s’apprête
À s’amuser gaiement.
À Monseigneur honneur,
Honneur à Monseigneur. (bis.)

BARBARO, l’interrompant.

Assez, cet air est fort gai, mais j’en ai assez.

S’adressant à l’assemblée.

Courtisans... je vous ai convoqués pour vous faire assister à la cérémonie des fiançailles de ma fille avec le prince de Brescia, un très grand prince... Je ne saurais trop vous recommander la tenue et la décence... je veux que ma cour soit un petit endroit moral...

Les courtisans et les dames de la cour échangent derrière lui des signes d’intelligence.

Voici un carnet où je vais noter tous ceux qui se feront l’œil, et après la cérémonie...

Tout le monde baisse les yeux.

À la bonne heure ! Voici l’attitude qui convient à une cour... ivre de joie. Maintenant, faites entrer l’ambassadeur de Brescia.

 

 

Scène XII

 

LES MÊMES, SANGREDINO

 

UN HUISSIER, annonçant.

M. le marquis de Sangredino, ambassadeur de Brescia !

SANGREDINO, il fait plusieurs saluts, et s’adressant à Panari.

Très haut, très grand, très illustre podestat !...

PANARI, à Sangredino.

Vous vous trompez, le podestat c’est ce gros là-bas.

SANGREDINO, à Panari.

Monsieur, je vous demande pardon de vous avoir pris pour...

À Barbaro.

Très haut, très grand et très illustre podestat !

À part.

Allons bon ! j’ai envie de me moucher.

Haut.

Moi, Coriolan-Murcius-Tibérius-Gracchus de Renoncule marquis de Sangredino.

À part.

J’aurais dû me moucher avant, c’est une bêtise.

Haut, reniflant.

Je viens au nom de mon maître, le très haut, très grand et très illustre Hector, prince de Brescia, te demander la main de ta fille bien-aimée, que Dieu conserve.

Il se mouche vivement.

BARBARO.

Mon ami.

Sangredino se mouche bruyamment.

Mon ami.

Même jeu.

Avez-vous vos lettres de créance ?

SANGREDINO.

Oui, très haut, très grand et très illustre podestat !... Elles sont dans ma poche.

Il les remet.

BARBARO.

Donnez donc, c’est trop tard... et puis on ne se mouche pas devant les têtes couronnées.

SANGREDINO.

Ah ! très bien ! une autre fois...

À Panari, pendant que Barbaro parcourt les lettres.

Pourquoi ne m’avez-vous pas dit qu’on ne se mouchait pas devant les têtes couronnées ?

PANARI.

Est-ce que je pensais que vous alliez vous moucher ?

SANGREDINO, lorgnant les dames de la cour, à part.

Eh ! eh ! ces péronnelles ont un petit air de gredinerie qui me va.

BARBARO.

Qu’est-ce que vous faites donc ?

SANGREDINO.

Rien. Je disais : Elles ont un petit air de gredinerie...

BARBARO.

Est-ce qu’il y en a une qui se serait permis de vous faire l’œil ?

SANGREDINO.

Oh ! non !

BARBARO.

C’est que j’ai mon carnet, voyez-vous... et elle serait bien vite couchée...

SANGREDINO, gaiement.

Couchée, tiens ! tiens !

À part.

Il pratique gaillardement l’hospitalité ce podestat !

BARBARO.

Vos lettres sont en règle... attention ! je vais vous faire une réponse solennelle, Marquis de Sangredino !... Mettez vos gants.

SANGREDINO.

Je n’en ai pas.

BARBARO, lui passant ses gants.

Prenez les miens.

SANGREDINO.

Merci !

BARBARO.

Marquis de Sangredino, allez dire à votre maître que Bergame consent à devenir la moitié de Brescia, allez lui dire que... non... ça suffit, c’est une affaire arrangée ! Avez-vous procuration pour baiser la main de la princesse ?

SANGREDINO.

Oui, c’est sur le papier : complimenter, embrasser et autres menus détails.

BARBARO.

Je ne vois pas.

SANGREDINO.

Dans le coin... il y a un renvoi.

BARBARO.

Très bien... allez !

À Sangredino.

Ah ! marquis, écoutez que je vous donne un avis hygiénique... Vous saurez que Bergame, petite ville, assez bien bâtie du reste, est très malsaine pour les ambassadeurs.

SANGREDINO.

Ah ! c’est le brouillard... je mettrai un gilet de flanelle.

BARBARO.

Il ne s’agit pas de brouillard... Dès qu’un ambassadeur demande la main de ma fille, crac... c’est comme un fait exprès, la main d’un sacripant inconnu lui tombe sur la figure... en voilà trois qui prennent leurs passeports pour ce fait... Ils partent, et ma fille reste... fille...

SANGREDINO.

C’est monstrueux !

BARBARO.

Et sous les rapports politiques donc, les conséquences sont déplorables... Car enfin, autrefois, entre princes, entre voisins, on se faisait des petits cadeaux... Bologne me souhaitait ma fête avec des andouillettes, et moi je lui retournais des citrons. Ferrare m’envoyait des cuisses de sanglier, et moi... des citrons. Enfin, je recevais des lamproies de l’aimable Padoue, et moi... toujours des citrons. Mais aujourd’hui, plus rien !... Les rapports diplomatiques ont cessé ; aussi, je mange mal, je dors mal, je digère mal !... enfin, j’ai la bouche amère.

SANGREDINO.

Pâteuse !...

BARBARO.

Vous voilà averti, méfiez-vous.

SANGREDINO.

Soyez tranquille, je ne suis pas un ambassadeur comme un autre, moi... Ce petit-là, voyez-vous, qui s’y frotte s’y pique.

BARBARO.

Nous vous laissons, demain vous serez admis à l’honneur de faire votre cour... À propos, êtes-vous décoré de l’ordre de Saint-Christophe ?

SANGREDINO.

Non.

BARBARO.

Paf ! vous l’êtes !

Reprise du CHŒUR.

Puisque aujourd’hui, etc.
Vive l’ambassadeur,
Et vive Monseigneur ! (bis.)
Tout le monde sort sauf Sangredino.

 

 

Scène XIII

 

SANGREDINO, seul

 

Ah ! je suis menacé d’un coup d’épée anonyme... Ça me va, et je commence à comprendre pourquoi Brescia m’a choisi pour son plénipotentiaire... moi, un maître d’armes ; c’est vrai, j’étais là dans ma salle avec un élève qui prenait sa leçon... Une deux ! fendez-vous !... Tout à coup, entre un monsieur de la cour, qui me dit : Voulez-vous être ambassadeur, vous ? – Pourquoi pas ? – Eh bien ! suivez-moi. – J’ôte mon plastron, et je laisse là mon élève... fendu ! C’est un jeune homme intelligent, il se sera relevé... Je pars et me voilà... Voyons donc mes instructions secrètes, j’avais ordre de ne les décacheter qu’après la cérémonie.

Lisant.

« Aussitôt après l’audience du prince, Sangredino restera seul. »

Parlé.

Tiens, comme ça se trouve.

Lisant.

« Un homme masqué s’approchera de lui, cet homme l’insultera. »

Parlé.

Nous y voilà.

Lisant.

« Sangredino l’écoutera avec patience et douceur jusqu’à ce qu’un soufflet lui soit notifié. »

Parlé.

J’aime assez «notifié» !

Lisant.

« Alors sans bruit, sans esclandre, Sangredino exigera une réparation de son adversaire et le tuera. Mille ducats d’or seront sa récompense. »

Parlé.

À la bonne heure ! Voilà une mission comme je les aime. Ah çà ! le jour baisse, et je ne vois rien paraître... C’est que je tiens à être insulté, moi.

Air : Patrie, honneur.

Ce cher ami ! peut-être loin de moi,
La peur, hélas ! en ce moment l’enchaîne,
Ah ! ce soupçon fait naître mon effroi !
Mille ducats ! un soufflet ! quelle aubaine...
Moi qui connais beaucoup d’hommes de bien,
Qui tous les jours en reçoivent pour rien.

 

 

Scène XIV

 

SANGREDINO, HORACE, avec un loup à la main dont il se cache le visage

 

La scène est obscure.

HORACE, dans le fond, à part.

C’est lui !

SANGREDINO, l’apercevant.

Un homme masqué... voyons-le venir.

HORACE, à part.

Quel prétexte prendre pour faire naître une dispute... Oh ! le premier venu !

SANGREDINO, à part.

Il ne me dit rien... Qu’est-ce que je pourrais bien faire pour l’agacer ?

Il chante.

Malbrough s’en va-t’en guerre...
Mironton, ton, ton, mirontaine...

HORACE.

Monsieur, cet air-là me déplaît, vous serait-il égal d’en changer ?

SANGREDINO, à part.

Voilà que ça commence.

Haut.

Avec plaisir.

La boulangère a des écus
Qui ne lui coûtent...

HORACE.

Monsieur, celui-là ne me plaît pas davantage.

SANGREDINO.

Ah ! alors en voici un troisième qui sera peut-être plus heureux.

Dans les gardes françaises
J’avais...

HORACE.

Assez, monsieur !... Je vois que c’est un parti pris de vous moquer de moi.

SANGREDINO.

Par exemple !

HORACE.

Alors j’en ai menti ?

SANGREDINO.

Je ne dis pas cela...

HORACE.

Alors, vous vous moquez de moi.

SANGREDINO, gaiement.

Ah ! très joli ! le moyen ! je m’en servirai !

HORACE.

Vous êtes un faquin ! un fat !

SANGREDINO.

Allez ! allez !

HORACE.

Et je ne sais qui me retient...

SANGREDINO, tendant la joue.

Allez ! allez ! je l’attends, ainsi...

HORACE.

Quoi ? qu’attendez-vous ?

SANGREDINO.

Eh bien ! la... notification, le petit soufflet... Je suis prévenu.

HORACE.

Ah !... vous êtes... Eh bien ! monsieur, soit... considérez-le comme reçu.

SANGREDINO, tendant la joue.

Oh ! du tout !... je ne fais les affaires qu’au comptant.

HORACE.

Allons, puisque vous le voulez.

Il le touche avec son gant.

SANGREDINO.

Oh ! pardon ! pardon ! je ne peux pas accepter ça pour un soufflet... c’est un coup de gant... j’ai droit à un soufflet.

HORACE.

En vérité ?

Le frappant légèrement de la main.

Eh bien ! le voilà !

SANGREDINO.

Ah ! que c’est maigre ! Petite musique, chantée sans goût... À Brescia, quand nous souffletons, nous souffletons mieux que ça... Enfin !... Maintenant, seigneur cavalier, en quel endroit pourrais-je avoir l’honneur de vous couper la gorge ?

HORACE.

Comment, vous êtes diplomate et vous vous battez ?

SANGREDINO.

Par exception.

HORACE.

Eh bien ! soit... Demain nous nous reverrons.

SANGREDINO, d’un ton câlin.

Oh ! pourquoi pas ce soir ?... Pourquoi pas ce soir ?

HORACE.

Mais la nuit est un obstacle...

SANGREDINO.

Oui, mais la lune est un astre...

HORACE.

Vous êtes irrésistible... Dans une heure au carrefour des Cygnes.

SANGREDINO.

J’y serai... Dites donc ?

HORACE.

Hein ?

SANGREDINO.

Avez-vous des héritiers ?

HORACE.

Pourquoi ?

SANGREDINO.

Je crois qu’ils ont des chances...

ENSEMBLE.

Air de l’Homme de paille.

Adieu donc, pas d’esclandre,
Bientôt, au rendez-vous
J’irai seul vous attendre,
Sans témoins entre nous.

Sangredino sort par la droite.

 

 

Scène XV

 

HORACE, BETTINA

 

La musique continue à l’orchestre jusqu’à l’entrée de Barbaro.

HORACE.

Par ma foi ! voilà ce qu’on peut appeler une soirée bien remplie.

Il ôte son loup.

BETTINA, entrant mystérieusement.

Il est huit heures, M. Panari ne vient pas. Je crains qu’il ne se soit égaré... Ah !... le capitaine !

HORACE.

Je n’ai pas de temps à perdre, dans une heure mon duel et après... après tu auras ton bouquet, ô ma belle princesse !

Il sort par le fond.

 

 

Scène XVI

 

BETTINA, puis BARBARO

 

BETTINA.

Ton bouquet ? Comment ! l’homme aux bouquets c’est le capitaine... quelle découverte, et quand la princesse saura...

BARBARO, une lanterne à la main.

C’est moi, je fais ma ronde.

Montrant sa lanterne.

Avec ce petit meuble... ils appellent ça une lanterne... c’est très compliqué : on met une chandelle dedans, on l’allume et quand on n’en a plus besoin on l’éteint. Ah ! c’est fort compliqué ! j’ai fait venir ça du fond de la Romagne... Bettina ! que fais-tu là ?

BETTINA.

Moi, Monseigneur, je prends le frais.

BARBARO.

Où est ma fille ?

BETTINA.

Elle vient de se mettre au bain...

BARBARO.

Très bien ! Tu lui diras...

On entend un cri sortant du palais.

Ah ! mon Dieu !... ce cri... cette voix... c’est la sienne. Vite, courons...

Il entre vivement dans le palais.

 

 

Scène XVII

 

BETTINA, PANARI

 

BETTINA.

Je n’y comprends rien... la princesse serait-elle malade ? Voyons...

PANARI, sortant vivement par la petite porte, premier plan.

Oh ! mon Dieu ! quelle aventure !

BETTINA.

Panari !... d’où sortez-vous ?

PANARI.

Est-ce que je sais ?... Depuis une heure que je me promène dans les corridors, que je frappe à toutes les portes... Enfin j’en ouvre une... ça sentait la pâte d’amande, mon cœur me dit : ce doit être là.

BETTINA, à part.

Ah ! le malheureux !

PANARI.

Je fais un pas... un cri part, une voix de femme... pas la vôtre... je referme la porte... ce n’était pas là, j’entends des pas, on me crie : Arrêtez, naturellement je me sauve et me voilà !

BETTINA.

Mais vous êtes perdu !

PANARI.

Qu’est-ce que j’ai fait ?

BETTINA.

Si vous saviez... non, plus tard... Sauvez-vous, cachez-vous... par ici... des gardes... par là... le prince !... ah ! ce banc ! entrez là et ne bougez pas.

Panari se cache dans le banc à droite.

 

 

Scène XVIII

 

BETTINA, PANARI, caché, LE PRINCE, puis HORACE, GARDES, COURTISANS

 

BARBARO, sortant par la même porte que Panari. Il est pâle et défait.

Bettina... tu n’as vu personne... sortir par cette porte... à l’instant.

BETTINA.

Personne, Monseigneur.

BARBARO, élevant la voix.

Holà ! du monde... mes gardes ! mon capitaine.

À part.

Ma fille !... un pareil outrage !

Haut.

Arrivez ! arrivez donc !

HORACE, entrant, suivi de gardes, portant des flambeaux.

Qu’y a-t-il ?

BARBARO.

Apprenez qu’un misérable a osé...

HORACE.

Quoi ?

BARBARO.

Rien ! Qu’il vous suffise de savoir qu’à l’instant même on a pénétré...

HORACE.

Où ça ?

BARBARO.

Nulle part ! Mais je le retrouverai... grâce à cette manchette prise dans la porte...

PANARI, à part, relevant le couvercle du banc.

La mienne !

HORACE.

Quelle porte ?

BARBARO.

Qu’est-ce que ça vous fait ?... Allez, courez, fouillez les buissons, sondez les charmilles, et qu’on me l’amène...

HORACE.

Qui ça ?

BARBARO.

Est-ce que je sais, moi... le gredin que je veux faire pendre. Capitaine, gardez la grille du parc jusqu’à demain matin et que personne ne sorte.

HORACE, à part.

Diable ! et mon duel ! et mon bouquet !

BARBARO.

Allez !...

CHŒUR.

Air de l’Image.

Malheur au téméraire,
Qui porte ici ses pas.
Qu’il tremble !... à { ma colère
                             { sa
Il n’échappera pas !
Non (Quatre fois.), il n’échappera pas !

Les gardes se dispersent.

BARBARO, s’asseyant sur le banc dans lequel est Panari.

Quant à moi, je ne bouge pas d’ici qu’on ne m’ait amené le coupable !

 

 

ACTE II

 

Le théâtre représente une salle du palais ouvrant sur des jardins ; au fond, une statue de Vénus au bain, vue de dos. Portes latérales, une table, fauteuils, chaises, etc.

 

 

Scène première

 

BEPPO, DES GARDES

 

Les gardes sont assis ou couchés sur des fauteuils comme des gens qui ont veillé dans le palais.

UN GARDE.

Ce que tu dis là est impossible, Beppo.

BEPPO.

Mais puisque je l’ai vu !

TOUS, se rapprochant.

Quoi donc ?

BEPPO.

Je dis et je répète qu’hier soir, notre capitaine a été arrêté devant moi.

TOUS.

Ah ! bah !

UN GARDE.

Où ça ?

BEPPO.

À la grille du parc, au moment où il allait commencer sa ronde de nuit... qu’est-ce que vous pensez de ça ?

UN GARDE.

Je pense que depuis hier le podestat perd la tête... il nous pose à l’affût sous le balcon de la princesse pour guetter un inconnu... nous nous enrhumons toute la nuit... quant à l’inconnu... pas de nouvelles.

BEPPO.

Voyez-vous, les podestats de cet âge-là, on devrait les mettre au garde-meuble.

TOUS, riant.

Ah ! ah ! ah !

 

 

Scène II

 

BEPPO, GARDES, HORACE

 

HORACE, entrant par le fond.

Vive Dieu ! camarades, on rit de bon matin par ici !

TOUS.

Le capitaine !

UN GARDE.

Beppo nous disait que vous étiez arrêté ?

HORACE.

Et cela vous faisait rire ? bien obligé !... Beppo a dit vrai, j’ai passé la nuit à la citadelle.

UN GARDE.

Et pourquoi ?

HORACE.

Je n’en sais rien... mais je viens d’être rendu à la liberté...

UN GARDE.

Par qui ?

HORACE.

Je n’en sais rien... il y a là-dessous une méprise sans doute... Ah çà ! quelles nouvelles ?... que dit-on ce matin dans Bergame ?

BEPPO.

La cour bâille et le podestat jaunit.

HORACE.

C’est de l’histoire ancienne, ça... Connaît-on enfin la cause de cette grande alerte d’hier soir ?

BEPPO.

Non, on nous a fait fouiller le parc.

HORACE.

Et vous avez trouvé ?...

BEPPO, tirant un papier.

Voici le rapport : trois lapins.

HORACE.

Eh bien ! mais c’est une gibelotte... Et que cherchiez-vous ?

BEPPO.

Un fier gaillard ! allez : on dit qu’il a surpris au bain une dame de la cour.

HORACE.

Diable ! mais ceci est grave... Nomme-t-on la dame ?

BEPPO.

Je crois bien, on en nomme huit.

HORACE.

Alors c’est comme si on n’en nommait pas.

UN GARDE.

Dites donc, si elle est mariée... le pauvre mari !

HORACE.

C’est bien pis si elle est demoiselle...

BEPPO.

Pourquoi ?

HORACE.

Parce qu’elle court grand risque de rester... ce qu’elle est. Quant à moi, je n’aurais jamais voulu épouser Diane !

BEPPO.

À cause ?

HORACE.

J’aurais trop craint de rencontrer Actéon.

BEPPO.

Le fait est que c’est désagréable de penser qu’un autre...

HORACE.

Encore, si on le connaissait, on pourrait lui couper la gorge et tout serait dit... mais ne pas savoir qui... soupçonner tout le monde... proposer un cartel à tous les passants qui se permettent de chuchoter en regardant votre femme... la position n’est pas tenable !... et votre baigneuse, fût-elle riche, fût-elle noble... princesse même !... je lui dirais : Passez, ma belle, le capitaine n’est pas pour vous !

BEPPO.

Ma foi ! ni le soldat non plus !

HORACE.

Mais, votre service est fini, je ne vous retiens pas...

Les gardes remontent.

Beppo !

BEPPO.

Capitaine !

HORACE, bas.

Hier, au moment de mon arrestation, je t’ai chargé d’une commission...

BEPPO, de même.

Oui, capitaine, je suis allé au carrefour des Cygnes... j’y ai trouvé un petit maigre, l’épée à la main, qui se fendait contre un arbre...

HORACE, de même.

Eh bien !

BEPPO, de même.

Eh bien ! je l’ai prié de remettre le rendez-vous pour le lendemain quatre heures...

HORACE, de même.

C’est pour ce soir... tu ne m’as pas nommé ?

BEPPO, de même.

Non, vous me l’aviez recommandé.

HORACE, de même.

C’est bien, pas un mot de tout ceci...

BEPPO, de même.

Oh ! soyez tranquille, capitaine.

Aux gardes.

Allons, en route, vous autres !

CHŒUR.

Air : Il ne faut pas bavarder davantage. (À bas la famille !)

Au podestat prouvons tous notre zèle,
Sur son palais veillons, garde fidèle ;
Quand le devoir, quand l’honneur nous appelle,
Au rendez-vous, On peut compter sur nous.

Tous sortent par le fond.

 

 

Scène III

 

HORACE, puis HÉLÉNA et BETTINA

 

HORACE, seul.

Cette maudite nuit passée à la citadelle a dérangé tous mes projets... Mais qui donc m’a fait arrêter juste au moment où j’allais déposer sur son balcon mon dernier bouquet... je n’ai eu que le temps de le jeter loin de moi... car ce billet que j’y avais caché était celui d’un homme qui, croyant mourir, ose tout avouer... Qu’a dû penser la princesse à son réveil en ne trouvant pas comme d’habitude ses violettes bien-aimées... La voici...

Il remonte au fond.

HÉLÉNA, entrant par la droite, à Bettina.

Tu diras au gouverneur que je veux que son prisonnier soit traité avec les plus grands égards.

BETTINA.

Oui, mademoiselle.

HÉLÉNA.

J’entends qu’on ne lui refuse rien... qu’on lui procure des distractions... qu’on lui fasse de la musique...

HORACE, s’avançant.

Princesse...

HÉLÉNA.

Ah ! mon Dieu !

BETTINA.

Le capitaine !

HÉLÉNA.

Libre ! vous êtes libre !

HORACE.

Comment, princesse, vous avez daigné vous informer du pauvre captif ?

BETTINA.

Je crois bien que nous avons daigné... c’est nous qui vous avons fait arrêter.

HORACE, stupéfait.

Ah bah !... c’est à vous que je dois la faveur...

HÉLÉNA.

Bettina, veille à ce que personne ne puisse nous surprendre...

BETTINA.

Oui, mademoiselle.

À part, s’en allant.

Mais qu’est donc devenu Panari ?

Elle sort.

 

 

Scène IV

 

HORACE, HÉLÉNA

 

HORACE, à part.

Seul avec elle !

HÉLÉNA, avec émotion.

Comte Horace, écoutez-moi ; nous n’avons pas un instant à perdre... je sais les dangers que vous courez...

HORACE.

Que voulez-vous dire ?

HÉLÉNA.

Que je pardonne à l’imprudent qui, chaque nuit, venait au pied de mon balcon !

HORACE.

Comment, vous savez !...

HÉLÉNA.

Tout... sa mort était certaine, je l’ai fait arrêter.

HORACE.

Est-il possible !... et moi qui maudissais ma prison !

HÉLÉNA, avec embarras.

Je n’avais pas d’autre moyen de veiller sur ses jours.

HORACE.

Tant de bonté, tant d’indulgence, quand il aurait dû peut-être s’attirer votre colère, votre mépris.

HÉLÉNA.

Et pourquoi donc, si un instant entraîné par son imagination... non... par son cœur, il a pu concevoir je ne sais quelles folles espérances... Que la cour le condamne, c’est son rôle, moi, je dois l’absoudre.

HORACE.

Ah ! merci ! merci !

HÉLÉNA.

À une condition... Il faut qu’il parte... qu’il oublie...

HORACE.

Partir ! ne plus voir celle qui est la seule pensée, le seul but de sa vie !

HÉLÉNA.

Comte, je vous en prie.

HORACE.

Mais avant de m’imposer un pareil sacrifice... vous ne savez donc pas tout ce que j’ai fait pour me rapprocher d’elle... Moi, simple officier de fortune, quand, pour la première fois, j’entrai dans ce palais, j’étais leste et joyeux, j’avais la jeunesse au cœur et la chanson sur les lèvres !... je la vis !... et aussitôt la gaieté partit, la chanson s’envola... Je mis un masque sur mon visage. Je compris que, pour avoir le droit de la contempler, il fallait obtenir la confiance du podestat. Alors j’empruntai ses manières, je calquai ses allures, je pris l’enveloppe d’un Tartufe ! moi ! un mousquetaire !... En six mois, je devins la risée de la ville et de la cour, bien plus, je devins l’objet de ses moqueries... à elle.

HÉLÉNA.

Comte Horace !

HORACE.

Oh ! ne cherchez pas à le nier, bien souvent j’ai surpris le mépris dans ses regards... mais que m’importait ? je la voyais ! je la voyais !... Et maintenant, après trois ans de patience, de dissimulation, d’amour, quand je me suis habitué à vivre de sa vie, à m’enivrer de sa présence, il faudrait partir... l’oublier...

HÉLÉNA.

Mais que voulez-vous ? qu’espérez-vous ?

HORACE.

Rien... aussi je ne demande qu’une chose, la voir ! jamais un mot, pas même un soupir, je vous le jure !

Air des Hirondelles.

Sans que rien me dévoile,
Je veux, discret témoin,
L’adorer sous son voile
Comme on aime une étoile,
En silence (bis.) et de loin.

HÉLÉNA.

Mais vous oubliez qu’avant peu un autre séjour peut-être... Brescia...

HORACE.

Ah ! oui... ce mariage !

HÉLÉNA.

Il m’est odieux.

HORACE.

Oh ! c’est assez... il ne se fera pas.

HÉLÉNA.

Que voulez-vous dire ? Oh ! pas d’imprudences surtout, ce serait vous perdre...

BETTINA, au dehors.

Tout de suite, Monseigneur.

HÉLÉNA.

Silence !

 

 

Scène V

 

HORACE, HÉLÉNA, BETTINA

 

BETTINA, accourant.

Madame, c’est l’ambassadeur de Brescia.

HÉLÉNA.

Que veut-il ?

BETTINA.

Il demande à être admis à l’honneur de vous faire sa cour.

HÉLÉNA.

Oh ! quel ennui !

BETTINA.

Il se prétend autorisé par le podestat.

HÉLÉNA.

Qu’il entre.

À Horace.

Capitaine, ne vous éloignez pas.

Elle s’assied à droite.

 

 

Scène VI

 

HORACE, HÉLÉNA, BETTINA, SANGREDINO

 

BETTINA, annonçant.

M. le marquis de Sangredino, grand cordon de l’ordre de Saint-Christophe.

SANGREDINO, à Bettina, à part.

Je la croquerais sans douleur, cette petite Bergamote.

À Bettina.

Merci ! Merci ! mon enfant.

À Héléna.

Princesse, je viens au nom du très haut, très grand, très illustre...

HÉLÉNA.

Je sais... monsieur... je sais...

SANGREDINO.

Ah ! très bien... Je viens donc tout simplement vous faire ma cour... par procuration.

HÉLÉNA.

J’écoute, monsieur.

Des valets, sur un signe de Bettina, approchent un siège à Sangredino.

SANGREDINO, à part.

Décidément, j’aime mieux la soubrette.

Il s’assied, puis, tout à coup, très haut.

Grande princesse !...

HÉLÉNA, faisant un bond.

Ah ! vous m’avez fait une peur !...

BETTINA.

Monsieur, on ne pousse de ces cris-là que lorsque le feu est à la maison.

SANGREDINO.

Merci, petite...

À Héléna.

Grande princesse... qui pourrait voir sans en être... dérangé, cet assemblage de toutes les grâces, cette réunion...

À part.

Sapristi ! j’ai encore envie de me moucher !

Haut.

Cette réunion qui... Ah ! quelle réunion !... Grande princesse !... vous m’apparaissez comme un puits...

HÉLÉNA.

Hein ?

SANGREDINO.

Au milieu du désert... je vous vois, j’ai soif !... ah ! laissez-moi me désaltérer...

Il se met à genoux.

HÉLÉNA.

Monsieur...

SANGREDINO.

Par procuration !... laissez-moi boire à longs traits, et par procuration... à cette coupe enivrante...

HÉLÉNA.

Bettina, quelle heure est-il ?

SANGREDINO, se levant et s’empressant de tirer sa montre.

Midi...

HORACE, lui frappant sur l’épaule.

Monsieur, quand une princesse demande l’heure, l’usage est de...

Il lui indique la porte.

SANGREDINO.

Par exemple !

À part.

Je n’ai encore rien dit... et ma cour qui m’a recommandé d’être brûlant...

À Héléna.

Laissez-moi boire à longs traits...

HÉLÉNA, se levant.

Voici, je crois, l’audience de mon père qui va commencer...

SANGREDINO.

Le podestat ! oh ! je l’ai vu ce matin... nous avons eu une conversation aussi peu variée... que monotone.

HÉLÉNA.

Comment ?

SANGREDINO.

Je m’époumonais à lui vanter Brescia et ses environs... Les produits du sol... Les excellentes truites du lac Mirolino... À toutes mes descriptions, il ne répondait que deux mots... La manchette !... le bouquet ! Le bouquet !... La manchette ! il a daigné m’entretenir comme ça pendant trois quarts d’heure.

HÉLÉNA, à part.

C’est singulier... il faut que je sache...

Haut à Sangredino.

Monsieur l’ambassadeur, vous avez sans doute des visites... des présentations...

SANGREDINO.

Oh ! du tout ! du tout ! je n’ai affaire qu’à quatre heures.

HÉLÉNA, avec ennui.

Ah ! mon Dieu !

SANGREDINO.

À quatre heures précises, j’embroche un monsieur.

HORACE, à part.

Maudit bavard !

HÉLÉNA.

Comment... un duel ! et pourquoi ?

SANGREDINO.

Pour vous... Vous savez bien, l’homme masqué qui ne veut pas qu’on vous épouse...

HÉLÉNA.

Vous l’avez vu ?

SANGREDINO.

Parfaitement... Il est fort bien... Nous avons causé, j’ai tendu la joue, et il s’est résumé.

HÉLÉNA.

Comment, il s’est résumé ?

SANGREDINO.

Eh bien, oui, il m’a donné un... mais... j’étais prévenu.

HORACE, bas.

Taisez-vous donc !

SANGREDINO.

Hein ?

HÉLÉNA, à part.

C’est lui !

SANGREDINO.

Quoi ? qu’est-ce qu’il y a ?

HORACE, bas.

Vous effrayez la princesse...

SANGREDINO.

Oh ! ne craignez rien... il n’y a de danger que pour lui. J’ai un petit coup de Jarnac dont on ne réchappe pas.

HÉLÉNA, effrayée.

Ah !

SANGREDINO.

Je l’ai surnommé le coup de l’étrier.

HORACE.

Pourquoi ?

SANGREDINO.

Parce que quand on en goûte, on part.

HÉLÉNA, à part.

Ah ! mon Dieu !

SANGREDINO.

Vous comprenez, un maître d’armes...

HÉLÉNA.

Comment, vous êtes maître d’armes ?

SANGREDINO.

C’est-à-dire, je l’ai été... vaguement... avant d’être diplomate... j’adore les feintes...

HÉLÉNA, à part.

Un maître d’armes ! mais il va le tuer !

À Sangredino.

Monsieur l’ambassadeur, promettez-moi de ne pas aller à ce rendez-vous.

SANGREDINO.

Par exemple !

HÉLÉNA.

C’est la première faveur que je vous demande.

SANGREDINO.

Oh ! non, non...

Montrant sa joue.

J’ai reçu des arrhes, et...

HÉLÉNA, à part.

Il me faut à tout prix éloigner le capitaine, aujourd’hui même, à l’instant... mais par quel moyen ?

BETTINA, descendant la scène.

Monseigneur le podestat sort de chez lui.

HÉLÉNA.

C’est bien... Messieurs, laissez-moi, j’ai à causer avec mon père. Bettina, faites reconduire Monsieur l’ambassadeur.

Ensemble.

SANGREDINO, HORACE, BETTINA.

Air des Mousquetaires.

Il faut obéir,
Selon son désir,
Et tous deux sortir
Car voici son père.
Mais { sachons nous taire
         { sachez vous
Car { on pourrait se faire
       { il peut
Grâce au } podestat
Que le     }
Manquer ce  } combat.
S’oppose au }

HÉLÉNA.

Veuillez obéir,
Selon mon désir,
Et tous deux sortir
Car voici mon père.

À part.

Mais sachons nous taire,
Je pourrai, j’espère,
Faire, sans éclat,
Manquer ce combat.

Horace sort à gauche. Sangredino et Bettina sortent ensemble à droite.

 

 

Scène VII

 

HÉLÉNA, puis BARBARO

 

BARBARO, entrant par la gauche, plongé dans ses réflexions et sans voir sa fille.

Le bouquet ! la manchette !... La manchette ! le bouquet !... et ma fille !... hier, au bain !... vue !... vue !... il l’a vue ! Et encore qu’a-t-il vu ? Est-ce un détail ?... Est-ce l’ensemble ? je tremble d’interroger Héléna... colombe, qui roucoule sur un attentat !

HÉLÉNA.

Mon père ?

BARBARO.

Ah ! c’est toi, mon enfant... bonjour.

HÉLÉNA.

Cette tristesse...

BARBARO.

Moi, triste ? Par exemple ! je suis allègre !

À part.

Rentrez, ô ma douleur !

Haut, d’un ton léger.

Je suis en train de mûrir un plan de réjouissances publiques... Oui, je veux qu’on fasse des folies dans mes États, je veux qu’on danse et qu’on se tienne les côtes ! Voilà comme je suis triste !

À part.

Malédiction !

Haut.

Mais, toi-même, tu me parais bien nuageuse ce matin... un peu pâlotte...

HÉLÉNA.

Ce n’est rien... peut-être la peur que j’aie eue hier soir... au bain.

BARBARO.

Au bain !... peur ! Elle a eu peur... petite follette ! et pourquoi ?

HÉLÉNA.

J’allais me retirer... j’étais debout, je tournais le dos... quand tout à coup la porte s’est ouverte.

BARBARO.

C’était Bettina.

HÉLÉNA.

Alors, j’ai entendu un bruit de voix... des pas...

BARBARO.

Oui, une fausse alerte... mon capitaine des gardes. À propos, sais-tu où je l’ai trouvé ce matin, mon capitaine des gardes ? À la citadelle ! prisonnier... Oh ! je voudrais connaître l’impudent !...

HÉLÉNA.

Mon père...

BARBARO.

Je le ferais carme immédiatement !

HÉLÉNA.

C’est moi !

BARBARO.

Toi ! emprisonner mon capitaine ! Ah ! c’est aussi pousser trop loin la haine...

HÉLÉNA.

La haine...

À part.

Quelle idée !

Haut.

Et pourquoi m’en cacherais-je... Eh bien ! oui, tout en lui me déplaît, m’agace, m’irrite... Hier encore et devant vous ne m’a-t-il pas manqué de respect avec une impertinence...

BARBARO.

Et c’est pour ça ?

HÉLÉNA.

Il me semble que j’ai bien le droit.

BARBARO.

De le mettre à l’ombre... ah ! charmant, charmant... que tu es bien la fille de ton père... mais tu n’as pas réfléchi à une chose... L’objet de ton aversion est mon favori...

HÉLÉNA.

Qu’importe... Voudriez-vous m’imposer un serviteur qui m’est odieux... me rendre le séjour de la cour insupportable ? S’il est votre favori... éloignez-le honorablement... donnez-lui une mission.

BARBARO.

Au fait... tu m’y fais songer, une mission... voyons donc, voyons donc... Tiens, je vais l’envoyer complimenter le roi de Suède qui est accouché d’une fille.

HÉLÉNA.

Pourvu qu’il parte aujourd’hui même... ce matin.

BARBARO.

Petit salpêtre, va... Eh bien ! oui, à l’instant... tout de suite.

Il sonne.

Le temps de lui délivrer ses lettres de créance...

HÉLÉNA, au domestique qui entre.

Prévenez le comte Horace... qu’il se rende ici sur-le-champ.

À Barbaro.

Merci, mon père... vous me rendez bien heureuse.

Elle essuie une larme.

De cette façon... quand il reviendra... dans un mois ou deux... le temps aura effacé sans doute...

BARBARO.

Et puis d’ici là... tu seras peut-être grande-duchesse de Brescia. HÉLÉNA.

Ah ! oui... peut-être.

À part.

Comme cela, du moins, il est sauvé !

Héléna entre à gauche.

 

 

Scène VIII

 

BARBARO, seul

 

Enfin, me voilà seul !... Remontez, ô ma douleur ! Triste condition que la mienne ! Je suis podestat, j’ai la mort dans l’âme ! et il faut que j’écrive au roi de Suède ! Ma vie est empoisonnée par une manchette... Il y a sur la terre un mortel qui a vu... Et... il faut que j’écrive au roi de Suède !...

Changeant de ton.

Ce matin, j’ai fait une enquête... pour découvrir cet homme à la manchette : mes laquais prétendent avoir aperçu l’inconnu... l’un signale un manteau gris, l’autre un vert, le troisième un jaune... De façon que me voilà forcé d’incarcérer tous les manteaux de mon royaume... au commencement de l’hiver, c’est une mesure pénible. Tout à l’heure, j’ai rassemblé... mon président du conseil, un saint homme... le père Hydrophobo... Si le coupable est un manant...

Gaiement.

Ah ! nous avons trouvé un moyen délicieux, mais délicieux, de le faire taire. Nous lui passons gaiement autour du cou une guirlande de chanvre... couic !... Il paraît que c’est souverain... Mais s’il est noble ?... La république de Venise, dont je relève, ne m’accorde pas le droit de guirlande sur les nobles, c’est une lagune... non, une lacune... je la déplore. Hydrophobo ne voit qu’une issue, c’est d’acheter le silence de ce misérable par un mariage... lui donner ma fille !... cette union me dégoûte horriblement... Ah ! je suis bien malheureux !... j’ai de la bile... j’ai du fiel... j’ai... et... il faut que j’écrive au roi de Suède.

Il se met à une table, à gauche.

 

 

Scène IX

 

BARBARO, PANARI

 

PANARI, sans voir Barbaro qui écrit.

Ah ben ! en voilà une séance ! toute la nuit à la belle étoile ; quand je dis à la belle étoile, j’avais un couvercle... je sors de mon banc... Ah ! je comprends la mélancolie de l’huître sur ce... piédestal... quelle position ! Vermoulu entre quatre planches et coiffé par un podestat !... À minuit, j’ai eu une fièvre venette... je possède une montre à répétition... je veux me retourner, je fais un mouvement et crac ! voilà ma diable de montre qui part : ding ! ding ! ding !... douze fois ! Qu’a dû penser le podestat en entendant sonner sous lui ? Sans Bettina, je serais encore dans cet affreux tiroir, je n’ai pu que l’entrevoir, mais elle m’a donné rendez-vous pour tantôt au carrefour des Cygnes... Un endroit planté d’arbres ! Ah ! si j’en crois mon cœur, il y tombera des bêtes à bon Dieu !

BARBARO, écrivant.

À Sa Majesté le Roi de Suède ! voilà !

PANARI, à part.

Ah ! mon Dieu ! le tyran !

Fausse sortie.

BARBARO.

Tiens, mon bibliothécaire ! bonjour, mon bibliothécaire ! Je suis bien aise de te voir, va-t’en...

PANARI, fausse sortie.

Avec plaisir.

BARBARO, à part.

Mais, j’y pense, je ne l’ai pas fait déposer.

Haut.

Panari !

PANARI.

Monseigneur ?

BARBARO.

Reste, je vais te faire déposer.

PANARI.

Déposer... quoi ?

BARBARO.

Tu es un homme sagace, toi ?

PANARI.

Moi ?

BARBARO.

Oui, je t’ai donné un prix de continence, parce que tu étais sagace. Maintenant, dépose... dis-moi tout ce que tu sais sur l’homme à la manchette.

PANARI.

L’homme à la...

Il aperçoit une manchette restée à son bras et met vivement ce bras derrière son dos.

Pristi !

BARBARO.

Avait-il un manteau ?

PANARI, à part.

Je vais l’embrouiller.

Haut.

Oui !... et un fameux encore.

BARBARO.

Qu’entends-tu par un manteau fameux ?

PANARI.

Dame ! j’entends par un manteau fameux... un fameux manteau.

BARBARO, après réflexion.

C’est juste !... et de quelle couleur était ce manteau ?

PANARI.

Bleu !

À part.

Je mens comme un jeton.

BARBARO.

À quoi as-tu reconnu qu’il était bleu ?

PANARI.

À sa couleur.

BARBARO, même jeu.

C’est juste.

À part.

Il est net, ce garçon.

Haut.

Panari, tu es net. Je suis content de toi... Si tout le monde déposait avec la même limpidité... je ne tarderais pas à découvrir le coupable.

PANARI.

Et quelles sont vos vues sur l’homme à la... sur cet étranger ?

BARBARO.

Sur ce gredin ? appelle-le gredin !

Changeant de ton.

Je compte lui donner ma fille en mariage.

PANARI.

Comment !

Découvrant sa manchette.

Mais alors...

BARBARO.

S’il est noble !

PANARI.

Ah !... et s’il ne l’est pas ?

BARBARO, avec épanouissement.

S’il ne l’est pas ?... je lui saute au cou... et je le fais pendre !

PANARI, arrachant vivement la manchette, qu’il met dans sa poche.

Pendre !

BARBARO.

Panari, ce jour-là, je veux t’attacher moi-même le grand cordon de l’ordre de Saint-Christophe.

PANARI.

Merci, merci, je ne tiens pas à être attaché ce jour-là.

BARBARO.

Et tout me porte à croire que tu ne l’attendras pas longtemps.

PANARI.

Comment ?

BARBARO.

Je suis sur la trace, ma petite police manœuvre, et avant ce soir je connaîtrai le gueux à la manchette.

PANARI.

Si tôt que ça !

BARBARO.

Et demain, à l’aube... couic !... ça me consolera de ne pas découvrir l’autre gueux, le gueux aux bouquets. Ah ! voici mon capitaine.

 

 

Scène X

 

BARBARO, PANARI, HORACE

 

BARBARO.

Bonjour, mon capitaine.

HORACE.

Je viens prendre vos ordres, prince.

À part.

Impossible de retrouver ce maudit bouquet.

PANARI, à part.

Pendu ! à la fleur de l’âge !

BARBARO.

Je suis bien aise de vous voir, capitaine : connaissez-vous la Suède ?

HORACE.

Non, mon prince.

BARBARO.

On dit que c’est un pays... sur la carte... n’est-ce pas, Panari ?

PANARI.

Suède !... capitale Stockholm, population...

S’arrêtant, à part.

Ah ! je n’ai pas le cœur à la géographie !

BARBARO, à lui-même.

Ce garçon est net.

À Horace.

Ma fille a formé le projet de vous y envoyer.

HORACE.

Moi, en Suède ?

BARBARO.

Que voulez-vous ? Vous lui déplaisez, vous l’agacez. Il y a comme ça des antipathies... Moi qui vous parle, quand je vois une araignée... ça me désoblige.

HORACE.

Partir ! mais c’est impossible... Vous avez résisté... vous avez daigné plaider ma cause ?...

BARBARO.

Ma foi ! non... Vous comprenez, une fille unique... qui a des yeux en amande, qui vous câline... C’est un très joli voyage que vous allez faire là !

HORACE, à part.

M’exiler ! me chasser !... et j’ai pu croire à son amour !

BARBARO.

Vous direz au roi de Suède... que je me porte bien, que ma fille se porte bien, que nous nous portons tous parfaitement bien !

HORACE.

Mais, prince...

BARBARO.

Surtout de la finesse, de la diplomatie, beaucoup de diplomatie... Tâchez qu’on m’envoie quelque chose...

HORACE.

Je suis un bien mauvais diplomate... et ne pensez-vous pas qu’un autre à ma place...

BARBARO.

Assez, je le veux... je n’ai plus qu’à apposer mon seing sur ces lettres, et dans une heure vous serez parti.

 

 

Scène XI

 

BARBARO, HORACE, PANARI, BETTINA et BEPPO se disputant

 

BETTINA.

Je vous dis qu’il est à moi !

BEPPO.

Je vous dis que non !

BETTINA.

Je vous dis que si.

BARBARO.

Une dispute ! Que signifie ?

BETTINA, à part.

Le prince !

Elle cache un bouquet qu’elle tient à la main.

BEPPO.

C’est Mademoiselle qui s’est emparée malgré moi d’une pièce de conviction que je viens de trouver dans le parc, derrière une charmille...

BARBARO.

Une pièce de conviction... une manchette ?

BEPPO.

Non, prince... un bouquet de violettes.

HORACE, à part.

Ah ! mon Dieu !

BARBARO.

Qu’on me remette à l’instant ce bouquet.

BETTINA.

Mais, prince... je vous jure...

BEPPO, lui arrachant le bouquet.

Le voici !

HORACE, à part.

Et mon billet qu’il va trouver !

BARBARO, prenant le bouquet.

Au fait... qu’est-ce que cela prouve ?... j’en ai déjà reçu vingt comme ça...

HORACE.

Sans doute... et il était parfaitement inutile de déranger Son Altesse...

BEPPO.

Dame ! le prince avait promis une récompense...

BARBARO.

Si tu prenais l’homme... mais le bouquet... qu’est-ce que tu veux que j’en fasse ?... Tiens, reprends-le, imbécile !

Il jette le bouquet devant Beppo.

HORACE, à part.

Sauvé !

BEPPO, ramassant le bouquet.

Tiens ! il y a un papier dedans.

BARBARO.

Un billet ! Donne.

HORACE, à Beppo.

Malheureux !

BARBARO.

Qu’avez-vous donc, capitaine ?

Il prend le billet.

HORACE.

Rien, prince...

À part.

Perdu !

BARBARO, ouvrant le billet.

Comment ! on ose parler d’amour !... à ma fille... le truand !... Ah ! mon Dieu ! cette écriture... je la connais.

Tout à coup.

Mais c’est la vôtre, capitaine !

BETTINA, à part.

Oh ! j’ai le frisson !

Elle fait un signe à Beppo ; il sort.

HORACE, avec effort.

C’est la mienne, prince !

BARBARO.

Comment ! toi ! un capitaine de rencontre !... un atome ! que j’ai tiré du néant... et tu oses ! Oh ! oh ! oh ! il va se passer des choses atroces !

BETTINA.

Courons prévenir la princesse.

Elle sort à gauche.

HORACE.

Je l’aimais, prince, et je croyais mourir.

BARBARO.

Tu l’aimais et tu me l’avoues... en face ! maugrebleu ! sacrebleu ! ventrebleu !

PANARI, à part.

Il jure, nous sommes tous fichus !

HORACE.

La seule faveur que je vous demande, prince, c’est de m’infliger une peine digne d’un soldat, d’un gentilhomme...

PANARI, à part.

Gentilhomme !

BARBARO.

Sois tranquille ! je vais m’occuper de ton affaire !

Il va près de la table et écrit debout la sentence qu’il va prononcer.

PANARI, à part sur le devant de la scène.

Il est gentilhomme... il raffole de la princesse, voilà mon homme !

Bas à Horace.

Prenez cette manchette, je veux vous sauver !

BARBARO, lisant un papier.

Nous, Barbaro Barbarini, condamnons le comte Horace d’Amalfi à avoir la tête rasée...

PANARI, bas à Horace.

Brrr ! Pensez à autre chose.

BARBARO, continuant.

Après quoi il sera revêtu d’un cilice et conduit au couvent de Montefeltro pour y exercer la maussade profession de carme jusqu’à la fin de ses jours.

HORACE.

Un pareil châtiment !... à un soldat !... jamais !

BARBARO.

Jamais ? dans un quart d’heure un carrosse escorté de vingt petits dragons va venir te prendre... mon très cher frère.

HORACE.

Et vous avez pu croire que je me soumettrais... que je vous laisserais disposer de moi comme un satrape dispose de son sérail !...

BARBARO.

Mon sérail ! pas de polissonneries, s’il vous plaît !

PANARI, bas, lui présentant la manchette.

À quoi ça sert, tout ça... mais allez donc !

BARBARO.

Tu m’as entendu... ainsi...

HORACE.

Oh ! c’est trop de contrainte, je me révolte à la fin !

BARBARO.

Hein ?

HORACE.

Votre couvent, je n’en veux pas, je n’irai pas ! et si l’on m’y porte, si l’on m’y traîne... Eh bien ! j’y mettrai le feu !

BARBARO.

Le feu ! à un couvent tout neuf !... en stuc... toi, que je croyais religieux !

HORACE.

Moi, allons donc ! ma religion... c’est l’amour ! mon idole...

Indiquant la princesse qui entre.

La voici !

BARBARO.

Oh ! oh ! oh !

PANARI, à part.

Bavard !

HORACE.

Oui, je l’aime !... pour elle seule j’entretiens dans mon cœur une flamme sainte et pure que nulle puissance au monde ne pourrait éteindre, ni couvent, ni diable, ni podestat !

BARBARO.

Oh ! oh ! oh !

HÉLÉNA, à part.

Le malheureux !... il se perd !

HORACE.

Air : Charlatanisme.

J’aime tous les plaisirs mondains,
Le bal, le jeu, la bonne chère.
Au signal des joyeux refrains
J’aime à vider gaiement un verre.
Les verrous, les murs d’un couvent,
Palsambleu ! n’ont rien qui me charme,
La solitude est mon tourment,
Je suis même un peu mécréant...
Et maintenant faites-moi carme ;
Si vous l’osez, faites-moi carme.

BARBARO.

Mais alors, tu m’as trompé... tu m’as mis dedans...

HORACE.

C’est possible !

BARBARO.

Et tu crois que je ne te ferai pas carme ?... mais tu le seras plutôt deux fois qu’une !

HÉLÉNA.

Un instant, mon père... Puisque dans cette cour le couvent est un châtiment réservé à l’amour ! je le réclame, car moi aussi, j’aime !...

HORACE, avec joie.

Héléna !

BARBARO.

Tu l’aimes ! lui ! voilà le comble !... c’est-à-dire que tu m’as mis dedans ?... Ah çà... tout le monde me met dedans !... eh bien ! je n’en aurai pas le démenti... et puisque tu veux être carme, tu seras carme ! Et lui aussi sera carme.

À Panari.

Et toi aussi, tu seras carme !...

PANARI, à part.

Il a la bosse des carmes...

BARBARO.

Et vous serez tous carmes !... mais pas dans le même couvent, vous vivrez séparés, toujours.

HÉLÉNA, suppliant.

Mon père...

HORACE, de même.

Prince...

BARBARO.

Je n’écoute rien ! je suis féroce ! je grince, je rugis !

PANARI, bas à Horace, lui présentant la manchette.

La manchette !... prenez donc !

HORACE.

Oh ! mon Dieu ! où trouver les paroles qui doivent vous convaincre, la prière qui doit vous attendrir...

Panari lui glisse dans la main la manchette qu’il prend machinalement et avec laquelle il gesticule.

Ma tête se perd, les mots n’arrivent plus, aidez-moi, venez à mon secours, car je suis fou, je suis...

BARBARO, arrachant la manchette des mains d’Horace.

Qu’est-ce que tu tiens là ? qu’est-ce que c’est que ça ?...

Tirant de sa poche la seconde manchette.

Juste ! les deux font la paire !

À Héléna.

Ma fille, retire-toi... Panari, sortez... il faut que je reste seul avec cet homme.

HORACE.

Que signifie !...

HÉLÉNA, à part.

Que va-t-il se passer...

PANARI, à part.

L’affaire est en bon chemin, je vais au carrefour des Cygnes retrouver Bettina.

Ensemble.

Air de Nabuchodonosor.

BARBARO.

Il faut qu’on nous laisse ensemble !
Si c’est lui, je veux qu’il tremble.
Car il n’est pas, ce me semble,
Pour ses feux
De sort trop rigoureux.

HÉLÉNA.

Dois-je les laisser ensemble ?
Hélas ! malgré moi je tremble.
Est-ce une erreur !... il me semble
En ses yeux
Lire un sort rigoureux.

HORACE.

Pourquoi donc rester ensemble ?
Hélas ! malgré moi je tremble,
Pour mon amour, il me semble,
En ses yeux,
Lire un sort rigoureux.

PANARI.

Mais en les laissant ensemble,
D’où vient donc qu’ici je tremble
Puisque je fais, ce me semble,
Pour tous deux,
Un marché fort heureux.

Héléna entre à gauche, Panari sort par le fond.

 

 

Scène XII

 

HORACE, BARBARO, puis SANGREDINO

 

BARBARO, revenant mystérieusement.

Chut !... de quelle couleur était ton manteau ?

HORACE.

Prince...

BARBARO.

Bleu... j’en étais sûr !... Ah ! brigand, je te tiens donc enfin !

HORACE, à part.

Mais, expliquez-moi...

BARBARO.

Sois tranquille, je ne te ferai pas languir... Une guirlande, un poteau, et... Ah ! mon Dieu ! mais ça ne se peut pas... il est noble !... et c’est moi qui l’ai fait noble !...

SANGREDINO, entrant solennellement, une bourriche à la main.

Prince...

BARBARO.

Qui vient là ?... Je n’y suis pas !

SANGREDINO.

Prince, c’est une bourriche...

BARBARO.

Ah ! c’est différent... qu’elle entre... Qu’est-ce qu’il y a dedans ?

SANGREDINO.

Des truites du lac Mirolino... Mon auguste maître a pensé...

BARBARO.

Très bien, je suis en affaire.

Indiquant une chaise, à droite.

Posez ça là... je lui enverrai des citrons.

SANGREDINO, déposant la bourriche sur la chaise.

Votre auguste gendre... a pensé...

BARBARO.

Mon gendre ! ça ne se peut plus... J’accepte les truites, mais cette union est impossible.

HORACE et SANGREDINO.

Hein !

BARBARO.

J’ai la douleur de vous faire part du prochain mariage de ma fille...

Indiquant Horace.

avec ceci.

HORACE.

Est-il possible ! je rêve...

SANGREDINO.

Le capitaine ! un capitaine pour une princesse, allons donc !

BARBARO.

Quoi de plus naturel, le capitaine est un d’Amalfi, un noble cœur...

HORACE.

Oh ! prince...

BARBARO.

Que j’estime, que j’aime...

Bas.

Baise-moi.

SANGREDINO.

C’est bien !... je me retire... je quitte Bergame...

À part, reprenant la bourriche.

aussitôt que j’aurai embroché mon homme !...

Haut.

Et je vais instruire mon gouvernement du cas que l’on fait ici de son alliance.

BARBARO.

Que faites-vous ?

SANGREDINO.

Air de la Partie carrée.

À m’éloigner, parbleu ! je me dispose,
En emportant votre refus.

BARBARO, montrant la bourriche.

Vous emportez encore quelque chose !

SANGREDINO.

Dame ! du moment que nous n’épousons plus,
À votre cour, si de moi l’on se gausse,
Tout comme vous j’agirai sans façon,
Quand brusquement vous retirez la sauce,
J’emporte le poisson.

Il sort.

BARBARO, avec mélancolie, s’asseyant à droite.

Ah ! qu’une fille coûte cher !

 

 

Scène XIII

 

BARBARO, HORACE

 

HORACE.

Ah ! prince ! comment vous témoigner toute ma joie, toute ma reconnaissance...

BARBARO, se levant, à Horace, qui lui étend les bras.

Qu’est-ce que tu veux ? qu’est-ce que tu demandes ? mais je t’exècre ! je te déteste !

HORACE.

Pourtant, vos paroles de tout à l’heure ?...

BARBARO.

Je n’en pense pas un mot. Toi ? mon ami ? Ah ! bien oui ! ah ! bien oui !

HORACE.

Pourtant vous me donnez votre fille ?...

BARBARO.

Il le faut bien.

HORACE.

Et pourquoi ?

BARBARO.

Pourquoi ? Hier, dimanche, tu portais des manchettes ?

HORACE.

J’en porte tous les jours.

BARBARO.

Eh bien ! une de tes manchettes s’est trouvée prise dans une porte !

HORACE.

C’est bien possible.

BARBARO.

Mais derrière cette porte... qu’est-ce qu’il y avait, soudard ? une salle de bains... Satyre !

HORACE.

Comment !

BARBARO.

Et dans cette salle de bains... un ange ! vêtu... comme le sont les anges...

HORACE.

Ah ! mon Dieu !... je comprends... et c’est pour cela...

BARBARO.

Tiens ! c’est peut-être pour tes beaux yeux !

HORACE, à part.

C’est infâme ! elle si pure ! si chaste !

BARBARO.

Ce qu’il me faut, c’est un silence profond.

HORACE.

Oh ! oui, vous avez raison.

BARBARO.

Et une fois son mari...

HORACE.

Son mari ?

BARBARO.

Pas un mot de plus... Je vais préparer ma fille à cet odieux mariage...

HORACE.

Mais, prince...

BARBARO.

Mais hâtons-nous, car si je réfléchissais seulement cinq minutes, je vous ferais maigrir tous deux dans une cage de fer... de fer !... voilà mon ultimatum.

Il sort à droite.

 

 

Scène XIV

 

HORACE, puis PANARI

 

HORACE, seul.

Je ne reviens pas de ma surprise !... L’épouser !... l’épouser ! Oh ! oui, ce mariage ferait ma joie et mon bonheur ! Mais cet homme ! oh ! je le retrouverai, cet homme... et quand je devrais lui étrangler les paroles dans la gorge !

PANARI, entrant.

Je viens du carrefour des Cygnes... Ah bien ! en voilà une aventure...

HORACE.

Panari... parle... Tu dois le connaître, toi... quel est-il ?

PANARI.

Eh bien ! êtes-vous content du podestat ?

HORACE.

Oui... mais le nom... le nom de cet homme ?

PANARI.

Quel homme ?

HORACE.

Qui est entré dans le cabinet.

PANARI.

Chut !... il ne faut pas dire... c’est moi.

HORACE, tirant son épée.

C’est toi !... en garde ! misérable ! en garde !

PANARI, à part.

Comment ! lui aussi ?

Haut.

Qu’est-ce que vous me voulez ?

HORACE.

L’un de nous deux doit mourir sur cette place.

PANARI.

Dans quel but ?

HORACE.

Défends-toi... ou sinon...

PANARI.

Ah ! mais... un instant, permettez que je mette mes lunettes.

Il tire de sa poche des lunettes.

HORACE.

Comment ?

PANARI.

Dame ! je suis myope.

HORACE.

Que dit-il ?

PANARI, montrant ses lunettes.

Voyez : numéro 15... le 16, c’est pour les aveugles.

HORACE.

Comment ! tu es... mais alors...

À part.

Il faut que je m’assure... Ah ! cette statue.

Lui indiquant la statue au fond.

Qu’est-ce que tu vois là-bas ?

PANARI.

Où ça ? Attendez... Ah ! j’y suis... c’est une mappemonde.

HORACE.

Est-il possible !... Ainsi, hier, dans ce cabinet, tu n’as rien vu ?

PANARI, curieusement.

Il y avait donc quelque chose ?

HORACE.

Non, rien... myope ! Ah ! mon ami ! mon cher ami !

Il l’embrasse.

Silence ! on vient !

 

 

Scène XV

 

HORACE, PANARI, BARBARO, HÉLÉNA, BETTINA, LA COUR, GARDES au fond

 

CHŒUR.

Air du Duc d’Olonne.

Heureux mariage,
Qui doit plaire à la cour.
Rendons tous hommage
Au pouvoir de l’amour.

BARBARO.

Courtisans et courtisanes, je vous annonce que l’ambassadeur de Brescia...

PANARI.

L’ambassadeur ?... je viens de l’expédier.

BARBARO.

Comment ? tu l’as tué ?

PANARI.

Moi ?... allons donc !... j’arrive donc au carrefour des Cygnes... je cherchais Bettina, je trouve un monsieur qui se fendait contre un arbre... il me dit : Vous venez au rendez-vous ? Je lui réponds : Ma foi, oui !... Alors il me dit : En garde ! Je lui réponds : Dans quel but ? – Vous m’avez donné un soufflet. – Moi ? j’en doute... mais si je vous ai donné un soufflet, l’affaire peut s’arranger... vous allez me le rendre et...

BARBARO.

Eh bien !

PANARI.

Eh bien ! il me l’a rendu et un soigné... mais comme je l’ai mis dedans !

HORACE.

Et qu’est-il devenu ?

PANARI.

Il est reparti avec une bourriche.

BARBARO.

Et il a bien fait !... Après une pareille petitesse, son maître ne sera jamais mon gendre.

À Horace.

Comte, faites-moi votre demande solennelle.

HORACE.

Ah ! prince, croyez...

BARBARO.

Assez !... tu veux être mon gendre ?... paf ! tu l’es.

HÉLÉNA.

Mon père !...

BARBARO.

Oui, j’ai réfléchi, marier toujours les princes avec les princesses, c’est une vieille rengaine, il faut varier les genres, croiser les races... vois les mérinos, et puisque tu l’aimais !...

HÉLÉNA.

Tant de sacrifices, de dévouement... ces bouquets mystérieux...

BETTINA.

Et ces soufflets diplomatiques...

BARBARO.

Comment ! l’homme aux bouquets, l’homme aux soufflets, et l’homme à la manchette...

HORACE.

C’était moi !

BARBARO, à part.

À quelle canaille je donne à ma fille !

Haut.

Allons, soyez heureux !... Quant à toi, Panari, j’ai remarqué que tu avais le regard pénétrant...

PANARI.

Oh !

BARBARO.

Si je te nommais directeur de mes télégraphes... paf ! tu l’es !

Reprise du CHŒUR.

Heureux mariage, etc.

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