Les Grisettes (CHAMPMESLÉ)

Comédie en un acte et en vers.

Représentée, pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de l’Hôtel de Bourgogne, en mai 1671.

 

Personnages

 

CRISPIN, Chevalier

MONSIEUR GRIFFAUT, Procureur

ISABELLE, Fille de Monsieur Griffaut

ANGÉLIQUE, Fille de Monsieur Griffaut

MONSIEUR COCLET, Marchand, Amant d’Isabelle

MONSIEUR PRUNEAU, Apothicaire, Amant d’Angélique

MARTINE, Servante de Monsieur Griffaut

 

La Scène est à Paris, dans une Salle de la Maison de Monsieur Griffaut.

 

 

Scène première

 

CRISPIN, MARTINE

 

MARTINE.

Chut ! notre Procureur est là dans son étude ;

Parlons bas.

CRISPIN.

N’en ayons aucune inquiétude ;

S’il me trouve, un procès de mon invention

Soudain auprès de lui sera ma caution :

Cette fourbe, au besoin, me tirera d’affaire.

MARTINE.

Mais avec cet habit, dis-moi, que veux-tu faire ?

Pourquoi n’en pas changer ! qui ta fait l’oublier ?

Nos filles, toutes deux, te croyaient Chevalier ;

Tes beaux ajustements, ton grand air, ta noblesse,

Des deux, en ta faveur, ont surpris la tendresse...

Quels mépris aujourd’hui feront-elles de toi,

Si l’on sait que tu n’es qu’un valet ?

CRISPIN.

Par ma foi !

J’avais choisi tantôt un habit de mon maître,

Avec lequel ici je prétendais paraître :

Je te laisse à penser, étant dans mes appas,

Si près de nos deux sœurs j’eusse fait du fracas ;

Mais en vain j’en ai cru voir ma figure ornée,

Car mon maître a chez lui passé l’après-dînée :

Je n’ai pu, lui présent, endosser son harnois ;

Je l’ai donné dans l’âme au diable cinq cents fois !

Mais, entre nous, le diable est sourd à ma prière :

Mes dons ont été vains. Ne sachant plus que faire,

Voyant l’heure approcher de me rendre en ces lieux,

J’ai, ma foi ! tout risqué pour paraître à tes yeux,

Et ne te point manquer.

MARTINE.

Pourquoi cette saillie ?

Nous pouvions bien remettre à demain la partie ;

Un billet de ta part m’en eût dit le pourquoi.

CRISPIN.

D’accord. Mais mon bon sens, vois-tu ? n’est plus à moi ;

Et depuis le moment que tu m’as fait connaître

L’esprit impertinent du Procureur ton maître,

Qu’il est bourru, taquin, ladre, avaricieux,

Jusqu’à chercher pour rien des gendres en tous lieux ;

Que ses filles aussi, donnant dans la chimère,

Sont folles toutes deux à l’exemple du père ;

Que prenant à leurs yeux un air de qualité,

Ce qui ne coûte rien, j’en serais bien traité,

Et qu’un peu de micmac et de bonne fortune,

M’en feront tout au moins des deux épouser une,

L’espoir de voir sur moi tomber un si beau choix,

La gloire d’être un jour le gendre d’un bourgeois,

L’ardeur de mettre à fin une intrigue si belle,

Le plaisir de coucher auprès d’une femelle,

L’aise d’en voir sortir de petits embryons,

L’amour... enfin... Ma foi ! tous ces brimborions,

Ma pauvre enfant, ont mis ma cervelle en débauche,

Ma raison de travers et mon bon sens à gauche.

MARTINE.

Si bien donc que l’amour, offusquant ta raison,

Entre nous, t’a fait boire un doigt de son poison ?

CRISPIN.

Un doigt ? Le petit Dieu, Martine, je te jure,

M’en a fait boire au moins trois chopines, mesure

De Saint-Denis.

MARTINE.

Pour toi, je n’ai donc plus d’attraits ?

Moi, que tu promettais d’aimer à tout jamais ?

CRISPIN.

Au contraire, bouchon, cet amour qui t’offense,

Te fait plus que jamais voir mon obéissance ;

Friponne, n’est-ce pas de ton invention,

Que vient tout le projet du matrimonion ?

En ces lieux, sans qu’aucun puisse y trouver à mordre,

Si je suis Chevalier, ce n’est que de ton ordre :

Tu ne me fais l’époux de l’une ou l’autre sœur,

Que pour nous emparer des biens du Procureur.

Ainsi, quand cet amour brûle d’impatience,

Pour toi, par conséquent, il est sans conséquence ;

Car si cet hymen donne à l’une ou l’autre sœur

Une place en mon lit, tu l’auras dans mon cœur.

L’épouse que j’aurai ne sera que ma femme :

Toi, tu seras toujours ma maîtresse ; et mon âme

De Martine toujours fera la volonté,

Et toujours le bon bout sera de ton côté.

MARTINE.

Fort bien ; mais des deux sœurs, pour ce grand hyménée,

Laquelle choisis-tu ? la cadette, ou l’aînée ?

Dis ? laquelle des deux a pour toi plus d’appas ?

CRISPIN.

Laquelle des deux ?

MARTINE.

Oui.

CRISPIN.

Ma foi ! je ne sais pas.

MARTINE.

Mais encor ?

CRISPIN.

Dans ce choix mon bon sens s’embarrasse,

Je remarque en l’aînée un esprit de Parnasse,

Qui se soutient partout et qui s’exprime bien,

Dans un certain sublime... où je ne comprends rien ;

Mais qui me plaît beaucoup : son savoir me désarme.

Je donne aveuglément dans l’esprit ; c’est mon charme.

D’autre part, la cadette est un trésor d’attraits.

Elle est bête, il est vrai, sotte encore plus ; mais

Sa personne fait voir, quoi que dise sa bouche,

Une beauté qui plaît, un air enfant qui touche,

Des yeux, morbleu ! des yeux remplis de feux follets,

Noirs, et qui font sur moi de terribles effets.

Pour ne te point mentir, l’une et l’autre m’occupe,

L’une et l’autre me plaît ; mais, pour n’être point dupe,

Et pour ne point faillir dans un choix si douteux,

Je les veux par contrats épouser toutes deux.

MARTINE.

Les deux sœurs !

CRISPIN.

Eh ! qu’importe ? en cette concurrence,

Plus j’en épouserai, plus j’aurai de finance.

C’est-agir finement.

MARTINE.

Oui, pour être pendu.

CRISPIN.

Voici le rabat-joie, et j’en suis confondu.

Peste ! il faut s’en tenir à la moitié du rôle ;

Mais qui prendre des deux ? l’aînée ?

MARTINE.

Elle est trop folle.

Je crains que son humeur ne nous fasse enrager ;

Elle a pris de l’amour pour un Prince étranger,

Qu’on nomme, à ce qu’on dit, le Prince de Chimère,

Petit Principion, qui n’a point d’autre affaire

Qu’à se montrer partout, contrefaisant le beau,

Dans le fond d’un carrosse étalé comme un veau.

Comme il passe souvent le long de notre rue,

La belle, qui pour lui dans son âme est férue,

S’imagine que c’est tout exprès pour la voir,

Et je crains franchement, malgré tout notre espoir,

Que sa Principauté, fût-ce une Métairie,

Ne l’emporte aujourd’hui sur ta Chevalerie.

CRISPIN.

Laissons-là donc Princesse, et n’y pensons jamais :

Aussi-bien la cadette a pour moi plus d’attraits,

Martine ; elle est pour nous d’un aussi bon usage...

Tu fronces le sourcil ! qu’a-t-elle ?

MARTINE.

Elle est trop sage,

Et j’appréhende tout de sa timidité.

Je crains, quoiqu’elle t’aime avec sincérité,

Que sa sotte vertu, sa prudence ordinaire,

Ne t’épouse jamais sans l’aveu de son père.

CRISPIN.

Cela serait fâcheux. Que faire donc ?

MARTINE.

Ma foi !

Je ne sais qu’un moyen qui... Mais qu’entends-je ?

CRISPIN.

Quoi ?

MARTINE.

C’est notre Procureur ; pour te tirer d’affaire,

Va-t’en lui débiter ton procès.

CRISPIN.

Comment faire ?

Il ne m’en souvient plus.

MARTINE.

Te moques-tu de moi ?

CRISPIN.

Il ne m’en souvient plus, Martine, par ma foi !

Et la peur m’en fait perdre encore la mémoire.

MARTINE.

Il faut bien sur le champ inventer quelque histoire,

Ou nous sommes perdus... Songe à toi, le voilà.

 

 

Scène II

 

MONSIEUR GRIFFAUT, CRISPIN, MARTINE

 

GRIFFAUT, à Martine.

Que faites-vous ici ? quel est cet homme-là ?

Toujours avec quelqu’un je vous trouve, ma mie,

Et de je ne sais qui, ma maison est remplie.

MARTINE.

Parlez bas. C’est un homme ici qui vient exprès

Pour mettre entre vos mains, dit-il, un grand procès.

GRIFFAUT.

Qui l’aurait cru, voyant cette mine affamée ?

À Crispin.

Que voulez-vous de moi, Monsieur ?

CRISPIN.

La renommée,

Qui rend justice aux gens de mérite et d’honneur,

M’a dit que vous étiez, Monsieur, un Procureur.

GRIFFAUT.

Grâce à Dieu, je le suis ; mais plein de foi : j’absorbe

La chicane aux procès.

CRISPIN.

L’honnête homme !

MARTINE.

À sa robe

On le voit. Ces lambeaux, signes de pauvreté,

Sont d’illustres témoins de son intégrité.

GRIFFAUT, à Martine.

Passons...

À Crispin.

Venons au fait. Dites-moi votre affaire.

CRISPIN.

Mon affaire est, Monsieur, une affaire assez claire ;

Mais pourtant embrouillée en de certains endroits...

Excusez les sanglots qui me coupent la voix.

Hélas ! je suis un pauvre orphelin, sans malice,

Qui vient par votre organe implorer la justice.

Un jour a mis mon père et ma mère au cercueil !

Pour eux d’un seul habit je porte un double deuil.

Ce n’est pas encor tout. Je suis sous la tutelle

D’un mien parent maudit, dont l’avarice est telle,

Que je n’en puis tirer un seul sou de mon bien.

GRIFFAUT.

Ces tuteurs, la plupart du temps ne valent rien.

Que dit-il pour frustrer ainsi votre héritage ?

CRISPIN.

Il dit que...

GRIFFAUT.

Quoi ?

CRISPIN.

Que...

GRIFFAUT.

Hein ?

CRISPIN.

Je ne suis pas en âge.

GRIFFAUT.

N’y seriez-vous pas ?

CRISPIN.

Non, il s’en faut quelques mois,

À ce qu’il dit.

MARTINE, bas.

Le fat !

GRIFFAUT.

Martine, à ce minois,

Dirais-tu que Monsieur ne serait pas en âge ?

MARTINE.

Il porte quarante ans, au moins, sur son visage :

Voyez sa barbe.

CRISPIN.

Bon ! la barbe ne fait rien

À l’âge. Dans mon sang c’est un droit fort ancien ;

La barbe en ma famille avant l’âge est venue.

Mon père était barbu, ma mère était barbue,

Mes tantes, mes cousins, mes oncles, mes neveux,

L’étaient tous comme moi, moi je le suis comme eux,

GRIFFAUT.

Je ne puis revenir encor de ma surprise !

Qu’entends-je ? être mineur ayant la barbe grise,

Vous ?

CRISPIN.

Oui, vous dis je, à peine ai-je mes vingt-cinq ans ;

Je suis si jeune encor, qu’il me manque des dents.

Voyez.

GRIFFAUT, à Martine.

Pour ces discours je n’ai point de croyance.

MARTINE.

Il vous fera beau voir, plaidant à l’Audience,

Prendre la cause en main de ce jeune barbon.

GRIFFAUT.

On se rira de moi, Martine.

MARTINE.

Pourquoi ? Bon !

S’il est fou, c’est sur lui que la risée éclate ;

Allez, à cela près, qu’il vous graisse la patte.

GRIFFAUT.

Fort bien...

À Crispin.

Que voulez-vous qu’on demande au tuteur ?

CRISPIN.

Qu’il me donne de quoi m’entretenir, Monsieur.

GRIFFAUT.

Ah ! vous avez raison.

CRISPIN.

La demande est honnête.

GRIFFAUT.

Il vous faut présenter demain une requête,

À ce qu’il soit permis de le faire assigner ;

Nous le ferons ensuite aisément condamner

À vous fournir pour vivre une somme honorable.

CRISPIN.

C’est fort bien dit.

GRIFFAUT.

Martine, apportez-moi ma table.

CRISPIN.

Est-ce pour la requête ?

GRIFFAUT.

Oui, je vais la dresser.

CRISPIN.

Faites de votre mieux.

GRIFFAUT.

Vous le pouvez penser ;

Mais mettez...

CRISPIN.

Hein ?

GRIFFAUT.

Mettez...

CRISPIN, à Martine.

Dis-moi, que veut-il dire,

Martine ?

MARTINE.

Il dit, qu’il faut lui donner de quoi frire.

CRISPIN.

Oh ! je n’avais pas mis cela dans mon marché.

MARTINE.

Il en faut bien sortir. Ne fais point l’empêché ;

Crois-moi, donne un écu.

CRISPIN, donnant un écu.

C’est un écu frélore...

Eh ! bien ?

GRIFFAUT, ayant sonde l’écu, le serre.

Mettez.

CRISPIN.

Martine, il en demande encore.

MARTINE.

Eh ! bien, donne.

CRISPIN, à Griffaut.

Tenez.

GRIFFAUT.

Mettez...

CRISPIN, à Martine.

Il y va dru !

MARTINE.

Patience.

CRISPIN.

Cela ne sort pas de ton crû.

On le voit, Que d’argent ! peste !

MARTINE.

Un bon mariage,

Va, paiera tout.

GRIFFAUT.

Mettez.

CRISPIN.

Ah ! le goulu ! j’enrage !

GRIFFAUT.

Mettez.

CRISPIN, à Griffaut.

Je n’en ai plus, Monsieur, d’homme d’honneur !

GRIFFAUT.

Je dis que vous mettiez votre chapeau, Monsieur.

CRISPIN.

Ce n’est que cela ?

GRIFFAUT.

Non.

CRISPIN.

Ma main est un peu prompte ;

Mais rendez donc l’argent.

GRIFFAUT.

Je vous en tiendrai compte.

Comment vous nommez-vous ?

CRISPIN.

Crispin.

GRIFFAUT.

Votre métier ?

CRISPIN.

Chevalier.

GRIFFAUT.

Chevalier Crispin ?

CRISPIN.

Non, Chevalier

De Malte. Notre race est fertile en grands hommes ;

Depuis mille ans, neuf mois et cinq jours, nous le sommes,

De père en fils.

GRIFFAUT, à Martine.

Martine, il est fou.

MARTINE.

Je le crois ;

Mais il a de l’argent, qu’importe ?

CRISPIN.

Achevez-moi ;

J’ai hâte. Il faut que j’aille au logis voir mon maître.

GRIFFAUT.

Votre maître ?

MARTINE, à Crispin.

Étourdi ! que lui fais-tu connaître ?

GRIFFAUT.

Vous servez donc ?

CRISPIN.

Moi, non... Vous le pouvez penser ;

Le maître dont je parle... est... un maître à danser,

Qui me montre.

GRIFFAUT.

Ah !

MARTINE, à Crispin.

Fort bien.

CRISPIN, bas à Martine.

Oh ! j’ai de la cervelle.

GRIFFAUT.

Comment votre tuteur a-t-il nom ?

CRISPIN.

Il s’appelle...

Mon tuteur.

GRIFFAUT.

Dites-moi son véritable nom ?

CRISPIN.

Il ne m’en souvient plus. C’est un nom bas Breton,

Que je ne puis jamais mettre dans ma mémoire.

Est-il besoin qu’il soit couché dans ce grimoire ?

GRIFFAUT.

Oui.

CRISPIN.

Je vais le savoir et le mettre en écrit,

De peur de l’oublier.

GRIFFAUT.

Allez ; c’est fort bien dit :

Vous me retrouverez, Monsieur, dans mon étude...

Il sort.

 

 

Scène III

 

MARTINE, CRISPIN

 

MARTINE.

À la fin nous voilà sortis d’inquiétude.

Où donc as-tu pêché ce grotesque procès ?

Peut-on, sans être fou, tomber dans cet excès ?

Te dire adolescent, toi, vieux comme ces rues ?

CRISPIN.

Ma foi ! sans le secours des familles barbues,

Par qui j’ai pallié ce minois embarbé,

Je me serais trouvé sottement embourbé.

J’en suis sorti.

MARTINE.

L’excuse est valable, sans doute.

CRISPIN.

J’en suis assez content, hors l’argent qu’il m’en coûte.

MARTINE.

Sur nos deniers futurs, va, tu le reprendras...

Mais, que vois-je ? Isabelle ! Ah ! Ciel !

CRISPIN.

Autre embarras.

MARTINE.

C’est bien pis.

CRISPIN.

Que faire ?

 

 

Scène IV

 

ISABELLE, MARTINE, CRISPIN

 

ISABELLE.

Ah ! soutenez-moi, Martine.

MARTINE.

Qu’est-ce ? qu’avez-vous donc ?

ISABELLE.

Cet homme, avec sa mine,

Me fait mal au cœur.

MARTINE.

Oui ! Je vais le détaler ;

Sortez.

ISABELLE.

Martine, il a de l’air du Chevalier ?

CRISPIN.

Ce n’est pas moi.

ISABELLE.

Voilà sa voix et son visage ;

C’est lui-même, c’est lui. Quel air ! quel équipage !

MARTINE.

C’est qu’il s’est déguisé.

ISABELLE.

Pour qui ?

CRISPIN.

Pour vos beaux yeux,

Je me métamorphose à l’exemple des Dieux.

ISABELLE.

Cet air bas, dépouillé de perruque et de linge,

N’expose à mes regards qu’une mine de singe,

Salope, dégoûtante ; et, pour ne la plus voir,

Je sors d’ici.

MARTINE.

Sachez...

ISABELLE.

Je ne veux rien savoir,

MARTINE.

De ce déguisement apprenez le mystère ;

Il se fait en faveur du Prince de Chimère.

ISABELLE.

Du Prince de Chimère ?

MARTINE.

Oui. Comme ils sont amis,

Pour vous voir de sa part, en valet il s’est mis.

Vous avez su, pour vous, quelle était sa tendresse ;

Cependant pour vous plaire, et servir son Altesse,

Il l’éteint.

ISABELLE.

Chevalier, c’est être généreux !

CRISPIN.

Oh ! oh !

ISABELLE.

Mais, Chevalier, est-il bien amoureux ?

Avant que d’en venir à ces métamorphoses,

Qu’a-t-il dit ?

CRISPIN.

Il m’a dit... il m’a dit bien des choses.

MARTINE, à Crispin.

Que ne le dites-vous, pourquoi les déguiser ?

À Isabelle.

Il vous aime à l’excès, et veut vous épouser.

ISABELLE.

M’épouser ?

MARTINE.

À ces mots vous paraissez chagrine ?

ISABELLE.

Que ce début est plein d’absurdité, Martine !

CRISPIN.

Comment ! voudriez-vous que dans cette union,

Il prît le contre-pied du matrimonion ?

ISABELLE.

Encor moins ; mais d’abord parler de mariage !

Le tombeau des amours, le sceau de l’esclavage !

Outre, ordinairement, qu’il naît de ces accords

Des enfants, et cela gâte les traits du corps.

MARTINE.

C’est ce que vous pourriez tantôt lui faire entendre,

Si vous lui permettiez en ces lieux de se rendre.

Il demande à vous voir.

ISABELLE.

Est-il vrai, Chevalier ?

CRISPIN.

Il se fait de vous voir un plaisir singulier.

MARTINE.

Oui ; mais ce rendez-vous a quelque circonstance.

ISABELLE.

Comment ?

MARTINE.

Vous connaissez son rang et sa naissance.

À Crispin.

Il voudrait... Dites-lui, Monsieur le Chevalier ?

ISABELLE.

Qu’est-ce que sa demande a de particulier ?

Parlez...

CRISPIN.

C’est qu’il souhaite...

Bas, à Martine.

Explique-lui, Martine,

ISABELLE, à Martine.

Eh ! bien ?

MARTINE.

Les décorons dus à son origine,

Pour dérober sa flamme aux regards curieux,

Demandent que sans suite il se rende en ces lieux !

Avec empressement il vous fait la prière

De vous y rendre aussi sans suite et sans lumière.

ISABELLE.

Quoi ! n’est-ce que cela qui vous rend interdit ?

Le risque serait grand pour un petit esprit ;

Mais moi, dont la raison règle en tout la conduite,

Je m’y puis exposer sans en craindre la suite ;

Ma vertu m’en répond. Faites-lui donc savoir

Que, comme il le prétend, je l’attendrai ce soir.

Adieu, Chevalier.

Elle sort.

 

 

Scène V

 

MARTINE, CRISPIN

 

MARTINE.

Bon ! c’est juste notre affaire ;

Il faudra, sous le nom du Prince de Chimère,

Que tu reviennes ici tantôt au rendez-vous.

Malgré l’aversion qu’elle a pour un époux,

L’espoir d’être Princesse et l’amour qui la pique,

Fléchiront aisément sa vertu chimérique :

Elle t’épousera.

CRISPIN.

Tu l’as dit.

MARTINE.

Mais de peur

De quelque obstacle encor, va-t’en.

CRISPIN.

Oui, de bon cœur !

Je me vais dépouiller de ce vêtement mince,

Et, sous d’autres habits, prendre un minois de Prince,

Pour revenir ici.

Il sort.

MARTINE, seule.

Va... Notre Procureur,

Cet hymen étant fait, le verra sans douleur ;

Ses filles ont toujours fait son inquiétude.

 

 

Scène VI

 

COCLET, PRUNEAU, MARTINE

 

COCLET.

Mon... mon... sieur... Gri... Griffaut... est... est... il dans l’étude ?

MARTINE.

Oh, Monsieur.

PRUNEAU.

Pouvons-nous lui parler ?

MARTINE.

Je le crois...

Ils sortent.

À présent que la fin ne dépend que de moi,

Ne perdons point de temps ; allons voir Isabelle

Pour lui... Mais elle vient, et sa sœur avec elle.

 

 

Scène VII

 

ISABELLE, ANGÉLIQUE, MARTINE

 

ISABELLE, à Angélique.

Votre petit esprit peut-il s’imaginer

Qu’ayant pris de l’amour, il en puisse donner,

Vous me faites pitié !

ANGÉLIQUE.

Votre noble génie

Ne perdra-t-il jamais l’orgueilleuse manie

D’envisager toujours les gens du haut en bas,

Et de croire être seule un objet plein d’appas,

Qui puisse plaire à tous, et faire une conquête ?

MARTINE.

D’où vient cette dispute ?

ISABELLE.

Elle s’est mise en tête,

En voyant à l’instant sortir le Chevalier,

(Que par hasard elle a trouvé sur l’escalier)

Que son déguisement n’était fait que pour elle.

MARTINE, bas à Isabelle.

C’est un petit esprit qui manque de cervelle.

ANGÉLIQUE, à Isabelle.

Et sur quoi jugez-vous que ce n’est pas pour moi ?

À Martine.

Tu sais tous les serments qu’il m’a faits devant toi,

Martine ? et cependant elle a cette pensée,

MARTINE, bas à Angélique.

Bon ! bon ! laissez-la dire : elle est un peu blessée.

ISABELLE, à Angélique.

Le pauvre esprit !

MARTINE, à Angélique.

Sortez.

ANGÉLIQUE, à Isabelle.

Le grand génie !

MARTINE, à Angélique.

Allez.

ISABELLE, à Angélique.

Sotte !

MARTINE.

Paix !

ANGÉLIQUE, à Isabelle.

Folle !

MARTINE.

Encore !

 

 

Scène VIII

 

GRIFFAUT, ISABELLE, ANGÉLIQUE, MARTINE

 

GRIFFAUT.

Hein ? quoi ? qu’est-ce ? parlez :

Que disiez-vous là ?

ISABELLE.

Rien.

GRIFFAUT.

En vain on le vent taire :

Ne disputiez-vous pas toutes deux ?

ANGÉLIQUE.

Non, mon père.

GRIFFAUT.

Bonnes bêtes ! Je vais, pour me venger de vous,

Vous livrer toutes deux dans les mains d’un époux,

Dont vous éprouverez l’autorité suprême.

ISABELLE,

Vous m’allez marier, moi, mon père ?

GRIFFAUT.

Oui, vous-même.

ISABELLE, à part.

Ah ! mon Prince !...

GRIFFAUT.

Cela rabat votre caquet ?

ISABELLE.

Eh ! quel est cet époux, enfin ?

GRIFFAUT.

Monsieur Coclet.

ISABELLE.

Qui ? ce Marchand qui fait le coin de notre rue ?

GRIFFAUT.

Oui.

ISABELLE.

Vous n’y songez pas. Avez-vous la berlue ?

Moi, femme d’un Marchand ! moi ! peut-on concevoir

Qu’un air comme le mien, soit un air de comptoir ?

Où donc est le bon sens ? on verrait mon visage

Parer une boutique ! en faire l’étalage !

J’irais d’une voix humble appeler les Marchands,

Et me donner sans cesse en spectacle aux passants !

Mon père, en vérité, la chose ne peut être

GRIFFAUT.

Nous verrons qui de vous ou moi sera le maître.

À Angélique.

J’ai fait choix d’un mari, ma fille, aussi pour vous ;

Pruneau, l’Apothicaire, est cet honnête époux.

Je suis sûr qu’avec lui vous serez fort heureuse.

ANGÉLIQUE.

Mon père, j’ai fait vœu d’être Religieuse.

GRIFFAUT.

Oh ! je ne l’ai pas fait, moi !... Ne m’échauffez pas !...

Je viens présentement de passer vos contrats !

Et c’est un nœud Gordien que rien ne peut dissoudre.

Vous n’avez qu’un moment, ou deux, pour vous résoudre.

Mes deux gendres futurs vont venir pour vous voir :

Songez, et l’une et l’autre, à les bien recevoir ;

Autrement... Vous savez ce que peut ma colère.

Il sort.

 

 

Scène IX

 

ISABELLE, ANGÉLIQUE, MARTINE

 

ISABELLE.

Ah ! quel père, Martine !

ANGÉLIQUE.

Ah ! Martine, quel père !

ISABELLE.

Moi, l’amante d’un Prince ! après un si beau choix,

Je pourrais devenir la femme d’un bourgeois ?...

Je pourrais à ce point oublier ta personne !

Mon pauvre Prince, hélas ! quel rival on te donne !

ANGÉLIQUE.

Moi, qui d’un Chevalier attire tous les vœux,

Je pourrais m’abaisser à cet hymen honteux ?...

Hélas ! mon cher amant, quel sera ta colère,

Lorsque tu me verras femme d’Apothicaire ?

MARTINE.

Pourquoi, dans ce moment, vous affliger si fort ?

On trouve du remède à tout, hors à la mort...

À Isabelle.

La nuit vient à grands pas : le Prince de Chimère,

Dans un moment, ou deux, vous tirera d’affaire...

À Angélique.

Mandez au Chevalier de se rendre en ces lieux :

Il essuiera bientôt tes larmes de vos yeux...

Avant le temps, pourquoi toutes deux vous confondre ?...

Mais voici vos futurs, songez à leur répondre.

 

 

Scène X

 

MONSIEUR COCLET, MONSIEUR PRUNEAU, ISABELLE, ANGÉLIQUE, MARTINE

 

COCLET, à Isabelle.

Mon... mon... sieur votre père... en... en... ce... ce... beau jour,

Cou... cou... couronne enfin mon... mon... mon... mon amour ;

En... en... me... me voyant, beau... beau... té... té divine,

Vous... vous voyez l’époux... qu’on... qu’on... vous... vous destine.

ISABELLE.

Vous, mon petit ami ? vous ? Vous n’y songez pas !

Moi, j’irais profaner tant d’attraits dans vos bras ?

Moi ! femme d’un bourgeois ? Vous ! mon époux, mon maître ?

Allez, mon cher, allez apprendre à vous connaître.

Elle s’en va.

PRUNEAU, à Angélique.

Belle Angélique, enfin, vous allez être à moi ;

Votre père me vient d’engager votre foi.

Vos appas enchanteurs qui m’ont toujours su plaire...

ANGÉLIQUE.

Modérez vos transports, Monsieur l’Apothicaire.

Des filles comme moi ne sont point des bijoux

Que l’on réserve aux gens mal tournés comme vous.

Elle s’en va, et Martine, après leur avoir fait à chacun la révérence, s’en va aussi.

 

 

Scène XI

 

COCLET, PRUNEAU

 

COCLET.

Ouais... ouais : Nous... nous voilà reçus, par... par ces filles,

Co... co... comme un... un chien dans... dans un jeu de quilles.

PRUNEAU.

Qu’importe ? ayant pour nous le père et les parents,

Nous leur ferons bientôt changer de sentiments.

COCLET.

Si... si... par... par for... force on... on les ma... marie,

C’est des... des co... cocus orner la confrérie.

PRUNEAU.

Malepeste ! il nous faut éviter ce danger.

Écoute ; faisons mieux : avant que d’en juger...

Mais, cachons-nous, on vient ; c’est quelqu’un, ou quelqu’une.

Voyons.

Ils se cachent.

 

 

Scène XII

 

MARTINE, CRISPIN, COCLET et PRUNEAU, cachés

 

MARTINE.

Tout contribue à ta bonne fortune.

Pour rompre cet hymen, qui fait son désespoir,

Isabelle à présent ne cherche qu’à te voir ;

C’est à toi, sous le nom du Prince de Chimère,

De...

CRISPIN.

Comme il s’agit moins de dire que de faire,

Je te réponds de tout ; n’en prends aucun souci.

MARTINE.

Je vais donc l’avertir... Mais quelqu’un vient ici.

C’est peut-être elle... Non, je vois de la lumière...

C’est la cadette... Ô Ciel : comment nous en défaire ?

 

 

Scène XIII

 

ANGÉLIQUE, CRISPIN, MARTINE, COCLET, et PRUNEAU, cachés

 

ANGÉLIQUE, à Martine.

Martine, de ma part, va...

À Crispin.

C’est vous que je vois,

Chevalier ? vous venez heureusement pour moi ;

Je voulais envoyer chez vous, pour vous apprendre...

MARTINE.

Il sait tout, ct ma bouche a su lui faire entendre...

Il vous aime, et prétend vous ôter de souci...

Mais je ne vous crois pas trop sûrement ici :

Votre futur époux est avec votre père ;

S’ils allaient, revenant, découvrir ce mystère ?

Rien ne vous sauverait de leurs fureurs ; enfin,

Croyez-moi, remettez la partie à demain.

ANGÉLIQUE.

Tu peux, faisant le guet, nous en sauver, Martine.

MARTINE.

Qui ! moi ? j’ai mon souper à faire à ma cuisine ;

J’ai le couvert à mettre, une chambre à frotter,

Vingt paires de souliers du moins à décrotter.

À Crispin.

Vous le savez. Adieu... songe à dénicher, vite ;

Et reviens me trouver.

Elle sort.

 

 

Scène XIV

 

ANGÉLIQUE, CRISPIN, COCLET et PRUNEAU, cachés

 

CRISPIN.

Il faut que je vous quitte ;

Vous le voyez, Martine, en dit les raisons.

ANGÉLIQUE.

Quoi !

N’avez-vous rien à dire en me quittant ?

CRISPIN.

Qui ! moi ?

Que dirais-je ?

ANGÉLIQUE.

Est-ce là l’ardeur qui vous transporte ?

Chevalier, m’aimez-vous ?

CRISPIN.

Oui, le diable m’emporte !

ANGÉLIQUE.

Pouvez-vous me laisser dans un tel embarras ?

CRISPIN.

Qu’avez-vous donc ?

ANGÉLIQUE.

Eh ! quoi ? ne le savez-vous pas ?

On me donne un époux... La fortune cruelle...

CRISPIN.

Quoi ! ce n’est que cela ? c’est une bagatelle.

ANGÉLIQUE.

Qui me délivrera de ce fâcheux tourment ?

CRISPIN.

Moi. Je ne trouve rien plus facile.

ANGÉLIQUE.

Comment ?

CRISPIN.

Nous nous aimons tous deux. Dès demain, sur la brune,

Nous pouvons faire un trou l’un et l’autre à la lune,

Prendre la clef des champs : un Notaire fera

Un contrat ; le Curé du lieu nous mariera.

Après, pour rendre en tout notre hymen manifeste,

Nous nous irons coucher, et nous ferons le reste.

ANGÉLIQUE.

Moi ! j’irais, sans façon, répondre à ce désir,

Me le conseillez-vous ?

CRISPIN.

C’est à vous de choisir,

Ou d’être indignement femme d’Apothicaire,

Ou d’être, en tout honneur, Chevalière.

ANGÉLIQUE.

Que faire ?

Hélas ! si... Mais, j’entends du bruit : on vient à nous

C’est mon père, c’est lui... Chevalier, cachez-vous.

Il sort par un côté, et elle par un autre.

 

 

Scène XV

 

GRIFFAUT, COCLET et PRUNEAU, cachés

 

GRIFFAUT, une lanterne sourde à la main.

Depuis une heure ou deux il m’a semblé d’entendre

Marcher ici, parler, monter, courir, descendre.

Pour en être informé, je me rends en ces lieux.

M’y voilà. Cependant, rien ne s’offre à mes yeux.

Il est certain pourtant qu’on trame quelque chose :

Il faut m’en éclaircir ; j’en veux savoir la cause.

Demeurons en ces lieux, et, pour en être instruit...

Mais mon oreille corne, ou j’entends quelque bruit :

Il faut, tout doucement, refermer la lumière...

Il ferme sa lanterne.

Écoutons maintenant. Je vais me satisfaire.

 

 

Scène XVI

 

GRIFFAUT, MARTINE, CRISPIN, COCLET et PRUNEAU, cachés

 

MARTINE, entrant d’un côté.

Crispin !

CRISPIN, entrant de l’autre côté.

Martine !

MARTINE, à Griffaut, qu’elle prend pour Crispin.

Approche... Eh ! bien, es-tu défait

D’Angélique ?

CRISPIN, à Griffaut, qu’il prend pour Martine.

Oui, ma foi ! mais à mon grand regret,

C’en était fait ; j’allais l’enlever, quand son père

Est venu sottement gâter tout le mystère.

Sans lui j’étais, Martine, au comble du bonheur.

Le petit scélérat ! le chien de Procureur !

Que la peste l’étouffe et le diable l’emporte !

MARTINE.

Parlons bas, et bannis l’ardeur qui te transporte.

Isabelle dans peu calmera ton souci.

Je vais, dans un moment, te l’envoyer ici.

En déguisant ta voix, songe à bien contrefaire,

Par des discours trompeurs, le Prince de Chimère.

Elle sort.

GRIFFAUT, bas.

J’entends... Il faut punir ce galant séducteur ;

Il ne croit pas m’avoir ici pour spectateur.

PRUNEAU et COCLET, ensemble, sortant de l’endroit où ils étaient cachés.

Approchons-nous plus près, sans nous faire connaître.

 

 

Scène XVII

 

ANGÉLIQUE, GRIFFAUT, CRISPIN, COCLET, PRUNEAU

 

ANGÉLIQUE, à part.

Le Chevalier n’est pas encor sorti, peut-être :

Allons voir.

 

 

Scène XVIII

 

ISABELLE, ANGÉLIQUE, GRIFFAUT, CRISPIN, MARTINE, COCLET, PRUNEAU

 

ISABELLE, à Martine, à l’entrée.

Quoi ! mon Prince est ici : Laisse-nous...

Martine sort.

Amour ! fais succéder cet heureux rendez-vous !

CRISPIN, à part.

J’entends du bruit ; on vient : l’occasion est belle.

ANGÉLIQUE.

St ?

PRUNEAU.

St ?

ISABELLE.

St ?

COCLET.

St ?

CRISPIN.

St ?

GRIFFAUT.

St ?

ANGÉLIQUE, à part.

C’est lui.

ISABELLE, à part.

C’est lui.

CRISPIN, à part.

C’est elle.

ISABELLE, prenant Coclet.

Est-ce vous ?

COCLET, bas.

Feignons...

Haut, changeant sa voix.

Oui.

ISABELLE, lui prenant la main.

C’est donc vous, Monseigneur ?

Votre Altesse me fait aujourd’hui trop d’honneur ;

Je ne mérite pas cet excès de tendresse...

ANGÉLIQUE, s’adressant à Pruneau.

Est-ce vous ?

PRUNEAU, déguisant aussi sa voix.

Oui, c’est moi.

ANGÉLIQUE.

Vous voyez ma faiblesse,

Chevalier : je reviens ; mais soyez sage.

CRISPIN, s’adressant à Griffaut.

Holà !

Où diable êtes-vous donc, la belle ?... Ah !vous voilà ?

Digne objet de mes vœux ! pour vous prouver ma flamme,

Je vous donne en présent, et mon corps et mon âme.

Dans ma Principauté prêt à vous épouser,

Je veux vous enlever. Permettez qu’un baiser...

GRIFFAUT, ouvrant sa lanterne sourde.

Ah ! ah !

ISABELLE, apercevant Coclet.

Oh ! oh !

ANGÉLIQUE, apercevant Pruneau.

Eh ! eh !

COCLET, à Isabelle.

Hi ! hi !

PRUNEAU, à Angélique.

Hon ! hon ! la belle,

Vous voilà bien camuse !

ISABELLE.

Ah ! fortune cruelle !

GRIFFAUT, à Crispin.

Je vous tiens, je vous tiens, Monsieur le suborneur !

PRUNEAU, après avoir regardé Crispin.

Comment ! c’est le valet d’un fort homme d’honneur.

Qui m’a, depuis six mois, donné sa chalandise ;

Il porte le flambeau quand je le clystérise.

GRIFFAUT.

C’est mon homme au procès, c’est ce jeune garçon

Qui n’était pas en âge ?

CRISPIN.

Il est vrai. Mais, pardon ;

Vos filles, plus que moi, sont causes du mystère.

Près de l’une, j’étais le Prince de Chimère ;

Près de l’autre, j’étais le Chevalier Crispin.

Je ne suis qu’un valet : je le confesse, enfin ;

Mais plus homme de bien que l’on ne peut comprendre.

Ayant appris, Monsieur, qu’il vous fallait un gendre,

Je viens m’offrir à vous, pour avoir cet honneur.

GRIFFAUT.

Qui ! moi ? j’accepterais pour gendre un suborneur,

Un valet, un coquin, un...

CRISPIN.

Vous n’avez qu’à dire ?

Cela ne vous plaît pas ! Eh ! bien, je me retire :

Le mal n’est pas grand.

Il s’en va.

PRUNEAU.

Quoi ! vous le laissez aller ?

GRIFFAUT.

Ce sont de ces affronts qu’il faut dissimuler.

Croyez-moi, leur éclat est nuisible aux familles :

Il tomberait sur vous, ainsi que sur mes filles.

PRUNEAU.

Sur nous ? Quoi ! vous croyez achever ?

GRIFFAUT.

Pourquoi non ?

COCLET.

Nous... nous pourrions, marchant sur les pas d’Actéon,

Avoir ce mal...

GRIFFAUT.

Messieurs, je n’ai qu’un mot à dire :

Le contrat est signé ; cela me doit suffire.

Il faut, sur cet hymen, accomplir nos souhaits,

Ou, contre un Procureur, intenter un procès.

PRUNEAU.

Nous ! plaider contre vous ? Achevons tout à l’heure !

J’aimerais encor mieux vous épouser, je meure !

COCLET.

Moi... moi, pareillement.

GRIFFAUT.

Marchez donc sur mes pas.

PRUNEAU, à Angélique.

Donnez la main.

ANGÉLIQUE.

Ô Ciel !

COCLET, à Isabelle.

Allons, la belle.

ISABELLE.

Hélas !

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