Farinelli (Eugène SCRIBE - Jean-Henri DUPIN)

Vaudeville en un acte.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Vaudeville, le 25 juillet 1816.

 

Personnages

 

L’AFFÛT, auteur

L’ÉCLAIR, auteur

PACOLET, garçon d’auberge

FARINELLI, page

NANETTE, écaillère

 

À Paris, dans un hôtel garni.

 

Une salle commune. À droite et à gauche, des cabinets.

 

 

Scène première

 

PACOLET, seul, un pommier à la main, et parlant à la cantonade

 

Eh bien ! ne faut-il pas vous souhaiter bon voyage ? Encore un qui part sans me donner pour boire. Allons, préparons toujours le déjeuner du numéro deux, peut-être que celui-là m’étrennera.

Mangeant une pomme.

Bah ! il en reste encore deux, ce sera assez. Quelle tour de Babel qu’un hôtel garni ! des étrangers, des journalistes, des étudiants en droit, des auteurs. Mon Dieu ! mon Dieu ! quel métier que celui de garçon d’auberge !

Air de M. Doche.

Pour se rendre les gens propices,
Souple, discret, à tout venant
J’offre avec zèle mes services...
On m’a toujours en me payant.
Je d’vrais bon briller à la ronde
Avoir des laquais, des commis,
Puisqu’on prétend qu’en ce pays
Les gens qui servent tout le monde
Finissent par être servis.

 

 

Scène II

 

PACOLET, NANETTE, sortant d’une chambre de côté

 

NANETTE, à la cantonade.

Oui, monsieur, je vous en apporterai demain une cloyère. Vous savez que je suis toujours à la porte de l’hôtel.

PACOLET.

Tiens, c’est ma prétendue ! Bonjour, mam’selle Nanette !

S’essuyant la bouche.

Elle n’était pas assez cuite.

NANETTE.

Qu’est-ce que tu fais donc là ?

PACOLET.

Veux-tu m’en ouvrir une petite douzaine ! Je te donnerai en payement douze baisers ! ça fait-y ton compte ?

NANETTE.

Comme t’es gourmand !

PACOLET.

Gourmand ! parce qu’on aime les bonnes choses.

NANETTE.

Air du vaudeville du Petit Courrier.

Ce n’est pas ainsi qu’ tu m’ plairas.
J’ veux qu’ mon mari soit plus aimable,
Et qu’il n’ soit pas toujours à table :
L’amour, monsieur, ne mange pas !
C’te gourmandise est trop précoce ;
Dès l’ matin il n’ songe qu’à c’la ;
Et monsieur n’aspire à la noce
Que pour mieux dîner ce jour-là.

PACOLET.

Si on peut parler ainsi ! Je n’ai pas encore fait mon déjeuner, et voilà le quatrième que j’apprête. Je m’en vas les remettre encore au feu !

NANETTE.

Eh ! laisse là les pommes, et parle-moi.

PACOLET.

Tu ne sais donc pas que c’est pour votre protégé, ce beau vilain petit seigneur, qui depuis deux jours qu’il est ici, ne fait que chanter. Veux-tu l’entendre : Ah ! ah ! Oh ! oh !

NANETTE.

Moi, je trouve ça ben gentil ; et puis, il ne chante pas toujours ! Tu ne sais donc pas ? hier, pour une simple commission, voilà ce qu’il m’a donné !

PACOLET.

Un louis d’or !

NANETTE.

Air : Ah ! quel plaisir d’aimer Lucas. (Les Vendangeurs.)

Et si t’avais vu d’ quell’ façon !
Quel air aimable et bon !
Oh ! ma fin’, c’est payer trop bien ;
Moi, j’ n’ai pas d’avarice...
Et fût-c’ même pour rien,
J’ sis toute à son service !

PACOLET.

Eh bien, voilà ce que je n’entends pas !

NANETTE,

Il est toujours plus aimable que ces messieurs du numéro trois que tu aimes tant.

PACOLET.

Ah ! ceux-là, quelle différence ! ce sont des gens distingués, des auteurs, enfin.

NANETTE.

Et qu’est-ce que c’est qu’un auteur ?

PACOLET.

Ah dame ! un auteur... pour l’expliquer cela, à toi... un auteur... c’est un métier comme un autre ! comme le tien ! comme le mien, par exemple !

NANETTE.

Comment, un auteur, c’est comme un traiteur !

PACOLET.

Non, mais ça se ressemble, c’pendant.

Air du vaudeville d’Arlequin Musard.

Toujours dans sa tête il mitonne
L’ moyen d’ faire d’ nouveaux ragoûts !
De son mieux il les assaisonne.
Afin d’ contenter tous les goûts.
Mais d’ nous en un point il s’écarte :
D’ peur qu’ son repas n’ soit mal tourné,
Il a soin d’ fair’ payer la carte
Avant de servir le dîné.

Ce sont eux qui me donnent tous les soirs des billets de spectacle ; et vu la manière dont je me suis montré dans cette pièce qui n’a fait que paraître, ils m’ont promis une dot sur leur premier ouvrage qui réussira !

NANETTE.

Ah bien, oui ! Moi, je ne veux pas attendre aussi longtemps que ça.

PACOLET.

Ah ! est-elle pressée, est-elle pressée !

NANETTE.

Air : Ce boudoir est mon Parnasse. (Fanchon.)

Faut qu’ tu sois ben bon apôtre
Pour les croire généreux ;
Ont-ils d’ l’argent pour un autre
Quand ils n’en ont pas pour eux ?
Hélas ! de tout ils s’abstiennent,
Et d’ puis qu’ils sont au logis.
Sans quelques baisers qu’ils m’ prennent
Ils n’auraient encor rien prits.

PACOLET.

Dame ! ça s’ pourrait bien.

Même air.

Oui, je commence à le croire,
Ils s’ moqu’ de moi tous les deux ;
Quand il faut m’ donner pour boire,
Ils n’ont pas d’ monnaie sur eux.
Ce qu’ils m’ promettent m’échappe ;
Leur argent m’est inconnu,
Et sans quelqu’ soufflets qu’ j’attrape,
J’ n’aurais encor rien reçu.

NANETTE.

Ah ! mon Dieu ! j’entends une voiture ; c’est celle du monsieur au louis d’or.

PACOLET.

Une voiture ! ça ne se refuse rien. Et son déjeuner qui n’est pas au feu ; c’est toi qui m’ fais oublier... Restez là, mademoiselle.

Il entre dans la chambre du numéro deux, le pommier à la main.

NANETTE, regardant vers le fond.

Tiens, comme il rit tout seul !

 

 

Scène III

 

PACOLET, NANETTE, FARINELLI

 

FARINELLI, un journal à la main.

Ah ! ah ! ah ! l’aventure est impayable !

Air : L’amour qu’Edmond a su me taire.

Ce matin encor dans ma glace
J’étais de moi-même enchanté ;
J’admirais mon air et ma grâce.
Surtout ma parfaite santé :
J’aurais bien juré d’après elle
Vivre pendant un siècle entier,
Quand j’apprends ici la nouvelle
Que je suis mort le mois dernier.

C’est bien écrit.

Il lit.

« Le jeune Farinelli, premier musicien et premier page du grand-duc, vient de mourir à Florence. Quoiqu’il fût dans l’âge le plus tendre, on citait déjà par toute l’Europe ses talents et son amabilité. » Ces messieurs sont trop bons. « Le prince, dont il était le favori, en paraît très vivement affecté. » Il me semble pourtant que j’ai obtenu un congé de Son Altesse, et que je viens à Paris pour mon plaisir... Cependant, puisque le journal le dit ; on sait que les journaux n’impriment jamais rien de faux... Allons nous mettre en deuil.

Air : Adieu, je vous fuis, bois charmant. (Sophie.)

Je vais me pleurer de ce pas,
Et je veux que ma douleur brille ;
En pareil cas, il ne faut pas
Beaucoup compter sur sa famille :
Chacun à paraître navré
Met une négligence extrême ;
Pour être aujourd’hui bien pleuré,
Il faut qu’on se pleure soi-même.

Ah ! te voilà, Nanette ?

NANETTE.

Oui, monsieur.

FARINELLI.

Air du Laboureur chinois. (Mozart.)

Qu’elle est douce et gentille !
Chaque jour l’embellit ;
Et son œil noir pétille
De malice et d’esprit.

À part.

Allons, séchons nos larmes,
Oui, le journal a tort ;
Je sens près de ses charmes
Que je ne suis pas mort.

À Pacolet, qui rentre.

Eh bien ! Pacolet, mon déjeuner ?

À part.

Car il ne faut pas que la douleur me fasse perdre l’appétit.

PACOLET.

Vos pommes sont au feu ; mais vous avez là une drôle d’idée de ne manger que ça à votre déjeuner.

FARINELLI.

Est-ce que tu ne remarques pas que j’en ai la voix plus fraîche ?

Il fait une roulade

NANETTE.

Ah ! comme ça va en haut et en bas !

PACOLET, à part.

Oui, c’est du biau ! une belle pratique !

FARINELLI.

Nanette, je rentre ; s’il vient des lettres pour moi, tu me les apporteras.

PACOLET.

C’est moi, monsieur, qui vous les monterai.

FARINELLI.

Non, je veux que ce soit elle.

PACOLET.

Moi, je ne le veux pas.

NANETTE.

Allons, tais-toi donc, puisqu’il veut que ce soit moi.

Ensemble.

Air : Vent brûlant d’Arabie.

NANETTE.

Il faut d’ la complaisance,
Çà, monsieur taisez-vous !
Ayez d’ la confiance,
Fi, qu’ c’est laid d’êtr’ jaloux ;
Aux voyageurs, pour plaire,
D’ zèle il faut redoubler.

Faisant la révérence à Farinelli.

On f’ra c’ qui faudra faire ;
Monsieur n’a qu’à parler.

FARINELLI.

Toute sa défiance
Pourrait-elle entre nous
Détruire l’influence
D’un regard aussi doux ?
Un jaloux doit, ma chère,
Auprès de vous trembler ;
Pour séduire et pour plaire,
Vous n’avez qu’à parler.

PACOLET.

J’ crois qu’ dans la circonstance
J’ n’ai pas tort d’êtr’ jaloux ;
J’ vois là queuqu’ manigance ;
On lui fait les yeux doux.
Si j’ montre d’ la colère,
On vient me quereller,
Et pour qu’ l’on m’ fasse taire,
Moi, je n’ai qu’à parler.

Farinelli entre dans sa chambre, et Nanette sort.

 

 

Scène IV

 

PACOLET, L’AFFÛT

 

PACOLET.

Ah ! v’là monsieur l’Affût.

L’AFFÛT, sortant et parlant à la cantonade.

Oui, te dis-je, je réponds du succès de la pièce, mais trouve un sujet... que diable, cherche !

Air : Voici la manière.

Un rien t’embarrasse,
Ne sais-tu donc pas
Ce qu’il faut qu’on fasse
Pour plaire ici-bas ?
Des vieux in-folios
Aller secouant la poussière,
Puis mettre en lambeaux
Dufresny, Regnard et Molière,
Dire en d’autres mots
Ce qu’ils ont d’jà dit.
Voilà la manière
D’avoir de l’esprit.

Aux moindres nouvelles
Je suis toujours prêt ;
Se confirment-elles,
J’ai là mon couplet ;
Qu’on soit triste ou non,
Qu’on fasse la paix ou la guerre,
Quels que soient le nom
Ou les vertus de l’adversaire ;
Nous chantons toujours c’lui qui réussit :
Voilà la manière
D’avoir de l’esprit.

Cherchant.

Si je pouvais en avoir aujourd’hui...

PACOLET.

Monsieur...

L’AFFÛT.

Laisse-moi donc, laisse-moi donc !

PACOLET.

J’ai fait cette commission.

À part.

Voyons s’il va aussi me donner un louis.

L’AFFÛT.

C’est bon, c’est bon.

PACOLET, tendant la main.

Mais, monsieur...

L’AFFÛT.

C’est bien, je me souviendrai de toi.

PACOLET.

Monsieur, depuis huit jours que vous vous souvenez de moi comme ça, je crois que vous m’oubliez.

Air : Lise épouse l’ beau Gernance. (Fanchon la vielleuse.)

La chose en vaut bion la peine ;
Tâchez qu’ la mémoir’ vous r’vienne,
Et si vous le trouvez bon,
N’oubliez pas le garçon.
C’est un’ loi qu’on n’ peut omettre,
De tout temps on nous donna.

L’AFFÛT.

Apprends qu’un homme de lettre
N’ connaît pas ces usag’-là.

Pacolet sort.

 

 

Scène V

 

L’AFFÛT, seul

 

J’ai beau chercher, je ne vois pas une seule pièce de circonstance à faire. Pas de pièce nouvelle, personne de mort ; il y a de quoi se tuer.

Air : Tenez, moi je suis un bon homme. (Ida.)

Quel siècle et comment peut-on vivre
Quand tout est tranquille ici-bas ?
Pas un savant n’a fait un livre,
Pas une actrice de faux pas.
On ne voit que de bonnes âmes,
Plus de procès, et nos maris
Se laissent enlever leurs femmes
Sans en instruire tout Paris.

Enfin, pas une parodie ; à faire ; à la vérité, à quel théâtre la donner ? J’ai eu un accident à l’Opéra-Comique, un inconvénient aux petits théâtres, et un désagrément à la Comédie-Française... une dispute que j’ai eue avec le caissier. Je lui porte une pièce. – Qui êtes-vous ? – M. l’Affût, auteur distingué. – Donnez-vous la peine d’entrer. – Monsieur, c’est un petit ouvrage que je vous apporte. – Ce gros manuscrit ? – Oui, monsieur. Alors il tourne le premier feuillet. – Personnages : Chasseurs, paysans, bêtes féroces. Le théâtre représente une forêt avec un arbre au milieu. La première scène s’ouvrait par des brigands et des voleurs, selon l’usage. Alors ce coquin de caissier me dit : Monsieur, des brigands et des voleurs, ça ne peut pas me convenir ; portez ça aux théâtres des boulevards. – Monsieur, j’en viens, on n’en veut pas. – Comment, monsieur, vous osez ?... Vous ne savez donc pas qu’il y a loin des Français aux boulevards ? – C’était une malhonnêteté de me dire ça à moi qui en venais, et qui avais fait la course à pied ; il aurait mieux fait de me dire : Prenez un siège ; mais ces gens-là n’ont aucun égard pour le mérite, et le véritable homme de lettres doit se renfermer en lui-même ; aussi je suis rentré chez moi.

 

 

Scène VI

 

L’AFFÛT, L’ÉCLAIR

 

L’ÉCLAIR, la Gazette à la main.

Ah ! mon ami, quelle découverte, nous sommes sauvés ! Tu as entendu parler de Farinelli, ce jeune favori du grand-duc ?

L’AFFÛT.

Sans doute, on vantait par toute l’Europe et ses talents et la bonté de son caractère.

L’ÉCLAIR, joyeusement.

Eh bien ! mon ami, il est mort !

L’AFFÛT.

Ah ! que c’est heureux ! Es-tu bien sur de cette bonne nouvelle ?

L’ÉCLAIR.

Parbleu ! c’est imprimé : je l’ai lu dans la Gazette. Voilà notre pièce de circonstance. On cite de lui des traits charmants.

Il lit le journal.

« Le prince était tombé dans une noire mélancolie ; il n’assistait plus au conseil et négligeait même sa personne, au point de laisser croître sa barbe. La princesse avait placé le jeune Farinelli à la porte de l’appartement ; elle lui ordonna de chanter un de ses plus beaux airs. À peine avait-il fini, que le prince éperdu, transporté de plaisir, court à lui, l’embrasse, et jure de lui accorder tout ce qu’il demandera. Eh bien ! répond Farinelli, je demande que Votre Altesse s’habille et aille au conseil. C’est de cette époque qu’a commencé la faveur dont il n’a cessé de jouir. »

L’AFFÛT.

On pourra profiter de cela ; c’est fort bien.

L’ÉCLAIR.

Et cet autre.

Il lit.

« Dans un opéra qu’on donnait à la cour et où le jeune prince jouait un rôle, Farinelli chantait près de son ami qui venait d’expirer, et ses accents étaient si tendres et si pathétiques, que le prince, qui devait faire le mort, oubliant tout à coup son rôle, se releva en sanglotant pour le consoler. »

L’AFFÛT.

Voilà notre dénouement !

L’ÉCLAIR.

Air : Vers le temple de l’Hymen. (Amour et Mystère.)

Accablé par le remords,
Le prince à la fin succombe ;
Son ami vient sur sa tombe
Chanter l’office des morts.
Il prend sa lyre chérie ;
Ô pouvoir de l’harmonie !
Le mort revient à la vie
Sur un grand air d’opéra.
Mon ami, quelle merveille !
Un opéra qui réveille...
Tout Paris voudra voir ça !

Oui, il faut se dépêcher.

L’AFFÛT.

Trop fougueux, ces jeunes gens-là. Ce n’est pas la peine... la pièce est déjà faite.

L’ÉCLAIR.

On nous aurait prévenus ? Voilà ce que c’est. Ce journal-ci n’annonce jamais les morts que le lendemain.

L’AFFÛT.

C’est vrai ; il devrait les annoncer la veille. Mais ce n’est pas ce que je veux dire. N’avons-nous pas la parodie du dernier opéra ? la pièce peut servir, en changeant le nom et la fin de quelques couplets.

L’ÉCLAIR.

C’est juste. Je n’y pensais pas. Ah ! ça, mais pour parler d’un musicien, tu ne sais pas une note de musique... ni moi non plus.

L’AFFÛT.

Qu’importe ! nous avons lait une pièce dernièrement sur un arrêt de la Sorbonne ; est-ce que nous savions une phrase de latin ? Comme si les auteurs étaient obligés de connaître les choses dont ils parlent ! Tu verras bientôt que, pour composer une pièce, il faudra avoir fait toutes ses études. Sois donc tranquille, j’ai là toutes mes scènes.

Air : Si Pauline est dans l’indigence. (Pauline.)

Nous y mettrons mainte épithète ;
Nous parlerons dièse et bémol !
Nous parlerons de la fauvette,
Nous parlerons du rossignol ;
Nous dirons qu’il eut pour sa lyre
L’écho de la postérité...

L’ÉCLAIR.

On ne saura ce qu’il veut dire.

L’AFFÛT.

On claquera de tout côté.

L’ÉCLAIR.

Tu as raison. Mais encore faudrait-il connaître un peu la vie de Farinelli.

L’AFFÛT.

C’est vrai. Diable !...

 

 

Scène VII

 

L’AFFÛT, L’ÉCLAIR, FARINELLI, puis PACOLET

 

FARINELLI.

Pacolet ! Pacolet !

L’ÉCLAIR.

Quel est ce petit monsieur ?

FARINELLI, à Pacolet.

Fais remettre sur-le-champ cette lettre à la poste.

PACOLET, lisant l’adresse.

Oui, monsieur. Al signor Spinoletto, à Florence. Tiens, quel bailliage c’est-il ?

FARINELLI.

Que t’importe ?

Air du vaudeville de Voltaire chez Ninon.

Allons, sur l’heure obéis-moi.
Remplis sur-le-champ ce message.

Lui donnant de l’argent.

D’avance, tiens, voilà pour toi.

PACOLET.

Vous me donnez ?

FARINELLI.

C’est mon usage.

L’ÉCLAIR, à l’Affût.

Que penses-tu de ce maintien ?

L’AFFÛT, à Pacolet.

Quel est-il ? je crois le remettre.

PACOLET, tenant l’argent.

J’ignor’ c’ qu’il est ; mais on voit bien
Que c’est pas un homme de lettre.

Il sort.

 

 

Scène VIII

 

FARINELLI, L’AFFÛT, L’ÉCLAIR

 

L’ÉCLAIR.

Il a des connaissances en Italie ; s’il pouvait nous donner des renseignements.

L’AFFÛT.

Il faudrait un moyen neuf et piquant. Je vais lui offrir du tabac...

À Farinelli.

Monsieur en use-t-il ?

FARINELLI.

Grand merci !

L’AFFÛT.

Peut-être ne vaut-il pas celui d’Italie ; car j’ai reconnu à la tournure de monsieur qu’il était Italien.

FARINELLI.

Oui, messieurs, et j’arrive de Florence.

L’AFFÛT.

Quoi ! monsieur, vous venez d’Italie ? Auriez-vous entendu parler du fameux Farinelli ?

FARINELLI, à part.

Où en veulent-ils venir ?

Haut.

Oui, messieurs. Je l’ai beaucoup connu.

L’ÉCLAIR.

Ah ! monsieur, rendez-nous un grand service. Racontez-nous les particularités de la vie de ce jeune prodige ?

L’AFFÛT.

De ce grand homme !

FARINELLI, s’inclinant.

Messieurs !...

L’ÉCLAIR.

N’en passez aucune sous silence.

FARINELLI, à part.

Que c’est flatteur !

L’AFFÛT.

Si vous saviez l’intérêt que nous y prenons !

FARINELLI, à part.

En vérité, voilà de quoi donner de l’amour-propre !

Haut.

Messieurs... Farinelli est à peu près...

L’ÉCLAIR.

Était, vous voulez dire.

FARINELLI.

Comment ?

L’AFFÛT, à l’Éclair.

Mets-toi là et écris.

FARINELLI.

Et pourquoi donc ?

L’AFFÛT.

Oui, votre récit fait naître quelques idées, quelques pointes de couplet.

FARINELLI.

Hein ! Comment ?

L’AFFÛT.

Est-ce que vous ne savez pas la grande nouvelle ?

Avec joie.

Farinelli est mort, et cet événement-là est trop heureux pour que nous n’en profitions pas. Nous arrangeons là-dessus une pièce de circonstance.

FARINELLI.

Quoi ! monsieur, vous seriez...

L’AFFÛT.

Moi-même, monsieur... Depuis mon enfance, je travaille le vaudeville ; je l’ai étudié chez nos premiers restaurateurs. Je suis membre de toutes les académies mangeantes de la capitale, et j’ose dire que j’ai donné à la poésie légère un caractère de consistance et de solidité au delà du genre.

L’ÉCLAIR.

Monsieur, vous pouvez commencer. Nous écoutons.

FARINELLI.

Très volontiers.

Air de Dalvimar.

D’un père pauvre et vertueux,
Farinelli naquit à Rome.
Étant sans bien, il fut heureux ;
Étant riche, il fut honnête homme.
Le hasard seul... du dernier rang
Le rapprocha du rang suprême ;
Sa fortune changea souvent,
Mais son cœur fut toujours le même.

L’ÉCLAIR.

C’est fort bien. Mais quel était son caractère ? qu’est-ce qu’il disait ?

L’AFFÛT.

Oui ; voyons un peu ce qu’il pensait.

FARINELLI.

Le voici :

Air  du Cabaret.

Il faut, puisque notre existence
Dépend, disait-il, des hasards,
L’ennoblir par la bienfaisance
Et la charmer par les beaux-arts.
Le sort lui sourit par mégarde,
Et négligeant d’en profiter,
Il vécut sans y prendre garde,
Et mourut sans s’en douter.

L’AFFÛT.

Fort bien !

À l’Éclair.

Tu écris toujours, n’est-ce pas ? Voilà de quoi faire deux couplets qui seront applaudis. Je m’en charge avec quatre billets de parterre. Mais puisque vous nous donnez de si bonnes idées, il m’en vient une ! Faites la pièce avec nous !

Ici, Nanette traverse le théâtre avec un balai et un plumeau, et entre chez Farinelli.

FARINELLI.

S’il faut vous le dire, il me paraît assez singulier de travailler sur un pareil sujet. Et d’ailleurs, je ne vois rien dans la vie de Farinelli qui mérite d’être mis en scène.

L’AFFÛT.

Comment, monsieur, le moment où il ressuscite un mort avec un air d’opéra ! C’est admirable !

FARINELLI.

Comment, vous savez... Ah ! oui... je me rappelle... Et vous croyez que je m’en tirerai bien ?

L’AFFÛT.

À merveille, vous fournirez les idées, l’Éclair fera les couplets, il les fait très vite.

FARINELLI.

Ah çà ! et vous ?

L’AFFÛT.

Moi, je vous encouragerai, je taillerai les plumes et je mettrai mon nom à l’ouvrage. Je me charge des articles dans les journaux... Attendez. Il nie vient une idée de couplet pour notre pièce.

L’ÉCLAIR.

Eh bien ! qu’est-ce que c’est ? Te faut-il une rime ?

L’AFFÛT.

Tu me l’as fait perdre, je n’ai plus d’idée.

L’ÉCLAIR.

Voilà comme tu es toujours.

L’AFFÛT.

Je voulais dire que Farinelli...

L’ÉCLAIR.

Jouait de plusieurs instruments.

L’AFFÛT.

C’est ça ; mais c’était pour tourner... Aidez-moi un peu, vous voyez que j’ai l’idée.

L’ÉCLAIR.

J’y suis...

Air du Verre.

On dit chez mainte nation
Que ce musicien célèbre...

L’AFFÛT.

Pas mal, c’est ce que je voulais dire ; ça va sur l’air.

L’ÉCLAIR.

Jouait joliment du basson
Et jouait, et jouait...

Ah ! diable ! il faudrait une rime à célèbre !

L’AFFÛT.

Je sais ce qu’il faut. Il faudrait un instrument on èbre, célèbre, funèbre, ténèbre, ténèbre... Je ne sors pas de là.

L’ÉCLAIR.

Changeons la rime.

On dit chez mainte nation
Que ce musicien si rare...

L’AFFÛT.

Jouait joliment du basson...

FARINELLI, à part.

Amusons-nous aussi.

Haut.

Et proprement de la guitare.

L’AFFÛT.

Bravo ! j’allais le dire. Reste à savoir après ça si Farinelli jouait de la guitare ; mais qu’est-ce que ça fait à un public éclairé, qui ignore ce qui en est ? Maintenant, le cinquième vers.

FARINELLI.

Ce premier quatrain est un peu faible, quoique j’y aie travaillé.

L’AFFÛT.

Pourvu que les deux derniers vers soient bons, voilà tout ce qu’il faut. Nous avons encore de la marge pour deux mauvais, je m’en charge.

L’ÉCLAIR.

Quand ce grand homme, en badinant,
Fredonnait une chansonnette.

L’AFFÛT.

Je tiens les deux derniers.

L’assemblée, en s’en allant,
Se retirait fort satisfaite.

L’ÉCLAIR.

Ah ! quelle chute ! il n’y a pas de pointes, c’est plat ; et, l’assemblée en s’en allant, il manque un pied.

L’AFFÛT.

Ah ! c’est vrai, l’assemblée s’en va sur un pied de moins.

L’ÉCLAIR.

Quand ce grand homme, en badinant,
Fredonnait une chansonnette,
La renommée, au même instant,
L’accompagnait sur sa trompette.

FARINELLI et L’AFFÛT.

Bravo ! bravo ! reprenons.

L’AFFÛT, L’ÉCLAIR et FARINELLI.

Quand ce grand homme, en badinant, etc.

L’AFFÛT, s’essuyant le front.

En voilà un qui m’a donné de la peine ! Aussi c’est un de mes meilleurs. Ah çà ! mon cher collaborateur, vous voilà engagé, vous avez travaillé.

FARINELLI.

Songez donc que je n’ai jamais fait de pièces de théâtre.

L’AFFÛT.

Et moi donc ? Et pourtant me voilà. Jérôme l’Affût, auteur dramatique, furet de coulisses et orateur du foyer.

FARINELLI.

Allons, messieurs, j’accepte, pour la rareté du fait.

L’AFFÛT.

Voilà une première séance qui est bonne ; la seconde après déjeuner... Nous ne vous invitons pas.

FARINELLI.

Je ne déjeune jamais.

L’AFFÛT.

Fallait donc le dire ! Partie remise. Nous irons dîner chez vous sans façon ; c’est ainsi que ça se pratique. Vous êtes censé avoir déjeuné chez nous, nous allons dîner chez vous ; voilà comme on fait les vaudevilles.

FARINELLI.

À la bonne heure !

L’ÉCLAIR.

Et surtout du bon vin.

L’AFFÛT.

Du bon vin et pas d’eau.

FARINELLI.

Air de la Monaco.

La bonne affaire,
Tout est d’accord !
Pourtant je ne m’attendais guère
Moi-même à faire,
Vivant encor,
Une complainte sur ma mort.

L’AFFÛT et L’ÉCLAIR.

La bonne affaire,
Tout est d’accord !
Un pareil ouvrage doit plaire :
Destin prospère.
Oui, cette mort
Va remplir notre coffre-fort.

FARINELLI.

C’est un droit qu’ici je m’arroge ;
Mais il est tant de gens de bien
Qui font eux-mêmes leur éloge ;
Je puis bien faire aussi le mien.

Ensemble.

L’AFFÛT et L’ÉCLAIR.

La bonne affaire, etc.

FARINELLI.

La bonne affaire, etc.

L’Affût et l’Éclair entrent chez eux. Farinelli reste sur le devant de la scène.

L’AFFÛT, appelant.

Pacolet ! Pacolet !

 

 

Scène IX

 

FARINELLI, seul

 

Ah ! l’on veut me mettre en tiers dans une pièce de circonstance sur ma mort ! Je n’y vois pas d’inconvénient ; et si jamais je tombe dans la disgrâce, voilà une ressource, j’ai ma pièce.

Air : Fortune en ce monde. (Les Rendez-vous bourgeois.)

Le sort me délivre
De tout embarras,
Et je m’en vais vivre,
Grâce à mon trépas !
Je crois voir ma belle
Lisant le journal,
Et se trouvant mal
À cette nouvelle ;
Mais au bout d’un mois
L’Amour en appelle,
Et mon infidèle
Fait un autre choix.
Du cœur de ma belle
Je me vois exclus,
Mais le dieu Plutus
Me sera fidèle.

L’AFFÛT, en dehors.

Pacolet ! Pacolet !

 

 

Scène X

 

FARINELLI, NANETTE, sortant de la chambre de Farinelli, avec une assiette à la main

 

NANETTE.

Pacolet. Il n’entend pas. Il n’y est jamais !

L’AFFÛT et L’ÉCLAIR, en dehors.

Pacolet ! Pacolet !

NANETTE.

Eh ! mon Dieu, on y va.

Elle entre dans la chambre de l’Affût avec l’assiette.

 

 

Scène XI

 

FARINELLI, seul

 

Pourtant, se réjouir de la mort d’un honnête jeune homme, et d’un page encore !... Ah ! si je pouvais leur jouer un tour de mon métier et leur donner une leçon... Il y aurait bien un moyen ; mais pour cela il faudrait... et cela n’est pas aisé...

 

 

Scène XII

 

FARINELLI, NANETTE, sortant de la chambre de l’Affût avec l’assiette vide

 

NANETTE, à la cantonade.

Non, messieurs, je ne plaisante pas. M’embrasser ! et pendant ce temps-là me voler mon assiette !

FARINELLI, à part.

Est-ce que mon déjeuner serait aussi défunt !

NANETTE, à la cantonade.

Oui, riez, riez. C’est très mal, on croira que c’est moi.

FARINELLI, à part.

Voici l’occasion que je désirais, et je puis maintenant les tuer en toute sûreté... Eh bien ! Nanette, mon déjeuner ?

NANETTE, l’apercevant.

Ah ! mon Dieu, monsieur... Je ne sais comment vous dire... mais je vous assure bien que ce n’est pas ma faute si votre déjeuner...

FARINELLI, riant.

Comment, on l’aurait pris ? Eh bien ! mon enfant, je l’avais fait exprès.

NANETTE.

Exprès. Vous savez donc...

FARINELLI.

Eh ! oui. Ce sont les souris, à ce que disait Pacolet, qui mangeaient tout dans mon appartement. Je les guettais.

NANETTE, riant.

Ah ! vous croyez...

FARINELLI, riant.

Et j’ai saupoudré mon déjeuner d’arsenic double, tout ce qu’il y a de plus fort.

NANETTE.

Ah ! mon Dieu ! Ils seront empoisonnés.

FARINELLI.

Justement, et c’est là le meilleur.

NANETTE, hors d’elle-même.

Eh non ! ce n’est pas ce que vous croyez... Comment les prévenir ?...

 

 

Scène XIII

 

FARINELLI, NANETTE, PACOLET, un morceau de pain et un couteau à la main

 

NANETTE, à Pacolet qui entre.

Ah ! Pacolet, cours chez le premier médecin, qu’il vienne sur-le-champ.

PACOLET, mangeant.

C’est bon. Après déjeuner.

NANETTE, vivement.

Eh ! non. Ces messieurs viennent de s’empoisonner.

PACOLET, mangeant toujours.

Bah ! Avec quoi ?

NANETTE.

Avec ces pommes. Elles étaient empoisonnées.

PACOLET, laissant tomber son couteau et son pain.

Comment, le déjeuner de monsieur. Ces pommes que ce matin j’apprêtais...

NANETTE.

Oui, saupoudrées d’arsenic.

Pacolet pousse un grand cri, et sort par la porte du fond. Nanette entre chez l’Affût.

 

 

Scène XIV

 

FARINELLI, seul, se jetant en riant dans un fauteuil

 

Ah ! ah ! nous allons voir s’ils trouveront là-dedans un sujet de comédie aussi gai que celui de ce matin.

 

 

Scène XV

 

FARINELLI, L’AFFÛT, L’ÉCLAIR

 

L’AFFÛT, entrant en s’arrachant les cheveux.

Ah ! mon Dieu ! mon Dieu !

À Nanette, à la cantonade.

Tu es sûre qu’il est allé chez le médecin ?

FARINELLI.

Eh bien ! messieurs, qu’y a-t-il donc ? D’où vient ce bruit ?

L’ÉCLAIR.

Vous voyez, mon petit ami, des gens désespérés. Nous avons eu le malheur de nous empoisonner.

L’AFFÛT.

Et je ne survivrai pas à ce malheur-là.

FARINELLI.

Quoi ! vous seriez... Ah ! que c’est heureux. Depuis que je vous ai quittés, il m’est venu une idée de pièce de circonstance ; mais il me fallait pour cela deux auteurs morts. Et même il me fallait une mort tragique pour que ça fût plus gai... Ah ! quel service vous me rendez là !

L’AFFÛT et L’ÉCLAIR.

Ah ! monsieur !

FARINELLI.

Non, j’en suis enchanté... Ah çà ! vous travaillerez à la pièce. Vous avez fourni le sujet, ainsi, c’est trop juste... Je me charge d’arranger les couplets... Quelques refrains bien joyeux.

L’ÉCLAIR.

Eh ! monsieur, dans l’état où nous sommes...

L’AFFÛT.

À deux doigts de la mort...

FARINELLI.

Qu’est-ce que ça fait, ça sera un ouvrage posthume.

L’ÉCLAIR.

Posthume !... C’est une indignité !

FARINELLI.

Allons donc, vous vous découragez pour un rien. Des chansonniers !... Vous devez rire de tout.

Air : À soixante ans on ne doit pas remettre. (Le Dîner de Madelon.)

Dans ce monde, notre existence
Au fait n’est rien qu’une chanson :
Les uns en font une romance,
Et les autres un gai flon flon ;
Mais que le sort nous soit ou non propice,
Au trépas rien ne nous soustrait,
Et puisqu’il faut que la chanson finisse,
Chantons gaiement jusqu’au dernier couplet.

L’AFFÛT.

L’intérêt vous fait donc oublier tout sentiment d’humanité ; vous réjouir de notre mort !

FARINELLI.

Pourquoi pas, puisqu’elle m’est avantageuse. Vous vous réjouissiez bien de celle de Farinelli.

L’AFFÛT.

Eh ! monsieur, nous ne le connaissions pas.

FARINELLI.

Je ne vous connais pas non plus ; mais c’est égal, je suis plus généreux que vous, et quoiqu’il m’en coûte le sujet d’une pièce de circonstance, je veux bien vous sauver la vie.

L’AFFÛT.

Quoi ! cher collaborateur, pour pourriez...

FARINELLI.

Eh ! mon Dieu, j’ai une recette infaillible. Vous connaissez le dénouement de notre pièce ? Farinelli ressuscitait les morts avec une roulade ; eh bien ! sans me vanter d’avoir son talent, je vais vous chanter un petit air, et vous allez voir...

L’AFFÛT.

Un petit air ! Ah çà, monsieur, que signifie...

FARINELLI.

Air : Au Palais-Royal à Paris. (L’Auberge de Bagnères.)

Premier couplet.

Adroits à saisir l’à-propos,
Et l’anecdote qui circule,
Deux auteurs, féconds en bons mots,
Sur nous lançaient le ridicule ;
Mais il advint qu’un certain jour.
Contre eux détournant la satire,
À leurs dépens on voulut rire ;
Ici-bas chacun a son tour.

L’AFFÛT.

Comment, monsieur, est-ce qu’il serait vrai ?...

FARINELLI.

Non, non, c’est un couplet que je chante. Mais ça va déjà mieux, n’est-ce pas ?

Deuxième couplet.

Un artiste a fini son sort,
Déjà leur verve s’évertue ;
Mais, hélas ! on peut vivre encor,
Même quand le journal vous tue.
Il revient du sombre séjour,
Et comme il se porte à merveille,
C’est lui qui vous rend la pareille ;
Ici-bas chacun a son tour.

L’AFFÛT.

Je suis ressuscité.

FARINELLI.

Quand je vous le disais ! je n’en fais jamais d’autres.

L’AFFÛT.

Comment ! vous êtes Farinelli ?

FARINELLI.

Lui-même, votre collaborateur, qui n’est pas plus mort que vous...

Regardant à la cantonade.

Mais qui vient donc ? Eh ! c’est Pacolet.

 

 

Scène XVI

 

FARINELLI, L’AFFÛT, L’ÉCLAIR, NANETTE, PACOLET, pâle  et défait

 

L’AFFÛT.

Comme il est pâle !

PACOLET, à voix basse.

C’est fini... l’apothicaire n’y était pas... son... garçon... m’a dit qu’il n’y... avait... pas de remède... Ainsi...

Sa voix s’affaiblit et il tombe sur un fauteuil.

NANETTE.

Qu’est-ce qu’il a donc ?

L’AFFÛT.

Ce pauvre Pacolet, comme il s’intéressait à nous ! Ah ! mon Dieu ! quand ce serait pour lui-même...

PACOLET.

Non... ce n’est pas ça... C’est que ce matin... Il y en avait trois...

L’AFFÛT.

Et il en a mangé une...

TOUS, riant.

Ah ! ah ! ah !...

PACOLET.

Et c’était la plus grosse...

L’ÉCLAIR.

Ah ! ah ! l’imbécile ! tu ne vois pas qu’on se moque de toi ?

NANETTE.

C’est bien fait ; voilà ce que c’est que d’être gourmand.

PACOLET.

Comment, ça s’rait pour rire ! Vous étiez donc au fait, monsieur l’Affût, et vous faisiez semblant d’avoir peur ?

L’AFFÛT.

Sans doute.

À Farinelli.

J’espère, monsieur, que vous ne nous en voudrez pas de notre pièce de circonstance ?

FARINELLI.

Au contraire ; mais comme elle ne peut plus avoir lieu, je vais vous en proposer une autre.

Désignant Nanette.

Air : Il me faudra quitter l’empire. (Les Filles à marier.)

Voyez ces yeux et ce joli visage ;
Fut-il jamais sujet plus gracieux ?
Pour terminer ses amours et l’ouvrage,
Cherchons tous trois quelques moyens heureux.
L’amant d’abord chantera sa maîtresse ;
Mais il ne peut l’épouser sans argent.
Messieurs, chargez-vous de la pièce,

Donnant sa bourse à Pacolet.

Je me charge du dénouement.

L’AFFÛT.

Ma foi, mon cher collaborateur, voilà un dénouement que je n’aurais jamais trouvé. Avec tout cela, encore une pièce de circonstance qui restera en portefeuille !

L’ÉCLAIR, qui, pendant ce temps, s’est emparé du journal.

Non. Un académicien célèbre vient de mourir des suites d’un rhume qu’il avait attrapé dans l’antichambre d’un grand seigneur.

L’AFFÛT.

Il est mort ! Vivat !

FARINELLI, à l’Affût et à l’Éclair.

Vaudeville.

Air de M. Doche.

Croyez-moi, pour d’autres sujets
Réservez plutôt votre lyre,
Et d’un roi chéri des Français,
Retracez-nous l’heureux empire.
Chantez la France à ses genoux,
Chantez des Français la vaillance ;
Voilà des sujets qui, chez nous,
Seront toujours de circonstance.

L’ÉCLAIR.

Pour tout savoir il faut ici
Que nuit et jour un auteur veille ;
Les ridicules d’aujourd’hui
Font oublier ceux de la veille.
Tout change du soir au matin ;
Mais Molière savait qu’en France,
Et Tartuffe et Georges Dandin,
Seraient toujours de circonstance.

PACOLET.

C’est l’ moment d’être généreux :
J’épouse celle que j’adore :
Par les plus beaux atours je veux,
S’il se peut, l’embellir encore ;

À Nanette.

Mais à ton tour, puisque voilà
L’ moment d’ nos noces qui s’avance,
Tâche de m’ donner ce jour-là
Quelque chose de circonstance.

NANETTE.

Quand à la noce on nous mènera
J’ veux t’étonner par ma parure ;
Rubans par-ci, bouquets par-là,
Rien n’y manquera, je te jure :
De moi tu pourras être fier,
Et grâce à mon expérience,
J’ m’arrangerai d’ façon qu’ j’aurai l’air
Qui convient à la circonstance.

L’AFFÛT.

Jadis époux, je fus auteur
D’un enfant, mon meilleur ouvrage,
Mais qui vit le jour, par malheur,
Cinq mois après le mariage ;
C’était peu le moment, je croi,
Et pour dire ce que j’en pense,
C’est le seul ouvrage de moi
Qui ne soit pas de circonstance.

FARINELLI, au public.

Vous voyez que nos deux auteurs
Ont essuyé mainte infortune ;
Voudriez-vous, par vos rigueurs
Leur en préparer encore une ?
Puissiez-vous, comblant notre espoir,
Être dans un jour d’indulgence,
Et que tout le monde, ce soir,
Profite de la circonstance !

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